mardi 7 juin 2016

(5) LE SERMON SUR LA MONTAGNE, CINQUIÈME DISCOURS WESLEY Matthieu 5 : 17-20

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 Sermon 25 : (1748)      LE SERMON SUR LA MONTAGNE, CINQUIÈME DISCOURS

Matthieu 5 : 17-20

17  Ne croyez pas que je sois venu pour abolir la loi ou les prophètes; je suis venu non pour abolir, mais pour accomplir.
18  Car, je vous le dis en vérité, tant que le ciel et la terre ne passeront point, il ne disparaîtra pas de la loi un seul iota ou un seul trait de lettre, jusqu’à ce que tout soit arrivé.
19  Celui donc qui supprimera l’un de ces plus petits commandements, et qui enseignera aux hommes à faire de même, sera appelé le plus petit dans le royaume des cieux; mais celui qui les observera, et qui enseignera à les observer, celui-là sera appelé grand dans le royaume des cieux.
20  Car, je vous le dis, si votre justice ne surpasse celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez point dans le royaume des cieux.
 

                   Parmi la multitude des reproches infligés à celui qui fut « le méprisé et le dernier des hommes », devait naturellement se trouver celui d'être un docteur de nouveautés, l'introducteur d'une nouvelle religion. Ce reproche pouvait sembler d'autant plus légitime que plusieurs des expressions qu'employait Jésus n'étaient pas communes parmi les Juifs, soit qu'ils n'en fissent point usage, soit qu'ils ne s'en servissent pas dans le même sens ou avec une signification aussi complète et aussi forte.

              Ajoutez à cela que le culte de Dieu « en esprit et en vérité », doit nécessairement toujours sembler une religion nouvelle à ceux qui n'ont connu jusque-là rien de plus que le culte extérieur, que « l'apparence de la piété ».

                  Peut-être bien aussi, quelques-uns pouvaient-ils espérer que Jésus venait abolir l'ancienne religion et en introduire une autre qui serait, s'en flattaient-ils peut-être, une voie plus aisée pour parvenir au ciel. Mais notre Seigneur réfute dans les paroles de notre texte, à la fois les vaines espérances des uns et les calomnies sans fondement des autres.

                  Je considérerai ces paroles dans l'ordre même où elles nous sont données, prenant successivement chaque verset pour sujet distinct de mon discours.


I

                    Et d'abord, « ne pensez pas que je sois venu pour abolir la loi ou les prophètes : je suis venu non pour les abolir, mais pour les accomplir ».

                    Quant à la loi rituelle ou cérémonielle, donnée par Moïse aux enfants d'Israël, renfermant toutes les injonctions et les ordonnances relatives aux anciens sacrifices et au service du temple, notre Seigneur est venu bien réellement pour la détruire, l'annuler et l'abolir entièrement. C'est ce que témoignent tous les apôtres ; non seulement Barnabas et Paul, qui résistèrent en face à ceux qui enseignaient que les chrétiens « devaient garder la loi de Moïse  » ; non seulement Pierre, qui déclare qu'insister sur l'observation de la foi rituelle « c'est tenter Dieu », et « imposer aux disciples un joug que ni nos pères », dit-il, « ni nous-mêmes n'avons pu porter  » ; — mais tous « les apôtres, les anciens et les frères », « assemblés d'un commun accord », ont déclaré « qu'ordonner de garder la loi de Moïse », c'est « ébranler les âmes », et « qu'il a semblé bon au Saint-Esprit » et à eux de ne leur point imposer une telle charge. « Cette obligation, qui était contre nous, laquelle consistait dans les ordonnances », notre Seigneur « l'a effacée, et il l'a entièrement annulée, en l'attachant à la croix ».

Mais la loi morale, contenue dans les dix commandements et confirmée par les prophètes, notre Seigneur ne l'a point annulée. Sa venue n'avait point pour but d'en révoquer aucune partie. C'est une loi qui ne peut jamais être anéantie, et qui est aussi durable que le fidèle témoin qui est dans le ciel. La loi morale repose sur un tout autre fondement que la loi cérémonielle, qui n'était destinée qu'à servir de joug temporaire sur un peuple rebelle et de col roide, tandis que la première date du commencement du monde, étant « écrite non sur des tables de pierre », mais dans le cœur de tous les enfants des hommes, lorsqu'ils sont sortis des mains de leur Créateur. Et quoique les caractères, tracés jadis par le doigt de Dieu, soient maintenant en grande partie effacés par le péché, encore ne peuvent-ils avoir complètement disparu, aussi longtemps que nous avons quelque conscience du bien et du mal. Chacune des parties de cette loi doit rester en vigueur pour toute l'humanité dans tous les âges, vu qu'elle ne dépend ni des temps, ni des lieux, ni d'aucune autre circonstance sujette au changement, mais uniquement de la nature de Dieu et de la nature de l'homme et de leurs inaltérables rapports l'un avec l'autre.

« Je ne suis point venu pour abolir cette loi, mais pour l'accomplir ». Quelques-uns ont compris que notre Seigneur voulait dire par là : Je suis venu pour l'accomplir, par mon obéissance entière et parfaite ; et l'on ne peut douter que, dans ce sens, il n'en ait accompli chaque partie. Mais ce sens ne paraît pas être dans l'intention de notre Sauveur, parce qu'il est étranger au dessein de son discours actuel. Indubitablement, le sens de ses paroles est ici, en tenant compte de tout ce qui précède et de tout ce qui suit : Je suis venu pour établir la loi dans sa plénitude, en dépit de tous les commentaires des hommes ; je suis venu pour placer dans un jour clair et complet, tout ce qui était auparavant obscur ; je suis venu pour déclarer le sens complet et vrai de chacune de ses parties, pour montrer la longueur et la largeur, — l'entière étendue de chaque commandement qu'elle renferme, — et la hauteur et la profondeur, — la pureté et la spiritualité inconcevables de cette loi dans toutes ses branches.

C'est là ce que notre Seigneur a abondamment accompli dans les parties qui précèdent et qui suivent du discours qui est devant nos yeux ; ce n'est point une religion nouvelle qu'il vient par là introduire dans le monde, c'est la même qui existait dès le commencement, une religion dont la substance est incontestablement aussi ancienne que la création, née avec l'homme et procédée de Dieu au moment même où « l'homme fut fait en âme vivante » (je dis la substance, car quelques circonstances de cette religion se rapportent maintenant à l'homme en tant que créature déchue) ; — une religion à laquelle rendent témoignage la loi et les prophètes, dans toutes les générations successives. Mais elle ne fut jamais aussi complètement expliquée, ni aussi parfaitement comprise, jusqu'à ce que son grand Auteur condescendît à donner lui-même à l'humanité ce commentaire authentique de toutes ses branches essentielles, déclarant en même temps qu'elle ne serait jamais changée, mais qu'elle demeurerait en vigueur jusqu'à la fin du monde.

Il

                     « Car je vous dis en vérité », — avertissement solennel qui dénote à la fois l'importance et la certitude de la déclaration, - « que,jusqu'à ce que le ciel et la terre passent, il ne passera pas un seul iota ni un seul trait de lettre de la loi, jusqu'à ce que toutes choses soient accomplies ».

                    Pas « un seul iota », pas la moindre voyelle, « ni un seul trait de lettre », un seul point ou accent sur une consonne. C'est une expression proverbiale pour signifier qu'aucun des commandements de la loi morale ne devait jamais être annulé, ni même la moindre partie d'aucun commandement, quelque peu considérable qu'elle pût paraître.

                   « Il ne passera » rien « de la loi ». Le texte original renferme une double négation qui renforce le sens et exclut toute contradiction ; et le mot grec n'est pas seulement un futur, indiquant ce qui arrivera, mais il a aussi la force d'un impératif, ordonnant ce qui doit être. C'est une parole d'autorité exprimant la volonté souveraine et la puissance de Celui qui parle, de Celui dont la parole est la loi du ciel et de la terre, qui demeure ferme à toujours et à perpétuité.

                   « Il ne passera pas un seul iota ni un seul trait de lettre de la loi, jusqu'à ce que le ciel et la terre passent », ou, comme il est dit immédiatement après, « jusqu'à ce que toutes choses soient accomplies », jusqu'à la consommation de toutes choses. Il n'y a donc aucune place ici pour cette pauvre évasion dont quelques-uns se sont grandement flattés, savoir qu'aucune partie de la loi ne passera jusqu'à ce que toute la loi soit accomplie ; or, la loi a été accomplie par Christ ; elle doit donc passer maintenant pour faire place à l'établissement de l'évangile ». Mais il n'en est point ainsi ; l'expression toutes choses ne signifie pas toute la loi, mais bien toutes choses dans l'univers, et le mot accomplies ne se rapporte point à la loi, mais à tout ce qui existe dans le ciel et sur la terre.

                    De tout cela, nous pouvons apprendre qu'il n'y a aucune opposition entre l'évangile et la loi, et qu'il n'est pas besoin que la loi disparaisse pour faire place à l'évangile. Aucun des deux ne doit céder à l'autre, mais ils s'accordent parfaitement ensemble. Les mêmes paroles, suivant le point de vue où on les considère, font partie à la fois de la loi et de l'évangile ; de la loi, si on les regarde comme des commandements ; de l'évangile, si on les regarde comme des promesses. Ainsi, ce passage : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur », si on le considère comme un commandement, appartient à la loi ; si on le considère comme une promesse, il forme une partie essentielle de l'évangile, l'évangile n'étant autre chose que les commandements de la loi, proposés sous forme de promesses. Ainsi donc la pauvreté d'esprit, la pureté de cœur, et tout ce qui est prescrit par la sainte loi de Dieu, ne sont, quand on les regarde à la lumière de l'évangile, qu'autant de grandes et précieuses promesses.

                    Il y a donc la plus intime liaison qu'on puisse imaginer entre la loi et l'évangile. D'un côté, la loi prépare continuellement le chemin à l'évangile et nous y conduit ; de l'autre, l'évangile nous ramène à une observation toujours plus complète de la loi. La loi, par exemple, nous commande d'aimer Dieu, d'aimer notre prochain, d'être doux, humbles et saints ; nous sentons que nous ne sommes pas suffisants pour ces choses, et même que « quant à l'homme, cela est impossible ». Mais nous voyons la promesse de Dieu de nous donner cet amour et de nous rendre humbles, doux et saints ; nous saisissons cet évangile, cette bonne nouvelle, et il nous est fait selon notre foi, « la justice de la loi est accomplie en nous » par la foi en Jésus-Christ.

                    Nous pouvons même observer, de plus, que tout commandement dans la sainte Écriture n'est qu'une promesse couverte. Car, par cette solennelle déclaration « Voici l'alliance que je traiterai avec eux dans ces jours-là, dit le Seigneur ; je mettrai mes lois dans leur esprit et je les graverai dans leur cœur  » ; Dieu s'est engagé à nous donner lui-même tout ce qu'il nous commande. Dès lors, nous commande-t-il de « prier sans cesse », d'être « toujours joyeux », d'être « saints comme il est saint ? » Cela suffit ; il produira en nous cela même qu'il demande : il nous sera fait suivant sa parole.

