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Sermon 39 : (1750) LE VÉRITABLE ESPRIT CATHOLIQUE
2
Rois 10,15
Jéhu, étant parti de là, rencontra Jonadab, fils de Récab, qui venait au-devant de lui ; il le salua et leur dit : Ton cœur est-il aussi droit envers moi, que mon cœur l'est à ton égard ? et Jonadab répondit : il l'est. S'il l'est, dit Jéhu, donne-moi la main (2 Rois 10: 15, version Ostervald révisée)
Nous devons aimer tous les hommes ; c'est une dette que ceux même qui ne l'acquittent pas reconnaissent ; car la loi royale : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même », porte avec elle son évidence ; non pas, toutefois, selon la misérable interprétation qu'en donnaient « aux anciens » leurs docteurs : « Tu aimeras ton prochain », tes parents, tes connaissances, tes amis, et « tu haïras ton ennemi ». Non ! Mais « moi Je vous dis : Aimez vos ennemis » , dit le Seigneur, « bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous outragent et qui vous persécutent, afin que vous soyez enfants de votre Père qui est dans les cieux ; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et, il fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes (Matthieu 5 : 43-4)
Mais il y a, sans contredit, une sorte d'amour que nous devons particulièrement à ceux qui aiment Dieu. Ainsi, David dit : « C'est dans les saints qui sont sur la terre que je prends tout mon plaisir (Psaume 16 : 3) ». Et un plus grand que David : « Je vous donne un commandement nouveau : c'est que vous vous aimiez les uns les autres, comme je vous ai aimés. A ceci tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l'amour les uns pour les autres (Jean 13 : 34,35) ». C'est sur cet amour que l'apôtre saint Jean insiste fréquemment et avec tant de force.
« C'est ici ce que vous avez ouï annoncer dès le commencement, que nous nous aimions les uns les autres (1Jean 3 : 11) » - « Nous avons connu la charité en ce que Jésus-Christ a mis sa vie pour nous ; nous devons donc, aussi », si l'amour nous y appelle, « mettre notre vie pour nos frères (1Jean 3 : 16) ». - « Bien-aimés, aimons-nous les uns les autres ; car l'amour est de Dieu. Celui qui n'aime point n'a point connu Dieu ; car Dieu est amour (1Jean 4 : 7,8) » - « Non que nous avons aimé Dieu, mais c'est lui qui nous a aimés et qui a envoyé son Fils pour faire la propitiation de nos péchés. Bien-aimés, si Dieu nous a ainsi aimés, nous devons nous aimer les uns les autres (1Jean 3 : 10,11) ».
Ici, tous les hommes approuvent, mais tous pratiquent-ils ? L'expérience de chaque jour montre le contraire. Où sont même les chrétiens qui « s'aiment les uns les autres, comme il nous l'a commandé ? » Que d'obstacles encombrent le chemin ! Il y en a deux principaux : d'abord, qu'ils ne peuvent tous avoir les mêmes vues ; puis, et conséquemment, qu'ils ne peuvent tous suivre la même voie ; et qu'en fait, sur certaines questions d'ordre secondaire, leur pratique diffère dans la proportion où diffèrent leurs opinions.
Mais, quoique une différence dans les opinions ou dans les formes de culte puisse empêcher une complète union extérieure, faut-il cependant qu'elle empêche l'union des sentiments ? Si nous ne pouvons pas penser de la même façon, ne pouvons-nous pas nous aimer de la même façon ? Si nous ne pouvoirs avoir les mêmes vues, ne pouvons-nous avoir le même amour ? Oui, sans doute, nous le pouvons, et en ceci tous les enfants de Dieu peuvent s'unir, quelles que soient les différences de détail qui les séparent. Ils peuvent, sans renoncer à leurs divers points de vue, s'exciter les uns les autres à la charité et aux bonnes œuvres.
