dimanche 31 juillet 2016

(15) LES SERMONS DE WESLEY LE RENONCEMENT A SOI-MÊME

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Sermon 48 :  (1760)         LE RENONCEMENT A SOI-MÊME

Luc 9,23

Et il disait à tous : si quelqu'un veut venir après moi, qu(il renonce à soi-même, qu'il se charge chaque jour de sa croix et qu'il me suive. (Luc 9:23)

                    Beaucoup de personnes ont supposé que le conseil donné dans notre texte s'appliquait surtout, sinon exclusivement, aux apôtres, peut-être encore aux chrétiens des premiers siècles ou bien en général à ceux qui sont persécutés. Mais c'est là une erreur sérieuse. Car si, dans ce passage, notre Seigneur s'adressait tout spécialement à ses apôtres et aux autres disciples qui le suivaient « pendant les jours de sa chair, (Hébreux 5 : 7) » il parlait aussi par leur intermédiaire à nous tous, à l'humanité entière, sans aucune exception, sans distinction aucune. Il est tout simplement évident et incontestable que le devoir ici prescrit ne regardait pas seulement les apôtres ou les premiers chrétiens. Il n'incombe ni à une classe d'hommes particulière, ni à une époque spéciale, ni à un certain pays. De sa nature il est absolument universel : il s'applique à tous les temps, à toutes les personnes, voire même à toutes les choses, et pas seulement au manger et au boire ou à d'autres objets se rapportant aux sens. La signification de cette parole, la voici : Si quelqu'un, quels que soient son rang, sa, position, sa situation, sa nationalité ou le siècle dans lequel il vit, veut réellement venir après moi, qu'il renonce à soi-même en toutes choses, qu'il se charge de sa croix, quelle qu'en soit la nature, qu'il s'en charge chaque jour, et qu'il me suive.

                    Ce n'est pas une chose de petite importance que de renoncer à nous-mêmes, que de nous charger de notre croix, en acceptant ce devoir dans toute l'étendue du mot. Ce n'est pas seulement une chose désirable, comme certains détails accessoires de la religion. Non : c'est absolument nécessaire, c'est indispensable, soit pour devenir, soit pour demeurer disciple de Jésus. Il le faut absolument, c'est essentiel pour que nous venions après Lui, pour que nous Le suivions ; à tel point que, dans la mesure où nous ne pratiquons pas ce devoir ; nous ne sommes pas ses disciples. Si nous ne renonçons pas sans cesse à, nous-mêmes, c'est d'autres maîtres que nous apprenons ; ce n'est pas de Lui. Si nous ne nous chargeons pas de notre croix chaque jour, ce n'est pas Lui que nous suivons : c'est le monde, c'est le prince de ce monde, c'est notre cœur charnel. Si nous ne marchons pas dans le chemin de la croix, nous ne suivons pas Jésus, nous ne marchons pas sur ses traces : nous Lui tournons le dos, ou tout au moins nous nous écartons de Lui.

                   C'est pour cela que tant de serviteurs de Jésus-Christ, dans tous les temps et dans tous les pays, et surtout depuis que l’Église a été réformée à l'endroit des innovations et des abus qui s'y étaient glissés, ont écrit et parlé aussi fréquemment sur cet important devoir, et l'ont fait dans leurs entretiens particuliers comme dans leurs discours publics. C'est aussi ce qui les a décidés à répandre dans le monde, beaucoup de traités relatifs à ce sujet. Quelques-uns ont été publiés spécialement pour notre peuple. Ces hommes pieux avaient appris, dans les oracles divins et par leur propre expérience, combien il est impossible que nous ne renoncions pas à notre divin Maître que nous ne le reniions pas (En anglais, comme d'ailleurs dans le grec du Nouveau Testament, le même mot signifie renoncer et renier. Renoncer avait autrefois le sens de renier, et la version de Saci l'emploie ainsi. —Trad.), si nous ne voulons pas renoncer à nous-mêmes ; combien il est inutile d'entreprendre de suivre le divin Crucifié, à moins que nous ne nous chargions chaque jour de notre propre croix.

                    Mais ce que nous venons de dire ne conduit-il pas à se demander si, après tout ce qui a été dit et écrit sur le sujet en question, il y a lieu d'en parler ou d'en écrire davantage ? A cet égard, je dirai d'abord que bien des gens, même parmi ceux qui craignent Dieu, n'ont pas eu l'occasion d'entendre ce qui a été dit ou de lire ce qui a, été écrit relativement à ce devoir. Et puis, s'ils avaient lu une bonne partie de ce qui a été écrit sur cette matière, peut-être n'y auraient-ils pas gagné grand-chose ; car beaucoup de ceux qui ont composé ces ouvrages, dont quelques uns font de gros volumes, semblent n'avoir guère compris leur sujet : Ou bien ils n'avaient pas saisi complètement la nature même de ce devoir, et, dans ce cas, ils ne pouvaient l'expliquer à d'autres ; ou bien ils en ignoraient toute la portée ; ils ne voyaient pas « combien ce commandement est d'une grande étendue (Psaume 119 : 96)  ». ou bien peut-être encore n'en sentaient-ils pas la nécessité absolue, le caractère indispensable. Il en est qui parlent de cela, d'une façon si obscure, si embarrassée, si enchevêtrée, si mystique ; qu'on dirait qu'ils ont voulu le cacher au commun de l'humanité au lieu d'en instruire la masse des lecteurs. D'autres parlent admirablement bien, avec beaucoup de force et de clarté, de la nécessité du renoncement à soi-même ; mais ils s'en tiennent à des généralités, ils n'en viennent pas aux cas particuliers, et ainsi ne rendent presque aucun service au gros de l'humanité, aux gens de capacité moyenne et d'instruction ordinaire. Il s'en trouve aussi qui entrent bien dans les détails, mais c'est pour résoudre des cas exceptionnels qui ne sauraient intéresser le grand nombre, puisqu'ils se présentent rarement, si toutefois ils se présentent dans la vie ordinaire : par exemple l'emprisonnement ou les tortures, ou bien l'abandon absolu, littéral, de nos maisons et de nos terres, de nos maris ou de nos femmes, de nos enfants, de notre vie elle-même, toutes choses auxquelles nous ne sommes pas appelés et auxquelles nous ne serions exposés que si Dieu permettait le retour des temps de persécution. En somme, je ne connais aucun écrivain anglais qui ait exposé la nature du renoncement là soi-même d'une manière claire et simple, qui soit au niveau des intelligences ordinaires et qui embrasse les petits détails de la vie journalière. Un discours sur ce sujet est donc nécessaire, d'autant plus nécessaire que, dans toutes les phases de la vie spirituelle, bien qu'il se présente une grande variété de circonstances qui empêchent que nous recevions la grâce de Dieu ou que nous croissions dans cette grâce, elles s'expliquent toutes par l'une ou l'autre de ces deux causes : ou bien nous ne renonçons pas à nous-mêmes, ou bien nous ne nous chargeons pas de notre croix.

                    Afin de combler cette lacune en quelque mesure, je vais m'efforcer de montrer : premièrement, ce que c'est que de renoncer à soi-même et de se charger de sa croix ; secondement, que si un homme n'est pas complètement disciple de Jésus-Christ, cela tient à ce qu'il n'accomplit pas son devoir.

I

                    Je veux, d'abord, essayer d'expliquer ce que c'est que de « renoncer à soi-même et se charger de sa croix ». Ce point doit, plus que tout autre, être examiné, et bien éclairci, attendu qu'il soulève plus que tout autre l'opposition d'ennemis nombreux et puissants. La nature humaine tout entière proteste contre cet enseignement, comme par un instinct de conservation personnelle : le monde, de même, tous ceux qui sont conduits non par la grâce, mais par leur propre nature, ne veulent point en entendre parler. Il va sans dire que le grand adversaire de nos âmes, qui connaît parfaitement l'importance de cet enseignement, ne peut manquer de faire tout son possible pour le renverser. Ce n'est pas tout : ceux-mêmes qui ont, en quelque mesure, secoué le joug du diable et qui, dans ces derniers temps par exemple, ont vu s'accomplir dans leur âme une œuvre sérieuse de la grâce divine, même ceux-là n'éprouvent aucune sympathie pour cette doctrine capitale du christianisme que, pourtant, leur divin Maître a si fortement accentuée. Il y en a dont l'ignorance à cet égard est si profonde, si absolue, qu'il semblerait que la Bible ne dit pas un mot de ces choses. 