                    Mais, s'il en est ainsi, nous ne pouvons être embarrassés sur ce qu'il faut penser de ceux qui, dans tous les âges de l'église, ont entrepris de modifier ou d'abroger quelque commandement de Dieu, par une prétendue direction spéciale de son Esprit. Christ nous donne ici une règle infaillible pour juger de pareilles prétentions. Le christianisme renfermant toute la loi morale de Dieu, soit comme commandements ; soit comme promesses ; le christianisme, si nous voulons écouter le Seigneur lui-même, est dans le dessein de Dieu, la dernière de toutes ses dispensations. Aucune autre dispensation ne doit lui succéder ; il doit durer jusqu'à la consommation de toutes choses. Par conséquent, toute nouvelle révélation est de Satan et non point de Dieu, et toute prétention à une autre dispensation plus parfaite, tombe naturellement à terre. « Le ciel et la terre passeront », mais cette parole « ne passera point ».

III

                    « Celui donc qui aura violé l'un de ces plus petits commandements et qui aura ainsi enseigné les hommes, sera estimé le plus petit dans le royaume des cieux ; mais celui qui les aura observés et enseignés, celui-là sera estimé grand dans le royaume des cieux ».

                 Qui sont-ils donc, ceux qui condamnent la prédication de la loi ? Ne voient-ils donc point sur qui retombe en définitive le reproche qu'ils nous font ? Quiconque nous méprise sous ce prétexte, méprise celui qui nous a envoyés ; car personne a-t-il jamais prêché la loi comme Jésus, alors même qu'il est venu, non pour condamner le monde, mais pour le sauver ; qu'il est venu tout exprès pour « mettre en évidence la vie et l'immortalité par l'évangile ? » Peut-on prêcher la loi plus expressément et plus rigoureusement que ne le fait Christ dans ces paroles ? Et qui osera les altérer ? Où est celui qui apprendra à prêcher au Fils de Dieu ? Qui lui enseignera une meilleure manière de communiquer le message qu'il a reçu de son Père ?

                    « Celui donc qui aura violé l'un de ces plus petits commandements », ou l'un des plus petits de ces commandements. — « Ces commandements », c'est là une expression que notre Seigneur emploie comme équivalente à la loi ou la loi et les prophètes, ce qui est exactement la même chose, vu que les prophètes n'ont rien ajouté à la loi, mais n'ont fait que la répéter, l'expliquer ou l'enjoindre, suivant qu'ils y étaient poussés par le Saint-Esprit ».

                    « Celui donc qui aura violé l'un de ces plus petits commandements », surtout si cette violation a lieu volontairement ou avec présomption : l'un, un seul, car « quiconque aura observé toute la loi, s'il vient à pécher » de cette manière « dans un seul commandement, il est coupable comme s'il les avait tous violés », la colère de Dieu demeure sur lui, aussi certainement que s'il avait violé chacun de ces commandements. Ainsi point de tolérance pour aucune convoitise dominante, point de réserve pour aucune idole, point d'excuses pour celui qui s'abstient de tout autre péché, à l'exception d'un seul péché qu'il caresse au fond de son cœur. Ce que Dieu demande, c'est une obéissance entière et complète ; nous devons tenir nos regards fixés sur tous ses commandements ; sans cela nous perdons toute la peine que nous prenons à en observer quelques-uns, et nous perdons nos pauvres âmes pour l'éternité.

                    « L'un de ces plus petits commandements » ou l'un des plus petits de ces commandements. — Encore une autre excuse retranchée, par laquelle plusieurs, s'ils ne peuvent tromper Dieu, trompent misérablement leurs propres âmes. « Ce péché, dit le pécheur, n'est-il pas petit ? Le Seigneur ne m'épargnera-t-il point par rapport à cette seule chose ? Certainement il ne sera point assez rigoureux pour y prendre garde, puisque je ne viole point les articles les plus importants de la loi ». — Vain espoir ! A parler suivant la manière des hommes, nous pouvons bien appeler certains commandements grands et d'autres petits, mais en réalité il n'en est point ainsi ; il n'existe point de petit péché, tout péché étant une transgression de la loi sainte et parfaite, et une insulte à la majesté du grand Roi des cieux.

                   « Et qui aura ainsi enseigné les hommes ». Dans un certain sens, on peut dire que quiconque transgresse ouvertement quelque commandement, apprend aux autres par là à faire la même chose ; car l'exemple parle, et souvent beaucoup plus haut que le précepte. Sous ce point de vue, il est évident que tout ivrogne enseigne l'ivrognerie ; tout violateur du sabbat enseigne constamment à son prochain à profaner de même le jour du Seigneur. Mais ce n'est pas tout. Celui qui a l'habitude de violer la loi se contente rarement d'en rester là, il excite ordinairement les autres à l'imiter, par ses paroles aussi bien que par son exemple, spécialement quand il raidit son cou et hait d'être repris. Un tel pécheur devient bientôt un avocat du péché, il défend ce qu'il est résolu à ne point abandonner, il excuse le péché auquel il ne veut pas renoncer, et enseigne ainsi directement chaque péché qu'il commet.

                  Celui-là « sera estimé le plus petit dans le royaume des cieux », c'est-à-dire, il n'y aura aucune part. Il est étranger au royaume des cieux qui est sur la terre, il n'a aucune portion dans cet héritage ; aucune part à « la justice, à la paix et à la joie par le Saint-Esprit ». Il ne peut donc, par conséquent, avoir non plus aucune part à la gloire qui doit être révélée un jour.

                    Mais si ceux qui violent ainsi « l'un de ces plus petits commandements », et enseignent aux autres à le faire pareillement ; si ceux-là seront « estimés les plus petits dans le royaume des cieux », n'auront aucune part dans le royaume de Dieu et de Christ ; s'ils seront jetés dans les ténèbres de dehors, où il y aura des pleurs et des grincements de dents ; que deviendraient donc ceux que notre Seigneur a principalement en vue dans ces paroles ; — ceux qui, portant le caractère de docteurs envoyés de Dieu, violent cependant eux-mêmes ses commandements, et enseignent ouvertement aux autres à en faire autant, étant à la fois corrompus dans leur vie et dans leur doctrine ?

                  Il y en a de plusieurs sortes. Les premiers sont ceux qui vivent dans quelque péché volontaire et habituel. Or si un pécheur ordinaire prêche par son exemple, combien plus un ministre pécheur, quand même il n'essaie point de défendre, d'excuser ou d'atténuer son péché ! S'il le fait, il est un véritable meurtrier, le meurtrier de tout son troupeau ; il peuple les régions de la mort ; il est l'instrument de choix du prince des ténèbres. Quand il quitte ce monde, « le sépulcre profond s'émeut, pour aller au-devant de lui à sa venue  » ; car il ne peut tomber dans l'abîme sans entraîner avec lui toute une multitude dans la perdition.

                   Ensuite viennent ces hommes d'un bon naturel, qui vivent à leur aise sans faire de mal à personne, ne faisant cas ni du péché extérieur, ni de la sainteté intérieure ; hommes qui ne se font remarquer ni d'une manière, ni de l'autre, ni pour la religion, ni pour l'irréligion ; réguliers dans leur conduite publique et privée, mais ne prétendant pas se montrer plus stricts que leurs voisins. Un ministre de cette espèce viole non seulement un ou plusieurs des plus petits commandements de Dieu, mais il viole toutes les grandes et importantes prescriptions de la religion qui se rapportent à la force de la piété, toutes celles qui nous ordonnent de « nous conduire avec crainte durant le temps de notre séjour sur la terre », de « travailler à notre salut avec crainte et tremblement », d'avoir « nos reins ceints et nos lampes allumées », de « nous efforcer d'entrer par la porte étroite ». Et il enseigne aux autres à faire de même, par toute la forme de sa vie, et par l'esprit général de ses prédications, dont la tendance uniforme est de bercer dans leur rêve agréable ceux qui s'imaginent être chrétiens et ne le sont pas, et de persuader à tous ceux qui suivent son ministère, qu'ils peuvent dormir et se reposer tranquillement. Après cela, faudra-t-il s'étonner si lui-même et tous ceux qui le suivent, se réveillent ensemble un jour dans les flammes éternelles ?

                    Mais, par-dessus tous et au rang le plus élevé de ces ennemis de l'évangile de Christ, sont ceux qui ouvertement et explicitement « jugent la loi » elle-même et « médisent de la loi », qui enseignent aux hommes à violer, non pas un seul des plus petits ou des plus grands commandements, mais tous les commandements d'un seul coup ; qui disent sans aucun déguisement, en tout autant de mots : « Qu'est-ce que notre Seigneur a fait de la loi ? Il l'a abolie ; il n'existe plus qu'un seul devoir, celui de croire. Tous les autres commandements ne conviennent plus à notre temps. Aucun ordre de la loi n'oblige plus personne maintenant à faire un seul pas, à donner un seul sou, à manger ou à se refuser un seul morceau ». C'est là, sans doute, mener les choses rondement ; c'est là résister en face au Seigneur et lui dire qu'il n'a pas compris la manière de remplir la mission pour laquelle il a été envoyé. O Seigneur, ne leur impute point ce péché ! Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu'ils font !

                     Ce qu'il y a de plus surprenant dans cette étrange illusion, c'est que ceux qui s'y abandonnent, croient réellement honorer Christ en renversant sa loi, et magnifier son office, pendant qu'ils anéantissent sa doctrine ! Oui, ils l'honorent tout juste comme le faisait Judas quand « il lui dit : Maître, je te salue, et il le baisa ». Et Il peut bien justement dire aussi à chacun d'eux : « Trahis-tu ainsi le Fils de l'homme par un baiser ? » C'est certainement le trahir avec un baiser, que de parler de son sang et de lui arracher sa couronne, de mépriser une partie de sa loi, sous prétexte d'agrandir son évangile. Et personne ne peut échapper à cette accusation, lorsqu'il prêche la foi d'une manière qui tend directement nu indirectement à faire négliger quelque partie de l'obéissance ; lorsqu'il prêche Christ de manière à annuler ou à affaiblir en quoi que ce soit le moindre des commandements de Dieu.

                   Il est impossible, sans doute, d'avoir une trop haute estime pour « la foi des élus de Dieu  » ; et nous devons tous prêcher : « vous êtes sauvés par la grâce, par la foi ; ce n'est point par les œuvres, afin que personne ne se glorifie ». Nous devons proclamer hautement à tout pécheur qui se repent : « Crois au Seigneur Jésus, et tu seras sauvé ». Mais, en même temps, nous devons prendre soin de faire savoir à tous les hommes que nous n'apprécions aucune foi, si ce n'est celle qui est agissante par la charité, et que nous ne sommes sauvés par la foi, qu'autant que nous sommes délivrés de la puissance aussi bien que de la condamnation du péché. Et quand nous disons : « Crois et tu seras sauvé  » ; nous ne voulons pas dire : « Crois et tu ne feras qu'un pas du péché dans le ciel, sans aucune sainteté entre les deux, la foi remplaçant la sainteté », mais nous voulons dire : « Crois et tu seras saint ; crois au Seigneur Jésus et tu recevras à la fois la paix et le pouvoir de faire le bien ; tu recevras de Celui en qui tu crois la force nécessaire pour mettre le péché sous tes pieds ; la faculté d'aimer le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur et de le servir de toute ta force. Tu obtiendras la puissance de « chercher la gloire, l'honneur et l'immortalité, en persévérant dans les bonnes œuvres  » ; tu pourras alors à la fois pratiquer et enseigner tous les commandements de Dieu, depuis le plus petit jusqu'au plus grand. Tu les enseigneras par ta vie aussi bien que par tes paroles, et ainsi tu « seras estimé grand dans le royaume des cieux ».

