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Yves PETRAKIAN
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(tiré
du livre LES SERMONS DE WESLEY -1- )
1
Jean 3,9 (1748)
«
Quiconque est né de Dieu ne fait point le péché ». (1Jean 3 : 9)
On
a souvent supposé qu'être né de Dieu et être justifié c'est tout
un ; que les mots de justification et de nouvelle
naissance ne sont que des désignations différentes d'une seule et
même chose ; puisqu'il est certain, d'un côté, que quiconque
est justifié est aussi né de Dieu ; et de l'autre, que quiconque
est né de Dieu est aussi justifié ; et que ces deux grâces de Dieu
sont données simultanément au croyant. A l'instant où ses
péchés sont effacés, il est aussi né de nouveau.
Mais
bien qu'il soit reconnu que la justification et la nouvelle naissance
sont inséparables quant au temps, il est pourtant facile
de les distinguer et de reconnaître que ce sont deux choses
très différentes quant à leur nature. La justification
n'implique qu'un changement relatif, la nouvelle naissance
implique un changement réel. En nous justifiant, Dieu fait quelque
chose pour nous ; en nous régénérant il fait l'oeuvre en
nous. La justification change nos relations avec Lui, en sorte
que d'ennemis nous devenons enfants ; la nouvelle naissance
change le fond de notre âme, en sorte que de pécheurs nous
devenons saints. Celle-là nous rend la faveur de Dieu, celle-ci son
image. L'une ôte la coulpe, l'autre la puissance du péché :
ainsi donc, unies quant au temps, elles n'en sont pas
moins
pleinement distinctes.
Bien
des auteurs qui ont traité ce sujet sont tombés dans les idées les
plus confuses pour n'avoir pas discerné combien est
grande la différence entre la nouvelle naissance et la
justification, surtout lorsqu'ils ont voulu expliquer et définir
le grand privilège que l'apôtre attribue ici aux enfants de Dieu
:
«
Quiconque est né de Dieu ne fait point le péché ». Pour nous
faire une juste idée de ce privilège, il peut être
nécessaire de considérer :
1
° quel est le vrai sens de cette expression :
«
Quiconque est né de Dieu » ;
puis
2°
de rechercher dans quel sens l'apôtre dit : « qu'il ne fait point
le péché ».
I
Considérons
d'abord quel est le vrai sens de cette expression : « Quiconque est
né de Dieu ». L'idée générale que nous en donnent
tous les passages de l'Ecriture où elle se trouve, c'est que
cette expression ne désigne pas seulement le baptême, ou un
changement extérieur quelconque, mais qu'elle suppose un grand
changement intérieur, opéré dans l'âme par la puissance du
Saint-Esprit ; un changement dans toute notre manière d'être ;
car, du moment que nous sommes nés de Dieu, les conditions de
notre vie sont changées ; nous sommes, pour ainsi dire, dans un
monde nouveau.
Le
choix même de cette expression se comprend facilement. Quand ce
grand changement s'opère, on peut dire, à proprement
parler, que nous naissons de nouveau, tant est grande la
ressemblance entre les circonstances de la naissance naturelle
et celles de la naissance spirituelle. Cette ressemblance est
telle que considérer les circonstances de la naissance naturelle est
le moyen le plus simple de comprendre la naissance spirituelle.
L'enfant
qui n'est point encore né subsiste, il est vrai, par l'air. aussi
bien que tout être vivant, mais il ne le sent pas plus
qu'il ne sent autre chose, si ce n'est d'une façon très imparfaite.
Il n'entend que peu ou point, les organes de l'ouïe étant
encore fermés. Il ne voit rien, car ses yeux sont fermés et il
est environné d'épaisses ténèbres. A mesure que le temps de sa
naissance approche, il y a, sans doute, en lui quelques
mouvements qui le distinguent d'une masse inerte ; mais les sens
lui manquent ; ces avenues de l'âme sont encore tout
entièrement fermées. Il n'a, en conséquence, presque aucun
rapport avec ce monde visible, ni aucune connaissance, aucune
conception, aucune idée des choses qui s'y passent.
S'il
est étranger au monde visible, ce n'est pas qu'il en soit éloigné
(il en est très près : il en est entouré dé tous
côtés) ; mais, c'est d'un côté, parce qu'il est privé des sens
qui, en s'éveillant dans l'âme, peuvent seuls le mettre, en
communication avec le monde matériel, et de l'autre à cause de ce
voile épais qui l'en sépare et à travers lequel il ne peut rien
distinguer.
