dimanche 7 août 2016

(19) LES SERMONS DE WESLEY L’ÉCONOME FIDÈLE

Numérisation Yves PETRAKIAN Copie autorisée pour diffusion gratuite uniquement Obligation d'indiquer la source http://456-bible.123-bible.com 

Sermon 51 :           L'ECONOME FIDÈLE

Luc 16,2   (1768)

Rends compte de ton administration; car tu ne pourras plus désormais administrer mon bien. (Luc 16:2)  

                   Les rapports qui existent entre Dieu et l'homme, entre le Créateur et sa créature, sont représentés dans la Bible par diverses images. Considéré comme pécheur, comme créature déchue, l'homme y apparaît comme le débiteur de Dieu. Souvent aussi il y est représenté comme étant un serviteur, caractère qui se rattache nécessairement à sa qualité de créature ; c'est tellement vrai que ce titre est donné au Fils de Dieu dans son abaissement : « Il s'est anéanti soi-même, en prenant la forme de serviteur, et se rendant semblable aux hommes (Philippiens 2 : 7)  ».

                    Mais aucune image n'exprime mieux la situation actuelle de l'homme, que celle d'un économe ou intendant. Notre bon Sauveur s'en est servi fréquemment, et elle convient tout particulièrement à notre état. Celle de débiteur ne se rapporte qu'à l'homme considéré comme pécheur ; et celle, de serviteur a quelque chose de trop général, de trop peu défini. Mais l'économe est un serviteur qui a des fonctions spéciales, fonctions qui rappellent à tous égards la situation de l'homme. Ce titre indique fidèlement quelle est sa position ici-bas, ce qu'il doit être comme serviteur, et quel genre de service son Maître attend de lui.

                    Il pourra donc nous être utile d'examiner sérieusement ce point de vue et d'en tirer tout le parti possible. Pour obtenir ces résultats, recherchons d'abord à quels égards nous sommes actuellement les économes du Seigneur. Nous considérerons ensuite cette déclaration que, lorsqu'il rappelle à lui nos âmes, nous ne pouvons plus désormais « administrer son bien ». Et, enfin, nous parlerons du compte à rendre ; « Rends compte de ton administration.

I

                    A quels égards sommes-nous les économes de Dieu ? Nous lui devons tout ce que nous possédons. Mais si un débiteur doit rendre tout ce qu'on lui a prêté, il est libre d'en faire l'usage qu'il veut jusqu'à l'époque fixée pour le remboursement. Telle n'est pas la situation d'un intendant. Il n'a pas le droit d'employer comme il juge bon ce qui lui est confié ; il doit s'en servir selon la volonté de son maître. Il ne peut disposer de ce qu'il a entre ses mains que d'après cette volonté, car il n'en est pas le propriétaire ; on lui en a confié le dépôt mais à la condition expresse qu'il suive dans son emploi, les ordres de son maître. Telle est précisément la situation de tout homme vis-à-vis de Dieu. Nous ne sommes pas libres de faire ce que nous voulons de ce qu'il nous a confié ; nous devons en user selon la volonté du Maître de la terre et des cieux, du Maître de toute créature. Nous n'avons pas le droit de disposer de quoi que ce soit autrement qu'à son gré ; car nous ne sommes propriétaires de rien : toutes choses sont, quant à nous, comme dit Jésus, des biens d'autrui ; rien, dans ce monde, ou nous sommes voyageurs, n'est réellement à nous. Nous ne posséderons ce qui est à nous, que lorsque nous serons arrivés chez nous. Il n'y a que les choses éternelles qui soient à nous : les choses du temps présent nous sont simplement prêtées ou confiées par celui qui est le souverain Maître de tout. Et il ne nous les confie qu'à la condition expresse que nous n'en userons que comme de biens appartenant à notre Maître et en suivant les instructions qu'il nous a laissées dans sa parole touchant l'emploi qu'il faut en faire.

                     C'est à cette condition qu'il nous a confié une âme, un corps, des biens et tous les autres talents que nous avons reçus. Mais, pour graver dans nos cœurs cette importante vérité, il convient d'entrer dans les détails.

                    Et d'abord, Dieu nous a confié la charge de notre âme, esprit immortel, créé à son image ; d'une âme avec toutes ses facultés et tous ses attributs, intelligence, imagination, mémoire, volonté et affections de divers genres qui font partie de la volonté ou en dépendent étroitement : l'amour et la haine, la joie et la tristesse, pour ce qui est des choses qui nous affectent en bien ou en mal ; le désir et l'aversion, l'espérance et la crainte, pour ce qui est des choses à venir. Saint Paul a résumé toutes ces facultés de l'âme en deux mots quand il a dit : « La paix de Dieu... gardera vos cœurs et vos esprits (Philippiens 4 : 7)  ». Peut-être, cependant, vaudrait-il mieux rendre le dernier mot par pensées, à la condition d'entendre ce mot dans sa signification la plus étendue qui embrasserait toutes les perceptions de l'esprit, soit au sens actif, soit au sens passif.

                    Il est bien certain que nous ne sommes que les économes de tout cela. Dieu nous a confié ces attributs et ces facultés pour que nous nous en servions, non point selon notre propre volonté, mais selon les ordres positifs qu'il nous a donnés. Il n'en est pas moins vrai qu'en obéissant à sa volonté, nous assurerons notre vrai bonheur car c'est uniquement de cette façon que nous pouvons être heureux dans le temps et dans l'éternité. Nous devons donc nous servir de notre intelligence, de notre imagination, de notre mémoire, uniquement pour la gloire de celui qui nous les a données. Il faut que notre volonté lui soit entièrement soumise, et que nos penchants soient réglés d'après ce qu'il a prescrit. Nous devons aimer ou haïr, nous réjouir ou nous attrister, désirer ou éviter, espérer ou craindre, suivant les règles qu'a tracées celui à qui nous appartenons et que nous devons servir en toutes choses. Dans ce sens-là, nos pensées elles-mêmes ne sont point à nous ; nous ne pouvons pas en disposer à notre gré ; et nous devons rendre compte à notre souverain Maître de tous les mouvements volontaires de notre esprit.

                    En second lieu, Dieu nous a confié la charge de notre corps et de tous les membres, de tous les organes, qui le composent. Et quel merveilleux mécanisme que ce corps fait d'une étrange et, admirable manière (Psaume 139 : 14) » Dieu nous a donné nos divers sens, la vue, l'ouïe, etc. Mais il ne nous en a donné aucun pour qu'il fût à nous en propre et que nous en fissions ce que nous voudrions. Il ne nous les prête pas en nous laissant la liberté d'en faire, pendant un temps plus ou moins long, l'emploi qu'il nous plaira. Au contraire, ces organes physiques ne demeurent à notre disposition qu'à la condition que nous nous en servirons comme Dieu lui-même l'a voulu.

                    C'est dans les mêmes vues qu'il nous a donné celle faculté si précieuse, la parole. Un ancien écrivain a dit « Tu m'as donné une langue pour que je puisse te louer ». Et c'est en effet pour cela que Dieu l'a donnée aux enfants des hommes ; pour que tous s'en servent pour le glorifier. Il y a donc ingratitude et folie à dire : « Nos lèvres sont en notre puissance (Psaume 12 : 5)  ». Cela serait vrai, si nous nous étions créés nous-mêmes et, étions ainsi indépendants de Dieu. Mais non ! « C'est lui qui nous a formés, et ce n'est pas nous qui nous sommes faits (Psaume 100 : 3)  ». D'où il suit clairement qu'il demeure notre Maître à cet égard comme à tous égards, et que nous aurons a lui rendre compte de toute parole que nous prononçons.

                    Nous sommes également responsables devant Dieu pour l'usage que nous faisons de nos mains, de nos pieds, de tous les membres de notre corps. Ce sont là autant de talents qui nous sont confiés jusqu'au temps marqué par le Père. Jusqu'à ce moment nous pouvons nous en servir, non comme propriétaires, mais comme intendants de Dieu ; nous ne devons pas « livrer nos membres au péché pour servir d'instruments d'iniquité, mais les consacrer à Dieu pour être des instruments de justice (Romains 6 : 13)  ».

                     En troisième lieu, Dieu nous a confié quelques biens terrestres, de quoi nous nourrir, de quoi nous vêtir, un endroit où nous pouvons reposer notre tête, ce qui est indispensable à l'existence et même ce qui est simplement utile et agréable Il nous a en particulier confié ce talent précieux qui résume tous les autres, l'argent. Et il est effectivement très précieux si nous nous en servons comme des économes prudents et fidèles de notre bon Maître, si nous l'appliquons soigneusement aux usages qu'il a lui-même désignés.

                     Enfin, Dieu nous a confié divers dons que nous n'avons pu classer dans les catégories énumérées ci-dessus. De ce nombre sont la force physique, la santé, un extérieur agréable, un naturel engageant, les connaissances et les sciences possédées à des degrés divers, et tous les autres avantages que confère l'éducation. De ce nombre est aussi l'influence que nous exerçons sur les autres, soit à cause de l'amour ou de l'estime qu'ils ont pour nous, soit à cause de notre puissance, du pouvoir que nous possédons de leur faire du bien ou du mal, de les aider ou de leur nuire dans les affaires de la vie. A celle liste des dons de Dieu, il faut ; ajouter encore celui d'où découlent tous les autres et sans lequel tous les autres seraient des malédictions et non des bienfaits, je veux dire la grâce du Seigneur, le secours de son Saint-Esprit qui seul peut produire un nous ce qui trouvera grâce devant Dieu.

II

                    Les hommes sont donc, à l'égard de toutes ces choses, les économes du seigneur, du Maître des cieux et de la terre ; il leur a confié l'administration de tous ces biens divers qui sont à lui. Mais ce n'est pas pour toujours ; ce n'est même pas pour bien longtemps. Cette administration ne nous est laissée que pour le temps si court, si incertain, que nous avons à passer ici-bas, le temps où nous sommes sur la terre, où le souffle est dans nos narines. Elle approche, à grands pas, elle est là l'heure où a nous ne pourrons plus administrer ». Dès l'instant où « la poudre retourne dans la terre, comme elle y avait été, et où l'esprit retourne à Dieu qui l'a donné (Ecclésiaste 12 : 9) », nous perdons ces fonctions ; notre administration est finie. Une partie de ces biens qui nous furent confiés n'existe plus dès ce moment, n'existe plus pour nous du moins, et nous n'en avons plus l'usage ; quant aux autres ils existent encore, mais le moment de s'en servir est passé.

                     Une partie de ces biens, disons-nous, n'existe plus, du moins pour nous. Qu'avons-nous à faire, en effet, une fois cette vie terminée, avec la nourriture et le vêtement, avec nos maisons et, nos richesses ? La nourriture des morts, c'est la poussière ; leur vêtement, ce sont les vers, c'est la pourriture. Ils habitent la maison qui attend tous les vivants, et leur lieu ne les connaît, plus. Tous leurs biens terrestres ont passé en d'autres mains ; « ils n'ont plus aucune part au monde, dans tout ce qui se fait sous le soleil. (Ecclésiaste 9 : 6) »

                   Il en est de même pour ce qui est du corps. A. partir du moment où l'âme retourne à Dieu, nous ne sommes plus les intendants de cet organisme, qui dès lors « est semé corruptible et méprisable (1 Corinthiens 15 : 42,43)  ». Toutes ses parties, tous ses membres vont maintenant se décomposer dans le sol. La main ne remuera plus ; les pieds n'auront plus à marcher ; la chair, les tendons, les os du corps, tout va bientôt se dissoudre et tomber en poussière.