                    D'autres sont encore plus éloignés du but, puisque sans s'en douter ils ont conçu des préventions très arrêtées contre cette doctrine. Ces préventions, ils les doivent en partie à des chrétiens de nom, d'apparence, gens qui parlent bien, qui ont une bonne tenue, qui ont tout de la piété sauf la force, qui possèdent de la religion tout, excepté son esprit ; en partie aussi, à certains chrétiens qui ont autrefois, comme ils ne le font plus maintenant, « goûté les jouissances à venir (Hébreux 6 : 5)  ». — Mais, direz-vous, y a-t-il vraiment des chrétiens qui ne pratiquent pas le renoncement à eux-mêmes et ne le recommandent pas aux autres ? » Ce serait bien mal connaître le genre humain que de poser ainsi la question. Il y a, en effet, des quantités de gens qui se contentent de ne pas attaquer cette doctrine en face. N'allons pas plus loin que Londres. Voyez la masse des adeptes de la prédestination que Dieu, dans sa grande miséricorde, a fait récemment passer de leurs ténèbres naturelles à la lumière de la foi. Sont-ils des modèles de renoncement à soi même ? Combien peu d'entre eux font même profession de pratiquer tant soit peu ce devoir ! Combien peu d'entre eux l'inculquent à d'autres ou sont heureux qu'on le leur inculque ! N'est-il pas vrai plutôt qu'ils représentent de la façon la plus défavorable le renoncement à soi-même, comme si c'était « le salut par les œuvres », et « chercher à établir sa propre justice ? (Romains 10 : 3) » Et avec quel empressement les antinomiens de toute nuance depuis le morave doucereux jusqu'à l'exalté bruyant et profane, font écho à cette clameur et y joignent leur sotte et folle accusation de légalisme (Attachement exagéré à la loi) et de « prêcher la loi ». 

                    Ainsi on est toujours exposé à être détourné de cette importante doctrine de l’Évangile, soit par les sophismes, soit par les bravades, soit par le ridicule, armes qu'emploient tour à tour les faux docteurs et les faux frères qui se sont plus ou moins écartés de « la simplicité qui est en Christ (2Corinthiens 11 : 3) ; » ou bien il faut qu'on soit bien affermi sur ce point. Que nos prières les plus ferventes précèdent donc, accompagnent et suivent ce que vous allez lire, de sorte que cela soit écrit dans vos cœurs « du doigt de Dieu » (Exode 31 : 18) lui-même et de façon à n'en être jamais effacé !

                        Mais qu'est-ce que le renoncement à soi-même, ? En quoi devons-nous renoncer à nous-mêmes ? D'où vient la nécessite de ce renoncement ? Voici ma réponse. La volonté de Dieu est la règle suprême et immuable de tout être intelligent, et elle est tout aussi obligatoire pour les anges du ciel, sans exception, que pour tous les hommes qui sont sur cette terre. Il ne saurait en être autrement ; car telle est la conséquence ; naturelle et nécessaire des rapports qui unissent la créature à son créateur. Mais si la volonté de Dieu doit être notre règle de conduite en toutes choses, dans les petites comme dans les grandes, il s'ensuit incontestablement que nous ne devons plus, dans aucun cas, faire notre volonté propre. Du même coup nous apercevons ici quelle est la vraie nature du renoncement à soi-même et quelles sont ses bases et sa raison d'être. Quant à sa nature, c'est de renoncer à faire notre propre volonté, de refuser même de la faire, et cela parce que nous sommes convaincus que c'est la volonté de Dieu qui doit être pour nous l'unique règle de conduite. La raison d'être de ce devoir se trouve dans le fait que nous sommes des créatures de Dieu : "C'est Lui qui nous a formés ; ce n'est pas nous qui nous sommes faits (Ps 100 : 3)".

                    Ce motif pour renoncer à soi-même doit être également valable, qu'il s'agisse des anges du ciel ou de l'homme innocent et saint, tel enfin qu'il sortit des mains de son créateur. Mais nous trouvons une raison de plus pour accepter ce devoir, dans la situation où se trouve l'humanité depuis sa chute. Actuellement nous pouvons dire tous : « Voilà, j'ai été formé dans l'iniquité, et ma mère m'a conçu dans le péché (Psaume 51 : 7). Toutes les facultés, toutes les forces vives de notre nature sont entièrement dépravées. Notre volonté, corrompue elle aussi, emploie tout son ressort uniquement en vue de satisfaire nos penchants mauvais. D'un autre côté, Dieu veut que nous luttions contre cette dépravation, que nous la surmontions, non seulement sur tel ou tel point et à tel ou tel moment, mais en tout et toujours. Voilà donc un motif de plus pour renoncer continuellement et en tout à nous-mêmes.

                     Mais éclaircissons encore mieux ces principes. La volonté de Dieu est comme un chemin qui mène droit à Lui. La volonté humaine, qui à l'origine était parallèle à celle de Dieu, est devenue comme un chemin tout à fait distinct et dont la direction n'est pas seulement différente, mais totalement opposée, à prendre les choses telles qu'elles sont maintenant ; de fait, c'est un chemin qui éloigne de Dieu. Pour marcher dans l'une de ces deux voies, il faut nécessairement sortir de l'autre ; car nous ne pouvons les suivre toutes les deux en même temps. L'homme dont le cœur est lâche et dont les mains sont faibles, pourra bien marcher dans deux chemins différents, suivant tantôt l'un, tantôt l'autre ; mais il ne saurait marcher en même temps dans les deux ; il ne peut au même moment faire sa propre volonté et se conformer à celle de Dieu. Il faut donc qu'il choisisse, qu'il renonce à la volonté divine pour accomplir la sienne, ou bien qu'il renonce à lui-même pour obéir à la volonté de Dieu.

                    Il est vrai que, sur le moment, il est bien plus agréable de faire notre propre volonté et d'accorder successivement à notre nature déchue toutes les satisfactions qu'elle réclame. Mais, chaque fois que nous agissons ainsi, nous confirmons d'autant le dérèglement de notre volonté ; et, en satisfaisant les mauvais penchants de notre nature, nous ne faisons qu'en augmenter la dépravation. C'est ainsi qu'en prenant certains aliments qui plaisent à notre palais, il nous arrive souvent d'empirer une maladie : un de nos goûts est satisfait, mais le mal s'est accru ; nous nous sommes accordé un plaisir ; mais il faudra le payer de notre vie.

                    En résumé, renoncer à nous-mêmes, c'est renoncer à notre volonté toutes les fois qu'elle ne coïncide pas avec celle de Dieu, et quel que soit le plaisir que nous aurions à faire la nôtre. C'est donc renoncer à toute jouissance qui ne vient pas de Dieu et ne ramène pas à Lui : ce qui revient à dire que nous refuserons de quitter le chemin où nous sommes appelés à marcher, même s'il s'agit d'entrer dans un sentier attrayant et bordé de fleurs ; nous refuserons de prendre ce que nous savons être un poison mortel, bien que le goût en soit agréable.

                    Quiconque voudra suivre Jésus-Christ, voudra être un de ses vrais disciples, devra non seulement renoncer à lui-même, mais aussi se charger de sa propre croix. Une croix, c'est tout ce qui est en opposition avec notre volonté, tout ce qui déplaît à notre nature déchue. Ainsi, nous charger de notre croix est quelque chose de plus que renoncer à nous-mêmes ; c'est monter d'un degré, c'est un effort plus pénible pour la chair et le sang ; car il est plus facile de renoncer à un plaisir que d'endurer une souffrance.

                    Mais si nous voulons « poursuivre constamment la course qui nous est proposée (Hébreux 12 : 1) », et marcher selon la volonté de Dieu, nous rencontrerons souvent une croix en travers de notre chemin, c'est-à-dire quelque chose qui non seulement n'est pas agréable, mais est même très fâcheux, quelque chose qui contrarie notre volonté et déplaît à notre nature. Que faire alors ? Il n'y a qu'à choisir : ou bien nous charger de notre croix, ou bien nous détourner du chemin de Dieu, « du saint commandement qui nous a été donné (2Pierre 2 : 21) », peut-être même nous arrêter tout à fait et reculer pour nous perdre éternellement.

                     Pour arriver à nous guérir du péché, de ce mal pernicieux que tout homme apporte avec lui en venant au monde, il faudra souvent que nous arrachions un œil droit, que nous coupions une main droite, ce qui veut dire que la chose à faire est fort pénible, ou bien que c'est la façon de l'accomplir qui est douloureuse. C'est peut-être le sacrifice d'un caprice vain ou d'une affection déréglée, ou bien l'abandon de ce qui en était l'objet, abandon sans lequel cette passion ne saurait être vaincue. Dans le premier cas, l'extirpation de ce désir insensé, de cette affection folle, quand ils ont jeté de profondes racines en nous, est souvent comme une épée aiguë qui « atteint jusqu'au fond de l'âme et de l'esprit, des jointures et des moelles (Hébreux 4 : 12)  ». C'est alors que l’Éternel s'assied dans notre âme comme celui qui l'affine par le feu et en consume toute l'écume. C'est bien là une croix ; car c'est essentiellement douloureux, et il est dans la nature même des choses qu'il en soit ainsi. L'âme ne peut pas se déchirer ou passer par la fournaise sans souffrir.