Mais
l'enfant n'est pas plutôt venu au monde, qu'il entre dans une
existence toute nouvelle. Il sent maintenant l'air qui
l'environne et qui, a chaque expiration, se répand en lui de tous
côtés, pour entretenir la flamme de la vie : et il en tire un
accroissement continuel de force, de mouvement, de sensations ;
ses sens physiques étant tous éveillés maintenant et mis en
rapport avec leurs objets.
Ses
yeux sont maintenant ouverts pour saisir la lumière qui, l'inondant
silencieusement, lui fait connaître, en se manifestant
elle-même, une variété infinie d'objets qui lui étaient
naguère entièrement inconnus. Ses oreilles sont ouvertes et
les sons les plus divers y retentissent. Chaque sens est exercé
sur ce qui lui convient ; et le monde visible pénétrant librement
par ces avenues de l'âme, elle acquiert de plus en plus la
connaissance des choses sensibles, de toutes les choses qui sont
sous le soleil.
Il
en est de même de la naissance de l'enfant de Dieu. Avant que ce
grand changement s'opère, quoique subsistant par Celui
«en qui nous avons la vie, le mouvement et l'être », il ne
discerne point Dieu, il n'a pas le sentiment, la conscience
intime de sa présence. Il n'a point conscience de ce divin
souffle de vie, sans lequel il ne pourrait subsister un moment ; et
les choses de Dieu lui sont étrangères et ne font aucune
impression sur son âme. Dieu ne cesse de l'appeler d'en haut, mais
il n'entend point : «comme l'aspic sourd qui n'écoute point la
voix des enchanteurs, du charmeur expert
en charmes ». Il ne voit point les choses de l'esprit de Dieu ; car
les yeux de son entendement sont fermés et son âme
entière est couverte et environnée de ténèbres. Il peut
sans doute avoir quelques lueurs, quelques faibles commencements
de mouvement et de vie spirituelle; mais n'ayant point encore
les sens spirituels qui seuls peuvent lui faire saisir les choses
spirituelles, il ne « discerne point les choses de l'Esprit de
Dieu » ; « et il ne peut les connaître, parce que
c'est spirituellement qu'on en juge ».
De
là vient qu'il est presque absolument étranger au monde invisible
et qu'il en soupçonne à peine l'existence. Non qu'il en
soit éloigné, il en est, au contraire, enveloppé, environné de
toutes parts. L'autre monde, comme on l'appelle, n'est pas loin
de chacun de nous : il est au-dessus, au-dessous de nous et à
nos côtés, mais il est vrai que l'homme naturel ne le discerne
point ; soit parce qu'il lui manque les sens spirituels, par
lesquels seuls on discerne les choses de Dieu : soit à cause du
voile épais qui l'en sépare et qu'il ne peut percer.
Mais
quand il est né de Dieu, né de l'Esprit, comme les conditions de
son existence sont changées ! Son âme entière sent et
discerne Dieu, et il peut dire, par une sûre expérience : « Tu
m'environnes, soit que je marche, soit que je m'arrête » ; je
te retrouve dans toutes tes voies ; « tu me tiens serré par
derrière et par-devant, et tu as mis sur moi ta main ». Le souffle
de Dieu pénètre immédiatement dans l'âme ; nouvellement née
; et ce souffle de Dieu retournes à Dieu ; sans cesse reçu par
la foi, sans cesse il retourne à Dieu par l'amour, par la prière,
la louange, l'action de grâces ; car l'amour, la louange, la
prière, sont le souffle de toute âme vraiment née de Dieu. Et
par cette respiration d'un nouveau genre qui entretient la vie
spirituelle, cette même vie s'accroît ; jour
après
jour, avec la force, le mouvement, la sensibilité spirituelle, tous
les sens de l'âme étant maintenant éveillés et
capables de discerner ce qui est bien ou mal spirituellement.
Les
yeux de son entendement » sont « ouverts maintenant, et « il voit
Celui qui est invisible ». Il voit « quelle est
l'infinie grandeur de sa puissance » et de son amour envers ceux qui
croient. Il voit que Dieu est miséricordieux envers lui, qu'il
est réconcilié par le Fils de son amour. Il discerne clairement
et l'amour par lequel Dieu pardonne et toutes « ses grandes et
précieuses promesses ».
