Numérisation
Yves PETRAKIAN
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(tiré
du livre LES SERMONS DE WESLEY -1- )
2
Corinthiens 1,12 (1746)
« Ce qui fait, notre gloire (Dans la traduction anglaise il a, notre joie. De là la manière dont le texte est entendu ici.) c'est le témoignage que notre conscience nous rend, que nous nous sommes conduits dans le monde, en simplicité et en sincérité devant Dieu, non point avec une sagesse charnelles, mais avec la grâce de Dieu ». (2Corinthiens 1 : 12)
Tel est le langage de quiconque croit véritablement en Christ, aussi longtemps qu'il demeure dans la foi et dans l'amour. « Celui qui me suit » , dit le Seigneur, « ne marchera point dans les ténèbres » ; et tandis qu'il a la lumière, il se réjouit en elle ; comme il a « reçu le Seigneur Jésus, il marchera en lui » ; et tandis qu'il marche en lui, l'objet de cette exhortation de l'apôtre : « réjouissez-vous toujours en Notre seigneur ; je vous le dis encore, réjouissez-vous », se réalise chaque jour dans son âme.
Mais
pour que notre maison ne soit point bâtie sur le sable — de peur
que la pluie venant à tomber, les torrents à se déborder et
les vents à souffler, et à fondre sur elle, cette maison ne tombe
et que sa ruine ne soit grande, — je me propose dans ce
discours d'indiquer la nature et les fondements de cette joie
chrétienne. Nous savons d'une manière générale, que c'est une
douce paix, une calme satisfaction d'esprit procédant du
témoignage de sa conscience, dont parle ici l'apôtre. Mais
pour mieux comprendre ceci, il sera nécessaire de peser toutes
ses expressions, par où nous verrons aisément ce qu'il faut
entendre par la conscience et par son témoignage, et comment celui
qui a ce témoignage, se réjouit sans cesse.
Et
d'abord que faut-il entendre par la conscience ? que signifie ce mot
que chacun répète ? On croirait la réponse très difficile, à
voir le nombre de volumes qu'on a écrits sur le sujet et comme on a
mis à contribution tous les trésors de l'érudition ancienne et
moderne pour l'expliquer. Encore est-il à craindre que toutes
ces recherches savantes ne l'aient guère éclairé. La plupart de
ces auteurs ne l'ont-il pas au contraire embrouillé, «
obscurcissant le conseil par des paroles sans science », et rendant
difficile ce qui est en soi-même simple et facile à comprendre ?
Mettez de côté, en effet, les mots inintelligibles et la chose
sera bientôt claire pour tout homme droit de coeur.
Dieu
nous a créés des êtres pensants, capables de percevoir les choses
du présent et de nous rappeler par la réflexion celles du
passé. En particulier, nous sommes capables de percevoir ce qui se
passe dans nos cœurs et dans notre vie ; de savoir ce que
nous sentons ou faisons, et cela, soit au moment même,
soit lorsque la chose est passée. C'est dans ce sens que nous disons
que l'homme est un être conscient, qu'il a la conscience ou la
perception intime de son passé et de son présent, de ses
dispositions et de sa conduite. Mais le mot conscience a
ordinairement un sens plus étendu. Il n'implique pas simplement
la connaissance de notre vie présente ou passée. Rappeler par
son témoignage les choses passés ou présentes, c'est l'un des
offices de la conscience, mais ce n'est pas le principal : sa
grande affaire c'est d'excuser ou d'accuser, d'approuver ou de
désapprouver, de condamner ou d'absoudre.
Il
est vrai que quelques écrivains modernes emploient ici plus
volontiers un nouveau terme, celui de sens moral ; mais la
vieille appellation paraît préférable à la nouvelle, ne serait-ce
que parce qu'elle est plus connue et plus usuelle, et par cela
même plus intelligible. Les chrétiens ont d'ailleurs un motif
irrécusable pour la préférer, c'est qu'elle est scripturaire ;
c'est le terme dont il a plu à la sagesse divine de se servir
dans les écrits inspirés.
