jeudi 11 juin 2015

LES SERMONS DE WESLEY Sermon 14 : LA REPENTANCE CHEZ LES CROYANTS

Numérisation Yves PETRAKIAN
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(tiré du livre  LES SERMONS DE WESLEY  -1- )


Marc 1,15    (1767)

« Repentez-vous et croyez à l'Evangile ». (Matthieu 1 : 15)

                       On suppose généralement que la repentance et la foi ne sont que la porte de la religion ; qu'elles ne 
sont nécessaires qu'à l'entrée de la carrière chrétienne, quand on se met en route vers le royaume de Dieu. Et cette idée peut paraître confirmée par le grand Apôtre, lorsqu'il presse les chrétiens Hébreux de « tendre à la perfection », et leur dit de « laisser les premiers principes de la doctrine de Christ », « ne posant pas de nouveau le fondement, savoir : la repentance des oeuvres mortes et la foi en Dieu » ; — ce qui signifie tout au moins qu'ils devaient laisser comparativement de côté cette repentance et cette foi qui au commencement occupaient toutes leurs pensées, — pour courir vers le prix de la vocation céleste de Dieu en Jésus-Christ ».
                Et, sans doute, il y a une repentance et une foi qui sont plus spécialement nécessaires au commencement : une repentance qui est la conviction d'être entièrement pécheur, condamné et sans force, et qui précède la réception de ce royaume de Dieu qui, comme l'enseigne le Seigneur, est au dedans de nous » ; et une foi par laquelle nous recevons ce royaume, savoir : « la justice, la paix et la joie par le Saint-Esprit ».
                   Mais néanmoins, il y a aussi une repentance et une foi (à, prendre les mots dans un sens un peu différent) qui sont indispensables, lorsque nous avons déjà cru à l'Évangile et même à tous les degrés de la vie chrétienne, pour que nous puissions « poursuivre la course qui nous est proposée ».
                  Et cette repentance et cette foi nous sont tout aussi nécessaires pour persévérer et croître dans la grâce, que la première foi et la première repentance l'étaient pour entrer dans le royaume de Dieu.
              Mais dans quel sens devons-nous nous repentir et croire, étant déjà justifiés ? C'est une question importante et digne d'être examinée avec la plus grande attention.

I

Et, d'abord, dans quel sens devons-nous nous repentir ?

