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Sermon 21 : ( 1748 ) LE SERMON SUR LA MONTAGNE, PREMIER DISCOURS
Matthieu 5:1-41 Voyant la foule, Jésus monta sur la montagne; et, après qu’il se fut assis, ses disciples s’approchèrent de lui.
2 Puis, ayant ouvert la bouche, il les enseigna, et dit:
3 Heureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux!
4 Heureux les affligés, car ils seront consolés!
3 Heureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux!
4 Heureux les affligés, car ils seront consolés!
Notre Seigneur venait de « parcourir toute la Galilée » (Matthieu 4 : 23), en commençant « après que Jean eut été mis en prison (Matthieu 4 : 12) ; et non seulement il avait enseigné dans leurs synagogues et prêché l'évangile du règne de Dieu, mais il avait aussi « guéri toutes sortes de maladies et de langueurs parmi le peuple ». C'est pour cela qu'une « grande multitude le suivit de Galilée, de la Décapole, de Jérusalem, de Judée, et de delà le Jourdain ». (Matthieu 4 : 25.) « Et voyant le peuple » qu'aucune synagogue ne pouvait contenir, « il monta sur une montagne » où il y avait de la place pour tous ceux qui venaient à lui de tous côtés, « et, s'étant assis », selon la coutume des Juifs, « ses disciples s'approchèrent de lui, et ouvrant sa bouche, il les enseignait en disant :
« Heureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux ».
Remarquons d'abord qui est celui qui parle ici, afin que nous prenions garde de quelle manière nous l'écoutons. C'est le Seigneur du ciel et de la terre, le Créateur de tout ce qui existe, qui, comme tel, a le droit de disposer de toutes ses créatures ; c'est le Seigneur notre Souverain, qui règne de toute éternité et qui dirige tout ; c'est le grand Législateur qui peut bien mettre ses lois en vigueur, puisqu'il « peut sauver et détruire (Jacques 4 : 12) », et même « punir d'une perdition éternelles par sa présence et par sa puissance glorieuses (2Thimothée 1 : 9) ». C'est la sagesse éternelle du Père, qui sait de quoi nous sommes faits et qui a la plus parfaite intelligence de tout notre intérieur ; qui connaît quels sont nos rapports avec Dieu, avec notre prochain, avec les créatures de Dieu et qui, par conséquent, sait adapter les lois qu'il nous donne à toutes les circonstances dans lesquelles il nous a placés. C'est celui « qui est bon envers tous et dont les compassions sont par-dessus toutes ses œuvres (Psaume 145 : 9) ; » c'est ce Dieu d'amour qui s'est dépouillé de sa gloire éternelle pour venir du Père déclarer sa volonté aux enfants des hommes, et qui retourne vers le Père ; c'est celui qui est envoyé de Dieu pour « ouvrir les yeux des aveugles et éclairer ceux qui habitent dans les ténèbres (Esaïe 42 : 7) ». C'est le grand Prophète du Seigneur, à l'égard duquel Dieu avait dit, longtemps auparavant : « Quiconque n'écoutera pas les paroles qu'il aura dites en mon nom, je lui en demanderai compte » ; ou bien, comme l'exprime l'Apôtre : « Quiconque ; n'écoutera pas ce prophète sera exterminé du milieu de son peuple (Actes 3 : 23) ».
Et qu'est-ce qu'il nous enseigne ? Le Fils de Dieu, venu du ciel, nous montre ici le chemin du ciel, de ce lieu qu'il nous a préparé ; de la gloire qu'il avait avant que le monde fût. Il nous enseigne le vrai chemin de la vie éternelle, le chemin royal qui conduit au royaume de Dieu, et le seul vrai chemin, car il n'y en a pas d'autres ; tous les autres sentiers mènent à la perdition. D'après le caractère de celui qui nous parle ici, nous sommes assurés qu'il nous a déclaré pleinement et parfaitement la volonté de Dieu. Il ne nous a rien dit de trop, il ne nous a annoncé que ce qu'il avait reçu du Père ; il n'a rien omis, il n'a pas évité de déclarer tout le conseil de Dieu ; bien moins encore aurait-il dit quelque chose de mauvais, quelque chose de contraire à la volonté de Celui qui l'avait envoyé. Toutes ses paroles sont bonnes et vraies, à tous égards, et elles subsisteront aux siècles des siècles.
Et il nous est facile d'observer que notre Seigneur, tout en expliquant et ratifiant ces paroles fidèles et véritables, prend soin de réfuter non seulement les erreurs des Scribes et des Pharisiens, c'est-à-dire les fausses explications par lesquelles les docteurs juifs de ce temps-là avaient corrompu la Parole de Dieu, mais encore toutes les erreurs pratiques, incompatibles avec le salut, qui devaient prendre naissance dans l’Église chrétienne ; il réfute, dis-je, toutes les explications par lesquelles les (soi-disant) docteurs chrétiens, de tout âge et de tout pays, pourraient corrompre la Parole de Dieu, et apprendre aux âmes qui ne seraient pas sur leurs gardes à chercher la mort dans l'erreur de leur voie.
