mercredi 10 juin 2015

LES SERMONS DE WESLEY Sermon 13 : LE PÉCHÉ DANS LES CROYANTS

Numérisation Yves PETRAKIAN
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(tiré du livre  LES SERMONS DE WESLEY  -1-


2 Corinthiens 5,17   (1763)

« Si quelqu'un est en Christ, il est une nouvelle créature ». (2Corinthiens 5 : 17)

I

                         Y a-t-il donc du péché dans celui qui est en Christ ? Le péché reste-t-il dans l'âme qui croit en Lui ? Y 
en a-t-il encore quelque mesure en ceux qui sont nés de Dieu, ou en sont-ils tout-à-fait délivrés ?
                  Que personne ne s'imagine que ce soit là une question curieuse dont la décision, dans un sens ou dans un autre, importe peu. C'est, au contraire, pour tout chrétien sérieux, un point de la plus haute importance, dont la résolution intéresse de près son bonheur présent et éternel. Je ne sache pas cependant que cette question ait été controversée dans l'Église primitive. Au fait, tous les chrétiens étaient d'accord sur ce point, et il n'y avait pas lieu à controverse. Autant que j'ai pu m'en assurer, le corps entier des anciens écrivains chrétiens déclare d'une commune voix que même ceux qui croient en Christ, tant qu'ils n'ont pas été rendus « forts dans le Seigneur et dans la puissance de sa force », ont à combattre contre la chair et le sang, contre une nature mauvaise, aussi bien que contre les principautés et les puissances.
                           Et en ceci, l'Église anglicane (comme au reste presque toujours), répète le langage de l'Église primitive ; elle déclare dans son 9e article : « le péché originel, en chacun de nous, est la corruption de nature, par laquelle tout homme est enclin au mal, les désirs de la chair étant contraires à ceux de l'Esprit. Et ce vice de nature demeure, même chez ceux qui sont régénérés, ce qui fait que « l'affection de la chair ne se soumet point à la loi de Dieu », et bien qu'il n'y ait « plus de condamnation pour les croyants, cette affection ou convoitise a par elle-même la nature du péché ».
                        C'est aussi le témoignage unanime des autres Églises, non seulement de l'Église grecque et de l'Église romaine, mais des Églises réformées d'Europe, de toute dénomination. Plusieurs d'entre elles semblent même exagérer la chose, décrivant la corruption du coeur chez le croyant comme si, loin de la dominer, il en était plutôt l'esclave, et par là, elles détruisent presque toute distinction entre l'incrédule et le croyant. Pour éviter cet extrême, plusieurs hommes bien intentionnés et particulièrement les disciples du comte de Zinzendorf, se jetèrent dans l'extrême opposé, affirmant « que tout vrai croyant est délivré non seulement de la domination du péché, mais encore de la présence du péché, tant intérieur qu'extérieur, en sorte qu'il n'en reste plus en lui » ; et, par leur moyen, il y a environ vingt ans, plusieurs de nos compatriotes adoptèrent cette opinion, que chez le croyant la corruption naturelle n'existe plus.
                        Il est vrai que les Moraves d'Allemagne, pressés sur cet article, accordèrent bientôt (au moins plusieurs d'entre eux), que le péché est encore dans la chair, n'en récusant l'existence que pour le coeur du croyant ; il est vrai aussi que l'absurdité de cette opinion leur ayant été démontrée, ils y renoncèrent au bout d'un certain temps, admettant que le péché, quoiqu'il n'ait plus de domination, demeure encore chez celui qui est né de Dieu. Mais ceux d'Angleterre qui l'avaient reçue d'eux (soit directement, soit de seconde ou de troisième main), ne se laissèrent pas si aisément arracher une opinion favorite, et lors même que le plus grand nombre eut reconnu qu'elle était insoutenable, il y en eut qui ne purent consentir à l'abandonner, et ils la soutiennent encore aujourd'hui.