               Le mot repentance désigne fréquemment un changement intérieur, le changement de disposition du 
péché à la sainteté. Mais ici nous le prenons dans un sens tout différent, comme désignant une sorte de connaissance de nous-mêmes, par laquelle nous nous voyons pécheurs, pécheurs coupables et sans capacité par nous-mêmes pour faire le bien, quoique nous sachions bien que nous sommes enfants de Dieu.
           Il est vrai qu'aux premiers moments de notre adoption, quand nous venons de trouver la rédemption par le sang de Jésus, quand L'amour de Dieu vient d'être pour la première fois répandu dans nos cœurs, et que son royaume est établi en nous, il nous est naturel de penser que nous ne sommes plus pécheurs, que non seulement tous nos péchés sont couverts, mais qu'ils sont détruits. Comme nous ne sentons alors aucun mal dans nos cœurs, nous nous imaginons volontiers qu'il n'y en a plus.
              Il y a eu même des gens bien intentionnés qui se le sont imaginé, non seulement alors, mais toujours depuis ce moment ; s'étant persuadés que lorsqu'ils furent justifiés ils furent entièrement sanctifiés. Que dis-je ? ils ont maintenu comme règle générale qu'il en est ainsi, en dépit de l'Écriture, de la raison et de l'expérience. Ils croient sincèrement et soutiennent avec ardeur que par la justification tout péché est anéanti, et que, dès ce moment, il n'y en a plus dans le coeur du croyant, mais qu'il est entièrement pur. Mais quoique nous reconnaissions volontiers que « celui qui croit est né de Dieu » et que « celui qui est né de Dieu ne commet point le péché », nous ne pouvons pourtant accorder qu'il ne sente plus le péché au dedans : le péché ne règne plus, mais il demeure. Et la conviction de ce péché qui demeure dans le coeur est une des parties principales de cette repentance dont nous parlons maintenant.
              Il est rare, en effet, qu'il s'écoule beaucoup de temps avant que celui qui croyait tout péché disparu ne sente qu'il reste toujours de l'orgueil dans son coeur. Il est convaincu d'avoir eu de lui-même, sous plusieurs rapports, une plus haute opinion qu'il ne devait, et de s'être attribué l'honneur d'une chose reçue et de s'en être glorifié comme s'il ne l'avait pas reçue ; et pourtant il sait qu'il jouit de la faveur de Dieu. Il ne peut ni ne doit abandonner sa confiance ; et toujours le Saint-Esprit rend témoignage avec son esprit qu'il est enfant de Dieu.
              Il ne tarde pas non plus à sentir dans son coeur la propre volonté, une volonté contraire à celle de Dieu. Il faut bien que tout homme ait une volonté, aussi longtemps qu'il a une intelligence. C'est une partie essentielle de la nature humaine, comme au reste de tout être intelligent. Notre Seigneur lui-même avait une volonté humaine, car sans cela il n'aurait pas été homme. Mais sa volonté humaine était invariablement soumise à la volonté, de son Père. En tout temps, en toute occasion, et même dans l'affliction la plus profonde, il put dire : « Non ce que je veux, mais ce que tu veux ». Mais tel n'est pas toujours le cas, même pour un vrai croyant. Il sent fréquemment sa volonté s'élever plus ou moins contre celle de Dieu. Il veut, parce qu'elle plait à la nature, telle chose qui déplaît à Dieu, et il repousse, au contraire, parce que c'est pénible à la nature, ce qui est la volonté de Dieu à son égard. Il est vrai que, s'il persévère dans la foi, il combat de toutes ses forces cette disposition ; mais cela même suppose qu'elle existe et qu'il en a conscience.
               Mais la volonté propre est, aussi bien que l'orgueil, une sorte d'idolâtrie, et ces deux dispositions sont directement contraires à l'amour de Dieu. La même observation s'applique à l'amour du monde, que les vrais croyants sont également sujets à éprouver, et que chacun d'eux ressent plus on moins, tôt ou tard, sous une forme ou sous une autre. Lorsqu'on vient de « passer de la mort à la vie », alors, sans doute, on ne désire que Dieu. On peut dire en sincérité : « C'est vers ton nom et vers ton souvenir que tend le désir de mon âme » ; — « quel autre que toi ai-je au ciel ? voici, je n'ai pris plaisir sur la terre qu'en toi ». Mais il n'en est pas toujours ainsi. Avec le temps le croyant retrouvera, ne serait-ce que pour quelques moments, « la convoitise de la chair », on « la convoitise des yeux », ou « l'orgueil de la vie ». Et pour peu qu'il néglige de veiller et de prier, il peut même sentir des désirs impurs se ranimer ; il peut en être assailli avec violence jusqu'à ce qu'il ne lui reste presque aucune force. Il peut sentir les attraits des affections déréglées et éprouver même une forte inclination à aimer la créature plus que le Créateur, que ce soit un enfant, un père, un époux, une épouse, on l'ami « qu'il aime comme sa propre âme ». Il peut éprouver, sous mille formes, le désir des biens ou des plaisirs terrestres. Et dans la même proportion il oubliera Dieu, ne cherchant pas en Lui son bonheur et étant par conséquent « amateur des plaisirs plutôt que de Dieu ».
                S'il ne veille pas continuellement sur lui-même, il sentira renaître la « convoitise des yeux » ; la convoitise de satisfaire son imagination par quelque chose de grand, de beau ou de rare. Et de combien de manières ce désir vient assaillir notre âme ! Peut-être par de misérables riens, tels qu'un meuble, un objet de toilette, choses qui ne furent jamais destinées à satisfaire un esprit immortel. Et cependant combien ne nous est-il pas naturel, même après que nous avons « goûté les puissances du siècle à venir », de redescendre à ces désirs insensés et grossiers de choses « qui doivent périr par l'usage ! » Qu'il est difficile, même à ceux qui « savent en qui ils ont cru », de vaincre cette convoitise des yeux, en une seule de ses branches : la curiosité ; de la fouler constamment sous leurs pieds ; de ne désirer aucune chose, par le seul motif qu'elle est nouvelle !
            Et l'orgueil de la vie, que les enfants de Dieu trouvent difficile de le vaincre entièrement ! Saint Jean parait entendre par là à peu près ce que le monde appelle le « sentiment de l'honneur qui vient des hommes », le désir et l'amour de la louange, et ce qui en est inséparable, une crainte proportionnée du blâme. Celle-ci tient de près à la fausse honte, par laquelle nous rougissons de ce dont nous devrions nous glorifier. Et la fausse honte marche rarement sans la crainte des hommes qui enveloppe l'âme de mille pièges. Mais où sont les croyants, même parmi ceux qui paraissent forts dans la foi, qui ne trouvent en eux quelque chose de ces mauvais penchants ? Ils ne sont donc, eux aussi, qu'imparfaitement crucifiés au monde, car la mauvaise racine demeure encore dans leur coeur.
                 Ne sentons-nous pas également d'autres dispositions aussi contraires à l'amour du prochain que celles-là le sont à l'amour de Dieu ? La charité « ne soupçonne point le mal ». Que nous dit à cet égard notre conscience ? N'y-a-t-il jamais en nous ni jalousies, ni conjectures malignes, ni soupçons déraisonnables ou sans fondement ? Que celui qui est net à ces divers égards, jette la première pierre contre son prochain. Qui ne sent quelquefois d'autres dispositions ou mouvements intérieurs qu'il sait être contraires à l'amour fraternel ? Pas de malice, peut-être, ni de haine, nid'amertume, — mais d'envie ! surtout envers ceux qui possèdent quelque avantage réel ou supposé, que nous désirons sans pouvoir en jouir !
            N'éprouvons-nous jamais aucun ressentiment, quand nous sommes lésés ou injuriés, surtout par ceux que nous aimions particulièrement et que nous nous étions le plus empressés à aider on à obliger ?
            L'injustice ou l'ingratitude n'excitent-elles jamais en nous le moindre désir de vengeance ? le moindre désir de rendre mal pour mal, au lieu de « surmonter le mal par le bien ? » Ici également ne pouvons-nous pas voir tout ce qu'il y a encore en nous de contraire à l'amour du prochain ?
             La cupidité, dans tous les genres et à tous les degrés, est sans doute aussi contraire à cet amour qu'à l'amour de Dieu ; soit que nous désignions par là cet « amour de l'argent » qui n'est que trop souvent « la racine de tous les maux », ou, en général, le désir d'avoir plus, de posséder des biens plus considérables. Et qu'il y a peu d'enfants de Dieu qui en soient entièrement exempts ! Il est vrai qu'un grand homme, Martin Luther, avait coutume de dire qu'il « n'avait jamais eu d'avarice », — non seulement depuis sa conversion, mais même « depuis sa naissance ». Mais en ce cas je ne craindrais pas de dire qu'il serait le seul homme né de femme, (à part Celui qui était à la fois Dieu et homme) qui fût né sans cette passion. Je ne crois pas même qu'il y ait une seule âme régénérée, ayant vécu assez longtemps après sa conversion, qui ne l'ait sentie plus ou moins et plus d'une fois, surtout dans le second sens indiqué. Nous pouvons donc tenir pour vérité indubitable que la cupidité, et l'orgueil, et la propre volonté, et la colère, demeurent dans les cœurs même de ceux qui sont justifiés.
               C'est pour en avoir fait l'expérience que tant de personnes sérieuses ont cru devoir entendre la fin du septième chapitre de l'Épître aux Romains, non de ceux qui sont « sous la loi », qui sont convaincus de péché, ce qui est indubitablement la pensée de l'Apôtre, mais de ceux qui sont « sous la grâce », qui sont « justifiés gratuitement par la rédemption qui est en Christ ». Et en un sens il est certain qu'elles ont raison il reste encore, même chez ceux qui sont justifiés, un esprit en quelque mesure charnel (ainsi l'apôtre dit, même aux fidèles de Corinthe : « Vous êtes charnels » ),il reste un coeur enclin au relâchement spirituel et toujours prêt à abandonner le Dieu vivant ; un penchant à l'orgueil, à la propre volonté, à la colère, à la vengeance, à l'amour du monde, en un mot à tout mal ; une racine d'amertume qui, si elle cessait un moment d'être comprimée, bourgeonnerait aussitôt ; et même un tel abîme de corruption que nous ne pouvons le mesurer sans la vive lumière d'en haut. Et la conviction de tout le péché qui demeure ainsi dans le coeur, est la repentance qui convient à ceux qui sont justifiés.
                    Mais il nous faut être de plus convaincus que ce péché, qui demeure dans nos cœurs, s'attache à toutes nos paroles et à toutes nos actions. Et même il est à craindre que beaucoup de nos paroles ne soient pas seulement mêlées de péché, mais bien tout à fait mauvaises, car telle est, sans doute, toute conversation contraire à la charité, tout ce qui ne découle pas de l'amour fraternel, tout ce qui est en désaccord avec le grand précepte : « Ce que vous voulez que les autres vous fassent, faites-le leur aussi de même ». Tels sont les rapports, les insinuations, les médisances, les censures de personnes absentes ; car nul ne voudrait qu'on fit sur lui des rapports par derrière lorsqu'il est absent. Mais combien sont peu nombreux, même parmi les croyants, ceux qui n'ont rien à se reprocher à cet égard ; ceux qui sont fermes à observer la bonne vieille règle « de ne dire que du bien des morts et des absents ! » Et, s'ils le font, s'abstiennent-ils de même de toute vaine conversation ? Tout cela est pourtant péché est « contriste le Saint-Esprit de Dieu », et même les hommes rendront compte au jour du jugement de toute parole oiseuse qu'ils auront prononcée ».
               Mais admettons que continuellement ils « veillent et prient », en sorte qu'ils ne «tombent » pas dans cette « tentation » ; que sans cesse ils gardent leur bouche et la porte de leurs lèvres, s'étudiant à ce que tous leurs discours soient accompagnés de grâce et assaisonnés de sel, et propres à communiquer la grâce à ceux qui les entendent ; cependant, malgré toutes leurs précautions, ne se laissent-ils pas chaque jour glisser dans des conversations inutiles ? Et même,quand ils s'efforcent de parler pour Dieu, leurs discours sont-ils purs et exempts d'un mélange de
péché ? Ne trouvent-ils rien à reprendre dans leurs intentions ? Parlant pour plaire à Dieu, ne le font-ils pas en partie pour se plaire à eux-mêmes ? Parlent-ils uniquement pour obéir à Dieu, et non pour faire aussi leur propre volonté ? Ou s'ils commencent avec un « oeil simple », poursuivent-ils en regardant à Jésus, et s'entretenant avec Lui pendant tout le temps qu'ils s'entretiennent avec leur prochain ? Lorsqu'ils reprennent le péché, ne sentent-ils ni colère ni malveillance envers le pécheur ? Quand ils instruisent les ignorants, n'éprouvent-ils ni orgueil, ni préférence pour eux-mêmes ? Lorsqu'ils consolent les affligés ou qu'ils s'excitent les uns les autres à la charité et aux bonnes oeuvres, ne se louent-ils jamais intérieurement eux-mêmes en se disant : « Voilà, tu as bien parlé », ou ne découvrent-ils en eux aucun mouvement de vanité, aucun désir que les autres pensent ainsi et en prennent sujet de les avoir en plus grande estime ? En tout ceci, ou tout au moins à plusieurs de ces égards, que le péché s'attache encore aux meilleurs discours même des croyants ! En avoir la conviction, c'est encore une face de cette repentance qui convient, même à ceux qui sont justifiés.
               Et quant à leurs actions, combien de pêchés n'y voient-ils pas attachés, si leur conscience est tout à faite veillée ? Dans leur nombre, combien n'y a-t-il pas d'oeuvres qu'on ne peut ni approuver, ni même excuser, si on en juge par la parole de Dieu, bien qu'elles semblent innocentes aux yeux du monde ? N'y en a-t-il pas qu'ils savent eux-mêmes ne pas être pour la gloire de Dieu ? ou même qu'ils ont faites, sans se proposer cette gloire et sans avoir égard à Dieu ? Et parmi celles qu'ils ont faites comme devant Dieu, n'en est-il pas plusieurs dans lesquelles ils n'avaient pas en vue Dieu seul, faisant leur propre volonté au moins autant que la sienne, et cherchant ce qui leur plaît, autant et même plus que ce qui plaît à Dieu ? Et quand ils s'efforcent de faire du bien à leur prochain, ne sentent-ils pas en eux-mêmes plusieurs mauvaises dispositions ? Leurs bonnes oeuvres, comme on les appelle, ne méritent donc pas rigoureusement ce nom, puisqu'elles sont souillées d'un tel mélange de mal : telles sont leurs oeuvres de charité. Et dans leurs oeuvres de piété, n'y a-t-il pas le même mélange ? Lorsqu'ils écoutent la parole qui peut sauver leurs âmes, n'ont-ils pas souvent de ces pensées qui leur donnent lieu de craindre qu'elle ne serve à leur condamnation plutôt qu'à leur salut ? Et n'en est-il pas souvent de même lorsqu'ils s'efforcent, soit en public, soit en particulier ; d'offrir leurs prières à Dieu ? Même dans ce que le culte présente de plus solennel, dans la célébration de la Cène du Seigneur, quelles sont leurs pensées ? Leur coeurs n'errent-ils pas souvent çà et là, et ne sont-ils pas souvent remplis de telles imaginations que leur sacrifice leur paraît devoir être en abomination au Seigneur ? En sorte qu'ils ont plus de honte maintenant de leurs meilleures oeuvres qu'ils n'en avaient auparavant de leurs plus grands péchés.
                D'autre part, combien de péchés d'omission peuvent être mis à leur charge ! Nous savons ce que dit l'apôtre : « Celui-là donc pèche qui sait faire le bien et qui ne le fait pas ». Mais n'y a-t-il pas à leur connaissance des milliers d'occasions où ils auraient pu, soit pour le corps, soit pour l'âme, faire du bien à leurs ennemis, à des étrangers, à leurs frères, et où ils ne l'ont pas fait ? De combien d'omissions n'ont-ils pas été coupables dans leurs devoirs en Dieu ? Que de fois ils ont négligé la communion, l'ouïe de la parole, la prière publique ou secrète ! Tant il est vrai que les hommes les plus saints ont lieu de s'écrier comme le faisait le pieux archevêque Usher, après tant de travaux pour Dieu, et presque à son dernier soupir  « Seigneur ! pardonne-moi mes péchés d'omission ».
                Mais, outre ces omissions au dehors, ne peuvent-ils trouver au dedans d'eux-mêmes des défectuosités sans nombre ? des défectuosités de tout genre : envers Dieu ils n'ont ni l'amour, ni la crainte ; ni la confiance qu'ils devraient avoir envers le prochain ils n'ont ni l'amour qui est dû à tout enfant des hommes, ni même celui qui est dû à tout enfant de Dieu, soit à ceux qui sont éloignés, soit même à ceux avec qui ils sont immédiatement en relation. Aucune disposition sainte n'atteint chez eux le degré qu'il faudrait ; ils sont imparfaits en tout, et c'est dans le sentiment profond qu'ils ont de cette imperfection qu'ils sont prêts à s'écrier avec M. de Renty : « Je suis un champ tout couvert de ronces » ; ou avec Job : «Je suis un homme vil : je me condamne et me repens sur la poudre et la cendre                   La repentance qui convient aux enfants de Dieu renferme de plus une conviction de culpabilité. Mais ceci doit être entendu avec réserve et dans un sens particulier. Car il est certain qu'il « n'y a plus de condamnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ », qui croient en lui, et qui, par la puissance de la foi, marchent, non selon la chair, mais selon l'Esprit ». Et pourtant ils ne peuvent pas plus maintenant qu'avant d'avoir cru soutenir la stricte justice de Dieu. Celle-ci, sur tous les points que nous venons d'indiquer, les déclare encore dignes de mort, et n'était le sang expiatoire, elle prononcerait infailliblement leur sentence. Ils ont donc la conviction entière qu'ils méritent encore le châtiment, quoiqu'il soit détourné d'eux par ce moyen. Mais ici il y a, de part et d'autre, des écueils que peu de gens savent éviter. Ce sont les extrêmes opposés où se jettent la plupart des hommes, les uns se croyant condamnés quand ils ne le sont point, les autres croyant mériter d'être absous. Non, la vérité est entre deux : ils ne méritent encore, à proprement parler, que la damnation de l'enfer. Mais ce qu'ils méritent ne vient point sur eux, parce qu'ils ont un avocat auprès du Père. Sa vie, sa mort et son intercession s'interposent encore entre eux et la condamnation.
                Mais cette repentance des croyants comprend encore la conviction de leur entière impuissance. J'entends par là deux choses :