Ceci nous conduit tout naturellement à demander qui sont ceux qu'il enseigne. Ce ne sont pas les Apôtres seulement ; s'il en eût été ainsi, il n'avait pas besoin de monter sur une montagne. Une chambre dans la maison de Matthieu, ou d'un autre de ses disciples, aurait pu contenir les douze. L'expression « ses disciples » , sans y mettre une emphase particulière, signifie donc ici tous ceux qui désiraient apprendre de lui. Mais pour mettre ceci hors de doute, et pour montrer que lorsqu'il est dit : « Il les enseignait », le mot les renferme tout le peuple qui monta avec lui sur la montagne, il ne faut qu'observer les derniers versets du septième chapitre : « Et quand Jésus eut achevé ces discours, le peuple fut étonné de sa doctrine, car il les enseignait », le peuple, « comme ayant autorité et non comme les Scribes ».
Ajoutons même que ce n'était pas seulement à ce peuple qui se trouvait avec lui sur la montagne qu'il enseignait le chemin du salut, mais à tous les enfants des hommes, à l'humanité entière, aux enfants encore à naître, à toutes les générations futures, jusqu'à la fin du monde, qui entendront les paroles de cette vie.
Tous les hommes admettent cela quant à certaines parties du discours de notre Seigneur. Il n'y a personne, par exemple, qui nie que ce qui est dit des pauvres en esprit ne se rapporte à toute l'humanité. Mais plusieurs personnes ont supposé que d'autres parties du sermon sur la montagne ne regardaient que les Apôtres, ou les chrétiens des temps apostoliques, ou les ministres de Christ, et ne furent pas prononcées pour la généralité des hommes, et que, par conséquent, ceux-ci n'ont pas à s'en inquiéter.
Mais ne pouvons-nous pas leur demander avec raison qui leur a enseigné que certaines parties de ce discours ne regardaient que les Apôtres, ou les chrétiens des temps apostoliques, ou les ministres de Christ ? De simples assertions ne sont pas des preuves suffisantes pour établir un point de si grande importance. Notre Seigneur nous a-t-il donc lui-même appris que quelques parties de son discours ne regardent pas toute l'humanité ? S'il en eût été ainsi, il nous l'eût dit, sans doute ; il n'aurait pu omettre un avis aussi important. Mais l'a-t-il fait ? Où ? Dans le discours lui-même ? Non : on n'en voit aucune trace. L'a-t-il dit ailleurs, dans quelque autre de ses exhortations ? Nous n'apercevons, dans tout ce qu'il a dit, soit au peuple, soit à ses disciples, rien qui puisse seulement nous le donner à entendre. Les autres écrivains sacrés nous ont-ils laissé quelque instruction à ce sujet ? Nullement. Il n'y a rien de tel dans tous les oracles de Dieu. Quels sont donc ces hommes dont la sagesse surpasse tellement celle de Dieu ? ces hommes qui pensent au-delà de ce qui est écrit ?
Peut-être diront-ils que le sujet même exige une semblable restriction. Si cela est vrai, il faut que ce soit parce que, sans une telle restriction, le sermon de notre Seigneur serait ou absurde ou contradictoire à quelque autre partie des Livres Saints. Mais il n'en est pas ainsi. Il sera clair, pour tous ceux qui en examineront les divers détails, qu'il n'est nullement absurde d'appliquer à toute l'humanité ce que Jésus-Christ a dit dans cette occasion. Une application générale ne mettra pas non plus ce discours en contradiction avec d'autres parties des Saintes Écritures. Au contraire, on verra même ou que toutes les portions de ce discours doivent être appliquées aux hommes en général, ou bien qu'aucune de ses parties ne les concerne tous, puisqu'elles sont toutes liées et jointes entre elles comme les pierres d'une arche, dont vous ne pouvez en ôter une sans que le bâtiment croule
Nous pouvons enfin remarquer de quelle manière notre Seigneur enseigne ici. Et d'abord, il parle, surtout dans cette occasion, « comme jamais homme ne parla (Jean 7 : 46) ». Non pas comme les saints hommes de Dieu, quoiqu'ils parlassent « étant poussés par le Saint-Esprit. (2 Pierre 1 : 20) » Non pas comme Pierre, Jacques, Jean ou Paul ; ils étaient, il est vrai, de sages architectes dans son Église, mais cependant lorsqu'il s'agit de la mesure de la sagesse céleste, le serviteur n'est pas comme son Seigneur. Il ne parle pas comme en d'autres temps ou en d'autres occasions. Il ne paraît pas que ç’ait jamais été son but dans aucun autre endroit, de proposer à la fois tout le plan de sa religion, de nous montrer l'ensemble du christianisme, de décrire en plein la nature de cette sainteté sans laquelle nul ne verra le Seigneur. Il en a bien décrit certaines parties en mille occasions différentes, mais il ne donna jamais une vue de l'étendue et de la spiritualité de la loi divine aussi générale qu'ici. Nous n'avons même rien de ce genre dans la Bible, si l'on en excepte la courte esquisse de sainteté donnée par Dieu à Moïse, dans les dix commandements, sur le Sinaï. Mais même ici, quelle différence entre ces deux révélations ! « Sous ce rapport, à cause de cette gloire surabondante, ce qui a été rendu glorieux n'a pas eu de gloire. (2Corinthiens 3 : 10 Version de Lausanne) »
Mais surtout avec quel amour étonnant le Fils de Dieu ne révèle-t-il pas ici à l'homme la volonté de son Père ? Il ne nous rapproche pas « de la montagne, qu'on pouvait toucher avec la main, ni du feu brûlant, ni de la nuée épaisse, ni de l'obscurité, ni de la tempête (Hébreux 12 : 18) ». Il ne parle pas comme il le fit lorsqu'il « tonna des cieux » ; que « le Souverain jeta sa voix avec de la grêle et des charbons de feu (Psaume 18 : 13) ». Il nous parle maintenant d'une voix douce et subtile (1Rois 19 : 12) : « Heureux les pauvres en esprit ». Heureux ceux qui sont dans l'affliction, les débonnaires, ceux qui ont faim et soif de la justice, les miséricordieux, ceux qui ont le cœur pur, heureux dans leur fin et dans leur pèlerinage ; heureux dans cette vie, et dans la vie éternelle ! Comme s'il avait dit : « Qui est l'homme qui prenne plaisir à vivre et qui aime la longue vie pour jouir du bien (Psaume 34 : 12) ? » Voici, je vous offre ce qu'il vous tarde d'obtenir ! Voyez le chemin que vous avez si longtemps cherché en vain, cette voie agréable qui conduit à une paix pleine de tranquillité et de joie, à une félicité présente et éternelle ! »
En même, temps, avec quelle autorité il enseigne ! On pouvait bien dire : « Non pas comme les Scribes (Matthieu 7 : 29) ». Ce n'est pas non plus comme Moïse, le serviteur de Dieu, ni comme Abraham, son ami, ni comme l'un des prophètes, ni comme l'un des fils des hommes. Il a quelque chose de surhumain, quelque chose de plus que ce qui peut appartenir à un être créé. On sent ici le Créateur de tout ce qui existe ! C'est Dieu qui se montre ! l’Être par excellence, YHWH, celui qui existe par lui-même, le Suprême, celui qui est Dieu, au-dessus de toutes choses, béni éternellement !
