samedi 11 juin 2016

(7) LE SERMON SUR LA MONTAGNE, SEPTIÈME DISCOURS WESLY Matthieu 6:16-18

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 Sermon 27 :  (1748)       LE SERMON SUR LA MONTAGNE, SEPTIÈME DISCOURS 

Matthieu 6,16-18 

16  Lorsque vous jeûnez, ne prenez pas un air triste, comme les hypocrites, qui se rendent  le visage tout défait, pour montrer aux hommes qu’ils jeûnent. Je vous le dis en vérité, ils reçoivent leur récompense. 

17  Mais quand tu jeûnes, parfume ta tête et lave ton visage,
18  afin de ne pas montrer aux hommes que tu jeûnes, mais à ton Père qui est là dans le lieu secret; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra.
                    Dès le commencement du monde, Satan s'est efforcé de séparer ce que Dieu a joint, de détacher la religion intérieure de celle du dehors, de les mettre en contradiction l'une avec l'autre ; et, en cela, ses tentatives n'ont point été vaines auprès de ceux « qui ignorent ces ruses ». 
 
                     Beaucoup d'âmes, « ayant du zèle pour Dieu, mais sans connaissance », se sont de tout temps attachées strictement à la « justice de la foi », aux pratiques extérieures, tout en négligeant de rechercher la justice intérieure, la justice qui vient de Dieu par la foi  » ; et beaucoup d'autres se sont jetées dans l'extrême opposé, méprisant toute obéissance extérieure, peut-être même « médisant de la loi et jugeant la loi », en tant qu'elle commande ; cette obéissance.
                    C'est proprement par cette ruse de Satan que la foi et les œuvres ont été si souvent présentées comme ennemies et que tant d'hommes pieux sont tombés, pour un temps, dans des pièges opposés. Les uns ont exalté la foi, jusqu'à refuser entièrement aux bonnes œuvres, non seulement d'être la cause de notre justification (nous savons « que l'homme est justifié gratuitement par la rédemption de Jésus »), mais même d'en être nécessairement le fruit, et jusqu'à les exclure de la religion de Jésus-Christ. Les autres, pour éviter cette erreur dangereuse, se sont égarés d'autant dans la voie contraire, soutenant que les bonnes œuvres sont la cause ou tout au moins la condition préalable de la justification et parlant de ces œuvres comme si elles constituaient tout le christianisme.

                  La même contradiction s'est introduite entre le but que poursuit la religion et les moyens qu'elle emploie. Des gens bien intentionnés ont paru faire consister toute la religion à se joindre aux prières de l’Église, à prendre la Cène, à entendre des sermons, à lire des livres de piété, tandis qu'ils négligeaient le but de ces choses, qui est l'amour de Dieu et du prochain ; et d'autres ont trouvé dans cet abus même un prétexte pour négliger, pour mépriser peut-être les ordonnances de Dieu, qu'on faisait si malheureusement servir contre le but qu'elles étaient destinées à atteindre.

                    Mais de tous les moyens de grâce, le jeûne est peut-être celui pour lequel les hommes se sont jetés dans les extrêmes les plus opposés. Combien les uns l'ont exalté par delà les bornes de l’Écriture et de la raison, et combien les autres l'ont ravalé, comme pour se venger de l'exagération de l'estime par l'exagération du mépris ! Ceux-là en ont parlé comme s'il était tout, comme étant, sinon le but, au moins un moyen suffisant par lui-même pour y conduire ; ceux-ci l'ont présenté comme s'il n'était rien, comme un vain travail, sans rapport avec le but. La vérité est entre les deux. De ce que le jeûne n'est pas tout, il ne s'ensuit pas qu'il ne soit rien. Si ce n'est pas le but, c'est un moyen précieux, un moyen institué par Dieu lui-même et par lequel, si nous l'employons comme il faut, Dieu ne manquera pas de nous bénir.

                    Pour mettre ceci en évidence, j'essaierai de montrer : 
1° la nature du jeûne, ses diverses sortes et ses degrés ; 
2° quels en sont les fondements, les motifs, le but ; 
3° comment il se justifie contre les objections les plus plausibles ; et..
4° quelle est la manière de le pratiquer.

I

                    Voyons d'abord sa nature, ses diverses sortes et ses degrés. Quant au premier point, tous les auteurs inspirés, soit de l'Ancien, soit du Nouveau Testament, entendent par jeûner ne point manger, s'abstenir de nourriture. La chose est si claire qu'il serait superflu de citer les paroles de David, de Néhémie, d'Esaïe et des autres prophètes, de notre Seigneur et des apôtres ; jeûner fut pour eux tous s'abstenir de manger pendant un certain temps.

                 A la privation de nourriture les anciens joignaient certaines pratiques accessoires, telles que de négliger ses vêtements, de dépouiller ses ornements ordinaires, de prendre le deuil, de se jeter des cendres sur la tête, de porter sur la chair un sac ou cilice. Mais il est peu question de tout cela dans le Nouveau Testament. Il ne paraît pas non plus que les chrétiens des premiers siècles se soient attachés à ces choses indifférentes, quoique certains pénitents aient pu y avoir recours pour mieux marquer au dehors leurs humiliations. Rien moins encore trouvons-nous que les apôtres ou les chrétiens de leur temps aient flagellé ou déchiré leur propre chair. Une telle discipline pouvait convenir aux prêtres ou aux adorateurs de Baal. Les dieux des païens n'étaient que des démons, et à de tels dieux il était sans doute agréable que leurs prêtres « criassent à haute voix et se fissent des incisions, selon leur coutume, jusqu'à ce que le sang coulât sur eux  » ; mais il en est autrement des adorateurs de Celui qui « n'est point venu peur détruire les hommes, mais pour les sauver ».

                   Quant au degré ou à la mesure du jeûne, il y a des exemples de personnes qui ont jeûné plusieurs jours de suite. Moïse, Élie et notre Seigneur, revêtus pour cela de la vertu d'en Haut, ont jeûné sans interruption « quarante jours et quarante nuits ». Mais la durée la plus ordinaire du jeûne, d'après les Écritures, était d'un jour, depuis le matin jusqu'au soir. C'était aussi le jeûne le plus commun chez les premiers chrétiens. En outre ils avaient, toute l'année, le quatrième et le sixième jour de la semaine (mercredi et vendredi), pour le demi-jeûne (comme l'appelle Tertullien), où ils ne prenaient rien jusqu'à trois heures après midi, heure à laquelle ils revenaient du service public.

                    Cette dernière sorte se rapproche de ce qu'on appelle dans notre Église abstinence, ou jeûne partiel, à l'usage des personnes faibles ou malades, et qui consiste à prendre moins de nourriture qu'à l'ordinaire.

                    Je ne trouve aucun exemple de cet usage dans l’Écriture ; mais je ne puis non plus le condamner, car l’Écriture ne le condamne point. Il peut être utile et recevoir une bénédiction de Dieu.

                    Le moindre degré du jeûne, si l'on peut l'appeler jeûne, consiste à se priver des mets agréables. Nous en avons plusieurs exemples dans l'Écriture, outre celui de Daniel et de ses compagnons, qui, pour un motif particulier, savoir : « pour ne point se souiller par la portion de la viande du roi, ni du vin que le roi buvait », demandèrent et obtinrent du chef des eunuques, « des légumes à manger et de l'eau à boire (Daniel 1 : 8) », d'où est venu peut-être, par une imitation mal entendue, l'usage très ancien de s'abstenir de viande et de vin pendant les temps mis à part pour le jeûne et l'abstinence, à moins que ces choses, étant regardées comme particulièrement agréables, on ne jugeât convenable de s'en abstenir dans ces temps où l'on s'approche solennellement de Dieu.

                    Dans l'Église juive, il y avait des jeûnes réguliers. Tel était le jeûne du septième mois, que Dieu lui-même, sous les peines les plus sévères, avait imposé à tout Israël. L’Éternel parla à Moïse en disant : « Au dixième jour de ce septième mois, jour des propitiations, vous affligerez vos âmes (vous jeûnerez), pour faire propitiation pour vous devant l'Éternel votre Dieu. Car toute personne qui n'aura pas jeûné en ce même jour-là sera retranchée d'entre ses peuples (Lévitique 23 : 26) ». A ce jeûne légal on en ajouta dans la suite plusieurs autres. Ainsi le prophète Zacharie fait mention, non seulement du jeûne du septième mois, mais encore de ceux du quatrième, du cinquième et du dixième (Zacharie 8 : 19).

                    Dans l'Église chrétienne des premiers siècles, il y eut pareillement des temps fixés pour le jeûne, soit annuel, soit hebdomadaire. A la première sorte appartenait le jeûne avant Pâques, observé par les uns pendant quarante-huit heures, par d'autres pendant une semaine, et par plusieurs pendant deux semaines (on ne prenait chaque jour aucune nourriture jusqu'au soir). A la  seconde appartenait le jeûne du quatrième et du sixième jour de la semaine, observé, selon le témoignage positif d’Épiphane, dans tout le monde habitable, partout où des chrétiens faisaient leur séjour. L'Église anglicane conserve encore pareillement des jeûnes annuels et hebdomadaires.

                    Mais, outre les jeûnes d'institution fixe, toute nation craignant Dieu en a toujours eu d'occasionnels, publiés de temps en temps selon les circonstances particulières où l'on se trouvait. Ainsi « quand les Moabites et les Ammonites vinrent pour faire la guerre à Josaphat, Josaphat craignit et se disposa à rechercher l'Éternel, et il publia un jeûne par tout Juda (2 Chroniques 20 : 1,3) ». Ainsi « la cinquième année de Jéhojakim, fils de Josias, au neuvième mois, les princes de Juda, dans la crainte qu'ils avaient du roi de Babylone, publièrent un jeûne devant l'Éternel, à tout le peuple de Jérusalem (Jérémie 36 : 9) ».