Sous ce rapport, tout équivoque qu'était le caractère de Jéhu, l'exemple qu'il nous donne mérite bien d'être considéré et imité par tout chrétien sérieux. « Étant parti de là, il rencontra Jonadab, fils de Récab, qui venait au-devant de lui ; et il le salua, et lui dit : Ton cœur est-il aussi droit envers moi, que mon cœur l'est à ton égard ? Et Jonadab répondit : Il l'est. — S'il l'est, dit Jéhu, donne-moi la main (Version anglaise) »
Le texte a deux parties ; d'abord, une question proposée par Jéhu à Jonadab : « Ton cœur est-il aussi droit envers moi, que mon cœur l'est à ton égard ? » puis, sur la réponse de Jonadab : « Il l'est », l'offre de Jéhu : « S'il l'est, donne-moi la main ».
I
Considérons d'abord la question de Jéhu à Jonadab :
« Ton cœur est-il aussi droit envers moi que mon cœur l'est à ton égard ? »
La première chose à observer dans ces paroles, c'est que Jéhu ne s'enquiert pas des opinions de Jonadab. Et pourtant il en avait de très extraordinaires et qui lui étaient particulières, qui avaient la plus stricte influence sur sa pratique et auxquelles il attachait tant de prix qu'il les légua à ses enfants et aux enfants de ses enfants, jusqu'à la postérité la plus reculée ; c'est ce que nous voyons par le récit que fait Jérémie, longtemps après : « Je pris Jaazanja et ses frères, et tous ses fils, et toute la maison des Récabites, et je mis devant eux. des vases pleins de vin et des coupes, et je leur dis : Buvez du vin ; mais ils répondirent : Nous ne boirons point de vin ; car Jonadab, fils de Récab, notre père, nous a donné un commandement, disant : Vous ne boirez point de vin, ni vous, ni vos enfants, à jamais. Et vous ne bâtirez aucune maison, vous ne sèmerez aucune semence, vous ne planterez aucune vigne, et vous n'en aurez point ; mais vous habiterez sous des tentes, tous les jours de votre vie. Nous avons donc obéi à la voix de Jonadab, fils de Récab, notre père, dans toutes les choses qu'il nous a commandées (Jérémie 35 : 3-10) ».
Et pourtant Jéhu, quoique accoutumé à « marcher avec furie (2Rois 9 : 20) » , en religion sans doute comme pour tout le reste, ne s'inquiète nullement de tout cela. Il laissa Jonadab abonder dans son propre sens. El, il ne paraît pas qu'aucun des deux ait, le moins du monde, tracassé l'autre pour ses opinions.
Aujourd'hui encore, il est fort possible que beaucoup d'hommes de bien entretiennent des opinions particulières et qu'il y en ait qui se singularisent, en cela, autant que Jonadab. Il est bien certain que, tant que nous ne connaîtrons « qu'en partie » , tous les hommes n'auront pas en tout les mêmes vues. La faiblesse et le peu d'étendue de notre intelligence, dans son état présent, amène comme conséquence inévitable que, là où sont plusieurs hommes, il existe aussi plusieurs opinions sur les choses religieuses, comme sur celles de la vie commune. Il en est ainsi depuis le commencement du monde, et il en sera ainsi jusqu'au « rétablissement de toutes choses ».
Il y a plus : quoique tout homme croie nécessairement que chacune de ses opinions est vraie, néanmoins nul ne peut être assuré que tout l'ensemble de ses opinions soit vrai. Tout homme qui pense est bien plutôt assuré du contraire, puisque notre lot, il le sait, est « d'errer et d'ignorer ( « Errare et nescire humanun est ». ) ». Il sent bien qu'il ne saurait faire exception à la règle. Il sait donc, d'une manière générale, qu'il a des erreurs, quoiqu'il ne sache, ni ne puisse peut-être savoir, sur quoi elles portent.
Je dis que peut-être il ne peut le savoir ; car qui dira jusqu'où peut aller l'ignorance invincible ou, ce qui revient au même, le préjugé insurmontable, qui souvent s'implante si avant dans l'esprit dés le jeune âge, que plus tard il est impossible d'arracher ce qui a jeté de si profondes racines ? Qui dira, à moins d'en connaître l'origine et les circonstances, jusqu'à quel point une erreur est coupable ? Puisque la culpabilité suppose nécessairement un concours de la volonté, dont celui qui sonde les cœurs est seul juge.
