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Yves PETRAKIAN
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(tiré
du livre LES SERMONS DE WESLEY -1-
2
Corinthiens 5,17 (1763)
«
Si quelqu'un est en Christ, il est une nouvelle créature ».
(2Corinthiens 5 : 17)
I
Y a-t-il donc du péché dans celui qui est en Christ ? Le péché reste-t-il dans l'âme qui croit en Lui ? Y en a-t-il encore quelque mesure en ceux qui sont nés de Dieu, ou en sont-ils tout-à-fait délivrés ?
Que
personne ne s'imagine que ce soit là une question curieuse dont la
décision, dans un sens ou dans un autre, importe peu.
C'est, au contraire, pour tout chrétien sérieux, un point de la
plus haute importance, dont la résolution intéresse de près
son bonheur présent et éternel. Je ne sache pas cependant que
cette question ait été controversée dans l'Église primitive. Au
fait, tous les chrétiens étaient d'accord sur ce point, et il
n'y avait pas lieu à controverse. Autant que j'ai pu m'en
assurer, le corps entier des anciens écrivains chrétiens déclare
d'une commune voix que même ceux qui croient en Christ, tant
qu'ils n'ont pas été rendus « forts dans le Seigneur et dans
la puissance de sa force », ont à combattre contre la chair et
le sang, contre une nature mauvaise, aussi bien que contre les
principautés et les puissances.
Et
en ceci, l'Église anglicane (comme au reste presque toujours),
répète le langage de l'Église primitive ; elle déclare
dans son 9e article : « le péché originel, en chacun de nous, est
la corruption de nature, par laquelle tout homme est enclin au
mal, les désirs de la chair étant contraires à ceux de
l'Esprit. Et ce vice de nature demeure, même chez ceux qui sont
régénérés, ce qui fait que « l'affection de la chair ne se
soumet point à la loi de Dieu », et bien qu'il n'y ait « plus de
condamnation pour les croyants, cette affection ou convoitise a par
elle-même la nature du péché ».
C'est
aussi le témoignage unanime des autres Églises, non seulement de
l'Église grecque et de l'Église romaine, mais des
Églises réformées d'Europe, de toute dénomination. Plusieurs
d'entre elles semblent même exagérer la chose, décrivant la
corruption du coeur chez le croyant comme si, loin de la
dominer, il en était plutôt l'esclave, et par là, elles détruisent
presque toute distinction entre l'incrédule et le croyant. Pour
éviter cet extrême, plusieurs hommes bien intentionnés
et particulièrement les disciples du comte de Zinzendorf, se
jetèrent dans l'extrême opposé, affirmant « que tout vrai
croyant est délivré non seulement de la domination du péché, mais
encore de la présence du péché, tant intérieur qu'extérieur,
en sorte qu'il n'en reste plus en lui » ; et, par leur moyen,
il y a environ vingt ans, plusieurs de nos compatriotes adoptèrent
cette opinion, que chez le croyant la corruption naturelle
n'existe plus.
Il
est vrai que les Moraves d'Allemagne, pressés sur cet article,
accordèrent bientôt (au moins plusieurs d'entre eux),
que le péché est encore dans la chair, n'en récusant l'existence
que pour le coeur du croyant ; il est vrai aussi que l'absurdité
de cette opinion leur ayant été démontrée, ils y renoncèrent
au bout d'un certain temps, admettant que le péché, quoiqu'il n'ait
plus de domination, demeure encore chez
celui qui est né de Dieu. Mais ceux d'Angleterre qui
l'avaient reçue d'eux (soit directement, soit de seconde ou de
troisième main), ne se laissèrent pas si aisément arracher
une opinion favorite, et lors même que le plus grand nombre eut
reconnu qu'elle était insoutenable, il y en eut qui ne purent
consentir à l'abandonner, et ils la soutiennent encore
aujourd'hui.
II
Pour l'amour de ceux qui craignent vraiment Dieu et qui désirent connaître la vérité telle qu'elle est en Jésus, il est à propos de considérer ce point avec calme et impartialité. Dans cet examen j'emploierai indifféremment les mots régénérés, justifiés ou croyants ; car s'ils ne sont pas entièrement synonymes (le premier désignant un changement intérieur, effectif, le second un changement relatif, et le troisième le moyen par lequel ces deux changements s'opèrent), ils reviennent pourtant à un même sens, puisqu'on est justifié et né de Dieu dès l'instant qu'on est croyant.