Ce discours divin, prononcé d'après une méthode si excellente, puisque chaque partie est expliquée par celle qui la suit, est ordinairement, et avec raison, divisé en trois sections principales. La première est contenue dans le cinquième chapitre, — la seconde, dans le sixième, — et la troisième, dans le septième. Dans la première, Jésus-Christ propose le sommaire de toute vraie religion, sous huit chefs qu'il explique dans le reste du cinquième chapitre, en prémunissant ses auditeurs contre les fausses explications de l'homme. La seconde section renferme des règles quant à cette intention pure qui doit nous diriger dans toutes nos actions extérieures, sans mélange de désirs mondains et de soucis, même à l'égard des choses les plus nécessaires de la vie. Dans la troisième, nous sommes mis en garde contre les principaux empêchements qui s'opposent à la piété. Le tout se termine par une application générale. Considérons successivement, à part, les trois parties de ce discours.
Notre Seigneur donne premièrement le sommaire de toute vraie religion, avons-nous dit, sous huit chefs qu'il explique, en prémunissant ses auditeurs contre les fausses explications des hommes, jusqu'à la fin du cinquième chapitre.
Quelques-uns ont pensé qu'il avait en vue de désigner les différents degrés de la course chrétienne, les pas que fait successivement un chrétien dans son voyage vers la Canaan céleste ; — d'autres, que les qualités énumérées ici appartiennent de tout temps à tous les chrétiens. Et pourquoi n'accepterions-nous pas l'une et l'autre explication ? Qu'y a-t-il d'incompatible entre elles ? il est incontestable que la pauvreté d'esprit, et tous les autres états d'âme ici mentionnés, se trouvent de tout temps, plus ou moins, chez tout vrai chrétien. Et il est également vrai que le vrai christianisme commence toujours par la pauvreté d'esprit, et avance dans l'ordre posé par notre Seigneur, jusqu'à ce que « l'homme de Dieu soit accompli (2Timothée 3 : 17) ». Nous commençons par le moindre de ces dons de Dieu, mais de manière à ne pas le perdre lorsque Dieu nous appelle à monter plus haut. Mais nous tenons ferme ce que nous avons déjà obtenu, pendant que nous avançons vers ce qui est encore devant nous, savoir : les bénédictions les plus relevées de Dieu en Jésus-Christ.
Le fondement de tout, c'est la pauvreté d'esprit. C'est pourquoi notre Seigneur commence par là : « heureux, dit-il, les pauvres en esprit ; car le royaume des, cieux est à eux ».
Il est assez probable que notre Seigneur regarda autour de lui, et que, voyant qu'il n'y avait pas beaucoup de riches, mais plutôt les pauvres de ce monde, il en prit occasion pour passer des choses temporelles aux spirituelles. « Heureux, dit-il, les pauvres en esprit ». Il ne dit pas ceux qui sont pauvres, quant à leurs circonstances extérieures, — car il n'est pas impossible pour quelques-uns de ceux-ci d'être aussi éloignés du bonheur qu'un monarque sur son trône ; « mais les pauvres en esprit », ceux qui, quelles que soient leurs circonstances extérieures, ont cette disposition d'âme qui est le premier pas vers tout bonheur réel et durable dans ce monde, et dans celui qui est à venir.
Quelques-uns ont cru que par les pauvres en esprit, il faut entendre ceux qui aiment la pauvreté, qui sont exempts d'avarice, de l'amour de l'argent, qui craignent les richesses plutôt que de les désirer. Ils ont peut-être été amenés à penser ainsi on n'examinant que le sens littéral du passage, ou bien en réfléchissant à cette remarque importante de saint Paul, que « l'amour des richesses est la racine de tous les maux (1Timothée 6 : 10) ». Et c'est cette pensée qui pousse plusieurs personnes à se dépouiller entièrement, non seulement des richesses, mais encore de tous leurs biens terrestres. C'est aussi là ce qui a fait naître les vœux de pauvreté volontaire dans l’Église romaine ; celle-ci a cru qu'un degré si élevé de cette grâce fondamentale devait être un grand pas vers le « royaume, des cieux ».
