jeudi 4 août 2016

(17) LES SERMONS DE WESLEY L'EMPLOI DE L'ARGENT

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Sermon 50 :           L'EMPLOI DE L'ARGENT

Luc 16,9    (1760)

Et moi je vous dis : faites-vous des amis avec les richesses injustes, afin que, lorsqu'elles viendront à vous manquer, ils vous reçoivent dans les tabernacles éternels. (Luc 16: 9)

                    NOTRE SEIGNEUR, après avoir raconté la belle parabole de l'enfant prodigue, adressée surtout à ceux qui murmuraient de ce qu'Il recevait les péagers et les gens de mauvaise vie, ajoute un récit d'un autre genre, à l'adresse plus spécialement des enfants de Dieu. « Jésus disait à ses disciples (et non pas aux Scribes et aux Pharisiens, auxquels il avait parlé en premier lieu) : Un homme riche avait un intendant qui fut accusé devant lui de lui dissiper son bien. Et l'ayant fait venir, il lui dit : Qu'est-ce que j'entends dire de toi ? Rends compte de ton administration ; car tu ne pourras plus désormais administrer mon bien. (Luc 16 : 1-2) »

                    Après avoir signalé le moyen que l'intendant infidèle employa pour se garantir contre les temps de disette, notre Seigneur ajoute : « Son maître loua cet intendant infidèle  » ; il le loua d'avoir eu de la prévoyance. Puis vient cette réflexion importante : « Les enfants de ce siècle sont plus prudents en leur génération que les enfants de lumière (Luc 16 : 8) », Ce qui signifie que ceux qui n'ont leur portion que dans ce monde sont plus sages ; non pas d'une manière absolue, car ils sont tous, sans exception, les plus grands insensés, les fous les plus remarquables que la terre porte ; mais « dans leur génération », dans la voie qu'ils suivent, ils sont plus d'accord avec eux-mêmes, ils sont plus fidèles aux principes qu'ils ont adoptés, plus persévérants dans la poursuite de leur but, « que les enfants de lumière », que ceux qui voient « la lumière de la gloire de Dieu dans la personne de Jésus-Christ ». Viennent ensuite les paroles de notre texte : « Et moi (le Fils unique de Dieu, le Créateur, le Seigneur, le Maître des cieux et de la terre et de tout ce qui y est contenu, le juge de tous les hommes, à qui vous devrez rendre compte de votre administration, quand vous cesserez d'être Ses intendants), je vous dis (vous avez une leçon à apprendre même de cet infidèle économe) : faites-vous des amis (par une sage prévoyance) avec ces richesses injustes ». Plus littéralement : avec ce Mammon d'iniquité. « Mammon » signifie richesses, ou argent. jésus appelle les richesses « Mammon d'iniquité », soit à cause de la manière injuste dont on se les procure souvent, soit à cause de l'emploi malhonnête que l'on fait de ce qui a été honorablement gagné. « Faites-vous des amis » avec cet argent, en faisant tout le bien possible, aux enfants de Dieu surtout, « afin que lorsqu'elles viendront à vous manquer », quand vous retournerez à la poussière et que vous n'aurez plus votre place sous le soleil, ceux qui vous ont précédé « vous reçoivent », en vous souhaitant la bienvenue, « dans les tabernacles éternels ».

                    Notre Seigneur donne ici à tous Ses disciples, une excellente leçon de morale chrétienne sur le bon emploi de l'argent. C'est là un sujet dont les gens du monde parlent souvent à leur manière ; mais qui n'a été que très imparfaitement étudié par ceux que Dieu a appelés du milieu de ce monde. Ceux-ci n'attachent généralement pas à cette question du bon emploi de cet excellent talent, l'importance dont elle est digne. Ils ne comprennent pas comment ils doivent l'employer pour lui faire produire la plus grande somme possible de bien. L'introduction de l'argent dans le monde est un exemple admirable de la sage et bonne Providence de Dieu. Néanmoins, les poètes, les orateurs, les philosophes, dans presque tous les âges et tous les pays, sont d'accord pour flétrir l'argent comme le plus grand corrupteur du monde, la ruine de la vertu, le fléau de la société.

                    Rien n'est plus commun que de les entendre dire : Nocens ferrum, ferroque nocentius aurum.
Le fer est nuisible ; mais l'or l'est bien plus.

                          De là la plainte lamentable :
Effodiuntur opes, irritamenta malorum.
On creuse la terre pour des richesses qui excite nos mauvaises passions !

                         Un auteur célèbre exhorte gravement ses concitoyens, pour en finir avec tous les vices, à jeter « dans la mer la plus rapprochée la cause d'un si grand mal ».  In mare proximum Summi materiem mati !

                     Mais tout cela n'est-il pas un pur bavardage ? Y a-t-il là la moindre raison ? Pas la moindre. Car, enfin, si le monde est corrompu, la faute en est-elle à l'or et à l'argent ? « C'est l'amour de l'argent », et non pas l'argent lui-même « qui est la racine de tous les maux. (1Timothée 6 : 10) » La faute ne retombe pas sur l'argent, mais sur ceux qui l'emploient. On peut en faire un mauvais usage ; de quoi n'abuse-t-on pas ? Mais il y a aussi une bonne manière de s'en servir. On peut en faire le meilleur ou le pire des usages. Impossible de dire les avantages que les nations civilisées en retirent dans les affaires ; c'est l'instrument le plus commode pour toute espèce de commerce, et, si nous nous en servions avec une sagesse chrétienne, il nous offrirait le moyen de faire toutes sortes de bonnes choses. Il est évident que, si les hommes avaient conservé leur innocence primitive, s'ils étaient « pleins du Saint-Esprit », comme l'étaient les membres de la jeune Eglise de Jérusalem, où « personne ne disait que ce qu'il possédait fut à lui en particulier », mais où « toutes choses étaient communes, (Actes 4 : 32) » on en viendrait à abandonner l'emploi de l'argent. Nous n'imaginons pas, par exemple, que, dans le ciel, il existe quelque chose d'analogue à l'argent. Mais, dans l'état actuel de la société, l'argent est un don excellent de Dieu ; il répond à Ses plus nobles desseins. Dans la main des enfants de Dieu, l'argent est du pain pour celui qui a faim, un breuvage pour celui qui a soif, des vêtements pour ceux qui sont nus ; il procure au voyageur et à l'étranger un lieu où ils peuvent reposer leur tête. Il nous permet en quelque sorte, de tenir lieu de mari à la veuve, de père à l'orphelin. Il nous fournit le moyen de défendre l'opprimé, de ramener à la santé le malade, de donner du repos à celui qui souffre ; il peut suppléer aux yeux de l'aveugle, aux pieds du boiteux ; il peut aider à ramener le mourant des portes du tombeau.

                    Il est donc du plus haut intérêt que tous ceux qui craignent Dieu sachent comment employer ce précieux talent, afin de lui faire produire ces résultats magnifiques, dans la plus large mesure possible. Il me semble que toutes les directions nécessaires à cet effet peuvent se résumer en trois règles de la plus grande simplicité. En les observant rigoureusement, nous pourrons devenir des économes fidèles du « Mammon d'iniquité ».

I

                      La première de ces règles, (que celui qui écoute comprenne !) c'est : Gagnez tout ce que vous pouvez ! Ici nous pouvons tenir le même langage que les enfants de ce siècle ; nous les rencontrons sur leur propre terrain. C'est notre devoir, notre impérieux devoir de gagner autant que possible, à condition toutefois de ne pas acheter trop cher les richesses, de ne pas les payer plus qu'elles ne valent. Nous ne devons pas, par exemple, pour gagner de l'argent, perdre notre vie, ni, ce qui revient au même, ruiner notre santé. Par conséquent, l'espoir du gain ne doit pas nous porter à entreprendre ou à continuer un travail tellement pénible ou tellement prolongé qu'il puisse altérer notre constitution. Nous ne devons ni commencer ni continuer un travail qui nécessite la privation de la somme de nourriture ou de sommeil que la nature réclame. Il faut en convenir, il y a une grande différence dans la nature des occupations. Il y a des travaux qui sont tout à fait malsains, comme ceux qui nécessitent la manipulation de l'arsenic ou d'autres substances nuisibles, ou la respiration d'un air vicié par les exhalaisons du plomb fondu, travaux qui, à la longue, doivent ruiner les constitutions les plus robustes. Il y en a d'autres qui ne sont préjudiciables qu'à des personnes à la constitution faible tels que les travaux de bureau, surtout lorsqu'on est obligé d'écrire assis, la poitrine penchée sur la table, et cela pendant de longues heures entières. Il ne faut à aucun prix se soumettre à ce que la raison ou l'expérience nous démontre être nuisible à la santé ou aux forces. « La vie n'est-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement ? (Matthieu 6 : 25) » Si nous sommes engagés dans un de ces emplois, nous devons le quitter le plus tôt possible et le remplacer par quelque autre, moins lucratif peut-être, mais qui ne sera pas nuisible à notre santé.

                    Il faut, en deuxième lieu, gagner autant qu'on peut, sans nuire à l'esprit, pas plus qu'au corps. Nous n'avons pas le droit de nuire à notre esprit ; nous devons, en tout cas, conserver l'avantage d'une bonne conscience. Nous ne devons pas entreprendre ou continuer un commerce illicite, contraire à la loi de Dieu ou à celle de notre pays. Tel serait, par exemple, un commerce qui frauderait l'Etat sur les droits de douane qui lui sont dus ; car il y a au moins autant de mal à voler l'Etat qu'à voler notre voisin. L'Etat a autant de droit sur les impôts que nous sur nos maisons et nos vêtements. Il y a d'autres industries légitimes en elles-mêmes, qu'on ne peut plus exercer, au moins en Angleterre, sans être obligé de mentir ou de tromper, ou sans se conformer à quelque usage qui n'est pas d'accord avec un bonne conscience. Il faut s'éloigner de pareils commerces avec une sainte horreur, sans s'inquiéter du gain que l'on pourrait y faire à la condition de pécher comme les autres ; car, pour gagner de l'argent, nous ne devons pas perdre notre âme. Il y a d'autres emplois, auxquels bien des gens peuvent vaquer sans exposer soit leur corps soit leur âme ; mais vous, peut-être, vous ne le pourriez pas ; vous vous laisseriez entraîner dans une société qui perdrait votre âme ; l'expérience a dû vous apprendre qu'il vous est impossible de vous livrer à une telle occupation sans subir une influence mauvaise. Il y a peut-être une idiosyncrasie, une particularité dans votre tempérament moral (comme il y en a dans notre constitution physique) qui rendrait mortel pour vous ce qui ne fait aucun mal à un autre. je suis convaincu, pour en avoir fait l'expérience, que je ne pourrais pas me livrer tout entier à l'étude des sciences exactes (mathématiques, arithmétique, algèbre), sans courir le risque de devenir déiste, peut-être même athée. D'autres, je le sais, consacrent toute leur vie à ces études sans en souffrir. Personne ici ne peut se prononcer pour un autre. Chaque homme doit juger pour lui-même et s'abstenir de tout ce qui peut nuire à son âme.

                    Nous devons, en troisième lieu, gagner autant que possible, sans nuire à notre prochain. Nous ne devons, nous ne pourrons lui nuire, si nous l'aimons comme nous-mêmes. En aimant notre prochain comme nous-mêmes, il nous sera impossible de lui nuire dans ses biens. Nous ne pourrons pas lui ravir le revenu de ses terres, encore moins ses terres elles-mêmes et ses maisons, soit par le jeu, soit par des honoraires exorbitants (comme médecins, notaires, etc.) soit en exigeant un taux d'intérêt que la loi ne permet pas. Tout ce qui a rapport à l'exploitation de la misère par des prêts sur gages doit être exclu. Tout homme impartial reconnaîtra que les avantages qu'on en retire sont bien contrebalancés par les maux qui en résultent. Et quand bien même il n'y aurait pas de conséquences fâcheuses, il ne nous est jamais permis de « faire le mal pour qu'il en résulte du bien ». Nous ne pouvons pas, avec une bonne conscience, vendre au dessous du cours ; nous ne pouvons pas ruiner le commerce du voisin, afin d'écouler notre marchandise ; nous pouvons encore moins débaucher ou recevoir les domestiques ou ouvriers dont il a besoin. Celui qui, pour gagner, dévore le bien de son frère, gagnera la condamnation de l'enfer.

