lundi 6 juin 2016

(4) LE SERMON SUR LA MONTAGNE, QUATRIÈME DISCOURS WESLEY


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Sermon 24 :  (1748)   LE SERMON SUR LA MONTAGNE, QUATRIÈME DISCOURS 

Matthieu 5:13-16 

13  Vous êtes le sel de la terre. Mais si le sel perd sa saveur, avec quoi la lui rendra-t-on? Il ne sert plus qu’à être jeté dehors, et foulé aux pieds par les hommes.
14  Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une montagne ne peut être cachée;
15  et on n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais on la met sur le chandelier, et elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison.
16  Que votre lumière luise ainsi devant les hommes, afin qu’ils voient vos bonnes œuvres, et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux. 
 


                    La beauté de la sainteté, de cet homme intérieur qui vit dans un cœur renouvelé à l'image de Dieu, doit nécessairement frapper tout œil que Dieu a ouvert, toute intelligence qu'il a éclairée. L'ornement d'un cœur doux, humble et aimant doit attirer au moins l'approbation de ceux qui sont capables, à quelque degré, de discerner le bien et le mal spirituels. Dès le moment où les hommes commencent à sortir des ténèbres qui couvrent le monde insouciant et étourdi, ils ne peuvent que s'apercevoir combien c'est une chose désirable d'être ainsi transformés à l'image de Celui qui nous a créés. Cette religion intérieure porte si visiblement l'empreinte de Dieu, qu'une âme ne peut douter de sa ressemblance divine, à moins d'être totalement plongée dans le péché. Nous pouvons dire de cette religion, dans un sens secondaire, ce qui est dit du Fils de Dieu lui-même ; elle est « la splendeur de la gloire du Seigneur et l'image empreinte de sa personne  » ; le rayonnement de sa gloire éternelle, si adouci cependant et si modéré, que même les enfants des hommes peuvent ici voir Dieu et vivre. Elle est la marque caractéristique, l'empreinte vivante de la personne de Celui qui est la source de la beauté et de l'amour, l'origine de toute excellence et de toute perfection. 

                    Si donc la religion ne consistait qu'en cela, les hommes dont nous parlons ne pourraient douter de son excellence, ils ne feraient aucune difficulté de la chercher de toute l'ardeur de leur âme. Mais pourquoi, disent-ils, est-elle embarrassée d'autres choses ? Quelle nécessité de la surcharger d'œuvres et de souffrances C'est là ce qui ramollit la vigueur de l'âme et la fait retomber vers la terre. N'est-ce pas assez de « s'étudier à la charité », de planer sur les ailes de l'amour ? Ne peut-il suffire d'adorer Dieu, qui est Esprit, avec l'esprit et l'entendement, sans nous encombrer de choses extérieures et même sans y songer du tout ? Ne vaut-il pas mieux que toutes nos pensées soient absorbées par de hautes et célestes contemplations, et que sans nous préoccuper de ce qui est extérieur, nous ayons seulement communion avec Dieu dans nos cœurs ?

                  C'est ainsi qu'ont parlé plusieurs hommes éminents, nous donnant le conseil de cesser toute action extérieure, de nous retirer absolument du monde, de laisser en arrière notre corps ; de nous séparer totalement des objets des sens ; de ne plus nous inquiéter de la religion extérieure, mais de pratiquer toutes les vertus dans notre volonté, comme étant de beaucoup la voie la plus excellente, la plus profitable aux progrès de notre âme et la plus agréable à Dieu.

                  Il n'était pas besoin de signaler à notre Sauveur ce chef-d'œuvre de la sagesse d'en bas, la plus belle de toutes les inventions au moyen desquelles Satan ait jamais perverti les voies droites de notre Seigneur. Et quels instruments n'a-t-il pas su mettre ainsi à son service, en différents temps, pour manier cette grande arme de l'enfer contre quelqu'une des plus importantes vérités de Dieu ! — des hommes qui auraient pu « séduire les élus mêmes, s'il était possible », des hommes de foi et d'amour, qui, pour un temps, en ont séduit et entraîné un grand nombre, à toutes les époques, les faisant tomber dans ce piège doré dont ils n'ont échappé qu'à grand' peine, y laissant tout, sauf leur vie.