IV

                    Quelque autre voie que l'on puisse enseigner pour conduire au royaume du ciel, à la gloire, à l'honneur et à l'immortalité, qu'on l'appelle la voie de la foi on qu'on la désigne par tout autre nom, ce n'est en réalité que la voie de la destruction ; elle ne peut procurer la paix à l'homme à la fin. Car, ainsi dit l’Éternel : « Je vous dis que si votre justice ne surpasse celle des Scribes et des Pharisiens, vous n'entrerez point dans le royaume des cieux ».

                    Les Scribes dont il est si souvent question dans le Nouveau Testament, comme étant au nombre des ennemis les plus constants et les plus véhéments de notre Seigneur, n'étaient pas simplement des secrétaires ou des écrivains, comme leur nom pourrait le faire croire. Ce n'étaient pas non plus des hommes de loi, dans le sens ordinaire de ce mot, quoique le mot ait cette signification ; leur emploi n'avait aucun rapport avec celui des hommes de foi parmi nous. C'était des lois de Dieu qu'ils s'occupaient et non de celles des hommes. Ces lois étaient l'objet de leurs études ; leur affaire propre et spéciale, c'était de lire et d'expliquer la loi et tes prophètes, particulièrement dans les synagogues. Ils étaient les prédicateurs ordinaires et établis parmi les Juifs ; en sorte qu'en nous attachant au vrai sens de leur nom, nous pourrions les appeler des théologiens. C'étaient en effet des gens qui faisaient de l'étude de la théologie leur profession, et c'était généralement, comme leur nom l'indique littéralement, des hommes de lettres, les hommes les plus marquants pour l'instruction, qui fussent alors dans la nation juive.

                    Les Pharisiens étaient une secte ou société très ancienne parmi les Juifs ; leur nom vient d'un mot hébreu qui signifie se séparer. Non qu'ils eussent fait aucune séparation formelle, ni aucune division dans l'église nationale ; ils ne se distinguaient des autres que par une vie plus stricte, une conduite plus réglée. Ils étaient très zélés pour la loi dans ses plus petits détails, payant la dîme de la menthe, de l'anet et du cumin ; aussi étaient-ils tenus en grand honneur parmi tout le peuple et considérés généralement comme les plus saints des hommes.

                  La plupart des Scribes appartenaient à la secte des Pharisiens. Ainsi saint Paul lui-même, qui avait été élevé pour être Scribe, d'abord à l'université de Tarse et ensuite à Jérusalem, aux pieds de Gamaliel (l'un des plus savants Scribes ou Docteurs de la loi, qu'il y eût alors dans la nation juive), se déclare lui-même devant le conseil « Pharisien, fils de pharisien (Actes 23 : 6) », et devant le roi Agrippa, il dit qu'il a « vécu Pharisien, selon cette secte, qui est la plus exacte de notre religion (Act 26 : 5)  ». Le corps entier des Scribes pensait et agissait généralement de concert avec les Pharisiens. De là vient que notre Seigneur les place si souvent ensemble, comme sujets sous beaucoup de rapports, aux mêmes observations de sa part. Dans cet endroit ils semblent réunis, comme étant les plus éminents parmi ceux qui faisaient profession de religion, passant les uns pour les plus savants, les autres pour les plus saints des hommes.

                    Quelle était réellement « la justice des Scribes et des Pharisiens ? » C'est ce qu'il n'est point difficile de déterminer. Notre Seigneur nous en a conservé un tableau authentique, donné de lui-même par l'un d'entre eux, qui est clair et complet, dans la description qu'il nous fait de sa propre justice, et l'on ne peut supposer qu'il ait rien oublié. Ce Pharisien « monta au temple pour prier », mais il fut tellement absorbé dans la contemplation de ses propres vertus, qu'il oublia l'intention même dans laquelle il était venu. Car il est très remarquable que, à proprement parler, il ne prie point du tout ; il dit seulement à Dieu, combien il est sage et bon : « O Dieu, je te rends grâces de ce que je ne suis point comme le reste des hommes, qui sont ravisseurs, injustes, adultères ; ni même aussi comme ce péager. Je jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de tout ce que je possède ». Sa justice consistait donc en trois points principaux : premièrement, dit-il, « je ne suis point comme le reste des hommes », je ne suis ni ravisseur, ni injuste, ni adultère ; je ne suis pas même comme ce péager. Secondement, « je jeûne deux fois la semaine  » ; en troisième lieu, « je donne la dîme de tout ce que je possède ».

                    « Je ne suis point comme le reste des Hommes ». Ce n'est point certes là une petite chose, tout le monde ne peut pas en dire autant. C'est comme s'il disait : Je ne me laisse point entraîner par le grand torrent de la coutume. Ce n'est point sur la coutume, mais sur la raison que je règle ma vie ; non sur les exemples des hommes, mais sur la Parole de Dieu. Je ne suis point adultère, injuste ou ravisseur, quelque communs que soient ces péchés, même parmi ceux qui s'appellent le peuple de Dieu (l'injustice, par exemple, cette espèce d'injustice légale, qui échappe aux punitions de la loi humaine, et qui consiste à profiter de l'ignorance ou de la nécessité des autres, ayant envahi tout le pays) ; je ne suis pas même comme ce péager, n'étant point coupable d'aucun péché scandaleux ; je ne suis point extérieurement pécheur, mais un homme honnête et estimable, irréprochable dans ma vie et ma conduite.

                    « Je jeûne deux fois la semaine ». Cette déclaration comprend beaucoup plus de choses que nous ne pourrions le penser d'abord. Tous les Pharisiens rigides observaient les jeûnes hebdomadaires, savoir : chaque lundi et chaque jeudi. Le premier de ces jours, ils jeûnaient en mémoire du jour où Moïse avait reçu, suivant leur tradition, les deux tables de pierre écrites par le doigt de Dieu ; le second, en mémoire du jour où il les jeta par terre, en voyant le peuple danser autour du veau d'or. Dans ces jours-là, ils ne prenaient absolument aucune nourriture jusqu'à trois heures de l'après midi, heure à laquelle on commençait à offrir le sacrifice du soir dans le temple. Jusqu'à cette heure, ils avaient l'habitude de demeurer dans le temple, dans quelqu'une de ses chambres ou de ses cours, afin d'être prêts à assister à tous les sacrifices et à se joindre à toutes les prières. Le temps intermédiaire était employé par eux, soit à des prières particulières, soit à la lecture de la loi et des Prophètes, à la méditation des Ecritures. Tout cela est compris dans cette déclaration : « Je jeûne deux fois la semaine », ce qui forme la deuxième branche de la justice d'un Pharisien.

                    « Je donne la dîme de tout ce que je possède ». C'est ce que faisaient les Pharisiens avec la plus scrupuleuse exactitude, sans en excepter les choses de la moindre valeur, pas même la menthe, l'anet et le cumin. Ils n'auraient pas voulu garder la moindre partie de ce qu'ils croyaient appartenir proprement à Dieu ; mais ils donnaient une dîme complète de tout leur revenu annuel et de tous leurs gains, quels qu'ils fussent.

                   Et même, les Pharisiens les plus scrupuleux, comme font souvent fait remarquer les savants les plus versés dans les anciens écrits des Juifs, non contents de donner un dixième de leur fortune à Dieu dans la personne de ses prêtres et de ses lévites, lui donnaient un autre dixième dans la personne de ses pauvres, et cela d'une manière régulière et constante ; ils donnaient en aumônes la même proportion de leurs biens qu'ils avaient coutume de donner en dîmes : ils y mettaient la même rigoureuse exactitude, afin de ne garder aucune partie de ce qu'ils croyaient appartenir à l'Eternel, mais de lui rendre pleinement ce qui était à lui. De sorte qu'au bout du compte, ils donnaient, chaque année, le cinquième de tout ce qu'ils possédaient.

                   Telle était « la justice des Scribes et des Pharisiens », justice qui s'étendait, sous beaucoup de rapports, beaucoup plus loin qu'on n'a coutume de se l'imaginer. Mais peut-être dira-t-on : « Ce n'était que fausseté et apparence, ils n'étaient qu'une troupe d'hypocrites ». Sans doute cela est vrai de quelques-uns d'entre eux ; dans leur nombre se trouvaient des hommes n'ayant aucune religion réelle, ni crainte de Dieu, ni désir de lui plaire ; ne s'inquiétant nullement de l'honneur qui vient de Dieu, mais uniquement des louanges des hommes Ce sont ceux-là que notre Seigneur condamne et censure avec tant de sévérité, dans plusieurs occasions. Mais il ne faut point supposer que, parce que quelques Pharisiens étaient hypocrites, tous le fussent ; et même l'hypocrisie n'est nullement essentielle au caractère d'un Pharisien. Ce n'est pas là la marque distinctive de leur secte ; la voici plutôt, d'après ce qu'en dit notre Seigneur lui-même : « Ils présumaient d'eux-mêmes comme s'ils étaient justes, et méprisaient les autres ». Voilà leur sceau particulier. Mais le Pharisien de ce caractère ne peut être un hypocrite ; il doit être sincère, dans le sens ordinaire de ce mot, autrement il ne saurait « présumer de lui-même qu'il est juste ». L'homme qui se recommandait ainsi lui-même à Dieu, se croyait incontestablement juste ; ce n'était donc, point un hypocrite, il n'avait point la conscience en lui-même d'aucun manque de sincérité. Il disait à Dieu, tout juste ce qu'il pensait : qu'il était de beaucoup meilleur que le reste des hommes.

                     Mais à défaut de tout autre exemple, celui de saint Paul serait suffisant pour mettre ceci hors de doute. Il pouvait non seulement dire, après être devenu chrétien « Je travaille à avoir toujours la conscience sans reproche, devant Dieu et devant les hommes  » ; mais, même en parlant du temps où il était Pharisien « Mes frères, j'ai vécu jusqu'à présent devant Dieu en bonne conscience ». Il était donc sincère pendant qu'il était Pharisien, aussi bien que lorsqu'il fut devenu chrétien. Il n'était pas plus hypocrite quand il persécutait l'Eglise, que lorsqu'il prêchait la foi qu'il s'efforçait jadis de détruire. Ajoutons donc à la « justice des Scribes et des Pharisiens, la croyance sincère qu'ils avaient en eux-mêmes d'être justes et de « rendre service à Dieu » en toutes choses.

                      Et cependant, dit le Seigneur : « Si votre justice ne surpasse celle des Scribes et des Pharisiens, vous n'entrerez point dans le royaume des cieux ». Solennelle et importante déclaration, qu'il convient à tous ceux qui sont appelés du nom de Christ, de considérer avec une sérieuse et profonde attention ! Mais avant d'examiner comment notre justice peut surpasser celle des Pharisiens et des Scribes, voyons d'abord si nous atteignons maintenant cette justice.

                    Et d'abord, un Pharisien n'était pas « comme le reste des hommes  » ; extérieurement il était remarquablement bon. Le sommes-nous aussi ? Osons-nous nous faire remarquer en quoi que ce soit ? ou plutôt ne nageons-nous pas avec le courant ? Ne nous arrive-t-il pas souvent de nous dispenser à la fois des règles de la religion et de celles mêmes de la raison, parce que nous ne voulons pas paraître singuliers ? N'avons-nous pas souvent plus de peur d'être hors de la mode que hors du chemin du salut ? Avons-nous le courage de remonter le courant des idées mondaines, et de marcher à l'encontre du monde ? d'obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes ? Sans cela, le Pharisien nous laisse bien loin derrière lui dès le premier pas, et ce sera bien si nous parvenons à l'atteindre du tout.

