samedi 4 juin 2016

(3) LE SERMON SUR LA MONTAGNE, TROISIÈME DISCOURS WESLEY Matthieu 5: 8-12

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 Sermon 23 : (1748  )     LE SERMON SUR LA MONTAGNE, TROISIÈME DISCOURS

Matthieu 5: 8-12

 8  Heureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu!
9  Heureux ceux qui procurent la paix, car ils seront appelés fils de Dieu!
10  Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des cieux est à eux!
11  Heureux serez-vous, lorsqu’on vous outragera, qu’on vous persécutera et qu’on dira faussement de vous toute sorte de mal, à cause de moi.
12  Réjouissez-vous et soyez dans l’allégresse, parce que votre récompense sera grande dans les cieux; car c’est ainsi qu’on a persécuté les prophètes qui ont été avant vous.

                    Quelles excellentes choses nous dit la Bible sur l'amour de notre prochain ! Il est « l'accomplissement de la loi, le but du commandement ». Sans cet amour, tout ce que nous pouvons posséder, faire ou souffrir, n'est d'aucun prix aux yeux de Dieu. Mais l'amour du prochain dont il est question, c'est celui qui prend sa source dans l'amour de Dieu ; sans cela, il n'a de lui-même aucune valeur. Il nous convient donc d'examiner soigneusement sur quel fondement repose l'amour que nous portons à notre prochain, de rechercher s'il est réellement fondé sur l'amour de Dieu, si « nous l'aimons parce qu'il nous a aimés le premier », si nous avons le cœur pur, car c'est là un fondement qui ne peut être ébranlé : « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu ».

                     « Ceux qui ont le cœur pur » sont ceux dont Dieu a purifié le cœur, « comme Lui aussi est pur  » ; ceux qui sont purifiés par la foi dans le sang de Christ, de toute affection contraire à la sainteté ; ceux qui étant nettoyés de toute souillure de la « chair et de l'esprit, achèvent leur sanctification dans la crainte » et dans l'amour « de Dieu ». La puissance de la grâce de Dieu les purifie — de l'orgueil, par la plus profonde pauvreté d'esprit ; — de la colère et de toute passion contraire à la bonté et à la patience, par la douceur et la débonnaireté ; — de tout désir autre que celui de plaire à Dieu, de le posséder, de le connaître et de l'aimer de plus en plus, par cette faim et cette soif de la justice qui absorbe maintenant toute leur âme, en sorte que maintenant ils aiment le Seigneur de tout leur cœur, de toute leur âme, de toute leur pensée et de toute leur force.

                     Mais combien peu les faux docteurs de toutes les époques ont donné d'attention à cette pureté de cœur ! Ils se sont contentés d'enseigner simplement aux hommes à s'abstenir de ces souillures extérieures que Dieu a nominativement défendues ; mais ils n'ont pas frappé au cœur, et, en n'avertissant pas de se garder de la corruption intérieure, ils l'ont, par le fait, encouragée.

                      Notre Seigneur nous en donne lui-même un bien remarquable exemple dans les paroles suivantes (Matthieu 5 : 27-32) : « Vous avez entendu qu'il a été dit aux anciens :Tu ne commettras point d'adultère» ; et en expliquant ce commandement , ces aveugles, conducteurs d'aveugles, n'insistaient que sur l'obligation de s'abstenir de l'acte extérieur. « Mais moi je vous dis que quiconque regarde une femme pour la convoiter, a déjà commis l'adultère avec elle dans son cœur », car Dieu « aime la vérité dans l'intérieur », « il sonde le cœur et il éprouve les reins », et si tu inclines ton cœur à l'iniquité, le Seigneur ne t'écoutera point.

                     Et, Dieu n'admet aucune excuse pour ne pas rejeter tout ce qui est une occasion d'impureté. « Si donc ton œil droit te fait tomber dans le péché, arrache-le et jette-le loin de toi ; car il vaut mieux pour toi qu'un de tes membres périsse, que si tout ton corps était jeté dans la Géhenne ». Si des personnes qui te sont aussi chères que ton œil droit, sont une occasion pour toi d'offenser ainsi Dieu, un moyen d'exciter dans ton âme des désirs contraires à la sainteté, n'hésite point, sépare-t'en violemment. « Et si ta main droite te fait tomber dans le péché, coupe-la et jette-la loin de toi ; car il vaut mieux pour toi qu'un de tes membres périsse, que si tout ton corps était jeté dans la Géhenne ». Si une personne qui semble t'être aussi nécessaire que ta main droite est pour toi une occasion de péché, de désir impur ; quand même ce péché n'irait pas plus loin que ton cœur et ne se manifesterait ni en parole, ni en action, impose-toi une séparation complète et définitive, retranche cette main droite d'un seul coup, abandonne tout pour Dieu. Plaisirs, fortune, amis, il faut tout perdre plutôt que de perdre ton âme.

                      Il n'y a que deux mesures qu'on puisse tenter avant d'en venir à cette séparation absolue et définitive. Premièrement, essaie si tu ne peux chasser l'esprit impur par le jeûne et par la prière, et en t'abstenant soigneusement de toute action, de toute parole et de tout regard, que tu as reconnu être pour toi une occasion de péché. En second lieu, si tu n'es pas délivré par ce moyen, demande conseil à celui qui veille sur ton âme, ou du moins à quelque personne expérimentée dans les voies du Seigneur, au sujet du temps et de la manière d'opérer cette séparation ; mais ne consulte point la chair ni le sang, de peur que tu ne sois abandonné « à un esprit qui donnera efficace à l'erreur » pour te faire croire au mensonge.

                    Et le mariage lui-même, saint et honorable comme il l'est, ne peut servir de prétexte pour lâcher la bride à nos désirs. Il est vrai « qu'il a été dit : Si quelqu'un répudie sa femme, qu'il lui donne la lettre de divorce  » ; et alors tout allait bien, quand même le mari n'aurait donné d'autre motif de son divorce, que son peu de sympathie pour sa femme, ou son amour pour une autre femme. « Mais moi je vous dis que quiconque répudiera sa femme, si ce n'est pour cause d'adultère, il l'expose à devenir adultère », si elle vient à se remarier ; « et que quiconque se mariera à la femme qui aura été répudiée, commet un adultère ».

                 Toute polygamie est clairement défendue par ces paroles, où notre Seigneur déclare expressément, que pour une femme dont le mari est encore vivant, se remarier est un adultère. Par la même raison, c'est un adultère pour un homme de se remarier, aussi longtemps qu'il a une femme encore vivante, fussent-ils même divorcés ; à moins que ce divorce n'ait pour cause l'adultère, car dans ce cas seul, il n'y a aucun texte de l'Écriture qui défende de se remarier.

                  Telle est la pureté de cœur que Dieu exige, et qu'il produit lui-même en ceux qui croient au Fils de son amour. Heureux ceux qui ont ainsi le cœur pur, car ils verront Dieu ; il se manifestera lui-même à eux, non seulement comme il ne se montre pas au monde, mais comme il ne le fait pas toujours à ses propres enfants ! Il les favorisera des communications les plus éclatantes de son Esprit, de la communion la plus intime avec le Père et avec le Fils. Il les fera continuellement marcher en sa présence et fera toujours briller sur eux la lumière de sa face. La prière incessante de leur cœur est : « Je te prie, fais-moi voir ta gloire », et ils obtiennent ce qu'ils réclament ainsi de lui. Ils le voient maintenant par la foi, — le voile de la chair étant rendu, pour ainsi dire, transparent ; — ils le voient même dans ses œuvres inférieures qui nous environnent, dans tout ce que Dieu a fait et créé. Ils le voient remplissant toutes choses et accomplissant tout en tous. Ceux qui ont le cœur pur voient toute la création remplie de Dieu. Ils le voient dans la voûte des cieux, dans la lune lorsqu'elle est claire, dans le soleil lorsqu'il « se réjouit comme un homme vaillant pour faire sa course ». Ils le voient « faisant des grosses nuées son chariot et se promenant sur les ailes du vent ». Ils le voient « préparant la pluie pour la terre et en bénissant le fruit, faisant germer le foin pour le bétail et l'herbe pour le service de l'homme ». Ils voient le Créateur de tout, gouvernant tout avec sagesse, et « soutenant toutes choses par sa parole puissante ». « Éternel notre Seigneur, que ton nom est magnifique par toute la terre ! »

                      C'est aussi dans les dispensations de sa providence à leur égard, soit pour l'âme, soit pour le corps, que ceux qui ont le cœur pur voient Dieu plus particulièrement. Ils voient sa main continuellement étendue sur eux pour leur faire du bien, leur distribuant toutes choses dans la mesure convenable, tenant compte des cheveux de leur tête, dressant une haie protectrice autour d'eux et de tout ce qui leur appartient, et disposant toutes les circonstances de leur vie selon la profondeur de sa sagesse et de sa miséricorde.

                     Mais c'est surtout dans les moyens de grâce qu'il a institués qu'ils voient Dieu d'une manière plus spéciale, soit qu'ils se présentent dans la grande assemblée « pour rendre à l'Éternel la gloire due à son nom » et pour l'adorer dans la magnificence de sa sainteté, ou qu'ils « entrent dans leur cabinet », et que là ils répandent leur âme devant leur « Père qui les voit dans le secret  » ; soit qu'ils sondent les oracles de Dieu ou qu'ils écoutent les ambassadeurs de Christ proclamant la bonne nouvelle du salut, soit enfin qu'ils « mangent de ce pain et boivent de cette coupe, qui annoncent la mort du Seigneur jusqu'à ce qu'il vienne » sur les nuées du ciel ; — dans tous ces moyens de grâce désignés par Dieu lui-même, ils trouvent auprès de lui un accès intime que la tangue ne peut exprimer. Ils le voient, pour ainsi dire, face à face ; ils parlent avec lui « comme un homme parte avec son intime ami », et se préparent ainsi pour ces demeures célestes où ils le verront tel qu'il est.

                  Mais combien ils sont loin de voir Dieu ceux qui, ayant « entendu qu'il a été dit aux anciens : Tu ne te parjureras point, mais tu t'acquitteras envers le Seigneur de ce que tu auras promis avec serment (Mat 5 : 33) », interprètent ainsi cette défense : Tu ne te parjureras pas, lorsque tu jures par l'Éternel ton Seigneur ; tu t'acquitteras envers le Seigneur de ce que tu auras promis avec serment par le nom de l'Éternel, mais quant aux autres serments, Dieu ne s'en met pas en peine.

                   C'est ainsi qu'enseignaient les Pharisiens. Non seulement ils permettaient toute espèce de jurements dans la conversation ordinaire ; mais ils regardaient même le parjure comme peu de chose, pourvu qu'on n'eût pas juré par le nom particulier de Dieu.