                   Il est interdit de gagner en faisant du tort à son frère dans son corps. Nous ne devons rien vendre qui puisse nuire à sa santé ; et en première ligne, ce feu liquide, connu sous le nom d'eau-de-vie et de spiritueux Il est vrai que ces spiritueux ont leur place dans la médecine et peuvent être utiles dans certaines maladies ; mais leur usage serait rarement nécessaire si l'on n'avait pas, par leur moyen, à suppléer à la maladresse du médecin. Il n'y a que ceux qui les fabriquent et qui les vendent comme remèdes qui puissent avoir la conscience nette. Mais où sont-ils ? Qui sont ceux qui ne préparent leurs spiritueux que dans ce but ? En connaissez-vous dix en Angleterre ? Ceux-là, vous pouvez les excuser. Mais tous ceux qui vendent ces liqueurs à qui veut les acheter, sont des empoisonneurs publics. Il tuent leurs concitoyens en masse, sans grâce, ni pitié. Il les poussent en enfer, comme un troupeau de brebis à la boucherie. Et que gagnent-ils ? N'est-ce pas le sang de ces hommes ? Qui donc leur envierait leurs vastes domaines, leurs somptueux palais ? Une malédiction repose sur ces demeures, la malédiction de Dieu s'attache aux pierres, à la charpente et au mobilier de leur maisons. Maudits de Dieu sont leurs jardins, leurs avenues, leurs bosquets ; c'est un feu qui brûle jusqu'au fond de l'abîme. Il y a du sang, du sang partout. Les fondements, les planchers, les murailles, les toits, tout est teint de sang. Et peux-tu espérer, ô homme de sang, quoique tu sois « vêtu d'écarlate et de fin lin et que tu te traites somptueusement tous les jours », que tu pourras faire passer tes champs du sang à la troisième génération ? Certainement non ! car il y a un Dieu dans le ciel ; ton nom sera effacé comme celui de ceux que tu as perdus corps et âme ; "ton monument périra avec toi ! "

                      Et ne sont-ils pas presque aussi coupables ces chirurgiens, ces pharmaciens, ces médecins qui jouent avec la vie ou la santé de leurs clients, afin de gagner davantage, en prolongeant la douleur ou la maladie qu'ils pourraient enlever promptement, et qui reculent la guérison de leur malade pour piller son argent ? Sera-t-il innocent devant Dieu, celui qui ne diminuera pas, autant que possible, la souffrance et qui ne la supprimera pas le plus tôt qu'il pourra ? Il ne saurait l'être. Il « n'aime pas son prochain comme lui-même », cela est de toute évidence. Il ne « fait pas aux autres ce qu'il voudrait que les autres lui fissent ».

                    Ce gain-là a coûté bien cher ; n'en est-il pas ainsi de tout ce que l'on obtient en portant atteinte à l'âme de son frère, en nourrissant directement ou indirectement ses convoitises ou son intempérance, ce que ne pourra jamais faire celui qui a la crainte de Dieu et le désir de Lui plaire ? Que tous ceux qui sont en rapport avec les cabarets, les théâtres, les maisons de jeux et les autres lieux de dissipation, y fassent bien attention. Si ces maisons contribuent aux intérêts des âmes, vous êtes libres de tout blâme, votre vocation est bonne, votre gain est innocent ; mais si ces maisons sont mauvaises en elles-mêmes, ou si elles favorisent le mal, alors il est à craindre que vous n'ayez un bien triste compte à rendre. Oh ! prenez garde que Dieu ne dise en ce jour-là : « Ce méchant-là mourra dans son iniquité ; mais je redemanderai son sang de ta mains. (Ézéchiel 3 : 18) »

                     Ces restrictions et ces réserves faites, il est du devoir de tous ceux qui sont dans le commerce de pratiquer cette premier règle de la sagesse chrétienne : « Gagnez tout ce que vous pouvez ». Gagnez donc tout ce que vous pouvez par un travail honnête ; déployez la plus grande diligence dans l'exercice de votre vocation ; ne perdez pas de temps. Si vous comprenez bien la nature des rapports que vous soutenez avec Dieu et avec les hommes, vous savez bien que vous n'avez pas un moment à perdre. Si vous comprenez votre tâche comme vous le devez, vous ne saurez pas ce que c'est que d'avoir du temps inoccupé. Dans chaque métier, il y a de quoi remplir toutes les heures de toutes les journées. Quel que soit votre travail, si vous vous y mettez de tout votre cœur, vous n'aurez pas de loisir pour d'inutiles et frivoles passe-temps. Il y a toujours quelque chose de mieux à faire, quelque chose qui peut vous être utile, sans gaspiller ainsi votre temps. « Tout ce que ta main trouve à faire, fais-le de tout ton pouvoir (Ecclésiaste 9 : 10) », et cela sans retard, sans le remettre d'un jour à l'autre, ni même d'une heure à l'autre. Ne renvoie pas à demain ce que tu peux faire aujourd'hui. Travaille aussi bien que possible ; ne dors pas, ne bâille pas sur ton ouvrage. Mets-y toute ton âme. Ne t'épargne aucune peine. Ne fais rien à moitié, ou d'une manière légère et insouciante. Que rien dans ton commerce ne soit négligé de ce qui peut être fait par le travail et par la patience.

                    Gagnez tout ce que vous pouvez, en faisant usage de votre bon sens, et de toute l'intelligence que Dieu vous a donnée. Il est étonnant de voir combien peu de personnes font cela et combien d'hommes se contentent de marcher dans les vieilles ornières tracées par leurs ancêtres ! Que ceux qui ne connaissent pas Dieu agissent ainsi, il ne faut pas s'en étonner. Ce ne sera pas votre cas. C'est une honte pour un chrétien de ne pas mieux faire que les autres dans tout qu'il entreprend. Vous devriez toujours apprendre quelque chose, soit de l'expérience des autres, soit de la vôtre, par la lecture ou par la réflexion de manière à faire mieux aujourd'hui que vous ne faisiez hier. Ayez soin de mettre en pratique ce que vous apprenez, afin de tirer le meilleur parti de tout ce que vous avez en main.

II

                    Après avoir gagné tout ce que vous pourrez, par une sage honnêteté et une persévérance infatigable, n'oubliez pas que la seconde règle de prudence chrétienne, c'est : Épargnez tout ce que vous pouvez. Ne jetez pas ce précieux talent à la mer ; laissez cette folie aux philosophes païens. Ne le gaspillez pas en dépenses inutiles, ce qui serait la même chose que de le jeter à l'eau. N'en dépensez aucune partie pour la satisfaction des convoitises de la chair, des convoitises des yeux, ou de l'orgueil de la vie.

                    Reprenons ces trois idées. Ne dépensez rien pour la satisfaction des convoitises de la chair, pour vous procurer les plaisirs des sens, notamment ceux de la table. je ne dis pas seulement : évitez la gloutonnerie et l'intempérance ; un honnête païen condamnerait ces choses. Mais il y a une espèce de sensualité rangée et reçue, un élégant épicurisme, qui ne dérange pas tout de suite l'estomac, qui ne détériore pas, d'une manière sensible au moins, l'intelligence, mais qui (pour ne pas parler d'autres effets) ne peut être satisfait qu'au prix de dépenses considérables. Retranchez toute cette dépense. Méprisez ces délicatesses et cette variété de mets ; contentez-vous de donner à la nature le nécessaire.

                    Ne gaspillez pas votre argent en satisfaisant la convoitise des yeux, par une toilette inutile ou dispendieuse, ou par de vains ornements. Ne le gaspillez pas en ornements superflus dans votre maison, en meubles inutiles ou coûteux, en tableaux de prix, en peinture et dorure, en livres rares, ou bien encore en jardins plutôt fastueux que productifs. Que votre voisin, qui ne sait rien de mieux, fasse cela ; « laissez les morts ensevelir leurs morts. (Matthieu 8 : 22) » Mais, à vous, le Maître dit : « Que t'importe ! toi, suis-moi. (Jean 21 : 22) » Si vous le voulez, vous le pouvez.

                    Ne dépensez pas votre argent pour satisfaire l'orgueil de la vie, pour obtenir l'admiration et les louanges des hommes. Ce motif de dépense accompagne souvent l'un des précédents, ou même il se combine avec l'un et l'autre. On fait de grosses dépenses de table, de toilette, d'ameublement, non pas seulement pour satisfaire son appétit, le plaisir de ses yeux ou son imagination, mais surtout par vanité. Aussi longtemps que vous vous traiterez bien, vous trouverez des gens pour chanter vos louanges. Aussi longtemps que vous vous serez « vêtus de pourpre et de fin lin et que vous vous traiterez bien et magnifiquement tous les jours, (Luc 16 : 19) » il y aura des gens pour vanter votre bon goût, votre générosité, votre hospitalité. Mais c'est payer trop cher leur approbation. Contentez-vous de l'honneur qui vient de Dieu.

                    Qui voudrait dépenser son argent en satisfaisant ces convoitises, quand on sait que leur complaire c'est augmenter leur force ? Il n'y a rien de plus sûr, et l'expérience de tous les jours le prouve ; plus on leur accorde, plus elles son exigeantes. Quand vous dépensez quelque chose pour la satisfaction de vos sens, vous payez tant pour votre sensualité. Quand vous réservez tant pour le plaisir de vos yeux, vous augmentez d'autant votre curiosité et votre attachement pour ces choses qui périssent. Lorsque vous achetez ce que les hommes louent, vous achetez un peu plus de vanité. N'aviez-vous donc pas déjà assez de sensualité, de curiosité, de vanité ? Cette augmentation vous était-elle nécessaire ? Et voudriez-vous avoir à débourser de l'argent pour cela ? Mais quelle étrange sagesse que la vôtre ! Pensez-vous que jeter son argent à la mer serait une folie plus nuisible ?

                   Et ce que vous ne devez pas faire pour vous-même, pourquoi le feriez-vous pour vos enfants ? Pourquoi gaspilleriez-vous l'argent pour leur donner une nourriture délicate, de riches habits et des bagatelles de tous genres ? Pourquoi leur achèteriez-vous encore plus d'orgueil, de convoitise, de vanité, de désirs insensés et pernicieux ? Hélas ! n'en ont-ils pas assez ? La nature les en a amplement pourvus. Pourquoi accroîtriez-vous vos dépenses pour augmenter. leurs tentations et leurs périls, et pour leur percer le cœur de plus de chagrins ?

                    Ne leur laissez pas cet argent pour qu'ils le gaspillent. Si vous avez quelque raison de croire qu'ils dissiperont ce qui est à vous, pour la satisfaction et l'accroissement de la convoitise de la chair, de la convoitise des yeux ou de l'orgueil de la vie ; c'est-à-dire au péril de leurs âmes et de la vôtre, ne placez pas ces pièges sous leurs pas. Vous ne voulez pas donner vos fils et vos filles à Moloch ; ne les livrez pas à Bélial. Ayez pitié d'eux et éloignez d'eux ce qui serait, vous pouvez le prévoir facilement, une pâture pour leurs péchés et le moyen d'augmenter leur perdition éternelle. Combien se trompent ces parents qui croient qu'ils n'en pourront jamais laisser assez à leurs enfants ! Quoi ! vous craignez donc de ne pas les pourvoir suffisamment de flèches, de brandons, de désirs insensés et nuisibles, d'orgueil, de convoitise, d'ambition, de vanité et de feux éternels ! Malheureux que tu es ! tu crains où il n'y a aucun sujet de crainte Assurément eux et toi, quand vous lèverez vos yeux dans les enfers, vous en aurez assez de « ce ver qui ne meurt point, de ce feu qui ne s'éteint point. (Marc 9 : 48) »

                     « Que feriez-vous, me direz-vous, à ma place, si vous aviez une fortune considérable à laisser ? » je ne sais pas ce que je ferais, mais je sais bien ce que je devrais faire, sur ce point, il n'y a pas de doute raisonnable. S j'avais un enfant, le plus jeune ou le plus âgé, peu importe, qui connût la valeur de l'argent, qui, dans ma conviction, en ferait le meilleur usage, je considérerai, que mon devoir absolu et impérieux serait de lu laisser la meilleure partie de ma fortune, en ne léguant aux autres que juste assez pour leur permettre de vivre comme ils ont été élevés. « Mais quoi ! si tous vos enfants ignoraient le véritable usage de l'argent, que feriez-vous ? » je devrais (c'est là, je le sais, une parole dure, et qui peut l'entendre ?), je devrais leur laisse tout juste ce qu'il leur faudrait pour vivre, et puis disposer du reste au mieux de mes lumières, en ayant en vue la gloire de Dieu.