Tout homme sage accordera donc aux autres la même liberté de pensée qu'il désire pour lui-même, sans plus insister pour qu'ils embrassent ses opinions qu'il ne voudrait qu'ils insistassent pour qu'il embrassât les leurs. Il supporte ceux qui différent de lui, et à celui à qui il désire s'associer dans l'amour, il ne fait que cette seule question : « Ton cœur est-il aussi droit envers moi que mon cœur l'est à ton égard ? »
La seconde chose à observer, c'est que Jéhu ne s'enquiert pas des formes du culte préféré par Jonadab, quoiqu'ils différassent sans doute beaucoup l'un de l'autre, aussi sous ce rapport. Car nous avons tout lieu de croire que Jonadab, comme tous ses descendants, servait Dieu à Jérusalem, ce que ne faisait point Jéhu, qui avait plus à cœur la politique que la religion. Bien qu'ayant fait mourir les adorateurs de Baal et extirpé Baal du milieu d'Israël, il ne se détourna point du péché de Jéroboam qui, par intérêt politique, avait érigé le culte des veaux d'or (2 Rois 10 : 29). Mais, même parmi les hommes droits de cœur, parmi ceux qui désirent avoir « une conscience sans reproche », il y aura diverses formes de culte, tant qu'il y aura des diversités d'opinion ; car la diversité d'opinion implique nécessairement des pratiques diverses. Et comme, dans tous les temps, c'est surtout quant aux idées qu'ils se sont faites de l'Être suprême, que les hommes ont le plus différé les uns des autres, aussi ne se sont-ils séparés en rien plus que dans la manière de l'adorer. S'il n'en avait été ainsi que dans le monde païen, il n'y aurait pas lieu de s'en étonner ; car puisqu'ils n'avaient pas trouvé la connaissance de Dieu par leur sagesse, ils ne pouvaient non plus savoir comment lui rendre un culte. Mais n'est-il pas surprenant que, parmi les chrétiens eux-mêmes, bien qu'ils reconnaissent tous que « Dieu est esprit, et qu'il faut que ceux qui l'adorent, l'adorent en esprit et en vérité (Jean 4 : 24) », les formes d'adoration soient pourtant presque aussi diverses que parmi les païens ?
Et comment choisir parmi tant de variétés ? Nul ne peut choisir pour son frère, ni rien prescrire à son frère. Mais chacun doit, en simplicité et dans une pieuse sincérité, suivre ce que lui dicte sa propre conscience. Que chacun soit persuadé dans son esprit, et qu'ensuite il agisse suivant ses lumières. Il n'est pas davantage au pouvoir d'une créature d'en contraindre une autre à suivre la règle qu'elle s'est faite pour elle-même. Dieu n'a donné à aucun fils d'homme le droit de dominer ainsi sur la conscience d'autrui ; mais de même que chacun est responsable envers Dieu pour lui-même, chacun doit aussi décider pour lui-même.
Ainsi, bien que tout disciple de Christ soit obligé, par la nature même des institutions chrétiennes, d'être membre de telle ou telle congrégation ou Église particulière — ce qui implique une forme particulière de culte, car pour que « deux marchent ensemble, il faut qu'ils s'accordent (Amos 3 : 3) » , néanmoins — il n'y a sur la terre d'autre pouvoir que sa conscience qui puisse l'obliger à préférer telle ou telle congrégation, telle ou telle forme de culte. Je sais qu'en général on suppose que le lieu de notre naissance fixe l'Église à laquelle nous devons appartenir, que l'individu né en Angleterre, par exemple, doit être membre de ce qu'on appelle l'Église d'Angleterre, et par conséquent servir Dieu suivant les prescriptions particulières de cette Église. Autrefois je défendais moi-même avec ardeur cette opinion ; mais, pour diverses raisons, j'ai dû rabattre de mon zèle à cet égard. Cette opinion en effet prête à de sérieuses objections qui doivent faire réfléchir tout homme raisonnable : celle-ci, entre autres, qui n'est pas l'une des moindres, que la Réformation n'eût pas été possible, si l'on s'en fût tenu à cette règle. La Réformation, en effet, a eu pour premier principe le droit de libre examen pour tous.
