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Sermon 41 : LES PENSÉES VAGABONDES
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Corinthiens 10,5 (1762)
Pour amener captives toutes les pensées et les soumettre à l'obéissance de Christ (2 Corinthiens 10:5)
Dieu amènera-t-il toutes les pensées captives à l'obéissance de Christ, à tel point qu'il n'y ait plus place dans notre esprit pour des pensées vagabondes, quoique nous demeurions encore dans ce corps ? Quelques-uns ont répondu très affirmativement à cette question ; il s'est même trouvé des chrétiens pour soutenir que personne n'est parfait dans l'amour à moins d'avoir atteint une perfection de l'esprit telle que l'on soit débarrassé de toute pensée vagabonde ; il faut, d'après eux, que non seulement toutes les dispositions et tous les sentiments du cœur soient saints, justes et bons, mais que chaque pensée qui naît dans l'esprit soit empreinte de sagesse et de régularité.
Cette question ne manque pas d'importance. Combien, en effet, de ceux qui craignent Dieu, qui l'aiment, peut-être de tout leur cœur, ont été profondément troublés à cet égard ! Combien, ne comprenant pas ce sujet, ont éprouvé non seulement du trouble, mais un vrai dommage spirituel ! Ils sont tombés dans des raisonnements inutiles, qui pis est nuisibles, et leurs progrès vers Dieu se sont ralentis ; ils n'ont plus couru avec la même ardeur la course qui leur était proposée. Il en est même beaucoup qui, pour avoir conçu de fausses idées sur ce point, ont rejeté le précieux don du Seigneur. D'abord, ils ont été conduits à mettre en doute l'œuvre opérée par Dieu dans leur âme ; puis ils en sont venus à la nier, et ainsi ils ont contristé l'Esprit de Dieu qui fini par se retirer d'eux, les laissant dans des ténèbres profondes.
Comment se fait-il que, parmi cette multitude de livres écrits récemment sur tous les sujets possibles, il ne s'en trouve pas un qui traite des pensées vagabondes ? En tout cas, il n'y en a point qui soit de nature à satisfaire un esprit sage et sérieux. Pour combler un peu cette lacune, je voudrais examiner :
1° Quelles sont les différentes sortes de pensées vagabondes ;
2°
Quelles sont, en général, les occasions qui les font naître ;
3°
Quelles sont celles qui sont coupables, et quelles sont, celles qui
ne le sont pas
4°
Desquelles de ces pensées nous pouvons espérer et demander d'être
délivrés.
Tout d'abord, je voudrais rechercher quelles sont les différentes sortes de pensées vagabondes. Les espèces particulières de ces pensées sont innombrables ; mais, d'une façon générale, elles appartiennent à l'une ou l'autre de ces deux classes-ci : pensées qui s'éloignent de Dieu, pensées qui s'éloignent de l'objet spécial qui doit nous occuper.
Toutes nos pensées naturelles portent le premier de ces deux caractères ; car elles s'éloignent invariablement de Dieu ; nous ne pensons point à lui : il n'est pas dans nos pensées. Nous sommes tous, comme l'apôtre l'a dit, « sans Dieu dans le monde (Éphésiens 2 : 12) ». Quand nous aimons quelque chose, nous y pensons ; mais nous n'aimons pas Dieu : aussi ne pensons-nous pas à lui. Et si de temps à autre nous nous voyons contraints de penser à lui, ne trouvant là rien qui nous plaise, mais plutôt quelque chose qui non seulement nous ennuie, mais encore nous répugne et nous fatigue, nous nous empressons de bannir ces pensées dès que nous le pouvons et de retourner à celles que nous aimons. C'est pour cela que tous nos moments sont envahis, toutes nos pensées remplies par le monde et les choses du monde, par ce que nous mangerons, ce que nous boirons et ce dont nous serons vêtus, par ce que nous verrons et ce que nous entendrons, par ce que nous pourrons gagner, par ce que nous pourrons découvrir pour satisfaire nos sens ou notre imagination. Et tant que nous aimons le monde, c'est-à-dire aussi longtemps que nous sommes dans notre état naturel, toutes nos pensées, du matin au soir et du soir au matin, ne peuvent, qu'être des pensées vagabondes.
Mais il arrive bien souvent que nous ne sommes pas seulement « sans Dieu dans le monde », mais aussi en guerre avec lui. Car il y a chez tout homme naturel cette « affection de la chair qui est ennemie de Dieu (Romains 8 : 7) ». Il n'est donc point surprenant que les pensées d'incrédulité abondent chez lui, et qu'il dise dans son cœur qu'il n'y a point de Dieu, ou bien mette en doute (s'il ne les nie pas) sa puissance, sa sagesse, sa bonté, sa justice ou sa sainteté. Il n'est point étonnant que cet homme doute de la Providence, ou du moins de son intervention perpétuelle et universelle, et que, s'il admet cette intervention, il ait à son égard des pensées de murmure ou de révolte. A côté de ces pensées et souvent en rapport étroit avec elles, il y a des pensées d'orgueil et de vanité. L'homme naturel peut aussi être absorbé par des pensées de colère, de haine ou de vengeance ; ou bien son esprit se livre aux enchantements des rêves de plaisir, soit pour les sens, soit dans le domaine de l'imagination, rêves qui ont pour effet de rendre l'esprit qui était déjà terrestre et sensuel, encore plus terrestre, encore plus sensuel. Toutes ces pensées sont en guerre ouverte avec Dieu ; ce sont là des pensées vagabondes au suprême degré.
Il y a une énorme différence entre ce genre de pensées vagabondes et celles qui font, non pas que le cœur s'éloigne de Dieu, mais que l'esprit s'écarte de l'objet spécial qui devait l'occuper à un moment donné. Prenons un exemple. Je me mets à étudier le verset qui précède mon texte : « Les armes avec lesquelles nous combattons ne sont pas charnelles, mais puissantes par la vertu de Dieu (2Corinthiens 10 : 4) ». Je me prends à réfléchir comme suit : « C'est ainsi que devraient agir tous les vrais chrétiens. Mais qu'ils sont loin de le faire ! Jetons un coup d’œil sur ce qu'on appelle la chrétienté. De quelles armes s'y sert-on ? Quel genre de guerre s'y fait-il ?
« Voyez donc comme ces chrétiens s'entr'aiment ! En quoi valent-ils mieux que des Turcs ou des païens ?. Quelles abominations trouverait-on chez les mahométans ou chez les idolâtres qui n'existent pas aussi parmi les chrétiens ? » Et c'est ainsi qu'avant que je m'en sois aperçu, mon esprit s'est mis à voltiger d'une chose à une autre. Ce sont bien là, dans un certain sens, des pensées vagabondes. Car si elles ne s'éloignent pas de Dieu, si elles sont encore moins en guerre avec lui, il demeure pourtant vrai qu'elles s'écartent de l'objet spécial qui devait m'occuper.