                     Et, de la même manière, ceux qui prennent garde à leurs voies et qui veulent marcher humblement et entièrement avec Dieu, trouveront fréquemment occasion d'affliger ainsi leurs âmes en particulier devant leur Père qui est dans le secret. C'est à cette sorte de jeûne que s'appliquent surtout, et en premier lieu, les directions qui nous sont ici données.

II

                    Je vais montrer maintenant, en second lieu, les fondements, les motifs et le but du jeûne. — Et d'abord, sous l'empire de fortes émotions ou absorbés par des passions violentes, telles que le chagrin ou la crainte, les hommes oublient souvent le besoin de manger. Dans de tels moments ils n'ont aucun souci même de ce qui est nécessaire pour soutenir la nature, à plus forte raison d'aliments délicats ou variés, dominés qu'ils sont par de tout autres pensées. Ainsi lorsque Saül s'écriait : « Je suis dans une fort grande extrémité, car les Philistins me font la guerre et Dieu s'est retiré de moi », le texte sacré rapporte qu'il « n'avait rien mangé de tout ce jour-là, ni de toute la nuit (1Samuel 28 : 15-20)  ». Ainsi les compagnons de saint Paul, dans le navire, lorsque « la tempête étaient si violente qu'ils avaient perdu toute espérance de se sauver », continuaient à « ne rien manger », quoiqu'ils n'eussent « rien pris » (qu'ils n'eussent fait aucun repas régulier) « depuis quatorze jours (Actes 27 : 33)  ». Ainsi David et tous les hommes qui étaient avec lui, quand ils apprirent que « le peuple avait fui dans le combat et que plusieurs du peuple avaient été défaits et étaient morts, et que Saül aussi et Jonathan, son fils, étaient morts, menèrent deuil et pleurèrent et jeûnèrent jusqu'au soir à cause de Saül et de Jonathan, son fils, et du peuple de l’Éternel (2 Samuel 1 : 12)  ».

                    Souvent même ceux dont l'âme est ainsi profondément absorbée ne peuvent souffrir aucune interruption et ont en horreur toute espèce de nourriture, parce qu'elle détourne leurs pensées de ce qui réclame sans partage leur attention, comme Saül qui, « étendu sans force sur la terre », disait encore : « Je ne mangerai point », et ne se rendit qu'avec peine aux instances de ses serviteurs et de la pythonisse.

                   Tel est donc le fondement naturel du jeûne. Une âme profondément affligée, accablée par le sentiment de ses péchés et effrayée des jugements de Dieu, n'a pas besoin de règle, ni de savoir si le jeûne est ou non d'institution divine pour oublier de manger, pour s'abstenir, soit des mets délicats et agréables, soit même des plus nécessaires ; comme Paul qui, conduit à Damas et privé de la vue, fut «trois jours sans manger ni boire (Actes 9 : 9)».

                    Que dis-je ? Dans le fort de la tempête morale, lorsque les frayeurs accablent celui qui a vécu « sans Dieu dans le monde », son âme « a en horreur toute sorte de nourriture  » ; l'idée même lui en est à charge, il ne peut souffrir rien de ce qui pourrait l'empêcher de crier continuellement : « Seigneur, sauve-moi ou je péris ». avec, quelle forme cet état est dépeint par l’Église anglicane dans la première partie de l'homélie du jeûne ! « Quand l'homme sent le pesant fardeau du péché, entrevoit la damnation pour sa récompense, et contemple dans son âme ; les horreurs de l'enfer, il tremble, il frémit, il est rempli de tristesse, il ne peut s'empêcher de s'accuser lui-même, d'avouer au Tout-Puissant ce qui l'oppresse, d'implorer son pardon. S'il le fait sérieusement, son esprit est si absorbé, soit par la tristesse et la crainte, soit par le désir d'être délivré de ce danger de l'enfer et de la damnation, que tout désir de manger ou de boire est réprimé et remplacé par le dégoût des plaisirs et des choses du monde. Il ne peut que pleurer, se lamenter, gémir et montrer par ses paroles et par sa contenance combien la vie lui est à charge ».

                    Voici un autre motif pour le jeûne : plusieurs de ceux qui maintenant craignent Dieu, sentent vivement combien ils ont souvent péché par l'abus de ces choses légitimes, par l'excès dans le manger et dans le boire. Ils savent combien longtemps ils ont transgressé la sainte loi de Dieu par rapport à la sobriété et à la tempérance, combien en obéissant trop à leurs appétits sensuels, ils ont nui à leur santé peut-être, mais certainement à leur âme. Car c'est ainsi qu'ils ont nourri et développé continuellement cette vivacité folâtre, cette pétulance d'âme, cette légèreté de caractère, cette gaie indifférence pour les choses les plus importantes, cette étourderie et cette insouciance d'esprit qui ne sont rien moins qu'une ivresse morale et qui, aussi bien que l'excès du vin ou des liqueurs fortes, émoussent et détruisent les plus nobles facultés. Pour prévenir désormais l'effet, ils éloignent la cause. Ils se tiennent en garde contre tout excès. Ils s'abstiennent, autant que possible, des choses qui faillirent les plonger dans l'éternelle perdition. Souvent ils jeûnent entièrement ; toujours ils s'efforcent d'être sobres et tempérants en toutes choses.

                    Ils n'ont pas oublié non plus combien une nourriture abondante sert à accroître les désirs insensés et profanes, et même les affections viles et impures. C'est ce que l'expérience met hors de doute. La sensualité, même réglée et modérée, rend l'âme toujours plus sensuelle et la fait descendre au niveau des bêtes qui périssent. On ne saurait dire combien une alimentation délicate et variée influe sur le corps et sur l'âme, et nous dispose à nous livrer à tous les plaisirs des sens, dès que nous en trouvons seulement l'occasion. Ce sera donc, pour tout homme sage un nouveau motif de mettre un frein à son âme et de la tenir soumise, de la sevrer de plus en plus, quant à ces appétits inférieurs qui tendent à l'enchaîner à la terre et à la souiller en l'abrutissant. Retrancher l'aliment des convoitises et de la sensualité, retirer l'aiguillon des désirs insensés et pernicieux, des affections vaines et impures, c'est pour le jeûne un motif qui toujours subsiste.

                    Peut-être faut-il ne pas omettre entièrement (quoique je ne sache pas qu'il soit de grande importance), un motif sur lequel quelques hommes pieux ont beaucoup insisté, savoir de se punir soi-même de l'abus des dons de Dieu, par une privation temporaire, d'exercer sur soi-même comme une sainte vengeance pour la folie et l'ingratitude par laquelle nous tournâmes à notre perte ce que Dieu nous avait donné pour notre bien. C'est ce que David avait en vue, pensent-ils, lorsqu'il disait : « J'ai pleuré et j'ai affligé mon âme par le jeûne », et saint Paul aussi, quand il parle de la « vengeance ou punition » que la tristesse, selon Dieu, avait provoquée chez les Corinthiens.

                    Mais un cinquième motif bien plus grave, c'est que le jeûne aide la prière, surtout quand nous mettons à part un temps considérable peur prier en secret. C'est alors spécialement que Dieu se plaît à élever les âmes de ses serviteurs au-dessus des choses terrestres, quelquefois même à les ravir, pour ainsi dire, jusqu'au troisième ciel. Et c'est principalement comme soutien de la prière que le jeûne s'est souvent montré si efficace, entre les mains de Dieu, pour affermir et accroître, non pas telle vertu particulière seulement (comme plusieurs l'ont imaginé sans fondement de la chasteté), mais aussi le sérieux, la gravité, la délicatesse de conscience, le détachement du monde, et par suite l'amour de Dieu et toute sainte et céleste affection.

                   Non qu'il y ait un lien naturel et nécessaire entre le jeûne et les bénédictions qu'il sert à obtenir de Dieu. Mais Dieu fait miséricorde comme il veut faire miséricorde, il donne ce qu'il juge bon par les moyens qu'il lui plaît d'employer ; et, dans tous les siècles, il a choisi le jeûne comme un moyen de détourner sa colère et d'obtenir les bénédictions particulières dont nous sentons souvent le besoin.

                     Quant à l'efficace de ce moyen pour détourner la colère de Dieu, nous la voyons par l'exemple si remarquable d'Achab. « En effet, il n'y avait point eu de roi comme Achab qui se fût vendu  » ; livré comme un esclave acheté à prix d'argent « pour faire ce qui est mauvais devant l’Éternel ». Toutefois, lorsqu'il eut « déchiré ses vêtements, mis un sac sur sa chair et jeûné, et qu'il se fut traîné en marchant », la parole de l’Éternel fut adressée en ces termes à Élie Tisbite : « N'as-tu pas vu qu'Achab s'est humilié devant moi ? Parce qu'il s'est humilié devant moi, je ne ferai pas venir ce mal en son temps (1 Roi 21 : 25-29) »

                    Ce fut aussi pour détourner la colère de Dieu que Daniel « tourna son visage vers le Seigneur Dieu, cherchant à faire requête et supplication, avec jeûne, ou prenant le sac et la cendre ». C'est ce qui ressort de tout le contenu de sa prière, et particulièrement de cette solennelle conclusion : « Seigneur, je te prie, que selon toutes tes justices » (tes miséricordes), « ta colère et ton indignation soient détournées de ta ville de Jérusalem, la montagne de ta sainteté. — Écoute la requête de ton serviteur, fais reluire ta face sur ton sanctuaire désolé, -Seigneur exauce, Seigneur pardonne, Seigneur sois attentif et opère, à cause de toi-même (Daniel 9 : 3-19) ! »

                    Mais ce n'est pas seulement du peuple de Dieu, c'est même des païens que nous apprenons à le chercher avec et prière quand il est irrité. Quand Jonas eut crié : « Encore quarante jours et Ninive sera renversée », « les hommes de Ninive crurent à Dieu, et ils publièrent un jeûne et se vêtirent de sacs, depuis le plus grand d'entre eux jusqu'au plus petit. Car le roi de Ninive se leva de son trône, ôta de dessus lui son vêtement magnifique et se couvrit d'un sac et s'assit sur la cendre ; et il fit crier et publier dans Ninive qu'aucun homme ni bête ne goûte d'aucune chose qu'ils ne se repaissent point et ne boivent point d'eau » (non que les bêtes eussent péché ou pussent se repentir, mais pour instruire les hommes en leur rappelant qu'à cause de leurs péchés la colère de Dieu menaçait toutes les créatures) ; « qui sait si Dieu ne se repentira point et s'il ne reviendra pas de l'ardeur de sa colère, en sorte que nous ne périssions point ? » Et ce ne fut pas peine perdue. « Dieu vit ce qu'ils avaient fait et comment ils s'étaient détournés de leur mauvaise voie, et Dieu se repentit du mal qu'il avait dit qu'il leur ferait, et ne le fit point (Jonas 3 : 4-10)  ».