III

                    Mais que personne ne croie qu'il a fait son devoir en se bornant à « gagner le plus possible et à épargner le plus possible », s'il s'arrête là. Tout cela n'est rien, s'il ne fait un pas de plus, s'il n'a pas en vue un but plus élevé. Peut-on dire qu'un homme épargne, quand c'est tout simplement pour amasser qu'il ne dépense rien ? Autant vaudrait jeter votre argent à la mer que de l'enfouir dans la terre, et autant vaudrait l'enfouir dans la terre que de l'entasser dans un coffre-fort ou dans une banque. Ne pas s'en servir, c'est le jeter. Si, vraiment, vous voulez « vous faire des amis avec ce Mammon d'iniquité », ajoutez la troisième règle aux deux autres. Vous avez d'abord gagné autant que possible, puis épargné autant que possible ; enfin, « donnez tout ce que vous pouvez ».

                     Pour vous aider à voir le bien-fondé de cette règle, rappelez-vous que le Possesseur du ciel et de la terre, en vous donnant l'existence, en vous plaçant ici-bas, ne vous y a pas mis comme propriétaire, mais comme intendant. Comme tel, Il vous a confié, pour un moment, toutes sortes de biens ; mais la propriété de Ses biens est inaliénable, elle est entièrement à Lui. Vous-même, vous ne vous appartenez pas ; vous êtes à Lui ; ainsi en est-il de tout ce que vous possédez. Votre âme n'est pas à vous, votre corps n'est pas à vous ; ils sont à Dieu. Vos biens ne Lui appartiennent-ils pas aussi ? Il vous a dit, de la façon la plus directe et la plus claire, que vous devez vous en servir de telle sorte que ce soit un sacrifice saint et agréable par Jésus-Christ. C'est ce service facile qu'Il a promis de récompenser par le poids d'une gloire éternelle.

                    On peut résumer en quelques mots les directions que Dieu nous a données sur la manière d'utiliser notre argent. Si vous voulez être un intendant fidèle et sage des biens que Dieu vous a confiés, et qu'Il pourrait reprendre quand bon Lui semblera, prenez d'abord ce qu'il vous faut pour vous-même, pour votre nourriture, vos habits, tout ce que la nature réclame raisonnablement pour la conservation du corps ; faites la même chose pour votre femme et pour vos enfants, vos domestiques et tous ceux qui vivent sous votre toit. Si, après il reste quelque chose, alors « faites du bien aux frères dans la foi. (Galates 6 : 10) » S'il reste encore quelque chose, « pendant que nous en avons l'occasion, faisons du bien à tous. (Galates 6 : 10) » En faisant cela vous donnerez autant que possible. je me trompe, vous donnerez, dans un sens, tout ce que vous avez ; car tout ce qui est dépensé, non seulement pour le soulagement des pauvres, mais pour vos propres besoins et ceux de votre famille, est dépensé pour Dieu. Vous aurez rendu « à Dieu ce qui appartient à Dieu. (Matthieu 22 : 21) »

                    Mais si jamais un doute s'élève dans votre esprit, au moment de faire une dépense pour vous ou pour votre famille, vous pouvez aisément le faire disparaître. Demandez-vous sérieusement et calmement :

1° En faisant cette dépense, est-ce que j'agis comme un chrétien doit agir, comme l'intendant et non comme le propriétaire des biens de mon Maître ?

2° En faisant cette dépense, est-ce que j'obéis à la Parole de Dieu ? Dans quel passage de l'Ecriture me recommande-t-il d'agir ainsi ?

3° Puis-je présenter cet acte, cette dépense comme un sacrifice à Dieu par Jésus-Christ ?

4° Suis-je en droit d'attendre une récompense lors de la résurrection des justes pour ce que je vais faire ? Vous n'aurez pas souvent besoin d'aller plus loin pour chasser le doute qui se sera élevé dans votre esprit ; mais, au moyen de ces quatre questions, vous recevrez la lumière dont vous aurez besoin pour choisir le chemin où vous devez marcher.

                    Si le doute persiste, priez et reprenez tous les points indiqués. Essayez de dire, avec une bonne conscience, à Celui qui sonde les cœurs : « Seigneur, tu sais que je suis sur le point de faire une dépense, pour cet article de nourriture, de toilette ou d'ameublement. Tu sais que j'agis dans cette circonstance avec sincérité, comme un intendant de Tes biens ; je suis sur le point d'en dépenser une partie pour l'usage pour lequel Tu me les a confiés. Tu sais que je fais ceci pour obéir à Ta parole, comme Tu le commandes et parce que Tu le commandes. Que ce soit, je T'en supplie, un sacrifice saint, qui Te soit agréable par Jésus-Christ ! Donne-moi une preuve en moi-même que pour ceci, pour ce travail d'amour, Tu me récompenseras, quand Tu rendras à chacun selon ses œuvres ». Si votre conscience, éclairée par le Saint-Esprit, vous rend témoignage que cette prière est agréable à Dieu, vous n'avez aucune raison de douter que cette dépense est juste et bonne, et vous n'aurez pas lieu de vous en repentir.

                    Vous voyez maintenant ce que c'est que de se faire « des amis de ces richesses injustes », et par ce moyen vous pouvez vous assurer que, « lorsqu'elles viendront à vous manquer, ils vous reçoivent dans les tabernacles éternels ». Vous voyez la nature et l'étendue de la vraie prudence chrétienne, en rapport avec l'usage à faire de ce grand 'talent, l'argent. Gagnez tout ce que vous pouvez, sans nuire à votre prochain ni à vous-même, ni dans le corps ni dans l'âme, en vous appliquant à votre tâche avec une diligence sans relâche et avec toute l'intelligence que Dieu vous a donnée. Épargnez tout ce que vous pouvez, en retranchant tout ce qui pourrait satisfaire les désirs insensés, la convoitise de la chair, la convoitise des yeux, l'orgueil de la vie ; ne gaspillez rien pour le péché et pour la folie dans l'emploi de vos biens, soit pendant votre vie, soit dans vos dispositions testamentaires, soit pour vous-même, soit pour vos enfants. Donnez tout ce que vous pouvez ou, en d'autres termes, donnez tout ce que vous avez à Dieu. Ne fixez pas de limites ; vous êtes chrétien et non pas juif. Rendez à Dieu, non pas un dixième, non pas un tiers, non pas la moitié, mais tout ce qui est à Lui, que ce soit peu ou beaucoup, en employant le tout pour vous, pour votre famille terrestre, pour votre famille spirituelle, pour l'humanité. C'est ainsi que vous pourrez rendre un bon compte de votre administration, quand vous ne serez plus intendant. C'est ainsi que les oracles de Dieu vous enseignent à agir, par des préceptes généraux ou particuliers, et c'est ainsi que tout ce que vous ferez sera « un sacrifice d'agréable odeur », et que toutes vos actions seront récompensées, le jour où Dieu viendra avec tous Ses saints.

                    Frères, pouvons-nous être de sages et fidèles intendants, à moins d'en agir ainsi avec les biens du Seigneur ? Nous ne le pouvons pas ; non seulement les oracles de Dieu, mais nos consciences, nous le déclarent. Pourquoi tarder ? Pourquoi consulter plus longtemps la chair et le sang, ou les hommes du monde ? Notre royaume et notre sagesse ne sont pas de ce monde ; les coutumes païennes ne nous regardent pas. Nous ne suivons les hommes que dans la mesure où ils suivent Jésus-Christ. Ecoutez-Le aujourd'hui, pendant qu'il est dit : « Aujourd'hui ». Ecoutez Sa voix, obéissez-Lui. Dès maintenant faites Sa volonté. Réalisez les prescriptions de Sa Parole, en ceci et en tout le reste. Je vous en supplie, au nom du Seigneur Jésus, agissez d'une manière digne de votre vocation. Plus de paresse ! Tout ce que ta main trouve à faire, fais-le de tout ton cœur. Plus de gaspillage ! Supprimez toutes les dépenses que la mode, le caprice, la chair et le sang réclament. Plus d'avarice ! Que tout ce que Dieu vous a confié soit bien employé, pour faire autant de bien que possible, de toute manière, à la famille de Dieu et à tous les hommes. Ce n'est pas là, croyez-le, une petite portion « de la sagesse du juste ». Donnez tout ce que vous avez, tout ce que vous êtes, en sacrifice à Celui qui n'a pas épargné Son Fils, Son Fils unique pour vous, afin que vous vous « amassiez pour l'avenir un trésor placé sur un bon fondement, afin d'obtenir la vie éternelle.  (1 Timothée 6 : 19) »



mardi 2 août 2016

(16) LES SERMONS DE WESLEY

Numérisation Yves PETRAKIAN Copie autorisée pour diffusion gratuite uniquement Obligation d'indiquer la source http://456-bible.123-bible.com

Sermon 49 : (1760)         LE REMÈDE CONTRE LA MÉDISANCE

Matthieu 18,15-17  (1760)

Si ton frère  a péché contre toi, va et reprends-le entre toi et lui seul ; s'il t'écoute, tu auras gagné ton frère ; mais s'il ne t'écoute pas, prends avec toi encore une ou deux personnes, afin que tout soit confirmé sur la parole de deux ou trois témoins. S'il ne daigne pas les écouter, dis-le à l'Église et s'il ne daigne pas écouter l'Église, regarde-le comme un paën et un péager. (Matthieu 18 : 15-17)

                    « Avertis-les... de ne médire de personne (Tite 3 : 1,2) » a dit le grand apôtre. Et ce commandement est tout aussi formel que cet autre : « Tu ne tueras point (Exode 20 : 13)  ». Mais qui donc, même parmi les chrétiens, fait attention à ce commandement ? Combien peu le comprennent ! Qu'est-ce donc que la médisance ? Ce n'est pas, comme quelques-uns le pensent, la même chose que le mensonge ou la calomnie. Ce qu'un homme dit peut être entièrement vrai, aussi vrai que la Bible, et pourtant être de la médisance. Car la médisance, consiste à dire du mal d'une personne absente, à rapporter quelque chose de mauvais qui a été fait ou dit par quelqu'un qui n'est pas là lorsqu'on le raconte. Supposons que j'aie vu un homme en état d'ivresse, ou que je l'aie entendu jurer ou blasphémer ; si je raconte cela en son absence, c'est là médire. C'est ce qu'on pourrait aussi appeler mordre par derrière. Il n'y a réellement pas de différence entre médire et rapporter. On peut d'ailleurs rapporter les choses tranquillement, d'une voix douce, et même en donnant à entendre qu'on veut du bien à la personne en question, qu'on espère que le mal a été exagéré ; c'est là procéder par insinuation. Mais de quelque façon qu'on s'y prenne, c'est toujours la même chose, sinon dans la forme, du moins en substance, C'est toujours médire, c'est toujours fouler aux pieds ce commandement : « Ne médire de personne ». Car c'est raconter les fautes d'un tiers qui n'est pas là pour se défendre.

                    Combien ce péché est commun, à tous les rangs et dans toutes les classes de la société ! Grands et petits, riches et pauvres, sages et fous, savants et ignorants, tous y tombent sans cesse. Des gens qui ne se ressemblent en rien d'autre sont pourtant les mêmes sur ce point-là. Combien peu pourraient dire devant Dieu : « Je suis innocent à cet égard ; j'ai gardé ma bouche ; j'ai gardé l'ouverture de mes lèvres ! (Allusion à Psaume 141 : 3) » Dans quelle. conversation tant soit peu longue, ne rencontrez-vous pas cet élément de la médisance, même parmi des personnes qui en général ont la crainte de Dieu devant leurs yeux et désirent sincèrement avoir une conscience sans reproche devant Dieu et devant les hommes ?