II

                        Pour l'amour de ceux qui craignent vraiment Dieu et qui désirent connaître la vérité telle qu'elle est 
en Jésus, il est à propos de considérer ce point avec calme et impartialité. Dans cet examen j'emploierai indifféremment les mots régénérés, justifiés ou croyants ; car s'ils ne sont pas entièrement synonymes (le premier désignant un changement intérieur, effectif, le second un changement relatif, et le troisième le moyen par lequel ces deux changements s'opèrent), ils reviennent pourtant à un même sens, puisqu'on est justifié et né de Dieu dès l'instant qu'on est croyant.
                Par le péché, j'entends ici le péché intérieur, toute passion, affection ou disposition coupable : ainsi l'orgueil, la volonté propre, l'amour du monde, quel qu'en soit le genre ou le degré ; ainsi la convoitise, la colère, la mauvaise humeur, en un mot, toute disposition contraire aux sentiments qui étaient en Jésus-Christ.
                         Il ne s'agit pas du péché extérieur, ni de savoir si un enfant de Dieu commet ou ne commet pas le péché. Nous sommes tous d'accord à reconnaître et à soutenir fermement que celui qui commet le péché est du diable. Nous reconnaissons tous que celui, qui est né de Dieu ne commet pas le péché. Il ne s'agit pas non plus, pour le moment, de savoir si le péché intérieur doit toujours demeurer chez les enfants de Dieu et rester attaché à l'âme aussi longtemps qu'elle est attachée au corps, ni même si les justifiés peuvent retomber dans le péché, soit intérieur, soit extérieur ; la question est simplement celle-ci : un homme justifié ou régénéré est-il affranchi de tout péché dès le moment de sa justification ? N'y a-t-il dès lors, aucun péché dans son coeur ? — ni alors, ni dans la suite, à moins qu'il ne déchoie de la grâce ?
                       Nous reconnaissons que l'état d'un homme justifié est grand et glorieux, au-dessus de toute expression ; né de nouveau, « non du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l'homme, mais de Dieu », il est enfant de Dieu, membre de Christ, héritier du royaume des cieux. « La paix de Dieu, qui surpasse toute intelligence, garde son coeur et son esprit en Jésus-Christ ». Son corps même est « le temple du Saint-Esprit, l'habitation de Dieu en esprit ». Il « est créé de nouveau en Jésus-Christ », il est lavé, sanctifié, son coeur est purifié par la foi, il est nettoyé de la corruption qui règne dans le monde ; et « l'amour de Dieu y est répandu par le Saint-Esprit qui lui a été donné ». Et tant qu'il « marche dans la charité » (ce qu'il peut faire toujours), il adore Dieu « en esprit et en vérité ». Il garde les commandements de Dieu et fait les choses qui lui sont agréables », travaillant à avoir une conscience sans reproche devant Dieu et devant les hommes » ; et dès l'instant de sa justification, il a domination sur le péché, tant intérieur qu'extérieur.

