mercredi 10 juin 2015

LES SERMONS DE WESLEY Sermon 13 : LE PÉCHÉ DANS LES CROYANTS

Numérisation Yves PETRAKIAN
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(tiré du livre  LES SERMONS DE WESLEY  -1-


2 Corinthiens 5,17   (1763)

« Si quelqu'un est en Christ, il est une nouvelle créature ». (2Corinthiens 5 : 17)

I

                         Y a-t-il donc du péché dans celui qui est en Christ ? Le péché reste-t-il dans l'âme qui croit en Lui ? Y 
en a-t-il encore quelque mesure en ceux qui sont nés de Dieu, ou en sont-ils tout-à-fait délivrés ?
                  Que personne ne s'imagine que ce soit là une question curieuse dont la décision, dans un sens ou dans un autre, importe peu. C'est, au contraire, pour tout chrétien sérieux, un point de la plus haute importance, dont la résolution intéresse de près son bonheur présent et éternel. Je ne sache pas cependant que cette question ait été controversée dans l'Église primitive. Au fait, tous les chrétiens étaient d'accord sur ce point, et il n'y avait pas lieu à controverse. Autant que j'ai pu m'en assurer, le corps entier des anciens écrivains chrétiens déclare d'une commune voix que même ceux qui croient en Christ, tant qu'ils n'ont pas été rendus « forts dans le Seigneur et dans la puissance de sa force », ont à combattre contre la chair et le sang, contre une nature mauvaise, aussi bien que contre les principautés et les puissances.
                           Et en ceci, l'Église anglicane (comme au reste presque toujours), répète le langage de l'Église primitive ; elle déclare dans son 9e article : « le péché originel, en chacun de nous, est la corruption de nature, par laquelle tout homme est enclin au mal, les désirs de la chair étant contraires à ceux de l'Esprit. Et ce vice de nature demeure, même chez ceux qui sont régénérés, ce qui fait que « l'affection de la chair ne se soumet point à la loi de Dieu », et bien qu'il n'y ait « plus de condamnation pour les croyants, cette affection ou convoitise a par elle-même la nature du péché ».
                        C'est aussi le témoignage unanime des autres Églises, non seulement de l'Église grecque et de l'Église romaine, mais des Églises réformées d'Europe, de toute dénomination. Plusieurs d'entre elles semblent même exagérer la chose, décrivant la corruption du coeur chez le croyant comme si, loin de la dominer, il en était plutôt l'esclave, et par là, elles détruisent presque toute distinction entre l'incrédule et le croyant. Pour éviter cet extrême, plusieurs hommes bien intentionnés et particulièrement les disciples du comte de Zinzendorf, se jetèrent dans l'extrême opposé, affirmant « que tout vrai croyant est délivré non seulement de la domination du péché, mais encore de la présence du péché, tant intérieur qu'extérieur, en sorte qu'il n'en reste plus en lui » ; et, par leur moyen, il y a environ vingt ans, plusieurs de nos compatriotes adoptèrent cette opinion, que chez le croyant la corruption naturelle n'existe plus.
                        Il est vrai que les Moraves d'Allemagne, pressés sur cet article, accordèrent bientôt (au moins plusieurs d'entre eux), que le péché est encore dans la chair, n'en récusant l'existence que pour le coeur du croyant ; il est vrai aussi que l'absurdité de cette opinion leur ayant été démontrée, ils y renoncèrent au bout d'un certain temps, admettant que le péché, quoiqu'il n'ait plus de domination, demeure encore chez celui qui est né de Dieu. Mais ceux d'Angleterre qui l'avaient reçue d'eux (soit directement, soit de seconde ou de troisième main), ne se laissèrent pas si aisément arracher une opinion favorite, et lors même que le plus grand nombre eut reconnu qu'elle était insoutenable, il y en eut qui ne purent consentir à l'abandonner, et ils la soutiennent encore aujourd'hui.

II

                        Pour l'amour de ceux qui craignent vraiment Dieu et qui désirent connaître la vérité telle qu'elle est 
en Jésus, il est à propos de considérer ce point avec calme et impartialité. Dans cet examen j'emploierai indifféremment les mots régénérés, justifiés ou croyants ; car s'ils ne sont pas entièrement synonymes (le premier désignant un changement intérieur, effectif, le second un changement relatif, et le troisième le moyen par lequel ces deux changements s'opèrent), ils reviennent pourtant à un même sens, puisqu'on est justifié et né de Dieu dès l'instant qu'on est croyant.
                Par le péché, j'entends ici le péché intérieur, toute passion, affection ou disposition coupable : ainsi l'orgueil, la volonté propre, l'amour du monde, quel qu'en soit le genre ou le degré ; ainsi la convoitise, la colère, la mauvaise humeur, en un mot, toute disposition contraire aux sentiments qui étaient en Jésus-Christ.
                         Il ne s'agit pas du péché extérieur, ni de savoir si un enfant de Dieu commet ou ne commet pas le péché. Nous sommes tous d'accord à reconnaître et à soutenir fermement que celui qui commet le péché est du diable. Nous reconnaissons tous que celui, qui est né de Dieu ne commet pas le péché. Il ne s'agit pas non plus, pour le moment, de savoir si le péché intérieur doit toujours demeurer chez les enfants de Dieu et rester attaché à l'âme aussi longtemps qu'elle est attachée au corps, ni même si les justifiés peuvent retomber dans le péché, soit intérieur, soit extérieur ; la question est simplement celle-ci : un homme justifié ou régénéré est-il affranchi de tout péché dès le moment de sa justification ? N'y a-t-il dès lors, aucun péché dans son coeur ? — ni alors, ni dans la suite, à moins qu'il ne déchoie de la grâce ?
                       Nous reconnaissons que l'état d'un homme justifié est grand et glorieux, au-dessus de toute expression ; né de nouveau, « non du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l'homme, mais de Dieu », il est enfant de Dieu, membre de Christ, héritier du royaume des cieux. « La paix de Dieu, qui surpasse toute intelligence, garde son coeur et son esprit en Jésus-Christ ». Son corps même est « le temple du Saint-Esprit, l'habitation de Dieu en esprit ». Il « est créé de nouveau en Jésus-Christ », il est lavé, sanctifié, son coeur est purifié par la foi, il est nettoyé de la corruption qui règne dans le monde ; et « l'amour de Dieu y est répandu par le Saint-Esprit qui lui a été donné ». Et tant qu'il « marche dans la charité » (ce qu'il peut faire toujours), il adore Dieu « en esprit et en vérité ». Il garde les commandements de Dieu et fait les choses qui lui sont agréables », travaillant à avoir une conscience sans reproche devant Dieu et devant les hommes » ; et dès l'instant de sa justification, il a domination sur le péché, tant intérieur qu'extérieur.

III

                       « Mais n'a-t-il donc pas été dès lors affranchi de tout péché, en sorte qu'il n'en existe plus dans son 
coeur ? » — Je ne dis point cela et je ne puis le croire, car saint Paul dit le contraire. C'est à des croyants qu'il parle, c'est l'état des croyants en général qu'il décrit, quand il dit : « la chair convoite contre l'esprit et l'esprit contre la chair, et ces deux choses sont contraires l'une à l'autre (Galates 5 : 17) ». Rien de plus précis. L'apôtre affirme ici directement que la chair ; la mauvaise nature s'oppose à l'esprit, même chez les croyants; qu'il y a même chez les régénérés deux principes opposés.
                         Bien plus, écrivant à Corinthe « à des croyants sanctifiés en Jésus-Christ (1Corinthiens 1 : 2), il leur dit. « Pour moi mes frères, je n'ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des hommes charnels, comme à des enfants en Christ.. ». Vous êtes encore charnels, « car puisqu'il y a parmi vous de l'envie, des dissensions et des partis, n'êtes-vous pas charnels (1Corinthiens 3 : 1-3)
                        Eh bien ! l'apôtre parle ici, sans nul doute, à des croyants que, dans la même phrase, il appelle ses frères en Christ, comme étant encore, en quelque, mesure, charnels. Il affirme qu'il y avait, parmi eux, de l'envie et, par suite, des dissensions, sans dire le moins du monde qu'ils eussent perdu leur foi ; il dit même ouvertement le contraire, en les appelant des enfants en Christ. Et (remarquons particulièrement ceci), être un enfant en Christ est pour lui, dans cet endroit, synonyme d'être charnel ; d'où il paraît clairement que tout croyant est, en quelque mesure, charnel, aussi longtemps qu'il n'est qu'un enfant en Christ.
                          Ce fait important qu'il y a dans les croyants deux principes contraires — la nature et la grâce, la chair et l'esprit, ressort, en réalité, de toutes les Épîtres de saint Paul, et même de toutes les Saintes-Écritures ; presque toutes les directions et les exhortations qu'elles contiennent le supposent ; car elles sont toutes relatives à des dispositions ou pratiques répréhensibles existant encore chez ceux que les écrivains inspirés reconnaissent néanmoins pour croyants. Et la parole de Dieu les exhorte continuellement à les combattre et à les surmonter par le pouvoir de la foi qui est en eux.
                    Et qui peut douter que l'ange de l'Église d’Éphèse n'eût la foi quand le Seigneur lui disait : « Je connais tes oeuvres, ton travail et ta patience ;... que tu as souffert, que tu as travaillé pour mon nom, et ne t'es point découragé (Apocalypse 2 : 2-4) ? » Et pourtant n'y avait-il point de péché dans son coeur ? Il y en avait, car sans cela Christ n'aurait pas ajouté : « Mais j'ai quelque chose contre toi ; c'est que tu as abandonné ta première charité ». C'était un péché réel que Dieu voyait dans son coeur, et dont, conséquemment, il est appelé à se repentir ; et pourtant nous n'avons pas le droit de dire qu'il n'eût pas la foi, même dans ce moment là.
                          Non, car écrivant à l'ange de l'Église de Pergame, il l'exhorte, lui aussi, à se repentir, ce qui suppose le péché, quoique le Seigneur lui dise expressément « Tu n'as point renié ta foi ; (Apocalypse 2 : 13-16) » et il dit à l'ange de l'Eglise de Sardes : « Affermis le reste qui s'en va mourir (Apocalypse 3 : 2) ». Le bien qui restait, s'en allait mourir, mais n'était pas encore mort. Il y avait donc toujours même en lui une étincelle de foi, et c'est pourquoi le Seigneur lui commande de garder ce qu'il a reçu (Apocalypse 3 : 3).
                        Enfin lorsque l'apôtre presse des croyants de « se nettoyer de toute souillure de la chair et de l'esprit (2 Corinthiens 7 : 1) », il montre clairement que ces croyants n'en étaient pas encore nettoyés.
                   Répondra-t-on que celui qui s'abstient de toute apparence de mal, se nettoie ainsi par le fait, de toute souillure ? Mais cela n'est point. Ainsi un homme m'insulte : j'éprouve du ressentiment, ce qui est une souillure d'esprit ; mais je ne dis mot. Je m'abstiens donc en ceci de toute apparence de mal, mais cela n'ôte point la souillure d'esprit. J'en fais la douloureuse expérience.
                   Et si cette thèse : « il n'y a chez le croyant ni péché ni affection charnelle, ni penchant aux rechutes », est ainsi contraire à la parole de Dieu, elle ne l'est pas moins à l'expérience de ses enfants. Ceux-ci trouvent en eux continuellement un coeur enclin à retourner en arrière, une tendance au mal, un penchant naturel à abandonner Dieu pour s'attacher aux choses de la terre.
               Chaque jour ils s'aperçoivent que l'orgueil, la volonté propre, l'incrédulité, demeurent dans leur coeur et que le péché s'attache à tout ce qu'ils disent et font, et même à leurs actions les meilleures et les plus saintes. Mais ils savent, en même temps, qu'ils sont de Dieu ; ils ne peuvent en douter, même un moment. Ils sentent clairement que «l'Esprit rend témoignage avec leur esprit qu'ils sont enfants de Dieu ». Ils se réjouissent en Dieu par Jésus-Christ, par qui ils ont maintenant reçu la réconciliation. En sorte qu'ils ont une égale assurance que le péché est en eux, et que « Christ est en eux, l'espérance de la gloire ».
                      « Mais Christ peut-il être dans un coeur où est le péché ? » Il le peut ; car sans cela le péché ne pourrait en être chassé. Où est la maladie, on trouve le médecin, poursuivant son oeuvre, travaillant à la guérison du mal, à l'expulsion du péché. Christ ne peut, sans doute, régner là où le péché règne, ni demeurer où un péché, quelconque est accueilli. Mais il est et demeure dans le coeur de tout croyant qui combat contre tout péché, quoique n'étant pas encore complètement purifié.
                        J'ai déjà dit que la doctrine opposée, savoir qu'il n'y a point de péché chez les croyants, — est tout-à-fait nouvelle dans l'Église de Christ, qu'on n'en a jamais ouï parler pendant dix-sept siècles, jamais jusqu'à ce que le, comte de Zinzendorf l'eût découverte. Je ne me souviens pas d'en avoir trouvé la moindre trace dans aucun écrit ancien ou moderne, si ce n'est peut-être chez quelqu'un des plus extravagants antinomiens. Ceux-ci, d'ailleurs, se contredisent eux-mêmes, reconnaissant qu'il y a du péché dans leur chair, quoi qu'il n'y en ait pas dans leur coeur. Mais toute doctrine nouvelle est nécessairement fausse, car il n'y a de vraie religion que l'ancienne, et pour être fidèle, il faut qu'un enseignement reproduise « ce qui était dès le commencement ».
                        Un dernier argument contre cette doctrine nouvelle et antiscripturaire est celui qui résulte de ses effrayantes conséquences. Si quelqu'un me dit : « J'ai éprouvé aujourd'hui de la colère » ; dois-je répondre : Alors vous n'avez pas la foi ? Un autre dira : « je sais que votre conseil est bon, mais ma volonté y est contraire » ; lui dirai-je : « Vous êtes donc un incrédule, vous êtes sous la colère et la malédiction de Dieu ? Qu'arrivera-t-il ? c'est que s'il me croit sur parole, son âme sera non seulement blessée et effrayée, mais peut-être même entièrement perdue ; car il aura « abandonné cette confiance qui doit avoir une grande récompense », et comment, ayant jeté son bouclier, pourrait-il « éteindre les dards enflammés du malin ? » , Comment vaincrait-il le monde, puisque la « victoire par laquelle le monde est vaincu c'est notre foi ? » Le voilà au milieu de ses ennemis, exposé sans armes à tous leurs assauts ? Faudra-t-il s'étonner s'il est entièrement renversé et s'il est emmené captif pour faire la volonté du démon ; — s'il tombe même d'impiété en impiété et ne voit plus jamais le bien ? Il m'est donc impossible d'admettre cette assertion, qu'il n'y a plus de pêché dans le croyant dès l'instant qu'il est justifié ; 
car 
1° elle est contraire à tout l'enseignement des Écritures ;
2° elle est contraire à l'expérience des enfants de Dieu ; 
3° elle est absolument nouvelle et née d'hier ; 
et 
4° enfin, elle est accompagnée des plus funestes conséquences, puisqu'elle n'est propre qu'à affliger ceux que Dieu n'a point affligés, et peut-être à les entraîner dans l'éternelle perdition.