                  Mais notre Seigneur défend ici d'une manière absolue tous les jurements dans la conversation, aussi bien que toute espèce de faux serments, et il montre le caractère odieux de tous les deux par une même considération solennelle, savoir : que toute créature appartient à Dieu et qu'il est présent en tous lieux, qu'il est en toutes choses et par-dessus toutes choses. « Je vous dis : Ne jurez du tout point, ni par le ciel, car c'est le trône de Dieu  » ; et c'est par conséquent la même chose que de jurer par Celui qui est assis sur l'étendue des cieux ; « ni par la terre, car c'est son marchepied », et il est aussi réellement présent sur la terre que dans le ciel ; « ni par Jérusalem, car c'est la grande ville du Roi », et Dieu « est connu dans ses palais ». « Ne jure pas non plus par ta tête, car tu ne peux faire devenir un seul cheveu blanc ou noir », parce que même cette petite chose n'est point en ta puissance, mais en celle de Dieu, qui seul peut disposer de tout ce qui existe dans le ciel et sur la terre. « Mais que votre parole soit : oui, oui, non, non », une affirmation ou une négation simple mais sérieuse, car, « ce qu'on dinde plus vient du malin », procède du démon et est une marque de ses enfants.

                  Pour se convaincre que notre Seigneur n'entend point ici défendre le serment fait pour attester la vérité en jugement, quand nous en sommes requis par un magistrat ; il suffit de considérer :


1° l'occasion de cette partie de son discours, l'abus qu'il veut condamner ici, savoir : le faux serment et les jurements ordinaires ; le serment devant un magistrat étant tout-à-fait étranger à la question.

 2° Les mots mêmes qu'il emploie pour la conclusion générale de son précepte : « Que votre parole soit, oui, oui, non, non ».

 3° L'exemple même de notre Seigneur, car il répondit lui-même avec serment, quand il y fut appelé par un magistrat. Quand le souverain sacrificateur lui dit : « Je t'adjure, par le Dieu vivant, de nous dire si tu es le Christ le Fils de Dieu ? » Jésus répondit aussitôt affirmativement : « Tu l'as dit », c'est la vérité ; « et même je vous dis que vous verrez ci-après le Fils de l'homme assis à la droite de la puissance de Dieu et venant sur les nuées du ciel (Matthieu 26 : 63,64)  ».

 4° de Dieu, du Père ; qui, « voulant montrer encore mieux aux héritiers de la promesse la fermeté immuable de sa résolution, y fit intervenir le serment (Hébreux 6 : 17)  ».

 5° L'exemple de saint Paul, qui avait aussi, croyons-nous, l'Esprit de Dieu et comprenait bien la volonté de son Maître : « Dieu m'est témoin, dit-il aux Romains (Romains 1 : 9), que je fais sans cesse mention de vous dans mes prières ». Et aux Corinthiens (1Corinthiens 2 : 1 ;  2 Corinthiens 1 : 23) : « Je prends Dieu à témoin sur mon âme, que ç’a été pour vous épargner que je ne suis point encore allé à Corinthe ». Et aux Philippiens (Philippiens 1 : 8) : « Dieu m'est témoin que je vous chéris tous d'une affection cordiale en Jésus-Christ », De là résulte inévitablement que, si l'apôtre connaissait bien la vraie signification des paroles de son Maître, elles ne défendent pas l'emploi du serment dans des occasions importantes, même entre particulier, et combien moins par conséquent devant un magistrat !

 6° Enfin cette assertion du grand apôtre au sujet du serment solennel en général (ce qu'il eût été impossible de mentionner sans y joindre quelque indication de blâme, si son Maître l'avait complètement défendu) : « Les hommes jurent par Celui qui est plus grand qu'eux, et le serment fait pour confirmer une chose termine tous les différends (Hébreux 6 : 16)  ».

                   Mais la grande leçon que notre Sauveur veut nous inculquer ici et qu'il développe par cet exemple, c'est que Dieu est en toutes choses, et que nous devons voir Dieu en toute créature, comme dans un miroir ; que nous ne devons considérer aucune chose, ni en user, en la séparant de Dieu, ce qui ne serait réellement qu'une espèce d'athéisme pratique ; mais que nous devons, selon la magnifique expression du prophète, regarder le ciel et la terre et tout ce qui y est contenu, comme renfermés dans le creux de la main de Dieu qui, par sa présence intime, leur conserve l'existence, qui remplit et met en action toute la création sensible, et est, dans le sens vrai, l'âme de l'univers.

                Jusqu'ici notre Seigneur s'est occupé plus particulièrement de nous enseigner la religion du cœur et de nous montrer ce que les chrétiens doivent être. Il va nous montrer maintenant ce qu'ils doivent aussi faire, comment la sainteté intérieure doit se traduire dans notre conduite extérieure ; « Heureux, dit-il, ceux qui procurent la paix, car ils seront appelés enfants de Dieu ! »

                   Il est bien connu que, dans le langage des saintes Écritures, « la paix » comprend souvent toute espèce de bien, toute bénédiction qui se rapporte au corps et à l'âme, au temps comme à l'éternité. Ainsi, lorsque saint Paul, dans le titre de ses Épîtres, souhaite la grâce et la paix aux Romains ou aux Corinthiens, c'est comme s'il disait : Puissiez-vous, comme fruit de l'amour et de la faveur, libres et immérités de Dieu, jouir de toute bénédiction spirituelle et temporelle, de toutes les bonnes choses que Dieu a préparées pour ceux qui l'aiment !

                    De là nous pouvons aisément comprendre quel sens étendu nous devons attribuer à cette expression « Ceux qui procurent la paix ». Dans sa signification littérale, elle renferme ces amis de Dieu et des hommes qui détestent et abhorrent profondément toute querelle et tout débat, tout désaccord et toute contention, et qui travaillent conséquemment de toutes leurs forces à empêcher ce feu d'enfer de s'allumer, d'éclater s'il est déjà allumé, ou s'il a déjà éclaté, de s'étendre davantage. Ils s'efforcent d'apaiser les tempêtes qui s'élèvent dans les esprits des hommes, de calmer les passions turbulentes, d'adoucir les esprits divisés, et, s'il est possible, de les réconcilier ensemble. Ils emploient toutes leurs forces, tous les talents que Dieu leur a donnés, à conserver la paix là où elle existe, et à la rétablir là où elle n'existe pas. C'est la joie de leur cœur de procurer, de confirmer, d'accroître la bienveillance mutuelle entre tous les hommes, mais surtout entre les enfants de Dieu, quoiqu'ils puissent se distinguer les uns des autres par des choses de moindre importance ; en sorte que, comme ils ont « un seul Seigneur et une seule foi », comme ils sont « appelés à une seule espérance », ils puissent aussi « marcher d'une manière digne de leur vocation, avec toute sorte d'humilité et de douceur, avec un esprit patient, se supportant les uns les autres avec charité, ayant soin de conserver l'unité de l'Esprit par le lien de la paix ».

                   Mais, dans le sens complet du mot, celui qui procure la paix est un homme qui, selon qu'il en trouve l'occasion, fait du bien à tous  » ; un homme qui, rempli de l'amour de Dieu et de toute l'humanité ne peut en borner l'expression à sa propre famille, à ses amis, à ses connaissances, à son parti, à ceux qui partagent ses opinions, ni même à ceux qui participent avec lui à la même précieuse foi ; mais qui franchit toutes ces étroites barrières, afin de pouvoir faire du bien à tous les hommes, afin de pouvoir, d'une manière ou d'une autre, manifester son amour aux voisins et aux étrangers, à ses amis et à ses ennemis. Il leur fait du bien à tous, selon l'opportunité, c'est-à-dire, en toute occasion possible, « rachetant le temps » à cet effet, saisissant chaque circonstance favorable, mettant à profit chaque instant, ne perdant pas un moment pour se rendre utile à autrui. Il fait le bien, non d'une manière particulière, mais le bien en général, de toute manière possible ; en y employant tous les talents divers dont il est doué, toutes les puissances et toutes les facultés de son corps et de son âme, toute sa fortune, son intérêt, sa réputation, sans aucun autre désir que d'entendre dire, à son Maître quand il arrivera : « Cela va bien, bon et fidèle serviteur.

                      Il fait du bien, dans toute l'étendue de sa puissance, même aux corps des hommes. Il se réjouit de partager son pain avec celui qui a faim, et de couvrir d'un habillement celui qui est nu. Quelqu'un est-il étranger ? il le recueille et le secourt selon ses besoins. Y a-t-il des malades ou des prisonniers ? il les visite et leur fournit ce qui leur est nécessaire. Et tout cela, il le fait, non comme à un homme, mais en se rappelant celui qui a dit : « en tant que vous avez fait ces choses à l'un de ces plus petits de mes frères, vous me les avez faites » à moi-même.

                    Combien plus encore ne se réjouit-il pas, s'il peut faire quelque bien à l'âme d'un homme ! Ce pouvoir, il est vrai, n'appartient qu'à Dieu ; il n'y a que lui qui puisse changer le cœur, changement sans lequel tout autre changement est plus léger que la vanité. Néanmoins, il a plu à Celui qui fait tout en tous, de secourir l'homme principalement au moyen de l'homme, de communiquer sa propre puissance, sa bénédiction et son amour à chaque homme par le canal d'un autre homme. Par conséquent, quoiqu'il soit certain que tout ce qui est fait sur la terre est fait par Dieu lui-même, aucun homme ne doit, pour ce motif, demeurer inactif dans la vigne de son Maître. Cette inaction est impossible à celui qui veut procurer la paix, il est toujours occupé à travailler, et, comme un instrument dans la main de Dieu, à préparer le terrain pour son Maître, à semer la semence du royaume, ou à arroser ce qui est déjà semé, dans l'espoir que Dieu donnera l'accroissement. Selon la mesure de grâce qui lui a été départie, il met tous ses soins soit à reprendre les pécheurs scandaleux, et à avertir ceux qui se précipitent tête baissée dans le chemin large de la perdition, soit à apporter la lumière à ceux qui sont « assis dans les ténèbres » et prêts à périr « faute de connaissance », à « supporter les faibles », à « fortifier les mains affaiblies et les genoux relâchés », ou à « guérir et ramener ceux qui sont boiteux ou égarés ». Il n'a pas moins de zèle pour venir en aide à ceux qui s'efforcent déjà d'entrer par la porte étroite, pour encourager ceux qui sont debout à poursuivre constamment la course qui leur est proposée pour édifier sur leur très sainte foi ceux qui savent en qui ils ont cru, et les exhorter : rallumer le don de Dieu qui est en eux afin que, croissant chaque jour dans la grâce, « l'entrée au royaume ; éternel de notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ leur soit pleinement accordée ».

                    Heureux ceux qui sont ainsi continuellement employés dans cette œuvre de foi et dans ce travail d'amour, « car ils seront appelés », c'est-à-dire, suivant un hébraïsme commun, ils seront « enfants de Dieu ». Dieu leur continuera la jouissance de l'Esprit d'adoption, et même il en répandra dans leurs cœurs une mesure plus abondante ; il les bénira de toutes les bénédictions qui appartiennent à ses enfants ; il les reconnaîtra comme ses enfants devant les anges et devant les hommes ; et, « s'ils sont enfants, ils sont aussi héritiers, héritiers de Dieu, cohéritiers de Christ ».