Telle est la nature et telles sont les espèces des pensées vagabondes : je parle ici le langage de la pratique plutôt que celui de la philosophie. Mais quelles sont les circonstances qui les font naître ? Tel est le second point que nous devons examiner.
On découvre sans peine que la source de la première espèce de celles qui font la guerre à Dieu ou s'éloignent de lui, se trouve en général dans nos dispositions pécheresses, mauvaises. Par exemple, pourquoi Dieu n'est-il pas dans toutes les pensées, pourquoi n'est-il dans aucune des pensées de l'homme naturel ? Par une raison bien simple : c'est que cet homme, qu'il soit riche ou qu'il soit pauvre, qu'il soit instruit ou qu'il soit ignorant, est un athée, bien qu'on ne le qualifie pas habituellement de ce nom : il ne connaît pas Dieu, il ne l'aime pas. Pourquoi ses pensées errent-elles sans cesse du côté du monde ? C'est parce que cet homme est un idolâtre. Sans doute il n'adore pas une image taillée, il ne se prosterne pas devant un tronc d'arbre, mais il est plongé dans une idolâtrie tout aussi abominable : il aime, il adore le monde. Il cherche son bonheur dans les choses visibles, dans les plaisirs « qui périssent par l'usage (Colossiens 2 : 22) ». (Dans ce passage toutes nos traductions donnent à peu près ce sens « Préceptes qui sont tous pernicieux par leur abus ». La traduction de Vevey a seule imité la version anglaise. Celle-ci présente le sens adopté par Luther et approuvé par le commentaire de Lange. Ce sont nos traducteurs qui ont inventé que cette clause s'appliquait à des préceptes, ce qui les a conduits à un sens abstrait et qui n'est pas d'accord avec les habitudes du style apostolique. (Trad.) Pourquoi ses pensées s'éloignent-elle continuellement, de ce qui devrait être le but même de son existence, la connaissance de Dieu en Jésus-Christ ? Parce que cet, homme est un incrédule. Il n'a pas de foi, ou du moins il n'en a pas plus que les démons. Toutes ces pensées vagabondes naissent spontanément et, sans effort de cette mauvaise racine, l'incrédulité.
Les choses se passent ainsi dans le cas d'autres passions, comme l'orgueil, la colère, la vengeance, la vanité, la convoitise, l'avarice, dont chacune engendre des pensées en rapport avec la nature du sentiment qui les produit. Il en est de même de toutes les dispositions pécheresses, mauvaises, qui peuvent exister dans le cœur de l'homme. Il serait à peine possible, et il n'est point nécessaire de les énumérer en détail : il nous suffira de constater qu'autant il y a de penchants mauvais qu'on peut rencontrer dans une âme, autant il y a de chemins ouverts par lesquels cette âme s'éloignera de Dieu, en se livrant à la pire espèce de pensées vagabondes.
Pour ce qui est de la seconde classe de pensées errantes, les occasions qui les font naître sont très diverses. Un grand nombre proviennent de l'union qui subsiste naturellement entre le corps et l'âme. Les maladies du corps n'agissent-elles pas bien promptement et bien gravement sur l'intelligence ? Si seulement la circulation du sang dans le cerveau devient irrégulière, il n'y a plus moyen de penser régulièrement. Une folie furieuse survient, et l'esprit a perdu tout équilibre. Qu'il v ait seulement un trouble, une agitation dans les humeurs du corps, et il se produit un délire, une folie momentanée qui suspend toute action normale de là pensée. Les maladies nerveuses n'amènent-elles pas toutes, à quelque degré, ce même désordre dans nos pensées ? C'est ainsi que « le corps mortel pèse sur l'âme et la force de rêver à bien des choses.
Mais cette pression du corps sur l'âme s'exerce-t-elle seulement en temps de maladie ou d'indispositions extraordinaires ? Nullement ; cela arrive presque en tous temps, et même lorsqu'on est en parfaite santé. Un homme a beau se bien porter, il aura plus ou moins de délire dans l'intervalle de vingt-quatre heures. En effet, il dort, n'est-ce pas ? En dormant n'est-il pas exposé à rêver ? Et qui donc alors est maître de ses idée et capable d'y conserver de l'ordre et de la liaison ? Qui pourrait dans cet état tenir ses pensées fixées sur un sujet quelconque, ou les empêcher de vagabonder d'un pôle à l'autre ?
Mais, à supposer que nous soyons éveillés, le sommes-nous toujours suffisamment pour diriger comme il faut nos pensées ? Ne sommes-nous pas irrémédiablement exposés, par la nature même de cette machine qui s'appelle le corps, à l'influence des extrêmes les plus contraires ? Tantôt nous sommes trop lourds, trop affaissés et trop las pour suivre l'enchaînement de la pensée. A d'autres moments, nous sommes au contraire trop surexcités, et notre imagination, sans que nous le lui ayons permis, part d'ici ou de là, nous emporte à droite ou à gauche, que nous le voulions ou non : il suffit pour cela des mouvements naturels de notre sang, de la vibration de nos nerfs.
Autre chose. Combien de pensées vagabondes naissent des diverses associations d'idées qui se produisent chez nous à notre insu, sans que nous en sachions rien, tout à fait indépendamment de notre volonté ! Nous ignorons comment se forment ces associations d'idées, mais c'est certainement de mille façons différentes. Les plus sages, les plus saints des hommes ne sauraient empêcher ces associations d'idées de se produire et de produire tel ou tel effet inévitable, comme on peut l'observer tous les jours. Que le feu prenne à un bout de la traînée, et, en rien de temps, il atteint l'autre bout.
Encore un détail. Nous aurons beau fixer notre attention sur un sujet aussi soigneusement que nous le pourrons, s'il survient. une cause de plaisir ou de souffrance, surtout si c'est quelque chose d'un peu vif, notre attention sera attirée par ce nouvel objet, et il absorbera nos pensées. Il interrompra la plus profonde des méditations, et il entraînera l'esprit loin de ses préoccupations favorites.
Ces occasions de vagabondage pour la pensée ont leur siège en nous et s'entrelacent avec notre constitution même. Mais les objets extérieurs, par leurs impulsions diverses, en font naître d'autres tout aussi naturellement et tout aussi invinciblement. Tout ce qui agit sur nos organes, sur nos sens, par nos yeux, par nos oreilles, éveille une idée dans notre esprit. Et de cette manière tout ce que nous voyons, tout ce que nous entendons vient se mêler aux pensées qui nous occupaient. C'est ainsi que toute personne qui fait quelque chose sous nos yeux, ou dit quelque chose que nous pouvons entendre, est cause que notre esprit s'écarte plus ou moins du sujet auquel il réfléchissait.