«Dieu
qui, au commencement, dit que la lumière sortît des ténèbres, a
répandu et répand « sa lumière » dans son coeur,
pour « l'éclairer de la connaissance de la gloire de Dieu, en la
face de Jésus-Christ ». Maintenant les ténèbres sont passées
et il demeure dans la lumière de la face de Dieu.
Ses
oreilles sont ouvertes maintenant, et Dieu ne l'appelle plus en vain.
Il entend, il suit la vocation céleste, il connaît la
voix de son Berger. Tous ses sens spirituels étant éveillés,
il est positivement en relation avec le monde invisible, et sans
cesse il fait de nouveaux progrès dans la connaissance des
choses qu'il n'était point entré dans son coeur de concevoir. Il
sait maintenant ce qu'est la paix de Dieu, ce qu'est la joie du
Saint-Esprit, ce qu'est l'amour de Dieu répandu dans les cœurs de
ceux qui croient en Lui par Jésus Christ. Débarrassé du voile
qui interceptait auparavant la lumière et la voix, la
connaissance et l'amour de Dieu, celui qui est né de l'Esprit
demeure dans l'amour ; « il demeure en Dieu et Dieu en lui ».
Il
Après
avoir vu ce que signifie cette expression : « quiconque est né de
Dieu », il nous reste, en second lieu, à examiner en
quel sens l'apôtre dit que « celui qui est né de Dieu ne fait
point le péché ».
Or
celui qui est né de Dieu, de la manière que nous avons décrite,
qui continuellement reçoit de Dieu dans son âme le
souffle de vie, l'influence de l'Esprit de grâce, et qui la
reporte continuellement vers Dieu ; celui qui croit et qui aime,
qui, par la foi, a le sentiment continuel de l'action de Dieu
sur son esprit, et, par une sorte de réaction spirituelle, lui rend
incessamment cette grâce en amour, en louanges, en prières ;
celui-là seulement ne fait point de péché « pendant qu'il se
conserve ainsi » lui-même ; mais tant que cette « semence demeure
en lui, il ne peut pécher, parce qu'il est né de Dieu ».
Par
le péché j'entends ici le péché extérieur, dans le sens
ordinaire du mot ; une transgression actuelle et
volontaire de la loi, de la loi révélée et écrite, de tout
commandement de Dieu, reconnu pour tel au moment même où on le
transgresse. Mais quiconque est né de Dieu, tant qu'il demeure dans
la foi et dans l'amour, dans l'esprit de prière et d'action de
grâces, ne commet ni ne peut commettre ainsi le péché. Tant
que, de cette manière, il est dans la foi et dans l'amour de Dieu
par Christ, et qu'il répand son âme en sa présence, il ne
peut transgresser volontairement aucun commandement de Dieu ;
cette semence qui demeure en lui, cette foi qui produit l'amour,
la prière, l'action de grâces, l'oblige à s'abstenir de
choses qu'il sait être une abomination devant Dieu.
Mais
ici se présente immédiatement une difficulté, une difficulté
telle que plusieurs l'ont trouvée insurmontable, et
qu'elle les a induits à nier la claire affirmation de l'apôtre et à
faire bon marché du privilège des enfants de Dieu.
En
effet, nous voyons ceux que nous ne pouvons nier avoir été vraiment
nés de Dieu (puisque l'Esprit de Dieu dans sa parole
leur a rendu son témoignage infaillible) ; nous les voyons non
seulement pouvoir commettre, mais commettre réellement le péché
et même des péchés grossiers. Nous les voyons transgresser
des lois divines claires et manifestes, en disant ou faisant ce
qu'ils savaient être défendu de Dieu.
Ainsi
David était incontestablement né de Dieu, avant d'être oint roi
sur Israël. Il savait en qui il avait cru ; « il était
fort dans la foi, donnant gloire à Dieu ». « L'Eternel est mon
berger » dit-il, « je n'aurai point de disette. Il me fait
reposer dans les parcs herbeux et il me conduit le long des
eaux tranquilles. Même quand je marcherai par la vallée de
l'ombre de la mort, je ne craindrai aucun mal, car tu es avec
moi (Ps 23) ». Il était rempli d'amour et il s'écrie : « Je veux
t'aimer, mon Dieu, ma force. Le Seigneur est mon rocher, la
corne de mon salut et mon refuge (Psaume 18 : 1,2) ». C'était un
homme de prière, qui répandait son âme en tout temps devant son
Dieu, il abondait dans la louange et les actions de grâces : «
Ta louange », dit-il, « sera continuellement dans ma bouche
(Psaume 34 : 1)»; « tu es mon Dieu fort, je te célébrerai ;
tu es mon Dieu, je t'exalterai (Ps 118 : 28) ». Il était
né de Dieu, et pourtant il put commettre, il commit le péché ; que
dis-je ? l'horrible péché d'adultère et de meurtre.