Mais il ne paraît pas que ceux qui ont cette vue aient remarqué, premièrement, que l'expression de saint Paul, pour être vraie, doit être comprise avec quelques restrictions ; car l'amour des richesses n'est pas la seule racine de tous les maux. Il y a mille autres racines de mal dans ce monde, comme une triste expérience nous le montre chaque jour. La signification de ce passage ne peut être que : c'est la racine d'un très grand nombre de maux, d'un plus grand nombre, peut-être, qu'aucun autre vice. — Secondement, que le sens qu'ils donnent à cette expression, « les pauvres en esprit », n'est nullement d'accord avec le but de notre Seigneur, qui est de poser des fondements généraux de la vie divine, afin d'y élever tout l'édifice du christianisme, but qu'il n'atteint pas en nous prévenant contre tel ou tel vice seulement. Ainsi donc, lors même que ce serait là une partie du sens de ce passage, ce ne pourrait en être toute la signification. — Troisièmement, ce ne peut guère être le sens de ce verset, à moins d'accuser Jésus d'une répétition inutile ; car si la pauvreté d'esprit n'était que l'exemption d'avarice, de l'amour de l'argent, ou du désir de posséder des richesses, cette grâce reviendrait à ce dont il parle plus tard, et ferait partie de la pureté de cœur.
Qui sont donc « les pauvres en esprit ? » Ce sont, sans doute, les humbles ; ceux qui se connaissent eux-mêmes, qui sont convaincus de péché, ceux à qui Dieu a donné cette première repentance qui précède la foi en Christ.
Un homme dans ce cas ne peut plus dire : « Je suis riche, je me suis enrichi, et je n'ai besoin de rien », sachant qu'il « est malheureux, et misérable, et pauvre, et aveugle et nu (Apocalypse 3 : 17) ». Il est convaincu qu'il est misérablement pauvre en esprit, et qu'aucun bien spirituel n'habite en lui. « Je sais, dit-il, que le bien n'habite point en moi (Romains 7 : 18) », mais au contraire tout ce qui est mauvais et abominable. Il a un sentiment profond de la lèpre dégoûtante du péché qu'il a apportée avec lui en naissant, qui couvre son âme entière et en corrompt l'énergie et les facultés. Il aperçoit de plus en plus les mauvaises passions qui naissent de cette mauvaise racine ; l'orgueil et la fierté d'esprit ; le penchant constant à avoir de lui-même une plus haute opinion qu'il ne devrait ; la présomption, la soif de l'estime ou de l'honneur qui vient des hommes ; la haine ou l'envie, la jalousie ou la vengeance, la colère, la malice ou l'amertume ; une inimitié innée contre Dieu et contre l'homme, qui se montre sous dix mille formes différentes ; l'amour du monde, l'obstination, les désirs insensés et nuisibles qui s'attachent fortement à son âme. Il sent combien il a donné lieu au scandale par sa langue, sinon par des propos impies, immodestes, faux ou désobligeants, du moins par des discours qui ne servent pas à l'édification, qui ne communiquent pas la grâce à ceux qui les entendent (Éphésiens 4 : 29) », et qui, par conséquent, sont corrompus aux yeux de Dieu, et contristent le Saint-Esprit. Il rappelle aussi sans cesse ses mauvaises actions dans sa mémoire : s'il les énumère, il y en a plus qu'il ne peut dire. Il lui serait tout aussi facile de compter les gouttes de pluie, le sable de la mer, ou les jours de l'éternité, que de faire le calcul de ses péchés.
Sa culpabilité est aussi maintenant devant ses yeux : il connaît la punition qu'il a méritée, ne fût-ce qu'à cause de son esprit charnel, de la corruption entière et totale de sa nature ; combien plus encore à cause de ses désirs dépravés et de ses mauvaises pensées, de ses paroles et de ses actions criminelles. Il ne doute pas un instant de la punition que mérite la moindre de ses fautes, savoir la condamnation aux enfers, — « ou leur ver ne meurt point, et ou le feu ne s'éteint point (Marc 9 : 46) ». Et surtout le crime de ne pas avoir « cru au nom du Fils unique de Dieu (Jean 3 : 18) » pèse sur lui de tout son poids. Comment, dit-il, échapperai-je, moi qui néglige « un si grand salut ! » Celui qui ne croit point est déjà condamné », et « la colère de Dieu demeure sur lui (Jean 3 : 36) ».
Mais que donnera-t-il en échange de son âme, qui est livrée à la juste vengeance de Dieu ? Avec quoi préviendra-t-il l'Éternel (Michée 6 : 6) ? » Comment lui paiera-t-il ce qu'il lui doit ? Lors même que depuis ce moment il obéirait parfaitement à tous les commandements de Dieu, ceci ne pourrait faire compensation pour un seul de ses péchés, pour un seul acte de désobéissance passée, puisqu'il doit à Dieu tout le service qu'il est en son pouvoir de lui rendre depuis le moment où il est né et à jamais. Quand même il pourrait payer sa dette dès ce moment, cela ne pourrait compenser ce qu'il aurait dû faire auparavant. Il se voit donc entièrement incapable d'expier ses péchés passés, entièrement incapable de faire quelque compensation à Dieu, de payer une rançon quelconque pour son âme.