                    Non seulement le jeûne est un moyen pour détourner la colère de Dieu, mais il sert encore à nous faire obtenir toute bénédiction dont nous avons besoin. Ainsi, quand les tribus eurent été plusieurs fois battues par les Benjamites, « tous les enfants d'Israël montèrent à la maison de Dieu, et pleurèrent devant l’Éternel et jeûnèrent ce jour-là jusqu'au soir », — « et l’Éternel dit : montez, car demain je les livrerai entre vos mains (Juges 20 : 26,17)  ». Ainsi Samuel ayant assemblé tout Israël, pendant qu'ils étaient tributaires des Philistins, « ils jeûnèrent ce jour-là » devant l’Éternel, et « les Philistins s'étant approchés pour combattre contre Israël, L’Éternel, eu  ce jour-là, tonna avec un bruit épouvantable sur les Philistins et il les mit en déroute, et ils furent battus devant Israël (1Samuel 7 : 6,10)  ». Ainsi, nous lisons dans Esdras : « Je publiai un jeûne auprès du fleuve d'Ahava, pour nous humilier devant notre Dieu, en le priant de nous donner un heureux voyage pour nous et pour nos petits enfants, — et il fut fléchi par nos prières (Esdras 8 : 21,23)  ». Ainsi, dans Néhémie : « Je jeûnai et je fis ma prière devant le Dieu des cieux et je dis : fais, je te prie, aujourd'hui prospérer ton serviteur, et fais qu'il trouve grâce devant cet homme », et Dieu lui fit trouver grâce devant le Roi (Néhémie 1 : 4-11).

                    De même les apôtres joignaient toujours le jeûne à la prière pour appeler la bénédiction de Dieu sur quelque entreprise importante. Ainsi, nous lisons dans les Actes (Actes 13 : 1-3) : « Il y avait dans l'église d'Antioche quelques prophètes et docteurs, — et comme ils vaquaient au service du Seigneur et qu'ils jeûnaient » — sans doute pour cet objet même, le Saint-Esprit leur dit : « séparez-moi Barnabas et Saül pour l'œuvre à laquelle je les ai appelés  » ; — « et après avoir de nouveau jeûné et prié, ils leur imposèrent les mains et les firent partir ». Ainsi Barnabas et Saul eux-mêmes, quand ils revinrent à Lystre, à Icône et à Antioche, « fortifiant l'esprit des disciples », établirent, « après avoir prié et jeûné », des Anciens dans chaque Église, et les recommandèrent au Seigneur (Actes 14 : 23).

                    Comment douter, au reste, qu'il n'y ait des bénédictions attachées au jeûne qui ne pourraient être obtenues par d'autres moyens, après la déclaration suivante du Seigneur ; ses disciples lui ayant demandé « Pourquoi n'avons-nous pu chasser ce démon ? » Jésus leur répondit ; « C'est à cause de votre incrédulité ; car je vous dis en vérité que si vous aviez de la foi, aussi gros qu'un grain de moutarde, vous diriez à cette montagne : transporte-toi d'ici là, et elle s'y transporterait, et rien ne vous serait. impossible. Mais cette sorte de démons ne sort que par la prière et par le jeûne (Matthieu 17 : 19-21) ; » - tels étant les moyens établis pour obtenir la foi par laquelle « les démons même vous seront assujettis ».

                    Je dis les moyens établis, car ce n'est pas seulement par la lumière de la raison ou de la conscience naturelle, comme on l'appelle, que le peuple de Dieu fut conduit, de tout temps, à employer dans ce but le jeûne, mais par le fréquent enseignement de Dieu même, et par la révélation claire et manifeste de sa volonté. Tel est, entre autres, ce passage remarquable du prophète Joël : « Maintenant donc, dit l'Éternel, convertissez-vous à moi de tout votre cœur, avec jeûne, avec larmes et avec lamentation ; —- qui sait si l'Éternel votre Dieu ne viendra point à se repentir et s'il ne laissera point après lui la bénédiction ? — Sonnez de la trompette en Sion, sanctifiez le jeûne, publiez l'assemblée solennelle ; — alors l'Éternel sera jaloux pour sa terre, il aura pitié de son peuple », — et il lui dira : « Voici, je vous enverrai du froment, du vin et de l'huile,-et je ne vous exposerai plus à l'opprobre parmi les nations (Joël 2 :12,19) 

                   Et ce ne sont pas seulement des bénédictions temporelles que Dieu veut accorder à son peuple par l'emploi de ces moyens. Car, après avoir promis à ceux qui le chercheraient avec jeûne, avec larmes et lamentations « de leur rendre les fruits des années ravagées par les sauterelles, le grillon, le vermisseau et le hanneton, il ajoute : « vous aurez ainsi de quoi être rassasiés et vous louerez le nom de l'Éternel vôtre Dieu, et vous saurez que je suis au milieu d'Israël et que je suis l'Éternel votre Dieu  » ; — et aussitôt après nous lisons la grande promesse évangélique. « Il arrivera après ces choses que je répandrai mon Esprit sur toute chair ; vos fils et vos filles prophétiseront, vos vieillards auront des songes et vos jeunes gens auront des visions ; et même en ces jours-là je répandrai mon Esprit sur mes serviteurs et sur mes servantes ». 

                    Toutes les raisons qui pouvaient exciter les Anciens au zèle et à la persévérance dans ce devoir, ont encore pour nous la même force. Mais nous avons un motif supérieur et tout particulier d'être « en jeûnes souvent », comme dit saint Paul, c'est le commandement de Celui dont nous portons le glorieux nom. Il est vrai qu'il n'ordonne ici expressément ni le jeûne, ni l'aumône, ni la prière ; mais ses directions sur la manière de jeûner, de prier, de faire l'aumône, impliquent une telle injonction. Car dire : faites telle chose ainsi, c'est évidemment commander de la faire, puisqu'il est impossible de la faire ainsi si on ne la fait point du tout. Nous dire : faites l'aumône, priez, jeûnez de telle manière, c'est donc nous ordonner clairement de remplir ces devoirs, — et de les remplir de la manière qui ne saurait perdre sa récompense.

                    Enfin il y a encore un motif et un encouragement de plus dans cette récompense que le Seigneur daigne, par grâce, nous promettre : « Ton père, qui te voit dans le secret, te récompensera publiquement ». Tels sont les motifs simples et clairs sur lesquels s'appuie le jeûne ; tels sont les encouragements que nous avons pour y persévérer, nonobstant la masse d'objections que n'ont cessé d'élever des hommes qui se sont crus plus sages que leur Seigneur.

III

                    Examinons maintenant les plus plausibles d'entre ces objections. Et d'abord, on a souvent dit : « Que le chrétien jeûne du péché, c'est là ce que Dieu lui demande ». Sans doute, mais il demande aussi le reste. Faites donc cela, mais que le reste ne soit point négligé.

                      Donnez à votre argument son expression rigoureuse, et vous pourrez en apprécier la force. Si le chrétien doit s'abstenir du péché, il ne doit pas s'abstenir d'aliments ! – Mais le chrétien doit s'abstenir du péché, 

— Donc il ne doit pas s'abstenir d'aliments.

                    Le chrétien doit s'abstenir du péché, c'est incontestable ; mais s'ensuit-il qu'il ne doive pas s'abstenir d'aliments ? Souffrez donc qu'il fasse l'un et l'autre, que par la grâce de Dieu il s'abstienne toujours du péché, et que souvent il s'abstienne de nourriture pour les raisons et pour le but auxquels le jeûne répond d'après le clair témoignage de l’Écriture et de l'expérience.

                   Mais, objecte-t-on encore, s'abstenir d'orgueil, de vanité, de désirs insensés et pernicieux, d'humeur, de colère, de mécontentement, n'est-ce pas mieux que de s'abstenir de nourriture ? D'accord. Mais ici encore nous avons besoin de vous rappeler ces paroles du Seigneur : « Il fallait faire ces choses et ne pas négliger les autres ». Au fait, celles-ci n'ont d'importance qu'à cause de celles-là ; elles ne sont plus qu'un moyen. Nous jeûnons afin que par la grâce que Dieu fait découler de ce moyen extérieur comme des autres canaux spirituels qu'il a établis, nous soyons rendus capables de nous abstenir de toute passion ou disposition qui lui déplaît. C'est une abstinence qui, par la vertu d'en Haut, doit nous en rendre d'autres plus faciles. En sorte que votre argument prouve juste le contraire de ce que vous voulez établir. Il prouve que nous devons jeûner. Car s'il nous faut nous abstenir des passions et des mauvais désirs, il faut donc aussi nous abstenir quant aux aliments, puisque ces exercices de renoncement dans les petites choses sont la voie que Dieu a choisie pour nous accorder de grandes délivrances.