IV

                        Écoutons cependant avec impartialité les principales preuves qu'avancent les partisans de cette 
doctrine. C'est d'abord par l'Écriture qu'ils essaient de prouver qu'il n'y a point de péché dans le croyant. Ils raisonnent ainsi : « l'Écriture dit de tout croyant qu'il est né de Dieu, qu'il est saint, purifié, sanctifié, qu'il a le coeur pur, qu'il a un nouveau coeur, qu'il est le temple du Saint-Esprit. De même donc que tout ce qui est né de la chair est chair, c'est-à-dire entièrement mauvais, de même ce qui est né de l'Esprit est esprit, c'est-à-dire entièrement bon. De plus, un homme ne peut être à la fois pur et impur, saint et souillé; il ne peut avoir à la fois un coeur de chair et un coeur de pierre. Son âme ne peut non plus être autrement que sainte, tant qu'elle est le temple de l'Esprit saint.
                           J'ai présenté cette objection dans toute sa force, pour qu'on en sentit bien la valeur. Examinons-la maintenant dans chacune de ses parties.
                    1° « Ce qui est né de l'Esprit est esprit, c'est-à-dire entièrement bon ». J'admets le texte, mais non le commentaire ; car le texte n'affirme qu'une chose, savoir que tout homme « né de l'Esprit » est un homme spirituel. Oui, sans doute, mais il peut l'être, sans toutefois l'être entièrement. Les chrétiens de Corinthe étaient des hommes spirituels, sans quoi ils n'auraient pas été chrétiens du tout, et pourtant ils n'étaient pas en tout spirituels, mais ils étaient en partie charnels. « Mais, objectera-t-on, ils étaient déchus de la grâce ». Saint Paul dit le contraire ; c'étaient même alors des enfants en Christ.
                          2° « Mais un homme ne peut être à la fois pur et impur, saint et souillé ». Il le peut. Tels étaient les Corinthiens. « Vous avez été lavés », leur écrit l'apôtre ; « vous avez été sanctifiés », lavés « de. la fornication, de l'idolâtrie, de l'ivrognerie (1Corinthiens 6 : 9-11) » et de tout autre péché extérieur, et pourtant, dans un autre sens, ils n'étaient pas sanctifiés, ils n'étaient nettoyés ni de l'envie, ni des mauvais soupçons, ni de la partialité.
                        3° « Mais ils n'avaient pas, sans doute, à la fois un coeur de chair et un coeur de pierre ». Au contraire, tel était indubitablement leur état, car leurs coeurs étaient renouvelés véritablement, mais non pas parfaitement. « L'affection de la chair », leur coeur charnel, déjà cloué sur la croix, n'avait pas encore expiré.
                       4° « Mais pouvaient-ils être autrement que saints, étant les temples de l'Esprit saint ? » Sans doute ; car il est indubitable qu'ils étaient les temples du Saint-Esprit (1Corinthiens 6 : 19), et, il n'est pas moins certain qu'ils étaient en quelque degré charnels, le contraire de saints.
                       Mais, ajoute-t-on, il y a un autre passage qui décide la question : « Si quelqu'un est en Christ, il est une nouvelle créature ; les choses vieilles sont passées ; voici, toutes choses sont faites nouvelles (2 Corinthiens 5 : 17) ». Un homme ne peut être à la fois créature vieille et créature nouvelle. — Oui, il le peut ; il peut n'être qu'en partie renouvelé, et c'était précisément le cas des Corinthiens. Ils étaient, sans nul doute, « renouvelés dans l'esprit de leur entendement », sans quoi ils n'eussent pas même été des enfants en Christ ; et pourtant ils n'avaient pas entièrement les sentiments qui étaient en Christ, puisqu'ils avaient de l'envie les uns contre les autres. « Mais il est dit expressément : « les choses vieilles sont passées ; toutes choses sont devenues nouvelles ». — Oui, mais il ne faut pas interpréter les paroles de l'apôtre, de manière à le mettre en contradiction avec lui-même. Et voici quel est dès lors le sens bien simple de cette expression : Si quelqu'un est en Christ, ses vieilles idées sur la justification, sur la sainteté, sur le bonheur, sur toutes les choses de Dieu, sont passées, et il en est de même de ses désirs, de ses desseins, de ses affections, de son caractère, de sa conversation. Toutes ces choses sont, incontestablement, devenues nouvelles ; elles sont très différentes de ce qu'elles étaient auparavant ; et pourtant quoique nouvelles, elles ne sont pas renouvelées entièrement. Le chrétien sent encore, avec honte et douleur, des restes trop évidents du vieil homme et de ses anciennes dispositions, quoiqu'ils ne puissent remporter la victoire sur lui, tant qu'il persévère dans la vigilance et la prière.
                          Toute cette manière d'argumenter : « Celui qui est pur est pur, celui qui est saint est saint » (sans parler de vingt expressions semblables, qu'on peut aisément accumuler), n'est rien de mieux qu'un jeu de mots ; c'est le sophisme qui consiste à conclure du particulier au général. Sous sa forme complète, l'argument revient à dire : On est saint parfaitement ou on ne l'est pas du tout ; ce raisonnement est vicieux, car tout enfant en Christ est saint, quoiqu'il ne le soit pas parfaitement. Il est délivré du péché, mais non entièrement. Le péché est vaincu en lui, mais non détruit ; il demeure, quoique détrôné.                     Si vous croyez qu'il n'existe plus (nous ne parlons que des enfants en Christ, réservant ce qui concerne les jeunes gens et les pères), vous n'avez certainement pas considéré quelle est la hauteur et la profondeur, la longueur et la largeur de la loi de Dieu (de cette loi d'amour, exposée par saint Paul dans 1 Corinthiens XIII), ni compris que toute déviation de cette loi est un péché. Mais n'y a-t-il rien qui s'écarte de cette loi dans le coeur ou dans la vie d'un croyant ?
                        Dans la vie d'un chrétien adulte, c'est une autre question ; mais il faut être bien étranger à la connaissance du coeur humain pour s'imaginer que c'est le cas de tout enfant en Christ. « Mais les croyants marchent selon l'Esprit (Romains 8 : 1), et l'Esprit de Dieu habite en eux ; ils sont, par conséquent, délivrés de la coulpe, de la puissance, et en un mot, de l'existence même du péché ».
                       Cette objection réunit comme identiques trois choses qui sont loin de l'être. La coulpe ou culpabilité est une chose, la puissance, une autre, l'existence une autre encore. Que les croyants soient délivrés de la coulpe et de la puissance du péché, nous l'accordons ; mais nous nions qu'ils soient tous délivrés de l'existence du péché. Et on ne peut l'inférer des textes cités. Un homme peut avoir l'Esprit de Dieu habitant en lui, « et marcher selon l'Esprit », quoiqu'il sente encore que sa chair a des désirs contraires à cet Esprit.