1° Que maintenant pas plus qu'avant d'être justifiés ils ne sont capables par eux-mêmes d'avoir une bonne pensée, de former un bon désir, de prononcer une bonne parole, de faire une bonne oeuvre ; qu'ils n'ont encore aucune sorte ni degré de force propre, aucun pouvoir de faire le bien, ni de résister au mal ; aucune capacité de vaincre le monde, le diable ou leur mauvaise nature, ni même d'y résister. Ils peuvent, sans doute, faire tout cela ; mais ce n'est point par leur propre force. Ils ont le pouvoir de surmonter ces divers ennemis, car « le péché n'a plus domination sur eux » ; mais cela ne vient pas même en partie de leur nature; c'est un pur don de Dieu et qui leur est donné, non pas tout à la fois, comme une provision suffisante pour beaucoup d'années, mais de moment en moment.

2° Par cette impuissance, j'entends aussi une incapacité absolue de nous délivrer de cette culpabilité dont nous avons encore conscience, et qui fait que nous mettons encore le châtiment du péché ; j'entends aussi l'incapacité de faire disparaître, je ne dirai plus par nous-mêmes, mais par ce degré même de grâce que nous avons, soit la volonté propre, l'amour du monde, la colère, et, en général, le penchant à abandonner Dieu, que nous savons par expérience demeurer encore même chez les régénérés ; soit le mal qui, malgré tous nos efforts, s'attache à toutes nos paroles et à toutes nos actions. Joigniez-y l'entière incapacité d'éviter toujours des discours sans charité, et surtout sans profit, de nous garder des péchés d'omission, et de suppléer à ce qui nous manque en toutes choses, surtout au défaut d'amour et à l'imperfection des autres dispositions saintes et justes que nous devons avoir pour Dieu et pour les hommes.

               Si quelqu'un hésite à admettre cela et croit que la justification donne la capacité de faire disparaître ces péchés, et du coeur et de la vie, qu'il en fasse l'expérience. Qu'il essaie si, par la grâce qu'il a déjà reçue, il peut chasser l'orgueil, la volonté propre, ou, en général, la corruption innée. Qu'il essaie s'il peut rendre ses paroles et ses actions pures de tout mélange de mal ; s'il peut éviter toute conversation sans charité et sans profit, et tout péché d'omission, et s'il peut enfin suppléer aux nombreuses défectuosités qu'il trouve encore en lui-même. Que, sans se laisser décourager par un ou deux essais infructueux, il répète et répète sans cesse l'épreuve : plus il la répétera, plus profonde deviendra sa conviction, qu'en toutes ces choses son impuissance est entière.
             Cette vérité est réellement si évidente qu'il s'en faut peu que tous les enfants de Dieu, ça et là dispersés, quoiqu'ils diffèrent sur d'autres points, ne s'accordent tous à reconnaître, que, bien que nous puissions « par l'Esprit mortifier les oeuvres du corps », combattre et vaincre le péché, tant intérieur qu'extérieur ; bien que nous puissions affaiblir de jour en jour nos ennemis, nous ne pouvons cependant les expulser. Quelle que soit la grâce donnée dans la justification, nous ne pouvons par elle les extirper. Pour tant que nous puissions veiller et prier, nous ne pouvons purifier entièrement nos cœurs ni nos mains. Non, sans doute, nous ne le pouvons, jusqu'à ce qu'il plaise à Notre Seigneur de parler encore à notre coeur, de lui dire pour la seconde fois : « Je le veux, sois nettoyé » ; alors seulement la lèpre disparaît ; alors seulement la mauvaise racine, le sens charnel est détruit, alors la corruption innée n'existe plus. Mais s'il n'y a pas de second changement, de délivrance instantanée après la justification, s'il n'y a pas autre chose qu'une oeuvre graduelle de Dieu (oeuvre que personne ne conteste), alors il faut, bon gré mal gré, nous résigner à rester pleins de souillures jusqu'à la mort, et, dès lors, à rester jusqu'à la mort coupables et dignes de châtiment.
              Car il est impossible que cette culpabilité cesse de peser sur nous aussi longtemps que le péché demeure ainsi dans notre coeur et s'attache à nos paroles et à nos actions, mais plutôt, selon la rigueur de la justice, chaque pensée, chaque parole, chaque acte nouveau en augmente le poids.