                     « Mais en fait, dites-vous, nous ne trouvons pas qu'il en soit ainsi. Nous avons jeûné beaucoup et souvent, mais qu'avons-nous gagné ? Le jeûne ne nous a pas rendus meilleurs. Bien plus, il a arrêté plutôt que favorisé nos progrès. Au lieu de prévenir la colère, par exemple, ou la mauvaise humeur, il n'a servi qu'à l'accroître, à tel point que nous ne pouvions supporter ni les autres, ni nous-mêmes ». Il se peut bien qu'il en soit ainsi. Il vous est possible de jeûner et de prier de manière à devenir plus méchants, plus malheureux, plus charnels qu'auparavant. La faute n'en est pas au moyen lui-même, mais à votre manière de l'employer. Revenez-y, mais revenez-y d'une autre manière. Faites ce que Dieu veut comme il le veut, et la promesse ne manquera pas de s'accomplir, sa bénédiction ne sera plus retenue ; quand tu jeûneras « dans le secret, celui qui te voit dans le secret te récompensera publiquement ».

                    « Eh ! n'est-ce pas pure superstition que de croire que Dieu regarde à si peu de chose ? » Si vous parlez ainsi « vous condamnez toutes les générations de ses enfants ». Direz-vous que c'étaient tous des esprits faibles et superstitieux ? Aurez-vous la hardiesse de le dire de Moïse et de Josué, de Samuel et de David, de Josaphat, d'Esdras, de Néhémie et de tous les prophètes ? Que dis-je ? De Celui qui est plus grand qu'eux tous, du Fils même de Dieu ? Car il est certain que notre Seigneur a cru, aussi bien qu'eux, que le jeûne n'est pas peu de chose, et que le Dieu souverainement élevé y regarde. Il est certain que tous ses apôtres, après avoir été remplis du Saint-Esprit et de sagesse, étaient du même sentiment. Ayant reçu « l'onction du Saint qui leur enseignait toutes choses », « ils se rendaient encore recommandables, comme ministres de Dieu, par les jeûnes » aussi bien que « par les armes de justice que l'on tient de la droite et de la gauche ». Quand l'époux leur eut été ôté, ils « jeûnèrent en ces jours-là », et ils n'entreprenaient rien d'important pour la gloire de Dieu (comme nous l'avons vu pour l'envoi des missionnaires) sans la préparation solennelle du jeûne aussi bien que de la prière.

                    « S'il est vrai, disent enfin quelques-uns, que le jeûne ait tant d'importance et soit accompagné de tant de bénédictions, ne vaut-il pas mieux jeûner sans cesse, garder un jeûne habituel, user en tout temps d'autant d'abstinence que nos forces le permettent ? » Certes nous ne découragerons personne d'en agir ainsi. Oui certes, usez en tout temps d'aussi peu d'aliments et d'aliments aussi simples que possible, et exercez en cela autant de renoncement que vos forces physiques le permettent. Vous pourrez obtenir ainsi, par la bénédiction de Dieu, plusieurs des avantages ci-dessus mentionnés. Ce pourra être un grand secours, non seulement pour la chasteté, mais encore pour toute disposition céleste, pour sevrer vos affections des choses d'ici-bas et les attacher à celles d'en haut. Mais ce n'est point là jeûner selon le sens scripturaire : nulle part ce n'est appelé jeûne dans la Bible. Cela peut répondre en quelque mesure à tels et tels buts du jeûne, mais ce n'est pas moins autre chose. Suivez cette voie, vous le pouvez ; mais non pas de manière à vous dispenser d'une chose ordonnée de Dieu, d'un moyen qu'il a institué pour détourner sa colère et pour obtenir les bénédictions promises à ses enfants.

                    Que votre abstinence continuelle, qui ne sera ainsi autre chose que la tempérance chrétienne, n'empêche en rien l'observation solennelle du jeûne et de la prière dans des moments convenables. Car, par exemple, cette tempérance ne vous empêcherait pas de jeûner en secret si vous étiez soudainement accablé d'une immense tristesse, de remords, de craintes horribles et d'épouvante. Un tel état d'âme vous contraindrait presque à jeûner, vous auriez en horreur toute nourriture et pourriez à peine vous résoudre à prendre ce qui est nécessaire pour le corps, jusqu'à ce que Dieu vous eût tiré « de ce puits menant un grand bruit, qu'il eût mis vos pieds sur le roc et affermi vos pas ». De même si vous étiez dans l'agonie du désir, luttant ardemment avec Dieu pour sa bénédiction, vous n'attendriez pas alors qu'on vous dît de ne point manger jusqu'à ce que vous eussiez obtenu la requête de vos lèvres.

                    Et si vous eussiez été à Ninive quand on publia par la ville qu'aucun homme, ni bête, ne goûtât d'aucune chose et ne bût point d'eau, « mais qu'ils criassent à Dieu de toute leur force », auriez-vous trouvé dans votre jeûne continuel quelque excuse pour ne point prendre part à cette humiliation générale ? Évidemment non. La défense de rien manger ce jour-là vous eût concerné autant qu'aucun autre.

                    Cette excuse n'eût pu dispenser non plus les enfants d'Israël de jeûner au dixième ; jour du septième mois, au grand jour annuel des propitiations, car le décret solennel n'admettait aucune exception. « Toute personne », était-il dit, « qui n'aura pas jeûné en ce jour-là, sera retranchée d'entre ses peuples ».

                    Enfin, si vous eussiez été avec les frères à Antioche lorsqu'ils jeûnèrent, et prièrent pour envoyer Barnabas et Paul, pouvez-vous croire que votre jeûne habituel eût été un motif suffisant de ne pas vous joindre à eux ? Si vous aviez refuse de le faire, il n'est pas douteux que vous n'eussiez été bientôt retranché de la communion chrétienne. Vous en eussiez été justement rejeté, comme apportant le trouble dans l'Église de Dieu.

 IV

                    Il me reste maintenant à montrer de quelle manière il faut jeûner pour que ce soit une œuvre agréable à Dieu. Et d'abord, que le jeûne s'adresse au Seigneur, nos regards étant uniquement fixés sur lui. Qu'en cela notre intention, notre unique intention soit de glorifier notre Père qui est aux cieux, d'exprimer notre tristesse, notre honte pour nos transgressions multipliées de sa loi sainte, d'attendre une nouvelle grâce purifiante qui tourne nos cœurs vers les choses d'en haut, de rendre nos prières plus sérieuses et plus ferventes, de détourner la colère de Dieu et d'obtenir l'effet de toutes tes grandes et précieuses promesses qu'il nous a faites en Jésus-Christ.

                    Gardons-nous de nous moquer de Dieu et de lui rendre abominables notre jeûne et nos prières, par quelque mélange de vues temporelles, ainsi, en particulier, par la recherche de la gloire humaine. C'est contre cet écueil que le Seigneur nous met surtout en garde dans ces paroles du texte : « Et quand vous jeûnez, ne soyez pas comme les hypocrites », trop nombreux parmi ceux qu'on appelait le peuple de Dieu, « qui prennent un visage triste », d'une tristesse sombre et affectée, donnant à leurs regards une expression particulière, « car ils se rendent le visage tout défait », non seulement par des grimaces, mais encore en se couvrant de poussière et de cendres, « afin qu'il paraisse aux hommes qu'ils jeûnent  » ; c'est leur but principal, sinon unique. — « Je vous dis en vérité qu'ils reçoivent leur récompense », — savoir l'admiration et les louanges des hommes. « Mais toi, quand tu jeûnes, oins ta tête et lave ton visage  » ; — prends de ta personne le soin habituel, — « afin qu'il ne paraisse pas aux hommes que tu jeûnes » (s'ils le voient pourtant sans ton intention, peu importe, tu n'en es ni meilleur, ni pire), — « mais seulement à ton Père, qui est en secret ; et ton Père, qui te voit dans te secret, te récompensera publiquement ».

                    Tout en désirant cette récompense, gardons-nous, en second lieu, de croire par nos jeûnes mériter quoi que ce soit de la part de Dieu. Nous ne saurions trop être avertis de cela, tant le désir « d'établir notre propre justice », d'être sauvés de droit plutôt que par grâce a de profondes racines dans tous nos cœurs. Le jeûne n'est qu'un chemin ordonné de Dieu où nous attendons sa libre grâce, et où il a promis de nous donner sans aucun mérite de notre part sa gratuite bénédiction.

                     N'allons pas nous imaginer non plus que l'acte extérieur à lui seul puisse nous attirer quelque bénédiction. « Est-ce là le jeûne que j'ai choisi, dit le Seigneur, que l'homme afflige son âme un jour ? Est-ce en courbant sa tête comme un jonc et en étendant le sac et la cendre ? » — Ces actes extérieurs, quelque exactitude qu'on y mette, constituent-ils réellement l'affliction de l'âme ? — « Appelleras-tu cela un jeûne et un jour agréable à l’Éternel ? » — Non, sans doute. Si ce n'est qu'un service extérieur, ce n'est que peine perdue. Le corps peut être affligé, mais, quant à l'âme, cela ne sert de rien.

                    Le corps peut même parfois être trop affligé, jusqu'à devenir impropre aux travaux de notre vocation. C'est encore un écueil dont il faut soigneusement nous garder ; car nous devons conserver notre santé comme un précieux don de Dieu. Quand donc nous jeûnerons, proportionnons toujours le jeûne à nos forces. Voudrions-nous offrir à Dieu un meurtre pour un sacrifice, ou détruire nos corps pour sauver nos âmes ?

                    Mais dans des temps solennels, quelque faible que soit notre corps, nous pourrons toujours éviter cet autre extrême pour lequel Dieu condamnait jadis ceux qui lui reprochaient de ne point accepter leurs jeûnes. « Pourquoi avons-nous jeûné ? disaient-ils, et tu n'y as point eu d'égard ». — « Voici, dans le jour de votre jeûne vous trouvez votre volonté, dit le Seigneur ». Si nous ne pouvons nous abstenir de toute nourriture, nous pouvons au moins nous abstenir de celle qui plaît, et alors nous ne chercherons pas sa face en vain.