— « Mais l'Église est le corps de Christ » ; ce qui implique que ses membres sont lavés de toute 
souillure ; autrement il s'ensuivrait que Christ et Bélial sont unis en un même corps ».
— Non ; de ce que les membres du corps mystique de Christ sentent encore la lutte de la chair contre l'Esprit, il ne saurait résulter que Christ ait rien de commun avec Bélial, ni avec le péché qu'il les rend capables de combattre et de vaincre.
— « Mais les chrétiens ne sont-ils pas venus à la Jérusalem céleste, où rien d'impur ni de souillé ne peut entrer (Hébreux 12 : 22) ? »
— Oui, et « aux milliers d'anges et aux esprits des justes parvenus à la perfection » ; en un mot, la terre et le ciel sont réunis en Christ ; ils ne forment qu'une seule grande famille. Et pendant qu'ils marchent « selon l'Esprit », ils ne sont, en effet, ni impurs, ni souillés, quoiqu'ils sentent qu'il y a encore en eux un autre principe et que les deux principes sont contraires l'un à l'autre.
— « Mais les chrétiens sont réconciliés avec Dieu. Or cela ne pourrait être s'il restait quelque chose de l'affection de la chair, car elle est inimitié contre Dieu. Par conséquent, aucune réconciliation n'est possible, si ce n'est par son entière destruction ».
— Nous sommes « réconciliés avec Dieu par le sang de la croix » ; et dès ce moment l'affection de la chair, qui est inimitié contre Dieu, est mise sous nos pieds, et la chair n'a plus domination sur nous. Mais elle existe encore, et elle est encore, par, sa nature, inimitié contre Dieu, ayant des désirs contraires à ceux de l'Esprit.
— « Mais ceux qui sont à Christ ont crucifié la chair avec ses passions et ses convoitises (Galates 5 : 24) ». Il est vrai, mais elle demeure encore en eux, et souvent elle s'efforce de s'arracher de la croix. Mais n'ont-ils donc pas dépouillé le vieil homme avec ses oeuvres (Colossiens 3 : 9) ? » Sans doute, et, dans le sens expliqué plus haut, « les choses vieilles sont passées ; toutes choses sont devenues nouvelles ». On pourrait citer cent autres textes semblables, et à tous nous ferions la même. réponse. - « Mais, on ajoute, en voici un qui résume tout : « Christ s'est livré lui-même pour elle (pour l'Eglise), afin qu'elle fût sainte et sans tache (Ephésiens 5 : 25,27) ». —Oui, et elle sera telle à la fin ; mais elle ne fut encore jamais telle depuis le commencement jusqu'à ce jour,
— « Mais laissons parler l'expérience. Tous ceux qui sont justifiés se sentent alors absolument
affranchis de tout péché ». — J'en doute ; mais quand cela serait, éprouvent-ils toujours dans la suite ce parfait affranchissement ? Sans cela vous n'avez rien gagné. « S'il en est autrement, c'est par leur faute ». - C'est ce qu'il faudrait prouver.
— « Mais, d'après la nature même des choses, un homme peut-il avoir de l'orgueil sans être orgueilleux ; de la colère sans être irrité ? »
— Un homme peut avoir de l'orgueil, avoir, sur quelque point, une plus haute opinion de lui-même qu'il ne devrait et être orgueilleux en cela, sans être un homme orgueilleux dans l'ensemble de son caractère. Il peut avoir de la colère, être même fortement enclin à de furieuses colères, sans y céder. 
« Mais peut-il y avoir de l'orgueil et de la colère dans un coeur où ne se fait sentir que douceur et humilité ? » 
Non, mais il peut y avoir quelque orgueil et quelque colère dans un coeur
où il y a beaucoup de douceur et d'humilité.
— «C'est en vain que vous dites : Ces dispositions existent, mais elles n'ont pas domination ; car le péché ne peut exister, en quelque genre on degré que ce soit, sans avoir domination ; puisque la culpabilité et la puissance sont des propriétés inséparables du péché. Toutes ces choses sont donc partout où l'une d'elles se trouve ».
— Étranges assertions ! « Le, péché ne peut exister, en quelque genre ou degré que ce soit, sans avoir domination ! » Ceci contredit toute expérience, tout enseignement scripturaire, tout sens commun. Il y a du péché dans le ressentiment d'une injure ; c'est une transgression, une déviation de la loi d'amour. Ce péché a existé chez moi mille fois ; mais il n'a point eu, il n'a point domination. - « Mais la culpabilité et la puissance sont des propriétés inséparables du péché. Ces trois choses, l'existence, la coulpe et l'empire du péché sont donc à la fois partout où l'une d'elles se trouve ». - Non, dans l'exemple cité, si le ressentiment n'est pas écouté, pas même pour un moment, il n'y a aucune culpabilité, aucune condamnation. Et dans ce cas, le péché est aussi sans puissance. Bien qu'il convoite contre l'Esprit, il ne peut pas vaincre. Ici donc, comme en des milliers de cas semblables, le péché existe, mais sans puissance ni culpabilité.
— « Mais cette idée que le péché est dans le croyant est grosse des conséquences les plus terribles et les plus décourageantes. C'est supposer une lutte avec un ennemi maître de nos forces, qui maintient dans nos cœurs son usurpation, et qui y poursuit la guerre au mépris de notre Rédempteur ». 
Non ; de ce que le péché est en nous, il ne s'ensuit pas qu'il soit maître de nos forces, pas plus qu'un homme crucifié n'est maître de ceux qui l'ont attaché à la croix. Il n'en résulte
pas davantage que le péché maintient dans nos cœurs son usurpation. L'usurpateur est détrôné ; il demeure encore, il est vrai, où il régnait naguère ; mais il y demeure enchaîné. Il peut donc, en un sens, y poursuivre la guerre, mais il s'affaiblit toujours plus, tandis que le croyant va de force en force, de victoire en victoire.
— « Vous ne me persuadez pas encore. Quiconque a en lui le péché, est esclave du péché. Vous supposez donc justifié un homme qui est esclave du péché. Mais si vous accordez qu'on peut être justifié tout en ayant en soi de l'orgueil, de la colère, de l'incrédulité ; que dis-je ? si vous affirmez que tout cela est (au moins pour un temps) chez tous les justifiés, faut-il s'étonner que nous ayons tant de croyants orgueilleux, irascibles, tant de croyants incrédules ? »
— Je n'admets pas qu'aucun homme justifié soit esclave du péché ; mais j'admets que le péché demeure (au moins pour un temps) dans tous les justifiés.
— « Mais si le péché demeure dans le croyant, il est pécheur ; si c'est par l'orgueil, il est orgueilleux ; si c'est par la volonté propre, il est volontaire ; si c'est par l'incrédulité, il est
incrédule ; par conséquent, il n'est pas croyant. Comment donc le distinguer des incrédules, des non régénérés ? » Ici encore on joue sur les mots. Cela revient à dire : S'il y a en lui du péché, de l'orgueil, de la volonté propre, — il y a de la volonté propre, de l'orgueil, du péché. — Qui le nie ? Dans ce sens, il est sans doute pécheur, orgueilleux, volontaire ; mais il n'est pas orgueilleux et volontaire dans le sens dans lequel les incrédules le sont, c'est-à-dire gouverné par la volonté propre ou par l'orgueil. C'est ce qui le distingue des hommes irrégénérés. Ils obéissent au péché ; il ne le fait point. La chair est en lui comme ou eux ; mais ils marchent, eux, selon la chair, lui, selon l'Esprit.
— « Mais comment pourrait-il y avoir de l'incrédulité dans un croyant ? — Le mot incrédule a deux acceptions. Il désigne l'absence de foi, ou la faiblesse de foi. Dans le premier sens il n'y a pas d'incrédulité chez le croyant ; dans le second, il y en a chez tous ceux que l'apôtre appelle des enfants. Leur foi est d'ordinaire mêlée de doutes et de craintes, c'est-à-dire de cette seconde sorte d'incrédulité. « Pourquoi êtes vous en souci ? » dit le Seigneur, « ô gens de petite foi ». Et ailleurs : « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? » Vous voyez donc qu'il y avait de l'incrédulité chez des croyants ; un peu de foi et beaucoup d'incrédulité.
— « Mais cette doctrine, que le péché demeure dans le croyant, qu'un homme peut jouir de la faveur de Dieu, tout en ayant le péché dans son coeur, cette doctrine tend assurément à encourager le péché ». 
Non, bien comprise, cette doctrine n'entraîne point une telle conséquence. Un homme peut être dans la faveur de Dieu, quoique sentant en lui le péché, mais non pas s'il y cède. On ne perd pas cette faveur pour avoir le péché, mais bien pour y obéir. Quoique la chair « convoite » en vous contre l'Esprit, vous pouvez encore  être enfant de Dieu. Mais si «vous marchez selon la chair », vous êtes enfant du diable. Cette doctrine, loin de nous encourager à obéir au péché, nous encourage à y résister de toutes nos forces.

V

                   Maintenant résumons-nous. Il y a chez tout homme, même après sa justification, deux principes contraires, la nature et la grâce, ou, dans les termes de saint Paul, la. chair et l'esprit. De là suit que si même les enfants en Christ sont sanctifiés, ce n'est pourtant qu'en partie. Ils sont, en quelque degré, spirituels, suivant la mesure de leur foi ; mais ils sont aussi, en quelque degré charnels. C'est pourquoi les croyants sont continuellement exhortés à veiller contre la chair, aussi bien que contre le monde et le diable. Et à cela répond l'expérience constante des enfants de Dieu. Tout en ayant en eux-mêmes le témoignage de leur adoption, ils sentent une volonté qui n'est pas entièrement soumise à la volonté de Dieu. Ils savent qu'ils sont en Lui, et pourtant ils trouvent en eux un coeur prêt à se détourner de Lui, et, en plusieurs choses, un penchant au mal et de l'éloignement pour le bien. La doctrine contraire est tout-à-fait nouvelle ; jamais il n'en fut question dans l'Église depuis le temps de la venue de Christ jusqu'au temps du comte Zinzendorf, et elle produit les plus fatales conséquences. Elle supprima toute vigilance contre notre nature mauvaise, contre la Délila qu'on, nous dit avoir disparu, quoi qu'elle soit toujours là, couchée dans notre sein. Cette opinion arrache aux croyants faibles leur bouclier, les prive de leur foi, et les expose ainsi à tous les assauts du monde, de la chair et du diable.
                       Retenons donc ferme cette sainte doctrine, donnée une fois aux saints, et qu'ils ont transmise, dans les saintes Écritures, à toute la suite des générations : que si, dès l'instant que nous croyons vraiment en Christ, nous sommes renouvelés, nettoyés, purifiés, sanctifiés, nous ne sommes pourtant pas alors renouvelés, nettoyés, purifiés, sanctifiés entièrement ; mais que la chair, la nature mauvaise, quoique subjuguée demeure encore et lutte contre L'Esprit. Mais soyons d'autant plus empressés à « combattre le bon combat de la foi » ; soyons d'autant plus zélés à veiller et à prier contre cet ennemi qui est au-dedans. Prenons avec d'autant plus de soin toutes les armes de Dieu ; ne manquons pas de nous en revêtir, afin que si nous avons à combattre contre la chair et le sang, aussi bien que « contre les principautés et les puissances, et contre les esprits malins qui sont dans les airs », nous puissions pourtant « résister au mauvais jour, et après avoir tout surmonté , demeurer fermes ».






mardi 9 juin 2015

LES SERMONS DE WESLEY Sermon 12 : LE TÉMOIGNAGE DE NOTRE ESPRIT

Numérisation Yves PETRAKIAN
Copie autorisée pour diffusion gratuite uniquement
Obligation d'indiquer la source http://456-bible.123-bible.com

(tiré du livre  LES SERMONS DE WESLEY  -1- )