II

              Voilà dans quel sens nous devons nous repentir, après que nous sommes justifiés. Et sans cette repentance nous ne pouvons avancer. Car notre mal n'est guérissable que si nous le sentons. Mais si nous avons cette repentance, alors nous sommes appelés à «croire à l'Évangile ».
             Ce commandement aussi doit être pris dans un sens particulier, différent de celui dans lequel on croit pour la justification. Croyez la bonne nouvelle de ce grand salut que Dieu a préparé pour tous les peuples. Croyez que Celui qui est « la splendeur de la gloire du Père, et l'image empreinte de sa personne, « peut sauver parfaitement ceux qui s'approchent de Dieu par Lui ». Il est capable de vous sauver de tout le péché qui demeure encore dans votre coeur. Il est capable de vous sauver de tout le péché qui s'attache à toutes vos paroles et actions. Il est capable de vous sauver des péchés d'omission et de perfectionner en vous ce qui est défectueux. Il est vrai que quant à l'homme c'est impossible ; mais quant à l'Homme-Dieu toutes choses sont possibles. Car qu'y a-t-il de trop difficile pour Celui à qui « toute puissance est donnée dans le ciel et sur la terre ? » Il est vrai qu'il ne nous suffit pas de savoir qu'il le peut faire : pour croire qu'il veut le faire, qu'il veut manifester ainsi son pouvoir, il faut qu'il l'ait promis. Mais il l'a promis ; il l'a promis surabondamment et dans les termes les plus forts. Il nous a donné ces « grandes et précieuses promesses » , soit dans l'Ancien, soit dans le Nouveau Testament. Ainsi dans la Loi, la partie la plus ancienne. des oracles de Dieu, nous lisons : « Le Seigneur ton Dieu circoncira ton coeur et le coeur de ta postérité, afin que tu aimes l'Éternel ton Dieu de tout ton coeur et de toute ton âme (Deutéronome 30 : 6) ».
                 Ainsi dans les Psaumes : « Il rachètera Israël » — l'Israël de Dieu — « de toutes ses iniquités ». Ainsi dans le Prophète : « Je répandrai sur vous des eaux pures et vous serez nettoyés ; je vous nettoierai de toutes vos souillures et de tous vos dieux infâmes. — Je mettrai mon Esprit au dedans de vous et je ferai que vous marcherez dans mes statuts et les pratiquerez. Je vous délivrerai de toutes vos souillures (Ézéchiel 36 : 25-29) ». Ainsi, enfin, dans le Nouveau Testament : « Béni Soit le Seigneur, le Dieu d'Israël, de ce qu'il a visité et racheté son peuple, et de ce qu'il nous a suscité un puissant Sauveur — selon le serment qu'il avait fait à Abraham notre père, de nous accorder qu'après avoir été délivrés de la main de nos ennemis, nous le servirions sans crainte, en sainteté et en justice, devant Lui, tous les jours de notre vie (Lu 1 : 68 et suivants.) ».
                Vous êtes donc bien fondés à croire, non seulement qu'il peut, mais encore qu'il veut faire ces choses ; qu'il veut vous nettoyer de toute souillure, de la chair et de l'esprit, qu'il veut « vous délivrer de toutes vos souillures ». C'est après cette grâce que vous soupirez maintenant ; c'est de cette foi que vous avez maintenant besoin. J'ai besoin de croire, que le grand médecin, l'ami de mon âme, a bien la volonté de me rendre net. Mais quand veut-il le faire ? Aujourd'hui ou demain ? Laissons-le répondre lui-même : «Aujourd'hui ; si vous entendez » ma « voix n'endurcissez pas votre coeur ». Si vous renvoyez à demain, vous endurcissez vos cœurs, vous refusez d'entendre sa voix.
           Croyez donc qu'il a la volonté de vous délivrer aujourd'hui. Il veut vous délivrer maintenant. « C'est maintenant le temps favorable », c'est maintenant, qu'il dit : « Sois nettoyé ! » Croyez seulement et vous ne manquerez pas d'éprouver aussitôt que « toutes choses sont possibles pour celui qui croit ».
              Continue à croire en Celui qui t'a aimé et s'est donné pour toi, en Celui qui « porta tes péchés en son corps sur le bois » ; et il continuera à te sauver de toute condamnation par l'application non interrompue de son sang expiatoire. C'est ainsi que nous nous maintenons justifiés. Et si marchant « de foi en foi », nous croyons pour être nettoyés de la corruption innée, pour être délivrés de toutes nos souillures, nous sommes pareillement délivrés de toute cette culpabilité que nous sentions auparavant. En sorte que nous pouvons dire non seulement : Seigneur, il me faut constamment la vertu de ton sang ; mais encore dans la pleine assurance de la foi ; Seigneur, j'éprouve constamment la vertu de ton sang ! Car, par cette foi sans cesse renouvelée en sa vie, en sa mort, en son intercession, nous sommes, de tous points, nettoyés, et non seulement nous ne sommes plus sous la condamnation, mais nous ne la méritons plus comme auparavant, car le Seigneur purifie et nos cœurs et nos actions.
              Par cette même foi nous sentons toujours reposer sur nous ce pouvoir de Christ par lequel seul nous sommes ce que nous sommes, qui nous rend capables de persévérer dans la vie spirituelle et sans lequel, quelque saints que nous soyons dans un moment donné, nous serions l'instant d'après, des démons. Mais aussi longtemps que nous retenons notre foi en Lui, « nous puisons des eaux, avec joie, aux sources de cette délivrance ». Appuyés sur notre Bien-Aimé, sur Christ qui est en nous l'espérance de la gloire, qui habite dans nos cœurs par la foi, et il qui toujours intercède pour nous à la droite de Dieu, nous recevons son secours pour penser, dire, faire les choses qui lui sont agréables. C'est ainsi que dans toutes leurs oeuvres, il vient au-devant de ceux qui croient en Lui, et les fait avancer par son constant secours, en sorte que c'est en Lui qu'est le commencement, la continuation et la fin de tous leurs desseins, de tous leurs discours, de toutes leurs actions. C'est ainsi que par la communication de son Esprit, il purifie les pensées de leurs cœurs, afin qu'ils puissent l'aimer d'un amour parfait et glorifier dignement son saint nom.
                C'est ainsi que, chez les enfants de Dieu, la repentance et la foi se correspondent l'une à l'autre. Par la repentance nous sentons que le péché demeure dans nos coeurs et s'attache à nos paroles et à nos actions par la foi nous recevons le pouvoir de Dieu en Christ qui purifie nos cœurs et nos mains. Par la repentance, nous nous voyons encore dignes de châtiment pour toutes nos dispositions, paroles et actions : par la foi, nous savons que notre « avocat auprès du Père ne cesse de plaider pour nous, et qu'il éloigne ainsi de nous, sans cesse, la condamnation et le châtiment. Par la repentance, nous avons la conviction permanente de notre incapacité pour le bien ; par la foi, nous obtenons non seulement la miséricorde, mais la « grâce pour être secourus dans le temps convenable ». La repentance repousse jusqu'à la possibilité d'un autre secours ; la foi accepte tout le secours nécessaire de Celui qui a « toute puissance dans le ciel et sur la terre ! » La repentance dit : « Sans lui je ne puis rien » ; la foi dit : « Je puis toutes choses par Christ qui me fortifie ». Par lui je puis non seulement vaincre, mais expulser tous les ennemis de mon âme.
                Par lui je puis « aimer le Seigneur mon Dieu, de tout mon coeur, de toute mon âme, de toute ma pensée et de toutes mes forces » ; Je puis marcher dans la sainteté et dans la justice devant Lui tous les jours de ma vie.

III

De ce qui précède, nous pouvons aisément conclure :

              1. Combien est pernicieuse l'opinion que dès que nous sommes justifiés nous sommes entièrement saints et que nos cœurs sont dès lors purifiés de tout péché. Nous sommes alors, il est vrai, délivrés, ainsi qu'il a été dit, de la domination extérieure du péché, et la puissance du péché intérieur est même brisée de telle sorte que nous ne sommes plus du tout obligés ni de le suivre, ni de lui obéir ; mais il n'est point vrai que le péché intérieur soit dès lors totalement détruit, que l'orgueil, la volonté propre, la colère, l'amour du monde n'aient plus de racine dans le coeur, ou que l'affection charnelle et le penchant du coeur à s'éloigner de Dieu soient extirpés. Supposer le contraire n'est pas non plus, comme on pourrait croire, une erreur innocente et inoffensive. Non, elle fait un mal immense ; elle rend tout changement ultérieur impossible ; car évidemment ceux qui sont en santé n'ont pas besoin de médecin, mais ceux qui se portent mal. Si donc nous croyons être déjà tout à fait guéris, il n'y a pas lieu de chercher une plus complète guérison. Dans cette supposition il serait absurde d'attendre aucune autre délivrance du péché, soit graduelle, soit instantanée.

                Au contraire, la conviction profonde que nous ne sommes pas encore entièrement guéris, que nos cœurs ne sont pas tout à fait purs, qu'il y a encore en nous des sentiments charnels qui, de leur nature, sont inimitié contre Dieu, et que le corps du péché est encore là, tout entier, affaibli mais non détruit, cette conviction ne permet aucun doute sur l'absolue nécessité d'un changement plus complet. J'accorde sans doute que, dès l'instant que nous sommes justifiés, nous sommes nés de nouveau : dès cet instant nous expérimentons au dedans ce que l'Écriture appelle « un passage des ténèbres à la lumière », — de l'image de la brute et du diable à l'image de Dieu, —des sentiments terrestres, sensuels et diaboliques  aux sentiments qui étaient en Jésus-Christ. Mais sommes-nous dès lors entièrement changés ? Sommes-nous complètement transformés à l'image de Celui qui nous a créés ? Bien loin de là ! Il y a toujours en nous un abîme de péché, nous le sentons, et c'est ce qui nous presse de chercher avec larmes une entière délivrance auprès de Celui qui est puissant pour sauver. De là vient que ceux d'entre les croyants qui n'ont pas la conviction de leur profonde corruption ou qui n'en ont qu'une conviction légère et doctrinale ont peu de souci de leur entière sanctification. Il se peut qu'ils admettent un tel changement pour le moment de la mort ou pour une époque antérieure qu'ils ne sauraient fixer. Mais ils ne souffrent guère d'en être privés ; ils n'en sont ni affamés, ni altérés. Ils ne sauraient l'être, jusqu'à ce qu'ils se repentent dans le sens que j'ai indiqué, jusqu'à ce que Dieu leur dévoile la face du monstre qu'ils cachent en leur sein, et leur montre l'état réel de leur âme. Alors seulement, sentant leur fardeau, ils soupireront après la délivrance. Alors, et seulement alors, ils s'écrieront dans l'angoisse de leur âme :
Brise les liens du péché
Et mets mon âme en liberté !
Il n'y a de vrai repos pour moi
Que dans la pureté d'un esprit tout à toi !