                    Mais ayons soin d'affliger nos âmes aussi bien que nos corps. Que tout jeûne, public ou privé, soit un temps consacré à l'exercice de ces saintes affections qui appartiennent à un cœur brisé et contrit ; que ce soit un temps de pieuse affliction, de tristesse selon Dieu, telle que celle des Corinthiens, dont l'apôtre dit « Je me réjouis, non de ce que vous avez été contristés, mais de ce que votre tristesse vous a portés à la repentance ; car vous avez été contristés selon Dieu, en sorte que vous n'avez reçu aucun préjudice de  notre part. Car la tristesse qui est selon Dieu », — don précieux de son Esprit qui élève vers lui nos âmes, — « produit une repentance à salut dont on ne se repent jamais ». Oui, et que cette tristesse selon Dieu produise en nous, au dedans et au dehors, la même repentance, le même changement de cœur, nous renouvelant à l'image de Dieu en justice et en sainteté véritables, et le même changement de vie, jusqu'à ce que nous soyons saints comme il est saint dans toute notre conduite ; — qu'elle produise en nous le même empressement d'être trouvés en lui irrépréhensibles et sans tache ; — la même apologie par notre vie plutôt que par nos paroles, par l'éloignement de toute apparence de mal ; — la même indignation, pour avoir en horreur tout péché ; — la même crainte quant aux ruses de nos cœurs ; — le même désir d'être en toutes choses rendus conformes à la sainte et agréable volonté de Dieu ; — le même zèle pour tout ce qui peut servir à sa gloire et à nos progrès dans la connaissance du Seigneur Jésus-Christ ; — et la même punition ou vengeance contre Satan et ses œuvres, contre toute souillure de la chair et de l'esprit (2 Corinthiens 7 : 9-11).

                    Au jeûne joignons toujours de ferventes prières, répandons tout notre cœur devant Dieu, confessant nos péchés avec ce qui les aggrave, humiliant nos cœurs sous sa puissante main, mettant à nu devant lui tous nos besoins, notre culpabilité, notre impuissance. C'est alors le moment de donner extension à nos prières, tant pour nous que pour nos frères ; de pleurer sur les péchés de notre peuple, de crier à Dieu pour la sainte cité, pour qu'il relève les murs de Sion et fasse luire sa face sur son sanctuaire désolé. C'est ainsi qu'on vit les hommes de Dieu, dans les anciens temps, joindre le jeûne à la prière ; c'est ainsi que l'ont fait les apôtres, et notre Seigneur les joint aussi de même dans notre texte. 

                    Il ne reste plus, pour que notre jeûne soit tel que Dieu le demande, qu'à y joindre des aumônes, des œuvres de miséricorde, selon notre pouvoir, tant pour les âmes que pour les corps de nos semblables : tels sont aussi « les sacrifices auxquels Dieu prend plaisir ». C'est ainsi que l'ange disait à Corneille, jeûnât et priant dans sa maison : « Tes prières et tes aumônes sont montées en mémoire devant Dieu (Actes 10 : 4) » Et telle est aussi la déclaration expresse de Dieu lui-même dans Esaïe : « N'est-ce pas ici le jeûne que j'ai choisi, que tu dénoues les liens de la méchanceté, que tu délies les liens du joug, que tu laisses aller libres ceux qui sont foulés, et que vous brisiez tout joug ? N'est-ce pas que tu rompes ton pain à celui qui a faim, et que tu fasses venir dans ta maison les affligés qui sont errants ; que quand tu vois celui qui est nu tu le couvres et que tu ne te caches pas de ta propre chair ? Alors ta lumière éclora comme l'aube du jour et ta guérison germera incontinent ; ta justice ira devant toi, et la gloire de l'Éternel sera ton arrière-garde. Alors tu invoqueras l'Éternel et il t'exaucera, tu crieras et il dira me voici ! Si (quand tu jeûnes), tu ouvres ton âme à celui qui a faim, et que tu rassasies l'âme affligée, alors ta lumière se lèvera dans les ténèbres, et les ténèbres seront comme le midi. Et l’Éternel te conduira continuellement, et il rassasiera ton âme dans les grandes sècheresses et engraissera tes os, et tu seras comme un jardin arrosé et comme une source d'eau dont les eaux ne défaillent point (Esaïe 58 : 6-11).





jeudi 9 juin 2016

(6) LE SERMON SUR LA MONTAGNE, SIXIÈME DISCOURS WESLEY Matthieu 6:1-15

 Numérisation Yves PETRAKIAN Copie autorisée pour diffusion gratuite uniquement Obligation d'indiquer la source http://456-bible.123-bible.com

Sermon 26 :   (1748)        LE SERMON SUR LA MONTAGNE, SIXIÈME DISCOURS Matthieu 6,1-15

1  Gardez-vous de pratiquer votre justice devant les hommes, pour en être vus; autrement, vous n’aurez point de récompense auprès de votre Père qui est dans les cieux.

2  Lors donc que tu fais l’aumône, ne sonne  pas de la trompette devant toi, comme font les hypocrites dans les synagogues et dans les rues, afin d’être glorifiés par les hommes. Je vous le dis en vérité, ils reçoivent leur récompense.
3  Mais quand tu fais l’aumône, que ta main gauche ne sache pas ce que fait ta droite,
4  afin que ton aumône se fasse en secret; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra.

5   Lorsque vous priez, ne soyez pas comme les hypocrites, qui aiment à prier debout dans les synagogues et aux coins des rues, pour être vus des hommes. Je vous le dis en vérité, ils reçoivent leur récompense.
6  Mais quand tu pries, entre dans ta chambre, ferme ta porte, et prie ton Père qui est là dans le lieu secret; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra.
7  En priant, ne multipliez  pas de vaines paroles, comme les païens, qui s’imaginent qu’ à force de paroles ils seront exaucés.
8  Ne leur ressemblez pas; car votre Père sait de quoi vous avez besoin, avant que vous le lui demandiez.  

9  Voici donc comment vous devez prier: Notre Père qui es aux cieux! Que ton nom soit sanctifié;
10  que ton règne vienne; que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel.
11  Donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien;
12  pardonne-nous nos offenses, comme nous aussi nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés;
13  ne nous induis pas en tentation, mais délivre-nous du malin. Car c’est à toi qu’appartiennent, dans tous les siècles, le règne, la puissance et la gloire. Amen!
14  Si vous pardonnez aux hommes leurs offenses, votre Père céleste vous pardonnera aussi;
15  mais si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre Père ne vous pardonnera pas non plus vos offenses.

                     Dans le chapitre qui précède Notre Seigneur a décrit, sous ses divers aspects, la religion du cœur. Il a mis devant nous ces dispositions d'âme qui constituent le vrai christianisme, cette sainteté intérieure ; « sans laquelle personne ne verra le Seigneur », ces affections qui, provenant de la foi en Christ, sont essentiellement bonnes et agréables à Dieu. Passant maintenant aux actions, il va nous montrer que toutes, et même les plus indifférentes, peuvent aussi être rendues saintes et bonnes, même aux yeux de Dieu, par une pure et sainte intention. Hors de là, tout ce qu'on peut faire est sans valeur, il le déclare à plusieurs reprises ; mais toute œuvre extérieure ainsi consacrée à Dieu est d'un grand prix devant lui.

                    Cette pureté d'intention, il en montre la nécessité d'abord pour les œuvres qu'on considère comme religieuses et qui le sont en effet lorsqu'elles procèdent d'une intention droite. Les unes sont appelées communément œuvres de piété, et les autres œuvres de charité ou de miséricorde. Entre celles-ci, il nomme particulièrement l'aumône ; pour celles-là la prière et le jeûne. Mais les directions qu'il donne sur ces deux chefs s'appliquent également à toute œuvre, soit de piété, soit de charité.

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Et d'abord, par rapport aux œuvres de charité :

                   « Prenez garde », dit-il, « de ne pas faire votre aumône devant les hommes, afin d'en être vus ; autrement vous n'en aurez point de récompense de votre Père qui est aux cieux ». — « De ne pas faire votre aumône  » ; — l'aumône seule est nommée, mais il faut sous-entendre toute œuvre de charité, tout don, toute parole, toute action profitable au prochain, d'où le prochain peut tirer quelque avantage pour son corps ou pour son âme : nourrir les affamés, vêtir ceux qui sont nus, recueillir ou aider les étrangers, visiter les prisonniers, les malades, consoler les affligés, instruire les ignorants, reprendre les pécheurs, exhorter et encourager les justes, toutes ces choses et les autres semblables sont comprises dans cette instruction.

                    « Prenez garde de ne pas faire votre aumône devant les hommes, afin d'en être vus ». Ce qui est ici défendu, ce n'est pas de faire le bien en présence des hommes, être vus d'eux n'est pas ce qui rend une œuvre meilleure ou plus mauvaise ; — mais c'est de faire le bien devant eux, afin d'en être vus, dans ce but, dans cette intention seule. Je dis seule, car ce pourrait être, à bon droit, une partie de notre intention ; telle action, dont nous désirons qu'elle soit vue, peut néanmoins être agréable à Dieu. Notre intention peut être que notre lumière luise devant les hommes, si notre conscience nous rend témoignage par le Saint-Esprit qu'en nous proposant de leur faire voir nos bonnes œuvres, notre but est « qu'ils glorifient notre Père qui est aux cieux ». Mais gardez-vous de faire la moindre chose en vue de votre propre gloire, gardez-vous de laisser à l'amour de la louange la moindre part dans vos œuvres de charité. Si vous cherchez votre gloire, si vous avez en vue l'honneur qui vient des hommes, tout ce que vous pouvez faire est sans valeur, ce n'est point fait pour Dieu, il ne l'accepte point ; vous n'en aurez pas de récompense de votre Père qui est aux cieux.