Par
le péché, j'entends ici le péché intérieur, toute passion,
affection ou disposition coupable : ainsi l'orgueil, la
volonté propre, l'amour du monde, quel qu'en soit le genre ou le
degré ; ainsi la convoitise, la colère, la mauvaise humeur, en
un mot, toute disposition contraire aux sentiments qui étaient
en Jésus-Christ.
Il
ne s'agit pas du péché extérieur, ni de savoir si un enfant de
Dieu commet ou ne commet pas le péché. Nous sommes tous
d'accord à reconnaître et à soutenir fermement que celui qui
commet le péché est du diable. Nous reconnaissons tous que
celui, qui est né de Dieu ne commet pas le péché. Il ne
s'agit pas non plus, pour le moment, de savoir si le péché
intérieur doit toujours demeurer chez les enfants de Dieu et
rester attaché à l'âme aussi longtemps qu'elle est attachée au
corps, ni même si les justifiés peuvent retomber dans le
péché, soit intérieur, soit extérieur ; la question
est simplement celle-ci : un homme justifié ou régénéré
est-il affranchi de tout péché dès le moment de sa
justification ? N'y a-t-il dès lors, aucun péché dans son coeur ?
— ni alors, ni dans la suite, à moins qu'il ne déchoie de la
grâce ?
Nous
reconnaissons que l'état d'un homme justifié est grand et glorieux,
au-dessus de toute expression ; né de nouveau, « non du
sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de
l'homme, mais de Dieu », il est enfant de Dieu, membre de
Christ, héritier du royaume des cieux. « La paix de Dieu, qui
surpasse toute intelligence, garde son coeur et son esprit en
Jésus-Christ ». Son corps même est « le temple du
Saint-Esprit, l'habitation de Dieu en esprit ». Il « est créé de
nouveau en Jésus-Christ », il est lavé, sanctifié, son coeur
est purifié par la foi, il est nettoyé de la corruption qui
règne dans le monde ; et « l'amour de Dieu y est répandu par le
Saint-Esprit qui lui a été donné ». Et tant qu'il « marche
dans la charité » (ce qu'il peut faire toujours), il adore Dieu «
en esprit et en vérité ». Il garde les commandements de Dieu
et fait les choses qui lui sont agréables », travaillant à
avoir une conscience sans reproche devant Dieu et devant les hommes »
; et dès l'instant de sa justification, il a domination sur le
péché, tant intérieur qu'extérieur.
III
« Mais n'a-t-il donc pas été dès lors affranchi de tout péché, en sorte qu'il n'en existe plus dans son coeur ? » — Je ne dis point cela et je ne puis le croire, car saint Paul dit le contraire. C'est à des croyants qu'il parle, c'est l'état des croyants en général qu'il décrit, quand il dit : « la chair convoite contre l'esprit et l'esprit contre la chair, et ces deux choses sont contraires l'une à l'autre (Galates 5 : 17) ». Rien de plus précis. L'apôtre affirme ici directement que la chair ; la mauvaise nature s'oppose à l'esprit, même chez les croyants; qu'il y a même chez les régénérés deux principes opposés.
Bien
plus, écrivant à Corinthe « à des croyants sanctifiés en
Jésus-Christ (1Corinthiens 1 : 2), il leur dit. « Pour
moi mes frères, je n'ai pu vous parler comme à des hommes
spirituels, mais comme à des hommes charnels, comme à des
enfants en Christ.. ». Vous êtes encore charnels, « car puisqu'il
y a parmi vous de l'envie, des dissensions et des partis,
n'êtes-vous pas charnels (1Corinthiens 3 : 1-3)
Eh
bien ! l'apôtre parle ici, sans nul doute, à des croyants que, dans
la même phrase, il appelle ses frères en Christ, comme
étant encore, en quelque, mesure, charnels. Il affirme qu'il y
avait, parmi eux, de l'envie et, par suite, des dissensions,
sans dire le moins du monde qu'ils eussent perdu leur foi ; il
dit même ouvertement le contraire, en les appelant des enfants en
Christ. Et (remarquons particulièrement ceci), être un enfant
en Christ est pour lui, dans cet endroit, synonyme d'être charnel
; d'où il paraît clairement que tout croyant est, en quelque
mesure, charnel, aussi longtemps qu'il n'est qu'un enfant en
Christ.