2 Corinthiens 1,12    (1746)

« Ce qui fait, notre gloire 
(Dans la traduction anglaise il a, notre joie. De là la manière dont le texte est entendu ici.) c'est le témoignage que notre conscience nous rend, que nous nous sommes conduits dans le monde, en simplicité et en sincérité devant Dieu, non point avec une sagesse charnelles, mais avec la grâce de Dieu ». (2Corinthiens 1 : 12)

                Tel est le langage de quiconque croit véritablement en Christ, aussi longtemps qu'il demeure dans la foi et dans l'amour. « Celui qui me suit » , dit le Seigneur, « ne marchera point dans les ténèbres » ; et tandis qu'il a la lumière, il se réjouit en elle ; comme il a « reçu le Seigneur Jésus, il marchera en lui » ; et tandis qu'il marche en lui, l'objet de cette exhortation de l'apôtre : « réjouissez-vous toujours en Notre seigneur ; je vous le dis encore, réjouissez-vous », se réalise chaque jour dans son âme.
                 Mais pour que notre maison ne soit point bâtie sur le sable — de peur que la pluie venant à tomber, les torrents à se déborder et les vents à souffler, et à fondre sur elle, cette maison ne tombe et que sa ruine ne soit grande, — je me propose dans ce discours d'indiquer la nature et les fondements de cette joie chrétienne. Nous savons d'une manière générale, que c'est une douce paix, une calme satisfaction d'esprit procédant du témoignage de sa conscience, dont parle ici l'apôtre. Mais pour mieux comprendre ceci, il sera nécessaire de peser toutes ses expressions, par où nous verrons aisément ce qu'il faut entendre par la conscience et par son témoignage, et comment celui qui a ce témoignage, se réjouit sans cesse.
                Et d'abord que faut-il entendre par la conscience ? que signifie ce mot que chacun répète ? On croirait la réponse très difficile, à voir le nombre de volumes qu'on a écrits sur le sujet et comme on a mis à contribution tous les trésors de l'érudition ancienne et moderne pour l'expliquer. Encore est-il à craindre que toutes ces recherches savantes ne l'aient guère éclairé. La plupart de ces auteurs ne l'ont-il pas au contraire embrouillé, « obscurcissant le conseil par des paroles sans science », et rendant difficile ce qui est en soi-même simple et facile à comprendre ? Mettez de côté, en effet, les mots inintelligibles et la chose sera bientôt claire pour tout homme droit de coeur.
                    Dieu nous a créés des êtres pensants, capables de percevoir les choses du présent et de nous rappeler par la réflexion celles du passé. En particulier, nous sommes capables de percevoir ce qui se passe dans nos cœurs et dans notre vie ; de savoir ce que nous sentons ou faisons, et cela, soit au moment même, soit lorsque la chose est passée. C'est dans ce sens que nous disons que l'homme est un être conscient, qu'il a la conscience ou la perception intime de son passé et de son présent, de ses dispositions et de sa conduite. Mais le mot conscience a ordinairement un sens plus étendu. Il n'implique pas simplement la connaissance de notre vie présente ou passée. Rappeler par son témoignage les choses passés ou présentes, c'est l'un des offices de la conscience, mais ce n'est pas le principal : sa grande affaire c'est d'excuser ou d'accuser, d'approuver ou de désapprouver, de condamner ou d'absoudre.
                 Il est vrai que quelques écrivains modernes emploient ici plus volontiers un nouveau terme, celui de sens moral ; mais la vieille appellation paraît préférable à la nouvelle, ne serait-ce que parce qu'elle est plus connue et plus usuelle, et par cela même plus intelligible. Les chrétiens ont d'ailleurs un motif irrécusable pour la préférer, c'est qu'elle est scripturaire ; c'est le terme dont il a plu à la sagesse divine de se servir dans les écrits inspirés.
           Et suivant le sens dans lequel ce terme y est ordinairement employé, particulièrement dans les Épîtres de saint Paul, nous pouvons entendre par conscience, la faculté que Dieu a implantée dans toute âme d'homme, de percevoir ce qui est bien ou mal dans son coeur ou dans sa vie, dans ses dispositions, ses pensées, ses paroles et ses actions.
                     Mais quelle est la règle par laquelle les hommes doivent juger du bien ou du mal, la règle qui doit diriger leur conscience ? La règle des païens, comme l'apôtre l'enseigne ailleurs, c'est la loi écrite dans leur entendement ; « n'ayant point la loi », non, dit-il, « ils se tiennent lieu de loi eux-mêmes, montrant que ce qui est prescrit par la loi est écrit dans leurs cœurs » par le doigt de Dieu ; « puisque, leur conscience leur rend témoignage et que leurs pensées les accusent ou les défendent. (Romains 2 : 14,15) ; mais, pour les chrétiens, la règle pour distinguer le bien du mal c'est la parole de Dieu, ce sont les écrits de l'Ancien et du Nouveau Testament ; c'est tout ce que les prophètes et les saints hommes des temps anciens ont écrit, étant poussés par le Saint-Esprit ; c'est toute cette « Écriture divinement inspirée qui est utile pour enseigner » tout le conseil de Dieu, « pour reprendre », pour condamner, ce qui y est contraire, « pour corriger » l'erreur et pour nous « instruire ou nous élever dans la justice (1 Timothée 3 : 16) ».
                        Le chrétien voit en elle la lampe de ses pieds, la lumière de son sentier. Elle seule est sa règle pour juger du juste et de l'injuste, du bien ou du mal. Rien n'est bon à ses yeux que ce qu'elle prescrit soit directement, soit par une déduction inattaquable ; rien n'est mal que ce qu'elle défend, soit expressément, soit par la conséquence certaine de son enseignement. Ce que l'enseignement direct ou indirect de l'Ecriture ne prescrit ni ne défend, il le retarde comme chose indifférente ; comme n'étant en soi ni bien ni mal ; car la règle extérieure qu'elle lui fournit suffit pleinement à diriger sa conscience, et c'est la seule qu'il reconnaisse.
                     Et si, dans le fait, il se dirige par cette règle, alors il a « la réponse d'une bonne conscience devant Dieu ». Une bonne conscience, c'est ce que l'apôtre appelle ailleurs «une conscience sans reproche ». Ainsi ce qu'il exprime dans une occasion en disant : « j'ai vécu jusqu'à ce jour en toute bonne conscience devant Dieu (Actes 23 : 1) », il le répète ailleurs en ces termes : « Je travaille à avoir toujours la conscience sans reproche devant Dieu et devant les hommes (Actes 24:16) ». Mais pour cela quatre choses sont  indispensables :
                    1° Une droite intelligence de la parole de Dieu, de sa « volonté bonne, agréable et parfaite » à notre égard, telle qu'elle s'y trouve révélée, car il est impossible de marcher d'après une règle qu'on ne comprend point.
             2° Une connaissance, hélas, bien rare, la connaissance de nous-mêmes, la connaissance de notre coeur et de notre vie ; de nos dispositions au dedans et de notre conduite au dehors ; car, sans connaître ces choses, il est impossible, que nous les comparions avec notre règle.
                  3° L'accord de notre coeur, de notre vie, de nos dispositions, de notre conduite de nos pensées, de nos paroles, de nos oeuvres, avec cette règle, avec les Écritures de Dieu. Car sans cela, notre conscience, si nous en avons une, est une mauvaise conscience.
                  4° Enfin, une perception intérieure de cet accord ; et c'est précisément dans cette perception, dans ce sentiment intérieur, habituel, que consiste cette bonne conscience cette conscience sans reproche, dont parle l'apôtre.
                Mais que celui qui désire avoir cette conscience sans reproche, prenne garde d'en bien poser le fondement. Qu'il se souvienne que « nul ne peut poser d'autre fondement que celui qui a été posé, savoir Jésus-Christ », et qu'il se souvienne de plus, que nul ne peut bâtir sur lui, si ce n'est par une foi vivante, que nul n'est rendu participant de Christ, jusqu'à ce qu'il puisse rendre clairement ce témoignage : « Je vis par la foi au Fils de Dieu», maintenant révélé. dans mon coeur, « qui m'a aimé. et qui s'est donné lui-même pour moi ».                   La foi seule est cette évidence, cette conviction, cette démonstration des chose invisibles, par laquelle, les yeux de notre entendement étant ouverts, et la lumière divine venant les éclairer, nous « voyons les merveilles de la loi de Dieu, nous en voyons l'excellence, la pureté, nous voyons la hauteur et la profondeur, la longueur et la largeur de cette loi et de tous les commandements qu'elle contient. C'est par la foi que « contemplant la lumière de la gloire de Dieu en la face de Jésus-Christ », nous voyons comme dans un miroir, tout ce qui est en nous, tous les mouvements les plus secrets de nos âmes. Et c'est par elle seule que peut se répandre dans nos cœurs ce saint amour de Dieu qui nous rend capables de nous aimer les uns les autres comme Christ nous a aimés. Par elle s'accomplit pour tout « l'Israël de Dieu » cette promesse pleine de grâce : « Je mettrai mes lois dans leur esprit et les graverai dans leur coeur (Hébreux 8 : 10) ; » par où leur âme est mise en complet accord avec sa sainte et parfaite loi, « toutes leurs pensées étant amenées captives à l'obéissance de Christ ».
                  Et comme un mauvais arbre ne peut porter de bons fruits, de même un bon arbre ne peut porter de mauvais fruits. Ainsi la vie du croyant, aussi bien que son coeur, est mise en complet accord avec la. règle des commandements de Dieu ; et c'est dans le sentiment de cet accord, qu'il peut rendre gloire à Dieu et répéter avec l'apôtre : « Ce qui fait notre joie, c'est le témoignage que nous rend notre conscience que nous nous sommes conduits dans le monde, en simplicité et en sincérité devant Dieu, non point avec une sagesse charnelle, mais avec la grâce de Dieu ».
                    « Nous nous sommes conduits ». Le sens du terme. original est extrêmement large, il embrasse tout ce. qui se rapporte, soit à notre corps, soit à notre âme. Il comprend tous les mouvements de notre coeur, il s'étend à chacune de nos actions et de nos paroles, à l'emploi de tous nos membres et de toutes nos facultés, à la manière de faire valoir, pour Dieu ou pour les hommes, tout talent que nous pouvons avoir reçu.
                     « Nous nous sommes conduits dans le monde » ; même dans le monde des impies : non pas seulement parmi les enfants de Dieu (ce qui serait comparativement peu de chose), mais parmi les enfants du diable, parmi ceux qui sont « plongés dans le mal » ou qui « sont dans le malin ». Quel monde que celui-là ! comme il est imprégné et pénétré de l'esprit qu'il respire sans cesse ! Si notre Dieu est bon et fait ce qui est bon, le Dieu de ce monde et tous ses enfants sont méchants, et, autant que Dieu le permet, ils se montrent méchants en faisant du mal à tous les enfants de Dieu.
                    Comme leur père, les méchants se tiennent aux aguets, ou rôdent autour des fidèles, cherchant qui ils pourront dévorer, usant de fraude ou de force, de ruses secrètes ou de violence ouverte, pour faire périr ceux qui ne sont pas du monde. Ils ne cessent de faire la guerre à nos âmes, cherchant par l'emploi de vieilles ou de nouvelles armes, et par toutes sortes d'artifices, à les ramener dans les pièges du diable, et dans la route large qui mène à la perdition.
                   C'est dans un tel monde que nous nous sommes conduits, en toutes choses, « en simplicité et en sincérité ». D'abord en simplicité : c'est-à-dire avec cet œil simple que recommande le Seigneur. « L’œil est la lumière du corps. Si donc ton œil est sain, tout ton corps sera éclairé ». En d'autres termes, ce que l’œil est au corps, l'intention l'est à toutes nos actions et à toutes nos paroles : si donc cet œil de ton âme est sain, ou simple, toutes tes paroles et actions seront pleines de lumière, pleines de la lumière des cieux, d'amour, de paix et de joie par le Saint-Esprit.
                 Nous sommes simples de coeur quand l’œil de notre esprit n'est fixé que sur Dieu ; quand Dieu seul est, en toutes choses, notre but ; quand il est notre Dieu, notre portion, notre force, notre bonheur, notre grande récompense, notre tout, pour le temps et l'éternité. Nous avons la simplicité, lorsque le ferme dessein, l'intention unique de le glorifier, de nous soumettre et de nous conformer à sa sainte volonté, pénètre notre âme, remplit tout notre coeur, et est le ressort constant de toutes nos pensées, de tous nos désirs et de toutes nos résolutions.
                  En second lieu, nous nous sommes conduits dans ce monde et devant Dieu « en sincérité ». Voici quelle paraît être la différence entre ces deux termes : la simplicité concerne l'intention elle-même, et la sincérité l'exécution de cette intention ; et cette sincérité ne se rapporte pas seulement à nos paroles, mais, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, à toute notre manière de vivre. Il ne faut pas l'entendre ici dans le sens restreint où saint Paul lui-même l'emploie quelquefois, comme synonyme de dire la vérité ou de s'abstenir de fraude, de ruse, de dissimulation ; mais dans un sens plus étendu, comme atteignant en effet le but que se propose la simplicité. Ici donc elle implique, qu'en réalité, nous ne parlons et n'agissons que pour la gloire de Dieu ; que non seulement toutes nos paroles y tendent, mais qu'en effet elles y contribuent, que toutes nos actions suivent un cours égal uniformément subordonné à ce grand but ; et que, dans toute notre vie nous nous dirigeons