                    Et c'est précisément parce que ce péché est si ordinaire, qu'il est difficile à éviter. Il nous environne de toutes parts, et si nous ne sentons pas vivement le danger, si nous ne sommes pas sans cesse en garde contre lui, nous pourrons bien être entraînés par le courant. Sur ce point le monde tout entier semble conspirer contre nous. L'exemple des autres influe sur nous, nous ne savons pas comment, et nous arrivons insensiblement à faire comme eux. Et puis, la médisance ne trouve-t-elle pas un appui au dedans de nous, tout comme au dehors ? Presque tous les mauvais sentiments de l'âme y trouvent à l'occasion une jouissance, et c'est ce qui fait que nous y sommes disposés. C'est pour notre orgueil une satisfaction que de raconter les fautes d'autrui, quand nous croyons n'être pas coupables de ces mêmes fautes. La colère, la rancune, toutes les dispositions malveillantes du cœur trouvent leur compte au mal que nous disons de ceux que nous n'aimons pas. C'est souvent en racontant les péchés de leur prochain que les hommes arrivent à satisfaire leurs désirs insensés et coupables.

                    La médisance est d'autant plus difficile à éviter que c'est fréquemment sous un masque qu'elle nous aborde. N'est-ce pas une indignation noble et généreuse, nous dirions sainte, si nous l'osions, qui nous fait parler ainsi de ces indignes personnes ? Si nous péchons, c'est par haine pour le péché. Autant vaut dire que nous servons le diable par pur zèle pour le Seigneur, et que ce n'est que pour ne pas laisser le mal impuni que nous commettons du mal ! Voilà comment nos passions se justifient toutes, et cherchent à faire passer le péché en le voilant de sainteté !

                    Mais n'y a-t-il aucun moyen d'éviter de piège ? Il y en a un certainement : notre bon Maître l'a clairement indiqué à ses disciples dans paroles de notre texte. Quiconque marchera dans ce chemin avec prudence et constance, sera préservé de médire. La règle qu'il nous donne prévient sûrement ce mal, et c'en est le remède infaillible. Dans les versets qui précèdent, Jésus avait dit : « Malheur au monde à cause des scandales (Matthieu 18 : 7) ; » c'est-à-dire que des maux indicibles découleront de cette source pernicieuse ; les scandales, c'est tout ce qui peut détourner ou arrêter ceux qui marchent dans les voies du Seigneur. « Car il est, nécessaire qu'il arrive des scandales (Matthieu 18 : 7) ; » c'est dans la nature des choses, vu la méchanceté, la folie, la faiblesse des hommes. « Mais malheur à l'homme par qui le scandale arrive ! ( (Matthieu 18 : 7) » Son sort sera misérable. « Si donc ta main, ou ton pied... ou ton œil te fait tomber », si ton plaisir le plus cher, si la personne que tu aimes le plus et qui t'est le plus utile, te détourne ou t'arrête dans le chemin du salut, « coupe-le, arrache-le, et. le jette loin de toi ( (Matthieu 18 : 8)  ».

                    Mais comment éviterons-nous d'être en scandale aux autres ou de nous scandaliser à cause des autres, surtout si ceux-ci ont absolument tort et que nous le voyions de nos propres yeux ? Notre Seigneur nous l'enseigne ici, en nous donnant un moyen certain d'éviter les scandales et la médisance en même temps : « Si ton frère a péché contre toi, va et reprends-le entre toi et lui seul. S'il t'écoute, tu auras gagné, ton frère. Mais s'il ne t'écoute pas, prends avec toi encore une ou deux personnes, afin que tout soit confirmé sur la parole de deux ou trois témoins. Et s'il ne daigne pas les écouler, dis-le à l'Église. Et s'il ne daigne pas écouter l'Eglise, regarde-le comme un païen et un péager ».

I

                    En premier lieu, « si ton frère a péché contre toi, va et reprends-le entre toi et lui seul ». Là où c'est possible, la façon la plus simple de pratiquer cette règle est aussi la meilleure. Ainsi, quand tu vois de tes propres yeux ou entends de tes oreilles un frère, un chrétien, commettre un péché positif, tellement que pour toi la chose est évidente, alors voici ce que tu as à faire : saisir la première occasion qui se présentera et où tu pourras l'aborder, et le reprendre au sujet de sa faute « entre toi et lui seul ». Il va sans dire qu'il faut avoir grand soin de le faire dans un bon esprit et de la manière la plus judicieuse. Le succès d'une répréhension dépend beaucoup de la façon dont elle est administrée. Ne manque donc pas de prier ardemment le Seigneur qu'il t'accorde de reprendre avec humilité, avec la conviction vive et profonde que c'est la grâce de Dieu seule qui te rend supérieur à ton frère dans cette occasion, et que, si ce que tu vas dire fait quelque bien, ce sera Dieu lui-même qui aura fait ce bien.

                    Demande-lui de garder ton cœur, d'éclairer ton esprit, de mettre dans ta bouche des paroles qu'il daignera bénir. Tâche de parler avec douceur aussi bien qu'avec humilité ; « car la colère de l'homme n'accomplit point la justice de Dieu (Galates 6 : 1)  ». — « Si quelqu'un vient à tomber dans quelque faute », il n'y a qu 'une manière de le « redresser », c'est « avec un esprit de douceur » (Galates 6 : 1). S'il résiste à la vérité, ce ne peut être que par la bonté qu'on l'amènera à la reconnaître. Parlez donc avec cet amour tendre que beaucoup d'eaux ne pourraient pas éteindre (Cantique 8 : 7) » Pourvu que l'amour ne se laisse pas vaincre, il sera vainqueur de tout. Qui pourrait dire toute la puissance de l'amour ?

L'amour seul peut courber un front rebelle,
Humilier le pécheur le plus fier,
Fondre, briser, fléchir l'âme charnelle,
Changer le cœur de pierre en cœur de chair.

Augmentez donc votre amour pour ce frère, et par là « vous lui amasserez des charbons de feu sur la tête (Romains 12 : 20)

                    Mais veillez aussi à ce que les formes mêmes, dans votre façon de reprendre, soient selon l’Évangile de Christ. Évitez tout ce qui, dans vos regards ; dans vos gestes, dans votre langage ou même dans le ton de votre voix, sentirait l'orgueil ou la suffisance. Évitez avec soin tout ce qui rappellerait le juge ou le docteur, tout ce qui ressemblerait à de l'arrogance ou à de la supériorité. Gardez-vous bien de quoi que ce soit qui serait dédaigneux, hautain,ou méprisant. Qu'il n'y ait pas non plus chez vous ombre de colère ; et, tout en étant très franc, ne vous laissez pas aller à faire toutes sortes de reproches et d'accusations blessantes ; ne vous échauffez pas, à moins que ce ne soit de la chaleur de la charité. Par-dessus tout, qu'on ne puisse pas soupçonner chez vous la moindre haine, la plus petite malveillance ; que votre langage soit exempt d'amertume et d'aigreur ; que tout, dans votre physionomie comme dans vos paroles, respire la douceur et la bonté, et qu'on voie que tout découle de l'amour qui est dans votre cœur. Mais, tout en étant doux, vous pouvez et devez parler de la façon la plus sérieuse, la plus solennelle, employant autant que possible les termes mêmes de la parole de Dieu — car « il n'y en a point de semblable, (Samuel 21 : 9) et faisant tout comme en la présence de Dieu qui doit juger les vivants et les morts.   

                    Si vous n'avez pas l'occasion de parler à la personne elle-même, si vous ne pouvez avoir accès auprès d'elle, vous pourrez lui envoyer un message, en vous servant pour cela d'un ami commun dont la prudence et l'intégrité vous seront bien connues, et auquel vous pourrez vous fier entièrement. Le but pourra être atteint sii quelqu'un possédant ces qualités parle en votre nom, dans l'esprit et de la façon ci-dessus exprimés ; cela pourra, en une bonne mesure, suppléer à votre absence. Mais n'allez pas, pour éviter une croix, faire semblant que les occasions vous manquent ; ne vous persuadez pas, avant d'avoir essayé, que vous ne pouvez pas aborder cette personne. Toutes les fois que vous pourrez parler vous-même, cela vaudra infiniment mieux. Mais plutôt que de ne rien faire, employez quelqu'un ; cela vaudra mieux que de ne pas agir du tout.

                    Que faire si vous ne pouvez parler vous-même à cette personne, ni lui envoyer quelqu'un qui ait toute votre confiance ? En pareil cas, il vous reste la ressource d'écrire. Dans certaines circonstances cela peut même être préférable. Par exemple, si la personne à qui l'on a à faire est d'une humeur si vive, si impétueuse qu'elle n'endure que bien difficilement d'être reprise, surtout par un de ses égaux ou par un inférieur. En écrivant, on peut présenter les choses et les adoucir de telle façon qu'elles soient plus aisées à accepter. D'ailleurs, bien des gens peuvent supporter par écrit des paroles qu'elles n'auraient pas consenti à entendre. Leur orgueil n'en reçoit pas un choc si violent ; leur amour-propre n'en est pas atteint d'une façon aussi sensible. Et à supposer que ce message ne fasse d'abord que peu d'impression, il peut être relu et il se peut qu'à la réflexion on profite d'avertissements qu'on avait d'abord négligés. Si l'on signe cette communication, c'est à peu près comme si l'on allait en personne, comme si on parlait de vive voix ; mais il faut toujours signer, à moins de raisons très spéciales qui pourraient rendre la chose déplacée.

                    N'oublions pas que c'est Jésus qui nous commande de la manière la plus absolue de faire ces démarches et de les faire avant tout, de commencer par là. Il ne nous laisse point d'alternative ; nous n'avons pas à choisir entre ceci ou cela ; c'est là le chemin, il faut y marcher ! Il est vrai qu'il nous recommande deux autres mesures qu'il faudra prendre, s'il y a lieu ; mais ce ne doit être qu'après celle-ci, jamais avant. Faire autre chose ou bien omettre ce point, c'est, dans les deux cas, agir d'une façon inexcusable.

                    Ne croyez pas pouvoir vous justifier d'avoir agi d'une tout autre manière en disant : « Je n'en ai parlé à personne que lorsque je n'ai plus pu y tenir, tant la chose me pesait ! » Elle vous pesait ! Ce n'est pas étonnant, à moins que vous n'eussiez eu la conscience cautérisée ; car vous étiez coupable d'un péché, vous aviez désobéi à un ordre positif du Seigneur. Vous auriez dû aller tout de suite reprendre votre prochain entre vous et lui seul. Si vous ne l'avez pas fait, vous ne pouviez manquer d'avoir un poids sur le cœur (sinon, vous seriez tout à fait endurci), car, en agissant ainsi vous fouliez aux pieds le commandement de Dieu, et vous faisiez ce qui est appelé « haïr son frère dans son cœur (Lévitique 19 : 17)  ». Et quel triste moyen vous avez trouvé de vous décharger ! Dieu vous reprenait à cause de votre péché d'omission, parce que vous ne repreniez pas votre frère ; et pour vous consoler de sa répréhension vous allez commettre un péché positif, en racontant à un autre les fautes de votre prochain ! C'est payer le soulagement bien cher que de l'acheter par un péché. Mais je demande à Dieu que vous n'ayez point ce soulagement, que plutôt la chose vous pèse toujours plus jusqu'à ce que vous soyez allé la dire à votre frère, et à lui seul !

                    Je ne connais qu'une seule exception à cette règle ; il peut y avoir des cas où pour préserver un innocent, on est obligé d'accuser un absent qui est le vrai coupable. Par exemple, il peut arriver que vous connaissiez l'intention qu'a un homme d'enlever à son semblable sa vie ou ses biens, et qu'il n'y ait pas d'autre moyen de l'en empêcher que d'en faire part sans aucun délai à celui qui est menacé. En pareil cas, la règle indiquée par Jésus doit être mise de côté, ainsi que celle donnée par l'Apôtre : « Ne médire de personne ». Il est permis, c'est même notre devoir absolu de parler mal d'une personne absente, quand ainsi nous pouvons l'empêcher de nuire à d'autres, et à elle-même en même temps. Mais n'oubliez jamais que toute médisance est de sa nature un poison mortel. Si donc vous vous voyez contraint de dire du mal d'un absent, et d'employer le poison comme remède, servez-vous-en avec crainte et tremblement ; car c'est un remède dangereux et dont l'emploi ne peut être légitimé que par une nécessité absolue. N'en faites donc usage que le plus rarement possible, seulement lorsque c'est tout à fait nécessaire. Et même alors, que ce soit aussi peu que vous pourrez, juste assez pour atteindre le but désiré. Dans tous les autres cas, « va et reprends-le entre toi et lui seul ».