Et
suivant le sens dans lequel ce terme y est ordinairement employé,
particulièrement dans les Épîtres de saint Paul, nous pouvons
entendre par conscience, la faculté que Dieu a implantée dans toute
âme d'homme, de percevoir ce qui est bien ou mal dans son coeur ou
dans sa vie, dans ses dispositions, ses pensées, ses paroles et
ses actions.
Mais
quelle est la règle par laquelle les hommes doivent juger du bien ou
du mal, la règle qui doit diriger leur conscience ? La règle
des païens, comme l'apôtre l'enseigne ailleurs, c'est la loi
écrite dans leur entendement ; « n'ayant point la loi », non,
dit-il, « ils se tiennent lieu de loi eux-mêmes, montrant que
ce qui est prescrit par la loi est écrit dans leurs cœurs »
par le doigt de Dieu ; « puisque, leur conscience leur rend
témoignage et que leurs pensées les accusent ou les défendent.
(Romains 2 : 14,15) ; mais, pour les chrétiens, la règle pour
distinguer le bien du mal c'est la parole de Dieu, ce sont les
écrits de l'Ancien et du Nouveau Testament ; c'est tout ce que
les prophètes et les saints hommes des temps anciens ont écrit,
étant poussés par le Saint-Esprit ; c'est toute cette «
Écriture divinement inspirée qui est utile pour enseigner » tout
le conseil de Dieu, « pour reprendre », pour condamner, ce qui
y est contraire, « pour corriger » l'erreur et pour nous «
instruire ou nous élever dans la justice (1 Timothée 3 : 16) ».
Le
chrétien voit en elle la lampe de ses pieds, la lumière de son
sentier. Elle seule est sa règle pour juger du juste et de
l'injuste, du bien ou du mal. Rien n'est bon à ses yeux que ce
qu'elle prescrit soit directement, soit par une déduction
inattaquable ; rien n'est mal que ce qu'elle défend,
soit expressément, soit par la conséquence certaine de son
enseignement. Ce que l'enseignement direct ou indirect de
l'Ecriture ne prescrit ni ne défend, il le retarde comme chose
indifférente ; comme n'étant en soi ni bien ni mal ; car la
règle extérieure qu'elle lui fournit suffit pleinement à diriger
sa conscience, et c'est la seule qu'il reconnaisse.
Et
si, dans le fait, il se dirige par cette règle, alors il a « la
réponse d'une bonne conscience devant Dieu ». Une bonne
conscience, c'est ce que l'apôtre appelle ailleurs «une conscience
sans reproche ». Ainsi ce qu'il exprime dans une occasion en
disant : « j'ai vécu jusqu'à ce jour en toute bonne
conscience devant Dieu (Actes 23 : 1) », il le répète ailleurs en
ces termes : « Je travaille à avoir toujours la conscience
sans reproche devant Dieu et devant les hommes (Actes 24:16) ».
Mais pour cela quatre choses sont indispensables :
1°
Une droite intelligence de la parole de Dieu, de sa « volonté
bonne, agréable et parfaite » à notre égard, telle qu'elle
s'y trouve révélée, car il est impossible de marcher d'après une
règle qu'on ne comprend point.
2°
Une connaissance, hélas, bien rare, la connaissance de nous-mêmes,
la connaissance de notre coeur et de notre vie ; de nos
dispositions au dedans et de notre conduite au dehors ; car,
sans connaître ces choses, il est impossible, que nous les
comparions avec notre règle.
3°
L'accord de notre coeur, de notre vie, de nos dispositions, de notre
conduite de nos pensées, de nos paroles, de nos oeuvres, avec
cette règle, avec les Écritures de Dieu. Car sans
cela, notre conscience, si nous en avons une, est une mauvaise
conscience.
4°
Enfin, une perception intérieure de cet accord ; et c'est
précisément dans cette perception, dans ce sentiment
intérieur, habituel, que consiste cette bonne conscience cette
conscience sans reproche, dont parle l'apôtre.