                   « Quand donc tu feras l'aumône, ne fais pas sonner la trompette devant toi, comme font les hypocrites, dans les synagogues et dans les rues, afin qu'ils en soient honorés des hommes ». Le mot synagogue, ne désigne pas ici un lieu de culte, mais tout endroit où la foule s'assemble, comme la place publique, le marché. C'était parmi les Juifs riches et surtout parmi les Pharisiens une chose ordinaire que de faire sonner la trompette devant eux, dans les lieux de la ville les plus fréquentés, quand ils voulaient faire de grandes aumônes. Le prétexte était de convoquer les pauvres pour les recevoir ; mais leur but réel était de s'attirer les louanges des hommes. Ne leur ressemblez pas. Ne faites pas sonner la trompette devant vous. Fuyez l'ostentation. Recherchez cet honneur qui ne vient que de Dieu. Ceux qui cherchent l'honneur des hommes, reçoivent leur récompense. Ils n'auront de Dieu aucune louange.

                    « Mais quand tu fais l'aumône, que ta main gauche ne sache pas ce que fait ta droite ». Expression proverbiale qui veut dire ; Fais le bien aussi secrètement qu'il sera compatible avec son accomplissement même, et avec son accomplissement le plus efficace, car il faut qu'il s'accomplisse, soit en secret, soit en public. Si vous êtes pleinement persuadé dans votre esprit qu'en ne cachant pas le bien que vous faites, d'autres pourront être encouragés, ou vous pourrez vous-même en faire d'autant plus, alors ne le cachez pas ; alors que votre lumière » paraisse et « éclaire tous ceux qui sont dans la maison ». Mais hormis ces cas où la gloire de Dieu et le bien des hommes demandent le contraire, agissez d'une façon aussi secrète et aussi privée que la chose pourra l'admettre, « afin que ton aumône se fasse en secret, et ton père qui te voit dans le secret te récompensera publiquement », peut-être déjà dans ce monde (il y en a des exemples dans tous les âges), mais infailliblement dans le monde à venir, devant la grande assemblée des hommes et des anges.  

II

  
                    Des œuvres de charité ou de miséricorde notre Seigneur passe à ce qu'on appelle œuvres de piété. « Quand tu prieras, ne fais pas comme les hypocrites ; car ils aiment à prier en se tenant debout dans les synagogues et au coin des rues, afin d'être vus des hommes. — « Ne sois pas comme les hypocrites ». L'hypocrisie, le manque de sincérité, voilà donc la première chose dont nous devons nous garder en priant. Ayez soin de ne rien dire contre votre pensée. Prier, c'est élever son âme à Dieu ; sans cela les plus pelles paroles ne sont qu'hypocrisie. Songe donc, quand tu veux prier, à n'avoir qu'un dessein, celui d'élever ton cœur à Dieu, de « répandre ton âme en sa présence  » ; et ne sois pas comme les hypocrites qui aiment à prier et qui ont l'habitude de le faire « en se tenant debout dans les synagogues, dans les lieux publics, aux coins des rues, parmi la foule, afin d'être vus des hommes  » ; c'est le seul dessein, le seul but de leurs prières. Je vous dis en vérité qu'ils reçoivent leur récompense, ils n'en doivent point attendre de votre Père qui est aux cieux.

                    Toutefois ce désir de la gloire humaine n'est pas le seul qui nous prive des récompenses de Dieu, et qui prive nos œuvres de sa bénédiction. La pureté d'intention n'est pas moins détruite par toute autre vue temporelle. Prononcer  des prières, assister au culte ou soulager les pauvres pour un gain ou un intérêt quelconque, ce n'est pas d'un fêtu plus estimable aux yeux de Dieu que de le faire par vaine gloire. Tout motif étranger à l'éternité, tout autre dessein que celui de glorifier Dieu ou de faire en son nom du bien aux hommes, fait de l'action la plus belle en apparence, une abomination devant Lui.

                     « Mais toi, quand tu pries, entre dans ton cabinet, et ayant fermé la porte, prie ton Père qui est dans ce lieu secret ». Il y a un temps pour glorifier Dieu publiquement, un temps où tu dois le prier, le louer « dans la grande assemblée ». Mais s'agit-il de lui exposer plus particulièrement tes besoins, « le soir, le matin, ou à midi », entre dans ton cabinet et fermes-en la porte. Choisis le lieu le plus retiré (seulement pas de négligence, sous prétexte que tu n'aurais ni cabinet ni lieu de retraite ; prie si tu le peux, sans témoins, mais si tu ne le peux, ne manque pas de prier) ; répands ainsi tout ton cœur devant ton Père qui est dans le secret, et ton Père, qui te voit dans le lieu secret, te le rendra publiquement.

                   Mais « quand vous priez » même en secret « n'usez point de vaines redites, comme font les païens  » ; de vaines redites, c'est-à-dire de beaucoup de paroles sans aucun sens, la vaine répétition des mêmes choses. Ne pensez pas que le succès de vos prières dépende de leur longueur, comme font les païens : « car ils croient qu'ils seront exaucés en parlant beaucoup ».

                    Deux choses sont ici condamnées : non pas proprement la longueur des prières, pas plus que leur brièveté, mais d'abord : la longueur insipide, parler beaucoup avec peu ou point de pensées ; l'usage, non pas de toute répétition (car le Seigneur lui-même pria trois fois répétant les mêmes paroles), mais de répétitions vaines comme celles des païens qui disent et redisent les noms de leurs dieux ; comme celles des papistes et des chrétiens de nom qui récitent toujours les mêmes prières sans avoir le sentiment de ce qu'ils expriment ; — en second lieu, croire être exaucé en parlant beaucoup, s'imaginer que Dieu mesure les prières à leur longueur, et qu'il prend surtout plaisir à celles qui contiennent le plus de mots et qui résonnent le plus longtemps à ses oreilles. Ce sont là des traits de superstition et de folie que tous ceux qui portent le nom de Christ devraient bien laisser aux païens, sur lesquels n'a jamais brillé la glorieuse lumière de l'Évangile.

                   « Ne leur ressemblez donc pas ». Vous qui avez goûté la grâce de Dieu en Jésus-Christ, vous êtes pleinement persuadés que « votre Père sait ce dont vous avez besoin avant que vous le lui demandiez  » ; et le but de vos prières n'est pas de l'en instruire, mais plutôt de vous instruire vous-mêmes, de fixer plus profondément dans vos cœurs le sentiment de vos besoins et de la dépendance où vous êtes sans cesse de Lui ; ce n'est pas de l'incliner, Lui qui est toujours plus prompt à donner que vous à demander, mais plutôt de vous incliner vous-mêmes à recevoir volontiers et avec empressement les grâces qu'il vous a préparées.
 III
                    Après avoir enseigné la vraie nature et le but de la prière, notre Seigneur joint l'exemple au précepte et nous donne ici surtout comme modèle (vous donc priez ainsi) cette forme divine de prière dont ailleurs (Luc 11 : 2), il commande aussi l'usage des propres termes.
Remarquons en général : 

                    1° que cette prière contient tout ce que nous pouvons raisonnablement ou innocemment demander. De toutes les choses que nous avons besoin de demander à Dieu ou que, nous pouvons lui demander sans l'offenser, il n'en est aucune qui n'y soit directement ou indirectement comprise ; 

             2° qu'elle contient tout ce que nous pouvons raisonnablement ou innocemment désirer : tout ce qui est pour la gloire de Dieu, tout ce qui peut être nécessaire ou utile, non seulement pour nous-mêmes, mais encore pour toute créature au ciel ou sur la terre. Et, dans le fait, nos prières sont la vraie pierre de touche de nos désirs. Ce qui ne peut avoir place dans nos désirs ne doit pas non plus avoir place dans nos prières. Remarquons, en troisième lieu, qu'elle contient tous nos devoirs envers Dieu et envers les hommes, exprimant ou impliquant nécessairement tout ce qui est pur et saint, tout ce que Dieu requiert des fils des hommes, tout ce qui est agréable à ses yeux, tout ce par quoi nous pouvons être utiles à notre prochain.

                 On peut y distinguer trois parties : l'introduction ou invocation, les demandes et la doxologie ou conclusion. L'invocation « Notre Père qui es aux cieux » pose le fondement de toute prière ; car elle renferme ce qu'il nous faut savoir de Dieu pour le prier avec assurance, et elles nous indique dans quelles dispositions nous devons approcher de Dieu pour que nos prières, comme notre vie, lui soient agréables.

                   « Notre Père ». S'il est père, il est bon pour ses enfants ; il  les aime. C'est là la première, la grande raison pour prier. Dieu a la volonté de bénir : réclamons sa bénédiction. « Père », c'est-à-dire Créateur : l'auteur de notre être, qui nous tira de la poudre de la terre, qui souffla en nous une respiration de vie, et nous fûmes faits âmes vivantes. Mais, puisqu'il nous a faits, prions, il ne refusera rien de bon à l'œuvre de ses mains. « Père », c'est-à-dire Conservateur : celui qui, jour par jour, soutient la vie qu'il a donnée, dont le constant amour nous donne à cette heure, comme à chaque moment, la vie, la respiration et toutes choses. Allons donc d'autant plus hardiment à Lui et « nous obtiendrons miséricorde, nous trouverons grâce et nous serons secourus dans le temps convenable ». « Père », surtout Père de notre Seigneur Jésus-Christ et de tous ceux qui croient en Lui ; « qui nous justifie gratuitement par sa grâce, par la rédemption qui est en Jésus », qui a « effacé tous nos péchés et guéri toutes nos infirmités », qui nous a reçus pour ses enfants par adoption et par grâce ; qui, parce que nous sommes enfants, a envoyé dans nos cœurs l'Esprit de son Fils, criant Abba, Père ; qui nous a régénérés par une semence incorruptible et fait de nouvelles créatures en Jésus-Christ. C'est pourquoi nous savons qu'il nous exauce toujours ; c'est pourquoi nous le prions sans cesse. Parce que nous aimons, nous prions, et nous l'aimons « parce qu'il nous a aimés le premier ».