II

                    Mais que faudra-t-il faire, « s'il ne t'écoute pas  » ; s'il te rend le mal pour le bien, s'il s'irrite au lieu de se laisser convaincre ? Que faut-il faire s'il ne profite pas de ce qu'on lui a dit, et persévère dans sa mauvaise conduite ? Nous devons nous attendre à ce que pareille chose arrive fréquemment. Les réprimandes les plus douces et les plus affectueuses n'auront produit aucun bien ; mais la bénédiction que nous voulions attirer sur autrui retournera à nous. Que devrons-nous faire ensuite ? Notre Seigneur nous a donné à cet égard des instructions claires et complètes. Dans ce cas, « prends avec toi encore une ou deux personnes : » telle est la seconde mesure à prendre. Choisissez une ou deux personnes que vous connaissez pour avoir des dispositions charitables, et comme aimant Dieu et leur prochain. Qu'ils ne soient pas des gens fiers, mais des hommes « ornés d'humilité (1 Pierre 5 : 5)  ». Qu'ils soient débonnaires et doux, patients et calmes, « ne rendant point mal pour mal, ni injure pour injure, mais au contraire bénissant (1 Pierre 3 : 9)  ». Qu'ils soient des hommes intelligents et revêtus de la sagesse d'en haut, des hommes d'esprit libre, impartiaux, sans aucune espèce de préventions. Il faut avoir soin de prendre des personnes qui, tant pour leur individualité que pour leur caractère moral, soient bien connues de celui à qui on a à faire ; et de préférence il faut choisir celles qu'on sait lui être le plus agréables.

                    L'amour chrétien prescrira lui-même la méthode à suivre, en rapport avec chaque cas particulier. Car on ne peut pas adopter une marche uniforme pour tous les cas. Peut-être serait-il bon, avant que ces amis entrent en matière, qu'ils fassent à cet individu une déclaration conciliante et affectueuse, portant sur le fait qu'ils ne sont mus par aucun sentiment de colère ou de prévention contre lui, que c'est uniquement dans une pensée bienveillante qu'ils sont venus le trouver et se mêlent de choses qui le concernent. Pour confirmer cela, il conviendrait qu'ensuite ils écoutassent, sans interrompre et avant de se prononcer sur quoi que ce soit, l'exposé de la conversation que vous avez eue précédemment et de ce qu'il a pu avancer pour se justifier. Après quoi, ils pourront mieux déterminer ce qu'ils ont à faire, « afin que tout, soit confirmé sur la parole de deux ou trois témoins », c'est-à-dire afin que les choses que vous aurez pu dire produisent tout leur effet, étant appuyées par l'autorité morale de ces personnes.

                    Pour atteindre ce but, je leur conseillerais ce qui suit. Premièrement, rappeler en peu de mots ce que vous avez dit et ce que l'autre personne a pu répliquer ; en second lieu, développer, exposer, confirmer les raisons données par vous ; en troisième, donner du poids à votre répréhension en montrant combien elle était juste, charitable et à propos ; enfin, insister sur les conseils et les appels dont vous avez fait suivre la répréhension. Ces amis pourront plus tard, si c'est nécessaire, servir de témoins relativement à ce qui s'est dit.

                    Au sujet de cette seconde règle de conduite, comme pour la première, il est bon de faire observer que Jésus ne nous laisse pas le choix, ne nous met pas en présence d'une alternative, mais nous commande expressément, de faire cela, et non quelque autre chose à la place. Il nous indique aussi à quel moment il faut recourir à ce second moyen : c'est lorsqu'on a employé le premier, et c'est avant d'arriver au troisième. Ce n'est qu'après avoir fait ces deux choses que nous pourrons raconter le mal qui a été commis à ceux que nous voudrons intéresser avec nous dans cet effort spécial de l'amour fraternel. Mais tant que nous n'avons pas fait ces démarches, évitons d'en parler à d'autres gens. Si nous ne suivons pas ces directions, si nous essayons d'autre chose, nous ne pouvons faire autrement que de rester sous le fardeau. Car, en agissant ainsi, nous péchons contre Dieu et contre notre prochain ; et quels que soient les prétextes spécieux que nous invoquions, si nous avons une conscience, notre péché nous trouvera et notre âme en sera comme accablée.

III

                     Pour que nous sachions parfaitement comment nous conduire dans ces affaires importantes, notre Sauveur nous donne encore un conseil : « S'il ne daigne pas les écouter, dis-le à l'Église ». C'est là la troisième mesure à prendre. Toute la difficulté ici, c'est de savoir ce qu'il faut entendre par « l'Église ». La nature même des choses nous enseignera à fixer d'une façon suffisamment certaine le sens de cette expression. Il ne s'agit pas de le dire à votre Eglise nationale tout entière, à tous les gens qui se rattachent à l'Eglise anglicane. Le pussiez-vous, ce ne serait d'aucune utilité au point de vue chrétien ; telle n'est donc point la signification de ce mot. Vous ne pouvez pas non plus en faire part à tous ceux qui, dans ce pays, sont dans des rapports religieux plus directs avec vous. D'ailleurs, cela ne produirait aucun bien. Ce n'est pas là non plus le sens. Il ne servirait également à rien de raconter les fautes de chacun de ses membres à l'Église (si vous voulez l'appeler ainsi), à la congrégation, à la société de ceux qui se sont unis dans Londres. Concluons que c'est au pasteur ou aux anciens de l'Église qu'il vous faut en parler, à ceux qui ont la surveillance du troupeau de Christ auquel vous appartenez l'un et l'autre, et qui veillent sur votre âme et sur celle de la personne en question « comme devant en rendre compte (Hébreux 13 : 17)  ». Si la chose est possible cette communication devrait leur être faite en présence de la personne intéressée, et très franchement, mais aussi avec tous les ménagements et toute la charité que I'affaire comporte. C'est à ces hommes qu'il appartient de juger la conduite de ceux qui sont confiés à leurs soins et de la censurer, si la nature du délit le requiert, « avec une pleine autorité (Tite 2 : 15) » Et quand vous aurez fait cela, vous aurez fait tout ce qu'exigent de vous la parole de Dieu et les lois de la charité ; ainsi « vous ne participerez point aux péchés d'autrui (Timothée 5 : 22)  ». Si cet homme périt, son sang sera sur sa propre tête.

                    Encore ici, faisons observer que c'est bien là la troisième démarche à faire, et qu'une autre ne saurait en tenir lieu ; qu'il nous faut la faire à son tour, c'est-à-dire après les deux autres, pas avant la seconde, bien moins encore avant la première, sauf dans des cas tout à fait exceptionnels. De fait, il peut arriver que la troisième se confonde avec la seconde, et qu'elles n'en fassent qu'une. Les relations entre le frère qui a fait une faute et le pasteur ou les anciens de l'Église, peuvent être de telle nature qu'il n'y ait pas lieu de chercher un ou deux témoins, parce qu'ils en serviront eux-mêmes ; dans ces circonstances il suffit de les prévenir, après l'avoir « dit à ton frère entre toi et lui seul ».

                    Quand vous aurez, accompli ces devoirs, vous aurez « délivré votre âme (Ézéchiel 3 : 19)  ». Mais « s'il ne daigne pas écouter l'Eglise », s'il persiste dans son péché, « regarde-le comme un païen et un péager ». Vous n'êtes plus obligé alors de vous occuper de lui, à moins que ce ne soit quand vous prierez pour lui. Il est inutile de parler de lui désormais ; laissez-Ie au jugement de son Maître.

                    Il va sans dire que vous lui devez, comme à tout païen d'ailleurs, une bienveillance sincère et affectueuse ; vous lui devez de la courtoisie et tout ce que les devoirs de l'humanité pourront exiger de vous. Mais ne soyez point avec lui dans des rapports d'amitié, d'intimité ; n'ayez pas d'autres relations avec lui que celles que vous auriez avec un païen avoué.

                    Si telle doit être la règle de conduite des chrétiens, ne peut-on pas se demander où il y en a ? Vous en trouverez peut-être quelques-uns çà et là, qui se font un devoir d'agir ainsi ; mais qu'il y en a peu ! Comme ils sont clairsemés sur la terre ! Où trouverions-nous une communauté religieuse qui tout entière suive cette marche ? Serait-ce en Europe, ou, pour ne pas aller plus loin, dans la Grande-Bretagne ou en Irlande ? Je crains que non ; je crains qu'on cherchât vainement pareille chose dans nos pays. Pauvre monde chrétien ! pauvres protestants, pauvres réformés ! « Qui est-ce qui se lèvera pour moi contre les méchants ? (Psaume 94 : 16) » dit l’Éternel, qui est ce qui prendra parti pour Dieu contre les médisants ? Est ce toi ? Veux- tu, avec l'aide de la grâce divine, être de ceux qui ne se laissent point emporter par le courant ? Es-tu bien décidé, en comptant sur Dieu, à veiller sur ta bouche dorénavant et sans cesse, à « garder ta bouche et l'ouverture de tes lèvres ? (Psaume 141 : 3) Veux-tu désormais pratiquer cette règle : « Ne médire de personne ? (Tite 3 : 2) » Si tu vois ton frère faire le mal, aller le lui dire entre toi et lui seul  » ; puis, le cas échéant, prendre deux ou trois témoins, et, en dernier lieu seulement, le dire à l'Eglise ? Si telle est ton intention bien arrêtée, retiens encore ceci : n'écoute jamais une médisance ! On ne dirait pas de mal du prochain, s'il ne se trouvait personne pour écouter. Et, comme dit le proverbe, s'il n'y avait point de receleurs, il n' y aurait point de voleurs (C'est la forme française du proverbe anglais ; The receiver is as bad as the thief ; littéralement : Le receleur ne vaut pas mieux que le voleur). Si donc quelqu'un se met à médire devant toi, arrête-le tout de suite. Refuse d'écouter la voix de cet enchanteur, si enchanteur qu'il puisse être, quelles que soit la douceur de ses manières, de ses intonations, quelles que soient ses protestations de sympathie pour celui qu'il poignarde dans l'ombre, qu'il frappe à la cinquième côte ! Refusez absolument d'écouter le médisant, quand bien même la chose lui pèse tellement qu'il faut absolument qu'il parle, à ce qu'il dit. Elle te pèse, pauvre fou ! Ton secret te tourmente, comme si tu avais les douleurs de l'enfantement ? Va donc t'en décharger, selon la méthode prescrite par le Seigneur. « Va premièrement, et reprends ton frère entre toi et lui seul ». Ensuite, s'il le faut, « prends avec toi encore une ou deux personnes », des amis communs, et dis-lui devant eux ce que tu as à lui dire ; et si ces deux démarches ne produisent aucun effet, alors « dis-le à l'Eglise ». Mais, si tu ne veux perdre ton âme, n'en parle à personne d'autre, soit avant, soit après avoir fait ces démarches, sauf dans le cas unique où cela serait indispensable pour sauver un innocent ; et pourquoi, en te déchargeant, en chargerais-tu un autre, en le faisant participer à ton péché ?