Même
après que le Saint-Esprit eut été plus abondamment répandu et que
«la vie et l'immortalité eurent été manifestées
par l’Évangile» nous trouvons encore de pareils
exemples écrits, sans doute, pour notre instruction. Ainsi
celui qui (probablement pour avoir vendu ses biens et en
avoir appliqué le prix au soulagement de ses frères) fut
surnommé par les apôtres eux-mêmes Barnabas, c'est-à-dire
fils de consolation (Actes 4 : 36,37), qui était si estimé à
Antioche, qu'il fut choisi d'entre tous les disciples pour
porter avec Saul les aumônes destinées aux frères de Judée (Actes
11 : 29,30) ; ce Barnabas qui, à son retour de Judée, fut mis
à part solennellement par le Saint-Esprit, d'entre les autres
prophètes et docteurs, « pour l'oeuvre à laquelle Dieu l'avait
appelé (Actes 13 : 1,4) » pour accompagner parmi les Gentils,
le grand apôtre, et pour être, en tout lieu, son compagnon
d'oeuvre, fut néanmoins si peu conciliant dans la contestation
qu'il eut avec Paul au sujet de Jean surnommé Marc, qui les
avaient quittés dès la Pamphylie et ne les avait pas accompagnés
dans l'oeuvre, qu'il abandonna lui-même cette oeuvre pour
prendre Marc, et fit voile pour l'île de Chypre, quittant celui à
qui il avait été associé par une direction si immédiate du
Saint-Esprit (Actes 15 : 35,39).
Mais
l'exemple que Paul nous rapporte dans l'Épître aux Galates est
encore plus étonnant que ceux-là. « Quand Pierre »,
nous dit-il, « vint à Antioche »,
—
Pierre,
déjà avancé en âge, le zélé Pierre, le premier des
apôtres, est l'un de ces trois qui avait été distingués par le
Seigneur,
—
«
je lui résistai en face, parce qu'il méritait d'être repris.
Car avant que quelques-uns fussent venus de la part de Jacques,
il mangeait avec les Gentils :
—
les
païens convertis, ayant été spécialement enseigné de Dieu
qu'il ne devait « tenir aucun homme pour impur ou souillé (Actes 10
: 28) ».
—
«
Mais dès qu'ils furent venus, il se retira et se sépara des
Gentils, craignant ceux de la circoncision. Et les autres Juifs
usaient aussi de la même dissimulation que lui, de sorte que
Barnabas même se laissait entraîner à dissimuler comme eux.
Mais quand je vis qu'ils ne marchaient pas de droit pied selon
la vérité de l’Évangile, je dis à Pierre, en présence
de tous : Si toi qui es Juif, vis comme les Gentils et non
comme les Juifs » - non selon les prescriptions extérieures de la
loi, « pourquoi obliges-tu les Gentils à judaïser (Gal 2 :
11)?» Nous avons donc ici un péché évident, incontestable, commis
par un homme qui était sans aucun doute enfant de Dieu. Mais
comment concilier cela avec le sens littéral de cette assertion
de saint Jean, que « celui qui est né de Dieu ne fait point le
péché ? »
Je
réponds : Ce que nous avons déjà avancé, c'est qu'aussi longtemps
que « celui qui est né de Dieu se conserve lui-même »
— (et il le peut par la grâce de Dieu) — «le malin ne le touche
point » ; mais que s'il ne se conserve pas lui même, s'il ne
demeure pas dans la foi, il peut pécher aussi bien qu'un autre
homme. Il est dès lors aisé de comprendre comment, malgré la chute
de tel de ces enfants de Dieu, la grande vérité déclarée par
l'apôtre demeure ferme et inébranlable. Il ne se conserva
point par cette grâce qui lui était suffisante pour se garder. Il
tomba par degrés, d'abord dans un péché intérieur négatif,
ne « rallumant » pas « le don de Dieu » qui était en lui,
négligeant de veiller, de prier et de « courir vers le prix de
sa vocation céleste » ; puis dans un péché intérieur positif,
inclinant vers le mal, ouvrant son coeur à quelque mauvais penchant,
perdant bientôt sa foi, sa vue du pardon et de la grâce de
Dieu, et par suite son amour ; alors devenu faible comme un autre
homme, il put commettre même le péché extérieur et grossier.