                    C'est aussi la fin de certains autres dons que Dieu nous avait confiés, comme la force, la santé, la beauté, l'éloquence, l'agilité ; de même pour le privilège que nous avions de plaire à nos semblables, de les gagner, ou de les convaincre. C'est la fin de tous les honneurs dont nous avons joui, de toute la puissance que nous avons possédée, de toute l'influence que nous exercions sur les hommes par l'amour ou par l'estime que nous leur inspirions. Tout est mort avec nous, notre amour, nos haines, nos ambitions : personne ne s'inquiète plus des sentiments que nous avions à leur égard. Les morts, on se dit, qu'ils ne peuvent plus faire ni bien ni mal : « un chien vivant vaut mieux qu'un lion mort (Ecclésiaste 9 : 4) ».

                    Il est tels des dons qui nous sont confiés, au sujet desquels on peut se demander si vraiment. ils n'existeront plus une fois que nous serons morts, ou s'ils cesseront seulement d'être à notre disposition. Mais il est, évident que, par exemple, le langage qui nous sert ici-bas et qui exige l'emploi de certains organes physiques, n'existera plus dès que ces organes auront été détruits. Il est bien certain que, lorsque nous serons morts, notre langue ne fera plus vibrer l'air et que notre oreille ne recevra plus l'impression des ondes sonores. Nous ne pouvons pas même admettre l'existence de ce sonus exilis, de cette voix grêle et perçante qu'un poète (Probablement Virgile ; car on y trouve (Enéide, VI, 492) l'expression vocem exiguam en parlant des morts (Trad.) ) a assignée aux esprits séparés du corps : c'est là un rêve enfanté par l'imagination. Evidemment, on ne peut douter que ces esprits n'aient le moyen de communiquer entre eux ; mais qui donc, parmi ceux qui participent encore à la chair et au sang, pourrait nous dire quel est ce moyen ? Ils ne sauraient avoir ce que nous appelons un langage. Ainsi, c'est là un des talents dont nous n'aurons plus l'administration, lorsque nous serons du nombre des trépassés.

                   Il est également permis de se demander si nos sens survivront à la perte des organes par le moyen desquels ils s'exercent, N'est-il pas probable que ceux qui sont d'un ordre inférieur, comme le toucher, l'odorat, le goût, disparaîtront, étant dans un rapport, intime avec le corps et, sinon uniquement, du moins principalement destinés à assurer sa conservation ? Mais on peut supposer que, même quand nos yeux seront clos par le sommeil de la mort, nous aurons quelque faculté analogue à la vue. Et de même, notre âme jouira sans doute de quelque chose qui équivaudra au sens de l'ouïe. Je vais plus loin : n'est-il pas probable que l'esprit séparé du corps, non seulement possédera ces prérogatives, mais même les possédera d'une façon toute spéciale et beaucoup plus étendue ; que l'âme, dégagée de l'enveloppe d'argile, ne sera plus comme une étincelle qui s'éteint au milieu de l'ombre, ne sera plus bornée à ce qu'elle peut apercevoir à travers ces ouvertures des yeux et des oreilles, mais sera tout yeux et tout oreilles, comme si chez elle les sens n'étaient plus localisés, mais répartis d'une manière inconcevable pour nous actuellement ? N'avons-nous pas déjà une preuve certaine que c'est possible, et qu'on peut voir sans les yeux, entendre sans les oreilles ? N'en avons-nous pas la garantie constante dans ce fait que l'âme voit, et de la façon la plus nette, dans les songes, alors que nos yeux ne nous sont d'aucun secours ? N'est-il pas vrai qu'alors également elle possède la faculté d'entendre sans que l'oreille y soit pour rien ? Quoi qu'il en soit, il est bien positif que ni l'usage des sens ni celui de la parole ne nous seront plus confiés par le Seigneur, comme il nous les confie maintenant, une fois que nos corps auront été déposés dans le silence du tombeau.

                    Impossible de dire jusqu'à quel point nous conserverons ou perdrons alors les connaissances et la science que nous avions acquises ici-bas par l'éducation. Il est vrai que Salomon a dit : « Dans le sépulcre, où tu vas, il n'y a ni discours, ni science, ni sagesse (Ecclésiaste 9 : 10) » Mais il est évident qu'il ne faudrait pas entendre ces paroles d'une façon trop absolue. Tant s'en faut même qu'il n'y ait plus de science ou de connaissance pour ceux qui sont morts, qu'on pourrait, plutôt se demander si ce n'est pas le contraire et s'il y a quelque vraie science de ce côté-ci du tombeau, si ce n'est, pas purement et simplement une réalité qu'expriment ces vers :

Les choses d'ici-bas, ce sont des ombres vaines
Comme ces rêves creux desquels nos nuits sont pleines.

                    Il va sans dire qu'on fait une exception à l'égard des vérités qu'il a plu à Dieu de révéler lui-même aux hommes. Voici mon témoignage personnel. Pendant un demi-siècle, j'ai recherché la vérité avec quelque soin, et, aujourd'hui je ne me sens absolument certain de presque rien, en dehors des choses que la Bible m'a enseignées. Il y a plus : j'affirme solennellement qu 'à part ces vérités révélées, il n'y a rien dont je sois tellement, assuré que je pusse consentir à en faire dépendre mon salut éternel.

                     Nous pouvons, en tout cas, conclure de ces paroles de Salomon, que dans le sépulcre il n'y a ni science ni sagesse, de nature à être utiles à une âme perdue, aucun moyen pour elle de tirer encore parti des talents qui lui furent confiés sur la terre. Car il n'y a plus de temps ; le temps de notre probation en vue d'un bonheur ou d'un malheur éternels, est écoulé. Notre jour, le jour de la vie humaine, est fini ; le jour du salut est lassé ! Tout ce qui reste désormais, c'est « le jour du Seigneur (1 Corinthiens 5 : 5) » qui annonce la venue de l'immense et immuable éternité !

                    Mais nos âmes, qui sont d'une essence incorruptible et immortelle, qui sont par nature seulement « un peu inférieures aux anges ; (Psaume 8 : 6) », (même en supposant que cette expression ne s'applique qu'à l'homme avant sa chute, ce qui est tout au moins douteux), nos âmes subsisteront avec toutes leurs facultés lorsque nos corps se seront dissous en poussière. Notre mémoire, notre intelligence, loin d'être anéanties ou même affaiblies par la dissolution du corps, seront plutôt, il y a tout lieu de le supposer, développées d'une façon incroyable. Ne devons-nous pas admettre, en effet, qu'elles seront alors affranchies complètement des défauts qu'on y remarque ici-bas et qui proviennent de l'union de l'âme avec un corps assujetti à la corruption ? Il est plus que probable que, dès l'instant où cessera cette union, notre mémoire ne laissera plus rien échapper et même nous rappellera de la façon la plus fidèle, la plus vivante, tout ce qui lui a été confié dans le passé. Il est vrai que le monde invisible est nommé dans la Bible « le pays de l'oubli (Psaume 88 : 13) » ou, comme dit une vieille traduction plus énergique, « le pays où tout est oublié ». Tout oublié ! mais par qui donc ? Ce ne sont pas les habitants de ce pays qui oublient ; ce sont les habitants de notre terre. C'est par rapport à eux que le monde invisible est le pays de l'oubli. C'est par eux que trop, souvent les choses de ce monde-là sont oubliées ; mais les esprits qui sont sortis du corps n'oublient pas. On ne peut guère supposer qu'ils oublient quoi que ce soit à partir du jour où ils quittent la tente d'argile.

                    De même, il est à présumer que notre intelligence sera alors affranchie des imperfections qui l'accompagnent invariablement ici-bas. Il y a bien des siècles que cette maxime est universellement admise : « Humanum est errare et nescire ; l'erreur et l'ignorance sont inséparables de la nature humaine ». Mais cette assertion n'est tout entière vraie que par rapport à l'homme sur la terre ; elle ne s'applique qu'au temps pendant lequel le corps mortel pèse sur l'âme. Sans doute, aucune intelligence limitée ne peut être exempte d'ignorance, et il n'y a que Dieu qui connaisse toutes choses ; mais il n'en est pas ainsi de l'erreur ; et, quand l'âme s'est séparée du corps, elle a aussi rompu pour toujours avec l'erreur.

                    Que dirons-nous, après cela, de la découverte faite récemment par un homme d'esprit, à savoir que non seulement les esprits sortis du corps n'ont plus de sens, pas même la vue ou l'ouïe, mais qu'ils n'ont ni mémoire ni raison, point de pensées, aucune perception de rien, pas même conscience de leur propre existence, de telle sorte que, depuis l'heure de la mort jusqu'à celle de la résurrection, ils sont plongés dans un sommeil profond comme le trépas lui-même ? C'est bien le cas de dire ; « Consanguineus lethi sopor ; sommeil proche parent de la mort  » ; à moins que ce ne soit la mort elle-même ! Que dire de cela, sinon que les hommes d'esprit font parfois des rêves étranges qu'ils prennent ensuite pour la réalité ?

                       Mais revenons à notre sujet. Si l'âme conserve, malgré la dissolution du corps, toute son intelligence, toute sa mémoire, il en sera certainement de même de la volonté et des affections de tout genre qui conserveront toute leur vigueur. Si notre amour on notre colère, nos espérances on nos désirs périssent, ce ne peut être que relativement à ceux que nous laissons derrière nous. Il ne leur importe plus, à eux, qu'ils aient été les objets de notre affection ou de notre haine, de nos aspirations ou de notre aversion. Mais rien ne nous autorise à croire qu'un seul de ces sentiments s'éteigne dans l'esprit séparé du corps. Il est plutôt probable que toutes ces choses l'agitent d'autant plus vivement qu'il n'est plus surchargé du fardeau de la chair et du sang.

                  Mais quand même tout cela, nos connaissances, nos sens, notre mémoire, notre raison, notre volonté, notre amour, notre haine, toutes nos passions enfin, quand tout cela subsisterait après la mort du corps, ce serait pour nous comme si nous ne l'avions pas, dans ce sens que nous n'en aurons plus l'administration. Ces objets demeureront ; mais nous ne serons plus intendants ; nous ne pourrons plus remplir les fonctions d'économes de Dieu. La grâce divine elle-même qui nous était accordée comme un dépôt, afin de nous rendre capables d'agir en économes prudents et fidèles, ne nous sera plus accordée en vue de ces fonctions ; car les jours de notre administration seront finis.

III

                     N'étant plus intendants du Seigneur, il faudra que nous rendions compte de notre administration. Certaines personnes pensent que cela a lieu immédiatement après la mort, dès qu'on entre dans le monde des esprits C'est même ce que l'Eglise de Rome enseigne expressément, et dont elle fait un article de foi. Nous accordons bien ceci que, dès qu'une âme se sépare du corps et comparaît comme nue devant Dieu, elle ne peut pas ignorer ce que son sort éternel va être. Elle doit alors avoir devant elle une perspective nette, soit de son éternel bonheur, soit de son malheur éternel ; car, dès ce moment-là, l'homme ne pourra plus se faire illusion en se jugeant lui-même.

                    D'un autre côté, la Bible ne nous fournit aucun motif de croire que Dieu nous fera passer alors en jugement. Aucun texte inspiré n'affirme pareille chose. Celui qu'on a souvent cité dans le but de prouver cette doctrine, semblerait plutôt démontrer le contraire ; c'est Hébreux IX, 27 : « Il est ordonné que tous les hommes meurent une fois ; après quoi le jugement ». Il n'est que raisonnable d'appliquer l'expression « une fois » au jugement aussi bien qu'à la mort. Et alors il s'ensuivra, non pas qu'il y a deux jugements, l'un individuel, l'autre général mais plutôt que nous ne devons être jugés (comme mourir) qu'une seule fois ; et que cet Unique jugement aura lieu, non pas immédiatement après la mort, mais seulement « quand le Fils de l'homme viendra dans sa gloire avec tous les saints anges (Matthieu 25 : 31)  ». Ceux qui font de la parole écrite de Dieu la seule et entière règle de leur foi, ne sauraient donc admettre cette hypothèse d'un jugement qui suit la mort et d'un autre ayant lieu à la fin du monde.