On ne saurait douter que les esprits du mal qui toujours cherchent qui ils pourront dévorer, ne profitent de toutes les occasions que nous venons d'indiquer pour troubler et dissiper notre esprit. Tantôt par l'un de ces moyens, tantôt par l'autre, ils nous harcèlent et, nous inquiètent ; autant que Dieu le leur permet, ils tâchent d'interrompre le cours de nos pensées, surtout si nous réfléchissons aux choses les plus sérieuses. Il n'y a là rien d'étonnant ; car ils comprennent sans doute le mécanisme de la pensée et savent avec lesquels de nos organes physiques, l'imagination, l'intelligence et les autres facultés de l'âme sont en rapport immédiat. Et de cette façon ils savent, en agissant sur ces organes, influer sur les opérations de l'esprit qui en dépendent. Il faut aussi tenir compte de ce fait qu'ils peuvent nous suggérer mille pensées diverses sans recourir aux moyens en question ; car il est tout, naturel que l'esprit puisse agir sur l'esprit, comme la matière sur la matière. Si nous considérons toutes ces choses, nous ne serons pas surpris de ce que si souvent nos pensées s'égarent loin de l'objet qui devait les occuper.
Quelles sont celles de ces pensées vagabondes qui sont coupables, et quelles sont celles qui ne le sont pas ? Tel est le troisième point que nous voulons étudier. Et, d'abord, toutes les pensées qui s'éloignent de Dieu, qui ne lui laissent point de place dans notre esprit, sont évidemment coupables. Car, toutes, elles supposent un athéisme pratique, et font que nous sommes sans Dieu dans le monde. Encore plus coupables sont celles qui sont opposées à Dieu, dans lesquelles il y a hostilité et inimitié contre lui. Telles sont toutes les pensées de murmure, de mécontentement qui reviennent à dire :
« Nous ne voulons pas que tu règnes sur nous (Luc 19 : 14) ». Telles sont aussi toutes les pensées d'incrédulité, soit qu'elles se rapportent à l'existence de Dieu, ou bien à ses attributs ou à sa providence. Je veux parler de cette providence de détail, qui s'étend à tout et à tous dans l'univers, sans la permission de laquelle « un passereau ne tombe point à terre (Matthieu 10 : 29) », et par qui « tous les cheveux de notre tête sont comptés ; (Matthieu 10 : 30) ». Car pour ce qui est d'une providence générale, comme disent bien des gens, ce n'est là qu'un mot, bienséant et qui fait bon effet, mais ne signifie absolument rien.
De plus, toute pensée qui provient de nos penchants mauvais ne peut qu'être coupable. Telles sont, par exemple, les pensées qui naissent d'un désir de vengeance, de l'orgueil, de la convoitise ou de la vanité. « Un mauvais arbre ne peut porter de bons fruits (Matthieu 7 : 18) ; » si l'arbre ne vaut rien le fruit ne saurait valoir davantage.
Sont aussi nécessairement coupables les pensées qui produisent ou entretiennent des dispositions coupables, celles qui engendrent l'orgueil, la vanité, la colère, l'amour du monde, et développent ou augmentent dans l'âme ces penchants mauvais et toute autre passion ou inclination coupable. Car ce n'est pas seulement tout ce qui découle du péché qui est péché ; c'est aussi tout ce qui y conduit, c'est tout ce qui tend à séparer l'âme de Dieu, à la rendre « terrestre, sensuelle et diabolique (Jacques 3 : 15) », ou à la maintenir dans cet état.
Ainsi, toutes ces pensées qui nous viennent par suite de faiblesse ou de maladie, par l'action naturelle du mécanisme du corps ou des lois qui l'unissent à l'âme, ces pensées, tout innocentes qu'elles soient par elles-mêmes, deviennent pourtant coupables lorsqu'elles font naître ou bien encouragent et développent en nous un penchant mauvais quelconque, par exemple la convoitise de la chair, la convoitise des yeux, ou l'orgueil de la vie. De même, les pensées vagabondes qui nous viennent sous l'influence des paroles ou des actes de nos semblables, deviennent coupables dès qu'elles ont pour effet de susciter ou d'alimenter chez nous une inclination mauvaise. On peut en dire autant, de celles que le diable nous suggère ou nous inspire. Quand elles contribuent à satisfaire quelque disposition terrestre ou diabolique (et c'est le cas toutes les fois que nous leur donnons accès chez nous et qu'ainsi nous nous les approprions) ; alors elles sont coupables tout aussi bien que les penchants auxquels elles prêtent la main.
Mais, à part ces cas, les pensées vagabondes, dans le second sens attaché à cette expression, c'est-à-dire celles qui détournent notre esprit de l'objet qui devait, l'occuper, ne sont pas plus coupables, que ne le sont les mouvements des humeurs ou du sang dans nos veines et dans notre cerveau. Si elles proviennent d'une constitution maladive ou d'une faiblesse, d'une indisposition accidentelles, elles ne sont pas davantage condamnables qu'il ne l'est d'avoir une santé délicate ou un corps malade. A coup sûr, personne ne doute qu'une personne tout à fait irréprochable peut souffrir de désordres nerveux, d'attaques de diverses fièvres, de délire passager ou d'une longue durée. Ces pensées peuvent aussi se produire dans une âme qui habite un corps parfaitement sain, soit par suite de cette union du corps avec l'âme, soit à cause de mille et un accidents qui peuvent survenir dans les fonctions de ceux de nos organes qui concourent à la formation de la pensée. Mais, dans tous ces divers cas, les pensées errantes ne sont pas plus coupables que ne le sont les causes d'où elles naissent. On peut en dire tout autant du cas où ces pensées viennent d'associations d'idées qui sont absolument fortuites et involontaires.
Si nos semblables, en agissant de diverses façons sur nos sens, réussissent à détourner nos pensées du sujet qui les occupait, nous sommes pourtant innocents ; car ce n'est pas davantage un péché de percevoir les choses qu'on voit ou qu'on entend (et que souvent, on ne peut faire autrement que d'entendre, de voir et de comprendre), que ce n'est un péché d'avoir des yeux et des oreilles. « Mais, dira quelqu'un, si le diable m'inspire des pensées vagabondes, est-ce qu'elles ne sont pas coupables ? » Elles sont gênantes, et dans ce sens-là elles sont mauvaises ; mais elles ne sont pas coupables. Je ne sais si Satan parla à Jésus d'une voix perceptible pour l'oreille, ou si ce fut seulement à son esprit qu'il s'adressa lorsqu'il lui dit : « Je te donnerai toutes ces choses si, en te prosternant, tu m'adores (Matthieu 4 : 9) ». Mais qu'il lui ait parlé extérieurement ou intérieurement, il est certain que notre Seigneur comprit ce qu'il lui disait. Et il eut nécessairement une pensée en rapport avec ces paroles. Mais cette pensée fut-elle coupable ? Nous savons que non ; car il n'y a pas eu en lui de péché, pas plus en pensée qu'en parole ou en action. Et il n'y a pas non plus de péché dans mille et mille pensées du même genre que Satan peut suggérer à chacun des disciples de Jésus.