Mais
que celui qui désire avoir cette conscience sans reproche, prenne
garde d'en bien poser le fondement. Qu'il se souvienne que «
nul ne peut poser d'autre fondement que celui qui a été
posé, savoir Jésus-Christ », et qu'il se souvienne de plus,
que nul ne peut bâtir sur lui, si ce n'est par une foi vivante,
que nul n'est rendu participant de Christ, jusqu'à ce qu'il puisse
rendre clairement ce témoignage : « Je vis par la foi au Fils
de Dieu», maintenant révélé. dans mon coeur, « qui m'a aimé.
et qui s'est donné lui-même pour moi ».
La foi seule est cette évidence,
cette conviction, cette démonstration des chose invisibles, par
laquelle, les yeux de notre entendement étant ouverts, et la
lumière divine venant les éclairer, nous « voyons les merveilles
de la loi de Dieu, nous en voyons l'excellence, la pureté, nous
voyons la hauteur et la profondeur, la longueur et la largeur de
cette loi et de tous les commandements qu'elle contient. C'est par la
foi que « contemplant la lumière de la gloire de Dieu en la
face de Jésus-Christ », nous voyons comme dans un miroir, tout
ce qui est en nous, tous les mouvements les plus secrets de nos
âmes. Et c'est par elle seule que peut se répandre dans
nos cœurs ce saint amour de Dieu qui nous rend capables
de nous aimer les uns les autres comme Christ nous a aimés. Par
elle s'accomplit pour tout « l'Israël de Dieu » cette
promesse pleine de grâce : « Je mettrai mes lois dans leur
esprit et les graverai dans leur coeur (Hébreux 8 : 10) ; »
par où leur âme est mise en complet accord avec sa sainte et
parfaite loi, « toutes leurs pensées étant amenées captives
à l'obéissance de Christ ».
Et
comme un mauvais arbre ne peut porter de bons fruits, de même un bon
arbre ne peut porter de mauvais fruits. Ainsi la vie du croyant,
aussi bien que son coeur, est mise en complet accord avec la. règle
des commandements de Dieu ; et c'est dans le sentiment de cet accord,
qu'il peut rendre gloire à Dieu et répéter avec l'apôtre : «
Ce qui fait notre joie, c'est le témoignage que nous rend notre
conscience que nous nous sommes conduits dans le monde, en simplicité
et en sincérité devant Dieu, non point avec une sagesse
charnelle, mais avec la grâce de Dieu ».
«
Nous nous sommes conduits ». Le sens du terme. original est
extrêmement large, il embrasse tout ce. qui se rapporte, soit à
notre corps, soit à notre âme. Il comprend tous les mouvements de
notre coeur, il s'étend à chacune de nos actions et de nos
paroles, à l'emploi de tous nos membres et de toutes nos
facultés, à la manière de faire valoir, pour Dieu ou pour les
hommes, tout talent que nous pouvons avoir reçu.
«
Nous nous sommes conduits dans le monde » ; même dans le monde des
impies : non pas seulement parmi les enfants de Dieu (ce qui
serait comparativement peu de chose), mais parmi les enfants du
diable, parmi ceux qui sont « plongés dans le mal » ou qui « sont
dans le malin ». Quel monde que celui-là ! comme il est
imprégné et pénétré de l'esprit qu'il respire sans cesse ! Si
notre Dieu est bon et fait ce qui est bon, le Dieu de ce monde
et tous ses enfants sont méchants, et, autant que Dieu le
permet, ils se montrent méchants en faisant du mal à tous les
enfants de Dieu.
Comme
leur père, les méchants se tiennent aux aguets, ou rôdent autour
des fidèles, cherchant qui ils pourront dévorer, usant de
fraude ou de force, de ruses secrètes ou de violence ouverte,
pour faire périr ceux qui ne sont pas du monde. Ils ne cessent
de faire la guerre à nos âmes, cherchant par l'emploi de
vieilles ou de nouvelles armes, et par toutes sortes d'artifices, à
les ramener dans les pièges du diable, et dans la route large
qui mène à la perdition.