                   On pourrait s'imaginer qu'un homme, tel qu'on vient de le décrire, si rempli d'une humilité sincère et d'un sérieux sans affectation, si doux et si paisible, si pur de toute intention égoïste, si dévoué à Dieu et si actif dans son amour pour les hommes, doit être chéri par tous ses semblables. Mais notre Seigneur connaissait mieux la nature humaine telle qu'elle est dans son état actuel.

                 Il complète donc le portrait de cet homme de Dieu, en montrant quel traitement il doit attendre du monde : « Heureux, dit-il, ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des cieux est à eux ».

                    Pour comprendre pleinement cette déclaration, examinons d'abord quels sont ceux qui sont persécutés ? Nous l'apprendrons de la bouche de saint Paul : « Comme alors celui qui était né selon la chair persécutait celui qui était né selon l'Esprit, il en est de même maintenant (Galates 4 : 29)  ». « Aussi, tous ceux qui veulent vivre dans la piété selon Jésus-Christ seront persécutés (2Timothée 3 : 12)  ». Saint Jean nous enseigne la même chose « Mes frères, ne vous étonnez point si le monde vous hait. Quand nous aimons nos frères, nous connaissons par là que nous sommes passés de la mort à la vie (1Jean 3 : 13,14)  ». C'est comme s'il disait : Les frères, les chrétiens, ne peuvent être aimés que par ceux qui sont passés de la mort à la vie. Et notre Seigneur nous le déclare aussi très expressément lui-même : « Si le monde vous hait, sachez qu'il m'a haï avant vous. Si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui serait à lui ; mais parce que vous n'êtes pas du monde ? c'est pour cela que le monde vous hait. Souvenez-vous de la parole que je vous ai dite, que le serviteur n'est pas plus grand que son maître. S'ils m'ont persécuté, ils vous persécuteront aussi (Jean 15 : 18-20)  ».

                     Tous ces textes montrent clairement quels sont ceux qui sont persécutés, savoir : les justes : — « Celui qui est né de l'Esprit  » ; — « tous ceux qui vivent dans la piété selon Jésus-Christ  » ; — ceux qui « sont passés de la mort à la vie  » ; — ceux qui « ne sont pas du monde  » ; — tous ceux qui sont doux et humbles de cœur, qui pleurent après Dieu, qui ont faim et soif de sa ressemblance ; tous ceux qui aiment Dieu et leur prochain, et qui, en conséquence, selon qu'ils en trouvent l'occasion, font du bien à tous les hommes.

                     Si l'on demande, en second lieu, pourquoi ils sont persécutés, la réponse est tout aussi simple et claire. C'est « pour la justice », parce qu'ils sont justes, parce qu'ils sont nés selon l'Esprit, parce qu'ils veulent vivre dans la piété selon Jésus-Christ, parce qu'ils ne sont pas du monde. Quel que puisse être le prétexte mis en avant, c'est là le véritable motif. Quelles que soient d'ailleurs leurs infirmités personnelles, si ce n'était pour ce seul motif, on les supporterait, et le monde aimerait ce qui serait à lui. Ils sont persécutés, parce qu'ils sont pauvres en esprit, c'est-à-dire, comme le dit le monde : « des gens pauvres d'esprit, à l'âme basse et lâche, qui ne sont bons à rien et ne sont pas faits pour vivre dans le monde ». — Parce qu'ils sont dans l'affliction : « ce sont des créatures si lourdes, si tristes, si ennuyeuses ! Il suffit de les voir pour avoir l'esprit tout assombri. Ce sont de véritables têtes de mort ; ils proscrivent toute joie, même innocente, et troublent toute compagnie où ils entrent ». — Parce qu'ils sont débonnaires : « des fous sans énergie, qui ne sont bons qu'à se laisser molester, fouler aux pieds ». — Parce qu'ils ont faim et soif de la justice : « une poignée d'enthousiastes à tête chaude, courant, bouche béante, après ils ne savent quoi, ne pouvant se contenter d'une religion raisonnable, mais se rendant fous à la poursuite des extases et des sensations intérieures ». — Parce qu'ils sont miséricordieux, amis de tous les hommes, amis même des méchants et des ingrats : « Encourageant toute espèce de méchanceté et même induisant les gens à faire du mal par l'espérance de l'impunité ; des hommes qui, il y a lieu de le craindre, sont encore, malgré toutes leurs prétentions, sans règle religieuse, étant très relâchés dans leurs principes ». — Parce qu'ils ont le cœur pur : « des créatures sans charité, qui damnent tout le monde, excepté ceux de leur espèce ! Misérables blasphémateurs qui veulent faire Dieu menteur, en prétendant vivre sans péché ! » — Et par-dessus tout, parce qu'ils procurent la paix, parce qu'ils saisissent toute occasion de faire du bien à tous les hommes. C'est là la grande raison pour laquelle ils ont été persécutés de tout temps et le seront encore jusqu'au rétablissement de toutes choses : « s'ils voulaient seulement garder leur religion pour eux-mêmes, ce serait encore supportable ; mais c'est cette manie de répandre leurs erreurs et d'en infecter les autres, qu'on ne peut endurer. Ils font tant de mal dans le monde, qu'il est impossible de les supporter plus longtemps. Il y a en eux, il est vrai, quelques choses assez bonnes ; ils soulagent quelques pauvres ; mais ce n'est que pour mieux attirer les gens à leur parti, et pour faire ainsi, en définitive, encore plus de mal ».

                    C'est ainsi que pensent et s'expriment, avec toute sincérité, les gens du monde ; et plus le royaume de Dieu s'étend, plus les hommes qui procurent la paix sont rendus capables de propager l'humilité, la douceur et toutes les autres dispositions divines, plus aux yeux du monde le mal est grand, et plus, par conséquent, ils s'irritent contre ceux qui en sont les auteurs, et les poursuivent avec une véhémence croissante.

                    Voyons, en troisième lieu, quels sont ceux qui les persécutent ? Saint Paul nous répond : « Celui qui est né selon la chair ». Tous ceux qui ne sont pas « nés de l'Esprit », ou qui au moins ne sont pas désireux de l'être ; tous ceux qui n'essaient pas au moins « de vivre dans la piété, selon Jésus-Christ  » ; tous ceux qui ne sont pas « passés de la mort à la vie », et qui, par conséquent, ne peuvent « aimer leurs frères  » ; « le monde », c'est-à-dire, suivant l'explication de notre Sauveur, ceux qui « ne connaissent point Celui qui m'a envoyé », ceux qui n'ont pas appris à connaître Dieu, le Dieu d'amour et de pardon, par l'enseignement de son Esprit.

                     La raison pour laquelle ceux-ci persécutent les enfants de Dieu est bien simple : l'esprit qui est dans le monde est directement contraire à l'esprit qui vient de Dieu. Il doit donc nécessairement se faire que ceux qui sont du monde soient opposés à ceux qui sont de Dieu. Il y a entre eux l'opposition la plus profonde dans toutes leurs opinions, leurs désirs, leurs intentions et leurs dispositions. Le léopard et le chevreau ne peuvent gîter paisiblement ensemble. L'orgueilleux, par le fait qu'il est orgueilleux, ne peut faire autrement que de persécuter celui qui est humble ; l'homme léger et folâtre, celui qui est dans l'affliction ; et ainsi de suite, la diversité d'humeur étant à elle seule un prétexte suffisant d'inimitié perpétuelle. Par conséquent, ne fût-ce que pour ce seul motif, tous les serviteurs du démon persécuteront les enfants de Dieu.

                  Si l'on demandait, quatrièmement, comment les persécuteront-ils ? On peut répondre, en général : Justement de la manière et dans la mesure que le sage Dispensateur de toutes choses jugera les plus convenables pour sa gloire, et les plus efficaces pour les progrès de ses enfants dans la grâce et pour l'agrandissement de son propre royaume. Il n'y a dans le gouvernement de Dieu rien de plus admirable que cela. Son oreille n'est jamais fermée aux menaces des persécuteurs, ni aux cris des persécutés ; son œil est toujours ouvert, et sa main toujours étendue pour diriger chacune des plus petites circonstances de la persécution. Quand la tempête doit commencer, à quelle hauteur elle doit s'élever, dans quelle direction elle doit s'étendre, quand et comment elle doit finir, tout est déterminé par son infaillible sagesse. Les impies ne sont qu'une épée dans sa main, un instrument dont il se sert selon son bon plaisir, et qu'il jette dans le feu quand il a accompli les desseins gracieux de sa providence.

                     Dans quelques rares circonstances, comme lorsque le christianisme fut d'abord planté et pendant qu'il prenait racine dans la terre, comme aussi quand la pure doctrine de Christ commença à être rétablie dans notre patrie, Dieu permit à la tempête de sévir avec violence, et ses enfants furent appelés à résister jusqu'au sang. Il y avait une raison particulière de permettre cela quant aux apôtres, afin que leur témoignage n'en fût que plus irrécusable. Mais les annales de l'Église nous apprennent une autre raison bien différente des cruelles persécutions qu'il a permises dans le second et le troisième siècle, savoir « le mystère d'iniquité qui se formait déjà », les monstrueuses corruptions qui régnaient dès lors dans l'Église. Dieu châtiait son peuple, et en même temps s'efforçait de guérir ses plaies par ces jugements sévères mais indispensables.

                    Peut-être la même observation s'applique-t-elle à la grande persécution de notre pays (l'Angleterre). Dieu avait agi très miséricordieusement envers notre nation ; il avait répandu sur nous diverses bénédictions ; il nous avait donné la paix au dedans et au dehors, et un roi (Edouard VI) sage et bon au-dessus de son âge, et, par-dessus tout, il avait fait naître et briller parmi nous la pure lumière de l’Évangile. Mais que trouva-t-il en retour ? « Il attendait de la justice, et voici le cri », un cri d'oppression, d'ambition et d'injustice, de malice, de fraude et de convoitise. Oui, le cri de ceux qui même alors expiraient dans les flammes, parvint jusqu'aux oreilles du Seigneur des armées. C'est alors que Dieu se leva pour défendre sa propre cause contre ceux qui supprimaient la vérité injustement ; il les vendit entre les mains de leurs persécuteurs par un jugement mêlé de miséricorde, châtiment pour punir les affligeantes infidélités de son peuple, et en même temps remède pour les guérir.

                   Mais il est rare que Dieu permette à la tempête de s'élever jusqu'aux tortures, à la mort, aux fers ou à l'emprisonnement. Ses enfants sont appelés habituellement à endurer des persécutions plus légères. Ils souffrent fréquemment l'aliénation des cœurs de leurs parents, la perte des amis qui étaient comme leur propre âme. Ils éprouvent la vérité de cette parole de leur Maître, concernant, non le but, mais l'effet de sa venue : « Pensez-vous que je sois venu apporter la paix sur la terre ? Non, vous dis-je, mais plutôt la division (Luc 12 : 51)  ». De là résulte naturellement la perte de leurs occupations, de leurs affaires, et par suite de leurs biens. Mais tous ces événements sont également sous la sage direction de Dieu, qui dispense à chacun ce qui lui est le plus salutaire.