Ce
fait important qu'il y a dans les croyants deux principes contraires
— la nature et la grâce, la chair et l'esprit,
ressort, en réalité, de toutes les Épîtres de saint
Paul, et même de toutes les Saintes-Écritures ;
presque toutes les directions et les exhortations qu'elles
contiennent le supposent ; car elles sont toutes relatives à
des dispositions ou pratiques répréhensibles existant encore
chez ceux que les écrivains inspirés reconnaissent néanmoins pour
croyants. Et la parole de Dieu les exhorte continuellement à
les combattre et à les surmonter par le pouvoir de la foi qui est en
eux.
Et
qui peut douter que l'ange de l'Église d’Éphèse n'eût
la foi quand le Seigneur lui disait : « Je connais tes
oeuvres, ton travail et ta patience ;... que tu as souffert, que tu
as travaillé pour mon nom, et ne t'es point découragé
(Apocalypse 2 : 2-4) ? » Et pourtant n'y avait-il point de péché
dans son coeur ? Il y en avait, car sans cela Christ n'aurait
pas ajouté : « Mais j'ai quelque chose contre toi ; c'est que
tu as abandonné ta première charité ». C'était un péché réel
que Dieu voyait dans son coeur, et dont, conséquemment, il est
appelé à se repentir ; et pourtant nous n'avons pas le droit
de dire qu'il n'eût pas la foi, même dans ce moment là.
Non,
car écrivant à l'ange de l'Église de Pergame, il l'exhorte, lui
aussi, à se repentir, ce qui suppose le péché, quoique
le Seigneur lui dise expressément « Tu n'as point renié ta foi ;
(Apocalypse 2 : 13-16) » et il dit à l'ange de l'Eglise de
Sardes : « Affermis le reste qui s'en va mourir (Apocalypse 3 : 2)
». Le bien qui restait, s'en allait mourir, mais n'était pas
encore mort. Il y avait donc toujours même en lui une étincelle
de foi, et c'est pourquoi le Seigneur lui commande de garder ce qu'il
a reçu (Apocalypse 3 : 3).
Enfin
lorsque l'apôtre presse des croyants de « se nettoyer de toute
souillure de la chair et de l'esprit (2 Corinthiens 7 :
1) », il montre clairement que ces croyants n'en étaient pas encore
nettoyés.
Répondra-t-on
que celui qui s'abstient de toute apparence de mal, se nettoie ainsi
par le fait, de toute souillure ? Mais cela n'est point.
Ainsi un homme m'insulte : j'éprouve du ressentiment, ce qui est
une souillure d'esprit ; mais je ne dis mot. Je m'abstiens donc en
ceci de toute apparence de mal, mais cela n'ôte point la
souillure d'esprit. J'en fais la douloureuse expérience.
Et
si cette thèse : « il n'y a chez le croyant ni péché ni affection
charnelle, ni penchant aux rechutes », est ainsi
contraire à la parole de Dieu, elle ne l'est pas moins à
l'expérience de ses enfants. Ceux-ci trouvent en eux
continuellement un coeur enclin à retourner en arrière,
une tendance au mal, un penchant naturel à abandonner Dieu pour
s'attacher aux choses de la terre.
Chaque
jour ils s'aperçoivent que l'orgueil, la volonté propre,
l'incrédulité, demeurent dans leur coeur et que le
péché s'attache à tout ce qu'ils disent et font, et même à leurs
actions les meilleures et les plus saintes. Mais ils savent, en
même temps, qu'ils sont de Dieu ; ils ne peuvent en douter, même
un moment. Ils sentent clairement que «l'Esprit rend témoignage
avec leur esprit qu'ils sont enfants de Dieu ». Ils se
réjouissent en Dieu par Jésus-Christ, par qui ils ont maintenant
reçu la réconciliation. En sorte qu'ils ont une égale
assurance que le péché est en eux, et que « Christ est en
eux, l'espérance de la gloire ».
«
Mais Christ peut-il être dans un coeur où est le péché ? » Il le
peut ; car sans cela le péché ne pourrait en être
chassé. Où est la maladie, on trouve le médecin, poursuivant son
oeuvre, travaillant à la guérison du mal, à l'expulsion du
péché. Christ ne peut, sans doute, régner là où le péché règne,
ni demeurer où un péché, quelconque est accueilli. Mais il est et
demeure dans le coeur de tout croyant qui combat contre tout
péché, quoique n'étant pas encore complètement purifié.