                     Oh ! combien je voudrais que vous tous qui portez l'opprobre de Christ et qu'on appelle par dérision méthodistes, vous donnassiez, au moins sur ce point-là, un bon exemple au monde chrétien ou soi-disant tel ! Mettez donc de côté les médisances, les rapports, les insinuations ; que rien de pareil ne sorte de vos bouches ! Veillez à « ne médire de personne », , à ne dire que du bien des absents. S'il faut que vous portiez, bon gré mal gré, quelque signe distinctif comme méthodistes, que ce soit là votre marque particulière : « Ce sont des gens qui ne blâment pas par derrière ; on les connaît à ce trait ». Quels bienheureux effets ce renoncement à nous-mêmes ne produirait-il pas en nos âmes sans tarder ? Notre paix coulerait « comme un fleuve, (Esaïe 48 : 18) » si nous recherchions « la paix avec tout le monde (Hébreux 12 : 14)  ». Et comme l'amour de Dieu abonderait en nous si nous manifestions ainsi notre amour pour nos frères ! Quel effet bienfaisant cela produirait sur tous ceux qui s'unissent au nom du Seigneur Jésus ! Combien l'amour fraternel n'augmenterait-il pas, dès que cet obstacle formidable aurait disparu ! Tous les membres du corps spirituel de Jésus-Christ auraient alors l'un pour l'autre une sollicitude instinctive. « Lorsqu'un des membres souffre, dit saint Paul, tous les autres membres souffrent avec lui ; lorsqu'un des membres est honoré, tous en ont de la joie (1 Corinthiens 12 : 26)  ». Il en serait ainsi, et chacun aimerait son frère « d'un cœur pur, avec une grande affection ( 1 Pierre 1 : 22)  ». Mais ce n'est point tout. Quelle impression cela ne produirait-il pas, sans doute, sur le monde dissipé et insouciant ? Comme il reconnaîtrait vite en nous ce trait qui est inconnu dans ses rangs, et s'écrierait (comme Julien l'Apostat devant ses courtisans païens) : « Voyez comme ces chrétiens s'entr'aiment ! » Dieu se servirait de ce moyen, plus que de tout autre, pour convaincre le monde et préparer les hommes pour son ciel, ainsi que nous l'apprennent ces paroles remarquables de la dernière prière de notre Seigneur, prière si solennelle : « Je prie aussi pour ceux qui croiront en moi par leur parole, afin que tous ne soient qu'un, comme toi, ô Père, tu es en moi et moi en toi, et afin que le monde croie que c'est toi qui m'as envoyé ! (Jean 3 : 18) » Oh ! que le Seigneur hâte ce temps béni ! Que le Seigneur nous apprenne à nous entr'aimer, « non pas seulement de paroles et de la langue, mais en effet et en vérité (1 Jean 3 : 18) », à nous entr'aimer « comme Christ nous a aimés ! (Éphésiens 5 : 2) »

dimanche 31 juillet 2016

(15) LES SERMONS DE WESLEY LE RENONCEMENT A SOI-MÊME

Numérisation Yves PETRAKIAN Copie autorisée pour diffusion gratuite uniquement Obligation d'indiquer la source http://456-bible.123-bible.com

Sermon 48 :  (1760)         LE RENONCEMENT A SOI-MÊME

Luc 9,23

Et il disait à tous : si quelqu'un veut venir après moi, qu(il renonce à soi-même, qu'il se charge chaque jour de sa croix et qu'il me suive. (Luc 9:23)

                    Beaucoup de personnes ont supposé que le conseil donné dans notre texte s'appliquait surtout, sinon exclusivement, aux apôtres, peut-être encore aux chrétiens des premiers siècles ou bien en général à ceux qui sont persécutés. Mais c'est là une erreur sérieuse. Car si, dans ce passage, notre Seigneur s'adressait tout spécialement à ses apôtres et aux autres disciples qui le suivaient « pendant les jours de sa chair, (Hébreux 5 : 7) » il parlait aussi par leur intermédiaire à nous tous, à l'humanité entière, sans aucune exception, sans distinction aucune. Il est tout simplement évident et incontestable que le devoir ici prescrit ne regardait pas seulement les apôtres ou les premiers chrétiens. Il n'incombe ni à une classe d'hommes particulière, ni à une époque spéciale, ni à un certain pays. De sa nature il est absolument universel : il s'applique à tous les temps, à toutes les personnes, voire même à toutes les choses, et pas seulement au manger et au boire ou à d'autres objets se rapportant aux sens. La signification de cette parole, la voici : Si quelqu'un, quels que soient son rang, sa, position, sa situation, sa nationalité ou le siècle dans lequel il vit, veut réellement venir après moi, qu'il renonce à soi-même en toutes choses, qu'il se charge de sa croix, quelle qu'en soit la nature, qu'il s'en charge chaque jour, et qu'il me suive.

                    Ce n'est pas une chose de petite importance que de renoncer à nous-mêmes, que de nous charger de notre croix, en acceptant ce devoir dans toute l'étendue du mot. Ce n'est pas seulement une chose désirable, comme certains détails accessoires de la religion. Non : c'est absolument nécessaire, c'est indispensable, soit pour devenir, soit pour demeurer disciple de Jésus. Il le faut absolument, c'est essentiel pour que nous venions après Lui, pour que nous Le suivions ; à tel point que, dans la mesure où nous ne pratiquons pas ce devoir ; nous ne sommes pas ses disciples. Si nous ne renonçons pas sans cesse à, nous-mêmes, c'est d'autres maîtres que nous apprenons ; ce n'est pas de Lui. Si nous ne nous chargeons pas de notre croix chaque jour, ce n'est pas Lui que nous suivons : c'est le monde, c'est le prince de ce monde, c'est notre cœur charnel. Si nous ne marchons pas dans le chemin de la croix, nous ne suivons pas Jésus, nous ne marchons pas sur ses traces : nous Lui tournons le dos, ou tout au moins nous nous écartons de Lui.

                   C'est pour cela que tant de serviteurs de Jésus-Christ, dans tous les temps et dans tous les pays, et surtout depuis que l’Église a été réformée à l'endroit des innovations et des abus qui s'y étaient glissés, ont écrit et parlé aussi fréquemment sur cet important devoir, et l'ont fait dans leurs entretiens particuliers comme dans leurs discours publics. C'est aussi ce qui les a décidés à répandre dans le monde, beaucoup de traités relatifs à ce sujet. Quelques-uns ont été publiés spécialement pour notre peuple. Ces hommes pieux avaient appris, dans les oracles divins et par leur propre expérience, combien il est impossible que nous ne renoncions pas à notre divin Maître que nous ne le reniions pas (En anglais, comme d'ailleurs dans le grec du Nouveau Testament, le même mot signifie renoncer et renier. Renoncer avait autrefois le sens de renier, et la version de Saci l'emploie ainsi. —Trad.), si nous ne voulons pas renoncer à nous-mêmes ; combien il est inutile d'entreprendre de suivre le divin Crucifié, à moins que nous ne nous chargions chaque jour de notre propre croix.

                    Mais ce que nous venons de dire ne conduit-il pas à se demander si, après tout ce qui a été dit et écrit sur le sujet en question, il y a lieu d'en parler ou d'en écrire davantage ? A cet égard, je dirai d'abord que bien des gens, même parmi ceux qui craignent Dieu, n'ont pas eu l'occasion d'entendre ce qui a été dit ou de lire ce qui a, été écrit relativement à ce devoir. Et puis, s'ils avaient lu une bonne partie de ce qui a été écrit sur cette matière, peut-être n'y auraient-ils pas gagné grand-chose ; car beaucoup de ceux qui ont composé ces ouvrages, dont quelques uns font de gros volumes, semblent n'avoir guère compris leur sujet : Ou bien ils n'avaient pas saisi complètement la nature même de ce devoir, et, dans ce cas, ils ne pouvaient l'expliquer à d'autres ; ou bien ils en ignoraient toute la portée ; ils ne voyaient pas « combien ce commandement est d'une grande étendue (Psaume 119 : 96)  ». ou bien peut-être encore n'en sentaient-ils pas la nécessité absolue, le caractère indispensable. Il en est qui parlent de cela, d'une façon si obscure, si embarrassée, si enchevêtrée, si mystique ; qu'on dirait qu'ils ont voulu le cacher au commun de l'humanité au lieu d'en instruire la masse des lecteurs. D'autres parlent admirablement bien, avec beaucoup de force et de clarté, de la nécessité du renoncement à soi-même ; mais ils s'en tiennent à des généralités, ils n'en viennent pas aux cas particuliers, et ainsi ne rendent presque aucun service au gros de l'humanité, aux gens de capacité moyenne et d'instruction ordinaire. Il s'en trouve aussi qui entrent bien dans les détails, mais c'est pour résoudre des cas exceptionnels qui ne sauraient intéresser le grand nombre, puisqu'ils se présentent rarement, si toutefois ils se présentent dans la vie ordinaire : par exemple l'emprisonnement ou les tortures, ou bien l'abandon absolu, littéral, de nos maisons et de nos terres, de nos maris ou de nos femmes, de nos enfants, de notre vie elle-même, toutes choses auxquelles nous ne sommes pas appelés et auxquelles nous ne serions exposés que si Dieu permettait le retour des temps de persécution. En somme, je ne connais aucun écrivain anglais qui ait exposé la nature du renoncement là soi-même d'une manière claire et simple, qui soit au niveau des intelligences ordinaires et qui embrasse les petits détails de la vie journalière. Un discours sur ce sujet est donc nécessaire, d'autant plus nécessaire que, dans toutes les phases de la vie spirituelle, bien qu'il se présente une grande variété de circonstances qui empêchent que nous recevions la grâce de Dieu ou que nous croissions dans cette grâce, elles s'expliquent toutes par l'une ou l'autre de ces deux causes : ou bien nous ne renonçons pas à nous-mêmes, ou bien nous ne nous chargeons pas de notre croix.

                    Afin de combler cette lacune en quelque mesure, je vais m'efforcer de montrer : premièrement, ce que c'est que de renoncer à soi-même et de se charger de sa croix ; secondement, que si un homme n'est pas complètement disciple de Jésus-Christ, cela tient à ce qu'il n'accomplit pas son devoir.

I

                    Je veux, d'abord, essayer d'expliquer ce que c'est que de « renoncer à soi-même et se charger de sa croix ». Ce point doit, plus que tout autre, être examiné, et bien éclairci, attendu qu'il soulève plus que tout autre l'opposition d'ennemis nombreux et puissants. La nature humaine tout entière proteste contre cet enseignement, comme par un instinct de conservation personnelle : le monde, de même, tous ceux qui sont conduits non par la grâce, mais par leur propre nature, ne veulent point en entendre parler. Il va sans dire que le grand adversaire de nos âmes, qui connaît parfaitement l'importance de cet enseignement, ne peut manquer de faire tout son possible pour le renverser. Ce n'est pas tout : ceux-mêmes qui ont, en quelque mesure, secoué le joug du diable et qui, dans ces derniers temps par exemple, ont vu s'accomplir dans leur âme une œuvre sérieuse de la grâce divine, même ceux-là n'éprouvent aucune sympathie pour cette doctrine capitale du christianisme que, pourtant, leur divin Maître a si fortement accentuée. Il y en a dont l'ignorance à cet égard est si profonde, si absolue, qu'il semblerait que la Bible ne dit pas un mot de ces choses. 

                    D'autres sont encore plus éloignés du but, puisque sans s'en douter ils ont conçu des préventions très arrêtées contre cette doctrine. Ces préventions, ils les doivent en partie à des chrétiens de nom, d'apparence, gens qui parlent bien, qui ont une bonne tenue, qui ont tout de la piété sauf la force, qui possèdent de la religion tout, excepté son esprit ; en partie aussi, à certains chrétiens qui ont autrefois, comme ils ne le font plus maintenant, « goûté les jouissances à venir (Hébreux 6 : 5)  ». — Mais, direz-vous, y a-t-il vraiment des chrétiens qui ne pratiquent pas le renoncement à eux-mêmes et ne le recommandent pas aux autres ? » Ce serait bien mal connaître le genre humain que de poser ainsi la question. Il y a, en effet, des quantités de gens qui se contentent de ne pas attaquer cette doctrine en face. N'allons pas plus loin que Londres. Voyez la masse des adeptes de la prédestination que Dieu, dans sa grande miséricorde, a fait récemment passer de leurs ténèbres naturelles à la lumière de la foi. Sont-ils des modèles de renoncement à soi même ? Combien peu d'entre eux font même profession de pratiquer tant soit peu ce devoir ! Combien peu d'entre eux l'inculquent à d'autres ou sont heureux qu'on le leur inculque ! N'est-il pas vrai plutôt qu'ils représentent de la façon la plus défavorable le renoncement à soi-même, comme si c'était « le salut par les œuvres », et « chercher à établir sa propre justice ? (Romains 10 : 3) » Et avec quel empressement les antinomiens de toute nuance depuis le morave doucereux jusqu'à l'exalté bruyant et profane, font écho à cette clameur et y joignent leur sotte et folle accusation de légalisme (Attachement exagéré à la loi) et de « prêcher la loi ». 