Le temps où nous serons appelés à rendre compte de notre administration, c'est celui où apparaîtra « un grand trône blanc, et quelqu'un assis dessus, devant qui la terre et les cieux s'enfuiront, et on ne les trouvera plus (Apocalypse 20 : 11)  ». Alors « les morts, grands et petits, se tiendront debout, devant Dieu, et les livres seront ouverts, (Apocalypse 20 : 12) » le livre des Écritures saintes pour ceux à qui le dépôt en a été confié ; le livre de la conscience pour tous les hommes ; le « livre de mémoire (Malachie 3 : 16) » aussi, pour employer une autre expression biblique, qui s'écrit depuis le commencement du monde, et qui alors sera ouvert sous les yeux de tous. Et c'est devant tous, oui, devant le genre humain tout entier, devant le diable et ses anges, devant l'assemblée innombrable des saints anges, devant Dieu, le Juge de tous, que tu paraîtras, sans que rien puisse te couvrir, t'abriter, te déguiser le moins du monde, et que tu auras à rendre un compte exact de la manière dont tu t'es servi de tous les biens de ton Maître !

                     C'est alors que le juge te demandera « Qu'as-tu fait de ton âme ? Je t'avais confié la charge d'un esprit : immortel, doué de facultés et d'attributs divers, d'une raison, d'une imagination, d'une mémoire, d'une volonté et de nombreuses passions. Je te donnai en même temps des instructions complètes et expresses sur la façon dont tu devais te servir de toutes ces choses. As-tu employé ton intelligence selon ces instructions, dans la mesure tes capacités ? L'as-tu employée à te connaître toi-même et à me connaître, à connaître ma nature, mes attributs, mes œuvres, tant celles de la nature que celles de la Providence et celles de la grâce ? L'as-tu employée à étudier ma parole, à mettre à profit tout ce qui pouvait te la faire mieux comprendre, à la méditer jour et nuit ? As-tu fait servir ta mémoire, comme je le voulais, à amasser des connaissances dont la possession devait contribuer à ma gloire, à ton salut, au bien de tes semblables ? Y as-tu accumulé, non point des choses sans valeur, mais tous les enseignements que te fournissait ma parole, et tout ce que l'expérience t'apprenait concernant ma sagesse, ma vérité, ma puissance et ma miséricorde ? Et ton imagination, l'as-tu fait servir, non à te représenter des choses vaines, ou même des choses qui alimentaient « plusieurs désirs insensés et pernicieux (1 Timothée 6 : 9) » mais à te rappeler ce qui pouvait être utile à ton âme et t'exciter à rechercher la sagesse et la sainteté ? As-tu obéi à mes ordres au sujet de ta volonté ? Me l'as-tu soumise entièrement ? A-t-elle été tellement confondue avec la mienne qu'elles n'aient jamais été opposées, mais toujours parallèles l'une à l'autre ? Tes affections ont-elles été appliquées et réglées selon les ordonnances de ma parole ? M'as-tu donné ton cœur ? N'as-tu aimé ni le monde, ni les choses du monde ? Ai-je été l'objet de ton amour ? Tous tes désirs ont-ils été tournés vers moi et vers la mémoire de mon nom ? Ai-je été la joie et les délices de ton âme, « le principal entre dix mille (Cantique 5 : 10. Dans Ostervald : « Il porte l'étendard au milieu de dix mille » ) » pour elle ? Ne t'es-tu affligé de rien, si ce n'est de ce qui pouvait attrister mon Esprit ? N'as-tu craint, n'as-tu haï rien plus que le péché ? Le courant tout entier de tes affections allait-il vers cet océan d'où il était, venu ? Tes pensées, étaient-elles occupées, comme je le désirais, non pas à vagabonder jusqu'aux extrémités ; de la terre, non pas à des choses folles ou coupables, mais à tout ce qui est pur, à tout, ce qui est saint, à tout ce qui peut me glorifier et établir la paix et la bienveillance parmi les hommes ? »

                      Le Seigneur te dira aussi alors : « Quel usage as-tu fait du corps que je t'avais confié ? Je t'avais donné une langue pour me louer : l'as-tu employée à cela ? L'as-tu fait servir, non à médire ou à dire des riens, non à des conversations malveillantes ou inutiles, mais à des entretiens profitables, se rapportant à des choses nécessaires ou utiles soit à toi, soit à ton prochain, à des entretiens qui, directement ou indirectement, « servent à l'édification et communiquent la grâce à ceux qui les entendent (Éphésiens 4 : 29) ? » Je t'avais donné, avec d'autres sens, la vue et l'ouïe, ces deux moyens précieux d'information : les as-tu utilisés en vue des résultats excellents que je m'étais proposés en te les accordant, en vue de t'instruire de plus en plus dans la justice et la sainteté véritables ? Je t'avais donné des mains, des pieds, d'autres membres encore, pour accomplir, « les bonnes œuvres, pour lesquelles Dieu nous a préparés, afin que nous y marchions (Éphésiens 2 : 10 La version anglaise et la révision d'Ostervald disent : « Les bonnes œuvres que Dieu a préparées ».) ; » les as-tu employés, non a faire « la volonté de la chair (Jean 1 : 13)  ». la volonté de ta nature déchue, ou la volonté de ton propre esprit, les choses que te dictait, ta raison ou bien ton imagination, mais « la volonté de celui qui t'a envoyé (Jean 4 : 34) » dans ce monde pour que tu y travailles à ton salut ? As-tu consacré tous tes membres, non au péché pour servir d'instruments d'iniquité, mais à moi seul, en mon Fils bien-aimé, « pour être des instruments de justice (Romains 6 : 13) ? »

                   Le Maître de toutes choses te demandera encore : « Quel usage as-tu fait des biens terrestres que je t'avais confiés ? As-tu considéré tes aliments, non pas comme une chose où tu devais chercher et mettre ton bonheur, mais comme un moyen d'entretenir la santé, la force, la vigueur de ton corps, pour qu'il fût l'instrument docile de ton âme ? As-tu considéré le vêtement, non point comme une affaire d'orgueil, de vanité, ou, pis encore, comme un moyen de tenter les autres et de tes faire pécher, mais comme destiné à te protéger d'une façon commode et décente contre les intempéries de l'air ? En préparant et en faisant servir ta maison ou tel autre objet, as-tu eu en vue surtout ma gloire ? As-tu cherché en tout mon honneur plutôt que le tien, cherché à me plaire plutôt qu'à toi-même ? Voyons, comment as-tu employé ce dépôt qui en renferme tant d'autres, l'argent ? Ne l'as-tu pas fait servir à satisfaire la convoitise de la chair, la convoitise des yeux ou l'orgueil de la vie ? Ne l'as-tu pas gaspillé pour des bagatelles, comme si tu l'avais jeté à l'eau ? Ne l'as-tu pas thésaurisé pour tes héritiers comme si tu l'enterrais ? Ou bien, après avoir pourvu à tes besoins réels et à ceux de ta famille, m'as-tu approprié le reste dans la personne des pauvres que j'ai désignés pour le recevoir ? T'es-tu regardé toi-même comme étant un de ces pauvres aux besoins desquels tu devais suffire avec les ressources que je le confiais, te réservant toutefois cet avantage d'être servi le premier, et aussi le bonheur qui consiste à donner au lieu de recevoir ? En agissant ainsi, es-tu devenu un bienfaiteur pour l'humanité en général et as-tu nourri les affamés, vêtu ceux qui étaient nus, secouru les malades, aidé les étrangers, soulagé les affligés, en tenant compte des nécessités de chacun ? As-tu servi d'yeux à l'aveugle et de pieds au boiteux ? As-tu été le père des orphelins et le mari de la veuve ? As-tu, enfin, pratiqué diligemment toutes les œuvres de charité comme un moyen de sauver des âmes de la mort ? »

                    Enfin, ton Maître te demandera, encore : « As-tu été un économe prudent, et fidèle quant aux talents de diverses natures que je t'avais confiés ? As-tu employé ta santé et tes forces, non pour la folie et le péché, non pour ces plaisirs qui périssent à mesure qu'on en jouit, pour « avoir soin de la chair et satisfaire ses convoitises (Romains 13 : 14) », mais à rechercher ardemment cette bonne part que personne ne pourra t'ôter ? As-tu fait servir à la propagation de ce qui est bien et à l'agrandissement de mon royaume sur la terre, les avantages personnels et extérieurs que tu possédais, et ceux que tu avais acquis par l'éducation, comme aussi tes connaissances plus ou moins étendues et ton expérience des hommes et des choses ? La portion d'autorité que tu avais, et l'influence que tu exerçais sur les semblables, grâce à leur estime ou à leur amour pour toi, les as-tu mises à profit pour augmenter parmi eux la sagesse et la sainteté ? Ce talent inestimable, le temps, l'as tu employé discrètement et prudemment, appréciant chaque minute à sa juste valeur et te souvenant qu'elles comptent toutes dans l'éternité ? Et par-dessus tout, as-tu été un économe fidèle de ma grâce qui t'a prévenu, accompagné et suivi ? As-tu fait attention à tous les mouvements de mon Esprit, et essayé de profiter de tout bon désir qu'il t'inspirait, de tout degré de lumière qu'il t'apportait, de toutes ses répréhensions sévères ou tendres ? As-tu su tirer parti du ministère de l'esprit de servitude et de crainte qui a précédé l'Esprit d'adoption ? (Romains 8 : 15) Et après avoir reçu ce dernier qui criait dans ton cœur : Abba, Père ! as-tu su te tenir ferme dans la liberté glorieuse où je t'avais mis ? As-tu, depuis lors, offert ton corps et ton âme, toutes tes pensées, toutes les paroles, tous les actes en un sacrifice saint que l'amour enveloppait et embrasait, et par lequel tu me glorifiais dans ton corps et dans ton esprit ? S'il en a été ainsi, « cela va bien, bon et fidèle serviteur ; entre dans la joie de ton Seigneur (Matthieu 25 : 21) »

                    Et qu'adviendra-t-il alors de l'économe ; fidèle ou infidèle, de Dieu ? La sentence du juste Juge n'aura plus qu'à s'accomplir, cette sentence qui fixera ton sort irrévocablement aux siècles des siècles ! A ce moment-là, il ne le restera plus qu'à être rétribué selon les œuvres et pour l'éternité.

IV

                    Les réflexions simples et sérieuses que nous venons de faire nous suggèrent plusieurs leçons. Et d'abord, que le temps de notre vie est court et incertain ! Combien chaque fragment de cette existence est précieux, au delà de tout ce qu'on peut dire ou concevoir !

De nos instants le moindre est un trésor :
Sable menu du Temps, mais sable d'Or !

                         Et combien il importe à tout homme de n'en point laisser perdre, de les faire tous servir à l'accomplissement du but le plus élevé, aussi longtemps que Dieu nous laissera le souffle !

                     En second lieu, nous apprenons par ce qui précède que l'emploi de notre temps, nos actions, nos paroles, ne sauraient jamais être chose indifférente. Chaque chose est en soi bonne ou mauvaise ; car ni le temps lui-même, ni quoi que ce soit ne nous appartient en propre. Tout cela est, comme a dit Jésus, la propriété d'autrui, celle de Dieu notre Créateur. Ces choses peuvent être employées selon sa volonté ou contrairement à sa volonté. Dans le premier cas, tout va bien ; dans le second, tout est mal. C'est sa volonté que nous croissions continuellement dans la grâce et dans la connaissance vivante de notre Seigneur Jésus-Christ. Ainsi donc, toute pensée, parole ou action qui augmentera en nous cette connaissance et nous fera croître en grâce, sera bonne ; mais tout ce qui ne contribuera pas à ce résultat sera réellement et radicalement mauvais.