continuellement, et tout droit, vers Dieu, poursuivant d'un pas ferme notre marche dans la route de la sainteté, dans les voies de la justice, de la miséricorde et de la vérité.
              Cette sincérité, l'apôtre la désigne comme étant « devant Dieu », ou, plus exactement, comme une sincérité divine ; une « sincérité de Dieu », pour nous empêcher de la confondre avec la sincérité des païens (car ils avaient aussi l'idée d'une certaine sincérité, qui leur inspirait une grande vénération) et en, même temps pour indiquer quel en est l'objet et le but, comme de toute autre vertu chrétienne, puisque tout ce qui n'a pas, au fond, Dieu pour objet, tombe au niveau des « pauvres et misérables éléments du monde ». En l'appelant « sincérité de Dieu », il montre aussi qui en est l'auteur, savoir le « Père des lumières » de qui descend « toute grâce excellente et tout dont parfait » ; mais il le déclare encore plus nettement en ajoutant : « non point avec une sagesse charnelle, mais avec la, grâce de Dieu.
                     « Non point avec une sagesse charnelle » : c'est comme s'il disait : « Nous ne pouvons nous conduire ainsi dans le monde, ni par quelque force innée de notre intelligence, ni par quelque science ou quelque sagesse acquise naturellement. Nous ne pouvons acquérir cette simplicité et pratiquer cette sincérité, ni à force de bon sens, ni par l'effet d'un bon caractère on d'une bonne éducation.
                   Elles dépassent et toute, notre puissance de résolution et tous nos préceptes de philosophie. Nous n'y saurions être façonnés, ni par l'influence des mœurs, ni par l'éducation humaine la plus raffinée. Et moi Paul, je n'y pouvais atteindre, quels que fussent d'ailleurs mes avantages, tant que je demeurais dans la chair, dans mon état de nature, et que mes efforts n'avaient pour principe que la sagesse charnelle et naturelle ».
                Et certes, si quelqu'un pouvait y atteindre par cette sagesse, Paul lui-même l'aurait pu : car il nous serait difficile de concevoir un homme mieux favorisé par les dons de la nature et de l'éducation : Outre que par sa capacité naturelle il ne le cédait probablement à aucun de ses contemporains, il avait encore les avantages que donne l'instruction, avant étudié à l'école de Tarse, puis aux pieds de Gamaliel qui, pour la science et l'intégrité, jouissait alors de la plus haute réputation chez les Juifs.
                   Et, quant à l'éducation religieuse, rien ne lui manquait, car il était « pharisien, fils de pharisien » ayant été élevé dans cette secte ou profession, la plus exacte du judaïsme. Et, en cela même, il avait profité plus que tous ceux de son âge, ayant plus de zèle pour tout ce qu'il croyait être agréable à Dieu, et « quant à la justice de la loi, il était sans reproche ». Mais il était impossible qu'il parvînt par là à cette simplicité, à cette sincérité de Dieu. Tout ce travail fut en pure perte, comme il le montre bien en s'écriant dans le sentiment profond et saisissant de son impuissance « Ce qui m'était un gain je l'ai regardé comme une perte à cause de Christ ; et même je regarde toutes les autres choses comme une perte, en comparaison de l'excellence de la connaissance de Jésus-Christ, mon Seigneur ! (Philippiens 3 : 7,8) »
                   Il était impossible qu'il parvînt jamais au but, autrement que par cette excellente connaissance de Jésus-Christ, notre Seigneur, ou, comme dit notre texte « par la grâce de Dieu ». Par « la grâce de Dieu », il faut quelquefois entendre cet amour, cette miséricorde gratuite et imméritée, par laquelle je suis, moi pécheur, réconcilié avec Dieu, par les mérites de Christ. Mais ici cette expression désigne plutôt cette efficace de Dieu le Saint-Esprit qui opère en nous « et la volonté et l'exécution selon son bon plaisir ». Dès l'instant que la grâce de Dieu, dans le premier sens, c'est-à-dire son amour rédempteur est manifesté à nos âmes, la grâce de Dieu, dans le second sens, c'est-à-dire l'efficace de son Esprit s'exerce en elles. Alors Dieu nous rend capables d'accomplir, ce qui, « quant à l'homme », était impossible. Alors nous pouvons bien régler notre conduite. Nous pouvons par Christ qui nous « fortifie », « faire toutes choses » dans la lumière et l'efficace de cet amour.
                 Nous avons alors, ce que nous n'aurions pu obtenir par la sagesse charnelle, « le témoignage de notre conscience, que c'est en simplicité et en sincérité de Dieu que nous nous conduisons en ce monde ».
                 Tel est le vrai fondement de la joie du chrétien ; et d'après cela nous comprenons sans peine que celui qui a ce témoignage se réjouisse sans cesse. « Mon âme », peut-il dire, « mon âme magnifie le Seigneur et mon esprit se réjouit en Dieu, qui est mon Sauveur». Je me réjouis en Celui qui, par son amour immérité, par sa tendre et gratuite miséricorde m'a appelé à cet état de salut dans lequel, par sa puissance, je demeure ferme. Je me réjouis, car son Esprit rend témoignage à mon esprit, que je suis racheté par le sang de l'Agneau, et que, par la foi en Lui, je suis membre du corps de Christ, enfant de Dieu et héritier du royaume des cieux. Je me réjouis, car ce même Esprit, en me donnant le sentiment de l'amour de Dieu pour moi, produit en mon coeur l'amour pour Lui et me donne d'aimer, à cause de Lui, tout enfant d'Adam, toute âme qu'il a faite. Je me réjouis, car il me donne d'avoir en moi « les sentiments que Jésus-Christ à eus » : — la simplicité, par où, dans tous les mouvements de mon coeur, je ne regarde qu'à Lui ; par où je puis, dans un constant amour, fixer les regards de mon âme sur Celui qui m'a aimé et s'est donné Lui-même pour moi ; par où je n'ai pour but que Lui et sa glorieuse volonté dans tout ce que je puis faire, dire ou penser ; — la pureté, par où je borne à Dieu mes désirs, « crucifiant la chair avec ses affections et ses convoitises », attachant mes affections « aux choses d'en haut et non à celles qui sont sur la, terre » ; —la sainteté, par où, recouvrant l'image de Dieu, mon âme est renouvelée à sa ressemblance ; — et la sincérité de Dieu, par où je dirige toutes mes paroles et mes actions, de manière à servir à sa gloire. Oui, je me réjouis et je me réjouirai, car « ma conscience me rend témoignage par le Saint-Esprit », , par la lumière dont il l'éclaire sans cesse, que je marche « d'une manière digne de la vocation que Dieu m'a adressée », que je m'abstiens « de toute apparence de mal », fuyant le péché comme on fuit un serpent ; qu'en tant que j'en ai l'occasion, je fais, selon mon pouvoir, toute sorte de bien à tous les hommes ; que tous mes pas suivent le Seigneur et que je fais ce qui lui est agréable. Je me réjouis, car par la lumière du Saint-Esprit de Dieu, je vois et je sens que toutes mes oeuvres sont faites en Lui et que c'est même Lui qui fait en moi toutes mes oeuvres. Je me réjouis, car je vois par cette lumière qui luit dans mon coeur, que j'ai le pouvoir de marcher dans ses voies, et que, par sa grâce, je ne m'en détourne ni à droite ni à gauche.
                Tel est le fondement, telle est la nature de cette joie dont un chrétien adulte se réjouit sans cesse. Et de ce qui a été dit, nous pouvons tirer aisément une première conséquence :
                  1° C'est que cette joie n'est point une joie naturelle. Elle ne vient d'aucune cause naturelle ; elle n'est pas le fruit d'une excitation soudaine. Ces causes peuvent produire un élan de joie passager ; mais le chrétien se réjouit sans cesse. Elle ne peut s'expliquer par la santé ou le bien-être corporel, par une constitution saine et robuste ; car elle est toute aussi grande, peut-être même plus grande que jamais, dans la maladie et dans la douleur. Plusieurs chrétiens peuvent dire qu'ils n'ont jamais éprouvé une joie comparable à celle qui remplit leur âme, lorsque leur corps était presque épuisé par la maladie et consumé par la douleur. Surtout elle ne saurait être attribuée à la prospérité terrestre, à la faveur du monde, à l'affluence des biens temporels ; car c'est lorsque leur foi a été mise dans la fournaise et éprouvée par toutes sortes d'afflictions extérieures, que les enfants de Dieu se sont particulièrement réjouis et même d'une joie ineffable, en Celui qu'ils aimaient quoique ne le voyant point encore. Et qui se réjouit jamais plus que ces hommes qui étaient regardés « comme les balayures du monde », qui erraient çà et là privés de tout, dans la faim, dans le froid, dans la nudité, souffrant non seulement les insultes et la moquerie, mais encore les liens et la prison, et qui montrèrent finalement que « leur vie ne leur était point précieuse pourvu qu'ils pussent achever leur course avec joie ».
                 2° Une seconde conséquence de ce qui précède c'est que la joie du chrétien n'est point le fruit d'une conscience aveugle, incapable de distinguer le bien du mal. Loin de là, cette joie lui fut étrangère jusqu'à ce que ses yeux fussent ouverts, jusqu'à ce qu'il eût reçu des sens spirituels, propres à discerner ce qui est spirituellement bien ou mal. Et maintenant sa vue est loin de se troubler : jamais elle ne fut plus perçante ; elle est si prompte à voir ce qu'il y a de plus délicat, que l'homme naturel en est tout étonné. Comme un atome de poussière est visible dans un rayon de soleil, de même pour celui qui marche dans la lumière, dans les rayons du Soleil incréé, tout atome de péché est visible. D'ailleurs il ne ferme plus les yeux de sa conscience, ; son âme ne connaît plus le sommeil. Elle a toujours les yeux de l'âme grands ouverts. Pour lui plus « de mains pliées pour être couché!» plus « de dormir ». Toujours en sentinelle sur la tour et prêtant l'oreille aux paroles que son Seigneur lui adresse ; il trouve en cela même un sujet de joie, il se réjouit continuellement « de voir Celui qui est invisible ».
                   3° Il est aussi bien évident que la joie du chrétien ne vient pas d'une conscience insensible et comme émoussée. Ce peut être une source de quelque joie, pour ceux « dont le coeur destitué d'intelligence est rempli de ténèbres », c'est-à-dire endurci, appesanti et sans intelligence spirituelle. Par suite de cette insensibilité, ils peuvent même trouver de la joie dans le péché et c'est ce qu'ils appelleront sans doute liberté ! — et ce n'est pourtant qu'une fatale ivresse, un engourdissement de l'âme, l'insensibilité stupide d'une conscience cautérisée ! le chrétien, au contraire, a la sensibilité la plus exquise et dont jamais il n'aurait pu auparavant se faire une idée.
                  Jamais il n'avait eu une délicatesse de conscience comme celle qu'il a depuis que l'amour de Dieu règne dans son coeur. C'est encore pour lui un sujet de joie et de gloire. Dieu a exaucé sa prière de tous les jours : Oh ! puisse mon âme sensible, fuir à la première approche du mal que je déteste ! — que ma conscience soit aussi délicate que la prunelle de l’œil ; qu'elle sente le moindre attouchement du péché !
                 Pour conclure enfin : la joie chrétienne est une joie qui trouve son aliment à obéir à Dieu, à aimer Dieu et à garder ses commandements, et non pas toutefois comme pour remplir les conditions de l'alliance des oeuvres ; comme si, par des oeuvres ou une justice personnelles, nous avions à obtenir le pardon et la bienveillance de Dieu ; car nous sommes déjà pardonnés et reçus en grâce par la miséricorde de Dieu en Jésus-Christ, non pas comme si, par notre propre obéissance, nous avions à conquérir la vie la résurrection de la mort du péché : nous avons déjà la vie par la grâce de Dieu « Lorsque nous étions morts dans nos péchés, il nous a vivifiés » et maintenant « nous sommes vivants à Dieu par Jésus-Christ. notre Seigneur ». Mais nous nous réjouissons de marcher selon l'alliance de grâce, dans un saint amour et une joyeuse obéissance. Nous nous réjouissons de savoir qu'étant justifiés par sa grâce « nous n'avons pas reçu la grâce de Dieu en vain » ; nous nous réjouissons de ce que Dieu nous ayant réconciliés avec lui-même, non à cause de notre volonté et de nos efforts propres, mais par le sang de l'Agneau, nous « courons » revêtus de sa force, « dans la voie de ses commandements ». Il nous a ceints de force pour le combat et c'est avec joie que nous combattons « le bon combat de la foi ». Nous nous réjouissons, en Celui qui vit dans nos cœurs par la foi, « de saisir la vie éternelle ». C'est ici notre joie, que comme notre « Père agit continuellement » nous aussi (non par notre force ou notre sagesse, mais par la force de son Esprit gratuitement donné en Christ), nous agissons, nous faisons les oeuvres de Dieu. Puisse-t-il opérer en nous tout ce qui est agréable à ses yeux ! Qu'à Lui soit la gloire aux siècles des siècles !