III

                       « Mais n'a-t-il donc pas été dès lors affranchi de tout péché, en sorte qu'il n'en existe plus dans son 
coeur ? » — Je ne dis point cela et je ne puis le croire, car saint Paul dit le contraire. C'est à des croyants qu'il parle, c'est l'état des croyants en général qu'il décrit, quand il dit : « la chair convoite contre l'esprit et l'esprit contre la chair, et ces deux choses sont contraires l'une à l'autre (Galates 5 : 17) ». Rien de plus précis. L'apôtre affirme ici directement que la chair ; la mauvaise nature s'oppose à l'esprit, même chez les croyants; qu'il y a même chez les régénérés deux principes opposés.
                         Bien plus, écrivant à Corinthe « à des croyants sanctifiés en Jésus-Christ (1Corinthiens 1 : 2), il leur dit. « Pour moi mes frères, je n'ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des hommes charnels, comme à des enfants en Christ.. ». Vous êtes encore charnels, « car puisqu'il y a parmi vous de l'envie, des dissensions et des partis, n'êtes-vous pas charnels (1Corinthiens 3 : 1-3)
                        Eh bien ! l'apôtre parle ici, sans nul doute, à des croyants que, dans la même phrase, il appelle ses frères en Christ, comme étant encore, en quelque, mesure, charnels. Il affirme qu'il y avait, parmi eux, de l'envie et, par suite, des dissensions, sans dire le moins du monde qu'ils eussent perdu leur foi ; il dit même ouvertement le contraire, en les appelant des enfants en Christ. Et (remarquons particulièrement ceci), être un enfant en Christ est pour lui, dans cet endroit, synonyme d'être charnel ; d'où il paraît clairement que tout croyant est, en quelque mesure, charnel, aussi longtemps qu'il n'est qu'un enfant en Christ.
                          Ce fait important qu'il y a dans les croyants deux principes contraires — la nature et la grâce, la chair et l'esprit, ressort, en réalité, de toutes les Épîtres de saint Paul, et même de toutes les Saintes-Écritures ; presque toutes les directions et les exhortations qu'elles contiennent le supposent ; car elles sont toutes relatives à des dispositions ou pratiques répréhensibles existant encore chez ceux que les écrivains inspirés reconnaissent néanmoins pour croyants. Et la parole de Dieu les exhorte continuellement à les combattre et à les surmonter par le pouvoir de la foi qui est en eux.
                    Et qui peut douter que l'ange de l'Église d’Éphèse n'eût la foi quand le Seigneur lui disait : « Je connais tes oeuvres, ton travail et ta patience ;... que tu as souffert, que tu as travaillé pour mon nom, et ne t'es point découragé (Apocalypse 2 : 2-4) ? » Et pourtant n'y avait-il point de péché dans son coeur ? Il y en avait, car sans cela Christ n'aurait pas ajouté : « Mais j'ai quelque chose contre toi ; c'est que tu as abandonné ta première charité ». C'était un péché réel que Dieu voyait dans son coeur, et dont, conséquemment, il est appelé à se repentir ; et pourtant nous n'avons pas le droit de dire qu'il n'eût pas la foi, même dans ce moment là.
                          Non, car écrivant à l'ange de l'Église de Pergame, il l'exhorte, lui aussi, à se repentir, ce qui suppose le péché, quoique le Seigneur lui dise expressément « Tu n'as point renié ta foi ; (Apocalypse 2 : 13-16) » et il dit à l'ange de l'Eglise de Sardes : « Affermis le reste qui s'en va mourir (Apocalypse 3 : 2) ». Le bien qui restait, s'en allait mourir, mais n'était pas encore mort. Il y avait donc toujours même en lui une étincelle de foi, et c'est pourquoi le Seigneur lui commande de garder ce qu'il a reçu (Apocalypse 3 : 3).
                        Enfin lorsque l'apôtre presse des croyants de « se nettoyer de toute souillure de la chair et de l'esprit (2 Corinthiens 7 : 1) », il montre clairement que ces croyants n'en étaient pas encore nettoyés.
                   Répondra-t-on que celui qui s'abstient de toute apparence de mal, se nettoie ainsi par le fait, de toute souillure ? Mais cela n'est point. Ainsi un homme m'insulte : j'éprouve du ressentiment, ce qui est une souillure d'esprit ; mais je ne dis mot. Je m'abstiens donc en ceci de toute apparence de mal, mais cela n'ôte point la souillure d'esprit. J'en fais la douloureuse expérience.