                    En troisième lieu, nous apprenons encore qu'il n'y a point d'œuvres de surérogation, que nous ne pouvons jamais faire au-delà de notre devoir ; car rien de ce que nous avons n'est à nous ; tout est à Dieu, et conséquemment tout ce que nous pouvons faire lui revient. Nous n'avons pas reçu de lui ceci ou cela seulement, ou même bien des choses, mais tout, absolument tout ; c'est pour cela que nous lui devons tout. Celui qui nous a tout donné a droit à tout. Et si nous lui rendions moins que ce tout, nous ne serions pas des économes fidèles. Puisque « chacun recevra sa propre récompense selon son propre travail (1 Corinthiens 3 : 8) », nous ne pouvons être bons économes qu'à la condition de travailler de toutes nos forces, de déployer toutes nos ressources, pour ne rien omettre de ce que nous pouvons faire.

Mes frères, « y a-t-il parmi vous quelque homme sage et intelligent (Jacques 3 : 13) ? » Qu'il montre qu'il possède la sagesse qui vient d'en haut, en marchant d'une manière conforme à sa profession. S'il se regarde comme économe des biens divers du Seigneur, qu'il s'attache à mettre toutes ses pensées, toutes ses paroles, toutes ses œuvres en harmonie avec les fonctions que Dieu lui a confiées. Ce n'est pas peu de chose que d'avoir à employer au service de Dieu tout ce que vous avez reçu de lui. Cela demande toute votre sagesse, tout votre courage, toute votre patience et toute votre persévérance ; cela en exige beaucoup plus que vous n'en possédez naturellement, mais pas davantage que vous n'en pouvez obtenir de la grâce de Dieu. Car sa grâce vous suffira, et vous savez que toutes choses sont possibles pour celui qui croit (Marc 9 : 23)  ». Ainsi donc, par la foi « revêtez-vous du Seigneur Jésus-Christ (Romains 13 : 14) », « prenez toutes les armes de Dieu (Éphésiens 6 : 13) », et il vous sera donné de le glorifier par toutes vos paroles et par tous vos actes, et même « d'amener captives toutes vos pensées pour les soumettre à l'obéissance de Christ (2 Corinthiens 10 : 5) ! » 


vendredi 5 août 2016

(18) SERMON DE WESLEY LA RÉFORME DES MŒURS

Numérisation Yves PETRAKIAN Copie autorisée pour diffusion gratuite uniquement Obligation d'indiquer la source http://456-bible.123-bible.com 

Sermon 52 :           LA RÉFORME DES MŒURS

Psaume 94,16
1763

Qui se lèvera pour moi contre les méchants ?  (Psaume 94 : 16)

                    Sermon prêché devant les membres de la Société pour la réforme des mœurs, le dimanche 30 janvier 1763. Cette société exista pendant plusieurs années et fit un bien incalculable. Mais elle a été complètement ruinée par un arrêt de la Cour royale, qui la frappa d'une amende de sept mille cinq cents francs. Ma conviction est que les témoins, le jury et tous ceux qui furent impliqués dans ce procès inique, auront à rendre un compte bien sérieux devant Dieu. (Note de J. Wesley.)

                    On a vu dans tous les temps des hommes « qui ne craignaient point Dieu, et qui n'avaient aucun égard pour personne (Luc 18 : 2) », s'associer et se liguer pour mieux accomplir leurs œuvres de ténèbres. En agissant ainsi, ils se sont montrés « prudents dans leur génération (Luc 16 : 8) ; » car ces associations ont contribué à l'extension du règne de leur père qui était le diable, plus que tous les autres moyens qu'ils auraient pu employer.

                     Mais, d'un autre côté, ceux qui craignent Dieu et veulent le bonheur de leurs semblables, ont aussi dans tous les siècles compris la nécessité de s'unir pour lutter ensemble contre ces œuvres de ténèbres, pour répandre la connaissance de Dieu leur Sauveur, et pour propager son royaume sur la terre. A la vérité, c'est Dieu lui-même qui leur a enseigné à faire cela. Depuis que la terre est habituée, il a prescrit à ses enfants de s'associer pour le servir, et par son Esprit il les a réunis en un seul corps. Et s'il les a ainsi groupés ensemble, c'est « pour détruire les œuvres du diable (1Jean 3 : 8) », d'abord en ceux qui sont ainsi associés, et puis, par eux, en tous ceux qui les entourent.

                    Tel fut le but primitif de l'Eglise de Christ. C'est une société d'hommes qui s'unissent, premièrement en vue de travailler chacun d'eux à son propre salut. Ensuite, pour s’entraider dans ce saint travail du salut, de leurs âmes ; et enfin, autant qu'ils le pourront, pour sauver tous les hommes du malheur présent et à venir, pour renverser le règne de Satan et établir celui de Jésus-Christ. Telles doivent être aussi la grande préoccupation et la continuelle occupation de tous les membres de l'Eglise chrétienne, sans quoi ils ne méritent pas de porter ce titre, attendu qu'ils ne sont pas des membres vivants de Jésus-Christ.

                    Cela devrait donc être l'objet constant des pensées et des efforts de tous ceux qui, dans ce pays, constituent par leur union ce qu'on appelle l'Église anglicane. Ils sont associés en vue de résister au diable et à toutes ses œuvres, de faire la guerre à la chair et au monde, ces alliés permanents et fidèles de Satan. Mais en est-il effectivement ainsi ? Tous ceux qui se nomment membres de l'Église d'Angleterre sont-ils engagés de tout cœur dans la lutte contre les œuvres du diable, dans le combat contre le monde et la chair ? Hélas ! nous n'osons l'affirmer. Il serait, plutôt vrai de dire qu'une grande partie de ces personnes (et je crains que ce ne soit la majorité), forme elle-même ce qu'on appelle le monde, c'est-à-dire ce peuple qui ne connaît point Dieu d'une manière salutaire ; qu'au lieu de faire mourir la chair avec ses passions et ses convoitises, ils les satisfont et accomplissent eux-mêmes ces œuvres du diable qu'ils étaient tout spécialement appelés à détruire.

                    Il est donc encore nécessaire, même dans ce pays chrétien (comme on nomme par complaisance la Grande-Bretagne), même dans cette Église chrétienne (s'il est permis de désigner ainsi la masse de nos compatriotes), qu'il se trouve des hommes qui se lèvent contre les méchants et se liguent contre les ouvriers d'iniquité. Aujourd'hui plus que jamais, il est urgent que « ceux qui craignent l’Éternel parlent l'un à l'autre (Malachie 3 : 16) » sur ce sujet, pour essayer de lever l'étendard contre l'iniquité qui inonde le pays. Oui certes, il y a lieu, pour tous ceux qui servent Dieu, de se liguer contre les œuvres du diable, de prendre le parti du Seigneur en unissant leurs cœurs, leurs projets et leurs efforts, pour contenir, autant que cela dépend d'eux, ces « torrents des méchants (Psaume 18 : 5)  ».

                    C'est, dans ce but que, vers la fin du siècle dernier (Le dix-septième), quelques personnes s'associèrent à Londres et bientôt reçurent la qualification de Société pour la réforme des mœurs. Pendant près de quarante années, cette société fit un bien incroyable. Mais, les fondateurs étant morts, ceux qui les remplacèrent se laissèrent décourager et abandonnèrent la tâche. C'est pourquoi cette société disparut, il y a quelques années, et, rien d'analogue n'existait plus dans notre pays.

                    C'est une association du même genre qui s'est constituée récemment. Je me propose aujourd'hui d'indiquer : premièrement, la nature de cette entreprise, et ce qu'ont déjà fait les membres de la Société ; en second lieu, l'excellence de cette œuvre, en mentionnant les diverses objections qu'on a dirigées contre elle ; en troisième lieu, ce que doivent être les hommes qui s'en occupent ; et, enfin, dans quel esprit et de quelle manière ils doivent travailler à l'accomplissement de leur dessein. Je terminerai par des exhortations s'appliquant aux membres de la Société et, en général, à tous ceux qui craignent Dieu.

I

Je veux, d'abord, indiquer la nature de l'entreprise et ce qui a déjà été fait.

                    Ce fut un dimanche, au mois d'août 1757, que, dans une petite réunion dont le but était la prière et un entretien. religieux, on vint à parler de la profanation publique et scandaleuse du saint jour qui avait lieu dans cette ville, du fait de gens qui vendaient et achetaient, tenaient boutique ouverte, s'enivraient dans les brasseries, ou débitaient leurs denrées comme les autres jours de la semaine, debout ou assis dans les rues, le long des routes et par les champs, surtout à Moorfields qui, d'un bout à l'autre, en était plein chaque dimanche. On se demanda ce qu'il y aurait à faire pour arrêter ces désordres ; et il fut convenu que six des personnes présentes se rendraient, le lundi matin, chez Sir John Fielding pour le consulter. Cela fut fait : il approuva cette idée, et indiqua comment il fallait. s'y prendre pour la réaliser.

                    On commença par adresser des pétitions à Son Excellence le lord-maire, et, au conseil des aldermen, aux juges qui siègent à Hick's-Hall, et à ceux de Westminster. De ces divers corps de magistrats on reçut des encouragements chaleureux.

                     Il parut convenable ensuite de porter ce projet à la connaissance de divers personnages de distinction, et du clergé tout entier, y compris les pasteurs de diverses dénominations se rattachant aux Eglises et congrégations des cités de Londres et de Westminster aussi bien que des environs. On eut la satisfaction de rencontrer chez eux tous une adhésion et une approbation cordiales.

                     Après cela, la Société fit imprimer et répandre, à ses frais, plusieurs milliers d'exemplaires d'un ouvrage renfermant des instructions adressées aux constables (Sergents de ville) et aux autres agents municipaux, pour leur expliquer et leur enjoindre leurs devoirs respectifs. De plus, pour éviter, autant que possible, d'avoir à recourir aux tribunaux pour assurer l'exécution des lois, la Société fit imprimer et répandre dans tous les quartiers de la capitale des invitations à ne plus profaner le jour du repos, ainsi que des extraits des Actes du Parlement se rapportant à cette question, et enfin, des avertissements à ceux qui se mettraient en contravention.

                       Après avoir pris ces précautions et ouvert ainsi la voie, après avoir fois sur fois envoyé des avertissements dont nul compte n'était tenu, la Société, au commencement de l'année 1755, se décida à porter plainte auprès des magistrats contre les individus qui violaient publiquement le jour du Seigneur. Le premier fruit de cette mesure fut d'obtenir que les rues et la campagne fussent. délivrées de la présence de ces gens qui, ne respectant ni Dieu, ni le roi, y vendaient habituellement leurs denrées du matin au soir. On rencontra plus de difficultés dans la réalisation de la seconde partie du programme, qui était d'empêcher la population de se livrer aux excès de boisson le dimanche et de passer dans les brasseries le temps qu'on eût dû consacrer au culte divin. En poursuivant ce but, les membres de la Société se virent exposés à beaucoup d'opprobres, d'outrages et d'insultes de tout genre. Ils avaient à lutter non seulement contre les buveurs, mais aussi contre les cabaretiers qui les recevaient, et contre des gens riches et honorés, les uns propriétaires de ces brasseries, les autres fournisseurs des boissons qu'on y consommait, contre tous ceux enfin qui retiraient quelque profit de ces transgressions. Parmi ces derniers, il y avait des hommes qui non seulement étaient riches, mais exerçaient des fonctions publiques, de telle sorte que, dans plus d'un cas, ce fut précisément devant eux que comparurent les délinquants. Le mauvais accueil que ces hommes firent à ceux qui portaient plainte, encourageai la lie de la population à suivre leur exemple, et à traiter les membres de la Société comme des gens indignes de vivre. On ne se gêna plus, non seulement pour les injurier de la façon la plus grossière, non seulement pour leur jeter de la boue, des pierres on tout autre projectile qu'on avait sous la main, mais encore et plusieurs fois pour les battre cruellement et les traîner sur le pavé et dans les ruisseaux des rues. Si on ne les tua pas, ce ne fut pas faute de l'avoir voulu, mais parce que les méchants furent contenus, par un frein.