J'ai
déjà dit que la doctrine opposée, savoir qu'il n'y a point de
péché chez les croyants, — est tout-à-fait nouvelle dans
l'Église de Christ, qu'on n'en a jamais ouï parler pendant dix-sept
siècles, jamais jusqu'à ce que le, comte de Zinzendorf l'eût
découverte. Je ne me souviens pas d'en avoir trouvé la moindre
trace dans aucun écrit ancien ou moderne, si ce n'est peut-être
chez quelqu'un des plus extravagants antinomiens. Ceux-ci,
d'ailleurs, se contredisent eux-mêmes, reconnaissant qu'il y a
du péché dans leur chair, quoi qu'il n'y en ait pas dans leur
coeur. Mais toute doctrine nouvelle est nécessairement fausse,
car il n'y a de vraie religion que l'ancienne, et pour être fidèle,
il faut qu'un enseignement reproduise « ce qui était dès le
commencement ».
Un
dernier argument contre cette doctrine nouvelle et antiscripturaire
est celui qui résulte de ses effrayantes conséquences.
Si quelqu'un me dit : « J'ai éprouvé aujourd'hui de la colère »
; dois-je répondre : Alors vous n'avez pas la foi ? Un autre
dira : « je sais que votre conseil est bon, mais ma volonté y
est contraire » ; lui dirai-je : « Vous êtes donc un incrédule,
vous êtes sous la colère et la malédiction de Dieu ?
Qu'arrivera-t-il ? c'est que s'il me croit sur parole, son âme sera
non seulement blessée et effrayée, mais peut-être même
entièrement perdue ; car il aura « abandonné cette confiance
qui doit avoir une grande récompense », et comment, ayant jeté son
bouclier, pourrait-il « éteindre les dards enflammés du malin
? » , Comment vaincrait-il le monde, puisque la « victoire par
laquelle le monde est vaincu c'est notre foi ? » Le voilà au milieu
de ses ennemis, exposé sans armes à tous leurs assauts ?
Faudra-t-il s'étonner s'il est entièrement renversé et s'il est
emmené captif pour faire la volonté du démon ; — s'il tombe
même d'impiété en impiété et ne voit plus jamais le bien ?
Il m'est donc impossible d'admettre cette assertion, qu'il n'y a plus
de pêché dans le croyant dès l'instant qu'il est justifié ;
car
1°
elle est contraire à tout l'enseignement des Écritures ;
2°
elle est contraire à l'expérience des enfants de Dieu ;
3°
elle est absolument nouvelle et née d'hier ;
et
4°
enfin, elle est accompagnée des plus funestes conséquences,
puisqu'elle n'est propre qu'à affliger ceux que Dieu n'a point
affligés, et peut-être à les entraîner dans l'éternelle
perdition.
IV
Écoutons cependant avec impartialité les principales preuves qu'avancent les partisans de cette doctrine. C'est d'abord par l'Écriture qu'ils essaient de prouver qu'il n'y a point de péché dans le croyant. Ils raisonnent ainsi : « l'Écriture dit de tout croyant qu'il est né de Dieu, qu'il est saint, purifié, sanctifié, qu'il a le coeur pur, qu'il a un nouveau coeur, qu'il est le temple du Saint-Esprit. De même donc que tout ce qui est né de la chair est chair, c'est-à-dire entièrement mauvais, de même ce qui est né de l'Esprit est esprit, c'est-à-dire entièrement bon. De plus, un homme ne peut être à la fois pur et impur, saint et souillé; il ne peut avoir à la fois un coeur de chair et un coeur de pierre. Son âme ne peut non plus être autrement que sainte, tant qu'elle est le temple de l'Esprit saint.
J'ai
présenté cette objection dans toute sa force, pour qu'on en sentit
bien la valeur. Examinons-la maintenant dans chacune de
ses parties.
1° « Ce
qui est né de l'Esprit est esprit, c'est-à-dire entièrement bon ».
J'admets le texte, mais non le commentaire ; car le texte
n'affirme qu'une chose, savoir que tout homme « né de l'Esprit »
est un homme spirituel. Oui, sans doute, mais il peut l'être,
sans toutefois l'être entièrement. Les chrétiens de Corinthe
étaient des hommes spirituels, sans quoi ils n'auraient pas été
chrétiens du tout, et pourtant ils n'étaient pas en tout
spirituels, mais ils étaient en partie charnels. «
Mais, objectera-t-on, ils étaient déchus de la grâce ».