                    Dans le second cas, il est évident que le procédé employé pour guérir une âme du péché, pour la débarrasser d'un vain caprice ou d'une affection déréglée, peut être souvent fort pénible ; mais cela ne vient pas tant du moyen employé que de la nature même de la maladie. Quand, par exemple, notre Seigneur dit au jeune homme riche : « Va ; vends tout ce que tu as, et le donne aux pauvres (Marc 10 : 21) » (et il lui commanda cela parce qu'il savait que c'était l'unique moyen de le guérir de son avarice), la seule pensée de ce sacrifice lui causa tant de douleur qu' « il s'en alla tout triste (Marc 10 : 22) », préférant abandonner l'espérance du ciel plutôt que ses biens terrestres. Ce fut là le fardeau qu'il ne voulut pas soulever, la croix dont il ne voulut pas se charger. D'ans l'un ou l'autre cas, il faudra très certainement que celui qui veut suivre Jésus se charge de sa croix chaque jour.

                    Se charger de sa croix n'est pas tout à fait la même chose que porter sa croix. A proprement parler, nous portons notre croix lorsque nous endurons avec patience et résignation une chose qui nous est imposée  sans que nous ayons été consultés. Mais pour que nous nous chargions de notre croix, il faut que nous souffrions volontairement ce que nous pourrions éviter de souffrir ; c'est choisir librement la volonté de Dieu, bien qu'elle soit opposée à la nôtre ; c'est choisir ce qui est pénible, et le choisir parce que c'est là la volonté de notre Créateur qui est à la fois sage et bon.

                    C'est ainsi qu'il convient que tout disciple de Christ prenne et porte sa croix. Dans un certain sens, sans doute, elle n'est pas seulement la sienne ; elle est commune à lui et à beaucoup d'autres, puisqu' « aucune tentation ne vous survient qui ne soit une tentation humaine » , (1Corinthiens 10 : 13), c'est-à-dire commune aux hommes, inhérente et adaptée à la nature humaine ordinaire et à ses rapports avec le monde où nous vivons. Mais, dans un autre sens et en tenant compte de tous les détails, c'est bien la sienne que cette croix ; elle lui est particulière ; Dieu la lui a préparée et la lui donne comme un gage de son amour. Et s'il la reçoit comme telle ; si, après avoir employé, pour en alléger le poids, les moyens qu'autorise la sagesse chrétienne, il demeure comme l'argile entre les mains du potier, il éprouvera que Dieu a tout réglé et arrangé en vue de son bien, tant la nature de cette épreuve que sa mesure et son intensité, sa durée et toutes les autres circonstances accessoires.

                    Il doit nous être facile de nous représenter notre bon Sauveur agissant en tout cela comme le médecin de nos âmes, agissant ainsi non pour son plaisir, mais « pour notre profit, afin de nous rendre participants de sa sainteté (Hébreux 12 : 10)  ». Si, en sondant nos blessures, il nous fait souffrir, ce ne peut être qu'en vue de nous guérir. Il ampute ce qui est gangrené et perdu, afin de conserver ce qui est bien portant. Et puisque nous acceptons volontiers la perte d'un membre, plutôt que de laisser périr le corps entier, combien ne devrions-nous pas préférer couper notre main droite, figurativement parlant, plutôt que d'exposer notre âme à être jetée tout entière en enfer !

                     Voilà donc bien nettement devant nous la vraie nature et la raison d'être de ce devoir : nous charger de notre croix. Cela ne signifie pas qu'il faut nous macérer, comme disent quelques-uns, nous déchirer la chair, porter un cilice ou une ceinture de fer, ou toute autre chose qui est de nature à compromettre notre santé. Il est possible que Dieu tienne compte de l'intention de ceux qui font ces choses par pure ignorance. Mais notre devoir consiste à accepter la volonté de Dieu, bien qu'elle soit contraire à la nôtre ; à prendre un remède qui, s'il est amer, est salutaire ; à endurer volontiers des souffrances temporaires, quelle qu'en soit la nature, quelle qu'en soit la mesure, dès qu'elles sort nécessaires, soit absolument, soit accessoirement ; pour notre bonheur éternel.

II

                    Je veux démontrer, en second lieu, que si un homme ne suit pas entièrement Jésus, n'est pas même son disciple, cela vient toujours ou de ce qu'il ne renonce pas à lui-même ou de ce qu'il ne se charge pas de sa croix.

                    Sans doute, cela pourrait aussi provenir dans certains cas de l'absence des moyens de grâce, de ce qu'on est privé d'une prédication vivante et puissante de la parole de Dieu, ou de la participation aux sacrements, ou de l'association avec des chrétiens. Mais là où ces secours ne font pas défaut, ce qui met le plus d'empêchement à ce que nous recevions la grâce de Dieu et grandissions dans cette grâce, c'est toujours le fait que nous ne renonçons pas à nous-mêmes et que nous ne nous chargeons pas de notre croix.

                    Pour éclaircir ce point, prenons quelques exemples. Un homme a entendu cette parole « qui peut sauver son âme (Jacques 1 : 21)  ». Il approuve ce qu'il a entendu, il en reconnaît la vérité, il en est même un peu touché ; mais il reste « mort dans ses fautes et dans ses péchés (Éphésiens 2 : 1) », indifférent et endormi. Pourquoi cela ? Parce qu'il ne veut pas rompre avec son péché favori, bien qu'il sache que c'est une abomination devant l’Éternel. Pendant qu'il écoutait la parole de Dieu, son âme était pleine de convoitise et de mauvais désirs ; et il n'a pas voulu s'en séparer. Aussi les impressions produites chez lui sont-elles sans profondeur et son cœur insensé s'endurcit ; il demeure endormi et indifférent, parce qu'il n'a pas voulu renoncer à lui-même.

                    Mais supposons qu'il ait commencé à se réveiller, que ses yeux se soient entr'ouverts, pourquoi donc se referment-ils si vite ? Pourquoi retombe-t-il dans son sommeil de mort ? Parce qu'il a cédé de nouveau à son péché favori ; de nouveau, il a bu ce délicieux poison. Voilà pourquoi son âme ne reçoit point d'impressions profondes. Il retombe dans son engourdissement fatal, parce qu'il ne veut pas renoncer à Iui-même.

                    Mais il n'en est pas ainsi dans tous les cas. Il y a beaucoup d'hommes qui, une fois réveillés, ne se rendorment plus. Les impressions qu'ils ont reçues ne s'effacent pas ; non seulement elles sont profondes, mais elles sont durables. Et pourtant, plusieurs d'entre eux ne trouvent pas ce qu'ils cherchaient. Ils pleurent et ne sont pas consolés. D'où vient cela ? De ce qu'ils « ne portent pas des fruits convenables à la repentance (Matthieu 3 : 8) », de ce qu'avec le secours de la grâce qu'ils ont reçue, ils n'ont pas « cessé de mal faire et appris à bien faire (Esaïe 1 : 16,17)  ». Ils n'ont pas abandonné, le péché qui les enveloppe aisément, celui qui tient leur tempérament, à leur éducation ou à leur profession. Ou bien, peut-être, c'est qu'ils négligent de faire le bien qu'ils pourraient faire et qu'ils savent qu'ils devraient faire, et le négligent parce que cela entraînerait certains ennuis. Ils n'arrivent pas à la foi parce qu'ils ne veulent pas renoncer à eux-mêmes, parce qu'ils ne veulent pas se charger de leur croix.

                    Mais voici un homme qui a « goûté le don céleste et les puissances du siècle à venir (Hébreux 6 : 4,5) », qui a vu « la lumière de la gloire de Dieu sur la face de Jésus Christ (2Corinthiens 4 : 6 — d'après la version anglaise) ; » « la paix de Dieu qui surpasse tonte intelligence (Philippiens 4 : 7) » a rempli son cœur et son esprit ; « l'amour de Dieu a été répandu dans son cœur par le Saint-Esprit qui lui a été donné (Romains 5 : 5) ». Et cependant il est devenu faible comme les autres hommes ; de nouveau ; il a pris goût aux choses de la. terre, et il a plus d'inclination pour les visibles que pour les invisibles ; les yeux de son esprit se sont refermés, de telle sorte qu'il ne voit plus « Celui qui est. invisible (Hébreux 11 : 27) ; » son amour s'est refroidi, et la paix de Dieu ne remplit plus son cœur. Il n'y a là rien d'étonnant ; car il a de nouveau « donné lieu a diable (Éphésiens 4 : 27) », et « attristé le Saint-Esprit de Dieu (Éphésiens 4 : 30)  ». Il est retourné à ses égarements, à quelque péché attrayant : s'il ne l'a pas fait visiblement, il l'a fait par le cœur. Il s'est laissé aller à l'orgueil, ou à la colère, ou à quelque convoitise, ou bien à sa volonté charnelle et à la rébellion. Peut-être a-t-il oublié de faire revivre le don de Dieu qui était en lui ; peut-être a-t-il ouvert la porte à l'indolence spirituelle et n'a pas voulu prendre la peine de « prier sans cesse, (1Thessaloniciens 5 : 17) » et de « veiller à cela avec persévérance (Éphésiens 6 : 18)  ». Et c'est ainsi qu'il a fait naufrage de la foi, pour n'avoir pas renoncé à lui-même et ne s'être pas chargé de sa croix de jour en jour.