Je ne présume donc point d'imposer ma forme de culte à qui que ce soit. Je la crois vraiment primitive et apostolique ; mais ma conviction ne fait pas règle pour les autres. Je ne demande donc pas à celui à qui je veux m'unir dans l'amour : Êtes-vous de mon Église ou de ma congrégation ? Admettez- vous le même gouvernement ecclésiastique, les mêmes ministères ? Suivez-vous la même liturgie ? Je ne demande pas : Recevez-vous la Cène du Seigneur, dans la même posture et avec les mêmes rites que moi ? quant au baptême, vous accordez-vous avec moi quant aux garanties à établir pour ceux qu'on baptise, quant à la manière de l'administrer, quant à l'âge de ceux à qui on l'administre ? Je ne demande pas même (quelque assuré que je sois moi-même à cet égard) si vous êtes partisan ou non du baptême et de la sainte Cène. Laissons tout cela pour le moment ; nous en parlerons, s'il le faut, dans un temps plus favorable ; je ne vous adresse, à cette heure, que cette seule question : « Ton cœur est-il aussi droit envers moi que mon cœur l'est à ton égard ? »
Mais quel est proprement le sens de cette question ? Je ne veux pas dire : comment l'entendait Jéhu ? Mais dans quel sens devrait l'entendre un disciple de Christ, s'il l'adressait à l'un de ses frères ?
Cela voudrait dire, d'abord : Ton cœur est-il droit à l'égard de Dieu ? Crois-tu en son existence, en ses perfections : son éternité, son immensité, sa sagesse, sa puissance, sa justice, sa miséricorde ; sa vérité ? Crois-tu qu'il soutient maintenant toutes choses par sa parole puissante ? et qu'il les gouverne toutes, et même les plus insignifiantes ou les plus nuisibles, de manière à les faire servir à sa gloire et au bien de ceux qui l'aiment ? As-tu une certitude divine, une conviction surnaturelle des choses de Dieu ? Marches-tu par la foi et non par la vue, regardant, non aux temporelles, mais aux choses éternelles ?
Crois-tu au Seigneur Jésus-Christ, « Dieu au-dessus de toutes choses béni éternellement ? » S'est-il révélé à ton âme ? Connais-tu Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié ? Demeures-tu en lui et lui en toi ? Christ est-il formé en ton cœur par la foi ? Répudiant, entièrement tes propres œuvres, ta propre justice, t'es-tu « soumis à la justice de Dieu » qui est par la foi en Jésus-Christ ? Es-tu « trouvé en lui, ayant non ta propre justice, mais la justice qui est par la foi ? » Et, par lui, « combats-tu le bon combat de la foi, saisissant, la vie éternelle ? »
Ta foi est-elle « agissante par la charité » (Galates 5 : 6) ? Aimes-tu Dieu, (je ne dis pas « par-dessus tout » , expression qui a le double défaut de ne pas être dans la Bible et d'être ambiguë), mais de tout ton cœur, de toute ta pensée, de toute ton âme et de toute ta force ? » Cherches-tu en lui seul tout ton bonheur et l'y trouves-tu ? Ton âme « magnifie-t-elle le Seigneur, et, ton esprit se réjouit-il en Dieu ton Sauveur ? » Ayant appris à « rendre grâces en toutes choses », sens-tu que la reconnaissance est une chose bonne et agréable ? Dieu est-il le centre d'attraction de ton âme, le résumé de tous tes désirs ? Et mets tu ton trésor dans les cieux, ne regardant tout le reste que comme du fumier et des balayures ? L'amour de Dieu a-t-il chassé de ton âme l'amour du monde ? Tu es alors crucifié au monde, tu es mort aux choses d'ici-bas ; et ta vie est cachée avec Christ en Dieu ».
T'appliques-tu à faire « non ta volonté, mais la volonté de celui qui ta envoyé ? » de celui qui t'envoya ici bas pour un court séjour, pour passer quelques moments dans une terre étrangère, jusqu'à ce qu'ayant fini l'œuvre qu'il t'a donnée à faire, tu retournes chez ton Père céleste ? Ta nourriture est-elle de faire la volonté de ton Père qui est dans les cieux ? Ton œil est-il simple en toutes choses, toujours fixé sur lui ? toujours regardant à Jésus ? Est-ce à lui que tu vises dans tout ce que tu fais ? dans tes travaux, tes affaires, ta conversation ? ne cherchant, en toutes choses, que la gloire de Dieu, et quoi que tu fasses, « soit par paroles, soit par œuvres, faisant tout au nom du Seigneur Jésus, rendant grâces par Lui à notre Dieu et Père ».