Il s'ensuit qu'aucune de ces pensées vagabondes n'est incompatible avec l'amour parfait, quoi qu'en aient pu dire certains hommes téméraires qui ont ainsi affligé ceux que le Seigneur n'avait pas voulu affliger. S'il en était autrement, une vive douleur et le sommeil lui-même seraient incompatibles avec l'amour parfait ; car dès qu'une douleur un peu vive survient, elle interrompt le cours de nos pensées, quel qu'en fût l'objet, et elle les entraîne dans une autre direction ; et le sommeil n'est-il pas un état où l'on est inconscient et, comme privé de raison, un état où généralement nos pensées vont errant par la terre, incohérentes et extravagantes ? Ces pensées sont pourtant compatibles avec l'amour parfait : on peut en dire autant de toutes les pensées vagabondes qui appartiennent à cette classe.
Après tout ce que nous venons de dire, il sera facile de répondre clairement à cette question : quelles sont les pensées vagabondes dont nous pouvons demander et espérer d'être délivrés ?
Tous ceux qui sont rendus parfaits dans l'amour sont incontestablement délivrés de la première espèce de ces pensées, c'est-à-dire de celles qui détournent de Dieu notre cœur, qui sont en opposition avec sa volonté ou qui nous laissent sans Dieu dans le monde. Nous pouvons donc compter sur cette délivrance ; nous pouvons et nous devons la demander à Dieu. Ce genre de pensées errantes implique de l'incrédulité, si ce n'est même de l'inimitié contre Dieu ; et il veut détruire, anéantir absolument ces mauvais sentiments. Oui, Dieu nous délivrera entièrement de toute pensée vagabonde qui est coupable. Tous ceux qui sont parfaits dans l'amour en ont été délivrés, sans quoi ils ne seraient pas sauvés du péché. Les hommes et les démons pourront les tenter de mille manières ; mais ils ne prévaudront point, contre eux.
Pour ce qui est ; de la seconde espèce de pensées errantes, c'est un tout, autre cas. On ne peut pas raisonnablement, s'attendre à voir cesser les effets avant que la cause en ait été supprimée. Or, les causes ou occasions de ce genre de pensées subsisteront aussi longtemps que nous habiterons ce corps. Nous avons donc tout lieu de croire que les effets en question continueront à se produire pendant tout ce temps.
Entrons dans quelques détails. Représentez-vous une âme, si sainte qu'elle puisse être, habitant un corps maladif ; imaginez que le cerveau est si complètement affecté qu'il se produit une folie furieuse : est-ce que les pensées ne seront pas extravagantes et incohérentes aussi longtemps que la maladie persistera ? Supposez que ce soit une fièvre qui produit cette folie temporaire qu'on nomme le délire : peut-il y avoir quelque liaison dans les pensées jusqu'à ce que le délire ait cessé ? Supposez encore que ce qu'on appelle une maladie nerveuse ait tellement empiré qu'il s'en soit ensuivi une folie, au moins partielle : cet état n'occasionnera-t-il pas une foule de pensées errantes ? Et ces pensées irrégulières ne persisteront-elles pas aussi longtemps que le mal qui les occasionne ?
Il en sera de même pour les pensées qu'une douleur violente fait naître. Tant que durera cette douleur, nous aurons plus ou moins ces pensées : c'est dans l'ordre invariable de la nature. Les choses suivront également cet ordre dans le cas où nos pensées sont troublées, embarrassées ou interrompues par suite de quelque défaut de perception, de jugement ou d'imagination, résultant de la constitution particulière de notre corps. Que d'interruptions dans la pensée proviennent de cette association des idées qui est inexplicable autant qu'involontaire ! Toutes ces choses viennent, directement ou indirectement, de ce que notre corps corruptible pèse sur l'esprit, et nous ne pouvons pas compter d'en être exempts avant que « ce corps corruptible soit revêtu de l'incorruptibilité (1Corinthiens 15 : 53) ».
C'est seulement alors, quand nous serons couchés dans la poussière, que nous serons délivrés de toutes les pensées errantes que nous amenaient les choses que nous voyions ou entendions parmi ceux qui nous entouraient ici-bas. Pour échapper à ces pensées, il nous faudrait sortir du monde ; car tant que nous y resterons, tant qu'il y aura autour de nous des hommes et des femmes, et tant que nous aurons des yeux pour voir et des oreilles pour entendre, les choses que nous voyons et entendons journellement agiront sur notre esprit, et plus ou moins elles se mêleront au cours de nos pensées pour l'interrompre.
Et aussi longtemps que les mauvais esprits rôderont, dans ce monde bouleversé et misérable, ils ne manqueront pas d'assaillir tous ceux qui « participent à la chair et au sang (Hébreux 2 : 14) », qu'ils puissent ou non les vaincre. Ceux qu'ils ne peuvent faire périr, ils les troubleront ; s'ils ne peuvent pas en venir à bout, ils ne laisseront pas de les attaquer. Et à l'égard de ces attaques de la part de nos ennemis toujours actifs, infatigables, ne comptons pas d'en être entièrement délivrés avant d'être « là où les méchants ne tourmentent plus personne, et où se reposent ceux qui sont fatigués (Job 3 : 17) ».
Résumons-nous. Espérer être délivrés des pensées vagabondes que nous suggèrent les esprits malins, ce serait, espérer que le diable va mourir, ou qu'il s'endormira, tout au moins qu'il cessera de « tourner autour de nous comme un lion rugissant (1Pierre 5 : 8) : » Espérer être délivrés des pensées que nos semblables font naître en nous ce serait espérer que tous les hommes disparaissent de la terre, ou bien que nous pourrions nous isoler complètement d'eux et ne plus rien avoir à faire avec eux ; ou bien encore ce serait, espérer que nous aurons des yeux et ne verrons pas, que nous aurons des oreilles et n'entendrons pas, que nous serons aussi insensibles que des pierres ou des morceaux de bois. Demander à être délivrés des pensées dont notre corps est l'occasion, revient à demander de quitter ce corps ; sinon, c'est demander des choses impossibles et absurdes ; c'est prier Dieu de faire des choses contradictoires, de supprimer les conséquences naturelles et nécessaires de l'union de l'âme avec un corps corruptible, tout en laissant subsister cette union. C'est comme si nous demandions à être hommes et anges en même temps, à la fois mortels et immortels. Non ! pour que ce qui est mortel disparaisse, il faut que ce qui est immortel soit venu.