Il sait même que si Dieu voulait lui pardonner tout le passé, sous la seule condition qu'il ne péchât plus, et que, pour l'avenir, il obéît entièrement et constamment à tous les commandements de Dieu ; il sait que cela ne lui servirait de rien puisqu'il ne pourrait remplir cette condition. Il sait et il sent qu'il n'est pas capable d'obéir même aux commandements de Dieu les plus faciles, tandis que son cœur est encore dans son état naturel de péché et de corruption, vu qu'un mauvais arbre ne peut porter de bons fruits. Et il ne peut purifier son mauvais cœur ; quant aux hommes, c'est impossible. Il ne sait donc pas comment s'y prendre, même pour commencer à marcher dans le sentier des commandements de Dieu ; comment avancer d'un seul pas dans ce chemin. Assiégé par le péché, la douleur et la crainte, et ne trouvant aucune voie de salut, il ne peut que s'écrier : « Seigneur, sauve-moi, ou je péris ».
La pauvreté d'esprit, en tant qu'elle marque le premier pas que nous faisons dans la course qui nous est proposée, est donc un juste sentiment de nos péchés intérieurs et extérieurs, de notre culpabilité et de notre faiblesse. C'est ce que quelques personnes ont appelé, d'un mot bien impropre, « la vertu de l'humilité », comme si c'était une grande vertu de reconnaître que nous méritons la condamnation éternelle. L'expression de notre Seigneur ne donne à l'auditeur que l'idée d'un grand besoin, du péché, d'une culpabilité, d'une misère sans remède.
Le grand Apôtre des Gentils, lorsqu'il s'efforce d'amener les pécheurs à Dieu, parle d'une manière semblable à celle-ci : « La colère de Dieu », dit-il, « se déclare du ciel contre toute l'impiété et l'injustice des hommes (Romains 1 : 18) ; accusation qu'il fait tomber d'abord sur les païens, prouvant par là qu'ils sont sous la colère de Dieu. Il montre ensuite que les Juifs, ne valant pas mieux qu'eux, étaient, par conséquent, sous la même condamnation ; et il dit tout cela non pour les exciter à rechercher « la noble vertu de l'humilité », mais « afin que tous aient la bouche fermée et que tout le monde soit reconnu coupable devant Dieu (Romains 3 : 19).
Il leur montre ensuite qu'ils étaient sans force, aussi bien que coupables, ce qui est évidemment le sens de ce qu'il ajoute : « C'est pourquoi personne ne sera justifié devant lui par les œuvres de la loi ». — Mais, dit-il encore, la,justice de Dieu a été manifestée ; la justice, dis-je, de Dieu, qui est par la foi en Jésus-Christ ».
« Nous concluons donc que l'homme est justifié par la foi, sans les œuvres de la loi » ; expressions ayant toutes pour but « d'empêcher la fierté de l'homme de paraître (Job 33 : 17) », de l'humilier jusque dans la poussière, sans lui apprendre à regarder son humilité comme une vertu ; de faire naître dans son cœur cette conviction vive et profonde de sa corruption complète, de sa culpabilité et de sa grande faiblesse, qui rejette le pécheur dépouillé de tout, perdu et ruiné, sur son puissant libérateur Jésus-Christ, le Juste.
On ne peut s'empêcher de remarquer ici, que le christianisme commence justement là où se termine la morale païenne, car la pauvreté d'esprit, la conviction de péché, le renoncement. à soi-même, l'absence de notre propre justice (qui est le premier point exigé par la religion de Jésus-Christ) ; toutes ces choses laissent le paganisme bien loin derrière elles. Elles ont toujours été cachées aux sages de ce monde ; tellement, que la langue latine, même avec les perfectionnements qu'elle a reçus sous Auguste, ne contient pas même un seul mot pour désigner l'humilité (le mot latin d'où nous dérivons notre expression, ayant une signification différente) ; et il n'en existait point dans le grec, cette langue si riche, jusqu'à ce que le grand Apôtre en eût formé un.
Oh ! puissions-nous sentir ce qu'ils ne pouvaient pas exprimer ! Pécheur ! réveille-toi ! Connais-toi toi-même ! Souviens-toi et sens que « tu as été formé dans l'iniquité », que « ta mère t'a conçu dans le péché (Psaume 51 : 7) », et que tu as entassé toi-même péché sur péché, dès que tu as pu discerner le bien du mal ! Abaisse-toi sous la main puissante de Dieu, en te reconnaissant justement condamné à la mort éternelle, et mets de côté, abandonne, déteste toute idée de pouvoir jamais t'aider toi-même. Que tout ton espoir soit d'être lavé dans le sang de Christ et d'être renouvelé par l'Esprit tout puissant de Celui « qui a porté nos péchés en son corps sur le bois (1Pierre 2 : 24) ! » Alors tu pourras témoigner de la vérité de cette parole : « Heureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux ».
En disant que le royaume des cieux est aux pauvres en esprit, notre Seigneur parle ici de ce royaume des cieux (ou de Dieu), qui est en nous ; savoir : « la justice, la paix et la joie par le Saint-Esprit (Romains 14 : 17) ». Et qu'est-ce que la justice, si ce n'est la vie de Dieu dans l'âme, les dispositions que Jésus-Christ a eues, l'image de Dieu empreinte dans le cœur renouvelé d'après l'image de celui qui l'a créé ? » Qu'est-ce, si ce n'est l'amour que nous devons à Dieu, parce qu'il nous a aimés le premier, et l'amour que nous devons à toute l'humanité, par amour pour Dieu ?