                   Mais le Seigneur a-t-il négligé de nous prémunir suffisamment contre cette agréable séduction ? Ne nous a-t-il pas fourni une armure à l'épreuve des coups de Satan « transformé en ange de lumière ? » Oui, certainement ; de la manière la plus claire et la plus forte, il commande ici la religion d'activité et de souffrance qu'il vient de décrire. Qu'y a-t-il de plus complet et de plus simple que les paroles qui suivent immédiatement ce qu'il vient de dire des œuvres et des souffrances ?

                   « Vous êtes te sel de la terre, mais si le sel perd sa saveur, avec, quoi la lui rendra-t-on ? Il ne vaut plus rien qu'à être jeté dehors et à être foulé aux pieds par les hommes. Vous êtes la lumière du monde ; une ville située sur une montagne ne peut être cachée, et on n'allume point une chandelle pour la mettre sous un boisseau, mais on la met sur un chandelier, et elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison. Que votre lumière luise ainsi devant les hommes, afin qu'ils voient vos bonnes œuvres et qu'ils glorifient votre. Père qui est dans les cieux ».

                   Pour expliquer complètement ces paroles importantes et leur donner toute leur force, je tâcherai de montrer d'abord que le christianisme est essentiellement une religion sociale et que le changer en une religion solitaire, c'est le détruire ; — secondement : que cacher cette religion est aussi impossible que contraire aux intentions de son Auteur. — Je répondrai, en troisième lieu, à quelques objections, et je terminerai par une application pratique.

                   Premièrement, je veux montrer que le christianisme est essentiellement une religion sociale, et que le transformer en une religion solitaire c'est, en réalité, le détruire.

                     Par christianisme, j'entends cette manière d'adorer Dieu, qui est révélée à l'homme par Jésus-Christ. Quand je dis que c'est essentiellement une religion sociale, je veux dire non seulement qu'elle ne peut subsister aussi bien sans société, mais même qu'elle ne peut pas subsister du tout, sans que l'on vive et que l'on converse avec d'autres hommes ; pour le montrer, je me bornerai aux considérations qui découlent du discours même qui nous occupe ; et, si je prouve ce point, il sera indubitablement établi que faire du christianisme une religion solitaire, c'est le détruire.

                     Ce n'est pas que nous voulions condamner d'aucune manière l'habitude de passer fréquemment de la société dans la solitude ou la retraite. C'est là une chose non seulement permise, mais convenable et même nécessaire, comme le témoigne l'expérience de chaque,jour, pour tout homme qui est déjà ou désire être réellement chrétien. Il est presque impossible que nous puissions passer une journée en rapports continuels avec les hommes, sans souffrir quelque perte dans nos âmes, et sans attrister en quelque mesure le Saint-Esprit de Dieu. Nous avons besoin, chaque jour, de nous retirer du monde, au moins chaque matin et chaque soir, pour converser avec Dieu, pour communiquer plus librement avec notre Père, qui est dans le secret. Et même un homme d'expérience ne peut condamner des temps de retraite plus prolongés, en tant qu'ils n'impliquent aucune négligence des devoirs attachés à la position dans laquelle la Providence de Dieu nous a placés dans le monde.

                    Mais cette retraite ne doit pas absorber tout notre temps ; ce serait détruire et non avancer la vraie religion ; car, que la religion décrite par notre Seigneur dans tes paroles précédentes ne puisse subsister sans société, sans que l'on vive et que l'on converse avec les autres hommes, c'est ce qui est manifeste par cette considération, que plusieurs de ses branches les plus essentielles n'ont aucune raison d'être, si nous n'avons point de relations avec le monde.

                    Il n'y a point de disposition, par exemple, plus essentielle au christianisme que la débonnaireté. Or, quoique cette disposition, en tant qu'elle comprend la résignation à la volonté de Dieu ou la patience dans la douleur et la maladie, puisse subsister dans un désert, dans la cellule d'un ermite, dans une solitude complète ; cependant, en tant qu'elle comprend tout aussi nécessairement la douceur, l'affabilité, le long support, elle ne peut exister, elle n'a de place sous le ciel que lorsque nous avons des relations avec d'autres hommes ; en sorte qu'essayer de la transformer en une vertu solitaire, c'est par le fait, l'effacer de dessus la terre.