                    « Notre Père  » ; non pas seulement mon Père à moi qui maintenant le prie, mais notre Père, dans le sens le plus  étendu : le Dieu et « Père des esprits » de toute chair, le Père des anges et des hommes (les païens mêmes le reconnaissaient pour tel), le Père de l'univers et de toutes les familles du ciel et de la terre.

                   Il n'y a donc chez lui « aucune acception de personnes ». Il aime tous ceux qu'il a faits ». Il est bon pour tous, et ses compassions s'étendent sur toutes ses œuvres ». Et son affection, « il la met en ceux qui le craignent et qui s'attendent à sa bonté », en ceux qui se confient en Lui par « le Fils de son amour », sachant qu'ils sont acceptés dans le Bien-Aimé ». Mais si Dieu nous a ainsi aimés, aimons-nous les uns les autres, aimons tous les hommes, car « Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique afin que quiconque croit en Lui ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle ».

                 « Qui es aux cieux  » ; haut et élevé. « Dieu sur toutes choses, béni éternellement », qui de la voûte des cieux où tu es assis, contemples toutes choses au ciel et sur la terre, dont l’œil embrasse toute la sphère des êtres créés et même de la nuit incréée, « à qui sont connues de toute éternité, d'éternité en éternité, toutes tes œuvres « et toutes les œuvres de toute créature, qui contrains les armées des cieux, aussi bien que les fils des hommes, à s'écrier pleins d'admiration et d'étonnement : ô profondeur ! « profondeur des richesses de la sagesse et de la science de Dieu ! » « Qui es aux cieux », toi le « Seigneur et le Maître », qui surveilles et gouvernes toutes choses, toi le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs, le seul et bienheureux Potentat, toi qui es ceint de force pour faire tout ce qu'il te plaît, le Tout-Puissant. « Aux cieux », dans les lieux les plus hauts. Le ciel est ton trône ; c'est là surtout que réside ta gloire, mais non pas là seulement, car tu remplis le ciel et la terre, toute l'étendue de l'espace. Les cieux et la terre sont pleins de ta gloire. Gloire soit à toi, ô Dieu très-haut ! « Servons donc l'Éternel avec crainte et réjouissons-nous avec tremblement ». Soit que nous parlions, pensions ou agissions, faisons-le toujours comme sous le regard et en la présence immédiate du Seigneur notre Roi.

                    « Ton nom soit sanctifié ». Voici la prière proprement dite ; et telle est la première des six demandes dont elle se compose. Le nom de Dieu, c'est Dieu lui-même, c'est sa nature en tant qu'elle peut être révélée à l'homme. Il embrasse donc, avec son existence, tous ses parfaits attributs : son éternité particulièrement signifiée par son nom incommunicable de Jéhovah ; c'est-à-dire, comme le traduit l'apôtre Jean, « l'alpha et l'oméga, le commencement et la fin, celui qui est, qui était et qui sera  » ; son existence absolue et indépendante, exprimée par cet autre grand nom : « Je suis celui qui suis ! » sa toute-présence, et sa toute-puissance, car il est le seul principe actif du monde matériel, inerte par lui-même, et la seule source de l'activité de toutes les créatures visibles ou invisibles qui n'agissent, et même n'existent que par l'impulsion incessante de sa toute-puissance. Ce nom comprend sa sagesse, clairement établie par l'ordre divin des choses visibles ; sa trinité dans l'unité, et son unité dans la trinité, révélées dès la première ligne de la Bible (au commencement, Barah Eloïm,  (Genèse 1 : 1) littéralement, Dieux créa, un verbe au singulier avec un sujet pluriel), et confirmées par toute la suite de ses communications aux prophètes et aux apôtres ; sa pureté, sa sainteté essentielles, et, par dessus tout, son amour qui est proprement la splendeur de sa gloire ».

                    Par ces mots « que ton nom soit sanctifié » ou glorifié, nous demandons que Dieu soit reconnu tel qu'il est par tous les êtres capables de le connaître et avec les sentiments qui conviennent à cette connaissance ; en d'autres termes, qu'il soit dûment honoré, craint, aimé de tous, dans les cieux en haut et ici-bas sur la terre, par l'universalité des anges et des hommes que, dans ce but, il a créés capables de le connaître et de l'aimer pour l'éternité.

                    « Ton règne vienne ». Cette seconde demande est intimement liée à la première. Pour que le nom de Dieu soit sanctifié, nous demandons que son règne vienne. Ce règne vient pour une âme lorsqu'elle se repent et croit à l'Évangile, et lorsque Dieu lui enseigne à se connaître elle-même, puis à connaître Christ et Christ crucifié. Comme la vie éternelle, « c'est de connaître Dieu et Jésus-Christ qu'il a envoyé », de même le royaume de Dieu est commencé sur la terre et établi dans le cœur du croyant, le Seigneur Dieu tout-puissant règne, alors qu'il est connu en Jésus-Christ. Il se revêt de son pouvoir vainqueur pour se soumettre toutes choses. Il entreprend et poursuit dans l'âme son œuvre de conquête jusqu'à ce qu'il ait « tout mis sous ses pieds et amené toute pensée captive à l'obéissance de Christ ». Quand donc il donnera à son Fils « pour son héritage les nations et pour sa possession les bouts de la terre », quand tous les royaumes s'inclineront devant lui et que tous les peuples le serviront, quand la montagne de la maison de l'Éternel, l'Église de Christ, sera établie par-dessus les montagnes, quand la plénitude des Gentils y sera entrée et que tout Israël sera sauvé, alors on verra que le Seigneur est Roi et qu'il s'est revêtu de magnificence, se montrant à toute âme d'homme comme Roi des rois et Seigneur des seigneurs. Il sied à ceux qui « aiment son avènement », de prier qu'Il hâte ce temps, afin que ce règne de grâce vienne promptement absorber tous les pouvoirs terrestres, et que tous les hommes le reçoivent pour roi, croient en son nom et soient ainsi remplis de justice, de joie et de paix de sainteté et de bonheur, jusqu'à ce que d'ici-bas ils soient transportés dans son royaume céleste pour y régner avec Lui aux siècles des siècles.

                    Car lorsque nous disons « que ton règne vienne », nous avons en vue cette dernière fin, nous demandons ce royaume éternel, ce règne glorieux des cieux, qui est la suite et l'accomplissement du règne de grâce sur la terre. Et par conséquent, cette demande aussi bien que la précédente est offerte pour toutes les créatures intelligentes, qui sont toutes intéressées à ce grand avènement, à ce renouvellement final où Dieu mettant fin à la misère, au péché, aux infirmités, à la mort, ramenant tout sous son sceptre, établira le royaume qui doit durer dans tous les siècles.

                   « Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel  » ; c'est ce qui arrivera nécessairement partout où viendra le règne de Dieu, où Dieu habitera dans l'âme par la foi, où Christ régnera dans le cœur par l'amour.

                    Plusieurs, je le crois, ne voient dans ces paroles qu'une expression de résignation ou que le désir de se soumettre à la volonté de Dieu, quelle qu'elle puisse être. Et c'est là sans doute une disposition excellente, un don très précieux de la grâce. Mais ce n'est pas de cette disposition qu'il s'agit ici, au moins directement. C'est pour une conformité active bien plus que passive à sa volonté, que nous prions, quand nous disons : « Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel ».

                  Comment est-elle faite, dans le ciel, par les anges dont les choeurs joyeux environnent son trône ? Ils la font de bon cœur. Ils aiment ses commandements et prennent plaisir à ses paroles. C'est leur nourriture, leur breuvage que de lui obéir ; c'est leur gloire et leur joie. lis la font continuellement ; il n'y a pas d'interruption dans leur libre service. De nuit comme de jour et à toute heure (pour parler un langage humain, car dans l'éternité il n'est proprement question ni de jour, ni de nuit, ni d'heures), ils sont occupés sans relâche à accomplir ses commandements, à exécuter ses desseins et ses conseils. Ils la font parfaitement. Le péché leur est étranger. Il est vrai que « les étoiles ne sont pas pures devant Lui », même les « étoiles du matin qui chantent de joie en sa présence  » ; devant Lui, c'est-à-dire comparés avec Lui, les anges mêmes ne sont pas purs. Mais ce n'est pas à dire qu'ils aient en eux-mêmes quelque impureté. Non, sans doute, Ils sont au contraire sans tâche, parfaitement dévoués à sa volonté et obéissants en toutes choses.

                   En d'autres termes, on peut dire que les anges de Dieu font sa volonté toute entière, qu'ils ne font rien d'autre, rien dont ils n'aient la pleine certitude que c'est sa volonté ; que de plus, ils font ce que Dieu veut, comme il le veut, de la manière qui lui plaît et non d'une autre, enfin qu'il font sa volonté seulement parce que c'est sa volonté, c'est là la seule raison qui les fait agir ; ils n'obéissent par aucun autre motif.

                   Ainsi donc, demander « que la volonté de Dieu soit faite sur la terre comme au ciel », c'est demander que tous les habitants de la terre, que tous les membres de la famille humaine fassent la volonté de leur Père céleste aussi volontairement, aussi continuellement, aussi parfaitement que les saints anges, et que « le Dieu de paix par le sang de l'alliance éternelle les rende accomplis en toutes sortes de bonnes œuvres, pour faire sa volonté » et qu'il fasse lui-même en eux tout « ce qui lui est agréable ».

                   Ou, en d'autres termes, c'est demander que nous et tous les hommes nous fassions toute la volonté de Dieu et rien de plus, que nous la fassions de la manière qu'il veut, et qu'enfin nous fassions cette volonté parce que c'est sa volonté, sans avoir d'autre raison, d'autre motif dans tout ce que nous pouvons faire, dire ou penser.