                    Mais la persécution qui attend tous les enfants de Dieu est celle que notre Seigneur indique dans ces paroles : « Vous serez heureux lorsque, à cause de moi, on vous dira des injures, qu'on vous persécutera », par des paroles injurieuses, « et qu'on dira faussement contre vous toute sorte de mal ». Cela ne peut manquer ; c'est le caractère propre de notre état de disciples, c'est un des sceaux de notre vocation, c'est une portion assurée et acquise à tous les enfants de Dieu. Si nous ne possédons pas cette part, nous sommes des bâtards et non point des enfants légitimes ; c'est droit au milieu de la mauvaise réputation, comme de la bonne, que passe le seul chemin du royaume. Les amis de Dieu et des hommes, doux, sérieux, humbles et zélés, jouissent d'une bonne réputation parmi leurs frères, mais ils en ont une mauvaise auprès du monde, qui les regarde et les traite « comme les balayures du monde et le rebut de toute la terre ».

                    On a supposé, if est vrai, qu'avant que « la multitude des Gentils ne soit entrée » dans l’Église, le scandale de la croix cessera, et que Dieu fera que les chrétiens soient estimés et chéris même par ceux qui sont encore dans leurs péchés. Oui, sans doute, et même, dès à présent, il suspend quelquefois le mépris aussi bien que fa férocité des hommes ; pour un temps, il donne à un homme la paix avec ses ennemis et lui fait trouver faveur auprès de ses plus cruels persécuteurs ; mais, à part cette circonstance exceptionnelle, le scandale de la croix n'a pas encore cessé, et l'on peut encore dire : « Si je cherchais à plaire aux hommes, je ne serais pas serviteur de Christ ». Que personne donc ne se laisse prendre à cette agréable suggestion (agréable sans doute à la chair et au sang), savoir que les méchants prétendent bien haïr et mépriser les gens de bien, mais que dans leurs cœurs ils les aiment et les estiment réellement. Il n'en est rien ; ils peuvent bien les employer quelquefois, mais c'est uniquement pour leur propre avantage. Ils peuvent bien se confier à eux, car ils savent que leurs voies ne ressemblent pas à celles des autres hommes, mais ils ne les aiment cependant point, à moins que l'Esprit de Dieu n'agisse en eux. Les paroles de notre Sauveur sont expresses :

                 « Si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui serait à lui ; mais parce que vous n'êtes pas du monde, c'est pour cela que le monde vous hait ». Oui, mettant à part les exceptions que peut produire la grâce prévenante ou quelque providence particulière de Dieu, le monde hait les disciples aussi cordialement et aussi sincèrement qu'il n'a jamais aimé le Maître.

                    Il ne reste plus qu'à demander : Comment les enfants de Dieu doivent-ils se conduire à l'égard de la persécution ? Et d'abord ils ne doivent pas sciemment ou de propos délibéré l'attirer sur eux-mêmes. Ce serait contraire à la fois aux exemples et aux avertissements de notre Seigneur et de tous ses apôtres, qui nous enseignent non seulement à ne pas rechercher la persécution, mais à l'éviter, autant que faire se peut, sans faire tort à notre conscience, sans renoncer à aucune partie de cette justice que nous devons préférer à la vie elle-même. C'est ainsi que notre Seigneur dit expressément : « Quand ils vous persécuteront dans une ville, fuyez dans une autre  » ; ce qui est réellement, quand on peut le faire, la manière la plus irréprochable d'éviter la persécution.

                    Cependant ne vous imaginez pas que vous puissiez toujours l'éviter de cette manière ou de toute autre. Si jamais cette vaine imagination se glisse dans votre cœur, écartez-la par ce sérieux avertissement : « Souvenez-vous de la parole que je vous ai dite, que le serviteur n'est pas plus grand que son Seigneur. S'ils m'ont persécuté, ils vous persécuteront aussi ». « Soyez prudents comme des serpents et simples comme des colombes ». Mais cela vous garantira-t-il de la persécution ? Non, à moins que vous n'ayez plus de sagesse que votre Maître ou plus d'innocence que l'Agneau de Dieu...

                   Ne désirez pas non plus l'éviter et y échapper totalement ; car si vous le faites, vous n'êtes pas des siens. Si vous échappez à la persécution, vous perdez la bénédiction, la bénédiction promise à ceux qui sont persécutés pour la justice. Si vous n'êtes pas persécutés pour la justice, vous ne pouvez entrer dans le royaume des cieux. « Si nous souffrons avec lui, nous règnerons aussi avec lui ; si nous le renions, il nous reniera aussi ».

                 Réjouissez-vous », au contraire, « et tressaillez de joie », quand les hommes vous persécutent pour l'amour de Jésus, quand ils vous persécutent par des paroles injurieuses et « en disant faussement contre vous toute sorte de mal », ce qu'ils ne manqueront pas d'ajouter à tout genre de persécution : il faut bien qu'ils vous noircissent pour s'excuser eux-mêmes. « Car on a ainsi persécuté les prophètes qui ont été avant vous », ceux qui étaient le plus éminemment saints dans leur cœur et dans leur vie, tous les justes, en un mot, qui ont jamais existé depuis le commencement du monde. Réjouissez-vous, parce que, à cette marque aussi, vous pouvez reconnaître à qui vous appartenez, et « parce que votre récompense sera grande dans les cieux », la récompense acquise par le sang de l'alliance et accordée gratuitement en proportion de vos souffrances aussi bien que de votre sainteté de cœur et de vie. « Tressaillez de joie », sachant que « votre légère affliction du temps présent produit en vous le poids éternel d'une gloire infiniment excellente ».

                   En attendant, qu'aucune persécution ne puisse vous détourner de la voie de l'humilité et de la douceur, de l'amour et de la bienfaisance. « Vous avez entendu », sans doute, « qu'il a été dit : Œil pour œil et dent pour dent », et vos misérables docteurs vous ont permis de vous venger vous-mêmes et de rendre le mal pour le mal. « Mais moi je vous dis de ne pas résister à celui qui vous fait du mal », de ne pas lui résister de cette manière en lui rendant le mal qu'il vous fait ; mais plutôt que de faire cela, « si quelqu'un te frappe à la joue droite, présente-lui aussi l'autre ; et si quelqu'un veut plaider contre toi et t'ôter ta robe, laisse-lui encore l'habit ; et si quelqu'un veut te contraindre d'aller une lieue avec lui, vas-en deux ».

                     Que ta douceur soit ainsi inaltérable et que ton amour égale ta douceur. « Donne à celui qui te demande et ne te détourne pas de celui qui veut emprunter de toi ». Seulement ne donne point ce qui est à autrui, ce qui ne t'appartient point. Par conséquent, prends garde de ne rien devoir à personne ; car ce que tu dois n'est point à toi, mais à autrui. Subviens aux besoins de ceux de ta propre maison, car Dieu exige aussi cela de toi ; et ce qui est nécessaire pour les maintenir en vie et dans la piété n'est pas non plus à toi. Après cela, donne ou prête tout ce qui te reste, de jour en jour, ou d'année en année ; seulement, puisque tu ne peux donner à tous, souviens-toi d'abord des domestiques de la foi.

                    Dans les versets qui suivent, le Sauveur nous dépeint la débonnaireté et l'amour que nous devons éprouver pour ceux qui nous persécutent à cause de la justice, et la bonté que nous devons leur témoigner. Oh ! puissent ces paroles être gravées dans nos cœurs ! « Vous avez entendu qu'il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi (Mat 5 : 43)  ». Dieu, il est vrai, n'avait prononcé que la première partie de cette phrase, « tu aimeras ton prochain  » ; les enfants du diable avaient ajouté la seconde, « tu haïras ton ennemi ». Mais moi je vous dis : 

1° « Aimez vos ennemis ». Ayez soin d'être portés de bonne volonté envers ceux dont l'esprit est le plus aigri contre vous et qui vous souhaitent toute sorte de mal. 
 2° « Bénissez ceux qui vous maudissent ». Y en a-t-il parmi eux dont l'amertume d'esprit éclate en paroles amères ? qui soient continuellement à vous maudire et à vous accabler de reproches quand vous êtes présents, et à dire toute sorte de mal contre vous quand vous êtes absents ? Bénissez-les d'autant plus : en parlant avec eux, employez le langage le plus doux et le plus paisible. Reprenez-les en leur montrant comment ils auraient dû parler. Et, en parlant d'eux, dites-en tout le bien possible, sans violer les règles de la vérité et de la justice. 
 3° « Faites du bien à ceux qui vous haïssent », que vos actions témoignent que votre amour est aussi réel que leur haine. Rendez le bien pour le mal. « Ne vous laissez point surmonter par le mal, mais surmontez le mal par le bien ». 
 4° Si vous ne pouvez faire plus, au moins « priez pour ceux qui vous outragent et vous persécutent ». Vous ne pouvez jamais être incapables de le faire ; toute leur malice et leur violence ne peuvent vous en empêcher. Répandez vos âmes devant Dieu, non seulement pour ceux qui vous ont persécutés jadis, mais qui se repentent maintenant ; — c'est là peu de chose ; « si ton frère revient vers toi sept fois le jour et te dit : je me repens (Luc 17 : 4) », c'est-à-dire, si après même de si nombreuses rechutes, il te donne sujet de croire qu'il est réellement et complètement changé, alors tu lui pardonneras jusqu'à te confier à lui et le presser sur ton sein, comme s'il n'avait jamais péché contre toi ; — mais, prie pour ceux qui ne se repentent pas, lutte avec Dieu pour ceux qui, dans ce moment même, t'outragent et te persécutent. Pardonne-leur ainsi, « non pas seulement jusqu'à sept fois, mais jusqu'à septante fois sept fois (Matthieu 18 : 22)  ». Qu'ils se repentent ou non, qu'ils paraissent même s'éloigner de plus en plus du repentir, donnez-leur cependant cette preuve de bonté, « afin que vous soyez les enfants », que vous prouviez que vous êtes réellement les enfants légitimes « de votre Père qui est dans les cieux », qui montre sa bonté en répandant même sur ses ennemis les plus endurcis toutes les bénédictions qu'ils sont capables de recevoir ; « qui fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes ». « Car, si vous n'aimez que ceux qui vous aiment, quelle récompense en aurez-vous ? Les péagers mêmes n'en font-ils pas autant (Matthieu 5 : 46) », eux qui n'ont aucune prétention religieuse et que vous reconnaissez vous-mêmes comme étant sans Dieu dans le monde ? « Et si vous ne faites accueil », si vous ne montrez de la bonté en paroles ou en actions, « qu'à vos frères », à vos amis ou à vos parents ; « que faites-vous d'extraordinaire ? » de plus que ceux qui n'ont point de religion ? « Les péagers même n'en font-ils pas autant (Matthieu 5 : 47) ? » Mais, suivez un meilleur modèle qu'eux, vous chrétiens, « soyez parfaits » en patience, en long support, en miséricorde, en bienfaisance de toute espèce, envers tous, même envers vos plus cruels persécuteurs, « soyez parfaits, comme votre père qui est dans les cieux est parfait (Mat 5 : 48) ; » c'est-à-dire que votre perfection ait le même caractère, quoiqu'elle ne puisse atteindre au même degré que la sienne.