            2. Une seconde conclusion à tirer de nos réflexions, c'est qu'une profonde conviction de notre démérite et même, dans un certain sens, de notre coulpe, dans l'état de justification, est absolument nécessaire pour nous faire apprécier toute la valeur du sang expiatoire, pour nous faire sentir qu'après, comme avant la justification, nous en avons le plus grand besoin. Sans cela nous ne pouvons regarder le sang de l'alliance que comme une chose commune dont nous n'avons pas maintenant grand besoin, tous nos péchés passés étant effacés. Oui, mais si notre coeur est encore impur, aussi bien que notre vie, il en résulte pour nous une espèce de culpabilité toujours nouvelle qui nous exposerait à chaque instant à une nouvelle condamnation, si nous ne pouvions dire de notre Rédempteur  :

Il vit toujours aux cieux
Pour plaider notre cause,
Par son sang précieux.

Il y a dans les paroles qui suivent une forte expression de la repentance des croyants et de la foi qui doit en être inséparable : En moi chaque souffle est péché ; je ne fais point ta volonté ici-bas comme les anges dans le ciel.
              Mais la source demeure toujours ouverte ; je m'y lave les pieds, le coeur, les mains, jusqu'à ce que je sois rendu accompli dans l'amour ».

              3. Enfin une dernière conclusion, c'est qu'une conviction profonde de notre extrême impuissance, de notre extrême incapacité pour retenir ce que nous avons reçu, et plus encore pour nous délivrer nous-mêmes de ce monde d'iniquité qui demeure dans nos cœurs et dans nos actions, peut seule nous enseigner à vivre véritablement de la foi en Christ, non seulement comme étant notre sacrificateur, mais aussi comme notre roi. C'est ce qui nous dispose réellement à « l'exalter », à « rendre toute gloire à sa grâce, à « le recevoir comme un vrai Christ, un parfait Sauveur, et à poser en réalité la couronne royale sur sa tête ».
                Belles paroles ! qui n'ont que peu ou point de sens dans bien des bouches, mais qui s'accomplissent dans toute leur force et leur profondeur, lorsqu'ainsi nous sortons, en quelque sorte, de nous-mêmes, pour ne plus vivre que de sa vie ; lorsque nous rentrons nous-mêmes dans le néant, pour qu'il soit « tout en tout ». Sa grâce toute puissante ayant alors détruit « toute hauteur qui s'élève contre lui, il s'ensuit que toute disposition, toute pensée, toute parole, toute action est amenée « captive » et soumise à « l'obéissance de Christ ».





mercredi 10 juin 2015

LES SERMONS DE WESLEY Sermon 13 : LE PÉCHÉ DANS LES CROYANTS

Numérisation Yves PETRAKIAN
Copie autorisée pour diffusion gratuite uniquement
Obligation d'indiquer la source http://456-bible.123-bible.com

(tiré du livre  LES SERMONS DE WESLEY  -1-


2 Corinthiens 5,17   (1763)

« Si quelqu'un est en Christ, il est une nouvelle créature ». (2Corinthiens 5 : 17)

I

                         Y a-t-il donc du péché dans celui qui est en Christ ? Le péché reste-t-il dans l'âme qui croit en Lui ? Y 
en a-t-il encore quelque mesure en ceux qui sont nés de Dieu, ou en sont-ils tout-à-fait délivrés ?
                  Que personne ne s'imagine que ce soit là une question curieuse dont la décision, dans un sens ou dans un autre, importe peu. C'est, au contraire, pour tout chrétien sérieux, un point de la plus haute importance, dont la résolution intéresse de près son bonheur présent et éternel. Je ne sache pas cependant que cette question ait été controversée dans l'Église primitive. Au fait, tous les chrétiens étaient d'accord sur ce point, et il n'y avait pas lieu à controverse. Autant que j'ai pu m'en assurer, le corps entier des anciens écrivains chrétiens déclare d'une commune voix que même ceux qui croient en Christ, tant qu'ils n'ont pas été rendus « forts dans le Seigneur et dans la puissance de sa force », ont à combattre contre la chair et le sang, contre une nature mauvaise, aussi bien que contre les principautés et les puissances.
                           Et en ceci, l'Église anglicane (comme au reste presque toujours), répète le langage de l'Église primitive ; elle déclare dans son 9e article : « le péché originel, en chacun de nous, est la corruption de nature, par laquelle tout homme est enclin au mal, les désirs de la chair étant contraires à ceux de l'Esprit. Et ce vice de nature demeure, même chez ceux qui sont régénérés, ce qui fait que « l'affection de la chair ne se soumet point à la loi de Dieu », et bien qu'il n'y ait « plus de condamnation pour les croyants, cette affection ou convoitise a par elle-même la nature du péché ».
                        C'est aussi le témoignage unanime des autres Églises, non seulement de l'Église grecque et de l'Église romaine, mais des Églises réformées d'Europe, de toute dénomination. Plusieurs d'entre elles semblent même exagérer la chose, décrivant la corruption du coeur chez le croyant comme si, loin de la dominer, il en était plutôt l'esclave, et par là, elles détruisent presque toute distinction entre l'incrédule et le croyant. Pour éviter cet extrême, plusieurs hommes bien intentionnés et particulièrement les disciples du comte de Zinzendorf, se jetèrent dans l'extrême opposé, affirmant « que tout vrai croyant est délivré non seulement de la domination du péché, mais encore de la présence du péché, tant intérieur qu'extérieur, en sorte qu'il n'en reste plus en lui » ; et, par leur moyen, il y a environ vingt ans, plusieurs de nos compatriotes adoptèrent cette opinion, que chez le croyant la corruption naturelle n'existe plus.
                        Il est vrai que les Moraves d'Allemagne, pressés sur cet article, accordèrent bientôt (au moins plusieurs d'entre eux), que le péché est encore dans la chair, n'en récusant l'existence que pour le coeur du croyant ; il est vrai aussi que l'absurdité de cette opinion leur ayant été démontrée, ils y renoncèrent au bout d'un certain temps, admettant que le péché, quoiqu'il n'ait plus de domination, demeure encore chez celui qui est né de Dieu. Mais ceux d'Angleterre qui l'avaient reçue d'eux (soit directement, soit de seconde ou de troisième main), ne se laissèrent pas si aisément arracher une opinion favorite, et lors même que le plus grand nombre eut reconnu qu'elle était insoutenable, il y en eut qui ne purent consentir à l'abandonner, et ils la soutiennent encore aujourd'hui.

II

                        Pour l'amour de ceux qui craignent vraiment Dieu et qui désirent connaître la vérité telle qu'elle est 
en Jésus, il est à propos de considérer ce point avec calme et impartialité. Dans cet examen j'emploierai indifféremment les mots régénérés, justifiés ou croyants ; car s'ils ne sont pas entièrement synonymes (le premier désignant un changement intérieur, effectif, le second un changement relatif, et le troisième le moyen par lequel ces deux changements s'opèrent), ils reviennent pourtant à un même sens, puisqu'on est justifié et né de Dieu dès l'instant qu'on est croyant.
                Par le péché, j'entends ici le péché intérieur, toute passion, affection ou disposition coupable : ainsi l'orgueil, la volonté propre, l'amour du monde, quel qu'en soit le genre ou le degré ; ainsi la convoitise, la colère, la mauvaise humeur, en un mot, toute disposition contraire aux sentiments qui étaient en Jésus-Christ.
                         Il ne s'agit pas du péché extérieur, ni de savoir si un enfant de Dieu commet ou ne commet pas le péché. Nous sommes tous d'accord à reconnaître et à soutenir fermement que celui qui commet le péché est du diable. Nous reconnaissons tous que celui, qui est né de Dieu ne commet pas le péché. Il ne s'agit pas non plus, pour le moment, de savoir si le péché intérieur doit toujours demeurer chez les enfants de Dieu et rester attaché à l'âme aussi longtemps qu'elle est attachée au corps, ni même si les justifiés peuvent retomber dans le péché, soit intérieur, soit extérieur ; la question est simplement celle-ci : un homme justifié ou régénéré est-il affranchi de tout péché dès le moment de sa justification ? N'y a-t-il dès lors, aucun péché dans son coeur ? — ni alors, ni dans la suite, à moins qu'il ne déchoie de la grâce ?
                       Nous reconnaissons que l'état d'un homme justifié est grand et glorieux, au-dessus de toute expression ; né de nouveau, « non du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l'homme, mais de Dieu », il est enfant de Dieu, membre de Christ, héritier du royaume des cieux. « La paix de Dieu, qui surpasse toute intelligence, garde son coeur et son esprit en Jésus-Christ ». Son corps même est « le temple du Saint-Esprit, l'habitation de Dieu en esprit ». Il « est créé de nouveau en Jésus-Christ », il est lavé, sanctifié, son coeur est purifié par la foi, il est nettoyé de la corruption qui règne dans le monde ; et « l'amour de Dieu y est répandu par le Saint-Esprit qui lui a été donné ». Et tant qu'il « marche dans la charité » (ce qu'il peut faire toujours), il adore Dieu « en esprit et en vérité ». Il garde les commandements de Dieu et fait les choses qui lui sont agréables », travaillant à avoir une conscience sans reproche devant Dieu et devant les hommes » ; et dès l'instant de sa justification, il a domination sur le péché, tant intérieur qu'extérieur.