lundi 8 juin 2015

LES SERMONS DE WESLEY Sermon 11 : LE TÉMOIGNAGE DE L’ESPRIT (2me DISCOURS)

Numérisation Yves PETRAKIAN
Copie autorisée pour diffusion gratuite uniquement
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(tiré du livre  LES SERMONS DE WESLEY  -1- )


Romains 8,16   (1746)

« L'Esprit lui-même rend témoignage avec notre esprit que nous sommes enfants de Dieu ». (Romains   8 : 16)

I

                       Voici une vérité dont on ne peut mettre en doute l'importance, si l'on croit aux Écritures comme à la Parole de Dieu ; une vérité qui n'y est pas révélée une fois seulement, ni obscurément, ni en passant ; mais fréquemment et en termes exprès, mais solennellement et directement, comme exprimant l'un des privilèges distinctifs des enfants de Dieu.
                        Et il est d'autant plus nécessaire de l'expliquer et de la défendre qu'il y a ici danger des deux côtés. Si nous la rejetons, il est à craindre que notre religion ne dégénère en un pur formalisme, et « qu'ayant la forme de la piété », nous n'en négligions, ou même n'en reniions la force ». Si nous l'admettons, mais sans la comprendre, il est à craindre que nous ne nous jetions dans tous les excès de l'exaltation. Il est donc nécessaire, au plus haut degré, de mettre en garde contre ces deux dangers ceux qui craignent Dieu, en leur donnant une explication et une confirmation scripturaire et rationnelle de cette vérité capitale.
                       Le besoin d'une telle exposition paraît d'autant plus grand qu'il existe si peu d'écrits sur la matière qui aient quelque clarté, à part quelques discours sur le côté défavorable de la question, et qui ont pour but de réduire à rien le témoignage direct du Saint-Esprit. Ces discours ont été occasionnés, on ne peut en douter, surtout par les rêveries indigestes, antiscripturaires et irrationnelles d'autres interprètes auxquels s'appliquaient ces paroles : « Ils n'entendent point ce qu'ils disent, ni les choses qu'ils assurent comme certaines ».
                      C'est surtout l'affaire des chrétiens qu'on appelle méthodistes de comprendre, d'expliquer, de défendre nettement cette doctrine ; car elle constitue une partie essentielle du témoignage que Dieu les a chargés de porter à tous les hommes. C'est par sa bénédiction sur leur étude de l'Écriture, confirmée par l'expérience de ses enfants, que cette grande vérité évangélique, si longtemps tenue sous le boisseau, a été remise en lumière.

II

                    Mais qu'est-ce que le témoignage de l'Esprit ? C'est une attestation que l'Esprit lui-même donne personnellement à notre esprit, et conjointement avec notre esprit. Et qu'atteste-t-il ? Il atteste que nous sommes enfants de Dieu. Ce témoignage a pour résultat immédiat « les fruits de l'Esprit, savoir : la charité, la joie, la paix, la, patience, la douceur, la bonté » ; et même sans eux il ne peut continuer, car il est inévitablement détruit, non seulement par un péché quelconque de commission ou d'omission quant aux devoirs extérieurs connus, mais encore par toute infidélité intérieure, en un mot, par tout ce qui « contriste le Saint-Esprit de Dieu ».
                J'écrivais, il y a bien des années : « Il est difficile d'expliquer les choses profondes de Dieu dans le langage des hommes. Il n'y a réellement pas de mots qui puissent rendre complètement ce que Dieu, par son Esprit, opère chez ses enfants mais peut-être puis-je dire (et je prie toute âme enseignée de Dieu de me corriger, s'il le faut, en adoucissant ou rendant plus énergiques mes expressions) : Le témoignage de l'Esprit est l'impression immédiate et directe de l'Esprit de Dieu sur mon âme, par laquelle il témoigne au dedans de moi que je suis enfant de Dieu ; que Jésus-Christ m'a aimé et s'est donné pour moi, que tous mes péchés sont effacés, et que moi, oui, moi-même, je suis réconcilié avec Dieu ».
                Après vingt années de réflexion, je ne trouve rien à rétracter dans ces paroles. Je ne vois même aucun changement à y faire qui puisse les rendre plus intelligibles. Tout ce que je puis dire, c'est que si quelque enfant de Dieu veut indiquer d'autres termes plus clairs ou plus conformes à la Parole de Dieu, je suis prêt à abandonner ceux-ci.
             Qu'on veuille bien, cependant, remarquer que par là je n'entends point que ce témoignage de l'Esprit s'exprime par une voix extérieure, ni même toujours, quoique cela puisse avoir lieu quelquefois, par une voix intérieure. Je ne suppose pas non plus que ce soit toujours (quoique cela puisse souvent être le cas), en appliquant au coeur un ou plusieurs textes de l'Ecriture. Mais l'Esprit agit sur l'âme par son influence immédiate et par une opération puissante, quoique inexplicable ; de telle manière que les vents et les vagues s'apaisent et qu'il se fait un grand calme, le coeur se reposant doucement dans les bras de Jésus, et le pécheur recevant une pleine conviction que Dieu n'est plus irrité, que toutes ses iniquités sont pardonnées, que tous ses péchés sont couverts.
             Quel est donc, à cet égard, le problème à résoudre Ce n'est point s'il y a un témoignage de l'Esprit, ni si l'Esprit rend témoignage avec notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. On ne peut le nier sans contredire nettement les Écritures, sans accuser de mensonge le Dieu de vérité. Qu'il y ait donc un témoignage de l'Esprit, c'est ce qui est concédé par tous les partis.
                 Il ne s'agit pas non plus de savoir s'il y a un témoignage, une attestation indirecte que nous sommes enfants de Dieu. Ce témoignage revient à peu près, sinon tout à fait, au témoignage d'une bonne conscience devant Dieu ; c'est le résultat rationnel de la réflexion sur ce que nous sentons dans nos âmes. C'est, rigoureusement parlant, une conclusion tirée en partie de la Parole de Dieu, en partie de notre propre expérience. La Parole de Dieu dit que quiconque a les fruits de l'Esprit est enfant de Dieu ; l'expérience ou le sentiment intérieur me dit que j'ai les fruits de l'Esprit, et de là je conclus rationnellement, que je suis donc enfant de Dieu. Chacun est d'accord là-dessus, et ce n'est pas non plus l'objet de la controverse.
                Nous ne soutenons d'ailleurs pas qu'il puisse y avoir un témoignage réel de l'Esprit sans les fruits de l'Esprit. Nous soutenons, au contraire, que du témoignage de l'Esprit naissent immédiatement les fruits de l'Esprit ; sans doute pas toujours au même degré, même dans la première force du témoignage et encore moins après. La joie et la paix n'ont pas un niveau fixe, ni l'amour non plus ; le témoignage lui-même varie également en force et en clarté.
                   Mais le point en question, c'est de savoir s'il existe ou non un témoignage direct de l'Esprit ; s'il y a un témoignage de l'Esprit en dehors de celui qui résulte de la conscience des fruits de l'Esprit.