                    Mais continuons : pouvons-nous dire à Dieu comme lui : « Je ne fais point de mal ; je ne vis dans aucun péché extérieur ; je ne fais aucune chose en laquelle mon cœur me condamne ? » Le pouvez-vous ? en êtes-vous bien sûrs ? N'avez-vous aucune habitude que votre cœur condamne ? Si vous n'êtes ni adultère, ni impudique, soit en paroles, soit en actions, n'êtes-vous point injuste ? La grande règle de la justice, comme de la miséricorde, est celle-ci : « Faites aux autres comme vous voudriez qu'ils vous fissent ». Suivez-vous cette règle ? Ne faites-vous jamais à autrui ce que vous ne voudriez pas qui vous fût fait ? Et même, n'êtes-vous point grossièrement injuste ? N'usez-vous point d'extorsion ? Ne profitez-vous point de l'ignorance ou de la nécessité des autres, soit en vendant, soit en achetant ? Si vous êtes dans le commerce, ne demandez-vous, ne recevez-vous que la valeur réelle de ce que vous vendez ? Ne demandez-vous, ne recevez-vous rien de plus de l'ignorant, que de celui qui est au courant des choses, d'un petit enfant, que de celui qui a l'expérience du commerce ? Si vous le faites, pourquoi votre cœur ne vous condamne-t-il point ? Ce n'est là qu'une pure et simple extorsion ! Ne demandez-vous que le prix ordinaire des marchandises à celui qui en a un besoin pressant, à qui il faut, sans le moindre délai, les objets que seul vous pouvez lui fournir ? Si vous faites autrement, c'est encore une vraie extorsion, et il est clair que vous n'arriverez point à la justice d'un Pharisien.

                    Secondement, un Pharisien, pour approprier le sens de ses paroles à nos usages, usait de tous les moyens de grâce. De même qu'il jeûnait souvent deux fois la semaine, de même il assistait à tous les sacrifices ; il était assidu aux prières publiques et particulières, à la lecture et à l'ouïe des Ecritures. Allez-vous jusque-là ? Jeûnez-vous souvent et, beaucoup ? Deux fois par semaine ? J'ai bien peur que non. Au moins une fois alors ? « Tous les vendredis de l'année ? » comme l'enjoint clairement et péremptoirement notre Eglise (anglicane) à tous ses membres. Jeûnez-vous deux fois par an ? J'ai bien peur encore que beaucoup d'entre vous ne puissent pas même l'affirmer. Ne négligez-vous aucune occasion d'assister et de participer à la sainte Cène ? Combien n'y en a-t-il pas qui se disent chrétiens, et qui cependant négligent complètement ce devoir, et ne mangent point de ce pain, ne boivent point de cette coupe, pendant des mois, peut-être pendant des années entières ! Avez-vous l'habitude, chaque jour, d'entendre les Ecritures, ou de les lire et de les méditer ? Vous joignez-vous en prières avec tout le troupeau, chaque jour, si vous en avez occasion ; sinon, chaque fois que cela vous est possible ; particulièrement le jour que vous devez vous souvenir de sanctifier ? Cherchez-vous à faire naître les occasions de vous unir aux prières de l'Eglise ? Vous réjouissez-vous quand on vous dit : « Nous irons à la maison de l'Eternel ? » Etes-vous zélés pour la prière secrète ? Ne laissez-vous jamais passer un jour sans vous y livrer ?

                     Ou plutôt n'y en a-t-il point parmi vous, qui loin d'y consacrer, comme le Pharisien, plusieurs heures par jour, pensez au contraire qu'une heure est bien assez, si ce n'est trop ? Consacrez-vous donc une heure par jour, ou par semaine, à prier votre Père qui vous voit dans le secret ? ou même, une heure par mois ? Avez-vous même passé une heure de suite à prier en particulier, depuis que vous êtes né ? Ah ! pauvre chrétien ! le Pharisien ne s'élèvera-t-il point au jugement contre toi pour te condamner ? Sa justice est au-dessus de la tienne, autant que les cieux sont élevés par-dessus la terre !

                    Le Pharisien, en troisième lieu, payait la dîme de tout ce qu'il possédait, il faisait aussi des aumônes ; et avec quelle libéralité ! C'était donc, comme nous dirions, un homme qui faisait beaucoup de bien. L'égalons-nous en cela ? Qui de nous est aussi abondant que lui en bonnes œuvres ? Qui de nous donne à Dieu la cinquième partie de ses biens, tant du capital que des profits ? Qui de nous sur cent livres par an, je suppose, en donne vingt à Dieu et aux pauvres, sur cinquante, dix et ainsi de suite en proportion de son revenu, suivant qu'il est plus grand ou plus petit ? Quand donc, dans l'usage de tous les moyens de grâce, dans l'observation de toutes les ordonnances de Dieu, dans le renoncement au mal et dans le bien, quand notre justice égalera-t-elle enfin la justice des Scribes et des Pharisiens ?

                    Et à quoi nous servira-t-elle, si elle ne fait même que l'égaler ? « Car je vous dis en vérité que si votre justice ne surpasse celle des Scribes et des Pharisiens, vous n'entrerez point dans le royaume des cieux ». Mais comment notre justice peut elle surpasser la leur ? En quoi la justice chrétienne surpasse-t-elle celle d'un Scribe ou d'un Pharisien ? D'abord, en étendue. La plupart des Pharisiens, quelque rigoureusement exacts qu'ils fussent dans l'observation de beaucoup de points de la loi, s'étaient enhardis cependant, par les traditions des anciens, jusqu'à se dispenser d'en observer d'autres tout aussi importants. Ainsi ils étaient extrêmement scrupuleux dans l'observation du quatrième commandement, ils ne voulaient pas même froisser entre leurs mains un épi de blé au jour du sabbat ; mais ils n'avaient pas le même respect pour le troisième commandement et ne s'inquiétaient point de jurer légèrement et même faussement. Leur justice n'était donc que partielle, tandis que celle d'un véritable chrétien est universelle. Il n'observe pas une ou plusieurs parties de la loi de Dieu, en négligeant le reste ; mais il garde tous ses commandements, il les aime tous, il les estime au-dessus de l'or ou des pierres précieuses.

                     Il se peut, sans doute, que quelques-uns des Scribes et des Pharisiens s'efforçaient de garder tous les commandements, et étaient, en conséquence, quant à la justice de la loi, c'est-à-dire, suivant la lettre, sans reproche. Mais encore, la justice chrétienne surpasse toute cette justice d'un Scribe ou d'un Pharisien, en ce qu'elle accomplit l'esprit aussi bien que la lettre de la loi, par une obéissance intérieure aussi bien qu'extérieure. Sur ce point de la spiritualité de l'obéissance, il n'y a aucune comparaison à établir entre les deux justices. C'est là ce que notre Seigneur a si amplement prouvé dans toute l'étendue de son discours. Leur justice n'était qu'extérieure, la justice chrétienne existe dans l'homme intérieur. Le Pharisien « nettoyait le dehors de la coupe et du plat », c'est dans l'intérieur que le chrétien est net. Le Pharisien s'efforçait de se présenter à Dieu avec une vie irréprochable ; le chrétien, avec un cœur saint. L'un secouait loin de lui les feuilles et peut-être même les fruits du péché ; l'autre met la cognée à la racine, ne se contentant pas de la forme extérieure de la piété, quelque exacte qu'elle soit, à moins que la vie, l'Esprit, la puissance de Dieu pour le salut, ne se fassent sentir jusqu'au fond de l'âme.

                    Ainsi, ne faire aucun mal, faire du bien, suivre les ordonnances de Dieu, tout cela est extérieur, c'est la justice du Pharisien ; tandis que, au contraire, la pauvreté d'esprit, l'affliction, la débonnaireté, la faim et la soif de la justice, l'amour de notre prochain et la pureté du cœur, qui forment la justice du chrétien, sont toutes des dispositions intérieures ; et même la recherche de la paix ou la bienfaisance, et la souffrance pour la justice, n'ont droit aux bénédictions qui y sont attachées, qu'autant qu'elles impliquent ces dispositions intérieures, qu'elles en découlent, les exercent et les confirment. En sorte que, tandis que la justice des Scribes et des Pharisiens était tout extérieure, on peut dire, dans un certain sens, que la justice du chrétien est tout intérieure : toutes ses actions et ses souffrances n'étant rien en elles-mêmes, et n'ayant de valeur devant Dieu que par les dispositions dont elles découlent.

                    Qui que tu sois donc, toi qui portes le nom saint et vénérable de chrétien, prends garde d'abord que ta justice ne soit point au-dessous de la justice des Scribes et des Pharisiens. Ne sois point comme le reste des hommes ! Ose être seul ; ose, contre l'exemple des autres, être singulier pour le bien. Si tu suis la multitude, ce ne peut être que pour faire le mal. Que la coutume ou la mode ne soient point tes guides, mais bien la raison et la religion. Que t'importe la manière d'agir des autres ? « Chacun de nous rendra compte à Dieu pour soi-même ». Certes si tu peux sauver l'âme d'un autre, fais-le ; mais au moins sauves-en une, la tienne propre. Ne marche point dans le sentier de la mort, parce qu'il est large et qu'il y en a beaucoup qui le suivent : c'est à ce signe même que tu le reconnaîtras. Le chemin où tu marches maintenant, est-il large, bien fréquenté, est-ce le chemin à la mode ? En ce cas, il mène infailliblement à la destruction. Oh ! ne te perds point simplement pour avoir de la compagnie ! Détourne-toi du mal ; fuis le péché comme tu fuirais un serpent ! Au moins, ne fais point de mal. « Celui qui fait le péché est du diable ». Qu'on ne te trouve point au nombre des enfants du démon ! Maintenant même la grâce de Dieu te suffit pour te garder des péchés extérieurs. A cet égard au moins « travaille à avoir toujours la conscience sans reproche devant Dieu et devant les hommes ».

                    Secondement, que ta justice ne reste point au-dessous de la leur, en ce qui concerne les ordonnances de Dieu. Si ton travail ou ta faiblesse corporelle ne te permet point de jeûner deux fois la semaine, cependant agis fidèlement envers ta propre âme et jeûne aussi souvent que ta force te le permettra. Ne perds aucune occasion, soit en public, soit en particulier, de répandre ton âme en prières ; de manger de ce pain et de boire de cette coupe, qui est la communion au corps et au sang de Christ. Aie soin de sonder les Ecritures, lis-les autant que tu le peux, et médite-les jour et nuit. Saisis avec joie toute occasion d'entendre « la parole de réconciliation », annoncée par les « ambassadeurs de Christ », les « dispensateurs des mystères de Dieu ». En un mot, dans l'usage de tous les moyens de grâce, dans l'observation constante et attentive de toute ordonnance de Dieu, atteins la justice des Scribes et des Pharisiens, au moins jusqu'à ce que tu puisses la surpasser.

                    En troisième lieu, ne reste point en dessous d'un Pharisien pour faire le bien. Donne l'aumône de tout ce que tu possèdes. Quelqu'un a-t-il faim ? donne lui à manger. A-t-il soif ? donne lui à boire. Est-il nu ? couvre-le d'un vêtement. Si tu possèdes les biens de ce monde, ne limite pas ta bienfaisance à une proportion mesquine. Sois miséricordieux dans toute l'étendue de tes ressources. Pourquoi pas tout autant que le Pharisien ? Maintenant, pendant que tu en as le temps, « fais-toi des amis avec les richesses injustes, afin que quand tu viendras à manquer », quand ton tabernacle terrestre tombera en dissolution, « ils te reçoivent dans les tabernacles éternels ».