Qu'est-ce que la paix, la paix de Dieu, si ce n'est ce calme serein de l'âme, ce doux repos dans le sang de Jésus, qui ne nous laisse pas le moindre doute d'avoir été acceptés de lui ; qui exclut toute crainte, hormis la crainte affectionnée et filiale d'offenser notre père qui est aux cieux ?
Ce royaume intérieur consiste aussi dans la joie par le Saint-Esprit ; car cet Esprit scelle sur nos cœurs « la Rédemption acquise par le sang de Jésus (Romains 3 : 23) », la justice de Christ, qui nous est imputée par la rémission des péchés commis auparavant ; « et il nous donne maintenant le gage de notre héritage (Éphésiens 1 : 14) », de la couronne que le Seigneur, le juste juge, donnera en ce jour-là. Et on peut bien l'appeler « le royaume des cieux », puisque c'est le ciel déjà ouvert sur la terre, la première source de ces plaisirs qui coulent à la droite de Dieu pour toujours.
« Le royaume des cieux est à eux ». Qui que tu sois, à qui Dieu a donné d'être pauvre en esprit, de te sentir perdu, tu as des droits à ce royaume, par la promesse gracieuse de Celui qui ne peut mentir. Il a été acheté pour toi par le sang de l'Agneau. Il est près de toi. Tu es à l'entrée du ciel ! Un pas de plus et tu entreras dans le royaume de justice, de paix et de joie ! N'es-tu que péché ? « Voici l'Agneau do Dieu qui ôte les péchés du monde (Jean 1 : 29) ! » — Qu'impureté ? Regarde à ton « avocat auprès du Père, savoir : Jésus-Christ, le Juste ». — Es-tu incapable d'expier la moindre de tes fautes ? — « C'est lui qui est la propitiation pour » tous tes « péchés ». Crois, maintenant, au Seigneur Jésus-Christ ; et tous tes péchés sont effacés ! — Es-tu entièrement souillé d'âme et de corps ? Voici « la source pour le péché et pour la souillure (Zacharie 13 : 1) ! » « Lève-toi, et sois lavé de tes péchés ! » Que l'incrédulité ne te suggère ni doute, ni défiance quant à la promesse de Dieu ! donne gloire à Dieu, aie le courage de croire, écrie-toi, maintenant, du fond du cœur :
Oui,
je me soumets, je me soumets enfin,
J'écoute
ton sang qui plaide pour moi ;
Je
me jette, avec tous mes péchés,
Aux
pieds de mon Dieu, qui les a expiés.
C'est
alors que tu apprends de lui à être « humble de cœur (Matthieu
11 : 29) ». Voilà ce qui constitue la vraie humilité,
l'humilité naturelle et chrétienne, qui découle du sentiment de
l'amour de Dieu réconcilié avec nous en Jésus-Christ. La pauvreté
d'esprit, d'après cette signification du mot, commence là où se
termine le sentiment de notre culpabilité et de la colère de Dieu ;
c'est un sentiment continuel de notre dépendance entière de lui,
pour chaque bonne pensée, parole ou action ; de notre
incapacité complète à faire le moindre bien, à moins qu'Il ne
nous « arrose de moment en moment (Esaïe 27 : 3) ; »
c'est aussi de l'aversion pour la louange qui vient des hommes,
sachant que toute louange est due à Dieu seul. A cela se joignent
une honte pleine d'amour, et une humiliation profonde devant Dieu,
même pour les péchés qu'il nous a sûrement pardonnés, et pour le
péché qui reste encore dans notre cœur, quoique nous sachions
qu'il ne nous est pas imputé pour notre perdition. Cependant, la
conviction de ce péché devient chaque jour plus intime. Plus nous
croissons en grâce, plus nous nous apercevons de la désespérante
méchanceté de notre cœur. Plus nous avançons dans la connaissance
et dans l'amour de Dieu, par notre Seigneur Jésus-Christ (quelque
mystérieux que ceci puisse paraître à ceux qui ne connaissent pas
le pouvoir de Dieu à salut), plus nous sentons notre éloignement
naturel à l'égard de Dieu, l'inimitié qui existe contre lui dans
notre esprit charnel, et la nécessité d'être entièrement
renouvelés en justice et en vraie sainteté.
Examinons maintenant la deuxième béatitude.
Celui
qui commence à connaître par expérience le royaume intérieur des
cieux, n'a, il est vrai, presque aucune conception de la nécessité
dont nous venons de parler. « Dans sa prospérité, il dit :
Je ne serai jamais ébranlé ; ô Éternel ! tu as mis la
force dans ma montagne (Psaume 30 : 7,8) ». Il a tellement
écrasé le péché sous ses pieds, qu'il peut à peine croire qu'il
existe en lui. Il impose même le silence à la tentation, et elle se
tait ; elle ne peut approcher de lui pour le moment. Il est
porté sur les nues par les chariots de la joie et de l'amour ;
il prend son essor « comme sur des ailes d'aigle (Esaïe 19 :
4) ». Mais notre Seigneur savait bien que souvent cet état de
triomphe ne dure pas : c'est pourquoi il ajoute aussitôt :
« Heureux ceux qui sont dans l'affliction, car ils seront
consolés ».