                   Et si cette thèse : « il n'y a chez le croyant ni péché ni affection charnelle, ni penchant aux rechutes », est ainsi contraire à la parole de Dieu, elle ne l'est pas moins à l'expérience de ses enfants. Ceux-ci trouvent en eux continuellement un coeur enclin à retourner en arrière, une tendance au mal, un penchant naturel à abandonner Dieu pour s'attacher aux choses de la terre.
               Chaque jour ils s'aperçoivent que l'orgueil, la volonté propre, l'incrédulité, demeurent dans leur coeur et que le péché s'attache à tout ce qu'ils disent et font, et même à leurs actions les meilleures et les plus saintes. Mais ils savent, en même temps, qu'ils sont de Dieu ; ils ne peuvent en douter, même un moment. Ils sentent clairement que «l'Esprit rend témoignage avec leur esprit qu'ils sont enfants de Dieu ». Ils se réjouissent en Dieu par Jésus-Christ, par qui ils ont maintenant reçu la réconciliation. En sorte qu'ils ont une égale assurance que le péché est en eux, et que « Christ est en eux, l'espérance de la gloire ».
                      « Mais Christ peut-il être dans un coeur où est le péché ? » Il le peut ; car sans cela le péché ne pourrait en être chassé. Où est la maladie, on trouve le médecin, poursuivant son oeuvre, travaillant à la guérison du mal, à l'expulsion du péché. Christ ne peut, sans doute, régner là où le péché règne, ni demeurer où un péché, quelconque est accueilli. Mais il est et demeure dans le coeur de tout croyant qui combat contre tout péché, quoique n'étant pas encore complètement purifié.
                        J'ai déjà dit que la doctrine opposée, savoir qu'il n'y a point de péché chez les croyants, — est tout-à-fait nouvelle dans l'Église de Christ, qu'on n'en a jamais ouï parler pendant dix-sept siècles, jamais jusqu'à ce que le, comte de Zinzendorf l'eût découverte. Je ne me souviens pas d'en avoir trouvé la moindre trace dans aucun écrit ancien ou moderne, si ce n'est peut-être chez quelqu'un des plus extravagants antinomiens. Ceux-ci, d'ailleurs, se contredisent eux-mêmes, reconnaissant qu'il y a du péché dans leur chair, quoi qu'il n'y en ait pas dans leur coeur. Mais toute doctrine nouvelle est nécessairement fausse, car il n'y a de vraie religion que l'ancienne, et pour être fidèle, il faut qu'un enseignement reproduise « ce qui était dès le commencement ».
                        Un dernier argument contre cette doctrine nouvelle et antiscripturaire est celui qui résulte de ses effrayantes conséquences. Si quelqu'un me dit : « J'ai éprouvé aujourd'hui de la colère » ; dois-je répondre : Alors vous n'avez pas la foi ? Un autre dira : « je sais que votre conseil est bon, mais ma volonté y est contraire » ; lui dirai-je : « Vous êtes donc un incrédule, vous êtes sous la colère et la malédiction de Dieu ? Qu'arrivera-t-il ? c'est que s'il me croit sur parole, son âme sera non seulement blessée et effrayée, mais peut-être même entièrement perdue ; car il aura « abandonné cette confiance qui doit avoir une grande récompense », et comment, ayant jeté son bouclier, pourrait-il « éteindre les dards enflammés du malin ? » , Comment vaincrait-il le monde, puisque la « victoire par laquelle le monde est vaincu c'est notre foi ? » Le voilà au milieu de ses ennemis, exposé sans armes à tous leurs assauts ? Faudra-t-il s'étonner s'il est entièrement renversé et s'il est emmené captif pour faire la volonté du démon ; — s'il tombe même d'impiété en impiété et ne voit plus jamais le bien ? Il m'est donc impossible d'admettre cette assertion, qu'il n'y a plus de pêché dans le croyant dès l'instant qu'il est justifié ; 
car 
1° elle est contraire à tout l'enseignement des Écritures ;
2° elle est contraire à l'expérience des enfants de Dieu ; 
3° elle est absolument nouvelle et née d'hier ; 
et 
4° enfin, elle est accompagnée des plus funestes conséquences, puisqu'elle n'est propre qu'à affliger ceux que Dieu n'a point affligés, et peut-être à les entraîner dans l'éternelle perdition.