                    Mais peut-être n'a-t-il pas fait naufrage de la foi ; peut-être possède -t il en quelque, mesure cet Esprit d'adoption qui témoigne avec son esprit qu'il est enfant de Dieu. Quoi qu'il en soit ; il est certain qu'il ne « tend » plus « à la perfection (Hébreux 6 : 1) ; » il n'est pas, comme jadis, affamé et altéré de justice ; il ne soupire pas après une ressemblance entière avec Dieu, après une pleine jouissance de Dieu, comme le cerf après les eaux courantes. Il est bien plutôt las et découragé ; il semble suspendu entre la vie et la mort.

                    Pourquoi se trouve-t-il dans cet état ? C'est parce qu'il a oublié cette parole du Seigneur : « Par ses œuvres sa foi fut rendue parfaite (Jacques 2 : 22)  ». Il ne s'applique plus diligemment à faire les œuvres de Dieu. Il n'est plus « persévérant dans la prière (Romains 12 : 12) », en particulier comme en public. Il néglige la sainte Cène, la prédication, la méditation, le jeûne, les entretiens religieux. S'il n'a pas abandonné, l'emploi de ces moyens de grâce, du moins il en use sans entrain. Peut-être s'est-il relâché dans les œuvres de charité comme dans celles de piété ; il n'exerce plus la libéralité selon son pouvoir, selon les ressources que Dieu lui donne. Il ne sert plus le Seigneur en faisant du bien aux hommes, de toutes manières et dans tous les sens, tant au corps qu'à l'âme. Mais pourquoi s'est-il relâché dans la prière ? Parce que, dans les moments de sécheresse spirituelle, il éprouvait de la difficulté et comme une souffrance à prier. Il néglige les services de prédication, parce qu'il aime à dormir, ou bien parce qu'il fait froid ou obscur, ou bien parce qu'il pleut. Pourquoi délaisse t-il les œuvres de charité ? Parce que, pour nourrir ceux qui ont faim ou vêtir ceux qui sont nus, il devrait diminuer ses dépenses de toilette, et se contenter d'une nourriture plus simple et de mets moins coûteux. Et puis, la visite des malades ou des prisonniers entraîne plusieurs désagréments. Il en est de même pour la plupart des devoirs spirituels imposés par la charité, par exemple lorsqu'il s'agit de reprendre quelqu'un : Cet homme. reprendrait bien son prochain ; mais un jour c'est la fausse honte, un autre,jour c'est la crainte qui l'arrête ; ne va-t-il pas s'exposer non seulement au mépris, mais à des ennuis bien plus graves encore ? Pour ces raisons-là et pour d'autres qui ne valent pas mieux, il s'abstient, partiellement ou totalement de pratiquer les œuvres de charité et de piété. Ainsi sa foi n'est pas rendue parfaite, et il ne croît pas dans la grâce, parce qu'il ne veut pas renoncer lui-même, ni se charger de sa croix.

                    Nous concluons donc que c'est parce qu'un homme refuse de renoncer à lui-même et de se charger de sa croix, qu'il ne peut pas suivre fidèlement le Seigneur, qu'il n'est pas un disciple dévoué de Jésus. C'est à cause de cela que celui qui est mort dans ses péchés ne se réveille pas, bien que la trompette sonne ; c'est pour cela que celui qui avait commencé à se réveiller n'a pourtant pas des convictions profondes et durables ; c'est pour cela que tel autre qui était sérieusement et profondément convaincu du péché, n'obtient pas le pardon ; c'est pour cela que d'autres qui avaient reçu ce don céleste, ne l'ont pas conservé et ont fait naufrage de la foi ; c'est pour cela, enfin, que quelques-uns, s'ils ne reculent pas pour se perdre, sont en tous cas las et découragés et ne courent plus « vers le but, vers le prix de la vocation céleste de Dieu en Jésus Christ (Philippiens 3 : 14)  ».

III

                     Combien ce que nous venons de dire montre clairement que ceux qui, soit directement, soit indirectement, en public ou en particulier, s'opposent à la doctrine du renoncement, à soi-même de la croix à porter chaque jour, ne connaissent ni les Écritures ni la puissance de Dieu ! Il faut que ces hommes ignorent absolument cent textes de la Bible qui ont rapport à ce sujet, aussi bien que la portée générale des oracles divins. Il faut qu'ils ne sachent rien des expériences les plus vraies, les plus authentiques du chrétien, et de la façon dont le Saint-Esprit a de tout temps opéré, et opère encore à cette heure ; dans le cœur des hommes. Ils pourront, à la vérité, parler très haut, avec beaucoup d'assurance, comme cela, arrive naturellement là où il y a ignorance, parler comme s'ils étaient seuls à comprendre la Parole de Dieu et l'expérience chrétienne ; mais leurs discours sont, à tous égards, des paroles vaines : ils ont été pesés dans la balance et trouvés légers.

                       Nous apprenons également par ce qui précède pourquoi tant d'individus, et même d'associations, qui jadis étaient autant de flambeaux allumés et brillants, ont maintenant perdu leur lumière, et leur chaleur. Ils n'ont peut-être pas haï et combattu ce précieux enseignement de l'Évangile, mais à coup sûr ils en ont fait peu de cas. Ils n'ont peut-être pas, comme quelqu'un, dit fièrement : Abnegationem omnem proculcamus, internecioni damus ; « nous foulons aux pieds tout renoncement et le vouons à la destruction ». Mais ils n'ont pas su voir toute l'importance de ce grand devoir, et ne se sont pas mis en peine de le pratiquer. Hanc mystici docent ; « les écrivains mystiques le prêchent », disait encore, ce même auteur, homme aussi pernicieux que grand ! Non ! lui répondons-nous ; ce sont les écrivains sacrés qui l'enseignent ; c'est Dieu lui-même qui le prêche à toute âme qui veut écouter sa, voix.

                     Mais nous devons aussi conclure de ces vérités qu'il ne suffit point qu'un ministre de l'Évangile ne combatte pas cette doctrine du renoncement à soi même ou qu'il n'en dise rien. Il ne suffirait même pas qu'il se contentât de dire, quelques mots pour l'appuyer. Pour être net du sang de tous les hommes, il faut qu'il en parle fréquemment et amplement ; il faut qu'il en inculque la nécessité de la façon la plus nette et la plus énergique ; il faut qu'il y insiste : de toutes ses forces, auprès de tout le monde, en tout temps, en tout lieu, « commandement après commandement, commandement après commandement, ligne après ligne, ligne après ligne (Esaïe 28 : 10)  ». Alors seulement il aura une conscience, sans reproche et « pourra se sauver lui-même avec ceux qui l'écoutent (1Timothée 4 : 16)  ».

                     En dernier lieu, que chacun de vous fasse l'application de ces vérités à sa propre âme. Méditez-les quand vous êtes seuls ; pesez-les dans vos cœurs. Tâchez non seulement de les bien comprendre, mais de vous en souvenir jusqu'à la fin de votre vie. Implorez Celui qui est fort, afin qu'il vous fortifie, et que vous n'ayez pas plus tôt compris votre devoir qu'aussitôt vous l'accomplirez. Ne renvoyez pas à plus tard, mais mettez tout de suite en pratique. Oui, pratiquez ceci en toutes choses, dans les mille occasions que nous offrent les circonstances variées de notre existence. Pratiquez-le chaque jour, sans interruption, depuis le moment où vous avez mis la main à la charrue et jusqu'à ce que la fin arrive, jusqu'à l'heure où votre esprit retournera à Dieu !


vendredi 29 juillet 2016

(14) LES SERMONS DE WESLEY L'ACCABLEMENT RÉSULTANT DES ÉPREUVES

Numérisation Yves PETRAKIAN Copie autorisée pour diffusion gratuite uniquement Obligation d'indiquer la source http://456-bible.123-bible.com

 Sermon 47 :  (1760)         L'ACCABLEMENT RÉSULTANT DES ÉPREUVES

1 Pierre 1:6    

Quoique maintenant, attristés (1) pour un peu de temps par diverses épreuves.  (1 Pierre 1:6 )
  
(1) Dans la version anglaise il y a appesantis, et J. Wesley a intitulé son discours : L'appesantissement par diverses tentations. Le mot appesantissement rappelle l'abattement, l'accablement qui accompagnent un violent chagrin ou des afflictions prolongées. (Trad.)