C'est
dans un tel monde que nous nous sommes conduits, en toutes choses, «
en simplicité et en sincérité ». D'abord en simplicité :
c'est-à-dire avec cet œil simple que recommande le
Seigneur. « L’œil est la lumière du corps. Si
donc ton œil est sain, tout ton corps sera
éclairé ». En d'autres termes, ce que l’œil est
au corps, l'intention l'est à toutes nos actions et à toutes nos
paroles : si donc cet œil de ton âme est sain, ou
simple, toutes tes paroles et actions seront pleines de lumière,
pleines de la lumière des cieux, d'amour, de paix et de joie par le
Saint-Esprit.
Nous
sommes simples de coeur quand l’œil de notre esprit
n'est fixé que sur Dieu ; quand Dieu seul est, en toutes
choses, notre but ; quand il est notre Dieu, notre portion, notre
force, notre bonheur, notre grande récompense, notre tout, pour
le temps et l'éternité. Nous avons la simplicité, lorsque le
ferme dessein, l'intention unique de le glorifier, de nous soumettre
et de nous conformer à sa sainte volonté, pénètre notre âme,
remplit tout notre coeur, et est le ressort constant de toutes
nos pensées, de tous nos désirs et de toutes nos résolutions.
En
second lieu, nous nous sommes conduits dans ce monde et devant Dieu «
en sincérité ». Voici quelle paraît être la différence
entre ces deux termes : la simplicité concerne l'intention
elle-même, et la sincérité l'exécution de cette intention ;
et cette sincérité ne se rapporte pas seulement à nos
paroles, mais, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, à toute notre
manière de vivre. Il ne faut pas l'entendre ici dans le sens
restreint où saint Paul lui-même l'emploie quelquefois,
comme synonyme de dire la vérité ou de s'abstenir de fraude,
de ruse, de dissimulation ; mais dans un sens plus étendu,
comme atteignant en effet le but que se propose la simplicité. Ici
donc elle implique, qu'en réalité, nous ne parlons et
n'agissons que pour la gloire de Dieu ; que non seulement toutes nos
paroles y tendent, mais qu'en effet elles y contribuent, que toutes
nos actions suivent un cours égal uniformément subordonné à
ce grand but ; et que, dans toute notre vie nous nous dirigeons
continuellement,
et tout droit, vers Dieu, poursuivant d'un pas ferme notre marche
dans la route de la sainteté, dans les voies de la justice, de
la miséricorde et de la vérité.
Cette
sincérité, l'apôtre la désigne comme étant « devant Dieu »,
ou, plus exactement, comme une sincérité divine ; une «
sincérité de Dieu », pour nous empêcher de la confondre avec la
sincérité des païens (car ils avaient aussi l'idée d'une
certaine sincérité, qui leur inspirait une grande vénération)
et en, même temps pour indiquer quel en est l'objet et le but, comme
de toute autre vertu chrétienne, puisque tout ce qui n'a pas,
au fond, Dieu pour objet, tombe au niveau des « pauvres et
misérables éléments du monde ». En l'appelant « sincérité de
Dieu », il montre aussi qui en est l'auteur, savoir le « Père
des lumières » de qui descend « toute grâce excellente et
tout dont parfait » ; mais il le déclare encore plus nettement
en ajoutant : « non point avec une sagesse charnelle, mais avec
la, grâce de Dieu.
«
Non point avec une sagesse charnelle » : c'est comme s'il disait : «
Nous ne pouvons nous conduire ainsi dans le monde, ni par
quelque force innée de notre intelligence, ni par quelque science
ou quelque sagesse acquise naturellement. Nous ne pouvons
acquérir cette simplicité et pratiquer cette sincérité, ni à
force de bon sens, ni par l'effet d'un bon caractère on d'une bonne
éducation.
Elles
dépassent et toute, notre puissance de résolution et tous nos
préceptes de philosophie. Nous n'y saurions être façonnés,
ni par l'influence des mœurs, ni par l'éducation humaine
la plus raffinée. Et moi Paul, je n'y pouvais atteindre, quels
que fussent d'ailleurs mes avantages, tant que je demeurais dans
la chair, dans mon état de nature, et que mes efforts n'avaient pour
principe que la sagesse charnelle et naturelle ».