                   Voilà le christianisme dans sa forme primitive, tel qu'il nous est exposé par son grand Auteur ! Voilà la religion pure de Jésus-Christ ! C'est ainsi qu'elle se présente à celui dont les yeux sont ouverts. Voyez ce portrait de Dieu en tant que Dieu est imitable par l'homme ; un portrait tracé de la main du Seigneur lui-même. « Voyez, vous qui méprisez, et soyez étonnés, et pâlissez d'effroi », ou plutôt soyez étonnés et adorez ! Écriez-vous : est-ce là la religion de Jésus de Nazareth, la religion que j'ai persécutée ? Que l'on ne me voie plus combattre contre Dieu ! Seigneur, que veux-tu que je fasse ? Quelle beauté se manifeste dans l'ensemble de ce tableau ! quelle juste symétrie, quelle exacte proportion dans chaque partie ! Que le bonheur qui est ici décrit est désirable ! Que la sainteté qui nous y est présentée est vénérable ! qu'elle est aimable ! Voilà l'esprit de la religion, son essence même ; voilà les vrais fondements du christianisme. Oh ! puissions-nous ne pas être seulement des auditeurs de ces vérités, « semblables à un homme qui regarderait dans un miroir son visage, naturel, et qui, après s'être regardé, s'en irait et oublierait aussitôt quel il était ». Non, mais  plutôt « considérons avec attention la loi parfaite, qui est celle de la liberté, et persévérons-y ». Ne nous donnons aucun repos jusqu'à ce que chaque ligne de cette loi soit transcrite dans nos cœurs. Veillons, prions, croyons, aimons, combattons, jusqu'à ce que par le doigt de Dieu chacune de ses parties soit gravée sur notre âme, jusqu'à ce que nous soyons « saints comme Celui qui nous a appelés est saint », « parfaits comme notre Père qui dans les cieux est parfait ». 

 

vendredi 3 juin 2016

(2) LE SERMON SUR LA MONTAGNE, DEUXIÈME DISCOURS WESLEY

Numérisation Yves PETRAKIAN Copie autorisée pour diffusion gratuite uniquement Obligation d'indiquer la source http://456-bible.123-bible.com


Sermon 22  (1748)       LE SERMON SUR LA MONTAGNE,    DEUXIÈME DISCOURS

Matthieu 5: 5-7  

5  Heureux les débonnaires, car ils hériteront la terre!
6  Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés!
7  Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde!
 
                     Lorsque « l'hiver est passé », lorsque « le temps des chansons est venu et que la voix de la tourterelle a déjà été ouïe dans la contrée  » ; lorsque Celui qui console les affligés est revenu, « afin qu'il demeure éternellement avec eux », lorsqu'à la splendeur de sa présence, les nuages se dispersent — les nuages ténébreux du doute et de l'incertitude — les tempêtes de la crainte se dissipent, les flots du chagrin s'apaisent, et l'esprit de ceux qui gémissaient se réjouit de nouveau en Dieu, leur Sauveur ; c'est alors surtout que cette parole est accomplie, et que ceux qu'il a consolés peuvent rendre témoignage à la vérité de cette déclaration :

« Heureux les débonnaires, car ils hériteront la terre ».

                    Mais qui sont « les débonnaires ? » Ce ne sont pas ceux qui ne s'affligent de rien, parce qu'ils ne connaissent rien, ou qui ne sont point émus par les maux qui surviennent, parce qu'ils ne discernent pas le mal du bien ; ce ne sont pas ceux qui sont abrités contre les chocs de la vie par une insensibilité stupide, et qui possèdent, soit naturellement, soit artificiellement, la vertu du bois et de la pierre, et ne s'émeuvent de rien parce qu'ils ne sentent rien. Les philosophes abrutis n'ont rien à faire ici. L'apathie est aussi éloignée de la débonnaireté que de l'humanité ; de sorte qu'il est difficile de concevoir que des chrétiens des siècles primitifs, surtout des Pères de l'Église, aient pu confondre ces deux qualités et prendre pour une branche du vrai christianisme, une des erreurs les plus impures du paganisme.

                     La débonnaireté chrétienne ne consiste pas non plus dans le manque de zèle pour Dieu, pas plus que dans l'ignorance ou l'insensibilité. Non, elle se garde de tout extrême, soit par excès, soit par défaut. Elle ne détruit pas, mais elle gouverne les affections que le Dieu de la nature n'a jamais eu l'intention d'arracher de nos cœurs par sa grâce, voulant seulement les placer sous l'empire de règles convenables. Elle maintient l'esprit dans une juste balance par rapport à la colère, au chagrin et à la crainte, tenant le juste milieu dans toutes les circonstances de la vie, sans pencher ni à droite, ni à gauche.

                    Il semblerait donc que la débonnaireté se rapporte proprement à nous-mêmes ; mais elle peut aussi se rapporter soit à Dieu, soit à notre prochain. Lorsque cette égalité d'âme a Dieu pour objet, on l'appelle ordinairement résignation, c'est-à-dire, acquiescement calme à la volonté de Dieu à notre égard, alors même que cette volonté peut n'être pas agréable à la nature ; soumission qui nous fait dire  en toute circonstance « C'est l'Éternel ; qu'il fasse ce qui lui semblera bon ». Lorsque nous la considérons plus particulièrement dans ses rapports avec nous-mêmes, nous lui donnons le nom de patience ou de contentement d'esprit. Lorsqu'elle s'exerce enfin envers nos semblables, c'est alors douceur vis-à-vis des gens de bien, et support miséricordieux vis-à-vis des méchants.

                    Ceux qui sont véritablement débonnaires peuvent discerner clairement ce qui est mal, et ils peuvent aussi le supporter. Ils sont sensibles à toute chose mauvaise, mais cependant la débonnaireté a le dessus. Ils sont remplis de zèle pour l'Éternel des armées, mais leur zèle est toujours guidé par la connaissance, et modéré, dans toutes leurs pensées, leurs paroles et leurs actions, par l'amour des hommes, aussi bien que par l'amour de Dieu. Ils ne cherchent point à éteindre aucune des passions que Dieu a placées dans leur nature, mais ils s'en rendent maîtres, ils les tiennent en sujétion et ne les emploient que pour le but voulu de Dieu. Et de cette manière on peut appliquer aux desseins les plus nobles même les passions les plus rudes et les plus désagréables : même la haine, la colère et la crainte, quand elles s'exercent contre le péché, et sont réglées par la foi et l'amour, peuvent servir de rempart et de défense à l'âme, en sorte que le malin ne puisse s'en approcher pour lui nuire.

                    Il est évident que cette disposition divine doit non seulement habiter, mais encore s'accroître en nous de jour en jour. Aussi longtemps que nous serons sur la terre, nous ne manquerons pas d'occasions pour l'exercer et pour la faire croître par cet exercice. « Car nous avons besoin de patience, afin qu'après avoir » fait et enduré « la volonté de Dieu, nous remportions l'effet de sa promesse ». Nous avons besoin de résignation pour pouvoir dire dans toutes les circonstances de la vie :

                    « Qu'il en soit non comme je le voudrais, mais comme tu le veux ». Nous avons besoin de douceur envers tous les hommes, mais surtout envers les méchants et les ingrats ; autrement nous serons surmontés par le mal, au lieu de surmonter le mal par le bien.

                    La débonnaireté ne s'étend pas seulement aux actes extérieurs, comme les Scribes et les Pharisiens l'enseignaient autrefois, et comme ne manqueront pas de faire en tout temps les misérables docteurs qui ne sont point enseignés de Dieu. Notre Seigneur nous met en garde contre cette erreur et nous montre jusqu'où s'étend la débonnaireté, lorsqu'il dit : « Vous avez entendu qu'il a été dit aux anciens : Tu ne tueras point ; et celui qui tuera sera punissable par les juges. Mais moi je vous dis que quiconque se met en colère contre son frère sans cause, sera puni par le jugement ; et celui qui dira à son frère Raca, sera puni par le conseil ; et celui qui lui dira fou, sera puni par la géhenne du feu (Matthieu 5 : 21-22)  ».

                     Notre Seigneur place ici à l'égal du meurtre, même cette colère qui ne va pas plus loin que le cœur, qui ne se montre pas au dehors par de mauvais traitements, ni même par la vivacité des paroles : « Quiconque se met en colère contre son frère », contre tout homme vivant, puisque nous sommes tous frères ; quiconque éprouve dans son cœur quelque rancune, quelque disposition contraire à l'amour ; quiconque se met en colère sans cause, sans motif suffisant, ou plus fortement que ce motif ne l'exige, « sera puni par le jugement », il sera, dès ce moment, exposé au juste jugement de Dieu.

                     Mais ne serait-on pas disposé, d'après quelques manuscrits, à omettre les mots sans cause ? Ne sont-ils pas tout-à-fait superflus ? Car si la colère contre une personne est contraire à la charité, comment peut-il y avoir une cause, une raison suffisante pour s'irriter, un motif pour justifier cette disposition aux yeux de Dieu ? Quant à la colère contre le péché, elle est permise ; dans ce sens, nous pouvons nous mettre en colère et ne point pécher. Dans ce sens, il nous est rapporté que notre Seigneur lui-même s'est mis en colère : « Il les regarda tous avec indignation, étant affligé de l'endurcissement de leur cœur ». Il était affligé sur les pécheurs et irrité contre le péché. Et c'est là, sans aucun doute, une disposition qui est juste devant Dieu.

                    « Et celui qui, dira à son frère, Raca » — quiconque se laissera aller à la colère, au point de laisser échapper quelque expression de mépris. Les commentateurs remarquent que Raca est un mot syriaque qui signifie proprement vide, vain, sot ; de sorte que c'est l'expression la plus inoffensive dont nous puissions nous servir envers quelqu'un contre qui nous sommes en colère. Et cependant tout homme qui se servira d'une telle expression sera, comme notre Seigneur l'affirme, « puni par le conseil », ou plutôt sera jugé par le conseil : il sera exposé à une sentence plus sévère de la part du Juge de toute la terre.

                    « Et celui qui lui dira fou  » ; — quiconque cèdera au Diable au point de se laisser aller, de propos délibéré, à des injures, à des outrages ou à des paroles offensantes, sera punissable par la géhenne du feu, sera, dès ce moment, exposé au plus terrible des châtiments. Il faut remarquer que notre Seigneur représente tous ces crimes comme sujets à une peine capitale. Le premier expose le coupable à être étranglé, punition ordinairement infligée à ceux qui étaient condamnés dans les cours inférieures ; le second l'expose à être lapidé, peine infligée généralement à ceux qui étaient condamnés par le grand conseil, à Jérusalem ; le troisième, à être brûlé vif, châtiment réservé aux criminels les plus grands, dans la "vallée des fils de Hinnom " ; d'où vient évidemment le mot géhenne.