                    Mais n'en reste pas là. Que ta justice surpasse celle des Scribes et des Pharisiens. Ne te contente pas d'observer toute la loi et de ne pécher qu'en un seul point. Attache-toi à tous les commandements et aie en haine toute voie de mensonge. Fais absolument tout ce que Dieu a commandé, et fais-le de toute ta force ; tu peux tout par Christ qui te fortifie, quoique sans lui tu ne puisses rien.

                    Sur toutes choses, que ta justice surpasse celle des Scribes et des Pharisiens, par sa pureté et sa spiritualité. Que t'importent la forme la plus exacte de la religion, la justice extérieure la plus parfaite ? Monte plus haut et descends plus bas que tout cela. Que ta religion soit la religion du cœur. Sois pauvre en esprit, petit, bas et méprisable à tes propres yeux ; sois étonné et humilié dans la poussière, à la vue de l'amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ, ton Seigneur ! Sois sérieux ; que tout le courant de tes pensées, de tes paroles et de tes œuvres, découle évidemment de la conviction la plus profonde que tu es sur le bord de l'abîme de l'éternité, toi et tous les enfants des hommes ; que vous êtes tous prêts à être reçus dans la gloire éternelle, ou précipités dans les flammes éternelles ! Sois débonnaire, que ton âme soit remplie de douceur, de bonté, de patience, de long support envers tous les hommes. En même temps que tout ce qui est en toi ait soif de Dieu, du Dieu vivant ; que ton âme soupire après le moment où tu te réveilleras dans sa justice et où tu seras rassasié de sa ressemblance ! Aime Dieu, aime toute l'humanité, et dans cet esprit, fais et souffre toutes choses. Surpasse ainsi la justice des Scribes et des Pharisiens, et tu seras « appelé grand dans le royaume des cieux ».


lundi 6 juin 2016

(4) LE SERMON SUR LA MONTAGNE, QUATRIÈME DISCOURS WESLEY


Numérisation Yves PETRAKIAN Copie autorisée pour diffusion gratuite uniquement Obligation d'indiquer la source http://456-bible.123-bible.com

Sermon 24 :  (1748)   LE SERMON SUR LA MONTAGNE, QUATRIÈME DISCOURS 

Matthieu 5:13-16 

13  Vous êtes le sel de la terre. Mais si le sel perd sa saveur, avec quoi la lui rendra-t-on? Il ne sert plus qu’à être jeté dehors, et foulé aux pieds par les hommes.
14  Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une montagne ne peut être cachée;
15  et on n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais on la met sur le chandelier, et elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison.
16  Que votre lumière luise ainsi devant les hommes, afin qu’ils voient vos bonnes œuvres, et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux. 
 


                    La beauté de la sainteté, de cet homme intérieur qui vit dans un cœur renouvelé à l'image de Dieu, doit nécessairement frapper tout œil que Dieu a ouvert, toute intelligence qu'il a éclairée. L'ornement d'un cœur doux, humble et aimant doit attirer au moins l'approbation de ceux qui sont capables, à quelque degré, de discerner le bien et le mal spirituels. Dès le moment où les hommes commencent à sortir des ténèbres qui couvrent le monde insouciant et étourdi, ils ne peuvent que s'apercevoir combien c'est une chose désirable d'être ainsi transformés à l'image de Celui qui nous a créés. Cette religion intérieure porte si visiblement l'empreinte de Dieu, qu'une âme ne peut douter de sa ressemblance divine, à moins d'être totalement plongée dans le péché. Nous pouvons dire de cette religion, dans un sens secondaire, ce qui est dit du Fils de Dieu lui-même ; elle est « la splendeur de la gloire du Seigneur et l'image empreinte de sa personne  » ; le rayonnement de sa gloire éternelle, si adouci cependant et si modéré, que même les enfants des hommes peuvent ici voir Dieu et vivre. Elle est la marque caractéristique, l'empreinte vivante de la personne de Celui qui est la source de la beauté et de l'amour, l'origine de toute excellence et de toute perfection. 

                    Si donc la religion ne consistait qu'en cela, les hommes dont nous parlons ne pourraient douter de son excellence, ils ne feraient aucune difficulté de la chercher de toute l'ardeur de leur âme. Mais pourquoi, disent-ils, est-elle embarrassée d'autres choses ? Quelle nécessité de la surcharger d'œuvres et de souffrances C'est là ce qui ramollit la vigueur de l'âme et la fait retomber vers la terre. N'est-ce pas assez de « s'étudier à la charité », de planer sur les ailes de l'amour ? Ne peut-il suffire d'adorer Dieu, qui est Esprit, avec l'esprit et l'entendement, sans nous encombrer de choses extérieures et même sans y songer du tout ? Ne vaut-il pas mieux que toutes nos pensées soient absorbées par de hautes et célestes contemplations, et que sans nous préoccuper de ce qui est extérieur, nous ayons seulement communion avec Dieu dans nos cœurs ?

                  C'est ainsi qu'ont parlé plusieurs hommes éminents, nous donnant le conseil de cesser toute action extérieure, de nous retirer absolument du monde, de laisser en arrière notre corps ; de nous séparer totalement des objets des sens ; de ne plus nous inquiéter de la religion extérieure, mais de pratiquer toutes les vertus dans notre volonté, comme étant de beaucoup la voie la plus excellente, la plus profitable aux progrès de notre âme et la plus agréable à Dieu.

                  Il n'était pas besoin de signaler à notre Sauveur ce chef-d'œuvre de la sagesse d'en bas, la plus belle de toutes les inventions au moyen desquelles Satan ait jamais perverti les voies droites de notre Seigneur. Et quels instruments n'a-t-il pas su mettre ainsi à son service, en différents temps, pour manier cette grande arme de l'enfer contre quelqu'une des plus importantes vérités de Dieu ! — des hommes qui auraient pu « séduire les élus mêmes, s'il était possible », des hommes de foi et d'amour, qui, pour un temps, en ont séduit et entraîné un grand nombre, à toutes les époques, les faisant tomber dans ce piège doré dont ils n'ont échappé qu'à grand' peine, y laissant tout, sauf leur vie.

                   Mais le Seigneur a-t-il négligé de nous prémunir suffisamment contre cette agréable séduction ? Ne nous a-t-il pas fourni une armure à l'épreuve des coups de Satan « transformé en ange de lumière ? » Oui, certainement ; de la manière la plus claire et la plus forte, il commande ici la religion d'activité et de souffrance qu'il vient de décrire. Qu'y a-t-il de plus complet et de plus simple que les paroles qui suivent immédiatement ce qu'il vient de dire des œuvres et des souffrances ?

                   « Vous êtes te sel de la terre, mais si le sel perd sa saveur, avec, quoi la lui rendra-t-on ? Il ne vaut plus rien qu'à être jeté dehors et à être foulé aux pieds par les hommes. Vous êtes la lumière du monde ; une ville située sur une montagne ne peut être cachée, et on n'allume point une chandelle pour la mettre sous un boisseau, mais on la met sur un chandelier, et elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison. Que votre lumière luise ainsi devant les hommes, afin qu'ils voient vos bonnes œuvres et qu'ils glorifient votre. Père qui est dans les cieux ».

                   Pour expliquer complètement ces paroles importantes et leur donner toute leur force, je tâcherai de montrer d'abord que le christianisme est essentiellement une religion sociale et que le changer en une religion solitaire, c'est le détruire ; — secondement : que cacher cette religion est aussi impossible que contraire aux intentions de son Auteur. — Je répondrai, en troisième lieu, à quelques objections, et je terminerai par une application pratique.

                   Premièrement, je veux montrer que le christianisme est essentiellement une religion sociale, et que le transformer en une religion solitaire c'est, en réalité, le détruire.

                     Par christianisme, j'entends cette manière d'adorer Dieu, qui est révélée à l'homme par Jésus-Christ. Quand je dis que c'est essentiellement une religion sociale, je veux dire non seulement qu'elle ne peut subsister aussi bien sans société, mais même qu'elle ne peut pas subsister du tout, sans que l'on vive et que l'on converse avec d'autres hommes ; pour le montrer, je me bornerai aux considérations qui découlent du discours même qui nous occupe ; et, si je prouve ce point, il sera indubitablement établi que faire du christianisme une religion solitaire, c'est le détruire.

                     Ce n'est pas que nous voulions condamner d'aucune manière l'habitude de passer fréquemment de la société dans la solitude ou la retraite. C'est là une chose non seulement permise, mais convenable et même nécessaire, comme le témoigne l'expérience de chaque,jour, pour tout homme qui est déjà ou désire être réellement chrétien. Il est presque impossible que nous puissions passer une journée en rapports continuels avec les hommes, sans souffrir quelque perte dans nos âmes, et sans attrister en quelque mesure le Saint-Esprit de Dieu. Nous avons besoin, chaque jour, de nous retirer du monde, au moins chaque matin et chaque soir, pour converser avec Dieu, pour communiquer plus librement avec notre Père, qui est dans le secret. Et même un homme d'expérience ne peut condamner des temps de retraite plus prolongés, en tant qu'ils n'impliquent aucune négligence des devoirs attachés à la position dans laquelle la Providence de Dieu nous a placés dans le monde.

                    Mais cette retraite ne doit pas absorber tout notre temps ; ce serait détruire et non avancer la vraie religion ; car, que la religion décrite par notre Seigneur dans tes paroles précédentes ne puisse subsister sans société, sans que l'on vive et que l'on converse avec les autres hommes, c'est ce qui est manifeste par cette considération, que plusieurs de ses branches les plus essentielles n'ont aucune raison d'être, si nous n'avons point de relations avec le monde.

                    Il n'y a point de disposition, par exemple, plus essentielle au christianisme que la débonnaireté. Or, quoique cette disposition, en tant qu'elle comprend la résignation à la volonté de Dieu ou la patience dans la douleur et la maladie, puisse subsister dans un désert, dans la cellule d'un ermite, dans une solitude complète ; cependant, en tant qu'elle comprend tout aussi nécessairement la douceur, l'affabilité, le long support, elle ne peut exister, elle n'a de place sous le ciel que lorsque nous avons des relations avec d'autres hommes ; en sorte qu'essayer de la transformer en une vertu solitaire, c'est par le fait, l'effacer de dessus la terre.

                    Une autre branche également nécessaire du vrai christianisme, c'est le désir de procurer la paix, de faire du bien. Le plus fort argument que l'on puisse présenter pour établir que c'est là un caractère tout aussi essentiel qu'aucune autre partie de la religion de Jésus-Christ ; — c'est que notre Seigneur l'a inséré ici dans ce plan qu'il nous a tracé des principes fondamentaux de sa religion. Mettre de côté ce caractère, serait donc insulter tout aussi audacieusement à l'autorité de notre souverain Maître, que de rejeter la miséricorde, la pureté de cœur, ou toute autre partie de la religion qu'il a instituée. Mais ce caractère du christianisme est évidemment mis de côté par ceux qui nous appellent au désert, qui recommandent la solitude complète aux petits enfants et aux jeunes gens, aussi bien qu'aux pères en Christ. Car, qui voudra soutenir qu'un chrétien solitaire — (comme on dit, quoique ce ne soit guère moins qu'une contradiction dans les termes) — puisse être un homme miséricordieux, c'est-à-dire un homme qui saisit toute occasion de faire toute sorte de bien à tous ses semblables ? N'est-il pas de la dernière évidence que cette partie fondamentale de la religion de Jésus-Christ ne peut absolument subsister sans société, sans que l'on vive et que l'on converse avec les autres hommes ?