I
Tout d'abord, je voudrais rechercher quelles sont les différentes sortes de pensées vagabondes. Les espèces particulières de ces pensées sont innombrables ; mais, d'une façon générale, elles appartiennent à l'une ou l'autre de ces deux classes-ci : pensées qui s'éloignent de Dieu, pensées qui s'éloignent de l'objet spécial qui doit nous occuper.
Toutes nos pensées naturelles portent le premier de ces deux caractères ; car elles s'éloignent invariablement de Dieu ; nous ne pensons point à lui : il n'est pas dans nos pensées. Nous sommes tous, comme l'apôtre l'a dit, « sans Dieu dans le monde (Éphésiens 2 : 12) ». Quand nous aimons quelque chose, nous y pensons ; mais nous n'aimons pas Dieu : aussi ne pensons-nous pas à lui. Et si de temps à autre nous nous voyons contraints de penser à lui, ne trouvant là rien qui nous plaise, mais plutôt quelque chose qui non seulement nous ennuie, mais encore nous répugne et nous fatigue, nous nous empressons de bannir ces pensées dès que nous le pouvons et de retourner à celles que nous aimons. C'est pour cela que tous nos moments sont envahis, toutes nos pensées remplies par le monde et les choses du monde, par ce que nous mangerons, ce que nous boirons et ce dont nous serons vêtus, par ce que nous verrons et ce que nous entendrons, par ce que nous pourrons gagner, par ce que nous pourrons découvrir pour satisfaire nos sens ou notre imagination. Et tant que nous aimons le monde, c'est-à-dire aussi longtemps que nous sommes dans notre état naturel, toutes nos pensées, du matin au soir et du soir au matin, ne peuvent, qu'être des pensées vagabondes.
Mais il arrive bien souvent que nous ne sommes pas seulement « sans Dieu dans le monde », mais aussi en guerre avec lui. Car il y a chez tout homme naturel cette « affection de la chair qui est ennemie de Dieu (Romains 8 : 7) ». Il n'est donc point surprenant que les pensées d'incrédulité abondent chez lui, et qu'il dise dans son cœur qu'il n'y a point de Dieu, ou bien mette en doute (s'il ne les nie pas) sa puissance, sa sagesse, sa bonté, sa justice ou sa sainteté. Il n'est point étonnant que cet homme doute de la Providence, ou du moins de son intervention perpétuelle et universelle, et que, s'il admet cette intervention, il ait à son égard des pensées de murmure ou de révolte. A côté de ces pensées et souvent en rapport étroit avec elles, il y a des pensées d'orgueil et de vanité. L'homme naturel peut aussi être absorbé par des pensées de colère, de haine ou de vengeance ; ou bien son esprit se livre aux enchantements des rêves de plaisir, soit pour les sens, soit dans le domaine de l'imagination, rêves qui ont pour effet de rendre l'esprit qui était déjà terrestre et sensuel, encore plus terrestre, encore plus sensuel. Toutes ces pensées sont en guerre ouverte avec Dieu ; ce sont là des pensées vagabondes au suprême degré.
Il y a une énorme différence entre ce genre de pensées vagabondes et celles qui font, non pas que le cœur s'éloigne de Dieu, mais que l'esprit s'écarte de l'objet spécial qui devait l'occuper à un moment donné. Prenons un exemple. Je me mets à étudier le verset qui précède mon texte : « Les armes avec lesquelles nous combattons ne sont pas charnelles, mais puissantes par la vertu de Dieu (2Corinthiens 10 : 4) ». Je me prends à réfléchir comme suit : « C'est ainsi que devraient agir tous les vrais chrétiens. Mais qu'ils sont loin de le faire ! Jetons un coup d’œil sur ce qu'on appelle la chrétienté. De quelles armes s'y sert-on ? Quel genre de guerre s'y fait-il ?
Le
genre humain
Lui-même
se déchire,
Se
perce de sa propre main.
Satan
l'inspire ;
De
l'infernal empire
Tous
les feux brillent dans son sein.
« Voyez donc comme ces chrétiens s'entr'aiment ! En quoi valent-ils mieux que des Turcs ou des païens ?. Quelles abominations trouverait-on chez les mahométans ou chez les idolâtres qui n'existent pas aussi parmi les chrétiens ? » Et c'est ainsi qu'avant que je m'en sois aperçu, mon esprit s'est mis à voltiger d'une chose à une autre. Ce sont bien là, dans un certain sens, des pensées vagabondes. Car si elles ne s'éloignent pas de Dieu, si elles sont encore moins en guerre avec lui, il demeure pourtant vrai qu'elles s'écartent de l'objet spécial qui devait m'occuper.
Telle est la nature et telles sont les espèces des pensées vagabondes : je parle ici le langage de la pratique plutôt que celui de la philosophie. Mais quelles sont les circonstances qui les font naître ? Tel est le second point que nous devons examiner.
On découvre sans peine que la source de la première espèce de celles qui font la guerre à Dieu ou s'éloignent de lui, se trouve en général dans nos dispositions pécheresses, mauvaises. Par exemple, pourquoi Dieu n'est-il pas dans toutes les pensées, pourquoi n'est-il dans aucune des pensées de l'homme naturel ? Par une raison bien simple : c'est que cet homme, qu'il soit riche ou qu'il soit pauvre, qu'il soit instruit ou qu'il soit ignorant, est un athée, bien qu'on ne le qualifie pas habituellement de ce nom : il ne connaît pas Dieu, il ne l'aime pas. Pourquoi ses pensées errent-elles sans cesse du côté du monde ? C'est parce que cet homme est un idolâtre. Sans doute il n'adore pas une image taillée, il ne se prosterne pas devant un tronc d'arbre, mais il est plongé dans une idolâtrie tout aussi abominable : il aime, il adore le monde. Il cherche son bonheur dans les choses visibles, dans les plaisirs « qui périssent par l'usage (Colossiens 2 : 22) ». (Dans ce passage toutes nos traductions donnent à peu près ce sens « Préceptes qui sont tous pernicieux par leur abus ». La traduction de Vevey a seule imité la version anglaise. Celle-ci présente le sens adopté par Luther et approuvé par le commentaire de Lange. Ce sont nos traducteurs qui ont inventé que cette clause s'appliquait à des préceptes, ce qui les a conduits à un sens abstrait et qui n'est pas d'accord avec les habitudes du style apostolique. (Trad.) Pourquoi ses pensées s'éloignent-elle continuellement, de ce qui devrait être le but même de son existence, la connaissance de Dieu en Jésus-Christ ? Parce que cet, homme est un incrédule. Il n'a pas de foi, ou du moins il n'en a pas plus que les démons. Toutes ces pensées vagabondes naissent spontanément et, sans effort de cette mauvaise racine, l'incrédulité.