IV

                        Écoutons cependant avec impartialité les principales preuves qu'avancent les partisans de cette 
doctrine. C'est d'abord par l'Écriture qu'ils essaient de prouver qu'il n'y a point de péché dans le croyant. Ils raisonnent ainsi : « l'Écriture dit de tout croyant qu'il est né de Dieu, qu'il est saint, purifié, sanctifié, qu'il a le coeur pur, qu'il a un nouveau coeur, qu'il est le temple du Saint-Esprit. De même donc que tout ce qui est né de la chair est chair, c'est-à-dire entièrement mauvais, de même ce qui est né de l'Esprit est esprit, c'est-à-dire entièrement bon. De plus, un homme ne peut être à la fois pur et impur, saint et souillé; il ne peut avoir à la fois un coeur de chair et un coeur de pierre. Son âme ne peut non plus être autrement que sainte, tant qu'elle est le temple de l'Esprit saint.
                           J'ai présenté cette objection dans toute sa force, pour qu'on en sentit bien la valeur. Examinons-la maintenant dans chacune de ses parties.
                    1° « Ce qui est né de l'Esprit est esprit, c'est-à-dire entièrement bon ». J'admets le texte, mais non le commentaire ; car le texte n'affirme qu'une chose, savoir que tout homme « né de l'Esprit » est un homme spirituel. Oui, sans doute, mais il peut l'être, sans toutefois l'être entièrement. Les chrétiens de Corinthe étaient des hommes spirituels, sans quoi ils n'auraient pas été chrétiens du tout, et pourtant ils n'étaient pas en tout spirituels, mais ils étaient en partie charnels. « Mais, objectera-t-on, ils étaient déchus de la grâce ». Saint Paul dit le contraire ; c'étaient même alors des enfants en Christ.
                          2° « Mais un homme ne peut être à la fois pur et impur, saint et souillé ». Il le peut. Tels étaient les Corinthiens. « Vous avez été lavés », leur écrit l'apôtre ; « vous avez été sanctifiés », lavés « de. la fornication, de l'idolâtrie, de l'ivrognerie (1Corinthiens 6 : 9-11) » et de tout autre péché extérieur, et pourtant, dans un autre sens, ils n'étaient pas sanctifiés, ils n'étaient nettoyés ni de l'envie, ni des mauvais soupçons, ni de la partialité.
                        3° « Mais ils n'avaient pas, sans doute, à la fois un coeur de chair et un coeur de pierre ». Au contraire, tel était indubitablement leur état, car leurs coeurs étaient renouvelés véritablement, mais non pas parfaitement. « L'affection de la chair », leur coeur charnel, déjà cloué sur la croix, n'avait pas encore expiré.
                       4° « Mais pouvaient-ils être autrement que saints, étant les temples de l'Esprit saint ? » Sans doute ; car il est indubitable qu'ils étaient les temples du Saint-Esprit (1Corinthiens 6 : 19), et, il n'est pas moins certain qu'ils étaient en quelque degré charnels, le contraire de saints.
                       Mais, ajoute-t-on, il y a un autre passage qui décide la question : « Si quelqu'un est en Christ, il est une nouvelle créature ; les choses vieilles sont passées ; voici, toutes choses sont faites nouvelles (2 Corinthiens 5 : 17) ». Un homme ne peut être à la fois créature vieille et créature nouvelle. — Oui, il le peut ; il peut n'être qu'en partie renouvelé, et c'était précisément le cas des Corinthiens. Ils étaient, sans nul doute, « renouvelés dans l'esprit de leur entendement », sans quoi ils n'eussent pas même été des enfants en Christ ; et pourtant ils n'avaient pas entièrement les sentiments qui étaient en Christ, puisqu'ils avaient de l'envie les uns contre les autres. « Mais il est dit expressément : « les choses vieilles sont passées ; toutes choses sont devenues nouvelles ». — Oui, mais il ne faut pas interpréter les paroles de l'apôtre, de manière à le mettre en contradiction avec lui-même. Et voici quel est dès lors le sens bien simple de cette expression : Si quelqu'un est en Christ, ses vieilles idées sur la justification, sur la sainteté, sur le bonheur, sur toutes les choses de Dieu, sont passées, et il en est de même de ses désirs, de ses desseins, de ses affections, de son caractère, de sa conversation. Toutes ces choses sont, incontestablement, devenues nouvelles ; elles sont très différentes de ce qu'elles étaient auparavant ; et pourtant quoique nouvelles, elles ne sont pas renouvelées entièrement. Le chrétien sent encore, avec honte et douleur, des restes trop évidents du vieil homme et de ses anciennes dispositions, quoiqu'ils ne puissent remporter la victoire sur lui, tant qu'il persévère dans la vigilance et la prière.
                          Toute cette manière d'argumenter : « Celui qui est pur est pur, celui qui est saint est saint » (sans parler de vingt expressions semblables, qu'on peut aisément accumuler), n'est rien de mieux qu'un jeu de mots ; c'est le sophisme qui consiste à conclure du particulier au général. Sous sa forme complète, l'argument revient à dire : On est saint parfaitement ou on ne l'est pas du tout ; ce raisonnement est vicieux, car tout enfant en Christ est saint, quoiqu'il ne le soit pas parfaitement. Il est délivré du péché, mais non entièrement. Le péché est vaincu en lui, mais non détruit ; il demeure, quoique détrôné.                     Si vous croyez qu'il n'existe plus (nous ne parlons que des enfants en Christ, réservant ce qui concerne les jeunes gens et les pères), vous n'avez certainement pas considéré quelle est la hauteur et la profondeur, la longueur et la largeur de la loi de Dieu (de cette loi d'amour, exposée par saint Paul dans 1 Corinthiens XIII), ni compris que toute déviation de cette loi est un péché. Mais n'y a-t-il rien qui s'écarte de cette loi dans le coeur ou dans la vie d'un croyant ?
                        Dans la vie d'un chrétien adulte, c'est une autre question ; mais il faut être bien étranger à la connaissance du coeur humain pour s'imaginer que c'est le cas de tout enfant en Christ. « Mais les croyants marchent selon l'Esprit (Romains 8 : 1), et l'Esprit de Dieu habite en eux ; ils sont, par conséquent, délivrés de la coulpe, de la puissance, et en un mot, de l'existence même du péché ».
                       Cette objection réunit comme identiques trois choses qui sont loin de l'être. La coulpe ou culpabilité est une chose, la puissance, une autre, l'existence une autre encore. Que les croyants soient délivrés de la coulpe et de la puissance du péché, nous l'accordons ; mais nous nions qu'ils soient tous délivrés de l'existence du péché. Et on ne peut l'inférer des textes cités. Un homme peut avoir l'Esprit de Dieu habitant en lui, « et marcher selon l'Esprit », quoiqu'il sente encore que sa chair a des désirs contraires à cet Esprit.