Saint Paul dit le contraire ; c'étaient même alors des enfants
en Christ.
2°
« Mais un homme ne peut être à la fois pur et impur, saint et
souillé ». Il le peut. Tels étaient les Corinthiens. «
Vous avez été lavés », leur écrit l'apôtre ; « vous avez été
sanctifiés », lavés « de. la fornication, de l'idolâtrie,
de l'ivrognerie (1Corinthiens 6 : 9-11) » et de tout autre péché
extérieur, et pourtant, dans un autre sens, ils n'étaient pas
sanctifiés, ils n'étaient nettoyés ni de l'envie, ni des mauvais
soupçons, ni de la partialité.
3°
« Mais ils n'avaient pas, sans doute, à la fois un coeur de chair
et un coeur de pierre ». Au contraire, tel était
indubitablement leur état, car leurs coeurs étaient renouvelés
véritablement, mais non pas parfaitement. « L'affection de la
chair », leur coeur charnel, déjà cloué sur la croix, n'avait
pas encore expiré.
4°
« Mais pouvaient-ils être autrement que saints, étant les temples
de l'Esprit saint ? » Sans doute ; car il est
indubitable qu'ils étaient les temples du Saint-Esprit (1Corinthiens
6 : 19), et, il n'est pas moins certain qu'ils étaient en
quelque degré charnels, le contraire de saints.
Mais,
ajoute-t-on, il y a un autre passage qui décide la question : « Si
quelqu'un est en Christ, il est une nouvelle créature ;
les choses vieilles sont passées ; voici, toutes choses sont faites
nouvelles (2 Corinthiens 5 : 17) ». Un homme ne peut être
à la fois créature vieille et créature nouvelle. — Oui, il
le peut ; il peut n'être qu'en partie renouvelé, et c'était
précisément le cas des Corinthiens. Ils étaient, sans nul
doute, « renouvelés dans l'esprit de leur entendement », sans quoi
ils n'eussent pas même été des enfants en Christ ; et
pourtant ils n'avaient pas entièrement les sentiments qui étaient
en Christ, puisqu'ils avaient de l'envie les uns contre les autres. «
Mais il est dit expressément : « les choses vieilles sont
passées ; toutes choses sont devenues nouvelles ». — Oui, mais
il ne faut pas interpréter les paroles de l'apôtre, de manière à
le mettre en contradiction avec lui-même. Et voici quel est dès
lors le sens bien simple de cette expression : Si quelqu'un est
en Christ, ses vieilles idées sur la justification, sur la
sainteté, sur le bonheur, sur toutes les choses de Dieu, sont
passées, et il en est de même de ses désirs, de ses desseins, de
ses affections, de son caractère, de sa conversation. Toutes
ces choses sont, incontestablement, devenues nouvelles ; elles
sont très différentes de ce qu'elles étaient auparavant ; et
pourtant quoique nouvelles, elles ne sont pas renouvelées
entièrement. Le chrétien sent encore, avec honte et douleur, des
restes trop évidents du vieil homme et de ses anciennes
dispositions, quoiqu'ils ne puissent remporter la victoire sur
lui, tant qu'il persévère dans la vigilance et la prière.
Toute
cette manière d'argumenter : « Celui qui est pur est pur, celui qui
est saint est saint » (sans parler de vingt expressions
semblables, qu'on peut aisément accumuler), n'est rien de mieux
qu'un jeu de mots ; c'est le sophisme qui consiste à conclure
du particulier au général. Sous sa forme complète, l'argument
revient à dire : On est saint parfaitement ou on ne l'est pas du
tout ; ce raisonnement est vicieux, car tout enfant en Christ
est saint, quoiqu'il ne le soit pas parfaitement. Il est délivré
du péché, mais non entièrement. Le péché est vaincu en lui, mais
non détruit ; il demeure, quoique détrôné.
Si vous croyez qu'il
n'existe plus (nous ne parlons que des enfants en Christ, réservant
ce qui concerne les jeunes gens et les pères), vous n'avez
certainement pas considéré quelle est la hauteur et la
profondeur, la longueur et la largeur de la loi de Dieu (de cette
loi d'amour, exposée par saint Paul dans 1 Corinthiens XIII),
ni compris que toute déviation de cette loi est un péché.
Mais n'y a-t-il rien qui s'écarte de cette loi dans le coeur ou dans
la vie d'un croyant ?