                    Une autre branche également nécessaire du vrai christianisme, c'est le désir de procurer la paix, de faire du bien. Le plus fort argument que l'on puisse présenter pour établir que c'est là un caractère tout aussi essentiel qu'aucune autre partie de la religion de Jésus-Christ ; — c'est que notre Seigneur l'a inséré ici dans ce plan qu'il nous a tracé des principes fondamentaux de sa religion. Mettre de côté ce caractère, serait donc insulter tout aussi audacieusement à l'autorité de notre souverain Maître, que de rejeter la miséricorde, la pureté de cœur, ou toute autre partie de la religion qu'il a instituée. Mais ce caractère du christianisme est évidemment mis de côté par ceux qui nous appellent au désert, qui recommandent la solitude complète aux petits enfants et aux jeunes gens, aussi bien qu'aux pères en Christ. Car, qui voudra soutenir qu'un chrétien solitaire — (comme on dit, quoique ce ne soit guère moins qu'une contradiction dans les termes) — puisse être un homme miséricordieux, c'est-à-dire un homme qui saisit toute occasion de faire toute sorte de bien à tous ses semblables ? N'est-il pas de la dernière évidence que cette partie fondamentale de la religion de Jésus-Christ ne peut absolument subsister sans société, sans que l'on vive et que l'on converse avec les autres hommes ?

                    « Mais ne vaut-il pas mieux », demandera naturellement quelqu'un, « ne vivre qu'avec des gens de bien, avec ceux-là seulement que nous savons être débonnaires et miséricordieux, saints de cœur et saints de vie ? Ne vaut-il pas mieux éviter toute conversation et tout rapport avec des hommes, d'un caractère opposé, qui n'obéissent, qui ne croient peut-être point à l’Évangile de notre Seigneur Jésus-Christ ? » Le conseil que saint Paul adresse aux chrétiens de Corinthe, peut sembler favorable à ce point de vue : « je vous ai écrit dans ma lettre de n'avoir aucune communication avec les impudiques (1Corinthiens 5 : 9)  ». Et sans aucun doute, on ne peut conseiller à personne de s'allier aux impudiques ou à tout autre ouvrier d'iniquité, pour avoir avec eux une familiarité particulière ou une amitié intime. Contracter ou conserver de l'intimité avec de telles personnes ne peut, en aucune manière, être convenable pour un chrétien ; ces relations l'exposeraient nécessairement à une foule de pièges et de dangers, dont il ne pourrait avec raison espérer d'être délivré.

                    Mais l'apôtre ne nous défend point absolument tout rapport avec les hommes qui ne connaissent pas Dieu « Autrement, dit-il, il vous faudrait sortir du monde  » ; ce qu'il ne pourrait jamais leur conseiller. Mais il ajoute : « si quelqu'un qui se nomme frère », qui fait profession d'être chrétien, « est impudique, ou avare, ou idolâtre, ou médisant, ou ivrogne, ou ravisseur », je vous ai écrit de ne point vous associer avec lui, et même de ne pas « manger avec un tel homme ». Ce qui implique nécessairement la rupture de toute familiarité, de toute intimité avec lui. « Toutefois », dit ailleurs l'apôtre ( 2Thessaloniciens 3 : 15), « ne le regardez pas comme un ennemi, mais avertissez le comme un frère », montrant clairement par là que, même dans un cas pareil, nous ne devons pas renoncer à toute relation avec lui. Il n'y a donc ici aucune recommandation de nous séparer complètement des méchants, et ces paroles mêmes nous enseignent précisément le contraire.