                    Ainsi on est toujours exposé à être détourné de cette importante doctrine de l’Évangile, soit par les sophismes, soit par les bravades, soit par le ridicule, armes qu'emploient tour à tour les faux docteurs et les faux frères qui se sont plus ou moins écartés de « la simplicité qui est en Christ (2Corinthiens 11 : 3) ; » ou bien il faut qu'on soit bien affermi sur ce point. Que nos prières les plus ferventes précèdent donc, accompagnent et suivent ce que vous allez lire, de sorte que cela soit écrit dans vos cœurs « du doigt de Dieu » (Exode 31 : 18) lui-même et de façon à n'en être jamais effacé !

                        Mais qu'est-ce que le renoncement à soi-même, ? En quoi devons-nous renoncer à nous-mêmes ? D'où vient la nécessite de ce renoncement ? Voici ma réponse. La volonté de Dieu est la règle suprême et immuable de tout être intelligent, et elle est tout aussi obligatoire pour les anges du ciel, sans exception, que pour tous les hommes qui sont sur cette terre. Il ne saurait en être autrement ; car telle est la conséquence ; naturelle et nécessaire des rapports qui unissent la créature à son créateur. Mais si la volonté de Dieu doit être notre règle de conduite en toutes choses, dans les petites comme dans les grandes, il s'ensuit incontestablement que nous ne devons plus, dans aucun cas, faire notre volonté propre. Du même coup nous apercevons ici quelle est la vraie nature du renoncement à soi-même et quelles sont ses bases et sa raison d'être. Quant à sa nature, c'est de renoncer à faire notre propre volonté, de refuser même de la faire, et cela parce que nous sommes convaincus que c'est la volonté de Dieu qui doit être pour nous l'unique règle de conduite. La raison d'être de ce devoir se trouve dans le fait que nous sommes des créatures de Dieu : "C'est Lui qui nous a formés ; ce n'est pas nous qui nous sommes faits (Ps 100 : 3)".

                    Ce motif pour renoncer à soi-même doit être également valable, qu'il s'agisse des anges du ciel ou de l'homme innocent et saint, tel enfin qu'il sortit des mains de son créateur. Mais nous trouvons une raison de plus pour accepter ce devoir, dans la situation où se trouve l'humanité depuis sa chute. Actuellement nous pouvons dire tous : « Voilà, j'ai été formé dans l'iniquité, et ma mère m'a conçu dans le péché (Psaume 51 : 7). Toutes les facultés, toutes les forces vives de notre nature sont entièrement dépravées. Notre volonté, corrompue elle aussi, emploie tout son ressort uniquement en vue de satisfaire nos penchants mauvais. D'un autre côté, Dieu veut que nous luttions contre cette dépravation, que nous la surmontions, non seulement sur tel ou tel point et à tel ou tel moment, mais en tout et toujours. Voilà donc un motif de plus pour renoncer continuellement et en tout à nous-mêmes.

                     Mais éclaircissons encore mieux ces principes. La volonté de Dieu est comme un chemin qui mène droit à Lui. La volonté humaine, qui à l'origine était parallèle à celle de Dieu, est devenue comme un chemin tout à fait distinct et dont la direction n'est pas seulement différente, mais totalement opposée, à prendre les choses telles qu'elles sont maintenant ; de fait, c'est un chemin qui éloigne de Dieu. Pour marcher dans l'une de ces deux voies, il faut nécessairement sortir de l'autre ; car nous ne pouvons les suivre toutes les deux en même temps. L'homme dont le cœur est lâche et dont les mains sont faibles, pourra bien marcher dans deux chemins différents, suivant tantôt l'un, tantôt l'autre ; mais il ne saurait marcher en même temps dans les deux ; il ne peut au même moment faire sa propre volonté et se conformer à celle de Dieu. Il faut donc qu'il choisisse, qu'il renonce à la volonté divine pour accomplir la sienne, ou bien qu'il renonce à lui-même pour obéir à la volonté de Dieu.

                    Il est vrai que, sur le moment, il est bien plus agréable de faire notre propre volonté et d'accorder successivement à notre nature déchue toutes les satisfactions qu'elle réclame. Mais, chaque fois que nous agissons ainsi, nous confirmons d'autant le dérèglement de notre volonté ; et, en satisfaisant les mauvais penchants de notre nature, nous ne faisons qu'en augmenter la dépravation. C'est ainsi qu'en prenant certains aliments qui plaisent à notre palais, il nous arrive souvent d'empirer une maladie : un de nos goûts est satisfait, mais le mal s'est accru ; nous nous sommes accordé un plaisir ; mais il faudra le payer de notre vie.

                    En résumé, renoncer à nous-mêmes, c'est renoncer à notre volonté toutes les fois qu'elle ne coïncide pas avec celle de Dieu, et quel que soit le plaisir que nous aurions à faire la nôtre. C'est donc renoncer à toute jouissance qui ne vient pas de Dieu et ne ramène pas à Lui : ce qui revient à dire que nous refuserons de quitter le chemin où nous sommes appelés à marcher, même s'il s'agit d'entrer dans un sentier attrayant et bordé de fleurs ; nous refuserons de prendre ce que nous savons être un poison mortel, bien que le goût en soit agréable.

                    Quiconque voudra suivre Jésus-Christ, voudra être un de ses vrais disciples, devra non seulement renoncer à lui-même, mais aussi se charger de sa propre croix. Une croix, c'est tout ce qui est en opposition avec notre volonté, tout ce qui déplaît à notre nature déchue. Ainsi, nous charger de notre croix est quelque chose de plus que renoncer à nous-mêmes ; c'est monter d'un degré, c'est un effort plus pénible pour la chair et le sang ; car il est plus facile de renoncer à un plaisir que d'endurer une souffrance.

                    Mais si nous voulons « poursuivre constamment la course qui nous est proposée (Hébreux 12 : 1) », et marcher selon la volonté de Dieu, nous rencontrerons souvent une croix en travers de notre chemin, c'est-à-dire quelque chose qui non seulement n'est pas agréable, mais est même très fâcheux, quelque chose qui contrarie notre volonté et déplaît à notre nature. Que faire alors ? Il n'y a qu'à choisir : ou bien nous charger de notre croix, ou bien nous détourner du chemin de Dieu, « du saint commandement qui nous a été donné (2Pierre 2 : 21) », peut-être même nous arrêter tout à fait et reculer pour nous perdre éternellement.

                     Pour arriver à nous guérir du péché, de ce mal pernicieux que tout homme apporte avec lui en venant au monde, il faudra souvent que nous arrachions un œil droit, que nous coupions une main droite, ce qui veut dire que la chose à faire est fort pénible, ou bien que c'est la façon de l'accomplir qui est douloureuse. C'est peut-être le sacrifice d'un caprice vain ou d'une affection déréglée, ou bien l'abandon de ce qui en était l'objet, abandon sans lequel cette passion ne saurait être vaincue. Dans le premier cas, l'extirpation de ce désir insensé, de cette affection folle, quand ils ont jeté de profondes racines en nous, est souvent comme une épée aiguë qui « atteint jusqu'au fond de l'âme et de l'esprit, des jointures et des moelles (Hébreux 4 : 12)  ». C'est alors que l’Éternel s'assied dans notre âme comme celui qui l'affine par le feu et en consume toute l'écume. C'est bien là une croix ; car c'est essentiellement douloureux, et il est dans la nature même des choses qu'il en soit ainsi. L'âme ne peut pas se déchirer ou passer par la fournaise sans souffrir.

                    Dans le second cas, il est évident que le procédé employé pour guérir une âme du péché, pour la débarrasser d'un vain caprice ou d'une affection déréglée, peut être souvent fort pénible ; mais cela ne vient pas tant du moyen employé que de la nature même de la maladie. Quand, par exemple, notre Seigneur dit au jeune homme riche : « Va ; vends tout ce que tu as, et le donne aux pauvres (Marc 10 : 21) » (et il lui commanda cela parce qu'il savait que c'était l'unique moyen de le guérir de son avarice), la seule pensée de ce sacrifice lui causa tant de douleur qu' « il s'en alla tout triste (Marc 10 : 22) », préférant abandonner l'espérance du ciel plutôt que ses biens terrestres. Ce fut là le fardeau qu'il ne voulut pas soulever, la croix dont il ne voulut pas se charger. D'ans l'un ou l'autre cas, il faudra très certainement que celui qui veut suivre Jésus se charge de sa croix chaque jour.

                    Se charger de sa croix n'est pas tout à fait la même chose que porter sa croix. A proprement parler, nous portons notre croix lorsque nous endurons avec patience et résignation une chose qui nous est imposée  sans que nous ayons été consultés. Mais pour que nous nous chargions de notre croix, il faut que nous souffrions volontairement ce que nous pourrions éviter de souffrir ; c'est choisir librement la volonté de Dieu, bien qu'elle soit opposée à la nôtre ; c'est choisir ce qui est pénible, et le choisir parce que c'est là la volonté de notre Créateur qui est à la fois sage et bon.

                    C'est ainsi qu'il convient que tout disciple de Christ prenne et porte sa croix. Dans un certain sens, sans doute, elle n'est pas seulement la sienne ; elle est commune à lui et à beaucoup d'autres, puisqu' « aucune tentation ne vous survient qui ne soit une tentation humaine » , (1Corinthiens 10 : 13), c'est-à-dire commune aux hommes, inhérente et adaptée à la nature humaine ordinaire et à ses rapports avec le monde où nous vivons. Mais, dans un autre sens et en tenant compte de tous les détails, c'est bien la sienne que cette croix ; elle lui est particulière ; Dieu la lui a préparée et la lui donne comme un gage de son amour. Et s'il la reçoit comme telle ; si, après avoir employé, pour en alléger le poids, les moyens qu'autorise la sagesse chrétienne, il demeure comme l'argile entre les mains du potier, il éprouvera que Dieu a tout réglé et arrangé en vue de son bien, tant la nature de cette épreuve que sa mesure et son intensité, sa durée et toutes les autres circonstances accessoires.

                    Il doit nous être facile de nous représenter notre bon Sauveur agissant en tout cela comme le médecin de nos âmes, agissant ainsi non pour son plaisir, mais « pour notre profit, afin de nous rendre participants de sa sainteté (Hébreux 12 : 10)  ». Si, en sondant nos blessures, il nous fait souffrir, ce ne peut être qu'en vue de nous guérir. Il ampute ce qui est gangrené et perdu, afin de conserver ce qui est bien portant. Et puisque nous acceptons volontiers la perte d'un membre, plutôt que de laisser périr le corps entier, combien ne devrions-nous pas préférer couper notre main droite, figurativement parlant, plutôt que d'exposer notre âme à être jetée tout entière en enfer !

                     Voilà donc bien nettement devant nous la vraie nature et la raison d'être de ce devoir : nous charger de notre croix. Cela ne signifie pas qu'il faut nous macérer, comme disent quelques-uns, nous déchirer la chair, porter un cilice ou une ceinture de fer, ou toute autre chose qui est de nature à compromettre notre santé. Il est possible que Dieu tienne compte de l'intention de ceux qui font ces choses par pure ignorance. Mais notre devoir consiste à accepter la volonté de Dieu, bien qu'elle soit contraire à la nôtre ; à prendre un remède qui, s'il est amer, est salutaire ; à endurer volontiers des souffrances temporaires, quelle qu'en soit la nature, quelle qu'en soit la mesure, dès qu'elles sort nécessaires, soit absolument, soit accessoirement ; pour notre bonheur éternel.

II

                    Je veux démontrer, en second lieu, que si un homme ne suit pas entièrement Jésus, n'est pas même son disciple, cela vient toujours ou de ce qu'il ne renonce pas à lui-même ou de ce qu'il ne se charge pas de sa croix.