Les choses se passent ainsi dans le cas d'autres passions, comme l'orgueil, la colère, la vengeance, la vanité, la convoitise, l'avarice, dont chacune engendre des pensées en rapport avec la nature du sentiment qui les produit. Il en est de même de toutes les dispositions pécheresses, mauvaises, qui peuvent exister dans le cœur de l'homme. Il serait à peine possible, et il n'est point nécessaire de les énumérer en détail : il nous suffira de constater qu'autant il y a de penchants mauvais qu'on peut rencontrer dans une âme, autant il y a de chemins ouverts par lesquels cette âme s'éloignera de Dieu, en se livrant à la pire espèce de pensées vagabondes.
Pour ce qui est de la seconde classe de pensées errantes, les occasions qui les font naître sont très diverses. Un grand nombre proviennent de l'union qui subsiste naturellement entre le corps et l'âme. Les maladies du corps n'agissent-elles pas bien promptement et bien gravement sur l'intelligence ? Si seulement la circulation du sang dans le cerveau devient irrégulière, il n'y a plus moyen de penser régulièrement. Une folie furieuse survient, et l'esprit a perdu tout équilibre. Qu'il v ait seulement un trouble, une agitation dans les humeurs du corps, et il se produit un délire, une folie momentanée qui suspend toute action normale de là pensée. Les maladies nerveuses n'amènent-elles pas toutes, à quelque degré, ce même désordre dans nos pensées ? C'est ainsi que « le corps mortel pèse sur l'âme et la force de rêver à bien des choses.
Mais cette pression du corps sur l'âme s'exerce-t-elle seulement en temps de maladie ou d'indispositions extraordinaires ? Nullement ; cela arrive presque en tous temps, et même lorsqu'on est en parfaite santé. Un homme a beau se bien porter, il aura plus ou moins de délire dans l'intervalle de vingt-quatre heures. En effet, il dort, n'est-ce pas ? En dormant n'est-il pas exposé à rêver ? Et qui donc alors est maître de ses idée et capable d'y conserver de l'ordre et de la liaison ? Qui pourrait dans cet état tenir ses pensées fixées sur un sujet quelconque, ou les empêcher de vagabonder d'un pôle à l'autre ?
Mais, à supposer que nous soyons éveillés, le sommes-nous toujours suffisamment pour diriger comme il faut nos pensées ? Ne sommes-nous pas irrémédiablement exposés, par la nature même de cette machine qui s'appelle le corps, à l'influence des extrêmes les plus contraires ? Tantôt nous sommes trop lourds, trop affaissés et trop las pour suivre l'enchaînement de la pensée. A d'autres moments, nous sommes au contraire trop surexcités, et notre imagination, sans que nous le lui ayons permis, part d'ici ou de là, nous emporte à droite ou à gauche, que nous le voulions ou non : il suffit pour cela des mouvements naturels de notre sang, de la vibration de nos nerfs.
Autre chose. Combien de pensées vagabondes naissent des diverses associations d'idées qui se produisent chez nous à notre insu, sans que nous en sachions rien, tout à fait indépendamment de notre volonté ! Nous ignorons comment se forment ces associations d'idées, mais c'est certainement de mille façons différentes. Les plus sages, les plus saints des hommes ne sauraient empêcher ces associations d'idées de se produire et de produire tel ou tel effet inévitable, comme on peut l'observer tous les jours. Que le feu prenne à un bout de la traînée, et, en rien de temps, il atteint l'autre bout.
Encore un détail. Nous aurons beau fixer notre attention sur un sujet aussi soigneusement que nous le pourrons, s'il survient. une cause de plaisir ou de souffrance, surtout si c'est quelque chose d'un peu vif, notre attention sera attirée par ce nouvel objet, et il absorbera nos pensées. Il interrompra la plus profonde des méditations, et il entraînera l'esprit loin de ses préoccupations favorites.
Ces occasions de vagabondage pour la pensée ont leur siège en nous et s'entrelacent avec notre constitution même. Mais les objets extérieurs, par leurs impulsions diverses, en font naître d'autres tout aussi naturellement et tout aussi invinciblement. Tout ce qui agit sur nos organes, sur nos sens, par nos yeux, par nos oreilles, éveille une idée dans notre esprit. Et de cette manière tout ce que nous voyons, tout ce que nous entendons vient se mêler aux pensées qui nous occupaient. C'est ainsi que toute personne qui fait quelque chose sous nos yeux, ou dit quelque chose que nous pouvons entendre, est cause que notre esprit s'écarte plus ou moins du sujet auquel il réfléchissait.
On ne saurait douter que les esprits du mal qui toujours cherchent qui ils pourront dévorer, ne profitent de toutes les occasions que nous venons d'indiquer pour troubler et dissiper notre esprit. Tantôt par l'un de ces moyens, tantôt par l'autre, ils nous harcèlent et, nous inquiètent ; autant que Dieu le leur permet, ils tâchent d'interrompre le cours de nos pensées, surtout si nous réfléchissons aux choses les plus sérieuses. Il n'y a là rien d'étonnant ; car ils comprennent sans doute le mécanisme de la pensée et savent avec lesquels de nos organes physiques, l'imagination, l'intelligence et les autres facultés de l'âme sont en rapport immédiat. Et de cette façon ils savent, en agissant sur ces organes, influer sur les opérations de l'esprit qui en dépendent. Il faut aussi tenir compte de ce fait qu'ils peuvent nous suggérer mille pensées diverses sans recourir aux moyens en question ; car il est tout, naturel que l'esprit puisse agir sur l'esprit, comme la matière sur la matière. Si nous considérons toutes ces choses, nous ne serons pas surpris de ce que si souvent nos pensées s'égarent loin de l'objet qui devait les occuper.