Et
certes, si quelqu'un pouvait y atteindre par cette sagesse, Paul
lui-même l'aurait pu : car il nous serait difficile de
concevoir un homme mieux favorisé par les dons de la nature et de
l'éducation : Outre que par sa capacité naturelle il ne le
cédait probablement à aucun de ses contemporains, il avait
encore les avantages que donne l'instruction, avant étudié à
l'école de Tarse, puis aux pieds de Gamaliel qui, pour la
science et l'intégrité, jouissait alors de la plus haute réputation
chez les Juifs.
Et,
quant à l'éducation religieuse, rien ne lui manquait, car il était
« pharisien, fils de pharisien » ayant été élevé dans
cette secte ou profession, la plus exacte du judaïsme. Et, en cela
même, il avait profité plus que tous ceux de son âge, ayant
plus de zèle pour tout ce qu'il croyait être agréable à
Dieu, et « quant à la justice de la loi, il était sans reproche ».
Mais il était impossible qu'il parvînt par là à cette
simplicité, à cette sincérité de Dieu. Tout ce travail fut en
pure perte, comme il le montre bien en s'écriant dans le
sentiment profond et saisissant de son impuissance « Ce qui
m'était un gain je l'ai regardé comme une perte à cause de Christ
; et même je regarde toutes les autres choses comme une perte,
en comparaison de l'excellence de la connaissance de Jésus-Christ,
mon Seigneur ! (Philippiens 3 : 7,8) »
Il
était impossible qu'il parvînt jamais au but, autrement que par
cette excellente connaissance de Jésus-Christ, notre Seigneur,
ou, comme dit notre texte « par la grâce de Dieu ». Par « la
grâce de Dieu », il faut quelquefois entendre cet amour, cette
miséricorde gratuite et imméritée, par laquelle je suis, moi
pécheur, réconcilié avec Dieu, par les mérites de Christ. Mais
ici cette expression désigne plutôt cette efficace de Dieu le
Saint-Esprit qui opère en nous « et la volonté et l'exécution
selon son bon plaisir ». Dès l'instant que la grâce de Dieu, dans
le premier sens, c'est-à-dire son amour rédempteur est
manifesté à nos âmes, la grâce de Dieu, dans le second sens,
c'est-à-dire l'efficace de son Esprit s'exerce en elles. Alors
Dieu nous rend capables d'accomplir, ce qui, « quant à l'homme
», était impossible. Alors nous pouvons bien régler notre
conduite. Nous pouvons par Christ qui nous « fortifie », «
faire toutes choses » dans la lumière et l'efficace de cet amour.
Nous
avons alors, ce que nous n'aurions pu obtenir par la sagesse
charnelle, « le témoignage de notre conscience, que c'est en
simplicité et en sincérité de Dieu que nous nous conduisons en
ce monde ».
Tel
est le vrai fondement de la joie du chrétien ; et d'après cela nous
comprenons sans peine que celui qui a ce témoignage se
réjouisse sans cesse. « Mon âme », peut-il dire, « mon âme
magnifie le Seigneur et mon esprit se réjouit en Dieu, qui est
mon Sauveur». Je me réjouis en Celui qui, par son amour
immérité, par sa tendre et gratuite miséricorde m'a appelé à cet
état de salut dans lequel, par sa puissance, je demeure ferme.