L'amour de Dieu te presse-t-il de le servir avec crainte ? de te « réjouir » en lui « avec tremblement ? » , crains-tu plus de lui déplaire que tu ne crains la mort ou l'enfer ? Ne vois-tu rien de si affreux que d'offenser son regard glorieux ? Et as-tu « en haine toute voie mauvaise », toute transgression de sa loi sainte et parfaite, t'exerçant à avoir « une conscience sans reproche, pure devant Dieu et devant les hommes ? »
Ton cœur est-il droit à l'égard de ton prochain ? Aimes-tu, sans exception, tous les hommes comme toi-même ? « Si vous n'aimez que ceux qui vous aiment, quel gré vous en saura-t-on ? » Aimez-vous vos ennemis ? Votre âme est-elle pour eux pleine de bonne volonté et d'une affection cordiale ? Aimez-vous les ennemis de Dieu, les méchants et les ingrats ? Vos entrailles sont-elles émues pour eux ? Voudriez vous être, dans le sens temporel, « anathème » pour eux ? Et le prouvez-vous en « bénissant ceux qui vous maudissent et en priant pour ceux qui vous outragent et qui vous persécutent ? »
Montrez-vous votre amour par vos œuvres, ? Selon le temps et l'occasion, faites-vous réellement du bien à tous les hommes connus et inconnus, amis ou ennemis, bons ou méchant ? Leur faites-vous tout le bien que vous pouvez, vous efforçant, autant qu'il est en vous, de fournir à tous leurs besoins pour le corps et pour l'âme ? Si tel est ton état d'âme, peut dire le chrétien, ah si seulement tu désires sincèrement que ce soit ton état d'âme, et si tu fais tes efforts pour y parvenir, alors ton cœur est aussi droit envers moi que le mien l'est à ton égard ! »
II
« S'il en est ainsi, donne-moi la main ». Je ne dis pas : « Sois de mon opinion ». Ce n'est point, nécessaire ; je ne le demande ni ne l'attends. Je ne dis pas davantage que je veuille être de votre opinion. Je ne le puis, ce n'est pas à mon choix ; je ne suis pas plus libre de penser que de voir ou d'entendre à ma volonté. Gardons chacun notre opinion et cela aussi décidément que jamais. Ne vous efforcez même ni de venir à moi ni de m'amener à vous. Je ne vous demande ni de disputer sur ces points, ni même d'en parler. Que les opinions restent, de part et d'autre, ce qu'elles sont. Seulement « donne-moi la main ».
Je ne dis pas : « Embrasse mon culte », ni « J'embrasserai le tien ». C'est encore une chose qui ne dépend ni de votre choix ni du mien. Chacun de nous doit agir comme il est pleinement persuadé dans son esprit. Estimez que ce que vous croyez est le plus agréable à Dieu ; je ferai de même. Je tiens la forme épiscopale pour scripturaire et apostolique. Si vous pensez que la presbytérienne ou l'indépendante vaut mieux, gardez votre pensée et agissez en conséquence. Je crois qu'il faut baptiser les enfants, et que ce baptême peut se faire soit par immersion soit par aspersion. Si vous pensez autrement, gardez votre pensée et suivez votre persuasion. Les prières liturgiques me paraissent d'un excellent usage, surtout dans « la grande assemblée ». Si vous croyez les prières improvisées plus utiles, agissez selon votre propre jugement. Mon sentiment est que je ne puis refuser l'eau du baptême et que je dois manger le pain et boire le vin, en mémoire de mon Maître mourant ; mais cependant, si ma conviction n'est pas la vôtre, agissez suivant vos lumières. Je ne veux disputer avec vous sur aucun de ces points ; laissons ces choses secondaires et qu'il n'en soit jamais question. « Si ton cœur est comme mon cœur » , si tu aimes Dieu et tous les hommes, je ne demande rien de plus : « donne-moi la main ».