Dans
la vie d'un chrétien adulte, c'est une autre question ; mais il faut
être bien étranger à la connaissance du coeur humain
pour s'imaginer que c'est le cas de tout enfant en Christ. «
Mais les croyants marchent selon l'Esprit (Romains 8 : 1), et
l'Esprit de Dieu habite en eux ; ils sont, par conséquent,
délivrés de la coulpe, de la puissance, et en un mot, de
l'existence même du péché ».
Cette
objection réunit comme identiques trois choses qui sont loin de
l'être. La coulpe ou culpabilité est une chose, la
puissance, une autre, l'existence une autre encore. Que les
croyants soient délivrés de la coulpe et de la puissance du
péché, nous l'accordons ; mais nous nions qu'ils soient tous
délivrés de l'existence du péché. Et on ne peut l'inférer des
textes cités. Un homme peut avoir l'Esprit de Dieu habitant en
lui, « et marcher selon l'Esprit », quoiqu'il sente encore que
sa chair a des désirs contraires à cet Esprit.
— « Mais l'Église est le corps de Christ » ; ce qui implique que ses membres sont lavés de toute souillure ; autrement il s'ensuivrait que Christ et Bélial sont unis en un même corps ».
— Non
; de ce que les membres du corps mystique de Christ sentent encore la
lutte de la chair contre l'Esprit, il ne saurait résulter
que Christ ait rien de commun avec Bélial, ni avec le péché
qu'il les rend capables de combattre et de vaincre.
— «
Mais les chrétiens ne sont-ils pas venus à la Jérusalem céleste,
où rien d'impur ni de souillé ne peut entrer (Hébreux
12 : 22) ? »
— Oui,
et « aux milliers d'anges et aux esprits des justes parvenus à la
perfection » ; en un mot, la terre et le ciel sont
réunis en Christ ; ils ne forment qu'une seule grande famille. Et
pendant qu'ils marchent « selon l'Esprit », ils ne sont, en
effet, ni impurs, ni souillés, quoiqu'ils sentent qu'il y a encore
en eux un autre principe et que les deux principes sont contraires
l'un à l'autre.
— «
Mais les chrétiens sont réconciliés avec Dieu. Or cela ne pourrait
être s'il restait quelque chose de l'affection de la
chair, car elle est inimitié contre Dieu. Par conséquent, aucune
réconciliation n'est possible, si ce n'est par son entière
destruction ».
— Nous
sommes « réconciliés avec Dieu par le sang de la croix » ; et dès
ce moment l'affection de la chair, qui est inimitié
contre Dieu, est mise sous nos pieds, et la chair n'a plus domination
sur nous. Mais elle existe encore, et elle est encore, par, sa
nature, inimitié contre Dieu, ayant des désirs contraires à
ceux de l'Esprit.
— «
Mais ceux qui sont à Christ ont crucifié la chair avec ses passions
et ses convoitises (Galates 5 : 24) ». Il est vrai, mais
elle demeure encore en eux, et souvent elle s'efforce de s'arracher
de la croix. Mais n'ont-ils donc pas
dépouillé le vieil homme avec ses oeuvres (Colossiens 3 : 9) ? »
Sans doute, et, dans le sens expliqué plus haut, « les
choses vieilles sont passées ; toutes choses sont devenues nouvelles
». On pourrait citer cent autres textes semblables, et à tous nous
ferions la même. réponse. - « Mais, on ajoute, en voici un
qui résume tout : « Christ s'est livré lui-même pour elle (pour
l'Eglise), afin qu'elle fût sainte et sans tache (Ephésiens 5 :
25,27) ». —Oui, et elle sera telle à la fin ; mais elle ne
fut encore jamais telle depuis le commencement jusqu'à ce jour,
— «
Mais laissons parler l'expérience. Tous ceux qui sont justifiés se
sentent alors absolument
affranchis
de tout péché ». — J'en doute ; mais quand cela serait,
éprouvent-ils toujours dans la suite ce parfait
affranchissement ? Sans cela vous n'avez rien gagné. « S'il en est
autrement, c'est par leur faute ». - C'est ce qu'il faudrait
prouver.