                  Combien plus trouvons-nous encore le même enseignement dans les paroles de Jésus ! Il est si loin de nous commander de rompre tout commerce avec le monde, que même d'après son exposition du christianisme, sans ces relations nous ne pouvons pas être chrétiens du tout. Il serait aisé de montrer qu'il est absolument nécessaire d'entretenir quelques rapports même avec les méchants et les impies afin de mettre pleinement en action toutes les dispositions qui nous sont dépeintes comme la voie du royaume, et que cela est indispensable à l'exercice complet de la pauvreté d'esprit, de l'affliction, et de tous les sentiments qui ont leur place marquée dans la vraie religion de Jésus-Christ. Cela est indispensable à l'existence même de plusieurs de ces dispositions ; par exemple, de cette débonnaireté, qui au lieu d'exiger « œil pour oeil, dent pour dent », ne résiste point au mal, mais plutôt « si quelqu'un frappe à la joue droite, présente aussi l'autre  » ; — de cette miséricorde par laquelle nous aimons nos ennemis, nous bénissons ceux qui nous maudissent, nous faisons du bien à ceux qui nous haïssent et nous prions pour ceux qui nous outragent et nous persécutent ; — et enfin à l'existence de ce mélange d'amour et de saintes dispositions qu'exerce et développe la souffrance endurée pour la cause de la justice. Bien évidemment, toutes ces vertus ne pourraient exister, si nous ne devions avoir de commerce qu'avec de vrais chrétiens.

                   Et véritablement, si nous devions nous séparer complètement des pécheurs, comment nous serait-il possible de répondre à ce caractère que nous attribue notre Seigneur dans ces paroles : Vous chrétiens, vous qui êtes humbles, doux et sérieux, vous qui avez faim et soif de la,justice, de cet amour de Dieu et de l'homme qui fait du bien à tous et qui supporte le mal, « vous êtes le sel de la terre ». C'est dans votre nature même d'assaisonner tout ce qui vous entoure. C'est dans la nature de la saveur divine qui est en vous, de se communiquer à tout ce que vous touchez, de se répandre de toutes parts sur  tous ceux au milieu desquels vous vivez. C'est là le grand motif pour lequel la providence de Dieu vous a tellement mêlés aux autres hommes, afin que toute grâce que vous recevez de Dieu  puisse être, par votre moyen, communiquée aux autres ; que toutes vos saintes dispositions, que toutes vos paroles et vos œuvres puissent aussi avoir de l'influence sur les autres hommes. Par ce moyen, sera arrêtée dans une certaine mesure la corruption qui est dans le monde, et une petite portion de l'humanité, au moins, pourra être sauvée de la contagion générale et rendue sainte et pure devant Dieu.

                  Afin de nous exciter à répandre partout, avec plus de zèle, le sel de la sainteté, notre Seigneur nous montre l'état déplorable de ceux qui ne communiquent pas la religion qu'ils ont reçue, ce que, à la vérité, ils ne peuvent manquer de faire, aussi longtemps qu'elle demeure dans leur cœur. « Si le sel perd sa saveur, avec quoi la lui rendra-t-on ? Il ne vaut plus rien qu'à être jeté dehors et à être foulé aux pieds par les hommes ». Si vous qui étiez saints et célestes, et par conséquent zélés pour les bonnes œuvres, n'avez plus ce sel en vous-mêmes, et ne pouvez donc plus le communiquer aux autres, si vous êtes devenus insipides, insouciants sur votre salut et inutiles aux autres, avec quoi vous salera-t-on ? Comment recouvrer votre piété ? Quelle ressource y a-t-il pour vous ? Quelle espérance ? Le sel qui a perdu sa saveur, peut-il la recouvrer ? Non, il ne « vaut plus rien qu'à être jeté dehors, comme la boue dans les rues, et foulé aux pieds par les hommes  » ; c'est ainsi que le chrétien qui a perdu le sel de la sainteté s'expose à être couvert d'une infamie éternelle. Si vous n'aviez jamais connu le Seigneur, si vous n'aviez point été unis à lui, il pourrait y avoir de l'espérance ; mais que pouvez-vous répondre à cette déclaration solennelle, tout-à-fait parallèle à celle que nous venons d'entendre ? Le Père retranche « tout sarment qui ne porte pas de fruit en moi. Celui qui demeure en moi porte beaucoup de fruit. Si quelqu'un ne demeure pas en moi » ou ne porte pas de fruit, il sera jeté dehors comme le sarment ; il sèche, puis on le ramasse », non pour le replanter, mais « pour le jeter au feu (Jean 15 : 2,5,6)  ».