                    Et comme les hommes sont naturellement portés à s'imaginer que Dieu excusera leur négligence à l'égard de quelques devoirs, en faveur de l'exactitude avec laquelle ils en remplissent d'autres, notre Seigneur prend soin tout aussitôt de couper court à cette imagination chimérique, quoique si commune. Il montre, qu'il est impossible à tout pécheur de transiger avec Dieu. Dieu n'acceptera point un devoir pour un autre et ne se contentera pas d'une demi-obéissance. Il nous fait savoir que l'accomplissement de notre devoir envers Dieu ne nous exemptera pas de notre devoir envers notre prochain ; que les œuvres de piété, comme on les appelle, bien loin de nous recommander à Dieu, si nous manquons de charité, seront au contraire une abomination à l'Éternel, à cause même de ce manque de charité.

                    « Si donc tu apportes ton offrande à l'autel, et que là tu te souviennes que ton frère a quelque chose contre toi », à cause de ta conduite désobligeante envers lui, des injures que tu lui as peut-être dites, en l'appelant Raca ou fou, ne pense pas que ton offrande puisse expier ta colère, ou être agréée par Dieu aussi longtemps que ta conscience est souillée d'un péché dont tu ne t'es pas encore repenti. « Laisse là ton offrande devant l'autel, et va-t'en premièrement te réconcilier avec ton frère » (fais, du moins, tout ce qui dépend de toi pour cela) ; « et, après cela, viens et offre ton offrande (Matthieu 5 : 23,24)  ».

                    Et qu'il n'y ait aucun retard dans une affaire qui intéresse ton âme de si près. « Accorde-toi au plus tôt avec ta partie adverse », maintenant, sur-le-champ. « pendant que tu es en chemin avec elle », s'il est possible, avant de la perdre de vue, « de peur que ta partie adverse ne te livre au juge », de peur qu'elle n'en appelle à Dieu, le Juge suprême, « et que le Juge ne te livre au sergent », à Satan, l'exécuteur de la colère de Dieu ; « et que tu ne sois mis en prison », en enfer, on tu seras réservé pour le jugement du grand jour. « Je te dis en vérité que tu ne sortiras pas de là jusqu'à ce que tu aies payé le dernier quadrain (Matthieu 5 : 25,26)  ». Mais il est impossible pour toi de jamais t'acquitter, puisque tu n'as rien pour payer. Si donc tu entres une fois dans cette prison, la fumée de ton tourment « montera aux siècles des siècles ».

                      Mais quant aux débonnaires, ils hériteront la terre. Telle est la folie de la sagesse mondaine ! Les sages de ce monde les avaient bien avertis mainte et mainte fois, — que s'ils supportaient sans vengeance de tels traitements, que s'ils se laissaient ainsi lâchement maltraiter sans résistance, il n'y aurait pas moyen pour eux de vivre sur cette terre, ils ne pourraient jamais se procurer les choses nécessaires à la vie, ni même conserver ce qu'ils avaient, qu'ils ne pourraient attendre ni paix, ni possession paisible, ni jouissance d'aucune chose. Ils auraient eu parfaitement raison s'il n'y avait point de Dieu dans le monde on s'il ne s'inquiétait en rien des enfants des hommes. Mais quand Dieu se lève pour exécuter ses jugements, pour délivrer tous les débonnaires de la terre », comme il se rit de toute cette sagesse païenne, comme il fait tourner la fureur de l'homme à sa gloire ! Il prend un soin particulier de fournir aux siens tout ce qui est nécessaire à la vie et à la piété ; en dépit de la force, de la fourberie ou de la malice des hommes, il leur assure ce qu'il a préparé pour eux, et toutes ces choses, il les leur donne abondamment pour en jouir ; que ce soit peu ou beaucoup, la jouissance leur en est douce. Comme ils possèdent leurs âmes par leur patience, de même aussi ils possèdent véritablement tout ce que Dieu leur a donné. Ils sont toujours contents, toujours satisfaits de ce qu'ils ont. Cette part, leur plaît parce qu'il a plu à Dieu de la leur assigner. En sorte que, pendant que leur cœur, leurs désirs, leur joie, sont dans le ciel, on peut dire d'eux avec vérité qu'ils héritent la terre.

                      Mais ces paroles semblent avoir encore une signification plus étendue, et indiquer, que les débonnaires auront une meilleure portion dans cette « nouvelle terre, où la justice habite », dans cet héritage, dont saint Jean nous a donné une description générale (et nous en connaîtrons les détails plus tard) dans le vingtième chapitre de l'Apocalypse : 

« Après cela, je vis descendre du ciel un ange, — et il saisit le dragon, l'ancien serpent, — et le lia pour mille ans. — Je vis aussi les âmes de ceux qui avaient été décapités pour le témoignage de Jésus et pour la Parole de Dieu, qui n'avaient point adoré la bête ni son image, et qui n'avaient point pris sa marque sur leurs fronts, ou à leurs mains, et qui devaient vivre et régner avec Christ, pendant ces mille ans. Mais le reste des morts ne ressuscitera point, jusqu'à ce que les mille ans soient accomplis. C'est là la première résurrection. Heureux et saint celui qui a part à la première résurrection. La seconde mort n'a point de pouvoir sur eux ; mais ils seront sacrificateurs de Dieu et de Christ, et ils règneront avec lui mille ans (Apocalypse 20 : 1-6)  ».

                    Jusqu'ici, notre Seigneur s'est principalement attaché à lever les obstacles qui s'opposent à la vraie religion. Tel est l'orgueil, le premier, le plus grand de tous ces obstacles qui est déraciné par la pauvreté d'esprit ; telles sont la légèreté et l'irréflexion qui empêchent la religion de prendre racine dans l'âme, jusqu'à ce qu'elles soient détruites par une sainte affliction à cause du péché ; tels sont encore la colère, l'impatience, le mécontentement, qui sont guéris par la débonnaireté chrétienne. Et dès que ces obstacles sont écartés, dès que ces maladies de l'âme, qui excitaient continuellement en elle de faux besoins et la remplissaient d'appétits dépravés, sont guéries, alors reparaissent les appétits naturels d'un esprit né pour le ciel ; il a faim et soif de la justice, et « bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés ».

                    La justice, comme nous l'avons déjà dit, est l'image de Dieu, l'esprit qui était en Jésus-Christ ; c'est l'union de toutes les dispositions saintes et célestes prenant leur source et se résumant dans l'amour de Dieu, comme notre Père et notre Rédempteur, et dans l'amour de tous les hommes par amour pour Dieu.

« Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice ». 

                 Pour comprendre toute la force de cette expression, remarquons premièrement, que la faim et la soif sont les plus énergiques de nos appétits corporels. De même cette faim de l'âme, cette soif de l'image de Dieu est le plus énergique de nos désirs spirituels ; dès qu'il est une fois réveillé dans le cœur, tout autre désir est absorbé par celui d'être renouvelé à l'image de Celui qui nous a créés. — Remarquons, en second lieu, que, dès le moment que nous commençons à  éprouver la faim et la soif, ces besoins ne cessent plus, mais deviennent de plus on plus pressants et importuns, jusqu'à ce que nous puissions manger et boire, ou que nous mourions. Et, de même, dès le moment que nous commençons à avoir faim et soif de l'esprit qui était en Christ, ces désirs spirituels ne cessent plus, mais nous font crier avec une importunité croissante après la nourriture qui peut les satisfaire, et il est impossible qu'ils s'apaisent avant d'être rassasiés tant qu'il y a en nous quelque reste de vie spirituelle. — Remarquons, en troisième lieu, que la faim et la soif ne peuvent se satisfaire avec rien autre que le manger et le boire. Donnez tout le monde à celui qui a faim ; donnez-lui les vêtements les plus somptueux, tout l'appareil de la grandeur, tous les trésors de la terre, entassez devant lui tout l'or et l'argent, rendez-lui tous les honneurs imaginables ; il n'y prendra pas garde, tout cela n'est rien pour lui en ce moment ; tout cela ne l'empêchera pas de dire : Ce n'est pas là ce qu'il me faut ; donnez-moi de la nourriture, ou je meurs !

                    Il en est exactement de même pour toute âme qui a véritablement faim et soif de la justice. Elle ne peut trouver de consolation nulle autre part ; elle ne peut se satisfaire d'aucune autre chose ; donnez-lui, en dehors de cela, tout ce que vous voudrez, richesses, honneurs, plaisirs, elle en fera peu de cas et vous dira encore : Ce n'est pas là ce qu'il me faut ; donnez-moi l'amour de Dieu ou je meurs !

                    Et il est aussi impossible de satisfaire une telle âme, une âme qui a soif de Dieu, du Dieu vivant, avec ce que le monde appelle religion, qu'avec ce qu'il appelle bonheur. La religion du monde. implique trois choses : 

1° ne pas faire de mal, s'abstenir de péchés extérieurs, de ceux au moins qui pourraient causer du scandale, tels que le brigandage, le vol, les jurements, l'ivrognerie .
2° faire du bien, soulager les pauvres, être charitable, comme on dit. 
3° User des moyens de grâce ; au moins aller à l'église et participer à la Cène.

                    Celui qui réunit ces trois caractères est appelé par le monde un homme religieux. Mais y a-t-il là de quoi satisfaire celui qui a soif de Dieu ? Non, ce n'est pas là de la nourriture pour son âme. Il lui faut une religion d'une plus noble espèce, une religion plus élevée et plus profonde que celle-là. Il lui est aussi impossible de se nourrir de ce misérable et vide formalisme, que de « remplir son cœur du vent d'Orient ». Il prend soin, il est vrai, de s'abstenir même de l'apparence du mal ; il est zélé pour les bonnes œuvres ; il profite de tous les moyens de grâce que Dieu a établis ; mais tout cela n'est pas ce qu'il désire si ardemment : ce n'est là que le dehors de cette religion dont il a une soif insatiable. Connaître Dieu en Jésus-Christ ; vivre de cette « vie » qui « est cachée avec Christ en Dieu  » ; être « uni au Seigneur dans un même esprit  » ; avoir communion avec le Père et avec Jésus-Christ, son Fils  » ; « marcher dans la lumière, comme il est lui-même dans la lumière  » ; « se purifier soi-même, comme Lui aussi est pur », voilà la religion, la justice dont il a faim, et il ne peut goûter aucun repos jusqu'à ce qu'il le trouve ainsi en Dieu lui-même.

                     « Heureux ceux qui ont » ainsi « faim et soif de la ; justice, car ils seront rassasiés ». Ils seront rassasiés des choses après lesquelles ils soupirent, savoir : de justice et de vraie sainteté. Dieu les rassasiera des bénédictions de sa bonté, de la félicité des élus. Il les nourrira du pain du ciel, de la manne de son amour. Il les abreuvera de sa propre félicité comme de cette eau de laquelle celui qui boit n'aura plus jamais soif, si ce n'est d'une mesure toujours plus abondante de cette eau vive. Cette soif durera toujours. « Toute soif douloureuse, tout désir angoissant, disparaîtront devant ta présence réjouissante ; mais, quoique rassasiée, mon âme demandera encore toute une éternité pour aimer Dieu ».