— « Mais l'Église est le corps de Christ » ; ce qui implique que ses membres sont lavés de toute 
souillure ; autrement il s'ensuivrait que Christ et Bélial sont unis en un même corps ».
— Non ; de ce que les membres du corps mystique de Christ sentent encore la lutte de la chair contre l'Esprit, il ne saurait résulter que Christ ait rien de commun avec Bélial, ni avec le péché qu'il les rend capables de combattre et de vaincre.
— « Mais les chrétiens ne sont-ils pas venus à la Jérusalem céleste, où rien d'impur ni de souillé ne peut entrer (Hébreux 12 : 22) ? »
— Oui, et « aux milliers d'anges et aux esprits des justes parvenus à la perfection » ; en un mot, la terre et le ciel sont réunis en Christ ; ils ne forment qu'une seule grande famille. Et pendant qu'ils marchent « selon l'Esprit », ils ne sont, en effet, ni impurs, ni souillés, quoiqu'ils sentent qu'il y a encore en eux un autre principe et que les deux principes sont contraires l'un à l'autre.
— « Mais les chrétiens sont réconciliés avec Dieu. Or cela ne pourrait être s'il restait quelque chose de l'affection de la chair, car elle est inimitié contre Dieu. Par conséquent, aucune réconciliation n'est possible, si ce n'est par son entière destruction ».
— Nous sommes « réconciliés avec Dieu par le sang de la croix » ; et dès ce moment l'affection de la chair, qui est inimitié contre Dieu, est mise sous nos pieds, et la chair n'a plus domination sur nous. Mais elle existe encore, et elle est encore, par, sa nature, inimitié contre Dieu, ayant des désirs contraires à ceux de l'Esprit.
— « Mais ceux qui sont à Christ ont crucifié la chair avec ses passions et ses convoitises (Galates 5 : 24) ». Il est vrai, mais elle demeure encore en eux, et souvent elle s'efforce de s'arracher de la croix. Mais n'ont-ils donc pas dépouillé le vieil homme avec ses oeuvres (Colossiens 3 : 9) ? » Sans doute, et, dans le sens expliqué plus haut, « les choses vieilles sont passées ; toutes choses sont devenues nouvelles ». On pourrait citer cent autres textes semblables, et à tous nous ferions la même. réponse. - « Mais, on ajoute, en voici un qui résume tout : « Christ s'est livré lui-même pour elle (pour l'Eglise), afin qu'elle fût sainte et sans tache (Ephésiens 5 : 25,27) ». —Oui, et elle sera telle à la fin ; mais elle ne fut encore jamais telle depuis le commencement jusqu'à ce jour,
— « Mais laissons parler l'expérience. Tous ceux qui sont justifiés se sentent alors absolument
affranchis de tout péché ». — J'en doute ; mais quand cela serait, éprouvent-ils toujours dans la suite ce parfait affranchissement ? Sans cela vous n'avez rien gagné. « S'il en est autrement, c'est par leur faute ». - C'est ce qu'il faudrait prouver.
— « Mais, d'après la nature même des choses, un homme peut-il avoir de l'orgueil sans être orgueilleux ; de la colère sans être irrité ? »
— Un homme peut avoir de l'orgueil, avoir, sur quelque point, une plus haute opinion de lui-même qu'il ne devrait et être orgueilleux en cela, sans être un homme orgueilleux dans l'ensemble de son caractère. Il peut avoir de la colère, être même fortement enclin à de furieuses colères, sans y céder. 
« Mais peut-il y avoir de l'orgueil et de la colère dans un coeur où ne se fait sentir que douceur et humilité ? » 
Non, mais il peut y avoir quelque orgueil et quelque colère dans un coeur
où il y a beaucoup de douceur et d'humilité.
— «C'est en vain que vous dites : Ces dispositions existent, mais elles n'ont pas domination ; car le péché ne peut exister, en quelque genre on degré que ce soit, sans avoir domination ; puisque la culpabilité et la puissance sont des propriétés inséparables du péché. Toutes ces choses sont donc partout où l'une d'elles se trouve ».
— Étranges assertions ! « Le, péché ne peut exister, en quelque genre ou degré que ce soit, sans avoir domination ! » Ceci contredit toute expérience, tout enseignement scripturaire, tout sens commun. Il y a du péché dans le ressentiment d'une injure ; c'est une transgression, une déviation de la loi d'amour. Ce péché a existé chez moi mille fois ; mais il n'a point eu, il n'a point domination. - « Mais la culpabilité et la puissance sont des propriétés inséparables du péché. Ces trois choses, l'existence, la coulpe et l'empire du péché sont donc à la fois partout où l'une d'elles se trouve ». - Non, dans l'exemple cité, si le ressentiment n'est pas écouté, pas même pour un moment, il n'y a aucune culpabilité, aucune condamnation. Et dans ce cas, le péché est aussi sans puissance. Bien qu'il convoite contre l'Esprit, il ne peut pas vaincre. Ici donc, comme en des milliers de cas semblables, le péché existe, mais sans puissance ni culpabilité.