                    « Donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien ». Ce qui précède était pour tous les hommes ; maintenant nous prions pour nos propres besoins, sans que nous devions toutefois, même en ceci, prier exclusivement pour nous-mêmes, car cette demande et chacune des suivantes peut s'appliquer à tout le corps de Christ sur la terre.

                      Par « le pain » il faut comprendre tout ce qui est nécessaire tant pour nos âmes que pour nos corps. Nous ne l'entendons pas seulement du pain matériel, ou, comme dit le Seigneur, de « la nourriture qui périt », mais bien plus encore du pain spirituel qui est la grâce de Dieu, ou « la viande permanente en vie éternelle ». Plusieurs des anciens Pères voyaient encore ici le pain de la sainte Cène, auquel participait chaque jour toute l'Église de Christ, et qui jusqu'à ce que « l'amour de plusieurs se fût refroidi », fût considéré comme le grand canal par lequel son Esprit se communique à tous les enfants de Dieu.

                    « Notre pain quotidien ». Le mot grec que nous rendons par quotidien est diversement expliqué par les commentateurs : mais il paraît désigner ce qui est suffisant pour aujourd'hui et ainsi pour chaque jour successivement. C'est le sens le plus naturel et c'est ce qu'expriment les principales traductions.

                      « Donne-nous  » ; car c'est un don, une grâce et non un droit que nous réclamons. Nous ne méritons ni l'air qui nous fait vivre, ni la terre qui nous porte, ni le soleil, qui nous éclaire. Notre seul droit, nous l'avouons, c'est l'enfer. Mais Dieu nous aime d'un amour gratuit ; c'est pourquoi nous le prions de nous donner ce que nous sommes aussi incapables de produire que de mériter de sa main.

                    Non que la bonté de Dieu ou sa puissance soit pour nous un motif de rester oisifs. Il veut plutôt qu'en toutes choses nous usions d'autant d'activité et nous employions d'aussi grands efforts que si notre succès devait être l'effet naturel de notre sagesse et de notre force ; puis que nous attendions, comme n'ayant rien fait, toute bénédiction de « l'Auteur de tout don et de toute grâce excellente ».

                     « Aujourd'hui : » car nous n'avons pas à nous inquiéter du lendemain. C'est même dans ce but que notre Créateur tout sage a partagé le temps de notre vie en ces petites portions si distinctes, afin que chaque nouveau jour nous apparaisse comme le don nouveau d'une vie à consacrer à sa gloire et que chaque soirée soit pour nous comme une fin de vie au-delà de laquelle nous n'apercevions rien que l'éternité.

                    « Et pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés ». Le péché étant le seul obstacle qui empêche les bontés de Dieu de se répandre sur toute créature, nous demandons maintenant que cet obstacle soit ôté pour que nous puissions attendre de Lui avec confiance toutes sortes de biens.

                     « Nos offenses ». Le texte dit proprement nos dettes, et cette manière de désigner nos péchés est fréquente dans les Écritures, chaque péché étant pour nous comme une nouvelle dette envers Dieu, à qui nous devons déjà, pour ainsi dire, « dix mille talents ». Que pourrons-nous donc lui répondre ; s'il nous dit « Paie-moi ce que tu me dois ? » Nous avons tout dépensé, il ne nous reste rien, nous sommes tout-à-fait, insolvables. Si donc Il voulait nous traiter suivant la rigueur de sa loi et les exigences, de sa justice, il devrait commander « qu'on nous liât pieds et mains et qu'on nous livrât aux exécuteurs des tourments ».

                     Par le fait nous sommes déjà liés pieds et mains par les chaînes de nos péchés. Ce sont là, par rapport à nous-mêmes, des chaînes de fer, des entraves d'airain. Ce sont des blessures dont le monde, la chair et le diable nous ont tout meurtris et déchirés. Ce sont des maladies qui épuisent notre sang et nos forces et qui nous entraînent aux régions du sépulcre. Mais considérés comme ils le sont ici, par rapport à Dieu, ce sont des dettes immenses et sans nombre. Nous sommes insolvables. Ah ! crions donc à Lui pour qu'il nous quitte gratuitement le tout.

                  « Pardonne-nous ». L'expression du texte implique à la fois pardon et délivrance. Ces deux choses, en effet, sont dans une telle relation que si nous obtenons la première, la seconde suit d'elle-même ; si nos dettes nous sont quittées, les chaînes tombent de nos mains. Dès que par la grâce de Dieu en Christ nous recevons le pardon des péchés, nous recevons aussi une part avec ceux que sanctifie la foi en Lui. Le péché a perdu sa force. Il n'a « plus de domination sur ceux qui sont sous la grâce ». Puisqu'il « n'y a plus de condamnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ », ils sont affranchis du péché aussi bien que de la culpabilité. « La justice de la loi est accomplie en eux » et « ils ne marchent plus selon la chair, mais selon l'esprit ».

                     « Comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés ». Ici le Seigneur dit clairement à quelle condition et dans quel degré nous pouvons attendre le pardon de Dieu. Nos transgressions et péchés nous sont pardonnés si nous pardonnons, et comme nous pardonnons aux autres. Ce point est de la plus haute importance ; et notre Seigneur tient si fort à nous l'inculquer et à ce que nous ne le perdions jamais de vue, que, non content de l'avoir inséré dans la prière même, il le répète deux fois aussitôt après. « Si vous pardonnez aux hommes leurs offenses, votre Père céleste vous pardonnera aussi les vôtres ; mais si vous ne pardonnez pas aux hommes leurs offenses, votre Père ne vous pardonnera pas non plus les vôtres. (Mat 5 : 14,15) » Ou bien il vous pardonnera comme vous aurez pardonné. En sorte que s'il reste quelque malice ou quelque amertume, quelque levain d'aigreur ou de colère, si ce n'est pas du fond du cœur, clairement, pleinement, que nous pardonnons les fautes du prochain, nous restreignons d'autant le pardon des nôtres. Dieu ne peut nous pardonner pleinement, et lors même qu'il nous montre quelque degré de miséricorde, nous ne lui permettons pas « d'effacer tous nos péchés et de pardonner toutes nos iniquités ».

                    Mais s'il en est ainsi, que devient alors cette prière dans notre bouche quand nous l'offrons à Dieu sans pardonner du cœur à notre prochain ses offenses ? Ce n'est rien moins qu'un défi ouvert par lequel nous bravons ses plus terribles jugements. « Pardonne-nous comme nous pardonnons », c'est-à-dire, pour parler net : ne nous pardonne pas du tout ; ne nous fais point de grâce ! Nous désirons que tu te souviennes de nos péchés et que ta colère demeure sur nous ! Mais y pensez-vous, d'offrir à Dieu une telle prière ? Et il ne vous a pas encore jetés en enfer ! Oh ! ne le tentez pas plus longtemps ! Dés maintenant, dès cette heure, par sa grâce, pardonnez comme vous voulez qu'il vous pardonne ! Dès cette heure, aie pitié de ton compagnon de service comme Dieu a eu et veut avoir pitié de toi !

                      « Et ne nous induis point en tentation, mais délivre-nous du malin ». « Ne nous induis point en tentation ». Le mot grec traduit par tentation signifie proprement une épreuve. Tel est aussi quelquefois le sens du mot dans notre langue, quoique plus souvent il exprime la sollicitation au mal. Saint Jacques l'emploie dans les deux sens. Dans le premier, quand il dit : « Heureux l'homme qui endure la tentation, car quand il aura été éprouvé » et trouvé fidèle « il recevra la couronne de vie ». Mais il ajoute aussitôt dans le second : « Que personne ne dise, lorsqu'il est tenté, c'est Dieu qui me tente ; car, comme Dieu ne peut être tenté par aucun mal, aussi ne tente-t-il personne ; mais chacun est tenté quand il est attiré (ou entraîné loin de Dieu) et amorcé par sa propre convoitise », comme le poisson se laisse prendre par l'appât. C'est quand il est ainsi entraîné et amorcé qu'il entre proprement en tentation. C'est alors que la tentation le couvre comme une nuée et se répand sur toute son âme. Oh ! qu'il est difficile alors qu'il échappe ! C'est pourquoi nous supplions Dieu de ne pas « nous induire en tentation », c'est-à-dire, « puisqu'il ne tente personne », de ne pas souffrir que nous y soyons induits.

                     « Mais délivre-nous du malin », du méchant. C'est ainsi qu'est désigné, dans un sens particulier, le « Prince et le Dieu de ce monde », qui « agit avec puissance dans les enfants de rébellion ». Mais tous ceux qui, par la foi, sont enfants de Dieu, sont arrachés de ses mains. Il peut les attaquer et il le fera ; mais il ne saurait les vaincre, à moins qu'ils ne trahissent leurs propres âmes. Il peut les tourmenter pour un temps, mais non les détruire ; car ils ont Dieu pour eux qui ne manquera pas de « venger » à la fin « ses élus qui crient à Lui jour et nuit ». Seigneur ! quand nous sommes tentés, ne permets pas que nous entrions en tentation ! Fraie-nous toi-même une porte d'issue, de sorte que le malin ne nous touche point !

                    La conclusion de cette divine prière, communément appelée doxologie, est une action de grâces solennelle, une confession sommaire des attributs et des œuvres de Dieu, « car à Toi est le règne », la souveraineté sur toutes tes œuvres passées, présentes et futures ; car « ton royaume est un royaume éternel et ta domination est d'âge en âge « la puissance », la force par laquelle cette souveraineté s'exerce dans ton royaume éternel, par laquelle tu fais ce qu'il te plaît dans tous les lieux de ton empire ; « et la gloire », la louange que te doit toute créature pour ta puissance, pour la force de ton royaume et pour toutes les œuvres merveilleuses que tu opères depuis l'éternité et que tu opéreras toujours, « aux siècles des siècles ». Amen ! Ainsi soit-il !