                    Dans le discours qui précède, j'ai parlé tout spécialement de cet obscurcissement de l'âme qu'on observe fréquemment chez des personnes qui marchaient autrefois à la clarté de la face du Seigneur. Il y a beaucoup de rapport entre cet état et un certain accablement moral qui se rencontre encore plus souvent, même parmi ceux qui ont cru. De fait, presque tous les enfants de Dieu éprouvent cela, les uns plus, les autres moins. Ces deux états d'âme se ressemblent tellement qu'on les confond assez souvent et qu'on dit indifféremment d'un homme : « Il passe par l'obscurité » ; ou bien : « Il passe par l'accablement ». On fait comme si ces expressions étaient équivalentes, comme si elles disaient exactement la même chose. Mais il s'en faut de beaucoup qu'il en soit, ainsi. L'obscurcissement de l'âme est une chose, et son accablement en est une autre. Non seulement il y a une différence entre ces deux situations ; mais c'est une différence profonde, essentielle. La distinction à faire entre les deux est de telle nature qu'il importe que tous les enfants de Dieu la comprennent, sans cela, rien de plus facile que de glisser de l'accablement dans les ténèbres.

                    Afin d'écarter ce danger, je vais essayer d'indiquer d'abord, à quelle classe de personnes l'apôtre dit : « Vous êtes maintenant attristés (ou accablés) » ; en second lieu, de quel genre était leur accablement ; en troisième lieu, quelles en étaient les causes ; quatrièmement, dans quel but cela leur arrivait ; et, enfin, je tirerai quelques conclusions du tout.

I

                    Cherchons d'abord à quelle classe de personnes l'apôtre disait. : « Vous êtes maintenant attristés (ou accablés.) » Il est, en tout cas, évident que ces personnes avaient la foi, à l'époque où saint Pierre leur adressait ces paroles ; car il le dit positivement au verset 5 : « Vous qui êtes gardés par la puissance de Dieu, par la foi, pour obtenir le salut ». Et de nouveau, au verset 7, il dit : « L'épreuve de votre foi qui est beaucoup plus précieuse que l'or périssable ». Dans le verset 9 également : « Remportant le prix de votre foi qui est le salut des âmes ». Ainsi, tout en étant dans l'accablement, ces personnes possédaient une foi vivante ; cette profonde tristesse n'anéantissait pas leur foi ; « elles demeuraient fermes, comme voyant celui qui est invisible (Hébreux 11 : 27).

                    Leur accablement ne leur avait pas non plus fait perdre leur paix, celle « paix de Dieu qui surpasse toute intelligence (Philippiens 4 : 7) », et qui est inséparable d'une foi sincère et vivante. Cela découle tout naturellement du second verset de ce chapitre, où l'apôtre demande à Dieu pour ces chrétiens, non pas que la grâce et la paix leur soient données, mais qu'elles leur soient multipliées, c'est-à-dire que les bénédictions dont ils jouissaient déjà leur fussent accordées encore plus abondamment.

                     Ceux à qui saint Pierre s'adresse ici possédaient également une espérance vivante. Car il écrit, au verset 3 : « Béni soit le Dieu et le Père de notre Seigneur Jésus-Christ qui, selon sa grande miséricorde, nous a fait renaître », vous et moi, tous ceux qui « sont, sanctifiés par L'Esprit et ont part à l'aspersion du sang de Jésus-Christ » , (verset 2) « en nous donnant une espérance vive (ou vivante) de posséder l'héritage qui ne se peut ni corrompre, ni souiller, ni flétrir ». Malgré leur accablement, ces chrétiens conservaient donc une espérance immortelle.

                    Ils avaient aussi la joie, « se glorifiant dans l'espérance de la gloire de Dieu (Romains 5 : 2)  ». Ils étaient remplis de joie par le Saint-Esprit. Aussi l'apôtre, ayant parlé du moment « où Jésus-Christ paraîtra » (verset 7), c'est-à-dire où il viendra, à la fin, pour juger le monde, ajoute aussitôt « En qui vous croyez, quoique vous ne le voyiez pas encore », des yeux de votre corps, « et en croyant, vous vous réjouissez d'une joie ineffable et glorieuse » (verset 8). Cet accablement de la tristesse n'excluait conséquemment ni une espérance vive, ni une joie ineffable. Ils étaient tout à la fois attristés et, pleins d'une joie glorieuse.

                    Au sein de cet accablement moral, ils jouissaient cependant encore de l'amour de Dieu répandu dans leur cœur. « Lequel vous aimez, quoique vous ne l'ayez pas vu », dit saint Pierre (verset 8). Quoique vous ne l'ayez pas vu face à face, leur dit-il, vous avez appris à le connaître par la foi, et vous avez obéi à sa parole : « Mon fils, donne-moi ton cœur ! (Proverbe 23 : 26) » Il est votre Dieu, l'objet de votre amour, le désir de vos yeux, votre « très grande récompense » Vous avez cherché et trouvé votre bonheur en lui ; vous « prenez votre plaisir en l’Éternel, et il vous accorde les demandes de votre cœur (Psaume 37 : 4).

                    Il reste à ajouter ceci. Tout en étant accablés, ils demeuraient saints, ils conservaient le même ascendant sur le péché. A l'égard du péché, ils étaient encore et toujours « gardés par la puissance de Dieu (verset 5) ; » ils étaient « comme des enfants obéissants, ne se conformant point aux convoitises d'autrefois (verset 14) ; » et, « comme celui qui les avait appelés est saint », eux aussi de même étaient « saints dans toute leur conduite (verset 15)  ». « Sachant qu'ils avaient été rachetés par le précieux sang de Christ, comme de l'Agneau sans défaut : et sans tache (verset 18) », ils avaient, par la foi et l'espérance qu'ils mettaient en Dieu, « purifié leurs âmes en obéissant à la vérité par l'Esprit (verset 22)  ». Voilà donc, en résumé, une tristesse, un accablement qui n'empêchent pas la foi, l'espérance, l'amour de Dieu et du prochain, la paix de Dieu, la joie du Saint-Esprit, la sainteté au dedans et au dehors. Cet état n'anéantissait pas l'œuvre de Dieu dans l'âme de ces chrétiens, ne la dégradait en rien. Cela ne nuisait point chez eux à cette sanctification par l'Esprit qui est la racine de toute vraie obéissance à Dieu ; cela ne leur ôtait même pas ce bonheur qui découle nécessairement de la grâce et de la paix du Seigneur, lorsqu'elles règnent dans un cœur.

II

                    Ce que nous venons de dire aide à comprendre quelle était la nature de l'accablement, qui pesait, sur ces personnes ; et c'est là le second point que nous voulons éclaircir. Le mot employé dans le texte grec signifie attristés, chagrinés ; (c'est qui vient de tristesse, chagrin.) Tel est le sens littéral et invariable de ce mot. Il suit de là que cette expression ne saurait être ambiguë et qu'il ne peut pas être difficile d'en saisir la portée. Les personnes dont il s'agir ici étaient attristées ; leur accablement était, ni plus ni moins, du chagrin, de la douleur, et tout enfant des hommes sait par expérience ce que cela veut dire.

                     Il est probable que nos traducteurs (Ceux de la version anglaise, dite autorisée. Elle fut publiée en 1611 Il en a paru une révision en 1881 et le mot appesantis y est remplacé par attristés. (Trad.) ont employé ici le mot appesantis (ou accablés, qui est un peu plus spécial,) parce qu'ils voulaient exprimer deux choses, le degré et la durée de cette tristesse. Et on peut supposer, en effet, que le chagrin dont il est question dans notre texte n'était pas léger et insignifiant, mais de ceux qui font sur l'âme une forte impression et qui y pénètrent profondément. Ce n'était pas une de ces douleurs passagères qui s'envolent au bout d'une heure ; mais plutôt une de celles qui s'emparent tellement du cœur qu'on ne peut s'en débarrasser promptement ; c'est une tristesse qui persiste, comme si elle devenait une habitude ; au lieu d'être une simple émotion, et cela chez des hommes qui ont une foi vivante en Jésus-Christ et un amour sincère pour Dieu.

                    Même chez de tels chrétiens, cet accablement peut être parfois si grand qu'il projette une ombre sur l'âme tout entière, qu'il déteigne en quelque sorte sur nos sentiments et que cela s'aperçoive dans toute notre manière d'agir. Cela peut aussi influer sur le corps, en particulier chez les personnes dont la constitution est faible naturellement ou a été affaiblie par quelque maladie, et surtout par une maladie des nerfs. Dans bien des cas, c'est le corps mortel qui pèse sur l'âme ; mais ici c'est l'âme qui pèse sur le corps et qui l'affaiblit de plus en plus. Je ne suis pas même certain qu'un chagrin violent et prolongé ne puisse pas affaiblir une constitution solide et y déposer les germes de maladies qu'on ne guérira pas facilement. Mais tout cela peut se produire sans que l'âme cesse de posséder un certain degré de cette foi qui agit par l'amour.