                    Qui que tu sois donc, à qui Dieu a donné d'avoir « faim et soif de la justice », crie à l'Éternel afin que tu ne perdes jamais ce don inestimable — afin que cet appétit céleste ne s'apaise jamais. Si l'on te reprend pour te faire taire, n'y fais aucune attention, mais crie encore plus fort : « Seigneur Jésus, aie pitié de moi ! » Que je ne vive que pour être saint comme tu es saint ! Ne dépense plus ton argent pour ce qui ne nourrit point, et ton travail pour ce qui ne rassasie point ». Espères-tu donc pouvoir trouver le bonheur en fouillant la terre, en le cherchant dans les choses de ce monde ? Oh ! foule aux pieds tous ses plaisirs, méprise ses honneurs, regarde ses richesses et même tout ce qui est sous le soleil comme des ordures et du fumier, « en comparaison de l'excellence de la connaissance de Jésus-Christ », en comparaison du renouvellement complet de ton âme à l'image de Dieu,dans laquelle elle fut primitivement créée. Garde-toi d'assoupir cet appétit spirituel avec ce que le monde appelle religion ; avec cette religion de forme, d'étalage extérieur qui laisse le cœur aussi terrestre et aussi sensuel qu'auparavant. Que rien ne puisse te satisfaire, si ce n'est la force de la piété, la religion qui est esprit et vie. Ne sois rassasié que lorsque tu demeureras en Dieu et Dieu en toi, que lorsque tu vivras dans le monde invisible, après être entré par le sang de l'aspersion jusqu'au « dedans du voile » et t'être « assis dans les lieux célestes en Jésus-Christ ».

                    Et plus on est rempli de la vie de Dieu, plus on s'intéresse tendrement à ceux qui sont encore sans Dieu dans le monde, qui sont encore morts dans leurs fautes et dans leurs péchés. Et cet intérêt pour autrui ne perdra pas sa récompense : 

« Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde ».

                    Le mot employé ici par notre Seigneur désigne surtout ceux dont le cœur est compatissant et sensible, et qui, bien loin de mépriser ceux qui n'ont pas faim et soif de Dieu, sont profondément affligés à leur sujet.

                Cette partie éminente de l'amour fraternel est ici, par une figure assez ordinaire, mise pour le tout ; de sorte que les miséricordieux, dans la signification complète du mot, sont ceux qui aiment leur prochain comme eux-mêmes.

                   A cause de la grande importance de cet amour, sans lequel, « quand même nous parlerions toutes les langues des hommes et même des anges ; quand même nous aurions le don de prophétie, la connaissance de tous les mystères et la science de toutes choses ; quand même nous aurions toute la foi,jusqu'à transporter les montagnes ; quand même nous distribuerions tous nos biens pour la nourriture des pauvres, et que même nous livrerions nos corps pour être brûlés, nous ne sommes rien », à cause, dis-je, de la grande importance de cet amour ; la sagesse de Dieu nous en a donné, par l'apôtre Paul, une description complète et détaillée. En l'examinant, nous verrons très clairement quels sont ces miséricordieux qui obtiendront miséricorde.

                   « La charité », ou l'amour (comme il serait à désirer qu'on eût traduit partout, parce que c'est un mot beaucoup plus clair et moins équivoque), l'amour dont nous devons aimer notre prochain comme Christ nous a aimés, « est patient » envers tous les hommes ; il supporte toutes les faiblesses, l'ignorance, les erreurs, les infirmités, toute la mauvaise humeur et le peu de foi des enfants de Dieu, toute la malice et la méchanceté des enfants du monde. Et il supporte tout cela, non seulement pour un peu de temps, mais jusqu'à la fin, donnant toujours à manger à son ennemi quand il a faim ; s'il a soif, lui donnant à boire, et lui amassant ainsi continuellement « des charbons de feu sur la tête ».

                    Et dans tout ce qu'elle fait pour atteindre un but si désirable, celui de surmonter le mal par le bien, la charité est « pleine de bonté ». Elle est tendre, douce, obligeante. Elle est aussi éloignée que possible de toute humeur chagrine, de toute rudesse et de toute aigreur, et elle remplit à la fois ceux qui souffrent de la douceur la plus aimable et de l'affection la plus vraie et la plus tendre.

                   Il en résulte nécessairement que « la charité n'est point envieuse ». Elle ne peut pas l'être, puisqu'elle est justement l'opposé de cette disposition funeste. Il est impossible à celui qui possède cette affection tendre pour tout le monde et qui souhaite sincèrement pour toute âme que Dieu a créée, toutes les bénédictions temporelles et spirituelles, toutes les bonnes choses de ce monde et du monde à venir, d'éprouver du chagrin de ce qu'il accorde des biens à l'un des enfants des hommes. S'il les a reçus, lui aussi, loin de s'affliger, il se réjouit de ce qu'un autre a part à la même grâce. Et si Dieu ne les lui a pas accordés, il le bénit cependant de ce que son frère au moins les possède, et de ce que ces biens augmentent son bonheur. Et plus son amour est grand, plus les bénédictions accordées à l'humanité lui procurent de plaisir, plus il est éloigné de toute sorte d'envie envers une créature quelconque.

                    La charité « n'est pas insolente », ou plutôt (comme le mot peut aussi se traduire), n'est pas téméraire ou précipitée dans ses jugements ; elle ne se hâtera pas de condamner quelqu'un. Elle ne prononce pas une sentence sévère d'après une vue superficielle ou rapide des choses : elle pèse d'abord toutes les preuves, surtout celles qui sont produites en faveur de l'accusé. Celui qui aime véritablement son prochain n'est pas comme la généralité des hommes qui, même dans les cas les plus difficiles, « voient un peu, conjecturent beaucoup, et alors arrivent d'un saut à la conclusion ». Non, il avance avec prudence et circonspection, prenant garde à chaque pas et se conformant volontiers à cette règle des anciens païens (si différente de celle de bien des chrétiens d'aujourd'hui) : « Je suis si éloigné de croire à la légère ce qu'un homme me dit contre un autre, que je crois à peine ce que quelqu'un me dit contre lui-même. Je lui donne toujours le temps de réfléchir et souvent de recevoir aussi des conseils ».

                     Il suit de là que la charité « ne s'enfle point  » ; elle ne pousse aucun homme « à avoir de lui-même une plus haute opinion qu'il ne doit », mais elle lui donne des sentiments modestes et abaisse même son âme jusque dans la poussière ; elle détruit toute présomption qui engendre l'orgueil, et nous donne de la joie de n'être rien, d'être petits et méprisables, les moindres de tous, les serviteurs de tous. Ceux qui s'aiment réciproquement, d'une affection tendre et fraternelle, se préviennent les uns les autres par honneur. Ceux qui sont unis par une même affection, « estiment les autres, par humilité, plus excellents qu'eux-mêmes ».

                    « Elle n'est point malhonnête », elle n'offense personne volontairement. Elle « rend à chacun ce qui lui est dû : à qui la crainte, la crainte ; à qui l'honneur, l'honneur  » ; à tous, a des degrés différents, la civilité, l'affabilité, l'humanité. Elle rend « l'honneur à tout le monde ». Un écrivain moderne définit ce qu'il y a de mieux en fait de bonnes manières, c'est-à-dire la politesse, en disant que c'est un désir continuel de plaire, qui paraît dans toute la conduite. S'il en est ainsi, personne n'est mieux élevé qu'un chrétien aimant toute l'humanité. Car il ne peut que désirer de complaire au prochain « pour le bien et pour l'édification  » ; et ce désir ne peut être caché, il se montre nécessairement dans tous ses rapports avec tous les hommes, car sa charité est sans hypocrisie ; elle se montre dans toutes ses actions et tous ses discours ; elle le force même, mais, sans hypocrisie, « à se faire tout à tous, afin d'en sauver au moins quelques-uns ».

                    Et en se faisant tout à tous, la charité « ne cherche pas son propre intérêt ». En s'efforçant de plaire à tous les hommes, celui qui aime l'humanité n'a nullement en  vue son avantage temporel à lui. Il ne désire « ni l'argent, ni l'or, ni les vêtements de personne  » ; il ne veut que le salut des âmes. On pourrait même dire que, dans un sens, il ne cherche pas non plus son avantage spirituel ; car, tandis que toutes ses facultés sont employées pour sauver les âmes de la mort, il s'oublie pour ainsi dire lui-même. Il ne pense pas à lui-même, tant ce zèle pour la gloire de Dieu le dévore. Et même, il semble parfois, par un excès d'amour, s'abandonner corps et âme et s'écrier avec Moïse : « Hélas ! je te prie, ce peuple a commis un grand péché ; mais maintenant pardonne-leur leur péché ou efface-moi maintenant de ton livre que tu as écrit (Exode 32 : 31,32) ; » ou avec saint Paul : « Je désirerais moi-même d'être anathème à cause de Christ, pour mes frères, qui sont mes parents selon la chair (Romains 9 : 3)  ».

                     Il n'est pas étonnant, qu'un tel amour ne s'aigrisse point. Les paroles de saint Paul sont absolues ; « la charité ne s'aigrit point », elle n'est désobligeante envers personne. Les occasions ne manqueront pas, il est vrai, où elle sera assiégée par des provocations extérieures de divers genres ; mais celui qu'elle anime ne cède pas à la provocation ; il triomphe de tout ; dans toutes les épreuves, il regarde à Jésus et est « plus que vainqueur » en son amour.

                    La charité « ne pense point à mal » et prévient ainsi mille provocations : L'homme miséricordieux ne peut sans doute éviter de connaître bien des choses qui sont mauvaises, il ne peut s'empêcher de les voir de ses yeux et de les entendre de ses oreilles ; car la charité ne lui ferme pas les yeux, de manière à ce qu'il lui soit impossible de voir de telles choses ; elle ne lui ôte pas son intelligence ou ses sens, de manière qu'il ne puisse pas connaître qu'elles sont mauvaises. Lorsqu'il voit, par exemple, un homme frapper son prochain, ou lorsqu'il l'entend blasphémer, il ne peut mettre en question le fait qu'il vient de voir ou les paroles qu'il vient d'entendre, et il ne peut douter de leur caractère mauvais. Cependant elle ne soupçonne point le mal, ce qui ne se rapporte pas à ce que nous voyons et entendons, ni aux actes involontaires de notre intelligence ; mais nous péchons contre ce précepte, quand nous pensons volontiers à mal sans y être forcés par l'évidence ; quand nous concluons qu'il y a du mal là où il n'en paraît point, quand nous raisonnons sur des choses que nous ne voyons pas, quand nous supposons ce que nous n'avons ni vu ni entendu. Voilà ce que la vraie charité détruit entièrement. Elle arrache, racines et branches, tout ce qui peut nous faire concevoir le mal que nous ne connaissons pas. Elle rejette toute jalousie, tous les mauvais soupçons, toute promptitude à croire le mal. Elle est franche, ouverte, sans défiance ; et de même qu'elle ne peut machiner le mal, elle ne peut non plus le craindre.