                    Dieu soutint les membres de la Société en question, et ils entreprirent encore d'empêcher les boulangers de consacrer une si grande portion du dimanche au travail de leur métier. Beaucoup de ceux-ci se conduisirent plus honorablement que les cabaretiers. Au lieu d'en vouloir à ceux qui faisaient ces démarches et de considérer leurs efforts comme des provocations, plusieurs qui avaient été entraînés, par le courant des exigences de la clientèle, à agir contrairement aux inspirations de leur conscience, remercièrent les membres de la Société pour leur intervention qu'ils considéraient comme un acte de bienveillance.

                    En expulsant des rues, de la banlieue et des brasseries ceux qui profanaient le jour du repos, les membres de la Société rencontrèrent une autre catégorie de malfaiteurs non moins nuisibles que les autres, les joueurs de toutes sortes. Il s'en trouvait parmi eux qui appartenaient à l'espèce la plus vile, celle qu'on appelle des grecs, gens qui se font une profession d'attirer les jeunes gens sans expérience et de les dépouiller de tout leur argent en trichant au jeu : parfois après les avoir ruinés, ils les initient à leurs mystères d'iniquité. Les agents de la Société ont déniché plusieurs de ces industriels, et en ont réduit quelques-uns à gagner leur pain à la sueur de leur front et par le travail de leurs mains.

                   Le nombre des membres et les ressources de la Société avaient augmenté ; ils en profitèrent pour élargir leur programme, et, non contents de réprimer les jurons blasphématoires, ils entreprirent de débarrasser nos rues de ce qui est à la fois un fléau public et un scandale pour le nom chrétien : je veux parler des femmes publiques. Plusieurs d'entre elles furent arrêtées au milieu de leur carrière de dissipation et de vice. Pour couper le mal à fa racine, on s'attacha à découvrir les maisons où ces femmes étaient reçues et, à la suite de poursuites légales, on les fît fermer absolument. Quelques-unes de ces pauvres créatures déchues, déjà arrivées au degré le plus bas de l'infamie, ont depuis reconnu que c'était la grâce de Dieu qui avait dirigé cette intervention, et elles ont renoncé au péché par une repentante qui n'a point été passagère. Un certain nombre ont été mises en service ; d'autres ont été reçues dans l'hospice de la Madeleine.

                       Que l'on me permette une petite digression. Qui pourrait assez admirer la sagesse de la Providence qui ajuste les temps et les moments de façon à faire correspondre les uns avec les autres certains événements ? Par exemple, dans ce cas où beaucoup de ces infortunées, se voyant tout à coup arrêtées dans leur carrière coupable, éprouvèrent le désir de changer de vie et se firent peut-être cette question lamentable : « Que ferai-je pour vivre si je renonce à l'existence que je mène actuellement ? Car je ne sais pas travailler, et je n'ai pas d'amis pour me recevoir ! » Mais ce fut précisément pour ce moment que Dieu avait préparé l'ouverture de cet hospice de la Madeleine. Là, ces femmes qui n'ont pas de gagne-pain, qui n'ont point d'amis pour les recueillir, sont reçues de la façon la plus charitable. On pourvoit à leurs besoins et même très convenablement ; on leur fournit « tout ce qui regarde la vie et la piété (2 Pierre 1 : 3) ».

Revenons à notre sujet.
Le nombre des individus poursuivis, d'août 1757 à août 1762, s'éleva à 9596.
Voici ceux qui l'ont été depuis et à ce jour :
Pour jeux non autorisés ou pour jurons blasphématoires : 40
Pour profanation du dimanche : 400
Prostituées et teneurs de maisons de débauche : 550
Pour avoir mis en vente des gravures obscènes : 2
Total : 10588

                    Quand il s'agit d'admettre de nouveaux membres, la Société pour la réforme des mœurs ne s'inquiète pas de savoir à quelle secte ou à quel parti ils appartiennent. L'essentiel est que les renseignements qu'on reçoit prouvent qu'on a affaire à des hommes de bien. D'ailleurs, des égoïstes ou des gens intéressés dans les questions d'argent ne resteraient pas longtemps membres de la Société, non seulement parce qu'ils n'y gagneraient rien, mais aussi parce qu'ils auraient bientôt à débourser, attendu qu'en devenant membre on devient, souscripteur. On a répandu le bruit que c'étaient tous des disciples de Whitefield. Mais c'est une erreur. Une vingtaine seulement des souscripteurs réguliers de la Société sont liés avec M. Whitefield ; une cinquantaine avec M. Wesley ; une vingtaine sont membres de l'Eglise nationale et n'ont aucun rapport avec l'un ou l'autre, et, enfin, soixante et dix environ sont des dissidents, ce qui donne un total de cent soixante membres. Il est vrai qu'il y a, en outre, beaucoup de personnes qui aident l'œuvre par des dons non réguliers.

II

                    Tels sont les efforts déjà accomplis en vue de l'œuvre dont nous nous entretenons. Mais je veux, en second lieu, en démontrer le caractère excellent, et cela malgré les objections que l'on a fait entendre à l'encontre. L'excellence de cette œuvre résulte des considérations suivantes. D'abord, que cette guerre ouverte déclarée à toutes les impiétés et les iniquités qui, semblables à un déluge, inondent notre pays, est bien un des plus nobles témoignages qu'on puisse rendre à Jésus-Christ en face de ses ennemis. C'est là glorifier Dieu et montrer au genre humain que, même en nos jours mauvais, il se trouve des âmes, peu nombreuses, hélas ! qui conservent fidèlement leur foi et leur piété devant Dieu. Peut-on imaginer un but plus excellent que celui-là : rendre à Dieu l'honneur dû à son nom, adhérer non par des paroles, mais par des souffrances endurées et par des périls encourus, à cette déclaration : « Quoi qu'il en soit, il y a du fruit (ou : une récompense) pour le juste ; quoi qu'il en soit, il y a un Dieu qui juge sur la terre (Psaume 58 : 12) ? »

                  N'est-ce pas une entreprise bien excellente que celle qui tend à empêcher, autant que possible, que le glorieux nom du Seigneur soit profané, que l'autorité des lois divines soit foulée aux pieds, que notre sainte religion soit déshonorée par la conduite coupable et scandaleuse de gens qui portent, encore le nom de chrétiens ? Oui, chercher à refouler le courant des vices, à contenir « les torrents des méchants Ps 18 : 5 » , supprimer en quelque mesure tout ce qui peut souiller le beau nom que nous portons, ce sont là des pensées nobles entre toutes celles qu'une âme humaine peut concevoir.

                    Mais si cette entreprise tend manifestement à ce résultat : « Gloire à Dieu dans les plus hauts cieux (Luc 2 : 14) » , elle ne contribuera pas moins à réaliser cette autre parole : « Paix sur la terre ! (Luc 2 : 14) » Car puisque tout péché a pour effet direct de détruire notre paix avec Dieu que nos transgressions provoquent, mais aussi de bannir toute paix de notre âme et d'armer chaque homme contre son frère, il se trouvera que toute œuvre qui empêche ou fait disparaître le péché favorise, dans une mesure correspondante, l'établissement de la paix, soit dans notre propre cœur, soit entre Dieu et nous, soit entre nous et nos semblables. Voilà quels sont les fruits que porte cette œuvre dès à présent et dans ce monde-ci. Mais pourquoi nous laisserions-nous arrêter dans nos réflexions par les étroites limites du temps et de l'espace ? Franchissons-les et entrons dans le domaine de l'éternité. Quels fruits de cette œuvre y constaterons-nous ? Voici la réponse d'un apôtre : « Frères, si quelqu'un d'entre vous s'écarte de la vérité, et que quelqu'un le redresse (le ramène, le convertisse, non pas à telle ou telle opinion, mais à Dieu) ; qu'il sache que celui qui aura ramené un pécheur de son égarement, sauvera une âme de la mort, et couvrira une multitude de péchés (Jaacques 5 : 19,20).

                     Mais ce n'est pas seulement au bonheur des individus que cette œuvre contribue, tant de ceux qui peuvent entraîner les autres à la transgression que de ceux qui peuvent s'y laisser entraîner et y succomber ; elle a aussi en vue la prospérité de la communauté tout entière à laquelle nous appartenons. C'est ici, en effet, une vérité reconnue : « La justice élève une nation (Proverbe 14 : 34) ; » mais celle-ci n'est pas moins certaine : « Le péché est la honte des nations (Proverbe 14 : 34)  ». Oui, le péché attire sur elles la malédiction de Dieu. En soutenant les intérêts de ta justice, de la piété, on soutient les intérêts de la nation. Et dans la mesure où l'on peut contenir le péché et le vice, on éloigne d'elle une honte et une malédiction. Tous ceux donc qui participent à cette œuvre sont les bienfaiteurs de leurs semblables, et les meilleurs soutiens de leur roi et de leur patrie. Et il n'y a pas lieu de douter que, dans la proportion où cette entreprise réussira, Dieu accordera au pays, la prospérité, et accomplira ainsi fidèlement sa parole : « J'honorerai ceux qui m'honorent » (1 Samuel 2 : 30)

                     Mais voici une critique qu'on a adressée à cette Société : « Vos intentions sont excellentes ; mais ce sont là des choses qui ne vous pas. N'y a-t-il pas des personnes dont c'est l'affaire spéciale de constater ces délits et de faire châtier les délinquants ? N'y a-t-il pas des constables et d'autres agents municipaux qui ont prêté serment de veiller à cela ? » C'est vrai. Les constables et les représentants de paroisse sont tout particulièrement obligés, par le serment solennel qu'ils ont prêté, de porter plainte contre tous ceux qui violent le jour du repos et contre tous ceux qui commettent des actes scandaleux. Mais s'ils ne font pas leur devoir, si, malgré leur serment, ils ne se mettent point en peine de ces choses, il convient alors que tous ceux qui craignent Dieu, qui aiment leurs semblables et veulent servir leur roi et leur pays, s'appliquent à cette tâche tout comme sil n'y avait pas d'agents désignés pour cela ; car, s'ils n'agissent pas, c'est absolument comme s'ils n'existaient pas.

                      Autre critique : « Ce n'est là qu'un prétexte ; Le but réel de ces gens est de se faire payer comme dénonciateurs ». On a affirmé cela fréquemment et carrément, mais sans qu'il y eût ombre de vérité dans cette accusation. Nous pourrions prouver par mille exemples que c'est tout le contraire. Aucun membre de la Société ne touche quoi que ce soit des indemnités accordées par la loi aux dénonciateurs. C'a été ainsi dès le début ; et ils n'acceptent, pas davantage les sommes qui leur sont offertes en vue d'empêcher ou d'arrêter les poursuites. C'est donc là une erreur sans fondement, si toutefois ce n'est une calomnie volontaire.