III

                 Je crois qu'il y a un tel témoignage, car c'est ce que dit évidemment le texte : « L'Esprit lui-même rend témoignage avec notre esprit que nous sommes enfants de Dieu ». Il indique évidemment deux témoins qui attestent ensemble le même fait : l'Esprit de Dieu et notre esprit. Le prédécesseur de l'évêque actuel de Londres, dans son sermon sur ce texte, paraît surpris qu'on puisse en douter, tant la chose est manifeste. « Or l'un de ces témoignages, dit l'évêque, savoir celui de notre esprit, c'est la conscience de notre sincérité». On pourrait dire un peu plus clairement : C'est la conscience des fruits de l'Esprit. Notre esprit sentant en lui-même ces fruits, « la charité, la joie, la paix, la patience, la douceur, la bonté », conclut aisément de ces prémisses que nous sommes enfants de Dieu.
               Il est vrai que cet homme distingué suppose que l'autre témoignage est « la conscience de nos bonnes oeuvres ». C'est là le témoignage du Saint-Esprit, nous assure-t-il, mais c'est déjà impliqué dans le témoignage de notre esprit, et la sincérité, même dans le sens ordinaire des mots, s'étend jusque-là. Quand l'apôtre dit : « Ce qui fait notre gloire, c'est le témoignage de notre conscience, que nous nous sommes conduits, dans le monde, en simplicité et en sincérité devant Dieu » , — le mot sincérité se rapporte sans doute au moins autant aux actions et aux paroles qu'aux dispositions du coeur Il n'y a donc toujours là qu'un seul témoignage, et la conscience de nos bonnes oeuvres n'est qu'une forme de la conscience de notre sincérité. Mais le texte parle de deux témoignages ; l'un des deux est donc évidemment autre chose que la conscience de nos bonnes oeuvres ou de notre sincérité, ces deux choses étant évidemment renfermées dans le témoignage de notre esprit.
                 Quel est donc l'autre témoignage ? Le verset qui précède le montrerait aisément, si notre texte n'était pas suffisamment clair : « Vous n'avez pas reçu un esprit de servitude, mais l'Esprit d'adoption, par lequel nous crions : Abba, Père ». C'est cet Esprit qui rend témoignage avec notre esprit que nous sommes enfants de Dieu.
                 Voyez encore le texte parallèle (Galates 4,6.) « et parce que vous êtes enfants, Dieu a envoyé dans vos cœurs l'Esprit de son Fils, lequel crie : Abba, Père ! » N'est-ce pas là quelque chose d'immédiat ou de direct, qui ne résulte ni de la réflexion, ni de l'argumentation ? Et cet Esprit ne crie-t-il pas dans nos cœurs Abba, Père ! dès l'instant qu'il est donné, avant toute réflexion sur notre sincérité, avant tout raisonnement ? N'est-ce pas là le sens clair et naturel des mots, qui se présente dès l'abord à celui qui les lit ou les entend ? Ainsi donc ces textes, dans leur sens le plus simple, décrivent un témoignage direct du Saint-Esprit.
                Ce témoignage de l'Esprit de Dieu doit nécessairement précéder celui de notre esprit. Car avant de nous sentir saints de coeur et de vie, il faut que nous le soyons. Mais pour être saints, il nous faut aimer Dieu, car l'amour est la source de toute sainteté, et nous ne pouvons l'aimer que lorsque nous savons qu'Il nous aime. Or nous ne pouvons connaître l'amour de Dieu pour nous, avant que le Saint-Esprit ne rende témoignage de cet amour à notre esprit ; jusque-là nous ne pouvons y croire, nous ne pouvons dire : « Si je vis, je vis dans la foi au Fils de Dieu qui m'a aimé et, qui s'est donné Lui-même pour moi ».
                   C'est alors seulement que notre âme coupable, éprouve la vertu de son sang précieux, Qu'elle peut s'écrier, en sa joie ineffable : Mon Seigneur et mon Dieu ! Puisque ce témoignage du Saint-Esprit précède tout amour pour Dieu et toute sainteté, il précède aussi nécessairement le sentiment intérieur que nous en avons. Et c'est ici proprement que cette doctrine scripturaire vient trouver sa confirmation dans l'expérience des enfants de Dieu ; non pas dans l'expérience de deux ou de trois, ou d'un petit nombre, mais d'une grande multitude que personne ne peut compter. Elle a été confirmée, dans ce siècle et dans tous les siècles, dans la vie et dans la mort, par une nuée de témoins. Elle est confirmée par votre expérience et par la mienne. L'Esprit lui-même rendit témoignage à mon esprit que j'étais enfant de Dieu, il m'en donna l'évidence, et je m'écriai aussitôt : « Abba, c'est-à-dire Père ! » Et je le fis, comme vous aussi, préalablement à toute réflexion ou à toute assurance quant aux fruits de l'Esprit. Ce fut du témoignage une fois reçu que découlèrent ces fruits de l'Esprit : l'amour, la joie, la paix et tous les autres. Dieu me dit : Tes péchés sont remis, Jésus est ton Sauveur ! J'écoutai, et le ciel descendit dans mon coeur !
                     Mais cette confirmation n'est pas seulement dans l'expérience des enfants de Dieu, — qui viennent par milliers déclarer que jamais ils n'eurent l'assurance de la faveur de Dieu avant que le témoignage ne leur en fût donné directement par l'Esprit, mais elle est encore dans l'expérience de tous ceux qui sont convaincus de péché, et qui sentent que la colère de Dieu pèse sur eux. A tous ceux-ci il ne faut rien moins qu'un témoignage direct de son Esprit, pour croire qu'il est apaisé envers leurs injustices, et qu'il « ne se souvient plus de leurs péchés ». Dites à l'un d'eux Vous connaîtrez que vous êtes enfant de Dieu, en réfléchissant sur ce qu'Il a opéré en vous, sur votre amour, votre joie, votre paix ; ne vous répondra-t-il pas aussitôt : Tout ce que je connais par là, c'est que je suis enfant du diable ? Je n'ai pas plus d'amour pour Dieu que le démon ; mon coeur charnel est inimitié, contre Dieu. Je n'ai pas la joie du Saint-Esprit ; mon âme est accablée d'une tristesse mortelle, Je n'ai point de paix ; mon coeur est une mer en tourmente ; en moi, tout est orage et tempête. — Et comment est-il possible que ces mêmes âmes soient consolées, si ce n'est, non par le témoignage de leur bonté, de leur sincérité, de la conformité de leur coeur et de leur vie aux Écritures, mais par l'assurance divine que Dieu justifie le méchant ? qu'il justifie celui qui, tant qu'il n'est pas justifié, est méchant, dépourvu de toute vraie sainteté ; celui qui ne fait pas les oeuvres, qui n'en peut faire de bonnes, jusqu'à ce qu'il se sache accepté par Dieu, non à cause des oeuvres de justice qu'il a faites, mais par la pure et libre grâce de Dieu, uniquement à cause de ce que le Fils de Dieu a fait et souffert pour lui. 
                  Et pourrait-il en être autrement, puisque l'homme est justifié par la foi, sans les oeuvres de la loi ? Dès lors quel mérite peut-il se reconnaître au dedans ou au dehors, avant sa justification ? Que dis-je ? N'avoir rien pour payer nos dettes, c'est-à-dire,savoir qu'il n'habite en nous aucun bien, que nous sommes dépourvus, au dedans et au dehors, de tout mérite, n'est-ce pas la condition essentielle, absolument nécessaire pour que nous soyons « justifiés gratuitement par grâce, par la rédemption qui est en Jésus-Christ ? » Depuis que le Sauveur est venu dans le monde, qui fut jamais justifié, qui pourra jamais l'être, à moins qu'il ne dise : Je renonce à jamais à plaider devant Toi, J'étais damné, Seigneur, mais tu mourus pour moi...
                  Quiconque donc renie ce témoignage, renie, par le fait, la justification par la foi. Il s'ensuit ou qu'il n'a jamais éprouvé cette grâce, qu'il n'a jamais été justifié, ou « qu'il a oublié, comme dit saint Pierre, la purification de ses anciens péchés », l'expérience qu'il fit alors lui-même, la manière dont Dieu opéra dans son âme quand ses péchés précédents furent effacés. Il n'est pas jusqu'à l'expérience des enfants du monde qui ne confirme ici celle des enfants de Dieu. Il en est plusieurs qui voudraient plaire à Dieu ; il en est qui font de grands efforts pour-lui être agréables ; mais tous ensemble ne s'accordent-ils pas à traiter d'absurde l'assurance actuelle du pardon des péchés ? Qui d'entre eux prétend jamais à rien de pareil ? Et pourtant il en est plusieurs qui ont conscience de leur sincérité ; plusieurs, sans aucun doute, qui ont, à quelque degré, le témoignage de leur propre esprit, la conscience de leur droiture. Mais cela ne leur donne pas le sentiment d'être pardonnés ils ne savent pas pour cela s'ils sont enfants de Dieu. Et même, plus ils sont sincères, plus l'incertitude où ils sont sur ce point les rend en général inquiets ; preuve évidente qu'à cet égard le simple témoignage de notre esprit ne peut suffire, et qu'il faut que Dieu nous témoigne directement par son Esprit que nous sommes ses enfants.