III

                       « Mais n'a-t-il donc pas été dès lors affranchi de tout péché, en sorte qu'il n'en existe plus dans son 
coeur ? » — Je ne dis point cela et je ne puis le croire, car saint Paul dit le contraire. C'est à des croyants qu'il parle, c'est l'état des croyants en général qu'il décrit, quand il dit : « la chair convoite contre l'esprit et l'esprit contre la chair, et ces deux choses sont contraires l'une à l'autre (Galates 5 : 17) ». Rien de plus précis. L'apôtre affirme ici directement que la chair ; la mauvaise nature s'oppose à l'esprit, même chez les croyants; qu'il y a même chez les régénérés deux principes opposés.
                         Bien plus, écrivant à Corinthe « à des croyants sanctifiés en Jésus-Christ (1Corinthiens 1 : 2), il leur dit. « Pour moi mes frères, je n'ai pu vous parler comme à des hommes spirituels, mais comme à des hommes charnels, comme à des enfants en Christ.. ». Vous êtes encore charnels, « car puisqu'il y a parmi vous de l'envie, des dissensions et des partis, n'êtes-vous pas charnels (1Corinthiens 3 : 1-3)
                        Eh bien ! l'apôtre parle ici, sans nul doute, à des croyants que, dans la même phrase, il appelle ses frères en Christ, comme étant encore, en quelque, mesure, charnels. Il affirme qu'il y avait, parmi eux, de l'envie et, par suite, des dissensions, sans dire le moins du monde qu'ils eussent perdu leur foi ; il dit même ouvertement le contraire, en les appelant des enfants en Christ. Et (remarquons particulièrement ceci), être un enfant en Christ est pour lui, dans cet endroit, synonyme d'être charnel ; d'où il paraît clairement que tout croyant est, en quelque mesure, charnel, aussi longtemps qu'il n'est qu'un enfant en Christ.
                          Ce fait important qu'il y a dans les croyants deux principes contraires — la nature et la grâce, la chair et l'esprit, ressort, en réalité, de toutes les Épîtres de saint Paul, et même de toutes les Saintes-Écritures ; presque toutes les directions et les exhortations qu'elles contiennent le supposent ; car elles sont toutes relatives à des dispositions ou pratiques répréhensibles existant encore chez ceux que les écrivains inspirés reconnaissent néanmoins pour croyants. Et la parole de Dieu les exhorte continuellement à les combattre et à les surmonter par le pouvoir de la foi qui est en eux.
                    Et qui peut douter que l'ange de l'Église d’Éphèse n'eût la foi quand le Seigneur lui disait : « Je connais tes oeuvres, ton travail et ta patience ;... que tu as souffert, que tu as travaillé pour mon nom, et ne t'es point découragé (Apocalypse 2 : 2-4) ? » Et pourtant n'y avait-il point de péché dans son coeur ? Il y en avait, car sans cela Christ n'aurait pas ajouté : « Mais j'ai quelque chose contre toi ; c'est que tu as abandonné ta première charité ». C'était un péché réel que Dieu voyait dans son coeur, et dont, conséquemment, il est appelé à se repentir ; et pourtant nous n'avons pas le droit de dire qu'il n'eût pas la foi, même dans ce moment là.
                          Non, car écrivant à l'ange de l'Église de Pergame, il l'exhorte, lui aussi, à se repentir, ce qui suppose le péché, quoique le Seigneur lui dise expressément « Tu n'as point renié ta foi ; (Apocalypse 2 : 13-16) » et il dit à l'ange de l'Eglise de Sardes : « Affermis le reste qui s'en va mourir (Apocalypse 3 : 2) ». Le bien qui restait, s'en allait mourir, mais n'était pas encore mort. Il y avait donc toujours même en lui une étincelle de foi, et c'est pourquoi le Seigneur lui commande de garder ce qu'il a reçu (Apocalypse 3 : 3).
                        Enfin lorsque l'apôtre presse des croyants de « se nettoyer de toute souillure de la chair et de l'esprit (2 Corinthiens 7 : 1) », il montre clairement que ces croyants n'en étaient pas encore nettoyés.
                   Répondra-t-on que celui qui s'abstient de toute apparence de mal, se nettoie ainsi par le fait, de toute souillure ? Mais cela n'est point. Ainsi un homme m'insulte : j'éprouve du ressentiment, ce qui est une souillure d'esprit ; mais je ne dis mot. Je m'abstiens donc en ceci de toute apparence de mal, mais cela n'ôte point la souillure d'esprit. J'en fais la douloureuse expérience.
                   Et si cette thèse : « il n'y a chez le croyant ni péché ni affection charnelle, ni penchant aux rechutes », est ainsi contraire à la parole de Dieu, elle ne l'est pas moins à l'expérience de ses enfants. Ceux-ci trouvent en eux continuellement un coeur enclin à retourner en arrière, une tendance au mal, un penchant naturel à abandonner Dieu pour s'attacher aux choses de la terre.
               Chaque jour ils s'aperçoivent que l'orgueil, la volonté propre, l'incrédulité, demeurent dans leur coeur et que le péché s'attache à tout ce qu'ils disent et font, et même à leurs actions les meilleures et les plus saintes. Mais ils savent, en même temps, qu'ils sont de Dieu ; ils ne peuvent en douter, même un moment. Ils sentent clairement que «l'Esprit rend témoignage avec leur esprit qu'ils sont enfants de Dieu ». Ils se réjouissent en Dieu par Jésus-Christ, par qui ils ont maintenant reçu la réconciliation. En sorte qu'ils ont une égale assurance que le péché est en eux, et que « Christ est en eux, l'espérance de la gloire ».
                      « Mais Christ peut-il être dans un coeur où est le péché ? » Il le peut ; car sans cela le péché ne pourrait en être chassé. Où est la maladie, on trouve le médecin, poursuivant son oeuvre, travaillant à la guérison du mal, à l'expulsion du péché. Christ ne peut, sans doute, régner là où le péché règne, ni demeurer où un péché, quelconque est accueilli. Mais il est et demeure dans le coeur de tout croyant qui combat contre tout péché, quoique n'étant pas encore complètement purifié.
                        J'ai déjà dit que la doctrine opposée, savoir qu'il n'y a point de péché chez les croyants, — est tout-à-fait nouvelle dans l'Église de Christ, qu'on n'en a jamais ouï parler pendant dix-sept siècles, jamais jusqu'à ce que le, comte de Zinzendorf l'eût découverte. Je ne me souviens pas d'en avoir trouvé la moindre trace dans aucun écrit ancien ou moderne, si ce n'est peut-être chez quelqu'un des plus extravagants antinomiens. Ceux-ci, d'ailleurs, se contredisent eux-mêmes, reconnaissant qu'il y a du péché dans leur chair, quoi qu'il n'y en ait pas dans leur coeur. Mais toute doctrine nouvelle est nécessairement fausse, car il n'y a de vraie religion que l'ancienne, et pour être fidèle, il faut qu'un enseignement reproduise « ce qui était dès le commencement ».
                        Un dernier argument contre cette doctrine nouvelle et antiscripturaire est celui qui résulte de ses effrayantes conséquences. Si quelqu'un me dit : « J'ai éprouvé aujourd'hui de la colère » ; dois-je répondre : Alors vous n'avez pas la foi ? Un autre dira : « je sais que votre conseil est bon, mais ma volonté y est contraire » ; lui dirai-je : « Vous êtes donc un incrédule, vous êtes sous la colère et la malédiction de Dieu ? Qu'arrivera-t-il ? c'est que s'il me croit sur parole, son âme sera non seulement blessée et effrayée, mais peut-être même entièrement perdue ; car il aura « abandonné cette confiance qui doit avoir une grande récompense », et comment, ayant jeté son bouclier, pourrait-il « éteindre les dards enflammés du malin ? » , Comment vaincrait-il le monde, puisque la « victoire par laquelle le monde est vaincu c'est notre foi ? » Le voilà au milieu de ses ennemis, exposé sans armes à tous leurs assauts ? Faudra-t-il s'étonner s'il est entièrement renversé et s'il est emmené captif pour faire la volonté du démon ; — s'il tombe même d'impiété en impiété et ne voit plus jamais le bien ? Il m'est donc impossible d'admettre cette assertion, qu'il n'y a plus de pêché dans le croyant dès l'instant qu'il est justifié ; 
car 
1° elle est contraire à tout l'enseignement des Écritures ;
2° elle est contraire à l'expérience des enfants de Dieu ; 
3° elle est absolument nouvelle et née d'hier ; 
et 
4° enfin, elle est accompagnée des plus funestes conséquences, puisqu'elle n'est propre qu'à affliger ceux que Dieu n'a point affligés, et peut-être à les entraîner dans l'éternelle perdition.