                    « Mais ne vaut-il pas mieux », demandera naturellement quelqu'un, « ne vivre qu'avec des gens de bien, avec ceux-là seulement que nous savons être débonnaires et miséricordieux, saints de cœur et saints de vie ? Ne vaut-il pas mieux éviter toute conversation et tout rapport avec des hommes, d'un caractère opposé, qui n'obéissent, qui ne croient peut-être point à l’Évangile de notre Seigneur Jésus-Christ ? » Le conseil que saint Paul adresse aux chrétiens de Corinthe, peut sembler favorable à ce point de vue : « je vous ai écrit dans ma lettre de n'avoir aucune communication avec les impudiques (1Corinthiens 5 : 9)  ». Et sans aucun doute, on ne peut conseiller à personne de s'allier aux impudiques ou à tout autre ouvrier d'iniquité, pour avoir avec eux une familiarité particulière ou une amitié intime. Contracter ou conserver de l'intimité avec de telles personnes ne peut, en aucune manière, être convenable pour un chrétien ; ces relations l'exposeraient nécessairement à une foule de pièges et de dangers, dont il ne pourrait avec raison espérer d'être délivré.

                    Mais l'apôtre ne nous défend point absolument tout rapport avec les hommes qui ne connaissent pas Dieu « Autrement, dit-il, il vous faudrait sortir du monde  » ; ce qu'il ne pourrait jamais leur conseiller. Mais il ajoute : « si quelqu'un qui se nomme frère », qui fait profession d'être chrétien, « est impudique, ou avare, ou idolâtre, ou médisant, ou ivrogne, ou ravisseur », je vous ai écrit de ne point vous associer avec lui, et même de ne pas « manger avec un tel homme ». Ce qui implique nécessairement la rupture de toute familiarité, de toute intimité avec lui. « Toutefois », dit ailleurs l'apôtre ( 2Thessaloniciens 3 : 15), « ne le regardez pas comme un ennemi, mais avertissez le comme un frère », montrant clairement par là que, même dans un cas pareil, nous ne devons pas renoncer à toute relation avec lui. Il n'y a donc ici aucune recommandation de nous séparer complètement des méchants, et ces paroles mêmes nous enseignent précisément le contraire.

                  Combien plus trouvons-nous encore le même enseignement dans les paroles de Jésus ! Il est si loin de nous commander de rompre tout commerce avec le monde, que même d'après son exposition du christianisme, sans ces relations nous ne pouvons pas être chrétiens du tout. Il serait aisé de montrer qu'il est absolument nécessaire d'entretenir quelques rapports même avec les méchants et les impies afin de mettre pleinement en action toutes les dispositions qui nous sont dépeintes comme la voie du royaume, et que cela est indispensable à l'exercice complet de la pauvreté d'esprit, de l'affliction, et de tous les sentiments qui ont leur place marquée dans la vraie religion de Jésus-Christ. Cela est indispensable à l'existence même de plusieurs de ces dispositions ; par exemple, de cette débonnaireté, qui au lieu d'exiger « œil pour oeil, dent pour dent », ne résiste point au mal, mais plutôt « si quelqu'un frappe à la joue droite, présente aussi l'autre  » ; — de cette miséricorde par laquelle nous aimons nos ennemis, nous bénissons ceux qui nous maudissent, nous faisons du bien à ceux qui nous haïssent et nous prions pour ceux qui nous outragent et nous persécutent ; — et enfin à l'existence de ce mélange d'amour et de saintes dispositions qu'exerce et développe la souffrance endurée pour la cause de la justice. Bien évidemment, toutes ces vertus ne pourraient exister, si nous ne devions avoir de commerce qu'avec de vrais chrétiens.

                   Et véritablement, si nous devions nous séparer complètement des pécheurs, comment nous serait-il possible de répondre à ce caractère que nous attribue notre Seigneur dans ces paroles : Vous chrétiens, vous qui êtes humbles, doux et sérieux, vous qui avez faim et soif de la,justice, de cet amour de Dieu et de l'homme qui fait du bien à tous et qui supporte le mal, « vous êtes le sel de la terre ». C'est dans votre nature même d'assaisonner tout ce qui vous entoure. C'est dans la nature de la saveur divine qui est en vous, de se communiquer à tout ce que vous touchez, de se répandre de toutes parts sur  tous ceux au milieu desquels vous vivez. C'est là le grand motif pour lequel la providence de Dieu vous a tellement mêlés aux autres hommes, afin que toute grâce que vous recevez de Dieu  puisse être, par votre moyen, communiquée aux autres ; que toutes vos saintes dispositions, que toutes vos paroles et vos œuvres puissent aussi avoir de l'influence sur les autres hommes. Par ce moyen, sera arrêtée dans une certaine mesure la corruption qui est dans le monde, et une petite portion de l'humanité, au moins, pourra être sauvée de la contagion générale et rendue sainte et pure devant Dieu.

                  Afin de nous exciter à répandre partout, avec plus de zèle, le sel de la sainteté, notre Seigneur nous montre l'état déplorable de ceux qui ne communiquent pas la religion qu'ils ont reçue, ce que, à la vérité, ils ne peuvent manquer de faire, aussi longtemps qu'elle demeure dans leur cœur. « Si le sel perd sa saveur, avec quoi la lui rendra-t-on ? Il ne vaut plus rien qu'à être jeté dehors et à être foulé aux pieds par les hommes ». Si vous qui étiez saints et célestes, et par conséquent zélés pour les bonnes œuvres, n'avez plus ce sel en vous-mêmes, et ne pouvez donc plus le communiquer aux autres, si vous êtes devenus insipides, insouciants sur votre salut et inutiles aux autres, avec quoi vous salera-t-on ? Comment recouvrer votre piété ? Quelle ressource y a-t-il pour vous ? Quelle espérance ? Le sel qui a perdu sa saveur, peut-il la recouvrer ? Non, il ne « vaut plus rien qu'à être jeté dehors, comme la boue dans les rues, et foulé aux pieds par les hommes  » ; c'est ainsi que le chrétien qui a perdu le sel de la sainteté s'expose à être couvert d'une infamie éternelle. Si vous n'aviez jamais connu le Seigneur, si vous n'aviez point été unis à lui, il pourrait y avoir de l'espérance ; mais que pouvez-vous répondre à cette déclaration solennelle, tout-à-fait parallèle à celle que nous venons d'entendre ? Le Père retranche « tout sarment qui ne porte pas de fruit en moi. Celui qui demeure en moi porte beaucoup de fruit. Si quelqu'un ne demeure pas en moi » ou ne porte pas de fruit, il sera jeté dehors comme le sarment ; il sèche, puis on le ramasse », non pour le replanter, mais « pour le jeter au feu (Jean 15 : 2,5,6)  ».

                    Sans doute, Dieu est rempli de pitié et de miséricorde envers ceux qui n'ont jamais goûté la bonne parole. Mais la justice seule se dresse devant ceux qui ont goûté que le Seigneur est bon, et qui se sont ensuite détournés du saint commandement qui leur avait été donné. « Car il est impossible que. ceux qui ont été une fois illuminés  (Hébreux 6 : 4 et suivants) », dans les cœurs desquels Dieu a une fois fait briller sa lumière, pour les éclairer par la connaissance de la gloire de Dieu en la présence de Jésus-Christ ; « qui ont goûté te don céleste » de la rédemption par son sang et du pardon des péchés ; « et qui ont été fait participants du Saint-Esprit », de l'humilité, de la douceur, de l'amour de Dieu et des hommes, répandus dans leurs cœurs par le Saint-Esprit qui leur a été donné ; « s'ils retombent » (dans l'original il n'y a pas une supposition, mais la déclaration pure et simple d'un fait), « soient renouvelés à la repentance, puisque, autant qu'il est en eux, ils crucifient de nouveau le Fils de Dieu et l'exposent à l'ignominie ».

                    Mais pour que personne ne puisse se méprendre sur le sens de cette terrible déclaration, il faut remarquer soigneusement quels sont ceux dont il est ici parlé, savoir ceux et ceux-là seulement qui ont goûté le don céleste et qui ont été faits ainsi participants du Saint-Esprit, de sorte que tous ceux qui n'ont point expérimenté ces choses, ont ici complètement hors de question. — Quelle est cette rechute dont il est ici parlé ? C'est une apostasie absolue et complète. Un croyant peut tomber sans cependant tomber aussi profondément que l'indique l'Apôtre ; il peut tomber et se relever encore, et s'il tombe même dans le péché, son état, quelque terrible qu'il soit, n'est pas désespéré. Car « nous avons un avocat auprès du Père, Jésus-Christ le Juste, et c'est lui qui est la propitiation pour nos péchés ». Mais surtout qu'il prenne garde de peur que son cœur « ne s'endurcisse par la séduction du péché  » ; de peur qu'il ne s'enfonce de plus en plus dans le mal, jusqu'à ce qu'il soit complètement retombé, et devenu comme le sel qui a perdu sa saveur. « Car, si nous péchons ainsi volontairement après avoir reçu la connaissance expérimentale de la vérité, il ne reste plus de sacrifice pour les péchés, et il n'y a plus rien à attendre qu'un jugement terrible et un feu ardent qui doit dévorer les adversaires ».

                    Mais en admettant que nous ne devons pas nous séparer complètement des hommes du monde, et que nous sommes appelés à leur communiquer le sel de la piété que Dieu a produite dans nos cœurs, cependant ne pouvons-nous le faire d'une manière insensible ? Ne pouvons-nous point exercer sur eux cette sainte influence d'une manière secrète et presque imperceptible, en sorte qu'on pourra à peine reconnaître quand et comment elle agit, — de même que le sel donne sa saveur aux choses qu'il assaisonne, sans bruit et sans rien qui attire l'attention ? Et si cela peut se faire, quoique nous ne sortions pas du monde, nous pouvons cependant y demeurer cachés, gardant ainsi notre religion pour nous-mêmes, sans offenser ceux que nous ne pouvons secourir.

                    Ces plausibles raisonnements de la chair et du sang ne pouvaient échapper à notre Sauveur, et il en a donné une complète réfutation dans les paroles qui nous restent à examiner. En les expliquant, je m'efforcerai de montrer, comme je me suis proposé de le faire, en second lieu, qu'aussi longtemps que la vraie religion demeure dans nos cœurs, la cacher, est aussi impossible qu'absolument contraire aux intentions de son grand Auteur.

                    Et, d'abord, il est impossible, pour quiconque la possède, de cacher la religion de Jésus-Christ. Notre Seigneur met cette vérité au-dessus de toute contradiction par une double comparaison : « Vous êtes la lumière du monde. Une ville, située sur une montagne, ne peut être cachée ». Vous chrétiens, vous êtes la lumière du monde, soit par vos dispositions, soit par vos actions. Votre sainteté vous rend aussi remarquables que le soleil au milieu du ciel. Comme vous ne pouvez sortir du monde, vous ne pouvez non plus y demeurer sans exciter l'attention de toute l'humanité. Vous ne pouvez fuir loin des hommes, et, pendant que vous vivez au milieu d'eux, il est impossible de cacher votre humilité, votre douceur, et tous les autres sentiments par lesquels vous aspirez à être parfaits comme votre Père qui est dans les cieux est parfait. L'amour ne peut pas plus se cacher que la lumière, surtout quand il se manifeste par l'action, quand vous vous exercez au travail de l'amour, à toute sorte de bienfaisance ; on pourrait tout autant songer à cacher une ville qu'un chrétien ; oui, on pourrait tout aussi bien cacher une ville située sur une montagne qu'un ami de Dieu et de l'homme, saint, zélé et actif.