                     — « Mais, dit-on encore, la chose est impraticable. Le vice est arrivé à un tel point qu'il est impossible de l'arrêter ; surtout avec de pareils moyens. Que peut une poignée de gens coutre la population tout entière ? » - « Quant aux hommes, cela est impossible, mais non pas quant à Dieu (Marc 10 : 27)  ». Et ce n'est pas en eux-mêmes, mais en Dieu que se confient les membres de cette association. Ceux qui protègent le vice ont beau être forts, ils ne sont devant lui que des sauterelles. Il peut se servir de toutes sortes de moyens ; il peut également « délivrer, soit avec beaucoup, soit avec peu de gens (1 Samuel 14 : 6)  ». Il importe peu que le petit nombre soit pour lui et le grand nombre contre lui ; car il peut faire tout ce qui lui plaît ; « il n'y a ni sagesse, ni intelligence, ni conseil, pour résister à l'Éternel (Proverbe 21 : 30)  ».

                    — « Mais, dira-t-on peut-être, si vous visez réellement à convertir les pécheurs, vous ne devriez pas employer ces moyens. Ce ne sont pas les lois humaines, c'est la parole de Dieu qui peut accomplir cette œuvre. C'est l'affaire des pasteurs, et non celle des magistrats ; et, en vous adressant à ces derniers, vous obtiendrez une réforme extérieure, mais les cœurs ne seront pas changés ».

                    Il est vrai que Dieu se sert habituellement et surtout de sa parole pour changer le cœur et la vie des pécheurs, et que c'est principalement par le moyen des ministres de l'Évangile qu'il accomplit cette œuvre. Mais il est également vrai que le magistrat est « le ministre de Dieu, et vengeur pour punir celui qui fait mal (Romains 13 : 4) », et cela de la part de Dieu, en veillant à l'exécution des lois humaines. Il est vrai que cela ne change pas les cœurs ; mais c'est bien quelque chose d'empêcher que le péché se commette. Cela diminue d'autant l'outrage fait au Seigneur, l'opprobre jeté sur notre sainte religion, la honte et la malédiction tombant sur notre peuple, les tentations offertes aux âmes, enfin la colère amassée par les transgresseurs eux-mêmes pour le jour de la colère.

                    — « C'est le contraire pour ces derniers ; car de beaucoup d'entre eux vous faites des hypocrites qui font semblant d'être ce qu'ils ne sont pas. Et y en a d'autres que vous exaspérez et conduisez à une rage de désespoir dans la carrière du mal, en attirant sur eux la honte et les frais d'un jugement. Ainsi, ils ne valent pas mieux qu'auparavant ; peut-être valent-ils moins ».

                    Rien de cela n'est exact. Où sont les hypocrites en question ? Nous ne connaissons aucune personne qui ait fait semblant, ce qu'elle n'était pas. La honte et les frais auxquels sont exposés les coupables n'ont pas pour effet de les exaspérer et de les endurcir dans le mal, mais bien de leur inspirer une crainte salutaire. Il y en a qui, loin d'avoir empiré, sont, tout compté, meilleurs ; car le cours de leur vie est changé. Et même il y en a dont le cœur a été changé, qui sont « passés des ténèbres à la lumière et, de la puissance de Satan à Dieu (Actes 26 : 18)  ».

                     — « Mais il y a bien des gens qui ne sont pas convaincus que ce soit un péché de vendre ou d'acheter le dimanche ! »

                   S'ils n'en sont pas convaincus, ils devraient l'être, et il est grand temps qu'ils le soient. La chose est bien simple. Si ce n'est pas un péché que de violer ouvertement et volontairement la loi de Dieu et celle du pays en même temps, qu'est-ce qui sera péché, je vous le demande ? Et si on ne doit pas punir cette violation des lois humaines et divines, simplement parce que le coupable n'est pas convaincu que ce soit un péché, il faudra donc renoncer à faire exécuter les lois, et laisser chacun faire ce qu'il voudra !

                    — « Mais il faudrait d'abord essayer des mesures de douceur ! » On l'a fait, et on le fait encore. On avertit d'une façon bienveillante ceux qui sont en faute avant de porter plainte contre eux ; on ne poursuit personne avant de lui avoir fait entendre bien clairement que, s'il veut éviter des poursuites, il doit renoncer à ce qui les motive. Dans chaque cas on emploie les moyens les plus conciliants que comporte la situation, et l'on n'a recours aux mesures rigoureuses que lorsque les moyens de conciliation ont complètement échoué.

                     — « En fin de compte, après tout le mouvement que l'on s'est donné pour réformer, quel bien réel a-t-on fait ? » Cette œuvre a fait un bien incalculable, beaucoup plus de bien qu'on eût pu en attendre en peu de temps, avec si peu d'ouvriers, et en présence de si grandes difficultés. Elle a empêché beaucoup de mal, elle en a fait disparaître beaucoup. Chez beaucoup de pécheurs, il y a eu une réforme extérieure, et chez quelques-uns un changement intérieur. L'honneur de celui dont nous portons le nom, était insulté publiquement : il a été publiquement défendu. Il est, d'ailleurs, impossible de dire toutes les bénédictions, petites et grandes, que ce faible effort, tenté pour Dieu et pour sa cause et contre ses ennemis audacieux, a pu attirer sur notre peuple. En résumé, malgré toutes les objections qu'on a soulevées contre elle, cette entreprise demeure, tout homme raisonnable en conviendra, une des plus excellentes qu'une âme d'homme ait jamais conçues.

III

                    Mais que doivent-ils être, ceux qui s'associent à cette entreprise ? Bien des gens ont pu s'imaginer qu'on doit admettre avec empressement tous ceux qui sont disposés à aider, et que plus il y aura de membres, plus l'influence de la Société sera grande. Il n'en est point ainsi : les faits ont prouvé le contraire jusqu'à l'évidence. Tandis que la première Société pour la réforme des mœurs ne compta qu'un petit nombre de membres bien triés, bien qu'ils ne fussent ni riches, ni puissants, elle surmonta toute opposition et réussit admirablement dans les divers objets qu'elle avait en vue. Mais lorsqu'on y reçut un plus grand nombre d'hommes moins soigneusement choisis, l'utilité de l'association commença à diminuer jusqu'à ce qu'enfin, par une décadence graduelle, les choses se trouvèrent réduites à rien.

                   Il ne faut donc pas davantage compter sur le grand nombre des membres que sur leur fortune ou sur leur rang. C'est une œuvre de Dieu : elle a été entreprise en son nom et pour l'amour de lui. Il suit, de là que ceux qui n'aiment point Dieu et ne le craignent même pas n'ont « point de part, ni rien à prétendre dans cette affaire (Actes 8 : 21)  ». A ceux-là le Seigneur pourrait dire : « Est-ce à toi de réciter mes statuts et de prendre mon alliance en ta bouche, puisque tu hais la correction, et que tu as jeté mes paroles derrière toi ? (Psaume 50 : 16,17) » Quiconque vit sciemment dans le péché est par cela même impropre pour cette œuvre de réforme des pécheurs ; surtout si cette personne est coupable, même occasionnellement, même tant soit peu, de profanation du nom de Dieu, d'acheter, de vendre, ou de faire quelque travail qui n'est pas indispensable le dimanche ; ou bien encore si elle fait quelqu'une des choses que la Société a pour but spécial de combattre. Qu'aucun homme qui a lui-même besoin de se réformer n'ose donc demander à prendre part à cette œuvre. Qu'il « ôte premièrement de son œil la poutre (Matthieu 7 : 5) ; » qu'il commence par être lui-même irréprochable à tous égards.

                    Je ne veux pas dire que cela soit suffisant. Il faut que celui qui s'engage dans cette œuvre soit quelque chose de plus qu'un homme inoffensif. Il a besoin d'être un homme de foi ; il doit avoir au moins assez de cette « démonstration des choses qu'on ne voit point (Hébreux 11 : 1) », pour « ne point regarder aux choses visibles, mais aux invisibles ; car les choses visibles ne sont que pour un temps, mais les invisibles sont éternelles (2 Corinthiens 4 : 18)  ». Il doit avoir cette foi qui produit une crainte sérieuse de Dieu et la détermination durable de s'abstenir, avec l'aide de sa grâce, de tout ce qu'il défend et de pratiquer tout ce qu'il commande. Il a tout particulièrement besoin de cette branche spéciale de la foi qui se nomme la confiance en Dieu. Car c'est là foi qui « transporte les montagne (1 Corinthiens 8 : 2) », « éteint la force du feu (Hébreux 11 : 34) », renverse tous les obstacles, et rend capable d'en combattre et d'en « poursuivre mille (Deutéronome 32 : 30 » parce qu'on sait où est la source de la force et parce que, tout en « se regardant soi-même comme condamné à mort », on a « confiance en Dieu qui ressuscite les morts (2 Corinthiens 1 : 9) »

                    L'homme qui a cette foi, cette confiance en Dieu, ne peut manquer d'être courageux. Et il faut absolument l'être quand on s'associe à cette entreprise. Car on est certain d'y rencontrer dans l'exécution bien des choses qui sont pénibles pour la nature humaine, si pénibles que quiconque voudra « consulter la chair et le sang (Galates 1 : 16) » , craindra de s'y exposer. C'est donc ici le cas de posséder un vrai courage ; il en faut, et beaucoup. Or, c'est la foi seule qui peut le donner. C'est le croyant qui peut dire :

Qui se confie
En toi, Jésus,
Brave et défie
Echecs, refus.
Pour lui l'épreuve
Est sans effroi.
Rien qui l'émeuve :
Il sert son Roi !

                    La patience tient de très près au courage ; celui-ci affronte les dangers à venir ; elle endure les maux présents. Quiconque veut prendre part à l'œuvre en question aura grand besoin de patience. Car il aura beau être irréprochable : il se trouvera dans la situation d'Ismaël ; « il lèvera sa main contre tous, et tous lèveront la main contre lui (seulement 16 : 12)  ». Rien d'étonnant dans cela ; car si « tous ceux qui veulent vivre dans la piété selon Jésus-Christ seront persécutés (2 Timothée 3 : 12) », à plus forte raison ceux qui, non contents de vivre eux-mêmes dans la piété, ont la prétention de contraindre les méchants d'en faire autant, ou du moins de renoncer à leur impiété ouverte ! N'est-ce pas là se mettre en guerre avec le monde entier ? N'est-ce pas là jeter un défi à tous les enfants du diable ? Et Satan lui-même, « prince de ce monde (Jean 14 : 30) » « prince des ténèbres de ce siècle (Éphésiens 6 : 12) » ne déploiera-t- il pas toute sa et toute sa force pour soutenir son trône qui chancelle ? Qui s'imagine que le lion rugissant va se laisser arracher sa proie sans résister ? Ainsi, « vous avez besoin de patience, afin qu'après avoir fait la volonté de lieu, vous remportiez l'effet de sa promesse (Hébreux 10 : 36)  ».

                     Il vous faut aussi de la constance, pour que vous « reteniez constamment la profession de votre espérance sans varier (Hébreux 10 : 23)  ». Cette qualité est indispensable aux membres de cette Société ; ce n'est point l'affaire de « l'homme dont le cœur est partagé et qui est inconstant en toutes ses voies (Jacques 1 : 8 » Celui qui ressemble à un roseau agité par le vent ne vaut rien pour une pareille lutte : un cœur résolu et inébranlable. Si quelqu'un « met la main à la charrue » sans avoir ces qualités-là, il « regardera en arrière (Luc 9 : 62) » avant longtemps. « Il n'est que pour un temps ; et lorsque l'affliction ou la persécution (les épreuves particulières ou publiques) surviendront à cause de la parole (ou de cette œuvre), il se scandalisera aussitôt (Matthieu 13 : 21) »,

                    A vrai dire, il est bien difficile de persévérer dans cette rude tâche, si l'on n'a pas l'amour qui surmonte et la souffrance et la crainte. Il importe donc au plus haut point que ceux qui veulent s'associer à ces efforts aient « l'amour de Dieu qui est répandu dans nos cœurs (Romains 5 : 5) », et qu'ils puissent tous dire : « Nous l'aimons, parce qu'il nous a aimés le premier (1Jean 4 : 19) » Alors la présence de celui qu'aime leur âme leur rendra le travail facile. Alors ils pourront s'écrier, non pas dans un élan fougueux de l'imagination, mais en toute vérité et en toute simplicité :

Quand je marche avec toi, Seigneur, mon âme oublie
Fatigues et soucis ;
Mon devoir semble aisé ; ma tâche est ennoblie ;
Mes maux sont adoucis.