Nous ne pouvons nous imaginer que cette promesse appartienne à ceux qui pleurent pour quelque sujet terrestre ; à ceux qui sont dans l'affliction et dans la tristesse, à cause de quelque peine ou de quelque désappointement terrestre, tels que la perte de leur réputation ou de leurs amis, ou la diminution de leur fortune ; non plus qu'à ceux qui s'affligent par crainte de quelque mal temporel ou qui désirent les choses terrestres qui « font languir le cœur (Proverbes 13 : 12) ». Ne pensons pas que de telles gens « recevront quelque chose du Seigneur ». Ce n'est pas à lui qu'ils pensent » ; ils se promènent parmi ce qui n'a que de l'apparence, et se tourmentent en vain (Psaume 39 : 7) ». « C'est de ma part que tout ceci vous arrivera », dit le Seigneur ; « vous serez gisants dans les tourments (Esaïe 50 : 11 Ed. anglaise Des Bibles polyglottes) ».
Notre Seigneur parle ici de ceux qui sont dans l'affliction pour une raison plus sainte ; de ceux qui soupirent après Dieu, après celui en qui ils se sont peut-être déjà « réjouis d'une joie ineffable (1Pierre 1 : 8) », lorsqu'il leur a donné de goûter la bonne parole qui nous annonce le pardon, « et les puissances du siècle à venir (Hébreux 11 : 5) », mais auxquels maintenant « il cache sa face ; et ils sont troublés (Ps 104 : 29) ». Ils ne peuvent le voir à travers le nuage ténébreux. Ils croyaient (parce qu'ils le désiraient) que la tentation et le péché étaient partis pour toujours ; mais ils les voient revenir bientôt, les poursuivre avec une nouvelle vigueur, et les entourer de tous côtés. Il n'est pas étonnant que leur âme soit tourmentée, que le trouble et la tristesse s'emparent d'eux. Le grand ennemi ne manquera pas alors de saisir cette occasion, et de demander : « Où est maintenant ton Dieu ? Où est donc la félicité dont tu parlais ? Le commencement du royaume des cieux ? Quoi ! Dieu t'a-t-il dit : Tes péchés te sont pardonnés ? Sûrement, Dieu ne te l'a pas dit. Ce n'était qu'un rêve, qu'une simple illusion, qu'une création de ta propre imagination. Si tes péchés sont pardonnés, pourquoi es-tu dans cet état ? Est-ce qu'un pécheur pardonné peut-être si souillé ? » — Et si alors, au lieu de crier aussitôt à Dieu, ces chrétiens affligés raisonnent avec l'esprit séducteur, ils seront vraiment remplis de tristesse, de chagrin et d'une angoisse inexprimable, Et même lorsque Dieu luit de nouveau sur l'âme, et éloigne tous les doutes au sujet de sa miséricorde passée, cependant, celui qui est faible dans la foi peut encore être tenté et troublé, à cause de ce qui est à venir ; surtout lorsque le péché intérieur se réveille et l'attaque violemment pour le faire tomber. C'est alors qu'il peut s'écrier de nouveau : J'ai encore un péché ! c'est la crainte qu'après avoir achevé ma carrière, je ne périsse sur le rivage ! Je crains de faire naufrage quant à la foi, et que mon dernier état ne soit pire que le premier : que tout mon pain de vie ne me manque, et que je ne tombe en enfer irrégénéré !
Il est sûr que cette « affliction » semble d'abord un sujet de tristesse et non pas de joie ; mais elle produit ensuite un fruit paisible pour ceux qui ont été ainsi exercés (Hébreux 12 : 11) ». Heureux donc ceux qui sont ainsi affligés ! s'ils attendent le Seigneur, et ne se laissent pas détourner de la voie par les pauvres consolations de ce monde ; s'ils rejettent hardiment toutes celles du péché, de la folie et de la vanité ; tous les divertissements et les vains amusements du monde ; tous les plaisirs « qui sont pernicieux par leurs abus (Colossiens 2 : 22) », et qui ne tendent qu'à engourdir et endormir l'âme, afin qu'elle perde le sentiment, soit d'elle-même, soit de Dieu. Heureux ceux qui « continuent à connaître l’Éternel (Osée 6 : 3) », et qui refusent constamment toute autre consolation. Ils seront consolés par son esprit, par une nouvelle manifestation de son amour, par un témoignage qui ne leur sera jamais ôté, de leur acceptation en Jésus-Christ, le Bien-Aimé. Cette « confiance pleine et parfaite (Hébreux 10 : 22) » dissipe les doutes aussi bien que toutes les craintes qui les tourmentent. Dieu leur donne maintenant une espérance assurée de quelque chose de durable, et « une consolation ferme par grâce ». Sans disputer, pour savoir s'il est possible à de telles personnes, « qui ont été une fois illuminées, et qui ont été faites participantes du Saint-Esprit (Hébreux 6 : 4), de retomber ; qu'il leur suffise de dire, par le pouvoir de l'Esprit qui demeure en elles : « Qui nous séparera de l'amour de Christ ? — Je suis assuré que ni la vie, ni la mort, ni les choses présentes, ni les choses à venir, ni les choses élevées, ni les choses basses, ne nous pourront séparer de l'amour que Dieu nous a montré, en Jésus-Christ notre Seigneur (Romains 8 : 35-39) ».