                     Il est vrai que les hommes qui aiment mieux les ténèbres que la lumière, parce que leurs œuvres sont mauvaises, feront tout ce qu'ils pourront pour prouver que la lumière qui est en vous n'est que ténèbres. Ils diront du mal, toute sorte de mal, faussement contre vous ; ils vous accuseront de l'impossible, de ce qui est précisément l'opposé de tout ce que vous êtes et de tout ce que vous faites. Mais votre patiente persévérance dans le bien, votre support débonnaire de toutes choses pour l'amour du Seigneur, votre joie calme et humble au milieu des persécutions, vos efforts infatigables pour surmonter le mal par le bien, ne vous rendront que plus visibles et plus remarquables que vous ne l'étiez déjà.

                    Tant il est impossible d'empêcher que notre religion ne soit vue, à moins de la jeter au loin ! Tant il est inutile de songer à cacher la lumière, à moins de l'éteindre ! A coup sûr, une religion secrète et inaperçue ne peut être la religion de Jésus-Christ ; toute religion qu'on peut cacher, n'est pas le christianisme. Si un chrétien pouvait se cacher, il ne pourrait plus se comparer à une ville située sur une montagne, à la lumière du monde, au soleil qui brille du haut des cieux et qui est vu par tout le monde ici-bas. Que la pensée de cacher cette lumière n'entre donc jamais dans le cœur de celui que Dieu a renouvelé dans son esprit et dans son entendement, qu'il ne songe pas à garder sa religion pour lui-même ; qu'il considère qu'il est non seulement impossible de cacher le vrai christianisme, mais aussi qu'un pareil dessein est absolument contraire à l'intention de son divin Fondateur.

                    C'est ce qui ressort clairement des paroles suivantes « On n'allume point une chandelle pour la mettre sous un boisseau  » ; c'est comme s'il avait dit : De même que les hommes n'allument point une chandelle pour la couvrir et la cacher, de même Dieu n'illumine point une âme par sa glorieuse connaissance et son amour, afin qu'on cache et qu'on dissimule cette lumière, soit par une fausse prudence, soit par honte ou par humilité volontaire, afin qu'on la cache, soit dans un désert, soit dans le monde, en évitant les hommes ou en conversant avec eux. « Mais on met la chandelle sur un chandelier et elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison ». De la même manière, c'est l'intention de Dieu que tout chrétien soit exposé aux regards, afin qu'il puisse manifester visiblement la religion de Jésus-Christ.

                    C'est ainsi que dans tous les temps Dieu a parlé au monde, non seulement par des préceptes, mais aussi par des exemples. Il ne s'est laissé sans témoins dans aucune des nations auxquelles l'Évangile est parvenu, sans quelques hommes qui aient rendu témoignage à sa vérité par leurs vies aussi bien que par leurs paroles. Ils ont été « comme des lampes qui éclairaient dans des lieux obscurs  » ; et, de temps en temps, ils ont été les moyens d'en éclairer quelques autres, de conserver un résidu, une petite postérité qui a été comptée parmi ceux qui servent le Seigneur. Ils ont retiré quelques pauvres brebis des ténèbres du monde et ont guidé leurs pas dans le chemin de la paix.

                    On pourrait s'imaginer que, lorsque l'Écriture et la raison s'accordent à parler d'une manière si claire et si expresse, il est difficile de leur opposer quoi que ce soit, au moins avec quelque apparence de vérité. Mais ceux qui pensent ainsi, connaissent peu les profondeurs de Satan. En dépit de l'Écriture et de la raison, il y a des prétextes si plausibles en faveur d'une religion solitaire, et de la fuite du chrétien loin du monde, ou au moins pour qu'il se cache au milieu du monde, qu'il nous faut toute la sagesse de Dieu pour discerner le piège, et toute sa puissance pour y échapper, tant sont nombreuses et fortes les objections qu'on élève contre un christianisme social, actif et qui se montre à découvert.

                    Répondre à ces objections, c'est le troisième point que je me suis proposé. Et, d'abord, on a souvent objecté que la religion ne consiste point dans l'extérieur, mais dans le cœur, dans le fond de l'âme ; que c'est l'union de l'âme avec Dieu, la vie de Dieu dans l'âme de l'homme ; que toute cette piété du dehors est sans valeur, vu que Dieu « ne prend point plaisir aux sacrifices », au service extérieur, mais qu'un cœur pur et saint est le sacrifice que Dieu ne méprise point.

                    Je réponds : Il est très vrai que c'est dans le cœur, dans le fond de l'âme que se trouve la racine de la religion ; qu'elle est l'union de l'âme avec Dieu, la vie de Dieu dans l'âme de l'homme. Mais si cette racine est réellement dans le cœur, il ne peut se faire qu'elle ne pousse des branches. Ces branches sont les diverses parties de l'obéissance extérieure, qui sont de la même nature que la racine et qui, par conséquent, sont non seulement des marques et des indices, mais encore des parties essentielles de la piété.

                    Il est vrai aussi qu'une religion simplement extérieure, qui n'a point de racines dans le cœur, n'est d'aucune valeur ; que Dieu ne prend point plaisir à un tel service extérieur, pas plus qu'aux sacrifices juifs, et qu'un cœur saint et pur est le sacrifice auquel il prend toujours plaisir. Mais il prend aussi plaisir à tout service extérieur qui part du cœur, au sacrifice de nos prières, soit en public, soit en particulier, de nos louanges et de nos actions de grâces ; a u sacrifice de nos biens, consacrés humblement et sans réserve à son service et à sa gloire ; au sacrifice de nos corps, qu'il réclame en particulier, et que l'apôtre nous exhorte « par les compassions de Dieu, à lui offrir en sacrifice vivant, saint, et qui lui soit agréable ».

                    Une seconde objection, liée de près à la première, c'est que l'amour est tout en tous ; qu'il est l'accomplissement de la loi, « le but du commandement », de tout commandement de Dieu ; que tout ce que nous faisons, tout ce que nous souffrons, si nous n'avons pas la charité ou l'amour, ne nous sert de rien ; et que c'est pour cela que l'apôtre nous enseigne à nous « étudier à la charité », ce qu'il appelle « la voie la plus excellente ».

                    Je réponds qu'il est indubitable que l'amour de Dieu et des hommes, provenant d'une foi sincère, est tout en tous, qu'il est l'accomplissement de la loi, le but de tout commandement de Dieu ; il est vrai que, sans l'amour, tout ce que nous pouvons faire ou souffrir ne nous sert de rien. Mais il ne s'ensuit pas que l'amour soit tout, dans ce sens qu'il pourrait remplacer la foi ou les bonnes œuvres. Il est « l'accomplissement de la loi », non parce qu'il nous en débarrasse, mais parce qu'il nous contraint de lui obéir. Il est « le but du commandement », parce que tout commandement y aboutit comme vers un centre. Sans aucun doute, tout ce que nous pouvons faire ou souffrir, sans amour, ne nous sert de rien ; mais néanmoins rien de ce que nous faisons ou souffrons avec amour, ne fût-ce que d'endurer l'opprobre de Christ, ou de donner un verre d'eau froide en son nom, ne perdra sa récompense.

                     Mais l'apôtre ne nous dit-il pas de nous « étudier à la charité ? » N'est-ce pas ce qu'il appelle « la voie la plus excellente ? » — Il est vrai qu'il nous ordonne de nous étudier à la charité, mais non pas à la charité seule. Ses paroles sont : « Étudiez-vous à la charité ; désirez aussi avec ardeur les dons spirituels (1 Corinthiens 14 : 1)  ». Oui, étudiez-vous à la charité et désirez de vous dépenser pour vos frères ; étudiez-vous à la charité ; et selon que vous en avez l'occasion, faites du bien à tous les hommes.

                    Dans le même verset où il désigne le chemin de l'amour comme « la voie la plus excellente », il engage les Corinthiens à désirer, en outre, d'autres dons et même à les désirer avec ardeur. « Désirez avec ardeur, dit-il, des dons plus utiles, et je vais vous montrer la voie la plus excellente (1Corinthiens 12 : 31)  ». Plus excellente sans doute que les dons de guérir, de parler diverses langues, d'interpréter, qu'il mentionne dans les versets précédents, mais non pas plus excellente que la voie de l'obéissance. De celle-là, l'apôtre ne parle point, pas plus qu'il ne parle d'aucun acte extérieur de la religion, en sorte que ce texte est complètement étranger à la question actuelle.

                  Mais, même à supposer que l'apôtre ait voulu parler de la religion extérieure aussi bien que de la religion intérieure, et les comparer ensemble ; à supposer que dans la comparaison, il ait hautement donné la préférence à la seconde sur la première ; à supposer qu'il eût préféré, comme il le pouvait justement, un cœur aimant à quelque œuvre extérieure que ce fût, il ne s'ensuivrait pas que nous dussions rejeter l'une ou l'autre de ces deux parties de la religion. Non, Dieu les a inséparablement unies dès le commencement du monde, et que l'homme ne sépare point ce que Dieu a uni.

                     Mais, « Dieu est Esprit, et il faut que ceux qui l'adorent, l'adorent en esprit et en vérité ». Cela ne suffit-il point ? Ne devons-nous pas appliquer à ce culte spirituel toute la force de notre âme ? Cette préoccupation des choses extérieures, n'est-elle pas pour l'âme un embarras qui l'empêche de s'élever à de saintes contemplations ? Ne ramollit-elle pas la vigueur de nos pensées ? N'a-t-elle pas une tendance naturelle à surcharger et à distraire l'esprit ? tandis que saint Paul « voudrait que nous fussions sans inquiétude, et attachés au service du Seigneur sans distraction ».

                    Je réponds : « Dieu est Esprit, et il faut que ceux qui l'adorent, l'adorent en esprit et en vérité ». Cela est vrai, cela suffit, et nous devons employer à ce service toute la force de nos âmes. Mais je demanderai : Qu'est-ce donc qu'adorer Dieu, qui est Esprit, en esprit et en vérité ? C'est sans doute l'adorer avec notre esprit, le servir d'une manière dont les esprits seuls sont capables. C'est croire en lui, comme en un être sage, juste et saint, dont les yeux sont trop purs pour voir le mal, et cependant pitoyable, miséricordieux, tardif à colère, pardonnant l'iniquité, le crime et le péché, jetant tous nos péchés loin de lui, et nous acceptant en son bien-aimé ; c'est l'aimer, prendre plaisir en lui, le désirer de tout notre cœur, de toute notre pensée, de toute notre âme et de toute notre force ; c'est imiter celui que nous aimons, en nous purifiant comme lui aussi est pur ; c'est obéir à celui que nous aimons et en qui nous croyons, dans nos pensées, dans nos paroles, et dans nos actions. Par conséquent, l'une des parties du service que nous devons lui offrir et qui consiste à l'adorer en esprit et en vérité, c'est de garder ses commandements extérieurs. Ainsi donc, le glorifier dans nos corps aussi bien que dans nos esprits, accomplir nos œuvres extérieures avec des cœurs élevés vers lui, faire de notre travail journalier un sacrifice à Dieu, acheter et vendre, manger et boire en vue ; de sa gloire,- - c'est là adorer Dieu en esprit et en vérité, tout autant que de le prier dans un désert.