Ce qui fait paraître encore plus doux les travaux et même les souffrances, c'est que le chrétien aime son semblable. Quand on « aime son prochain » , c'est-à-dire toute âme humaine, « comme soi-même (Matthieu 22 : 39) », comme sa propre âme, quand « l'amour de Christ nous presse (2 Corinthiens 5 : 14) » de nous aimer les uns les autres « de même qu'il nous a aimés (Éphésiens 5 : 2) ; » quand, à l'exemple de Jésus qui « a souffert la mort pour tous (Hébreux 2 : 9) », nous sommes prêts à « mettre notre vie pour nos frères (1 Jean 3 : 16) », pour tout homme, pour toute âme pour qui Jésus est mort, quelle menace de danger pourrait nous détourner de ces « travaux de notre charité (1 Timothée 1 : 3) ? » Quelles souffrances n'endurerait-on pas volontiers pour sauver une âme du feu éternel ? Quelle série de travaux, de désappointements et de douleurs ne faudrait-il pas pour venir à bout d'une résolution si bien trempée ? De pareilles âmes se raidissent contre tous les mauvais accueils, et ne se laissent décourager ni par des jours fatigants ni par des nuits sans repos. « La charité espère tout, et supporte tout : elle ne périt jamais (1 Corinthiens 13 : 7,8)  ».

                    Tous les membres d'une association comme celle-ci ont besoin de l'amour, de la charité pour un autre motif encore : c'est que « l'amour ne s'enfle point d'orgueil (1 Corinthiens 13 : 4) ; » il produit le courage et la patience, mais aussi l'humilité. Et combien cette vertu est nécessaire à tous ceux qui s'occupent de cette œuvre ! Rien n'est plus important que ceci, qu'ils soient à leurs propres yeux petits, faibles, misérables et même vils. Car s'il en était autrement, s'ils allaient se croire quelque chose, s'ils s'attribuaient quoi que ce fût à eux-mêmes ; , ou s'ils glissaient dans des dispositions pharisaïques et « présumaient d'eux-mêmes comme s'ils étaient justes, et méprisaient les autres (Luc 18 : 9) », le résultat serait ce qu'il peut y avoir de plus fatal pour cette entreprise. Car alors ils auraient contre eux tout le monde, y compris Dieu lui-même, puisque « Dieu résiste aux orgueilleux, mais fait grâce aux humbles (Jacques 4 : 6) », et aux humbles seuls. Il faut donc que tout membre de cette Société sente son ignorance, sa faiblesse, son incapacité, et qu'il dépende absolument de celui qui seul possède sagesse et force, convaincu, plus qu'il ne pourrait le dire, que c'est Dieu qui opère tout le bien qui se fait sur la terre, et que « c'est, lui qui produit en nous et la volonté et l'exécution, selon son bon plaisir (Philippiens 2 : 13)  ».

                    Il y a encore un point dont tous ceux qui travaillent à cette œuvre doivent être persuadés et se souvenir : c'est que « la colère de l'homme n'accomplit point la justice de Dieu (Éphésiens 4 : 1,2)  ». Qu'ils apprennent donc de celui qui n'était pas seulement humble, mai débonnaire et doux ; et qu'ils conservent, eux aussi, la douceur avec l'humilité. Qu'ils apprennent à « se conduire d'une manière digne de leur vocation, avec toute sorte d'humilité et de douceur (Éphésiens 4 : 1,2)  ». Il faut qu'un homme qui a en vue de faire du bien soit « doux envers tous (2 Timothée 2 : 24) », qu'ils soient bons ou méchants, et cela dans son propre intérêt, et pour l'amour des âmes comme pour l'amour de Christ. Il doit « avoir compassion de ceux qui pèchent par ignorance et par erreur (non seulement 5 : 2)  ». A-t-il même affaire à des gens qui résistent à la parole et à l'œuvre du Seigneur, qui vont jusqu'à leur déclarer la guerre ? Raison de plus pour « instruire avec douceur ceux qui sont d'un sentiment contraire, afin qu'ils se réveillent et se dégagent du piège du diable, par lequel ils ont été pris pour faire sa volonté (2 Timothée 2 : 25,26)  ».

IV

                    Après avoir passé en revue les qualités requises chez ceux qui veulent s'associer à une entreprise comme celle-ci, je vais essayer de montrer dans quel esprit et de quelle manière il convient de s'y livrer. Et d'abord, dans quel esprit ? Ceci a rapport, en premier lieu, au motif qui doit inspirer toutes les démarches que l'on fait ; car si, en certains cas, « la lumière qui est en toi n'est que ténèbres, combien seront grandes ces ténèbres ? » Mais « si ton œil est sain, tout ton corps sera éclairé (Matthieu 6 : 22,23)  ». Il ne faut jamais oublier ce principe, mais l'appliquer à chacune de nos paroles, à chacun de nos actes. Il ne faut rien dire, rien faire, ni petite chose ni grande, en vue de quelque avantage matériel qui pourrait nous en revenir, rien non plus en vue de gagner l'approbation, l'estime, l'amour ou les louanges des hommes. Il faut que l'intention, cet oeil de l'âme, soit toujours tournée vers ces deux objets, la gloire de Dieu, le bien de nos semblables.

                    Mais l'esprit dans lequel vous devez agir, ce sont les sentiments, aussi bien que les motifs, qui accompagneront vos actes. Nous avons déjà décrit ces sentiments. Car ce courage, cette patience, cette constance que l'on doit avoir pour entrer dans cette œuvre, il faut les déployer sans cesse pendant l'exécution. Que celui qui veut y travailler « prenne par-dessus tout le bouclier de la foi, par le moyen duquel un peut éteindre tous les traits enflammés du malin (Éphésiens 6 : 16) » Qu'il il mette en exercice, aux heures difficiles, toute la foi que Dieu lui a donnée. Et que tout ce qu'il fait soit fait dans l'amour et rien comme par force. Et que cet amour soit de ceux que beaucoup d'eaux ne sauraient éteindre, qu'un déluge d'ingratitude ne pourra submerger. Qu'il ait aussi cet esprit humble qui était en Jésus-Christ ; qu'il soit « orné d'humilité (1 Pierre 5 : 5) ; » que l'humilité remplisse son cœur et qu'elle soit la parure de toute sa conduite. Qu'il se revête également « des entrailles de miséricorde, de bonté,.... de patience (Colossiens 3 : 12) ; » qu'il évite tout ce qui pourrait ressembler à de la malice, à de l'aigreur, à de la colère ou à de la rancune : car nous sommes appelés à « ne point nous laisser surmonter par le mal, mais à surmonter le mal par le bien (Romains 12 : 21)  ». Pour demeurer dans cet amour humble et doux, il est très nécessaire de tout faire avec recueillement, d'éviter une hâte excessive et la dissipation d'esprit, tout aussi soigneusement que l'orgueil, l'emportement ou la mauvaise humeur. Mais pour conserver ces dispositions, il n'y a qu'un moyen c'est d'être « persévérant dans la prière (Romains 12 : 12) », soit avant d'agir, soit après avoir agi, mais aussi pendant qu'on est à l'œuvre ; c'est de tout faire dans l'esprit du sacrifice, de tout offrir à Dieu en son Fils bien-aimé.

                    Quant aux procédés à employer, prenez pour règle générale qu'ils doivent correspondre aux dispositions dont nous venons de parler. Mais entrons dans quelques détails. Ayons bien soin de « ne pas faire du mal afin qu'il en arrive du bien (Romains 3 : 8)  ». « C'est pourquoi, renonçant au mensonge, que chacun de vous parle en vérité à son prochain. (Éphésiens 4 : 25) » N'employez ni détour ni ruse pour surprendre ou pour faire châtier des coupables ; mais, par la sincérité (2 Corinthiens 1 : 12) », rendez-vous « recommandable à la conscience de tous les hommes devant Dieu (2 Corinthiens 4 : 2)  ». Il se peut qu'en vous conformant à cette règle, vous n'atteigniez pas un aussi grand nombre de délinquants ; mais, d'un autre côté, la bénédiction du Seigneur reposera d'autant plus sur votre entreprise.

                    Tout en étant innocents, soyez prudents, mais de la vraie prudence. Je ne vous recommande pas ce produit de l'enfer que le monde appelle prudence et qui n'est que de la ruse, de la fraude, de la dissimulation. Ayez cette « sagesse qui vient d'en haut (Jacques 3 : 15) », et que Jésus recommande tout particulièrement à ceux qui veulent établir son royaume sur la terre : « Soyez prudents comme des serpents, et simples comme des colombes (Matthieu 10 : 16)  ». Cette sagesse vous enseignera à adapter vos paroles et l'ensemble de votre conduite au caractère des gens avec qui vous avez affaire, comme aussi au temps, au lieu et aux autres circonstances dans lesquelles vous êtes appelés à agir. Cette sagesse vous apprendra à ne pas donner de prétexte de se plaindre à ceux qui ne cherchent que des prétextes, et à accomplir les devoirs les moins agréables de la façon la moins désagréable qui soit possible.

                    Votre manière de parler, surtout quand vous vous adressez à des coupables, doit toujours être profondément sérieuse, autrement ils pourraient croire que vous les insultez ou que vous jouissez de leur embarras. Il est même convenable que le ton de vos paroles soit triste, pour qu'ils sentent que vous les plaignez d'avoir commis ces fautes et que vous avez pitié d'eux lorsqu'il en souffrent. Il faut que, sur votre visage, comme dans le ton de votre voix et dans les paroles que vous dites, on sente que vous n'êtes pas emportés, mais calmes et modérés, Rien n'empêche même que, dans tous les cas où cela peut se faire sans dissimulation, vous ne vous montriez animés d'un esprit bienveillant et amical. Dans certains cas où l'on ne risque guère d'en abuser, vous pouvez exprimer vos sentiments de bienveillance ; mais, afin que les gens ne s'imaginent pas que vous le faites parce que vous avez peur, ou par quelque autre motif suspect, faites bien entendre que vous n'êtes point effrayés, que vous êtes déterminés à opposer au vice une résistance inflexible et à en poursuivre la répression jusqu'au bout.

V

                     Il ne nous reste plus qu'à faire l'application des choses que nous venons de dire, d'abord à vous qui êtes engagés dans cette œuvre, ensuite à tous ceux qui craignent Dieu, et tout spécialement à ceux qui aiment Dieu en même temps qu'ils le craignent.

                     Quant à vous qui déjà prenez part à cette œuvre, le premier conseil, que je désire vous donner, c'est de réfléchir avec soin et sérieusement à la nature de l'entreprise qui est devant vous. Rendez-vous compte de ce que vous voulez faire ; étudiez bien la question qu'il s'agit de résoudre ; examinez les objections qu'on dirige contre l'ensemble de vos opérations, et, avant d'aller plus loin, assurez-vous que ces critiques ne reposent sur aucun fondement. Cela fait, que chacun agisse selon qu'il est pleinement persuadé dans son esprit.