— « Mais cette idée que le péché est dans le croyant est grosse des conséquences les plus terribles et les plus décourageantes. C'est supposer une lutte avec un ennemi maître de nos forces, qui maintient dans nos cœurs son usurpation, et qui y poursuit la guerre au mépris de notre Rédempteur ». 
Non ; de ce que le péché est en nous, il ne s'ensuit pas qu'il soit maître de nos forces, pas plus qu'un homme crucifié n'est maître de ceux qui l'ont attaché à la croix. Il n'en résulte
pas davantage que le péché maintient dans nos cœurs son usurpation. L'usurpateur est détrôné ; il demeure encore, il est vrai, où il régnait naguère ; mais il y demeure enchaîné. Il peut donc, en un sens, y poursuivre la guerre, mais il s'affaiblit toujours plus, tandis que le croyant va de force en force, de victoire en victoire.
— « Vous ne me persuadez pas encore. Quiconque a en lui le péché, est esclave du péché. Vous supposez donc justifié un homme qui est esclave du péché. Mais si vous accordez qu'on peut être justifié tout en ayant en soi de l'orgueil, de la colère, de l'incrédulité ; que dis-je ? si vous affirmez que tout cela est (au moins pour un temps) chez tous les justifiés, faut-il s'étonner que nous ayons tant de croyants orgueilleux, irascibles, tant de croyants incrédules ? »
— Je n'admets pas qu'aucun homme justifié soit esclave du péché ; mais j'admets que le péché demeure (au moins pour un temps) dans tous les justifiés.
— « Mais si le péché demeure dans le croyant, il est pécheur ; si c'est par l'orgueil, il est orgueilleux ; si c'est par la volonté propre, il est volontaire ; si c'est par l'incrédulité, il est
incrédule ; par conséquent, il n'est pas croyant. Comment donc le distinguer des incrédules, des non régénérés ? » Ici encore on joue sur les mots. Cela revient à dire : S'il y a en lui du péché, de l'orgueil, de la volonté propre, — il y a de la volonté propre, de l'orgueil, du péché. — Qui le nie ? Dans ce sens, il est sans doute pécheur, orgueilleux, volontaire ; mais il n'est pas orgueilleux et volontaire dans le sens dans lequel les incrédules le sont, c'est-à-dire gouverné par la volonté propre ou par l'orgueil. C'est ce qui le distingue des hommes irrégénérés. Ils obéissent au péché ; il ne le fait point. La chair est en lui comme ou eux ; mais ils marchent, eux, selon la chair, lui, selon l'Esprit.
— « Mais comment pourrait-il y avoir de l'incrédulité dans un croyant ? — Le mot incrédule a deux acceptions. Il désigne l'absence de foi, ou la faiblesse de foi. Dans le premier sens il n'y a pas d'incrédulité chez le croyant ; dans le second, il y en a chez tous ceux que l'apôtre appelle des enfants. Leur foi est d'ordinaire mêlée de doutes et de craintes, c'est-à-dire de cette seconde sorte d'incrédulité. « Pourquoi êtes vous en souci ? » dit le Seigneur, « ô gens de petite foi ». Et ailleurs : « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? » Vous voyez donc qu'il y avait de l'incrédulité chez des croyants ; un peu de foi et beaucoup d'incrédulité.
— « Mais cette doctrine, que le péché demeure dans le croyant, qu'un homme peut jouir de la faveur de Dieu, tout en ayant le péché dans son coeur, cette doctrine tend assurément à encourager le péché ». 
Non, bien comprise, cette doctrine n'entraîne point une telle conséquence. Un homme peut être dans la faveur de Dieu, quoique sentant en lui le péché, mais non pas s'il y cède. On ne perd pas cette faveur pour avoir le péché, mais bien pour y obéir. Quoique la chair « convoite » en vous contre l'Esprit, vous pouvez encore  être enfant de Dieu. Mais si «vous marchez selon la chair », vous êtes enfant du diable. Cette doctrine, loin de nous encourager à obéir au péché, nous encourage à y résister de toutes nos forces.