                    C'est bien là ce qu'on peut appeler « une fournaise ». Et quoique ce genre d'épreuve ne soit pas celui dont l'apôtre parle dans le quatrième chapitre de cette épître, plusieurs des expressions dont il se sert en cet endroit pour caractériser les souffrances extérieures peuvent s'appliquer à la souffrance intime dont nous nous occupons. Il ne conviendrait pas de s'en servir en parlant de ceux qui sont « dans les ténèbres ». Car ceux-là ne se réjouissent pas : ils ne le peuvent ; et il ne serait pas vrai non plus de dire d'eux : « L'Esprit de gloire, qui est l'Esprit de Dieu, repose sur vous (1Pierre 4 : 2)  ». Mais cet Esprit repose souvent sur ceux qui sont attristés ou accablés, de sorte que, tout en étant tristes, ils sont pourtant « toujours joyeux ».

III

                    Passons à notre troisième point : Quelles sont les causes qui produisent cette tristesse, cet accablement chez des croyants sincères ? Saint Pierre le dit clairement : « Vous êtes maintenant attristés par diverses épreuves », par des épreuves variées, non seulement nombreuses, mais de divers genres. Elles peuvent, en effet, être modifiées et diversifiées de mille façons par l'introduction d'une foule de circonstances particulières. Cette variété, ces différences font qu'il est encore plus difficile de se défendre contre l'épreuve. Parmi ces afflictions diverses, on peut compter tous les maux physiques, et tout spécialement les maladies aiguës et tous les genres de souffrance violente, que le siège en soit d'ailleurs le corps tout entier ou bien une portion très minime de notre organisme. Sans doute, les gens qui ont toujours joui d'une santé parfaite et qui n'ont rien éprouvé de pareil, tiennent fort peu de compte de ces choses, et s'étonnent qu'une maladie ou une douleur physique aient pour effet d'accabler l'esprit. Peut-être y en a-t-il un sur mille qui soit constitué si exceptionnellement qu'il ne sente pas la souffrance comme le reste des hommes. Il a plu à Dieu de montrer sa toute-puissance en créant de ces natures prodigieuse, que la douleur ne semblait, point affecter, même quand elle était à son paroxysme ; mais il a pu se faire aussi que ce mépris de la douleur provînt soit d'une forte éducation, soit même de causes surnaturelles, par exemple, de l'assistance d'esprits bons ou mauvais qui ont pu élever ces individus au-dessus des conditions ordinaires de l'existence. Mais, en réservant ces cas extraordinaires, on peut dire :

La souffrance suffit pour abattre et troubler ; 
Et, quand elle est extrême,
Il peut arriver même 
Que les plus patients se laissent accabler.

                    Et lorsque ce dernier effet est écarté par la grâce divine, lorsque les chrétiens ont appris à « posséder leur âme par leur patience (Luc 21 : 19) », il peut cependant en résulter un grand accablement intérieur dû à la sympathie qui existe entre l'âme et le corps.

                  Toutes les maladies prolongées, bien qu'elles fassent moins souffrir, ont une tendance à produire, les mêmes résultats. Quand Dieu nous envoie la phtisie, ou bien une fièvre chaude avec ses alternatives de frissons, si ces maux ne sont pas promptement guéris, ils « consumeront nos yeux, et tourmenteront aussi nos âmes (Lévitique 26 : 16)  ». Tel est tout spécialement l'effet de toutes les affections qu'on appelle maux de nerfs. La foi n'a pas le privilège de suspendre le cours de la nature. Les causes naturelles continuent à produire leurs effets naturels. La foi n'empêche pas davantage l'esprit de s'abattre dans une maladie hystérique, qu'elle n'empêche le pouls de battre plus vite quand on a la fièvre.

                    D'un autre côté, « quand la calamité surviendra comme un tourbillon (Proverbe 1 : 27) » quand « la pauvreté et la disette viendront comme un homme armé, (Proverbe 6 : 11) », l'épreuve sera-t-elle insignifiante ? Faudra-t-il s'étonner si elle occasionne du chagrin et de l'accablement ? Pour ceux qui voient cela de loin et, après l'avoir vu, passent outre, ces afflictions peuvent sembler petites ; mais il en est autrement pour ceux qui les traversent. « Pourvu que nous ayons la nourriture et de quoi nous vêtir » , (le mot employé ici, se rapporte au logement, aussi bien qu'au vêtement, de quoi nous couvrir,) cela nous suffira (1Timothée 6 : 8) », si nous avons l'amour de Dieu dans le cœur. Mais que feront ceux qui n'ont pas même ces choses-là ? ceux qui sont réduits à « chercher leur retraite dans les rochers (Job 24 : 8) », ceux qui n'ont que la terre pour lit et que le ciel pour couverture, qui n'ont point pour eux et pour leur famille une demeure chaude ou même sèche, encore moins une maison propre, qui ne possèdent pas assez de vêtements pour se préserver, eux et ceux qu'ils aiment comme eux-mêmes, du froid perçant, soit de jour, soit de nuit ? Je ne puis m'empêcher de rire quand j'entends cette absurde exclamation d'un auteur païen :

Nil habet infelix paupertas durius in se
 Quàm quod ridiculos homines facit !..... (Juvénal, Satire 3, vers. 152, 153)

                    Est-il donc vrai que « la pauvreté malheureuse ne renferme rien de plus dur que ceci, qu'elle rend les hommes ridicules », les expose à ce qu'on rie d'eux ? Est-ce que la privation de nourriture n'est rien ? Dieu prononça cette malédiction contre l'homme : « Tu mangeras le pain à la sueur de ton visage (Genèse 3 : 19)  ». Mais que de gens n'y a-t-il pas dans ce pays chrétien qui travaillent, et peinent, et suent pour n'avoir pas même, après tout, ce pain, qui ont à lutter à la fois contre la fatigue et contre la faim ! N'est-ce pas un surcroît de maux, quand on a travaillé dur toute la journée, de rentrer dans un logement pauvre, glacé, sale et misérable, où l'on ne trouve pas même la nourriture qu'il faudrait pour réparer ses forces ? J'en appelle à vous qui vivez dans l'aisance ici-bas et à qui il ne manque que des yeux pour voir, des oreilles pour entendre, et un cœur pour comprendre tout ce que Dieu a fait pour vous ; dites-moi, n'est-ce rien que de chercher à gagner son pain, jour après jour, sans y réussir, et, pour comble d'infortune, d'avoir à écouter les cris de cinq ou six petits enfants qui réclament ce qu'on ne peut pas leur donner ? Si une main invisible ne retenait pas un homme qui en est là, comment pourrait-il éviter de « maudire Dieu et mourir ensuite ! » (Job 2 : 9) Point de pain, point de pain ! pour savoir ce que cela veut dire, il faudrait l'avoir éprouvé. Je trouve surprenant que cela ne cause que de l'accablement, même quand on a la foi !

                    On pourrait mentionner, comme venant ensuite, la perte des êtres qui nous sont chers, des nôtres, d'un père, d'une mère, peut-être encore peu avancés en âge ; d'un enfant bien-aimé qui entrait dans la vie et dont l'âme était étroitement liée à la nôtre ; ou bien d'un ami, qui était comme notre propre âme, d'un ami, don suprême, don le plus excellent du ciel après la grâce de Dieu ! Mille circonstances ont pu aggraver ces afflictions. Peut-être cet enfant, cet ami est-il mort dans nos bras ! peut-être nous a-t- il été au moment où nous y pensions le moins : il fleurissait, et il a été coupé comme une fleur ! Dans des cas pareils, non seulement l'épreuve peut nous toucher, mais elle le doit : Dieu a voulu qu'il en fût ainsi. Il ne nous a pas faits semblables au bois ou à la pierre. Il ne veut pas étouffer nos affections, mais les régler. Ainsi, laissons couler, sans les condamner, ces larmes que réclame la nature. On peut être affligé sans pécher.

                     C'est une douleur encore plus cruelle pour nous quand nous avons affaire à des âmes mortes en vivant, quand nous rencontrons méchanceté, ingratitude, apostasie chez ceux qui autrefois étaient unis à nous par les liens les plus forts. Qui dira le qu'un chrétien qui aime les âmes ressent en voyant son ami, son frère, perdu loin de Dieu ? en voyant un époux ou une épouse, un père ou une mère, un enfant se lancer dans le péché, comme le cheval dans la bataille, travailler ardemment à sa perte éternelle, malgré tous les raisonnements et toutes les supplications ? Et cette angoisse sera cent fois plus amère si l'on peut se souvenir d'un temps où cette personne, qui maintenant court à sa ruine, marchait dans le chemin de la vie. Le souvenir de ce qu'elle était autrefois ne sert plus qu'à envenimer toujours davantage l'aiguillon de la douleur qu'on éprouve en réfléchissant à son état actuel.