IV

                        Écoutons cependant avec impartialité les principales preuves qu'avancent les partisans de cette 
doctrine. C'est d'abord par l'Écriture qu'ils essaient de prouver qu'il n'y a point de péché dans le croyant. Ils raisonnent ainsi : « l'Écriture dit de tout croyant qu'il est né de Dieu, qu'il est saint, purifié, sanctifié, qu'il a le coeur pur, qu'il a un nouveau coeur, qu'il est le temple du Saint-Esprit. De même donc que tout ce qui est né de la chair est chair, c'est-à-dire entièrement mauvais, de même ce qui est né de l'Esprit est esprit, c'est-à-dire entièrement bon. De plus, un homme ne peut être à la fois pur et impur, saint et souillé; il ne peut avoir à la fois un coeur de chair et un coeur de pierre. Son âme ne peut non plus être autrement que sainte, tant qu'elle est le temple de l'Esprit saint.
                           J'ai présenté cette objection dans toute sa force, pour qu'on en sentit bien la valeur. Examinons-la maintenant dans chacune de ses parties.
                    1° « Ce qui est né de l'Esprit est esprit, c'est-à-dire entièrement bon ». J'admets le texte, mais non le commentaire ; car le texte n'affirme qu'une chose, savoir que tout homme « né de l'Esprit » est un homme spirituel. Oui, sans doute, mais il peut l'être, sans toutefois l'être entièrement. Les chrétiens de Corinthe étaient des hommes spirituels, sans quoi ils n'auraient pas été chrétiens du tout, et pourtant ils n'étaient pas en tout spirituels, mais ils étaient en partie charnels. « Mais, objectera-t-on, ils étaient déchus de la grâce ». Saint Paul dit le contraire ; c'étaient même alors des enfants en Christ.
                          2° « Mais un homme ne peut être à la fois pur et impur, saint et souillé ». Il le peut. Tels étaient les Corinthiens. « Vous avez été lavés », leur écrit l'apôtre ; « vous avez été sanctifiés », lavés « de. la fornication, de l'idolâtrie, de l'ivrognerie (1Corinthiens 6 : 9-11) » et de tout autre péché extérieur, et pourtant, dans un autre sens, ils n'étaient pas sanctifiés, ils n'étaient nettoyés ni de l'envie, ni des mauvais soupçons, ni de la partialité.
                        3° « Mais ils n'avaient pas, sans doute, à la fois un coeur de chair et un coeur de pierre ». Au contraire, tel était indubitablement leur état, car leurs coeurs étaient renouvelés véritablement, mais non pas parfaitement. « L'affection de la chair », leur coeur charnel, déjà cloué sur la croix, n'avait pas encore expiré.
                       4° « Mais pouvaient-ils être autrement que saints, étant les temples de l'Esprit saint ? » Sans doute ; car il est indubitable qu'ils étaient les temples du Saint-Esprit (1Corinthiens 6 : 19), et, il n'est pas moins certain qu'ils étaient en quelque degré charnels, le contraire de saints.
                       Mais, ajoute-t-on, il y a un autre passage qui décide la question : « Si quelqu'un est en Christ, il est une nouvelle créature ; les choses vieilles sont passées ; voici, toutes choses sont faites nouvelles (2 Corinthiens 5 : 17) ». Un homme ne peut être à la fois créature vieille et créature nouvelle. — Oui, il le peut ; il peut n'être qu'en partie renouvelé, et c'était précisément le cas des Corinthiens. Ils étaient, sans nul doute, « renouvelés dans l'esprit de leur entendement », sans quoi ils n'eussent pas même été des enfants en Christ ; et pourtant ils n'avaient pas entièrement les sentiments qui étaient en Christ, puisqu'ils avaient de l'envie les uns contre les autres. « Mais il est dit expressément : « les choses vieilles sont passées ; toutes choses sont devenues nouvelles ». — Oui, mais il ne faut pas interpréter les paroles de l'apôtre, de manière à le mettre en contradiction avec lui-même. Et voici quel est dès lors le sens bien simple de cette expression : Si quelqu'un est en Christ, ses vieilles idées sur la justification, sur la sainteté, sur le bonheur, sur toutes les choses de Dieu, sont passées, et il en est de même de ses désirs, de ses desseins, de ses affections, de son caractère, de sa conversation. Toutes ces choses sont, incontestablement, devenues nouvelles ; elles sont très différentes de ce qu'elles étaient auparavant ; et pourtant quoique nouvelles, elles ne sont pas renouvelées entièrement. Le chrétien sent encore, avec honte et douleur, des restes trop évidents du vieil homme et de ses anciennes dispositions, quoiqu'ils ne puissent remporter la victoire sur lui, tant qu'il persévère dans la vigilance et la prière.
                          Toute cette manière d'argumenter : « Celui qui est pur est pur, celui qui est saint est saint » (sans parler de vingt expressions semblables, qu'on peut aisément accumuler), n'est rien de mieux qu'un jeu de mots ; c'est le sophisme qui consiste à conclure du particulier au général. Sous sa forme complète, l'argument revient à dire : On est saint parfaitement ou on ne l'est pas du tout ; ce raisonnement est vicieux, car tout enfant en Christ est saint, quoiqu'il ne le soit pas parfaitement. Il est délivré du péché, mais non entièrement. Le péché est vaincu en lui, mais non détruit ; il demeure, quoique détrôné.                     Si vous croyez qu'il n'existe plus (nous ne parlons que des enfants en Christ, réservant ce qui concerne les jeunes gens et les pères), vous n'avez certainement pas considéré quelle est la hauteur et la profondeur, la longueur et la largeur de la loi de Dieu (de cette loi d'amour, exposée par saint Paul dans 1 Corinthiens XIII), ni compris que toute déviation de cette loi est un péché. Mais n'y a-t-il rien qui s'écarte de cette loi dans le coeur ou dans la vie d'un croyant ?
                        Dans la vie d'un chrétien adulte, c'est une autre question ; mais il faut être bien étranger à la connaissance du coeur humain pour s'imaginer que c'est le cas de tout enfant en Christ. « Mais les croyants marchent selon l'Esprit (Romains 8 : 1), et l'Esprit de Dieu habite en eux ; ils sont, par conséquent, délivrés de la coulpe, de la puissance, et en un mot, de l'existence même du péché ».
                       Cette objection réunit comme identiques trois choses qui sont loin de l'être. La coulpe ou culpabilité est une chose, la puissance, une autre, l'existence une autre encore. Que les croyants soient délivrés de la coulpe et de la puissance du péché, nous l'accordons ; mais nous nions qu'ils soient tous délivrés de l'existence du péché. Et on ne peut l'inférer des textes cités. Un homme peut avoir l'Esprit de Dieu habitant en lui, « et marcher selon l'Esprit », quoiqu'il sente encore que sa chair a des désirs contraires à cet Esprit.