V

                   Maintenant résumons-nous. Il y a chez tout homme, même après sa justification, deux principes contraires, la nature et la grâce, ou, dans les termes de saint Paul, la. chair et l'esprit. De là suit que si même les enfants en Christ sont sanctifiés, ce n'est pourtant qu'en partie. Ils sont, en quelque degré, spirituels, suivant la mesure de leur foi ; mais ils sont aussi, en quelque degré charnels. C'est pourquoi les croyants sont continuellement exhortés à veiller contre la chair, aussi bien que contre le monde et le diable. Et à cela répond l'expérience constante des enfants de Dieu. Tout en ayant en eux-mêmes le témoignage de leur adoption, ils sentent une volonté qui n'est pas entièrement soumise à la volonté de Dieu. Ils savent qu'ils sont en Lui, et pourtant ils trouvent en eux un coeur prêt à se détourner de Lui, et, en plusieurs choses, un penchant au mal et de l'éloignement pour le bien. La doctrine contraire est tout-à-fait nouvelle ; jamais il n'en fut question dans l'Église depuis le temps de la venue de Christ jusqu'au temps du comte Zinzendorf, et elle produit les plus fatales conséquences. Elle supprima toute vigilance contre notre nature mauvaise, contre la Délila qu'on, nous dit avoir disparu, quoi qu'elle soit toujours là, couchée dans notre sein. Cette opinion arrache aux croyants faibles leur bouclier, les prive de leur foi, et les expose ainsi à tous les assauts du monde, de la chair et du diable.
                       Retenons donc ferme cette sainte doctrine, donnée une fois aux saints, et qu'ils ont transmise, dans les saintes Écritures, à toute la suite des générations : que si, dès l'instant que nous croyons vraiment en Christ, nous sommes renouvelés, nettoyés, purifiés, sanctifiés, nous ne sommes pourtant pas alors renouvelés, nettoyés, purifiés, sanctifiés entièrement ; mais que la chair, la nature mauvaise, quoique subjuguée demeure encore et lutte contre L'Esprit. Mais soyons d'autant plus empressés à « combattre le bon combat de la foi » ; soyons d'autant plus zélés à veiller et à prier contre cet ennemi qui est au-dedans. Prenons avec d'autant plus de soin toutes les armes de Dieu ; ne manquons pas de nous en revêtir, afin que si nous avons à combattre contre la chair et le sang, aussi bien que « contre les principautés et les puissances, et contre les esprits malins qui sont dans les airs », nous puissions pourtant « résister au mauvais jour, et après avoir tout surmonté , demeurer fermes ».






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