— «
Mais, d'après la nature même des choses, un homme peut-il avoir de
l'orgueil sans être orgueilleux ; de la colère sans
être irrité ? »
— Un
homme peut avoir de l'orgueil, avoir, sur quelque point, une plus
haute opinion de lui-même qu'il ne devrait et être
orgueilleux en cela, sans être un homme orgueilleux dans l'ensemble
de son caractère. Il peut avoir de la colère, être même
fortement enclin à de furieuses colères, sans y céder.
—
«
Mais peut-il y avoir de l'orgueil et de la colère dans un coeur où
ne se fait sentir que douceur et humilité ? »
—
Non,
mais il peut y avoir quelque orgueil et quelque colère dans un coeur
où
il y a beaucoup de douceur et d'humilité.
— «C'est
en vain que vous dites : Ces dispositions existent, mais elles n'ont
pas domination ; car le péché ne peut exister, en
quelque genre on degré que ce soit, sans avoir domination ; puisque
la culpabilité et la puissance sont des propriétés
inséparables du péché. Toutes ces choses sont donc partout où
l'une d'elles se trouve ».
— Étranges
assertions ! « Le, péché ne peut exister, en quelque genre ou
degré que ce soit, sans avoir domination ! » Ceci
contredit toute expérience, tout enseignement scripturaire, tout
sens commun. Il y a du péché dans le ressentiment d'une injure
; c'est une transgression, une déviation de la loi d'amour. Ce
péché a existé chez moi mille fois ; mais il n'a point eu, il n'a
point domination. - « Mais la culpabilité et la puissance sont
des propriétés inséparables du péché. Ces trois choses,
l'existence, la coulpe et l'empire du péché sont donc à la fois
partout où l'une d'elles se trouve ». - Non, dans l'exemple
cité, si le ressentiment n'est pas écouté, pas même pour
un moment, il n'y a aucune culpabilité, aucune condamnation. Et
dans ce cas, le péché est aussi sans puissance. Bien qu'il
convoite contre l'Esprit, il ne peut pas vaincre. Ici donc, comme en
des milliers de cas semblables, le péché existe, mais sans
puissance ni culpabilité.
— «
Mais cette idée que le péché est dans le croyant est grosse des
conséquences les plus terribles et les plus
décourageantes. C'est supposer une lutte avec un ennemi maître de
nos forces, qui maintient dans nos cœurs son
usurpation, et qui y poursuit la guerre au mépris
de notre Rédempteur ».
—
Non
; de ce que le péché est en nous, il ne s'ensuit pas qu'il soit
maître de nos forces, pas plus qu'un homme crucifié n'est
maître de ceux qui l'ont attaché à la croix. Il n'en résulte
pas
davantage que le péché maintient dans nos cœurs son
usurpation. L'usurpateur est détrôné ; il demeure
encore, il est vrai, où il régnait naguère ; mais il y demeure
enchaîné. Il peut donc, en un sens, y poursuivre la guerre,
mais il s'affaiblit toujours plus, tandis que le croyant va de force
en force, de victoire en victoire.
— «
Vous ne me persuadez pas encore. Quiconque a en lui le péché, est
esclave du péché. Vous supposez donc justifié un homme
qui est esclave du péché. Mais si vous accordez qu'on peut
être justifié tout en ayant en soi de l'orgueil, de la colère,
de l'incrédulité ; que dis-je ? si vous affirmez que tout cela
est (au moins pour un temps) chez tous les justifiés, faut-il
s'étonner que nous ayons tant de croyants orgueilleux,
irascibles, tant de croyants incrédules ? »
— Je
n'admets pas qu'aucun homme justifié soit esclave du péché ; mais
j'admets que le péché demeure (au moins pour un temps)
dans tous les justifiés.
— «
Mais si le péché demeure dans le croyant, il est pécheur ; si
c'est par l'orgueil, il est orgueilleux ; si c'est par la
volonté propre, il est volontaire ; si c'est par l'incrédulité, il
est
incrédule
; par conséquent, il n'est pas croyant. Comment donc le distinguer
des incrédules, des non régénérés ? » Ici encore on
joue sur les mots. Cela revient à dire : S'il y a en lui du péché,
de l'orgueil, de la volonté propre, — il y a de la volonté
propre, de l'orgueil, du péché. — Qui le nie ? Dans ce sens,
il est sans doute pécheur, orgueilleux, volontaire ; mais il n'est
pas orgueilleux et volontaire dans le sens dans lequel les
incrédules le sont, c'est-à-dire gouverné par la volonté
propre ou par l'orgueil. C'est ce qui le distingue des hommes
irrégénérés. Ils obéissent au péché ; il ne le fait
point. La chair est en lui comme ou eux ; mais ils marchent, eux,
selon la chair, lui, selon l'Esprit.