III
Quelles sont celles de ces pensées vagabondes qui sont coupables, et quelles sont celles qui ne le sont pas ? Tel est le troisième point que nous voulons étudier. Et, d'abord, toutes les pensées qui s'éloignent de Dieu, qui ne lui laissent point de place dans notre esprit, sont évidemment coupables. Car, toutes, elles supposent un athéisme pratique, et font que nous sommes sans Dieu dans le monde. Encore plus coupables sont celles qui sont opposées à Dieu, dans lesquelles il y a hostilité et inimitié contre lui. Telles sont toutes les pensées de murmure, de mécontentement qui reviennent à dire :
« Nous ne voulons pas que tu règnes sur nous (Luc 19 : 14) ». Telles sont aussi toutes les pensées d'incrédulité, soit qu'elles se rapportent à l'existence de Dieu, ou bien à ses attributs ou à sa providence. Je veux parler de cette providence de détail, qui s'étend à tout et à tous dans l'univers, sans la permission de laquelle « un passereau ne tombe point à terre (Matthieu 10 : 29) », et par qui « tous les cheveux de notre tête sont comptés ; (Matthieu 10 : 30) ». Car pour ce qui est d'une providence générale, comme disent bien des gens, ce n'est là qu'un mot, bienséant et qui fait bon effet, mais ne signifie absolument rien.
De plus, toute pensée qui provient de nos penchants mauvais ne peut qu'être coupable. Telles sont, par exemple, les pensées qui naissent d'un désir de vengeance, de l'orgueil, de la convoitise ou de la vanité. « Un mauvais arbre ne peut porter de bons fruits (Matthieu 7 : 18) ; » si l'arbre ne vaut rien le fruit ne saurait valoir davantage.
Sont aussi nécessairement coupables les pensées qui produisent ou entretiennent des dispositions coupables, celles qui engendrent l'orgueil, la vanité, la colère, l'amour du monde, et développent ou augmentent dans l'âme ces penchants mauvais et toute autre passion ou inclination coupable. Car ce n'est pas seulement tout ce qui découle du péché qui est péché ; c'est aussi tout ce qui y conduit, c'est tout ce qui tend à séparer l'âme de Dieu, à la rendre « terrestre, sensuelle et diabolique (Jacques 3 : 15) », ou à la maintenir dans cet état.
Ainsi, toutes ces pensées qui nous viennent par suite de faiblesse ou de maladie, par l'action naturelle du mécanisme du corps ou des lois qui l'unissent à l'âme, ces pensées, tout innocentes qu'elles soient par elles-mêmes, deviennent pourtant coupables lorsqu'elles font naître ou bien encouragent et développent en nous un penchant mauvais quelconque, par exemple la convoitise de la chair, la convoitise des yeux, ou l'orgueil de la vie. De même, les pensées vagabondes qui nous viennent sous l'influence des paroles ou des actes de nos semblables, deviennent coupables dès qu'elles ont pour effet de susciter ou d'alimenter chez nous une inclination mauvaise. On peut en dire autant, de celles que le diable nous suggère ou nous inspire. Quand elles contribuent à satisfaire quelque disposition terrestre ou diabolique (et c'est le cas toutes les fois que nous leur donnons accès chez nous et qu'ainsi nous nous les approprions) ; alors elles sont coupables tout aussi bien que les penchants auxquels elles prêtent la main.
Mais, à part ces cas, les pensées vagabondes, dans le second sens attaché à cette expression, c'est-à-dire celles qui détournent notre esprit de l'objet qui devait, l'occuper, ne sont pas plus coupables, que ne le sont les mouvements des humeurs ou du sang dans nos veines et dans notre cerveau. Si elles proviennent d'une constitution maladive ou d'une faiblesse, d'une indisposition accidentelles, elles ne sont pas davantage condamnables qu'il ne l'est d'avoir une santé délicate ou un corps malade. A coup sûr, personne ne doute qu'une personne tout à fait irréprochable peut souffrir de désordres nerveux, d'attaques de diverses fièvres, de délire passager ou d'une longue durée. Ces pensées peuvent aussi se produire dans une âme qui habite un corps parfaitement sain, soit par suite de cette union du corps avec l'âme, soit à cause de mille et un accidents qui peuvent survenir dans les fonctions de ceux de nos organes qui concourent à la formation de la pensée. Mais, dans tous ces divers cas, les pensées errantes ne sont pas plus coupables que ne le sont les causes d'où elles naissent. On peut en dire tout autant du cas où ces pensées viennent d'associations d'idées qui sont absolument fortuites et involontaires.
Si nos semblables, en agissant de diverses façons sur nos sens, réussissent à détourner nos pensées du sujet qui les occupait, nous sommes pourtant innocents ; car ce n'est pas davantage un péché de percevoir les choses qu'on voit ou qu'on entend (et que souvent, on ne peut faire autrement que d'entendre, de voir et de comprendre), que ce n'est un péché d'avoir des yeux et des oreilles. « Mais, dira quelqu'un, si le diable m'inspire des pensées vagabondes, est-ce qu'elles ne sont pas coupables ? » Elles sont gênantes, et dans ce sens-là elles sont mauvaises ; mais elles ne sont pas coupables. Je ne sais si Satan parla à Jésus d'une voix perceptible pour l'oreille, ou si ce fut seulement à son esprit qu'il s'adressa lorsqu'il lui dit : « Je te donnerai toutes ces choses si, en te prosternant, tu m'adores (Matthieu 4 : 9) ». Mais qu'il lui ait parlé extérieurement ou intérieurement, il est certain que notre Seigneur comprit ce qu'il lui disait. Et il eut nécessairement une pensée en rapport avec ces paroles. Mais cette pensée fut-elle coupable ? Nous savons que non ; car il n'y a pas eu en lui de péché, pas plus en pensée qu'en parole ou en action. Et il n'y a pas non plus de péché dans mille et mille pensées du même genre que Satan peut suggérer à chacun des disciples de Jésus.
Il s'ensuit qu'aucune de ces pensées vagabondes n'est incompatible avec l'amour parfait, quoi qu'en aient pu dire certains hommes téméraires qui ont ainsi affligé ceux que le Seigneur n'avait pas voulu affliger. S'il en était autrement, une vive douleur et le sommeil lui-même seraient incompatibles avec l'amour parfait ; car dès qu'une douleur un peu vive survient, elle interrompt le cours de nos pensées, quel qu'en fût l'objet, et elle les entraîne dans une autre direction ; et le sommeil n'est-il pas un état où l'on est inconscient et, comme privé de raison, un état où généralement nos pensées vont errant par la terre, incohérentes et extravagantes ? Ces pensées sont pourtant compatibles avec l'amour parfait : on peut en dire autant de toutes les pensées vagabondes qui appartiennent à cette classe.
lV
Après tout ce que nous venons de dire, il sera facile de répondre clairement à cette question : quelles sont les pensées vagabondes dont nous pouvons demander et espérer d'être délivrés ?