                    Il va sans dire que, dans ces diverses situations, notre grand adversaire mettra tout à profit pour faire son œuvre. « Il tourne autour de nous, cherchant qui il pourra dévorer (1Pierre 5 : 8) », et il déploiera toute sa puissance, toute sa ruse pour essayer de triompher d'une âme qui déjà est abattue. Il ne ménagera pas ses traits enflammés ; il lancera ceux qu'il juge les plus propres à pénétrer dans l'âme et à s'y planter profondément, en raison même de leur adaptation aux circonstances dans lesquelles la tentation a lieu pour cette âme. Il s'efforcera d'y insinuer l'incrédulité, le blasphème, le murmure contre Dieu. Il suggère à l'esprit cette pensée que décidément Dieu ne « s'inquiète pas de ce monde et ne le dirige pas, ou bien qu'il ne le dirige pas comme il faudrait, selon les lois de la justice et de la bonté. Il cherchera à insurger le cœur de l'homme contre Dieu, à ressusciter notre ancienne inimitié naturelle contre le Seigneur. Et si nous entreprenons de le combattre avec ses propres armes, si nous nous mettons à raisonner avec lui, notre accablement ne fera qu'augmenter et aboutira peut-être aux ténèbres les plus profondes.

                    Plus d'une fois on a exprimé l'opinion qu'il y a une autre cause d'accablement, sinon d'obscurité, pour l'âme : ce serait que Dieu se retire d'elle, uniquement parce que telle est sa volonté souveraine. Bien certainement il se retirera si nous contristons son Saint-Esprit par des péchés visibles ou cachés, soit en commettant le mal, soit en négligeant de faire le bien, en nous laissant aller à l'orgueil ou à la colère, à la nonchalance spirituelle, à des désirs insensés ou à des affections déréglées. Mais qu'il nous abandonne jamais simplement parce qu'il le veut, simplement parce que tel est son bon plaisir, je le nie formellement. Il n'y a pas un seul texte de ta Bible qui puisse fournir l'ombre d'un prétexte pour faire une pareille supposition. Cette idée est contraire non seulement à tel ou tel passage des Écritures saintes, mais à tout l'ensemble de la révélation divine. Elle répugne à la nature même de Dieu : c'est une insulte à sa majesté, à sa sagesse ; ce serait, comme l'a dit énergiquement un grand écrivain, « jouer à cache-cache avec ses créatures ». Ce serait incompatible avec sa justice et avec sa miséricorde, comme avec l'expérience authentique de son peuple.

                          Une autre cause d'accablement a été indiquée par certains auteurs qu'on a qualifiés du nom de Mystiques. Et, je ne sais trop comment, leurs vues se sont propagées parmi de braves gens qui ne connaissent pourtant pas ces écrivains. Je ne saurais mieux rendre compte de ces idées particulières qu'en citant les paroles d'une femme (John Wesley cite peut-être ici les idées de Madame Guyon ou plus probablement celles d'Antoinette Bourignon, qui a publié vingt et un volumes d'écrits mystiques. Madame Guyon en a laissé trente-neuf. (Trad.) ) qui raconte ainsi ce qu'elle a éprouvé : « Je continuais à être si heureuse en mon Bien-aimé que, s'il m'avait fallu vivre errante dans un désert, cela ne m'aurait pas paru difficile. Mais cet état ne dura pas longtemps ; car je me trouvai effectivement bientôt conduite dans un désert. Je me trouvai dans un état d'abandon, tout à fait pauvre, malheureuse, misérable. La vraie source de cette tristesse, c'est la connaissance que nous gagnons de nous-mêmes, et par laquelle nous apercevons combien peu nous ressemblons à Dieu. Nous nous voyons tout le contraire de lui ; nous voyons notre âme entièrement corrompue et dépravée, toute pleine de péché et de méchanceté, du monde et de la chair, de toute sorte d'abominations ». C'est de considérations de ce genre qu'on a conclu que la connaissance de nous-mêmes, qui est essentielle pour que nous ne périssions pas éternellement, ne peut manquer, lorsque nous sommes déjà arrivés à la foi par laquelle on est justifié, de produire chez nous le plus profond des accablements.

                     A propos de cette théorie, je ferai les observations suivantes. Dans un paragraphe précédent, l'auteur que je viens de ci ter disait : « Avant compris que je n'avais pas la vraie foi en Jésus-Christ, je me consacrai à Dieu, et aussitôt je sentis son amour ». C'est possible ; mais il n'est pas prouvé que ce fût la grâce de la justification. Il est plus probable que ce n'était que ce qu'on a appelé les attraits du Père. Et, s'il en était ainsi, l'accablement et les ténèbres qui suivirent étaient tout simplement les convictions de péché qui, dans l'ordre naturel des choses, doivent précéder la foi par laquelle on est justifié. D'un autre côté, si nous supposons qu'elle fut justifiée presqu'en même temps qu'elle s'apercevait qu'elle n'avait pas la foi, alors elle n'a pas eu le temps d'arriver à cette connaissance graduelle de soi-même qui d'ordinaire précède la justification ; et, dans ce cas, cette connaissance serait venue après ; et, comme elle ne s'y attendait pas, l'effet en aurait été d'autant plus accablant. De plus, je rappelle qu'après notre justification nous apprenons à connaître bien mieux qu'auparavant, d'une façon plus claire et plus complète, notre péché intérieur, l'entière dépravation de notre nature. Il n'y a pas de raison pour que cela plonge notre âme dans les ténèbres, et je n'oserais pas même affirmer que cela causera nécessairement de l'accablement. S'il en était ainsi, l'apôtre n'aurait pas employé cette expression : « S'il le faut (Notre traduction dit : « Vu que cela est convenable ». (1Pierre 1 : 6) ). Car, alors, il serait absolument indispensable de passer par là si on veut arriver à se connaître, c'est-à-dire en réalité si on veut connaître l'amour parfait de Dieu et être « rendus capables d'avoir part à l'héritage des saints dans la lumière (Colossiens 1 : 12)  ». Mais il. n'en est rien. Au contraire, Dieu peut augmenter en nous indéfiniment cette connaissance de nous-mêmes, et en même temps y augmenter dans la même proportion la connaissance de lui-même et le sentiment de son amour. Cela suffit pour qu'il n'y ait plus pour nous de désert, de misère, d'abandon, pour que tout en nous soit amour, paix et joie, jaillissant toujours plus jusqu'en vie éternelle.

IV

                       Et maintenant, quel but le Seigneur se propose-t-il en permettant cet accablement chez un si grand nombre de ses enfants ? Voici la réponse nette et simple de l'apôtre à cette question : « Afin que l'épreuve de votre foi, qui est beaucoup plus précieuse que l'or périssable, et qui toutefois est éprouvé par le feu, vous tourne à louange, à honneur et à gloire, lorsque Jésus-Christ paraîtra (verset 7)  ». Il peut y avoir une allusion à ce même but dans le passage bien connu, qui toutefois, nous l'avons déjà dit, se rapporte à un sujet tout à fait distinct : « Ne trouvez point étrange, si vous êtes comme dans une fournaise, pour être éprouvés, comme s'il vous arrivait quelque chose d'extraordinaire ; mais réjouissez-vous de ce que vous avez part aux souffrances du Christ, afin que, lorsque sa gloire se manifestera, vous soyez aussi comblés de joie (1Pierre 4 : 1,13).

                     Ces paroles nous apprennent que le but principal que Dieu se propose en permettant les tentations qui causent de l'accablement chez ses enfants, c'est d'éprouver leur foi, et cela l'éprouve comme le leu éprouve l'or, Nous savons que, quand l'or est éprouvé par le feu, il est ainsi purifié, dégagé de toute crasse. Eh bien, la même chose arrive à notre foi quand elle passe par la fournaise de la tentation ; plus elle est éprouvée, plus elle est purifiée, et plus aussi elle se fortifie, elle s'affermit, elle s'augmente puissamment, trouvant dans cette épreuve des marques nombreuses de la sagesse, de la puissance, de l'amour et de la fidélité du Seigneur. Accroître notre foi, telle est donc une des intentions de Dieu lorsqu'il permet que nous soyons tentés de diverses manières.

                     Ces afflictions servent aussi purifier, à affermir et à augmenter en nous cette espérance vive, à laquelle « le Dieu et le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, dans sa grande miséricorde, nous a fait renaître (1Pierre 1 : 3)  ». D'ailleurs, l'espérance ne peut manquer de grandir chez nous dans les mêmes proportions que la foi. Voici, en effet, sur quelle base elle repose. Nous croyons au nom de Jésus, nous vivons dans la foi au Fils de Dieu, et nous espérons, nous attendons avec confiance la gloire qui doit être révélée ; d'où il suit que tout ce qui sert à fortifier notre foi doit servir aussi à augmenter notre espérance. Et du même coup, cela augmentera notre joie, cette joie dans le Seigneur qui est inséparable d'une espérance pleine d'immortalité. C'est dans cette pensée que Saint-Pierre écrit plus loin à ces chrétiens : « Réjouissez- vous de ce que vous avez part aux souffrances de Christ  » ; et qu'il ajoute : « Vous êtes bien heureux ; car l'Esprit de gloire, qui est l'Esprit de Dieu, repose sur vous  » ; et par là vous pouvez, même au sein de la souffrance, vous réjouir « d'une joie ineffable et glorieuse ».