IV


                    Mais à cela on a fait nombre d'objections dont il peut être utile d'examiner les principales.
                   1. On a dit : « L'expérience ne suffit pas a prouver une doctrine qui n'est pas fondée sur l'Ecriture ».Vérité indubitable et vérité importante, mais qui n'a rien à faire ici ; au contraire, c'est à bon droit que l'expérience est invoquée à l'appui de cette doctrine, puisqu'on a vu qu'elle est fondée sur l'Ecriture.
                 « Mais des fous ; des visionnaires qui se sont dits prophètes et toutes sortes d'exaltés ont cru éprouver ce témoignage ». — Il est vrai, et plusieurs peut-être l'éprouvèrent en effet, quoique sans le conserver longtemps ; mais s'ils ne l'éprouvèrent pas, il n'en résulte nullement que d'autres ne l'aient point éprouvé. De ce qu'un fou peut s'imaginer être roi, il ne résulte pas qu'il n'y ait point de rois.
                    « Il en est même, dit-on, parmi les grands avocats de cette doctrine, qui ont fort décrié la Bible ». — Peut-être, mais non par une conséquence nécessaire : des milliers d'âmes plaident pour elle, qui ont la plus grande estime pour la Bible. — « Oui, mais par là plusieurs sont tombés dans une fatale illusion, et ont endurci leur coeur contre toute conviction ». — Peut-être, mais une doctrine scripturaire ne doit pas être considérée comme mauvaise, pour l'abus qu'en font les hommes à leur propre perdition.
                   On dit encore : « Mais on ne peut contester que le témoignage de l'Esprit, ce sont les fruits de l'Esprit ». Nous le contestons ; des milliers d'âmes le contestent et même le nient formellement : mais passons. — « Si ce témoignage suffit, ajoute-t-on, pourquoi en chercher un autre ? Mais il nous suffit, sauf dans deux cas :
             1° Dans l'absence totale des fruits de l'Esprit ». — Or nous avons vu qu'il y a absence de ces fruits, au moment où le témoignage direct est premièrement donné.
                  2° « Lorsqu'on n'aperçoit point ces fruits ; mais prétendre alors à ce témoignage, c'est prétendre être dans la faveur de Dieu, sans le savoir ». — Oui, sans le savoir alors autrement que par le témoignage direct que Dieu donne. Car c'est là ce que nous soutenons ; nous soutenons que le témoignage direct peut briller clairement, même pendant que le, témoignage indirect est couvert d'un nuage.
                   2. On a dit en second lieu : « Le but du témoignage en question serait de prouver que notre profession de christianisme est sincère. Mais il ne le prouve pas ». — Je réponds que ce n'est pas là le but. Ce témoignage précède toute profession, si ce n'est la profession de notre perdition ; de notre culpabilité. Son but, c'est de donner au pécheur l'assurance d'être enfant de Dieu, l'assurance d'être « justifié gratuitement par grâce, par la rédemption qui est en Jésus-Christ ». Et ceci, loin de supposer que ses pensées, ses paroles et ses actions étaient déjà conformes à la règle des Écritures, suppose juste le contraire, suppose qu'il était entièrement pécheur, dans son coeur et dans ses actions. Car sans cela Dieu justifierait les justes, ce seraient leurs bonnes oeuvres qui leur seraient imputées à justice. Et je crains bien que l'idée de la justification par les oeuvres ne soit à la base de toutes ces objections ; car si quelqu'un croit de coeur que Dieu justifie en imputant la justice sans les oeuvres, il n'hésitera point à admettre que le témoignage du Saint-Esprit en précède les fruits.
                   3. On a dit : « Nous trouvons dans l'un des Évangiles, que Dieu donnera le Saint-Esprit à tous ceux qui le lui demandent ; et dans un autre Évangile, dans le passage parallèle, il est dit que Dieu leur donnera de bonnes choses, ce qui prouve de reste que l'Esprit rend témoignage par le don de « ces bonnes choses ». Mais rien ne prouve qu'il soit question dans ces textes du témoignage de l'Esprit. Qu'on le démontre un peu mieux, et nous répondrons.
                   4. On objecte aussi : « Nous lisons dans l'Écriture : L'arbre se connaît par ses fruits ; éprouvez toutes choses ; éprouvez les esprits ; éprouvez-vous vous-mêmes ». Oui, sans doute. Que chacun donc s'éprouve soi-même, s'il croit avoir en lui ce témoignage, pour voir s'il vient de Dieu : il est de Dieu si les fruits en découlent ; s'il en est autrement il ne vient pas de Dieu. Car certainement l'arbre sera connu par son fruit. — « Mais la Bible n'en appelle jamais au témoignage direct ». Isolément, non sans doute, mais bien dans son union avec l'autre témoignage, comme déclarant avec notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. Et qui prouvera qu'il n'est pas ainsi invoqué dans la suite même du texte qu'on cite : « Examinez-vous vous-mêmes, pour voir si vous êtes dans la foi ?
                 Éprouvez-vous vous-mêmes. Ne reconnaissez-vous pas vous-mêmes que Jésus-Christ est en vous ? » Il faudrait démontrer qu'il ne s'agit pas ici d'un. témoignage direct aussi bien qu'indirect ; qu'est-ce qui prouve qu'ils ne devaient pas reconnaître cela, d'abord par un sentiment intérieur, puis par l'amour, la joie, la paix et les autres fruits de l'Esprit ?
                « Mais la Bible en appelle constamment au témoignage qui résulte d'un changement intérieur et extérieur ». — D'accord ; et nous aussi nous en appelons constamment à ce changement, pour confirmer le témoignage de l'Esprit.
                    « Vous-mêmes, par tous les caractères que vous indiquez pour distinguer l'opération de Dieu des illusions, vous en appelez au changement intérieur et extérieur opéré en nous ! » — Ceci est encore incontestable.
                        5. Autre objection. « Le témoignage, direct de l'Esprit ne nous met point à l'abri des plus grandes illusions. Quelle confiance mérite un témoignage sur lequel on ne peut s'assurer et qui doit chercher ailleurs qu'en lui-même la preuve de ce qu'il avance ? » — Je réponds : Pour nous préserver de toute illusion, Dieu nous donne ; de notre adoption un double témoignage. Que l'homme ne sépare donc pas ce que Dieu, a joint. Réunis, les deux témoignages sont indubitables et l'on peut s'y fier entièrement. Ils sont de nature à inspirer la plus haute confiance et n'ont pas besoin de chercher ailleurs la preuve de ce qu'ils avancent.
                        « Quant au témoignage direct, il se borne à affirmer mais sans rien prouver». — Par deux témoins, toute parole sera, confirmée. Si, comme Dieu le veut, l'Esprit rend témoignage avec notre esprit, il donne pleinement la preuve que nous sommes enfants de Dieu.
                  6. On dit encore : « Vous accordez que le changement opéré est un témoignage suffisant, sauf dans des épreuves extraordinaires, telle que celle que Notre Seigneur endura sur la croix. Or, nul de nous ne peut être exposé à une semblable épreuve ». — Mais vous et moi, comme tout enfant de Dieu, nous pouvons être éprouvés de telle sorte que, sans te témoignage direct de l'Esprit de Dieu, nous ne puissions conserver notre confiance filiale en Lui.
                7. On dit enfin : « Les plus grands défenseurs de cette doctrine comptent parmi les hommes les plus orgueilleux et les moins charitables ». — Il se peut que les plus ardents de ses défenseurs ne soient ni charitables ni humbles ; mais plusieurs de ses plus fermes appuis sont éminemment débonnaires et humbles de coeur, et d'ailleurs, à tous égards, les fidèles imitateurs de l'Agneau.
                   Les objections qui précédent sont les plus considérables que j'aie entendues, et elles contiennent, je crois, tout le nerf du débat. Néanmoins je m'assure que l'homme calme; et impartial qui voudra les peser et les comparer avec les réponses, verra aisément que loin de la détruire elles n'affaiblissent en aucune manière l'évidence de cette grande vérité que l'Esprit de Dieu témoigne directement aussi bien qu'indirectement que nous sommes enfants de Dieu.

V

               Résumons-nous : Le témoignage de l'Esprit est une impression intérieure sur l'âme des croyants, par laquelle l'Esprit de Dieu témoigne directement à leur esprit qu'ils sont enfants de Dieu. Et la question n'est pas de savoir s'il y a un témoignage de l'Esprit, mais s'il y en a un direct, différent de celui qui résulte de la conviction d'avoir les fruits de l'Esprit. Nous croyons qu'un tel témoignage existe parce que c'est le sens clair et naturel du texte mis en lumière par le verset qui précède et par le passage parallèle de l’Épître aux Galates ; nous le croyons parce que, naturellement, le témoignage doit précéder le fruit dont il est la source ; et parce que cette interprétation toute simple est confirmée par l'expérience de la grande nuée des enfants de Dieu, par l'expérience de toutes les âmes qui sont sous la loi, qui ne peuvent trouver de repos jusqu'à ce qu'elles aient un témoignage direct ; et même par le témoignage des enfants du monde qui, n'ayant pas ce témoignage en eux-mêmes, prétendent tous qu'on ne peut avoir l'assurance du pardon des péchés.
                  Et quant aux objections, savoir : que l'expérience ne suffit pas pour prouver une doctrine qui n'est pas appuyée sur l'Ecriture ; — que des fous et des exaltés de toutes sortes ont rêvé un tel témoignage ; — que ce témoignage ne répond pas à son but qui est, à ce qu'on prétend, de prouver la sincérité de notre profession ; — que l'Ecriture dit : « On connaît l'arbre à son fruit » ; « examinez-vous, éprouvez vous vous-mêmes » ; — qu'elle n'en appelle d'ailleurs jamais au témoignage direct ; — que ce témoignage ne nous préserve  pas des plus grandes illusions, — et qu'enfin le changement du coeur est un témoignage toujours suffisant, sauf dans des épreuves pareilles à celles que Christ seul a endurées ; — Je réponds :
                 1° l'expérience suffit pour confirmer une doctrine qui est basée sur l'Ecriture ;
                 2° quoique plusieurs croient éprouver ce qu'ils n'éprouvent point, cela ne préjuge; rien contre une expérience réelle ;
             3° ce témoignage répond à son but qui est de nous assurer que nous sommes enfants de Dieu ;
                4° le vrai témoignage de l'Esprit est connu par ses fruits « l'amour, la joie, la paix» dont il n'est point précédé mais suivi ;
              5° on ne peut dire que le témoignage direct, aussi bien que l'indirect, ne soit pas indiqué même dans ce texte : « Ne connaissez-vous pas vous-mêmes que Jésus-Christ est en vous ? »
            6° le témoignage de l'Esprit de Dieu, joint à celui de notre esprit, nous préserve réellement de toute illusion ;
               7°enfin nous sommes tous sujets à des épreuves où le témoignage de notre esprit est insuffisant, où il ne nous faut rien moins que le témoignage direct de l'Esprit de Dieu pour être assurés que nous sommes ses enfants.

De tout ceci, tirons deux conséquences :

              1° que personne ne présume de s'appuyer sur un prétendu témoignage de l'Esprit, séparé des fruits de l'Esprit. Si l'Esprit de Dieu témoigne réellement que nous sommes enfants de Dieu, il en résulte immédiatement les fruits de l'Esprit, « la charité, la joie, la paix, la patience, la débonnaireté, la bonté, la fidélité, la douceur, la tempérance ». Et. bien que ces fruits puissent être voilés pour un temps, dans des moments de forte tentation, et qu'ils se cachent à celui que Satan crible comme le blé, la substance en demeure pourtant, même sous le plus épais nuage. Sans doute, dans cette heure d'épreuve, la joie du Saint-Esprit pourra se retirer, l'âme pourra être accablée de tristesse, dans l'heure de la puissance des ténèbres » ; mais cette grâce même est généralement rendue avec usure, jusqu'à ce que nous puissions nous réjouir d'une joie ineffable et glorieuse.
             2° Que nul ne s'appuie sur de prétendus fruits de l'Esprit, sans le témoignage. Il peut y avoir des avant goûts de joie, de paix, d'amour, qui ne soient pas des illusions et qui viennent réellement de Dieu, bien avant que nous avons le témoignage en nous, et que l'Esprit de Dieu témoigne avec notre esprit que nous avons « la rédemption par le sang de Jésus, savoir la rémission des péchés ». Oui, il peut y avoir ; non pas une ombre, mais, par la grâce prévenante de Dieu, en réalité un certain degré de patience, de douceur, de fidélité, de débonnaireté, de tempérance, avant d'être rendus agréables dans le Bien-aimé et certainement avant qu'on puisse en avoir le témoignage ; mais il ne convient nullement de s'arrêter là ; nous ne pouvons le faire qu'au péril de nos âmes. Si nous sommes sages, nous ne cesserons de crier à Dieu, jusqu'à ce que son Esprit crie dans notre coeur « Abba, Père ! » c'est là le privilège de tous les enfants de Dieu, et sans cela nous ne pouvons être assurés que nous sommes ses enfants. Sans cela, nous ne pouvons conserver une paix solide ni éviter des craintes et des doutes désolants. Mais dès que nous avons reçu l'Esprit d'adoption, cette « paix qui surpasse toute intelligence », et qui « bannit la crainte, garde nos cœurs et nos esprits en Jésus-Christ ». Et lorsque cet Esprit a produit son fruit, toute vraie sainteté au dedans et au dehors, la volonté de Celui gui nous a appelés est, sans aucun doute, de nous donner toujours ce qu'Il nous a une fois donné ; en sorte qu'il n'est pas nécessaire d'être jamais plus privés, ni du témoignage de l'Esprit de Dieu, ni du témoignage de notre esprit, de l'assurance que nous marchons dans la justice et dans la vraie sainteté.