« Donne-moi la main » , c'est-à-dire, d'abord aime-moi, mais non pas seulement comme tu aimes tous les hommes ; comme tu aimes tes ennemis, ou les ennemis de Dieu, ceux qui te haïssent, qui t'outragent et qui te persécutent, comme tu aimes celui qui t'est étranger et que tu ne connais ni en bien ni en mal ; non, cela ne me suffit point ; « si ton cœur est aussi droit envers moi que mon cœur l'est à ton égard », aime-moi d'une affection tendre et cordiale, comme un ami plus attaché qu'un frère, comme un frère en Christ, comme un concitoyen de la nouvelle Jérusalem ; comme un compagnon d'armes, engagé dans la même guerre et sous le même capitaine de notre salut. Aime-moi comme compagnon dans le royaume et la patience de Jésus, et comme cohéritier de sa gloire.
Aime-moi (mais à un plus haut degré que tu ne le fais pour le commun des hommes) de cette charité qui est patiente et pleine de bonté, qui, si je suis ignorant ou si je m'égare, m'aide à porter mon fardeau, bien loin de l'aggraver ; de cette charité qui ne sera point envieuse, si jamais il plait à Dieu de bénir mes travaux plus que les tiens ; qui ne s'aigrit point, si j'ai des folies ou des infirmités, ou même s'il te semble quelquefois que je n'agis pas selon la volonté de Dieu. Aime-moi de cette charité qui ne soupçonne point le mal, pour n'avoir jamais à mon égard de mauvais soupçons ; de cette charité qui excuse tout, pour ne jamais révéler mes fautes ou mes infirmités ; qui croit tout, pour prendre toujours en bien mes paroles et mes actions ; qui espère tout, pour espérer, si l'on me reproche quoi que ce soit de mal, que je n'ai rien fait de semblable, ou que les circonstances étaient autres qu'on ne les rapporte, ou que c'était dans une intention pure, ou, enfin, sous le coup soudain de la tentation ; pour espérer toujours, que tout ce qui est défectueux sera redressé par la grâce de Dieu, et qu'il suppléera à tout ce qui manque par les richesses de sa grâce en Jésus-Christ.
« Donne-moi la main », c'est-à-dire, en second lieu, recommande-moi à Dieu dans toutes tes prières ; lutte avec lui en ma faveur, afin qu'il veuille promptement redresser ce qui est mal et suppléer à ce qui me manque. Quand ton accès au trône de la grâce est le plus intime, demande à celui qui est alors tout près de toi que mon cœur devienne plus semblable à ton cœur, plus droit envers Dieu et envers les hommes ; que j'aie une conviction plus entière des choses qu'on ne voit point, et une vue plus distincte de l'amour de Dieu en Jésus-Christ ; que je sois plus ferme à marcher par la foi, et, non par la vue, et plus ardent à saisir la vie éternelle ; demande que l'amour de Dieu et des hommes soit répandu plus abondamment dans mon cœur, que je sois plus fervent et plus actif à faire la volonté de mon Père céleste, plus zélé pour les bonnes œuvres et plus attentif à m'abstenir de toute apparence de mal.
« Donne-moi la main », c'est-à-dire, en troisième lieu, encourage moi à la charité et aux bonnes œuvres. Après avoir prié pour moi, dis-moi, avec amour, selon l'occasion, tout ce que tu crois salutaire à mon âme. Aiguillonne-moi à faire l'œuvre que Dieu m'a donnée à faire, et enseigne-moi à la mieux faire. « Frappe-moi » et me reprends, lorsqu'en quoi que ce soit je te parais faire ma volonté, plutôt que celle de celui qui m'a envoyé. Oh ! ne crains pas de me dire tout ce qui, dans ton opinion, peut servir soit à corriger mes fautes, soit à fortifier ma faiblesse, soit à m'édifier dans l'amour, ou à me rendre plus propre, en quoi que ce soit, au service de mon Maître.