Je me réjouis, car son Esprit rend témoignage à mon esprit,
que je suis racheté par le sang de l'Agneau, et que, par la foi en
Lui, je suis membre du corps de Christ, enfant de Dieu et
héritier du royaume des cieux. Je me réjouis, car ce même Esprit,
en me donnant le sentiment de l'amour de Dieu pour moi, produit
en mon coeur l'amour pour Lui et me donne d'aimer, à cause de
Lui, tout enfant d'Adam, toute âme qu'il a faite. Je me réjouis,
car il me donne d'avoir en moi « les sentiments que
Jésus-Christ à eus » : — la simplicité, par où, dans tous les
mouvements de mon coeur, je ne regarde qu'à Lui ; par où je puis,
dans un constant amour, fixer les regards de mon âme sur Celui
qui m'a aimé et s'est donné Lui-même pour moi ; par où je
n'ai pour but que Lui et sa glorieuse volonté dans tout ce que
je puis faire, dire ou penser ; — la pureté, par où je borne
à Dieu mes désirs, « crucifiant la chair avec ses affections et
ses convoitises », attachant mes affections « aux choses d'en
haut et non à celles qui sont sur la, terre » ; —la sainteté,
par où, recouvrant l'image de Dieu, mon âme est renouvelée à sa
ressemblance ; — et la sincérité de Dieu, par où je dirige
toutes mes paroles et mes actions, de manière à servir à
sa gloire. Oui, je me réjouis et je me réjouirai, car « ma
conscience me rend témoignage par le Saint-Esprit », , par la
lumière dont il l'éclaire sans cesse, que je marche « d'une
manière digne de la vocation que Dieu m'a adressée », que je
m'abstiens « de toute apparence de mal », fuyant le péché comme
on fuit un serpent ; qu'en tant que j'en ai l'occasion, je fais,
selon mon pouvoir, toute sorte de bien à tous les hommes ; que
tous mes pas suivent le Seigneur et que je fais ce qui lui
est agréable. Je me réjouis, car par la lumière du
Saint-Esprit de Dieu, je vois et je sens que toutes mes oeuvres
sont faites en Lui et que c'est même Lui qui fait en moi toutes mes
oeuvres. Je me réjouis, car je vois par cette lumière qui luit
dans mon coeur, que j'ai le pouvoir de marcher dans ses voies, et
que, par sa grâce, je ne m'en détourne ni à droite ni à gauche.
Tel
est le fondement, telle est la nature de cette joie dont un chrétien
adulte se réjouit sans cesse. Et de ce qui a été dit, nous
pouvons tirer aisément une première conséquence :
1°
C'est que cette joie n'est point une joie naturelle. Elle ne vient
d'aucune cause naturelle ; elle n'est pas le fruit d'une
excitation soudaine. Ces causes peuvent produire un élan de joie
passager ; mais le chrétien se réjouit sans cesse. Elle ne
peut s'expliquer par la santé ou le bien-être corporel, par
une constitution saine et robuste ; car elle est toute aussi grande,
peut-être même plus grande que jamais, dans la maladie et dans
la douleur. Plusieurs chrétiens peuvent dire qu'ils n'ont
jamais éprouvé une joie comparable à celle qui remplit leur
âme, lorsque leur corps était presque épuisé par la maladie
et consumé par la douleur. Surtout elle ne saurait être attribuée
à la prospérité terrestre, à la faveur du monde, à
l'affluence des biens temporels ; car c'est lorsque leur foi a
été mise dans la fournaise et éprouvée par toutes sortes
d'afflictions extérieures, que les enfants de Dieu se sont
particulièrement réjouis et même d'une joie ineffable, en Celui
qu'ils aimaient quoique ne le voyant point encore. Et qui se
réjouit jamais plus que ces hommes qui étaient regardés «
comme les balayures du monde », qui erraient çà et là privés de
tout, dans la faim, dans le froid, dans la nudité, souffrant
non seulement les insultes et la moquerie, mais encore les liens et
la prison, et qui montrèrent finalement que « leur vie ne leur
était point précieuse pourvu qu'ils pussent achever leur
course avec joie ».