                    Les chrétiens se réjouissent alors d'autant plus, que ces épreuves, qui augmentent leur foi et leur espérance, accroissent aussi leur amour, leur reconnaissance envers Dieu pour tous ses bienfaits, leur bienveillance envers tous les hommes. Plus ils sentent la grandeur de l'amour de Dieu leur Sauveur, plus aussi leur cœur s'embrase d'amour pour celui qui les « a aimés le premier (1Jean 4 : 19)  ». Plus ils ont une assurance nette et ferme de la gloire qui doit être manifestée, plus aussi ils aiment celui qui la leur a acquise et qui leur « a donné les arrhes dans leurs cœurs (2Corinthiens 1 : 22)  ». Ainsi, voilà encore un but, en vue duquel Dieu a permis que ces tentations survinssent.

                    Un autre but qu'il se propose, c'est de nous faire faire des progrès dans la sainteté, tant celle du cœur que celle de la conduite ; la seconde procède tout naturellement de la première ; car un bon arbre produira de bons fruits. Or, toute sainteté intérieure est le fruit immédiat de cette foi qui agit par l'amour. L'Esprit divin se sert de ce moyen pour purifier le cœur de l'orgueil, de la volonté charnelle, de la colère, de l'amour du monde, des désirs insensés et funestes, des affections basses et vaines. De plus, il est certain que, par l'action de la grâce de Dieu, les épreuves sont sanctifiées pour notre bien et nous portent à la sainteté d'une manière très directe. Grâce aux opérations de son Esprit, elles humilient de plus en plus notre âme et la courbent devant le Seigneur. Elles calment et adoucissent notre esprit remuant, elles domptent la violence de notre naturel, elles assouplissent notre volonté personnelle revêche, elles nous crucifient à l'égard du monde, et enfin elles nous amènent à attendre de Dieu toute notre force, a ne chercher notre bonheur qu'en Dieu.

                     Tous ces effets concourent à l'accomplissement de ce but suprême, que notre foi, notre espérance, notre amour et notre sainteté « nous tournent à louange » de la part de Dieu lui-même, « à honneur » devant les hommes et les anges, « et à gloire » même ; car le Juge souverain décernera la gloire à ceux qui auront persévéré jusqu'à la fin. Il l'accordera, dans ce jour solennel, « à chacun selon ses œuvres (Matthieu 16 : 27 etc.) ; » selon l'œuvre accomplie par Dieu lui-même dans le cœur de chaque homme, les œuvres visibles qu'il aura faites pour le Seigneur, et aussi selon ce qu'il aura souffert. Ainsi, toutes ces épreuves sont pour nous un gain indicible. Ainsi, de mille manières, « notre légère affliction du temps présent produit en nous le poids éternel. d'une gloire infiniment excellente (2Corinthiens 4 : 17)  ».

                      Il faut également tenir compte des bons effets produits sur ceux qui nous verront endurer l'épreuve comme il faut. L'expérience nous enseigne que l'exemple a plus d'influence que le précepte. Et quel exemple pourrait exercer une influence plus puissante, non seulement sur ceux qui ont reçu une foi du même prix, mais aussi sur ceux qui ne connaissent pas le Seigneur, que l'exemple d'une attitude d'esprit calme et sereine au milieu des tempêtes ; que la conduite d'un chrétien qui est attristé, mais pourtant toujours joyeux ; qui accepte avec douceur la volonté de Dieu quelle qu'elle soit, même lorsqu'elle est le plus pénible pour la nature humaine, qui, dans la maladie et dans la souffrance, peut, dire : « Ne boirai-je pas la coupe que le Père m'a donnée à boire ? (Jean 18 : 11) » qui, dans le deuil ou les privations, peut s'écrier : « L'Éternel l'avait donné ; l'Éternel l'a ôté ; que le nom de l'Éternel soit béni (Job 1 : 21) »

                    Pour terminer, tirons de ce qui précède quelques conclusions. Et d'abord, quelle différence absolue entre l'obscurité spirituelle et l'accablement de l'âme ! Et, cependant, ces deux états sont généralement confondus, même par des chrétiens d'expérience. L'obscurité spirituelle, le passage du désert, comme on l'a surnommée, signifie une privation complète de cette joie que donne le Saint-Esprit. Il n'en est pas ainsi dans l'accablement de l'âme ; car, même alors, on peut se réjouir d'une joie ineffable. Ceux qui sont dans les ténèbres ont perdu la paix de Dieu, ceux qui passent par l'accablement la conservent, et même c'est à ce moment-là que la paix et la grâce peuvent leur être multipliées. Chez les premiers, l'amour de Dieu s'est refroidi, sinon tout à fait éteint ; chez ceux-ci, il a gardé toute sa vigueur et même il grandit de jour en jour. Chez les uns, la foi est sérieusement entamée, si même elle n'est anéantie ; car leur conviction et leur assurance des choses invisibles, et en particulier de l'amour de Dieu et de son pardon, ne sont plus nettes et fermes comme auparavant, et leur confiance dans le Seigneur est diminuée d'autant. Quant aux autres, bien qu'ils ne voient pas Dieu, ils ont en lui une confiance profonde et inébranlable ; ils possèdent une certitude constante de cet amour qui efface tous leurs péchés. Ainsi donc, tant que la foi et l'incrédulité, l'espérance et le désespoir, la paix et la guerre, l'amour de Dieu et l'amour du monde resteront choses distinctes, nous pouvons reconnaître infailliblement un état d'obscurcissement d'avec un état d'accablement.

                    Une leçon à apprendre ici, c'est qu'il peut être nécessaire que nous passions par l'accablement, mais il ne peut pas l'être que nous passions par les ténèbres. Il peut être bon que nous soyons attristés pour un peu de temps en vue des résultats indiqués plus haut, ou du moins dans ce sens que ces résultats découleront naturellement de ces diverses afflictions qui auront servi à éprouver et à augmenter notre foi, à affermir et à développer nos espérances, à purifier notre cœur de tous les sentiments contraires à la sainteté, à nous perfectionner dans l'amour enfin. Et c'est de la même façon que, finalement, ces afflictions contribueront à rendre notre couronne plus brillante, à accroître pour nous le poids de la gloire éternelle. Mais nous ne pouvons pas dire que les ténèbres soient utiles pour produire ces mêmes effets. Car elles n'aboutissent à rien de pareil.

                    La perte de notre foi, de notre espérance, de notre amour, ne tendent ni à nous rendre plus saints, ni à nous préparer dans le ciel une récompense plus éclatante, mais qui doit toujours être en rapport avec le degré de sainteté atteint ici-bas.

                    De ce que dit saint Pierre, nous pouvons aussi tirer cette conséquence que l'accablement lui-même n'est pas toujours nécessaire. « Maintenant » , « pour un peu de temps » , « vu que cela est convenable » , cela signifie bien que ce n'est pas nécessaire pour tous ; et que ce n'est pas invariablement nécessaire pour une même personne. Dieu peut (il est assez grand et assez sage pour cela), accomplir, s'il le juge à propos, cette œuvre dans une âme par toute sorte d'autres moyens. Il v a des cas où il le fait : il y a des chrétiens qu'il trouve bon de faire aller de force en force jusqu'à ce qu'ils aient « achevé leur sanctification dans la crainte de Dieu (2Corinthiens 7 : 1) », sans presque avoir affaire à l'accablement spirituel. C'est qu'il a un pouvoir absolu sur les âmes et en fait jouer tous les ressorts comme il veut. Mais ces cas-là sont rares. En général, Dieu trouve bon de faire passer par le creuset de l'affliction les hommes qu'il agrée. Aussi, des tentations diverses et plus ou moins d'accablement sont-ils habituellement la portion de ses enfants les plus chers.

                    En dernier lieu, tout cela nous rappelle qu'il faut veiller et prier, qu'il faut faire tous nos efforts pour ne point tomber dans un état ténébreux. Mais, quant à l'accablement, il ne s'agit pas tant d'y échapper que de mettre à profit cette dispensation. Notre grande préoccupation doit être de nous y comporter de telle sorte, d'y suivre le Seigneur de si près que nous y réalisions pleinement les intentions de son amour qui a permis que cela nous arrivât ; de telle sorte, enfin, que cela serve à augmenter notre foi, à affermir notre espérance, à nous rendre parfaits en toute sainteté. Et dès que nous sentirons approcher cet accablement, pensons à ce que Dieu a en vue en permettant que nous passions par cet état, et efforçons-nous de ne frustrer en rien ses plans en notre faveur. Soyons ouvriers avec lui de tout notre cœur par la grâce qu'il veut nous accorder sans cesse, afin que nous puissions « nous nettoyer de toute souillure de la chair et de l'esprit (2Corinthiens 7 : 1) ; » et grandir de jour en jour dans la grâce de notre Seigneur Jésus-Christ, jusqu'au moment où il nous recevra dans son royaume éternel !