                   « Elle ne se réjouit pas de l'injustice », bien que ce soit une chose ordinaire que ceux qui portent le nom de Christ ne se fassent pas scrupule de se réjouir quand leur ennemi est affligé, ou tombe dans l'erreur ou le péché. A la vérité, il est difficile à des gens animés de l'esprit de parti de ne pas éprouver de la joie lorsqu'ils découvrent, dans le parti opposé, une faute, une tache réelle ou supposée, — soit dans leurs principes, soit dans leur conduite. Parmi les chauds défenseurs d'une cause quelconque, en est-il un seul qui soit exempt de ce péché ? qui soit assez calme pour rester innocent ? qui ne se réjouit lorsque son adversaire fait un faux pas, si sa propre cause peut en retirer quelque avantage ? Ce ne peut-être qu'un homme rempli d'amour. Lui seul s'afflige du péché ou de la folie de son ennemi, ne trouve aucun plaisir à en entendre parler ou à en parler lui-même, mais souhaite plutôt qu'on l'oublie pour toujours.

                      Mais il « se réjouit de la vérité » partout où il la trouve, de cette « vérité qui est selon la piété », et qui produit des fruits convenables : la sainteté du cœur et la sainteté de la conduite. Il se réjouit de voir que ceux mêmes qui lui sont opposés, soit dans les opinions, soit dans la pratique, aiment cependant Dieu et sont d'ailleurs irréprochables. C'est avec joie qu'il entend dire du bien d'eux et qu'il en dit lui-même, autant qu'il le peut sans s'écarter  de la justice et de la vérité. Et,  en général, il trouve, dans le bien répandu parmi la race humaine, que ce soit au loin ou au près, un sujet de,joie. Comme citoyen du monde, il réclame une part au bonheur de tous ses habitants. Parce qu'il est homme, il n'est pas indifférent au bien-être de l'homme, mais il jouit de ce qui peut glorifier Dieu, et répandre la paix et la bienveillance parmi les hommes.

                    Cet amour « excuse tout ». Le miséricordieux ne parle pas volontiers de l'iniquité parce qu'il n'y prend pas de plaisir. Il tient secret tout le mal qu'il voit, qu'il entend ou qu'il sait, autant qu'il le peut, sans « participer aux péchés d'autrui ». En quelque lieu qu'il se trouve, et avec qui que ce soit, s'il voit quelque chose qu'il désapprouve, il n'en parle pas, si ce n'est à la personne intéressée, pour s'efforcer de gagner son frère. Il est si éloigné de faire, des fautes ou des chutes d'autrui, un sujet de conversation, qu'il ne parle jamais des absents, à moins qu'il ne puisse en dire du bien. Les rapporteurs, les médisants, les délateurs, les calomniateurs, sont à ses yeux des meurtriers. Il aimerait tout autant couper la gorge à son prochain que de flétrir ainsi sa réputation. Il ne songera pas plus à incendier la maison de son voisin qu'à jeter ainsi « des tisons de feu, des flèches et des choses propres à tuer », et dire ensuite : « Ne me jouais-je pas (Proverbe 26 : 18,19) ? »

                     Il ne fait qu'une seule exception. Quelquefois il est convaincu que la gloire de Dieu, ou (ce qui revient au même) le bien de son prochain, demande que le mal ne soit point caché. Dans ce cas, pour être utile à l'innocent, il est forcé de nommer le coupable. Mais, même alors il ne parlera que lorsque l'amour, un amour supérieur l'y contraindra. Il ne le fera pas, à cause d'un dessein confus de faire généralement le bien ou d'avancer la gloire de Dieu ; il faudra qu'il y soit poussé par la vue claire d'un but particulier, d'un bien déterminé. Même alors il ne parlera point sans être entièrement persuadé que ce moyen est nécessaire pour le but qu'il se propose, que le but ne peut être atteint, du moins aussi complètement, d'aucune autre manière. Il le fait alors avec chagrin et répugnance, comme il se servirait d'un remède violent pour un cas désespéré, d'un  poison pour antidote à un autre poison. Par conséquent, il s'en sert aussi peu que possible, de peur qu'en parlant trop il ne viole la loi d'amour plus qu'il ne l'aurait fait en ne parlant pas du tout.

                    La charité « croit tout ». Elle a une aussi bonne opinion que possible de tout ; elle donne un sens favorable à tout. Elle est prête à croire tout ce qui peut être avantageux à la réputation de qui que ce soit. Elle est facilement convaincue de ce qu'elle désire vivement, de l'innocence et de l'intégrité d'un accusé, ou du moins de la sincérité de sa repentance s'il s'est égaré. Elle est heureuse d'excuser ce qui peut avoir été mal, de condamner le coupable aussi peu que possible, et d'avoir pour la faiblesse humaine autant d'indulgence qu'il est possible d'en avoir sans trahir la vérité de Dieu.

                    Et quand elle ne peut plus croire tout, alors la charité « espère tout ». A-t-on dit du mal de quelqu'un ? L'amour espère que le rapport est faux que l'action rapportée n'a pas eu lieu. — La chose est-elle certaine ? « Peut-être qu'elle n'a pas eu lieu de la manière qu'on la raconte, en sorte que l'on peut espérer qu'elle n'est pas aussi mauvaise qu'on l'a représentée ». — L'action est-elle évidemment mauvaise ? L'amour espère que l'intention ne l'est pas. — Est-il certain que le dessein aussi est mauvais ? « Il ne provient peut-être pas de la disposition habituelle du cœur, mais d'une impulsion soudaine des passions ou de quelque tentation violente qui aura entraîné la personne hors d'elle-même ». Et même lorsqu'elle ne peut plus douter que toutes les actions, les dispositions, les desseins sont également mauvais, la charité espère encore que Dieu déploiera la puissance de son bras en se soumettant le cœur rebelle, et qu'ainsi il y aura plus de joie dans le ciel sur la conversion de ce pécheur que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n'ont pas besoin de repentance.

                     Enfin, « la charité endure tout », ce qui complète le caractère de celui qui est véritablement miséricordieux. Il n'endure pas quelques peines seulement, ni beaucoup de souffrances, ni même presque toutes, mais absolument toutes. Quelles que soient l'injustice, la malice, la cruauté des hommes, il peut les supporter. Rien n'est intolérable pour lui ; il ne dit jamais d'une chose : elle est insupportable. Non, il peut non seulement « faire » mais souffrir tout par Christ qui le fortifie ; et tout ce qu'il souffre ne détruit pas sa charité, n'y fait aucune brèche ; elle est à l'épreuve de tout ; c'est une flamme qui brûle même au milieu de l'abîme de la mer. « Beaucoup d'eaux ne pourraient éteindre cet amour-là ; et les fleuves mêmes ne le pourraient pas noyer ». Il triomphe de tout « il ne périt jamais », ni dans le temps ni dans l'éternité.

                  Et assurément les « miséricordieux obtiendront miséricorde », non seulement par la bénédiction de Dieu sur toutes leurs voies en leur rendant, dans une mesure mille fois plus abondante, l'amour qu'ils portent à leurs frères, mais aussi par « le poids éternel d'une gloire souverainement excellente » dans le royaume qui leur a été « préparé dès la fondation du monde ».

                     Pour un peu de temps, vous pouvez vous écrier « Hélas que je suis misérable de séjourner en Mésec et de demeurer dans les tentes de Kédar (Psaume 120 : 5) ! Vous pouvez répandre votre âme en pleurs sur la perte de la vraie charité sur la terre ! Vous pouvez bien dire (mais non avec la signification primitive) « Voyez : comme ces chrétiens s'aiment  » ; voyez ces royaumes chrétiens qui se déchirent les entrailles les uns aux autres, qui portent la désolation les uns chez les autres par le feu et par l'épée ! Ces armées chrétiennes dont les soldats se lancent les uns les autres en enfer par milliers, par myriades ! Ces nations chrétiennes qui sont toutes en feu par des troubles intérieurs, parti se soulevant contre parti, faction contre faction !      

                    Ces villes chrétiennes dont les rues sont remplies de tromperie et de fraude, d'oppression et d'injustice, et même de vol et de meurtre ! Ces familles chrétiennes, déchirées par l'envie, la jalousie, la colère, par des querelles domestiques sans nombre et sans fin ! et, ce qui est le plus terrible, le plus triste de tout, ces Églises chrétiennes ! — Églises ( « ne l'annoncez point à Gath », — mais, hélas ! comment le cacher aux Juifs, aux Turcs, ou aux païens ?) qui portent le nom de Christ, le Prince de la paix, et qui se font continuellement la guerre ! qui convertissent les pécheurs en les brûlant tout vifs ! qui sont « ivres du sang des saints ! » Cette louange n'appartient-elle qu'à « Babylone la Grande, la mère des impudicités et des abominations de la terre ? » Non, certes ; des Églises réformées (appelées du moins ainsi) ont bien appris à marcher sur ses traces. Des Églises protestantes savent bien, elles aussi, persécuter, même jusqu'au sang, quand elles ont le pouvoir en main ; et en même temps comme elles se frappent réciproquement d'anathème ! comme elles se condamnent aux enfers les unes les autres ! Quelle colère, quelles disputes, quelle malice, quelle amertume se trouvent partout au milieu d'elles, même quand elles sont d'accord sur les points essentiels, et ne diffèrent que par des opinions secondaires dans la religion ! Qui est-ce qui ne poursuit que « les choses qui vont à la paix et à l'édification mutuelle ? » O Dieu ! jusqu'à quand ? Ta promesse pourrait-elle faillir ? « Ne crains point, petit troupeau, que cela puisse arriver ! » Espère contre tout sujet d'espérer, car c'est le bon plaisir de votre Père de renouveler encore la face de la terre. Tous ces maux finiront certainement, « et les habitants de la terre apprendront la justice ». « Une nation ne lèvera plus l'épée contre l'autre, et elles ne s'adonneront plus à faire la guerre ». « La montagne de la maison de l'Éternel sera affermie au sommet des montagnes », et « les royaumes du monde deviendront les royaumes de notre Dieu ». Alors « on ne nuira point et on ne fera aucun dommage à personne dans toute la montagne de sa sainteté  » ; mais on appellera les murailles de l'Église, salut ; et ses portes, louanges. Les chrétiens seront sans tache et sans souillure, s'aimant les uns les autres, comme aussi Christ nous a aimés. — Sois un des premiers fruits, si la moisson n'est pas encore prête. Aime ton prochain comme toi-même. Que le Seigneur Dieu remplisse ton cœur d'un tel amour pour les âmes, que tu sois prêt à toute heure de donner ta vie pour elles ! Que ton âme déborde continuellement de cet amour qui engloutit toute disposition contraire à la bonté et à la sainteté, jusqu'à ce qu'il t'appelle à entrer dans le pays où l'amour seul existe, pour y régner avec lui pendant l'éternité.