2°
Une seconde conséquence de ce qui précède c'est que la joie du
chrétien n'est point le fruit d'une conscience aveugle,
incapable de distinguer le bien du mal. Loin de là, cette joie lui
fut étrangère jusqu'à ce que ses yeux fussent ouverts,
jusqu'à ce qu'il eût reçu des sens spirituels, propres à
discerner ce qui est spirituellement bien ou mal. Et maintenant sa
vue est loin de se troubler : jamais elle ne fut plus perçante
; elle est si prompte à voir ce qu'il y a de plus délicat, que
l'homme naturel en est tout étonné. Comme un atome de poussière
est visible dans un rayon de soleil, de même pour celui qui
marche dans la lumière, dans les rayons du Soleil incréé, tout
atome de péché est visible. D'ailleurs il ne ferme plus les
yeux de sa conscience, ; son âme ne connaît plus le sommeil.
Elle a toujours les yeux de l'âme grands ouverts. Pour lui plus «
de mains pliées pour être couché!» plus « de dormir ».
Toujours en sentinelle sur la tour et prêtant l'oreille aux
paroles que son Seigneur lui adresse ; il trouve en cela même
un sujet de joie, il se réjouit continuellement « de voir
Celui qui est invisible ».
3°
Il est aussi bien évident que la joie du chrétien ne vient pas
d'une conscience insensible et comme émoussée. Ce peut être
une source de quelque joie, pour ceux « dont le coeur
destitué d'intelligence est rempli de ténèbres »,
c'est-à-dire endurci, appesanti et sans intelligence spirituelle.
Par suite de cette insensibilité, ils peuvent même trouver de la
joie dans le péché et c'est ce qu'ils appelleront sans doute
liberté ! — et ce n'est pourtant qu'une fatale ivresse,
un engourdissement de l'âme, l'insensibilité stupide d'une
conscience cautérisée ! le chrétien, au contraire, a la
sensibilité la plus exquise et dont jamais il n'aurait pu auparavant
se faire une idée.
Jamais
il n'avait eu une délicatesse de conscience comme celle qu'il a
depuis que l'amour de Dieu règne dans son coeur. C'est encore
pour lui un sujet de joie et de gloire. Dieu a exaucé sa prière
de tous les jours : Oh ! puisse mon âme sensible, fuir à la
première approche du mal que je déteste ! — que ma
conscience soit aussi délicate que la prunelle de l’œil ;
qu'elle sente le moindre attouchement du péché !
Pour
conclure enfin : la joie chrétienne est une joie qui trouve son
aliment à obéir à Dieu, à aimer Dieu et à garder ses
commandements, et non pas toutefois comme pour remplir les conditions
de l'alliance des oeuvres ; comme si, par des oeuvres ou une
justice personnelles, nous avions à obtenir le pardon et la
bienveillance de Dieu ; car nous sommes déjà pardonnés et reçus
en grâce par la miséricorde de Dieu en Jésus-Christ, non pas
comme si, par notre propre obéissance, nous avions à conquérir
la vie la résurrection de la mort du péché : nous avons déjà la
vie par la grâce de Dieu « Lorsque nous étions morts dans nos
péchés, il nous a vivifiés » et maintenant « nous sommes vivants
à Dieu par Jésus-Christ. notre Seigneur ». Mais nous nous
réjouissons de marcher selon l'alliance de grâce, dans un
saint amour et une joyeuse obéissance. Nous nous réjouissons de
savoir qu'étant justifiés par sa grâce « nous n'avons pas
reçu la grâce de Dieu en vain » ; nous nous réjouissons de
ce que Dieu nous ayant réconciliés avec lui-même, non à cause de
notre volonté et de nos efforts propres, mais par le sang de
l'Agneau, nous « courons » revêtus de sa force, « dans la voie
de ses commandements ». Il nous a ceints de force pour le combat et
c'est avec joie que nous combattons « le bon combat de la foi
». Nous nous réjouissons, en Celui qui vit dans nos cœurs par la
foi, « de saisir la vie éternelle ». C'est ici notre joie, que
comme notre « Père agit continuellement » nous aussi (non par
notre force ou notre sagesse, mais par la force de son
Esprit gratuitement donné en Christ), nous agissons, nous
faisons les oeuvres de Dieu. Puisse-t-il opérer en nous tout ce
qui est agréable à ses yeux ! Qu'à Lui soit la gloire aux siècles
des siècles !
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