« Donne-moi la main », c'est-à-dire, enfin, aime-moi, non en paroles seulement, mais en effet et en vérité. Joins-toi à moi, autant que tu le peux en conscience (retenant tes vues particulières et ton culte), et donnons-nous la main pour l'œuvre de Dieu. Tu peux aller jusque-là. Parle honorablement, en tous lieux, de l'œuvre de Dieu, quel qu'en soit l'instrument ; parle avec amour de ses messagers. Et, lorsqu'ils sont dans les difficultés et dans les détresses, ne te contente pas de sympathiser avec eux, mais donne-leur, selon ton pouvoir, une assistance joyeuse et efficace, afin qu'ils puissent glorifier Dieu à ton sujet. Et ici, qu'on se rappelle deux choses : la première, que tout cet amour, toutes ces marques d'amour que je réclame de celui dont le cœur est droit comme mon cœur, je suis prêt, par la grâce de Dieu selon ma propre mesure, à les lui rendre ; la seconde, que je ne réclame point, cela pour moi seul, mais que je le demande en faveur de quiconque est, droit de cœur envers Dieu et envers les hommes, afin que nous nous aimions les uns les autres comme Christ nous a aimés.
III
Tirons maintenant une conséquence de ce que nous avons dit, et apprenons de là ce qu'est le véritable esprit catholique.
Peu d'expressions ont été plus sujettes à des malentendus grossiers ou à des applications fausses et dangereuses ; mais il sera facile, à quiconque pèsera avec calme les observations précédentes, de corriger tous ces malentendus et de prévenir toutes ces fausses applications.
Car nous pouvons déjà conclure de ce qui précède, que l'esprit catholique n'est pas un latitudinarisme spéculatif. Ce n'est point l'indifférence pour toutes les opinions ; une telle indifférence est vomie par l'enfer, bien loin d'être un fruit venu du ciel. Cette instabilité d'esprit, cette facilité d'être « emporté çà et là par le vent de toutes sortes de doctrines », n'est point un bien ; c'est une malédiction ; ce n'est point l'ami, c'est l'ennemi irréconciliable de l'esprit « catholique ». L'homme d'un esprit vraiment catholique n'a plus à chercher sa religion. Les grandes vérités du christianisme lui sont aussi claires que le soleil. Il est, sans doute, toujours prêt à entendre et à peser tout ce qu'on peut opposer à ses principes ; mais cela n'indique ni ne produit aucune vacillation dans son esprit. Il n'hésite pas entre deux opinions contraires ; il ne tente pas davantage le vain travail de les mettre d'accord. Pesez bien ceci, vous qui ne savez de quel esprit vous êtes ; qui ne vous réclamez de l'esprit « catholique » que parce que vous avez l'intelligence bourbeuse et l'esprit dans les brouillards ; parce que, manquant de vues consistantes et fixes, vous ne savez que brouiller ensemble toutes les opinions. Croyez-moi, vous avez fait fausse route. Vous ne savez où vous en êtes. Vous vous croyez parvenus à l'esprit même de Christ, tandis que vous vous êtes, en réalité, rapprochés de l'esprit de l'Antéchrist. Allez et apprenez d'abord les premiers éléments de l’Évangile ; et puis vous apprendrez à avoir véritablement l'esprit catholique.
Nous pouvons encore conclure de ce qui précède, que l'esprit catholique n'est pas davantage un latitudinarisme pratique. Ce n'est point l'indifférence pour le culte public, ni pour les formes. Cette indifférence aussi serait une malédiction. Bien loin de favoriser le culte en esprit et en vérité, elle y opposerait les plus grands obstacles. Mais l'homme à l'esprit vraiment catholique, ayant tout pesé dans la balance du sanctuaire, n'a ni doute, ni scrupule quant au culte auquel il se joint. Il ne doute pas qu'il ne soit rationnel et scripturaire. Il n'en connaît pas au monde de plus rationnel ni de plus scripturaire. Il s'y tient donc ; sans courir çà et là, et loue Dieu de pouvoir y prendre part.