                     La contemplation n'est donc qu'une des manières de servir Dieu en esprit et en vérité. Nous y abandonner complètement, ce serait annuler plusieurs parties du culte spirituel, qui sont toutes également agréables à Dieu et également profitables à nos âmes, loin de leur être nuisibles. Car c'est une grande méprise de supposer que l'attention que réclament les œuvres extérieures auxquelles la Providence de Dieu nous appelle, soit un embarras pour le chrétien et qu'elle l'empêche de chercher constamment Celui qui est invisible. L'ardeur de sa pensée n'en est pas refroidie ; son esprit n'en est ni encombré ni distrait : il n'en éprouve aucune inquiétude pénible ou nuisible, lorsqu'il fait tout en vue du Seigneur, lorsqu'il a appris à tout faire, soit en paroles soit en œuvres, au nom du Seigneur Jésus, ayant un seul des yeux de son âme occupé de suivre les choses extérieures, et l'autre immuablement fixé sur Dieu. Apprenez à connaître cette vie, vous pauvres reclus, afin que vous puissiez discerner clairement la petitesse de votre foi ; et cessez de juger les autres par vous-mêmes, allez apprendre ce que signifie ceci :

                    « C'est toi, Seigneur, qui, dans ton tendre amour, portes toi-même tous mes fardeaux, qui élèves mon cœur vers les biens d'en haut et l'y tiens toujours fixé. Calme, je suis assis sur la roue du tumulte, seul au milieu de la multitude bruyante et affairée, attendant paisiblement à tes pieds jusqu'à ce que toute ta volonté soit accomplie ».

                    Mais la grande objection reste encore : « Nous en appelons, dit-on, à l'expérience. Notre lumière a brillé devant les hommes ; pendant de longues années nous avons mis en œuvres  les moyens extérieurs, et ils ne nous ont servi de rien. Nous avons usé de toutes les ordonnances prescrites, mais sans nous en trouver mieux. Au contraire, nous étions pires, car nous nous imaginions être chrétiens à cause de ces œuvres, tandis que nous ne savions même pas ce que signifie le christianisme ».

                    Je l'accorde ; vous et des milliers d'autres, vous avez ainsi abusé des ordonnances de Dieu, confondant les moyens avec le but, supposant que l'accomplissement de telle ou telle œuvre extérieure était la religion de Jésus-Christ ou pouvait la remplacer. Mais que l'abus disparaisse et que l'usage légitime demeure. Usez maintenant des moyens extérieurs, mais usez-en, ayant constamment en vue le renouvellement de votre âme dans la justice et la sainteté véritables.

                    Mais ce n'est pas tout ; l'expérience montre également, affirment-ils, qu'essayer de faire du bien, c'est perdre sa peine. A quoi sert-il de nourrir ou de vêtir les corps des hommes, s'ils vont tomber dans le feu éternel ? Et quel bien peut-on faire à leurs âmes ? Si elles sont régénérées, c'est Dieu seul qui le fait. D'ailleurs tous les hommes sont ou bons, (au moins désireux de l'être,) ou obstinément méchants. Or, les premiers n'ont aucun besoin de nous ; qu'ils demandent du secours à Dieu et ils l'obtiendront ; quant aux seconds, ils refuseront toute aide de notre part ; d'ailleurs, notre Seigneur lui-même nous défend « de jeter nos perles devant les pourceaux ».

Je réponds : 
               1° qu'ils soient finalement perdus ou sauvés, vous avez reçu le commandement exprès de nourrir ceux qui ont faim et de couvrir ceux qui sont nus. Si, pouvant le faire, vous ne le faites pas, quel que puisse être leur sort, le vôtre sera d'être jetés dans le feu éternel. 

               2° Quoique Dieu seul puisse changer les cœurs, c'est cependant généralement par le moyen de l'homme qu'il le fait. Notre part à nous, c'est d'accomplir la tâche qui nous est confiée, avec autant de zèle que si nous pouvions changer les cœurs nous-mêmes, et puis d'abandonner à Dieu le résultat. 3° Dieu, en réponse aux prières de ses enfants, les fait croître l'un par l'autre dans tous les dons de sa grâce ; il nourrit et fortifie « tout le corps, par la liaison de ses parties qui communiquent les unes aux autres », de sorte que « l’œil ne peut pas dire à la main : je n'ai pas besoin de toi ; ni aussi la tête aux pieds : je n'ai pas besoin de vous ». Enfin, comment savez-vous que les personnes auxquelles vous avez à faire sont des chiens ou des pourceaux ? Ne les jugez pas d'avance. Que sais-tu, ô homme, si tu ne sauveras point ton frère ? si comme instrument de Dieu tu ne sauveras point son âme de la mort ? Quand il aura repoussé ton amour et blasphémé contre la bonne parole, il sera temps alors de t'abandonner à Dieu.

                    Nous avons essayé, ajoute-t-on ; nous avons travaillé à réformer les pécheurs, et qu'avons-nous gagné ? Il en est beaucoup sur lesquels nous n'avons pu faire aucune impression ; et si quelques-uns se sont amendés pour un temps, leur piété n'a été que comme la rosée du matin, et bientôt ils sont redevenus aussi méchants et même pires qu'auparavant. En sorte que nous n'avons réussi qu'à leur faire du mal et à nous aussi, car nos esprits étaient troublés et découragés, peut-être même remplis de colère au lieu d'amour. Nous aurions donc mieux fait de garder notre religion pour nous-mêmes ».

                     Il est très possible qu'il en soit ainsi, que vous ayez essayé de faire du bien et que vous n'ayez pas réussi ; il est très possible que ceux qui semblaient corrigés, se soient replongés dans le péché et que leur dernier état soit pire que le premier. Mais qu'y a-t-il là d'étonnant ? Le serviteur est-il au-dessus de son Maître ? Que de fois ne s'est-il pas efforcé de sauver les pécheurs, et ils ont refusé de l'écouter, ou, après l'avoir suivi pour un temps, ils sont retournés comme le chien à son vomissement ! mais il n'a point cessé pour cela de s'efforcer de faire du bien ; et vous ne devez pas cesser non plus, quel que soit votre succès. A vous de faire ce qui vous est commandé ; le résultat est entre les mains de Dieu. Vous n'en êtes point responsables, laissez-le à Celui qui règle toutes choses avec justice. « Sème ta semence dès le matin, et ne laisse pas reposer tes mains le soir, car tu ne sais pas lequel réussira le mieux (Ecclésiaste 11 : 6)  ».

                   Mais ces tentatives agitent et inquiètent vos âmes. Peut-être ont-elles eu cet effet par cela même que vous vous êtes crus responsables du résultat, tandis qu'aucun homme ne l'est ni ne peut l'être ; il se peut encore que vous n'ayez pas été sur vos gardes, vous n'avez pas veillé sur votre propre cœur. Mais ce n'est pas là une raison de désobéir à Dieu. Essayez de nouveau, mais essayez avec plus de prudence qu'auparavant. Faites le bien, comme vous devez pardonner, « non pas sept fois, mais jusqu'à septante fois sept fois ». Seulement que l'expérience vous rende plus sages ; que chaque fois vos tentatives soient de plus en plus circonspectes. Soyez plus humbles devant Dieu, plus intimement convaincus que de vous-mêmes vous ne pouvez rien faire. Surveillez avec plus de soin votre propre esprit ; soyez plus doux, plus vigilants dans la prière : Alors « jette ton pain sur la face des eaux, et après plusieurs jours tu le trouveras ».

                    Nonobstant tous ces prétextes plausibles, pour cacher votre piété, « que votre lumière luise devant les hommes, afin qu'ils voient vos bonnes œuvres et qu'ils glorifient votre Père qui est dans les cieux ». C'est là l'application pratique que notre Seigneur lui-même fait des considérations précédentes.

                  « Que votre lumière luise ainsi », — votre humilité de cœur, votre douceur, votre sagesse, votre souci sérieux et profond pour les choses de l'éternité, et votre affliction sur les péchés et les misères des hommes ; votre désir ardent de posséder l'entière sainteté et le parfait bonheur en Dieu ; votre tendre bienveillance pour toute l'humanité et votre amour fervent pour votre Bienfaiteur suprême. Ne cherchez pas à cacher cette lumière, dont Dieu a éclairé votre âme, mais qu'elle luise devant les hommes, devant tous ceux au milieu desquels vous vivez, dans toutes vos conversations ; qu'elle brille encore plus dans vos actions, dans tout le bien que vous pourrez faire à tous les hommes, enfin dans vos souffrances pour la justice, au milieu desquelles vous devez vous « réjouir et tressaillir de joie, sachant que votre récompense sera grande dans les cieux ».

                   « Que votre lumière luise devant les hommes, afin qu'ils voient vos bonnes œuvres  » ; — tant un chrétien doit être loin d'avoir l'intention ou le désir de cacher sa piété ! Au contraire, que votre désir soit, non de la cacher, non de la mettre sous un boisseau, mais de la mettre « sur un chandelier, afin qu'elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison ». Prenez garde seulement de ne pas chercher en cela votre propre gloire, de ne désirer aucun honneur pour vous-mêmes. Mais que votre seul but soit que ceux qui voient vos bonnes œuvres puissent « glorifier votre Père qui est dans les cieux ».

                    Que ce soit là votre but unique et final en toutes choses. Avec cette réserve, soyez simples, francs, sans déguisement ; que votre amour soit sans dissimulation ; pourquoi cacher un amour pur et désintéressé ? Qu'aucune fraude ne soit trouvée dans votre bouche ; que vos paroles soient l'image sincère de votre cœur ; qu'il n'y ait ni obscurité ni réserve dans votre conversation, ni déguisement dans votre conduite. Laissez cela à ceux qui ont d'autres desseins, des desseins qui ne peuvent supporter la lumière. Soyez simples et sans art devant les hommes, afin que tous puissent voir la grâce de Dieu qui est en vous. Et si quelques-uns endurcissent leurs cœurs, d'autres s'apercevront que vous avez été avec Jésus, et en retournant eux-mêmes au grand Évêque de leurs âmes, ils « glorifieront votre Père qui est dans les cieux ».

                  Avec ce seul objet en vue, la glorification de Dieu en vous par vos semblables, avancez en son nom et dans sa force toute puissante. N'ayez pas même honte d'être seul, pourvu que ce soit dans les voies de Dieu. Que la lumière qui est dans votre cœur brille en toute sorte de bonnes œuvres, œuvres de piété et œuvres de miséricorde ; et, afin d'accroître vos moyens de faire le bien, renoncez à toute superfluité, retranchez toute dépense inutile dans votre nourriture, votre ameublement, votre costume. Soyez un bon économe de tous les dons de Dieu, même de ses dons inférieurs. Renoncez à tout emploi de temps qui n'est pas nécessaire, retranchez toute occupation inutile ou frivole, et « fais selon ton pouvoir, tout ce que tu auras moyen de faire ». En un mot, sois rempli de foi et d'amour, fais le bien, supporte le mal, et en suivant cette voie « sois ferme, inébranlable, abondant toujours dans l'œuvre du Seigneur, sachant que ton travail ne sera pas vain auprès du Seigneur ».