— « Mais l'Église est le corps de Christ » ; ce qui implique que ses membres sont lavés de toute 
souillure ; autrement il s'ensuivrait que Christ et Bélial sont unis en un même corps ».
— Non ; de ce que les membres du corps mystique de Christ sentent encore la lutte de la chair contre l'Esprit, il ne saurait résulter que Christ ait rien de commun avec Bélial, ni avec le péché qu'il les rend capables de combattre et de vaincre.
— « Mais les chrétiens ne sont-ils pas venus à la Jérusalem céleste, où rien d'impur ni de souillé ne peut entrer (Hébreux 12 : 22) ? »
— Oui, et « aux milliers d'anges et aux esprits des justes parvenus à la perfection » ; en un mot, la terre et le ciel sont réunis en Christ ; ils ne forment qu'une seule grande famille. Et pendant qu'ils marchent « selon l'Esprit », ils ne sont, en effet, ni impurs, ni souillés, quoiqu'ils sentent qu'il y a encore en eux un autre principe et que les deux principes sont contraires l'un à l'autre.
— « Mais les chrétiens sont réconciliés avec Dieu. Or cela ne pourrait être s'il restait quelque chose de l'affection de la chair, car elle est inimitié contre Dieu. Par conséquent, aucune réconciliation n'est possible, si ce n'est par son entière destruction ».
— Nous sommes « réconciliés avec Dieu par le sang de la croix » ; et dès ce moment l'affection de la chair, qui est inimitié contre Dieu, est mise sous nos pieds, et la chair n'a plus domination sur nous. Mais elle existe encore, et elle est encore, par, sa nature, inimitié contre Dieu, ayant des désirs contraires à ceux de l'Esprit.
— « Mais ceux qui sont à Christ ont crucifié la chair avec ses passions et ses convoitises (Galates 5 : 24) ». Il est vrai, mais elle demeure encore en eux, et souvent elle s'efforce de s'arracher de la croix. Mais n'ont-ils donc pas dépouillé le vieil homme avec ses oeuvres (Colossiens 3 : 9) ? » Sans doute, et, dans le sens expliqué plus haut, « les choses vieilles sont passées ; toutes choses sont devenues nouvelles ». On pourrait citer cent autres textes semblables, et à tous nous ferions la même. réponse. - « Mais, on ajoute, en voici un qui résume tout : « Christ s'est livré lui-même pour elle (pour l'Eglise), afin qu'elle fût sainte et sans tache (Ephésiens 5 : 25,27) ». —Oui, et elle sera telle à la fin ; mais elle ne fut encore jamais telle depuis le commencement jusqu'à ce jour,
— « Mais laissons parler l'expérience. Tous ceux qui sont justifiés se sentent alors absolument
affranchis de tout péché ». — J'en doute ; mais quand cela serait, éprouvent-ils toujours dans la suite ce parfait affranchissement ? Sans cela vous n'avez rien gagné. « S'il en est autrement, c'est par leur faute ». - C'est ce qu'il faudrait prouver.
— « Mais, d'après la nature même des choses, un homme peut-il avoir de l'orgueil sans être orgueilleux ; de la colère sans être irrité ? »
— Un homme peut avoir de l'orgueil, avoir, sur quelque point, une plus haute opinion de lui-même qu'il ne devrait et être orgueilleux en cela, sans être un homme orgueilleux dans l'ensemble de son caractère. Il peut avoir de la colère, être même fortement enclin à de furieuses colères, sans y céder. 
« Mais peut-il y avoir de l'orgueil et de la colère dans un coeur où ne se fait sentir que douceur et humilité ? » 
Non, mais il peut y avoir quelque orgueil et quelque colère dans un coeur
où il y a beaucoup de douceur et d'humilité.
— «C'est en vain que vous dites : Ces dispositions existent, mais elles n'ont pas domination ; car le péché ne peut exister, en quelque genre on degré que ce soit, sans avoir domination ; puisque la culpabilité et la puissance sont des propriétés inséparables du péché. Toutes ces choses sont donc partout où l'une d'elles se trouve ».
— Étranges assertions ! « Le, péché ne peut exister, en quelque genre ou degré que ce soit, sans avoir domination ! » Ceci contredit toute expérience, tout enseignement scripturaire, tout sens commun. Il y a du péché dans le ressentiment d'une injure ; c'est une transgression, une déviation de la loi d'amour. Ce péché a existé chez moi mille fois ; mais il n'a point eu, il n'a point domination. - « Mais la culpabilité et la puissance sont des propriétés inséparables du péché. Ces trois choses, l'existence, la coulpe et l'empire du péché sont donc à la fois partout où l'une d'elles se trouve ». - Non, dans l'exemple cité, si le ressentiment n'est pas écouté, pas même pour un moment, il n'y a aucune culpabilité, aucune condamnation. Et dans ce cas, le péché est aussi sans puissance. Bien qu'il convoite contre l'Esprit, il ne peut pas vaincre. Ici donc, comme en des milliers de cas semblables, le péché existe, mais sans puissance ni culpabilité.
— « Mais cette idée que le péché est dans le croyant est grosse des conséquences les plus terribles et les plus décourageantes. C'est supposer une lutte avec un ennemi maître de nos forces, qui maintient dans nos cœurs son usurpation, et qui y poursuit la guerre au mépris de notre Rédempteur ». 
Non ; de ce que le péché est en nous, il ne s'ensuit pas qu'il soit maître de nos forces, pas plus qu'un homme crucifié n'est maître de ceux qui l'ont attaché à la croix. Il n'en résulte
pas davantage que le péché maintient dans nos cœurs son usurpation. L'usurpateur est détrôné ; il demeure encore, il est vrai, où il régnait naguère ; mais il y demeure enchaîné. Il peut donc, en un sens, y poursuivre la guerre, mais il s'affaiblit toujours plus, tandis que le croyant va de force en force, de victoire en victoire.
— « Vous ne me persuadez pas encore. Quiconque a en lui le péché, est esclave du péché. Vous supposez donc justifié un homme qui est esclave du péché. Mais si vous accordez qu'on peut être justifié tout en ayant en soi de l'orgueil, de la colère, de l'incrédulité ; que dis-je ? si vous affirmez que tout cela est (au moins pour un temps) chez tous les justifiés, faut-il s'étonner que nous ayons tant de croyants orgueilleux, irascibles, tant de croyants incrédules ? »
— Je n'admets pas qu'aucun homme justifié soit esclave du péché ; mais j'admets que le péché demeure (au moins pour un temps) dans tous les justifiés.
— « Mais si le péché demeure dans le croyant, il est pécheur ; si c'est par l'orgueil, il est orgueilleux ; si c'est par la volonté propre, il est volontaire ; si c'est par l'incrédulité, il est
incrédule ; par conséquent, il n'est pas croyant. Comment donc le distinguer des incrédules, des non régénérés ? » Ici encore on joue sur les mots. Cela revient à dire : S'il y a en lui du péché, de l'orgueil, de la volonté propre, — il y a de la volonté propre, de l'orgueil, du péché. — Qui le nie ? Dans ce sens, il est sans doute pécheur, orgueilleux, volontaire ; mais il n'est pas orgueilleux et volontaire dans le sens dans lequel les incrédules le sont, c'est-à-dire gouverné par la volonté propre ou par l'orgueil. C'est ce qui le distingue des hommes irrégénérés. Ils obéissent au péché ; il ne le fait point. La chair est en lui comme ou eux ; mais ils marchent, eux, selon la chair, lui, selon l'Esprit.
— « Mais comment pourrait-il y avoir de l'incrédulité dans un croyant ? — Le mot incrédule a deux acceptions. Il désigne l'absence de foi, ou la faiblesse de foi. Dans le premier sens il n'y a pas d'incrédulité chez le croyant ; dans le second, il y en a chez tous ceux que l'apôtre appelle des enfants. Leur foi est d'ordinaire mêlée de doutes et de craintes, c'est-à-dire de cette seconde sorte d'incrédulité. « Pourquoi êtes vous en souci ? » dit le Seigneur, « ô gens de petite foi ». Et ailleurs : « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? » Vous voyez donc qu'il y avait de l'incrédulité chez des croyants ; un peu de foi et beaucoup d'incrédulité.
— « Mais cette doctrine, que le péché demeure dans le croyant, qu'un homme peut jouir de la faveur de Dieu, tout en ayant le péché dans son coeur, cette doctrine tend assurément à encourager le péché ». 
Non, bien comprise, cette doctrine n'entraîne point une telle conséquence. Un homme peut être dans la faveur de Dieu, quoique sentant en lui le péché, mais non pas s'il y cède. On ne perd pas cette faveur pour avoir le péché, mais bien pour y obéir. Quoique la chair « convoite » en vous contre l'Esprit, vous pouvez encore  être enfant de Dieu. Mais si «vous marchez selon la chair », vous êtes enfant du diable. Cette doctrine, loin de nous encourager à obéir au péché, nous encourage à y résister de toutes nos forces.

V

                   Maintenant résumons-nous. Il y a chez tout homme, même après sa justification, deux principes contraires, la nature et la grâce, ou, dans les termes de saint Paul, la. chair et l'esprit. De là suit que si même les enfants en Christ sont sanctifiés, ce n'est pourtant qu'en partie. Ils sont, en quelque degré, spirituels, suivant la mesure de leur foi ; mais ils sont aussi, en quelque degré charnels. C'est pourquoi les croyants sont continuellement exhortés à veiller contre la chair, aussi bien que contre le monde et le diable. Et à cela répond l'expérience constante des enfants de Dieu. Tout en ayant en eux-mêmes le témoignage de leur adoption, ils sentent une volonté qui n'est pas entièrement soumise à la volonté de Dieu. Ils savent qu'ils sont en Lui, et pourtant ils trouvent en eux un coeur prêt à se détourner de Lui, et, en plusieurs choses, un penchant au mal et de l'éloignement pour le bien. La doctrine contraire est tout-à-fait nouvelle ; jamais il n'en fut question dans l'Église depuis le temps de la venue de Christ jusqu'au temps du comte Zinzendorf, et elle produit les plus fatales conséquences. Elle supprima toute vigilance contre notre nature mauvaise, contre la Délila qu'on, nous dit avoir disparu, quoi qu'elle soit toujours là, couchée dans notre sein. Cette opinion arrache aux croyants faibles leur bouclier, les prive de leur foi, et les expose ainsi à tous les assauts du monde, de la chair et du diable.
                       Retenons donc ferme cette sainte doctrine, donnée une fois aux saints, et qu'ils ont transmise, dans les saintes Écritures, à toute la suite des générations : que si, dès l'instant que nous croyons vraiment en Christ, nous sommes renouvelés, nettoyés, purifiés, sanctifiés, nous ne sommes pourtant pas alors renouvelés, nettoyés, purifiés, sanctifiés entièrement ; mais que la chair, la nature mauvaise, quoique subjuguée demeure encore et lutte contre L'Esprit. Mais soyons d'autant plus empressés à « combattre le bon combat de la foi » ; soyons d'autant plus zélés à veiller et à prier contre cet ennemi qui est au-dedans. Prenons avec d'autant plus de soin toutes les armes de Dieu ; ne manquons pas de nous en revêtir, afin que si nous avons à combattre contre la chair et le sang, aussi bien que « contre les principautés et les puissances, et contre les esprits malins qui sont dans les airs », nous puissions pourtant « résister au mauvais jour, et après avoir tout surmonté , demeurer fermes ».