— «
Mais comment pourrait-il y avoir de l'incrédulité dans un croyant ?
— Le mot incrédule a deux acceptions. Il désigne
l'absence de foi, ou la faiblesse de foi. Dans le premier sens il n'y
a pas d'incrédulité chez le croyant ; dans le second, il y en
a chez tous ceux que l'apôtre appelle des enfants. Leur foi est
d'ordinaire mêlée de doutes et de craintes, c'est-à-dire de cette
seconde sorte d'incrédulité. « Pourquoi êtes vous en souci ?
» dit le Seigneur, « ô gens de petite foi ». Et ailleurs : «
Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? » Vous voyez donc qu'il
y avait de l'incrédulité chez des croyants ; un peu de foi et
beaucoup d'incrédulité.
— «
Mais cette doctrine, que le péché demeure dans le croyant, qu'un
homme peut jouir de la faveur de Dieu, tout en ayant le
péché dans son coeur, cette doctrine tend assurément à
encourager le péché ».
—
Non,
bien comprise, cette doctrine n'entraîne point une telle
conséquence. Un homme peut être dans la faveur de Dieu,
quoique sentant en lui le péché, mais non pas s'il y cède. On
ne perd pas cette faveur pour avoir le péché, mais bien pour y
obéir. Quoique la chair « convoite » en vous contre l'Esprit,
vous pouvez encore être enfant de Dieu. Mais si
«vous marchez selon la chair », vous êtes enfant du
diable. Cette doctrine, loin de nous encourager à obéir au péché,
nous encourage à y résister de toutes nos forces.
V
Maintenant
résumons-nous. Il y a chez tout homme, même après sa
justification, deux principes contraires, la nature et la
grâce, ou, dans les termes de saint Paul, la. chair et l'esprit. De
là suit que si même les enfants en Christ sont sanctifiés, ce
n'est pourtant qu'en partie. Ils sont, en quelque degré,
spirituels, suivant la mesure de leur foi ; mais ils sont aussi, en
quelque degré charnels. C'est pourquoi les croyants sont
continuellement exhortés à veiller contre la chair, aussi bien que
contre le monde et le diable. Et à cela répond l'expérience
constante des enfants de Dieu. Tout en ayant en eux-mêmes le
témoignage de leur adoption, ils sentent une volonté qui n'est pas
entièrement soumise à la volonté de Dieu. Ils savent qu'ils
sont en Lui, et pourtant ils trouvent en eux un coeur prêt à
se détourner de Lui, et, en plusieurs choses, un penchant au mal et
de l'éloignement pour le bien. La doctrine contraire est
tout-à-fait nouvelle ; jamais il n'en fut question dans l'Église
depuis le temps de la venue de Christ jusqu'au temps du comte
Zinzendorf, et elle produit les plus fatales conséquences. Elle
supprima toute vigilance contre notre nature mauvaise, contre la
Délila qu'on, nous dit avoir disparu, quoi qu'elle soit
toujours là, couchée dans notre sein. Cette opinion arrache aux
croyants faibles leur bouclier, les prive de leur foi, et les expose
ainsi à tous les assauts du monde, de la chair et du diable.
Retenons
donc ferme cette sainte doctrine, donnée une fois aux saints, et
qu'ils ont transmise, dans les saintes Écritures, à
toute la suite des générations : que si, dès l'instant que nous
croyons vraiment en Christ, nous sommes renouvelés, nettoyés,
purifiés, sanctifiés, nous ne sommes pourtant pas alors
renouvelés, nettoyés, purifiés, sanctifiés entièrement ; mais
que la chair, la nature mauvaise, quoique subjuguée demeure
encore et lutte contre L'Esprit. Mais soyons d'autant plus
empressés à « combattre le bon combat de la foi » ; soyons
d'autant plus zélés à veiller et à prier contre cet ennemi
qui est au-dedans. Prenons avec d'autant plus de soin toutes les
armes de Dieu ; ne manquons pas de nous en revêtir, afin que si
nous avons à combattre contre la chair et le sang, aussi bien
que « contre les principautés et les puissances, et contre les
esprits malins qui sont dans les airs », nous puissions
pourtant « résister au mauvais jour, et après avoir tout surmonté
, demeurer fermes ».
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