                    Sans doute, Dieu est rempli de pitié et de miséricorde envers ceux qui n'ont jamais goûté la bonne parole. Mais la justice seule se dresse devant ceux qui ont goûté que le Seigneur est bon, et qui se sont ensuite détournés du saint commandement qui leur avait été donné. « Car il est impossible que. ceux qui ont été une fois illuminés  (Hébreux 6 : 4 et suivants) », dans les cœurs desquels Dieu a une fois fait briller sa lumière, pour les éclairer par la connaissance de la gloire de Dieu en la présence de Jésus-Christ ; « qui ont goûté te don céleste » de la rédemption par son sang et du pardon des péchés ; « et qui ont été fait participants du Saint-Esprit », de l'humilité, de la douceur, de l'amour de Dieu et des hommes, répandus dans leurs cœurs par le Saint-Esprit qui leur a été donné ; « s'ils retombent » (dans l'original il n'y a pas une supposition, mais la déclaration pure et simple d'un fait), « soient renouvelés à la repentance, puisque, autant qu'il est en eux, ils crucifient de nouveau le Fils de Dieu et l'exposent à l'ignominie ».

                    Mais pour que personne ne puisse se méprendre sur le sens de cette terrible déclaration, il faut remarquer soigneusement quels sont ceux dont il est ici parlé, savoir ceux et ceux-là seulement qui ont goûté le don céleste et qui ont été faits ainsi participants du Saint-Esprit, de sorte que tous ceux qui n'ont point expérimenté ces choses, ont ici complètement hors de question. — Quelle est cette rechute dont il est ici parlé ? C'est une apostasie absolue et complète. Un croyant peut tomber sans cependant tomber aussi profondément que l'indique l'Apôtre ; il peut tomber et se relever encore, et s'il tombe même dans le péché, son état, quelque terrible qu'il soit, n'est pas désespéré. Car « nous avons un avocat auprès du Père, Jésus-Christ le Juste, et c'est lui qui est la propitiation pour nos péchés ». Mais surtout qu'il prenne garde de peur que son cœur « ne s'endurcisse par la séduction du péché  » ; de peur qu'il ne s'enfonce de plus en plus dans le mal, jusqu'à ce qu'il soit complètement retombé, et devenu comme le sel qui a perdu sa saveur. « Car, si nous péchons ainsi volontairement après avoir reçu la connaissance expérimentale de la vérité, il ne reste plus de sacrifice pour les péchés, et il n'y a plus rien à attendre qu'un jugement terrible et un feu ardent qui doit dévorer les adversaires ».

                    Mais en admettant que nous ne devons pas nous séparer complètement des hommes du monde, et que nous sommes appelés à leur communiquer le sel de la piété que Dieu a produite dans nos cœurs, cependant ne pouvons-nous le faire d'une manière insensible ? Ne pouvons-nous point exercer sur eux cette sainte influence d'une manière secrète et presque imperceptible, en sorte qu'on pourra à peine reconnaître quand et comment elle agit, — de même que le sel donne sa saveur aux choses qu'il assaisonne, sans bruit et sans rien qui attire l'attention ? Et si cela peut se faire, quoique nous ne sortions pas du monde, nous pouvons cependant y demeurer cachés, gardant ainsi notre religion pour nous-mêmes, sans offenser ceux que nous ne pouvons secourir.

                    Ces plausibles raisonnements de la chair et du sang ne pouvaient échapper à notre Sauveur, et il en a donné une complète réfutation dans les paroles qui nous restent à examiner. En les expliquant, je m'efforcerai de montrer, comme je me suis proposé de le faire, en second lieu, qu'aussi longtemps que la vraie religion demeure dans nos cœurs, la cacher, est aussi impossible qu'absolument contraire aux intentions de son grand Auteur.