Appliquons
ceci à l'exemple de David. David était né de Dieu, et par la foi,
il voyait Dieu. Il l'aimait en sincérité. Il pouvait
vraiment dire : « Quel autre que toi ai-je au ciel? Voici, je n'ai
pris plaisir sur la terre qu'en toi ». Mais il y avait toujours
dans son coeur cette corruption de nature qui est la semence de
tout mal.
«
Il se promenait sur la plate-forme du palais royal (2 Samuel 11 : 2)
», louant, peut-être, le Dieu qu'aimait son âme, quand
ses regards tombèrent sur Bathscébah. Ici s'élève une tentation,
une pensée tendant au mal. L'Esprit de Dieu ne manque pas de
l'en convaincre il distingue, sans doute, cette voix bien
connue, mais il ne chasse point cette pensée, et la tentation
commence à le dominer. Son esprit en est souillé ; il voit
encore Dieu, mais déjà plus obscurément. Il l'aime encore,
mais non pas au même degré, ni avec la même ardeur. Cependant
l'Esprit de Dieu, quoique contristé, continue à le reprendre ;
et sa voix, quoique toujours plus faible, lui dit encore tout bas : «
Le péché est à la porte ; regarde vers moi et sois sauvé ! »
Mais fermant l'oreille, il regarde, non point vers Dieu, mais
vers l'objet défendu, jusqu'à ce qu'enfin la nature l'emporte sur
la grâce et allume la convoitise dans son âme.
L’œil de
son âme se referme maintenant, et Dieu disparaît. La foi,
communication divine et surnaturelle avec Dieu, et
l'amour de Dieu, cessent en même temps ; il se précipite comme
un coursier dans la bataille, et, de gaieté de coeur, il commet
le péché grossier.
Vous
voyez ici le passage graduel de la grâce au péché : la semence
divine et victorieuse de la foi et de l'amour demeure
dans l'homme qui est né de Dieu. Par la grâce, « il se garde
lui-même et ne peut faire le péché ». Une tentation s'élève
; que ce soit du monde, de la chair ou du diable, peu importe.
L'Esprit de Dieu l'avertit que le péché est à la porte et lui
recommande plus expressément la vigilance et la prière. Il
cède, en quelque mesure, à la tentation qui commence à lui plaire.
Il a contristé le Saint-Esprit, sa foi devient plus faible et
son amour se refroidit. L'Esprit le reprend avec plus de force :
« C'est ici le chemin, marches-y ». Il se détourne de cette voix
qui le blesse et prête l'oreille à la voix du tentateur qui
lui plaît. La convoitise naît et grandit dans son âme jusqu'à
en chasser la foi et l'amour ; dès lors il est capable de
commettre le péché grossier ; car Dieu s'est retiré de lui.
Prenons
un autre exemple : l'apôtre Pierre était rempli de foi et du
Saint-Esprit ; et par là se conservant lui-même, il
avait une conscience sans reproche devant Dieu et devant les hommes.
Marchant
ainsi dans la simplicité et dans la sincérité devant Dieu, « il
mangeait avec les Gentils avant que des messagers
vinssent de la part de Jacques », sachant que rien de ce que Dieu a
purifié n'est impur ou souillé.
Mais
« lorsqu'ils furent venus », la tentation s'éleva en lui « de
craindre ceux de la circoncision » (c'est-à-dire les
Juifs convertis qui étaient zélés pour la circoncision et les
autres rites mosaïques) et d'estimer la faveur et la gloire
venant de ces hommes plus que la gloire de Dieu.
L'Esprit
de Dieu l'avertit de l'approche du péché ; néanmoins il céda, en
quelque mesure, à cette crainte coupable, et sa foi et
son amour furent en proportion affaiblis. Dieu lui reprocha de
donner lieu au diable ; mais refusant d'écouter le bon Berger, il
s'abandonna à cette crainte servile et éteignit l'Esprit.
Dieu
disparut alors, la foi et l'amour s'éteignirent, et il commit le
péché extérieur : ne marchant pas « de droit pied,
selon la vérité de l’Évangile », il se sépara de ses
frères en Christ, et par son exemple, si ce n'est même par ses
avis, il contraignit les Gentils de judaïser, de se remettre
de nouveau sous ce joug de servitude dont Jésus-Christ les
avait affranchis. Il est donc incontestable que celui qui est né
de Dieu, se gardant lui-même, ne commet ni ne peut commettre le
péché ; et néanmoins, s'il ne se garde point lui-même, il
peut commettre, de gaieté de coeur, toutes sortes de péchés.