                    Je vous donnerai un second conseil : c'est de ne pas vous presser d'augmenter le nombre des membres de votre Société. Et quand vous en recevrez de nouveaux, ne tenez compte ni de la fortune, ni du rang, ni d'aucune autre circonstance purement extérieure : attachez-vous à rencontrer les qualités énumérées tout à l'heure. Informez-vous soigneusement si la personne proposés a une conduite irréprochable ; si c'est un homme de foi, courageux, patient, constant ; et s'il aime Dieu et le prochain. Si le membre proposé répond à ce signalement, son admission ajoutera à votre force aussi bien qu'à votre nombre, Mais s'il n'en est pas ainsi, son entrée parmi vous serait une perte plutôt qu'un gain : car vous n'auriez pas l'approbation de Dieu. Ne craignez pas non plus de rejeter du sein de votre association tout membre qui ne posséderait pas toutes les qualités requises. Diminuer votre nombre de cette manière, ce sera augmenter votre force ; car vous serez « des vaisseaux propres au service du Seigneur (2 Timothée 2 : 21)  ».

                     Je vous conseille, en troisième lieu, de vous observer vous-mêmes sérieusement pour savoir quel est, dans chaque cas, le motif qui vous fait parler ou agir. Veillez à ce que vos intentions ne soient jamais entachées par une préoccupation d'intérêt matériel ou de gloire humaine. Tout ce que vous faites, faites-le pour le Seigneur, et comme serviteurs de Christ. Ne cherchez en rien votre propre satisfaction, mais de celui à qui vous êtes et que vous servez. Regardez à Dieu et à lui seul, du commencement à la fin, dans tout ce que vous direz, dans tout ce que vous ferez.

                    Un autre conseil que je vous présente, c'est de tout faire dans un esprit convenable, avec humilité, avec douceur, avec patience et avec bonté, comme le demande l’Évangile de Jésus-Christ. Accomplissez chaque détail de votre œuvre avec confiance en Dieu et dans les sentiments les plus bienveillants, les plus charitables. Tenez-vous en garde contre toute précipitation et contre les distractions ; priez sans cesse, avec ferveur, avec persévérance, afin que votre foi ne défaille point. Et que rien ne vienne détruire en vous cet esprit de sacrifice qui vous portera à vous offrir tout entiers, et avec tout ce que vous possédez, avec tout ce que vous pouvez faire ou même souffrir, en offrande d'agréable odeur, à Dieu par Jésus-Christ.

                    Relativement à la façon dont vous devez agir et parler, je vous rappelle qu'il faut le faire en toute simplicité, sans détours, mais aussi avec prudence et sérieux. Montrez-vous également aussi calmes, aussi modérés que possible ; et même usez d'autant de bienveillance que les circonstances le permettront. Vous ne devez pas agir en bouchers ou en bourreaux, mais plutôt en médecins qui n'infligent à leurs malades que tout juste les souffrances inévitables dans le traitement du mal. Il faut, pour cela, que chacun de vous ait la main d'une femme avec le cœur d'un lion. Alors beaucoup, même de ceux contre lesquels vous aurez eu à sévir, « glorifieront Dieu au jour où il les visitera (1 Pierre 2 : 12)  ».

                     Quant à vous tous qui craignez Dieu, je vous conjure, au nom même de l'espérance que vous avez de trouver grâce devant lui, au nom de la crainte que vous devez avoir « qu'il ne se trouve que vous ayez fait la guerre à Dieu (Actes 5 : 39) » même à votre insu, je vous exhorte à n'empêcher ni n'entraver pour aucun motif ou sous aucun prétexte, ni directement, ni indirectement, cette entreprise si humaine et si propre à glorifier Dieu. Mais ce n'est pas tout. Si vous aimez vos semblables, si vous avez à cœur de diminuer la somme de leurs péchés et de leurs misères, pourriez-vous vous contenter (et pourriez-vous vous justifier devant Dieu de vous en tenir là ?) de ne point mettre obstacle à cette bonne œuvre ? Ne vous sentez-vous pas tenus par les obligations les plus solennelles de « faire du bien à tous, pendant que nous en avons l'occasion (Galates 6 : 10) ? » Et n'avez-vous pas ici une occasion de faire du bien à beaucoup, voire même un bien du genre le plus relevé ? Je vous exhorte donc, au nom du Seigneur, à profiter de cette occasion. Si vous ne pouvez faire davantage, aidez au moins par de ferventes prières ceux qui sont personnellement engagés dans ce saint : labeur. Aidez-les aussi, selon vos forces, à supporter les frais qu'entraîne nécessairement cette œuvre, frais qui les écraseraient si les âmes charitables ne leur prêtaient leur concours. Aidez-les, si vous le pouvez, par des dons trimestriels ou annuels. En tout cas, venez à leur aide maintenant ; faites votre devoir aujourd'hui ; faites ce que Dieu vous mettra au cœur de faire. Qu'il ne soit pas dit que vous avez vu vos frères travailler pour le Seigneur et que vous n'avez pas voulu les aider, même du bout du doigt ! De ces deux manières, donc ; venez « au secours de l’Éternel, au secours de l’Éternel contre les puissants (Juges 5 : 23) ! » (d'après la, version anglaise. Ostervald dit : « avec les hommes puissants ».

                    Mais, j'exigerai davantage de vous qui ne craignez pas seulement Dieu, qui l'aimez aussi. Celui que vous craignez et aimez vous a doués spécialement pour que vous preniez part à son œuvre d'une façon plus complète. Aimant Dieu, vous aimez aussi vos frères ; vous n'aimez pas seulement vos amis, mais vos ennemis, pas seulement les amis de Dieu, mais ses ennemis. « Comme élus de Dieu », vous vous êtes « revêtus... d'humilité, de douceur, de patience (Colossiens 3 : 12) » Vous avez foi en Dieu et en Jésus-Christ qu'il a envoyé, cette foi par laquelle le monde est vaincu. Par cette foi vous pouvez aussi vaincre le mal et la fausse honte, cette « crainte de l'homme qui fait tomber dans le piège ». Vous pouvez donc relever le front devant ceux qui vous méprisent, vous et vos efforts. Préparés comme vous l'êtes, armés pour le combat, feriez-vous comme « les enfants d'Éphraïm, équipés et tirant de l'arc, qui ont tourné le dos au jour de la bataille (Psaume 78 : 9) ? » Voudriez-vous laisser quelques-uns de vos frères seuls à soutenir le choc de toute l'armée ennemie ? Oh ! ne dites pas : « Cette croix est trop lourde ; je n'ai ni le courage lit la force de la porter ! » Cela peut être vrai ; vous ne pouvez pas par vous-mêmes. Mais si vous croyez, vous pouvez dire : « Je puis tout par Christ qui me fortifie (Philippiens 6 : 13)  ». « Si tu peux croire, toutes choses sont possibles pour celui qui croit (Marc 9 : 2)  ». Pour celui-là, aucune croix n'est trop lourde ; car il sait que « si nous souffrons, avec lui nous régnerons lui (2 Timothée 2 : 12)  ». Ne dites pas non plus « Mais je ne voudrais pas passer pour singulier ! » Dans ce cas, vous ne sauriez entrer dans le royaume des cieux. Car, pour y entrer, il faut nécessairement marcher dans le chemin étroit ; et tous ceux qui y marchent passent pour singuliers. Ne dites pas davantage : « Je ne puis pas supporter l'opprobre qui s'attache à la qualification odieuse de dénonciateur ! » Mais jamais homme a-t-il sauvé son âme sans devenir un objet de moquerie et de mépris pour le monde ? Tu ne saurais non plus sauver la tienne, si tu n'acceptes pas que les hommes disent contre toi faussement toute sorte de mal. Ne dis pas : « Mais si je m'occupe personnellement de cette œuvre, je perdrai, avec ma réputation, mes amis, ma clientèle, mon gagne-pain, tout moyen d'existence ; je serai réduit à l'indigence ». Non ! tu ne le seras pas, tu ne saurais l'être ; c'est absolument impossible, à moins que Dieu ne le veuille ainsi ; car « son règne a la domination sur tout (Psaume 103 : 19) », et « les cheveux même de votre tête sont tous comptés (Matthieu 10 : 30)  ». Mais si Dieu qui est sage et bon t'appelle à passer par là, te plaindras-tu et murmureras-tu contre lui ? Ne diras-tu pas plutôt : « Ne boirai-je pas la coupe que le Père m'a donnée à boire (Jean 18 : 11) ? » Si vous souffrez pour Jésus-Christ, « vous êtes bien heureux ; car l'Esprit de gloire, qui est l'Esprit de Dieu, repose sur vous (1 Pierre 4 : 14)  ».

                    Ne dis pas : « Je consentirais bien à tout endurer ; mais ma femme ne veut pas ; et, vous le savez, l'homme doit quitter père, mère et toutes choses pour s'attacher à sa femme ! » Tout, si vous le voulez ; mais tout excepté Dieu, tout excepté Jésus-Christ. L'homme ne doit pas renoncer à Dieu pour l'amour de sa femme. La parenté la plus étroite, la plus chère ne doit pas nous faire négliger un seul devoir. C'est précisément dans ce sens que Jésus a dit : « Celui qui aime son père ou sa mère » , ou bien « femme et enfants » , « plus que moi, n'est pas digne de moi (Matthieu 10 : 37, Luc 14 : 26)  ». Ne dites pas : « Je quitterais bien tout pour Christ ; mais un devoir n'en anéantit pas un autre, et ce genre de devoir m'empêcherait souvent d'assister au culte public ». Il est possible que cela arrivât de temps à autre. Mais « allez et apprenez ce que signifie cette parole : Je veux la miséricorde et non pas le sacrifice (Matthieu 9 : 13) » Tout ce que tu perdras en pratiquant ainsi la miséricorde, Dieu te le rendra dans ton sein et sept fois autant. Ne dis pas : « Je ferais du mal à ma propre âme. Je suis un jeune homme, et si je m'occupais des femmes de mauvaise vie, je m'exposerais à des tentations ». Oui, sans doute, si vous le faisiez avec vos propres forces ou pour votre plaisir. Mais tel n'est point le cas. Vous vous confiez en Dieu, et tout votre but est de lui plaire. Et même s'il vous appelait à entrer dans une fournaise ardente, n'a t-il pas dit : « Quand tu marcheras dans le feu, tu ne seras point brûlé, et la flamme ne t'embrasera point ? (Esaïe 43 : 2) » Vous direz peut-être : « Cela serait vrai s'il m'avait appelé lui-même à y entrer ; mais je ne crois pas qu'il l'ait fait ». Peut-être est-ce que tu ne veux pas le voir. Et d'ailleurs, si le Seigneur ne t'a pas déjà appelé, moi je t'appelle en son nom aujourd'hui. Prends ta crois et suis Jésus-Christ ! Ne consulte plus la chair et le sang, mais décide-toi à être désormais compté parmi les plus méprisés, les plus honnis de ses disciples, à être regardé « comme les balayures du monde et le rebut de toute la terre (1 Corinthiens 4 : 13) ! » Je t'adresse un appel encore plus spécial, à toi qui jadis soutenais les bras de ces ouvriers du Seigneur et qui maintenant t'es retiré. Prends courage et fortifie-toi ! Viens rendre leur joie parfaite en leur apportant de nouveau une coopération cordiale ! Qu'ils sentent que, « si tu as été séparé d'eux pour quelque temps, c'était afin qu'ils te recouvrassent pour toujours,. (Philémon  15) ! » Oh ! ne « résiste point à la vision céleste (Actes 26 : 19 » Et pour vous qui comprenez. à quoi vous avez été appelés, considérez tout le reste comme une perte, si vous pouvez sauver une âme pour laquelle Jésus-Christ est mort ! « Ne soyez point en souci pour le lendemain (Mat 6 : 34) », tandis que vous vaquez à celte œuvre ; mais « déchargez-vous sur lui de tous vos soucis, parce qu'il a soin de vous (1 Pierre 5 : 7) ! » , « Recommandez lui, comme au Créateur fidèle » et miséricordieux, « vos âmes (1 Pierre 4 : 19) », vos corps, vos biens, enfin tout !