Tous ceux qui sont rendus parfaits dans l'amour sont incontestablement délivrés de la première espèce de ces pensées, c'est-à-dire de celles qui détournent de Dieu notre cœur, qui sont en opposition avec sa volonté ou qui nous laissent sans Dieu dans le monde. Nous pouvons donc compter sur cette délivrance ; nous pouvons et nous devons la demander à Dieu. Ce genre de pensées errantes implique de l'incrédulité, si ce n'est même de l'inimitié contre Dieu ; et il veut détruire, anéantir absolument ces mauvais sentiments. Oui, Dieu nous délivrera entièrement de toute pensée vagabonde qui est coupable. Tous ceux qui sont parfaits dans l'amour en ont été délivrés, sans quoi ils ne seraient pas sauvés du péché. Les hommes et les démons pourront les tenter de mille manières ; mais ils ne prévaudront point, contre eux.
Pour ce qui est ; de la seconde espèce de pensées errantes, c'est un tout, autre cas. On ne peut pas raisonnablement, s'attendre à voir cesser les effets avant que la cause en ait été supprimée. Or, les causes ou occasions de ce genre de pensées subsisteront aussi longtemps que nous habiterons ce corps. Nous avons donc tout lieu de croire que les effets en question continueront à se produire pendant tout ce temps.
Entrons dans quelques détails. Représentez-vous une âme, si sainte qu'elle puisse être, habitant un corps maladif ; imaginez que le cerveau est si complètement affecté qu'il se produit une folie furieuse : est-ce que les pensées ne seront pas extravagantes et incohérentes aussi longtemps que la maladie persistera ? Supposez que ce soit une fièvre qui produit cette folie temporaire qu'on nomme le délire : peut-il y avoir quelque liaison dans les pensées jusqu'à ce que le délire ait cessé ? Supposez encore que ce qu'on appelle une maladie nerveuse ait tellement empiré qu'il s'en soit ensuivi une folie, au moins partielle : cet état n'occasionnera-t-il pas une foule de pensées errantes ? Et ces pensées irrégulières ne persisteront-elles pas aussi longtemps que le mal qui les occasionne ?
Il en sera de même pour les pensées qu'une douleur violente fait naître. Tant que durera cette douleur, nous aurons plus ou moins ces pensées : c'est dans l'ordre invariable de la nature. Les choses suivront également cet ordre dans le cas où nos pensées sont troublées, embarrassées ou interrompues par suite de quelque défaut de perception, de jugement ou d'imagination, résultant de la constitution particulière de notre corps. Que d'interruptions dans la pensée proviennent de cette association des idées qui est inexplicable autant qu'involontaire ! Toutes ces choses viennent, directement ou indirectement, de ce que notre corps corruptible pèse sur l'esprit, et nous ne pouvons pas compter d'en être exempts avant que « ce corps corruptible soit revêtu de l'incorruptibilité (1Corinthiens 15 : 53) ».
C'est seulement alors, quand nous serons couchés dans la poussière, que nous serons délivrés de toutes les pensées errantes que nous amenaient les choses que nous voyions ou entendions parmi ceux qui nous entouraient ici-bas. Pour échapper à ces pensées, il nous faudrait sortir du monde ; car tant que nous y resterons, tant qu'il y aura autour de nous des hommes et des femmes, et tant que nous aurons des yeux pour voir et des oreilles pour entendre, les choses que nous voyons et entendons journellement agiront sur notre esprit, et plus ou moins elles se mêleront au cours de nos pensées pour l'interrompre.
Et aussi longtemps que les mauvais esprits rôderont, dans ce monde bouleversé et misérable, ils ne manqueront pas d'assaillir tous ceux qui « participent à la chair et au sang (Hébreux 2 : 14) », qu'ils puissent ou non les vaincre. Ceux qu'ils ne peuvent faire périr, ils les troubleront ; s'ils ne peuvent pas en venir à bout, ils ne laisseront pas de les attaquer. Et à l'égard de ces attaques de la part de nos ennemis toujours actifs, infatigables, ne comptons pas d'en être entièrement délivrés avant d'être « là où les méchants ne tourmentent plus personne, et où se reposent ceux qui sont fatigués (Job 3 : 17) ».
Résumons-nous. Espérer être délivrés des pensées vagabondes que nous suggèrent les esprits malins, ce serait, espérer que le diable va mourir, ou qu'il s'endormira, tout au moins qu'il cessera de « tourner autour de nous comme un lion rugissant (1Pierre 5 : 8) : » Espérer être délivrés des pensées que nos semblables font naître en nous ce serait espérer que tous les hommes disparaissent de la terre, ou bien que nous pourrions nous isoler complètement d'eux et ne plus rien avoir à faire avec eux ; ou bien encore ce serait, espérer que nous aurons des yeux et ne verrons pas, que nous aurons des oreilles et n'entendrons pas, que nous serons aussi insensibles que des pierres ou des morceaux de bois. Demander à être délivrés des pensées dont notre corps est l'occasion, revient à demander de quitter ce corps ; sinon, c'est demander des choses impossibles et absurdes ; c'est prier Dieu de faire des choses contradictoires, de supprimer les conséquences naturelles et nécessaires de l'union de l'âme avec un corps corruptible, tout en laissant subsister cette union. C'est comme si nous demandions à être hommes et anges en même temps, à la fois mortels et immortels. Non ! pour que ce qui est mortel disparaisse, il faut que ce qui est immortel soit venu.
Demandons
plutôt à Dieu, « par l'esprit, et avec intelligence
(1Corinthiens 14 : 15 Ostervald révisée) », « que
toutes ces choses concourent ensemble à notre bien (Romains 8 :
28) », et que nous puissions endurer toutes les infirmités de
notre nature, tous les dérangements que nous causent les hommes,
tous les assauts et toutes les suggestions des esprits malins, et
« dans toutes ces choses être plus que vainqueurs (Romains 8 :
37) ». Demandons à être délivrés de tout péché, et qu'il
n'en reste ni racine ni rameau ; que nous soyons « nettoyés
de toute souillure de la chair et de l'esprit », (2Corinthiens
7 : 1) de toute pensée, parole ou action mauvaise ; que
nous puissions « aimer le Seigneur notre Dieu de tout notre
cœur, de toute notre âme, de toute notre force et de toute notre
pensée (Luc 10 : 27) ; » que tous « les fruits de
I'Esprit » se trouvent en nous, non seulement « la
charité, la joie, la paix », mais aussi « la patience,
la douceur, la bonté, la fidélité, la bénignité, la tempérance
(Galates 5 : 22) ». Oui, prions Dieu de faire que toutes
ces choses fleurissent, abondent et se multiplient de plus en plus en
nous, jusqu'à ce que « l'entrée au royaume éternel de notre
Seigneur et Sauveur Jésus-Christ nous soit pleinement accordée (2
Pierre 1 : 11) ».
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