III
Des
considérations qui précèdent, nous pouvons apprendre :
1°
à résoudre une question qui a souvent embarrassé des âmes
sincères. Le péché précède-t-il ou suit-il la perte
de la foi ? Un enfant de Dieu perd-il sa foi pour avoir péché ? Ou
faut-il qu'il perde sa foi avant de pouvoir pécher ? — Je
réponds : Il faut bien que quelque péché d'omission, pour
le moins, précède la perte de la foi ; quelque péché
intérieur : mais le péché extérieur ne peut être commis que
s'il a perdu la foi.
Plus
un croyant examinera son coeur, plus il sera convaincu que la foi,
opérant par la charité, exclut tout péché, intérieur
ou extérieur, de l'âme qui veille et prie. Mais qu'alors même nous
sommes sujets à la tentation, surtout du côté des péchés
qui nous enveloppaient autrefois aisément ; que si l’œil de
l'âme se fixe avec amour sur Dieu, la tentation s'évanouit bientôt
; mais que si, au contraire, comme le dit saint Jacques,
nous sommes « tirés et amorcés » loin de Dieu « par notre propre
; convoitise », la convoitise, après avoir conçu ; enfante le
péché, et ayant, par ce péché intérieur, détruit notre
foi, elle nous précipite si bien dans les pièges du diable, que
nous sommes capables de commettre toutes sortes de péchés
extérieurs.
2°
Nous pouvons apprendre, en second lieu, de ce qui a été dit, ce
qu'est la, vie de Dieu dans l'âme d'un croyant ; en quoi
elle consiste et ce qu'elle suppose nécessairement. Elle
suppose nécessairement l'inspiration continue du Saint-Esprit ;
la pénétration du souffle de Dieu dans l'âme et le retour
continuel de ce souffle vers Dieu ; une action continuelle de Dieu
sur l'âme et la réaction de l'âme sur Dieu ; la présence non
interrompue du Dieu d'amour ; manifestée au coeur et perçue
par la foi, et un retour non interrompu d'amour, de louanges et de
prières, par lequel nous offrons toutes nos pensées, nos
affections, nos paroles et nos oeuvres, en sacrifice saint et
agréable à Dieu par Jésus-Christ. Et c'est ce qui nous
montre :
3°
l'absolue nécessité de cette, réaction de l'âme (s'il nous est
permis de l'appeler ainsi) pour que la vie divine s'y
maintienne. Car il est évident que Dieu ne continue pas à agir
sur l'âme ; si l'âme ne réagit sur Dieu. Il nous prévient sans
doute par les marques de sa bonté. Il nous aime le premier et
se manifeste à nous. Quand nous sommes encore loin, il nous appelle,
et fait luire sur nous sa lumière. Mais si nous n'aimons point alors
Celui qui nous aima, le premier, si nous n'écoutons pas sa
voix, si nous détournons de lui nos yeux, pour ne point voir
la, lumière qu'il répand sur nous, son Esprit ne conteste
point toujours ; il se retire par degrés et nous abandonne à
nos propres ténèbres. Son souffle ne continue point en nous si
notre âme cesse de le lui renvoyer, si nous cessons de lui
offrir, par notre amour, nos prières et nos actions de grâces,
le sacrifice qui lui est agréable.
4°
Apprenons enfin à suivre cette recommandation du grand apôtre : «
Ne t'élève point par orgueil, mais crains ». Craignons
le péché, plus que la mort ou l'enfer. Redoutons d'une crainte, non
servile, mais jalouse, de nous appuyer sur la tromperie de nos
propres cœurs. « Que celui qui est debout prenne garde
qu'il ne tombe ». Celui même qui maintenant est affermi dans la
grâce et dans la foi qui surmonte le monde peut néanmoins
tomber dans le péché intérieur, et par là faire naufrage quant
à la. foi Et qu'il est facile, dès lors ; au péché extérieur de
reprendre son empire ! Toi donc, homme de Dieu, veille pour
entendre toujours la voix de Dieu. Veille pour prier sans cesse ;
répands en tous temps, en tous lieux, ton coeur en sa présence
! Ainsi tu pourras toujours croire, toujours aimer et ne
jamais « faire le péché ».
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