                    Sans doute, cela pourrait aussi provenir dans certains cas de l'absence des moyens de grâce, de ce qu'on est privé d'une prédication vivante et puissante de la parole de Dieu, ou de la participation aux sacrements, ou de l'association avec des chrétiens. Mais là où ces secours ne font pas défaut, ce qui met le plus d'empêchement à ce que nous recevions la grâce de Dieu et grandissions dans cette grâce, c'est toujours le fait que nous ne renonçons pas à nous-mêmes et que nous ne nous chargeons pas de notre croix.

                    Pour éclaircir ce point, prenons quelques exemples. Un homme a entendu cette parole « qui peut sauver son âme (Jacques 1 : 21)  ». Il approuve ce qu'il a entendu, il en reconnaît la vérité, il en est même un peu touché ; mais il reste « mort dans ses fautes et dans ses péchés (Éphésiens 2 : 1) », indifférent et endormi. Pourquoi cela ? Parce qu'il ne veut pas rompre avec son péché favori, bien qu'il sache que c'est une abomination devant l’Éternel. Pendant qu'il écoutait la parole de Dieu, son âme était pleine de convoitise et de mauvais désirs ; et il n'a pas voulu s'en séparer. Aussi les impressions produites chez lui sont-elles sans profondeur et son cœur insensé s'endurcit ; il demeure endormi et indifférent, parce qu'il n'a pas voulu renoncer à lui-même.

                    Mais supposons qu'il ait commencé à se réveiller, que ses yeux se soient entr'ouverts, pourquoi donc se referment-ils si vite ? Pourquoi retombe-t-il dans son sommeil de mort ? Parce qu'il a cédé de nouveau à son péché favori ; de nouveau, il a bu ce délicieux poison. Voilà pourquoi son âme ne reçoit point d'impressions profondes. Il retombe dans son engourdissement fatal, parce qu'il ne veut pas renoncer à Iui-même.

                    Mais il n'en est pas ainsi dans tous les cas. Il y a beaucoup d'hommes qui, une fois réveillés, ne se rendorment plus. Les impressions qu'ils ont reçues ne s'effacent pas ; non seulement elles sont profondes, mais elles sont durables. Et pourtant, plusieurs d'entre eux ne trouvent pas ce qu'ils cherchaient. Ils pleurent et ne sont pas consolés. D'où vient cela ? De ce qu'ils « ne portent pas des fruits convenables à la repentance (Matthieu 3 : 8) », de ce qu'avec le secours de la grâce qu'ils ont reçue, ils n'ont pas « cessé de mal faire et appris à bien faire (Esaïe 1 : 16,17)  ». Ils n'ont pas abandonné, le péché qui les enveloppe aisément, celui qui tient leur tempérament, à leur éducation ou à leur profession. Ou bien, peut-être, c'est qu'ils négligent de faire le bien qu'ils pourraient faire et qu'ils savent qu'ils devraient faire, et le négligent parce que cela entraînerait certains ennuis. Ils n'arrivent pas à la foi parce qu'ils ne veulent pas renoncer à eux-mêmes, parce qu'ils ne veulent pas se charger de leur croix.

                    Mais voici un homme qui a « goûté le don céleste et les puissances du siècle à venir (Hébreux 6 : 4,5) », qui a vu « la lumière de la gloire de Dieu sur la face de Jésus Christ (2Corinthiens 4 : 6 — d'après la version anglaise) ; » « la paix de Dieu qui surpasse tonte intelligence (Philippiens 4 : 7) » a rempli son cœur et son esprit ; « l'amour de Dieu a été répandu dans son cœur par le Saint-Esprit qui lui a été donné (Romains 5 : 5) ». Et cependant il est devenu faible comme les autres hommes ; de nouveau ; il a pris goût aux choses de la. terre, et il a plus d'inclination pour les visibles que pour les invisibles ; les yeux de son esprit se sont refermés, de telle sorte qu'il ne voit plus « Celui qui est. invisible (Hébreux 11 : 27) ; » son amour s'est refroidi, et la paix de Dieu ne remplit plus son cœur. Il n'y a là rien d'étonnant ; car il a de nouveau « donné lieu a diable (Éphésiens 4 : 27) », et « attristé le Saint-Esprit de Dieu (Éphésiens 4 : 30)  ». Il est retourné à ses égarements, à quelque péché attrayant : s'il ne l'a pas fait visiblement, il l'a fait par le cœur. Il s'est laissé aller à l'orgueil, ou à la colère, ou à quelque convoitise, ou bien à sa volonté charnelle et à la rébellion. Peut-être a-t-il oublié de faire revivre le don de Dieu qui était en lui ; peut-être a-t-il ouvert la porte à l'indolence spirituelle et n'a pas voulu prendre la peine de « prier sans cesse, (1Thessaloniciens 5 : 17) » et de « veiller à cela avec persévérance (Éphésiens 6 : 18)  ». Et c'est ainsi qu'il a fait naufrage de la foi, pour n'avoir pas renoncé à lui-même et ne s'être pas chargé de sa croix de jour en jour.

                    Mais peut-être n'a-t-il pas fait naufrage de la foi ; peut-être possède -t il en quelque, mesure cet Esprit d'adoption qui témoigne avec son esprit qu'il est enfant de Dieu. Quoi qu'il en soit ; il est certain qu'il ne « tend » plus « à la perfection (Hébreux 6 : 1) ; » il n'est pas, comme jadis, affamé et altéré de justice ; il ne soupire pas après une ressemblance entière avec Dieu, après une pleine jouissance de Dieu, comme le cerf après les eaux courantes. Il est bien plutôt las et découragé ; il semble suspendu entre la vie et la mort.

                    Pourquoi se trouve-t-il dans cet état ? C'est parce qu'il a oublié cette parole du Seigneur : « Par ses œuvres sa foi fut rendue parfaite (Jacques 2 : 22)  ». Il ne s'applique plus diligemment à faire les œuvres de Dieu. Il n'est plus « persévérant dans la prière (Romains 12 : 12) », en particulier comme en public. Il néglige la sainte Cène, la prédication, la méditation, le jeûne, les entretiens religieux. S'il n'a pas abandonné, l'emploi de ces moyens de grâce, du moins il en use sans entrain. Peut-être s'est-il relâché dans les œuvres de charité comme dans celles de piété ; il n'exerce plus la libéralité selon son pouvoir, selon les ressources que Dieu lui donne. Il ne sert plus le Seigneur en faisant du bien aux hommes, de toutes manières et dans tous les sens, tant au corps qu'à l'âme. Mais pourquoi s'est-il relâché dans la prière ? Parce que, dans les moments de sécheresse spirituelle, il éprouvait de la difficulté et comme une souffrance à prier. Il néglige les services de prédication, parce qu'il aime à dormir, ou bien parce qu'il fait froid ou obscur, ou bien parce qu'il pleut. Pourquoi délaisse t-il les œuvres de charité ? Parce que, pour nourrir ceux qui ont faim ou vêtir ceux qui sont nus, il devrait diminuer ses dépenses de toilette, et se contenter d'une nourriture plus simple et de mets moins coûteux. Et puis, la visite des malades ou des prisonniers entraîne plusieurs désagréments. Il en est de même pour la plupart des devoirs spirituels imposés par la charité, par exemple lorsqu'il s'agit de reprendre quelqu'un : Cet homme. reprendrait bien son prochain ; mais un jour c'est la fausse honte, un autre,jour c'est la crainte qui l'arrête ; ne va-t-il pas s'exposer non seulement au mépris, mais à des ennuis bien plus graves encore ? Pour ces raisons-là et pour d'autres qui ne valent pas mieux, il s'abstient, partiellement ou totalement de pratiquer les œuvres de charité et de piété. Ainsi sa foi n'est pas rendue parfaite, et il ne croît pas dans la grâce, parce qu'il ne veut pas renoncer lui-même, ni se charger de sa croix.

                    Nous concluons donc que c'est parce qu'un homme refuse de renoncer à lui-même et de se charger de sa croix, qu'il ne peut pas suivre fidèlement le Seigneur, qu'il n'est pas un disciple dévoué de Jésus. C'est à cause de cela que celui qui est mort dans ses péchés ne se réveille pas, bien que la trompette sonne ; c'est pour cela que celui qui avait commencé à se réveiller n'a pourtant pas des convictions profondes et durables ; c'est pour cela que tel autre qui était sérieusement et profondément convaincu du péché, n'obtient pas le pardon ; c'est pour cela que d'autres qui avaient reçu ce don céleste, ne l'ont pas conservé et ont fait naufrage de la foi ; c'est pour cela, enfin, que quelques-uns, s'ils ne reculent pas pour se perdre, sont en tous cas las et découragés et ne courent plus « vers le but, vers le prix de la vocation céleste de Dieu en Jésus Christ (Philippiens 3 : 14)  ».

III

                     Combien ce que nous venons de dire montre clairement que ceux qui, soit directement, soit indirectement, en public ou en particulier, s'opposent à la doctrine du renoncement, à soi-même de la croix à porter chaque jour, ne connaissent ni les Écritures ni la puissance de Dieu ! Il faut que ces hommes ignorent absolument cent textes de la Bible qui ont rapport à ce sujet, aussi bien que la portée générale des oracles divins. Il faut qu'ils ne sachent rien des expériences les plus vraies, les plus authentiques du chrétien, et de la façon dont le Saint-Esprit a de tout temps opéré, et opère encore à cette heure ; dans le cœur des hommes. Ils pourront, à la vérité, parler très haut, avec beaucoup d'assurance, comme cela, arrive naturellement là où il y a ignorance, parler comme s'ils étaient seuls à comprendre la Parole de Dieu et l'expérience chrétienne ; mais leurs discours sont, à tous égards, des paroles vaines : ils ont été pesés dans la balance et trouvés légers.

                       Nous apprenons également par ce qui précède pourquoi tant d'individus, et même d'associations, qui jadis étaient autant de flambeaux allumés et brillants, ont maintenant perdu leur lumière, et leur chaleur. Ils n'ont peut-être pas haï et combattu ce précieux enseignement de l'Évangile, mais à coup sûr ils en ont fait peu de cas. Ils n'ont peut-être pas, comme quelqu'un, dit fièrement : Abnegationem omnem proculcamus, internecioni damus ; « nous foulons aux pieds tout renoncement et le vouons à la destruction ». Mais ils n'ont pas su voir toute l'importance de ce grand devoir, et ne se sont pas mis en peine de le pratiquer. Hanc mystici docent ; « les écrivains mystiques le prêchent », disait encore, ce même auteur, homme aussi pernicieux que grand ! Non ! lui répondons-nous ; ce sont les écrivains sacrés qui l'enseignent ; c'est Dieu lui-même qui le prêche à toute âme qui veut écouter sa, voix.

                     Mais nous devons aussi conclure de ces vérités qu'il ne suffit point qu'un ministre de l'Évangile ne combatte pas cette doctrine du renoncement à soi même ou qu'il n'en dise rien. Il ne suffirait même pas qu'il se contentât de dire, quelques mots pour l'appuyer. Pour être net du sang de tous les hommes, il faut qu'il en parle fréquemment et amplement ; il faut qu'il en inculque la nécessité de la façon la plus nette et la plus énergique ; il faut qu'il y insiste : de toutes ses forces, auprès de tout le monde, en tout temps, en tout lieu, « commandement après commandement, commandement après commandement, ligne après ligne, ligne après ligne (Esaïe 28 : 10)  ». Alors seulement il aura une conscience, sans reproche et « pourra se sauver lui-même avec ceux qui l'écoutent (1Timothée 4 : 16)  ».

                     En dernier lieu, que chacun de vous fasse l'application de ces vérités à sa propre âme. Méditez-les quand vous êtes seuls ; pesez-les dans vos cœurs. Tâchez non seulement de les bien comprendre, mais de vous en souvenir jusqu'à la fin de votre vie. Implorez Celui qui est fort, afin qu'il vous fortifie, et que vous n'ayez pas plus tôt compris votre devoir qu'aussitôt vous l'accomplirez. Ne renvoyez pas à plus tard, mais mettez tout de suite en pratique. Oui, pratiquez ceci en toutes choses, dans les mille occasions que nous offrent les circonstances variées de notre existence. Pratiquez-le chaque jour, sans interruption, depuis le moment où vous avez mis la main à la charrue et jusqu'à ce que la fin arrive, jusqu'à l'heure où votre esprit retournera à Dieu !