Concluons, en troisième lieu, de ce qui précède, que l'esprit catholique n'est pas l'indifférence ecclésiastique ; autre sorte de latitudinarisme, qui n'est pas moins que l'autre absurde et anti scripturaire. Mais l'homme d'un esprit vraiment catholique en est bien éloigné. Autant il est fixé pour ses principes, autant il l'est, pour le choix d'une Église particulière. Il en a choisi une, à laquelle il est fixé pour ses principes autant qu'il l'est pour le choix d'une Église particulière. Il en a choisi une, à laquelle il est uni non seulement en esprit, mais par tous les liens extérieurs de la communion chrétienne. C'est là qu'il participe à toutes les institutions de Dieu ; c'est là qu'il reçoit la Cène du Sauveur ; c'est là que son âme s'unit aux prières publiques, et qu'il se répand avec ses frères en louanges et en actions de grâces ; c'est là qu'il entend avec joie la parole de la réconciliation, l'Évangile de la grâce de Dieu. Avec ses frères plus rapprochés et particulièrement aimés, il cherche Dieu par le jeûne, dans des occasions solennelles. Il veille sur eux, comme ils veillent sur lui, dans l'amour ; s'avertissant, s'exhortant, se reprenant et se consolant les uns les autres, pour s'édifier en toutes manières sur leur très sainte foi.
Il les regarde comme étant de sa maison et de sa famille, et, par conséquent, il prend un soin tout particulier, autant que Dieu l'en rend capable, pour qu'ils aient tout ce qui est nécessaire pour la vie et pour la piété.
Mais s'il est décidé dans ses principes religieux, dans ce qu'il croit être la vérité selon Jésus, s'il est, fermement attaché au culte qu'il regarde comme le plus agréable à Dieu, et uni à une Église par les plus tendres et les plus étroits liens, son cœur n'en est pas moins élargi pour tous les hommes, connus et inconnus, amis et ennemis ; il les embrasse tous dans une vive et cordiale affection. Tel est l'amour catholique ou universel. Celui qui aime ainsi a l'esprit catholique ; car l'amour seul donne droit à ce titre. L'esprit catholique, c'est l'amour catholique.
Si donc nous prenons cette expression dans son sens le plus précis, l'homme d'un esprit catholique est celui qui, de la manière indiquée, donne la main à tous ceux, dont le cœur est droit envers lui ; c'est celui qui sait bien apprécier tous les avantages qu'il doit à Dieu, soit quant à la connaissance des choses de Dieu, soit quant à la forme scripturaire du culte, soit enfin quant à son union avec une Église craignant Dieu et pratiquant la justice ; c'est celui qui, retenant avec le plus grand soin ces bénédictions, les gardant comme la prunelle de son œil, en même temps aime comme amis, comme frères du Seigneur, comme membres de Christ et comme enfants de Dieu, comme coparticipants du royaume, actuel de Dieu et cohéritiers de son royaume éternel tous ceux qui, de quelque opinion, culte ou congrégation qu'ils soient, croient au Seigneur Jésus-Christ ; tous ceux qui aiment Dieu et les hommes ; qui, mettant leur joie à plaire à Dieu et craignant de l'offenser, s'abstiennent avec soin du mal et sont zélés pour les bonnes œuvres, L'homme d'un esprit vraiment catholique les porte continuellement dans son cœur : ayant une tendresse inexprimable pour leurs personnes et désirant vivement leur bien, il ne cesse de les recommander à Dieu dans ses prières, ni de plaider leur cause devant les hommes. Il leur parle selon leur cœur, et travaille ainsi continuellement à fortifier leurs mains en Dieu. Il les aide, au spirituel et au temporel, autant qu'il le peut. Il est prêt à dépenser son argent et à se dépenser lui-même pour eux ; il est prêt, au besoin, à donner sa vie pour eux.
Toi donc, ô homme de Dieu, pense à ces choses ! Si tu marches déjà dans ce chemin, persévères-y. Si tu l'as manqué jusqu'ici, bénis Dieu qui t'y ramène. Et désormais poursuis la course qui t'est proposée, dans la voie royale de l'universel amour ! Prends garde de n'être ni flottant dans ton propre jugement, ni étroit dans ton cœur ; mais marche d'un pas égal, étant enraciné dans la doctrine une fois donnée aux saints, et fondé dans l'amour, dans l'amour vraiment catholique, jusqu'à ce que tu sois consommé dans l'amour aux siècles des siècles !
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