Ces états successifs de l'âme, celui dans lequel on soupire après un Dieu absent et celui dans lequel on retrouve la joie de contempler sa face, semblent être esquissés dans les paroles que notre Seigneur fit entendre à ses Apôtres, la nuit qui précéda sa passion : Vous vous demandez les uns aux autres ce que signifie ce que j'ai dit : dans peu de temps vous ne me verrez plus, et un peu de temps après vous me reverrez. En vérité, en vérité, je vous dis que vous pleurerez et vous vous lamenterez », lorsque vous ne me verrez pas ; « et le monde se réjouira », triomphera de vous, comme si votre espoir vous avait abandonné. « Vous serez dans la tristesse » à cause de vos doutes, de vos craintes, de vos tentations et de vos passions ; « mais votre tristesse sera changée en joie » par le retour de Celui que votre cœur aime. « Quand une femme accouche, elle a des douleurs parce que son terme est venu ; mais dès qu'elle est accouchée d'un enfant, elle ne se souvient plus de son travail, dans la joie qu'elle a de ce qu'un homme est né dans le monde. De même vous êtes maintenant dans la tristesse » ; vous êtes dans l'affliction et ne pouvez être consolés, « mais je vous verrai de nouveau, et votre cœur se réjouira » d'une joie calme et intérieure, "et personne ne vous ravira votre joie (Jean 16 : 19-22)".
Mais
quoique cette affliction soit passée, soit changée en une sainte
joie, par le retour du Consolateur, il y a encore une autre
affliction bénie qui se trouve chez les enfants de Dieu. Ils
gémissent aussi à cause des péchés et des misères de l'humanité.
« Ils pleurent avec
ceux qui pleurent (Romains 12 : 15) ». Ils pleurent sur ceux
qui ne pleurent pas sur eux-mêmes, sur ceux qui pèchent contre
eux-mêmes. Ils s'affligent à cause de la faiblesse, de l'infidélité
de ceux mêmes qui sont, jusqu'à un certain point, sauvés de leurs
péchés. « Quelqu'un est-il affligé qu'ils n'en soient aussi
affligés ? Quelqu'un est-il scandalisé qu'ils n'en soient
aussi comme brûlés (2 Corinthiens 11 : 29) ? Ils sont attristés à
cause de l'opprobre dont on couvre continuellement le Seigneur du
ciel et de la terre. Ils en ont toujours un sentiment profond qui les
rend sérieux ; et ce sérieux n'est pas peu augmenté depuis
que les yeux de leur intelligence ont été ouverts, en voyant le
vaste océan de l'éternité, sans fond et sans bords, qui a déjà
englouti des millions et des millions d'hommes ; et qui demeure
béant. pour engloutir ceux qui restent encore. Ils voient, d'un
côté, la maison éternelle de Dieu dans les cieux, et de l'autre,
l'enfer et la destruction ; et cette vue leur fait sentir,
l'importance de l'instant qui ne fait que passer et s'enfuit pour
toujours.
Mais toute cette sagesse de Dieu est folie pour les hommes du monde. Cet état d'affliction et de pauvreté d'esprit n'est pour eux que stupidité et pesanteur. Et c'est beaucoup, s'ils ne décident pas même que c'est une simple rêverie ou une mélancolie, ou, plutôt, une frénésie et une folie évidentes. Et il n'est pas étonnant que ceux qui ne connaissent pas Dieu en jugent ainsi. Supposons que deux personnes marchent ensemble ; tout-à-coup l'un d'entre elles s'arrête et s'écrie, avec les signes de la crainte et de l'effroi : Au bord de quel précipice sommes-nous ! Regarde, nous allons périr ! Un pas de plus, et nous tombons dans ce gouffre sans fond ! Arrête, je n'irai pas plus loin, non ! pas pour tout au monde ! L'autre personne, au contraire, qui paraît, du moins, à ses propres yeux, douée d'une bonne vue, avance et ne voit rien du tout ; que pensera-t-elle de son compagnon, si ce n'est qu'il déraisonne, qu'il a perdu la tête, que tant de religion (s'il n'est pas coupable de posséder un grand savoir) l'a sûrement rendu fou !
Mais que les enfants de Dieu, ceux qui pleurent en Sion, ne soient agités par aucune de ces choses. Vous, dont les yeux sont éclairés, ne soyez pas troublés par ceux qui marchent encore dans les ténèbres. Vous ne poursuivez pas une ombre vaine : Dieu et l'éternité sont des réalités. Le ciel et l'enfer sont réellement ouverts devant vous, et vous êtes sur le bord du grand abîme. Cet abîme a déjà englouti des foules innombrables, peuples, nations, familles et langues ; et, la bouche béante, il est prêt à dévorer encore dans leur étourderie, les malheureux enfants des hommes, soit qu'ils le voient ou non. Oh ! criez à haute voix, et ne vous taisez pas ! Que votre prière s'élève vers Celui qui tient en ses mains le temps et l'éternité, pour qu'il ait pitié de vous et de vos frères, et qu'il vous juge dignes d'échapper à la destruction qui vient comme un tourbillon ! pour que vous puissiez arriver en sûreté à travers les flots et les tempêtes dans le port où vous désirez être recueillis ! Pleurez pour vous-mêmes, jusqu'à ce qu'il essuie toutes larmes de vos yeux. Et, alors, pleurez pour les calamités qui fondent sur la terre, jusqu'à ce que le Seigneur de tous ait fait cesser la misère et le péché, et qu'il ait essuyé les larmes de tous les yeux, jusqu'à ce qu'enfin « la terre soit remplie de la connaissance de l’Éternel, comme le fond de la mer des eaux qui le couvrent (Esaïe 11 : 9).