                    Et, d'abord, il est impossible, pour quiconque la possède, de cacher la religion de Jésus-Christ. Notre Seigneur met cette vérité au-dessus de toute contradiction par une double comparaison : « Vous êtes la lumière du monde. Une ville, située sur une montagne, ne peut être cachée ». Vous chrétiens, vous êtes la lumière du monde, soit par vos dispositions, soit par vos actions. Votre sainteté vous rend aussi remarquables que le soleil au milieu du ciel. Comme vous ne pouvez sortir du monde, vous ne pouvez non plus y demeurer sans exciter l'attention de toute l'humanité. Vous ne pouvez fuir loin des hommes, et, pendant que vous vivez au milieu d'eux, il est impossible de cacher votre humilité, votre douceur, et tous les autres sentiments par lesquels vous aspirez à être parfaits comme votre Père qui est dans les cieux est parfait. L'amour ne peut pas plus se cacher que la lumière, surtout quand il se manifeste par l'action, quand vous vous exercez au travail de l'amour, à toute sorte de bienfaisance ; on pourrait tout autant songer à cacher une ville qu'un chrétien ; oui, on pourrait tout aussi bien cacher une ville située sur une montagne qu'un ami de Dieu et de l'homme, saint, zélé et actif.

                     Il est vrai que les hommes qui aiment mieux les ténèbres que la lumière, parce que leurs œuvres sont mauvaises, feront tout ce qu'ils pourront pour prouver que la lumière qui est en vous n'est que ténèbres. Ils diront du mal, toute sorte de mal, faussement contre vous ; ils vous accuseront de l'impossible, de ce qui est précisément l'opposé de tout ce que vous êtes et de tout ce que vous faites. Mais votre patiente persévérance dans le bien, votre support débonnaire de toutes choses pour l'amour du Seigneur, votre joie calme et humble au milieu des persécutions, vos efforts infatigables pour surmonter le mal par le bien, ne vous rendront que plus visibles et plus remarquables que vous ne l'étiez déjà.

                    Tant il est impossible d'empêcher que notre religion ne soit vue, à moins de la jeter au loin ! Tant il est inutile de songer à cacher la lumière, à moins de l'éteindre ! A coup sûr, une religion secrète et inaperçue ne peut être la religion de Jésus-Christ ; toute religion qu'on peut cacher, n'est pas le christianisme. Si un chrétien pouvait se cacher, il ne pourrait plus se comparer à une ville située sur une montagne, à la lumière du monde, au soleil qui brille du haut des cieux et qui est vu par tout le monde ici-bas. Que la pensée de cacher cette lumière n'entre donc jamais dans le cœur de celui que Dieu a renouvelé dans son esprit et dans son entendement, qu'il ne songe pas à garder sa religion pour lui-même ; qu'il considère qu'il est non seulement impossible de cacher le vrai christianisme, mais aussi qu'un pareil dessein est absolument contraire à l'intention de son divin Fondateur.

                    C'est ce qui ressort clairement des paroles suivantes « On n'allume point une chandelle pour la mettre sous un boisseau  » ; c'est comme s'il avait dit : De même que les hommes n'allument point une chandelle pour la couvrir et la cacher, de même Dieu n'illumine point une âme par sa glorieuse connaissance et son amour, afin qu'on cache et qu'on dissimule cette lumière, soit par une fausse prudence, soit par honte ou par humilité volontaire, afin qu'on la cache, soit dans un désert, soit dans le monde, en évitant les hommes ou en conversant avec eux. « Mais on met la chandelle sur un chandelier et elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison ». De la même manière, c'est l'intention de Dieu que tout chrétien soit exposé aux regards, afin qu'il puisse manifester visiblement la religion de Jésus-Christ.

                    C'est ainsi que dans tous les temps Dieu a parlé au monde, non seulement par des préceptes, mais aussi par des exemples. Il ne s'est laissé sans témoins dans aucune des nations auxquelles l'Évangile est parvenu, sans quelques hommes qui aient rendu témoignage à sa vérité par leurs vies aussi bien que par leurs paroles. Ils ont été « comme des lampes qui éclairaient dans des lieux obscurs  » ; et, de temps en temps, ils ont été les moyens d'en éclairer quelques autres, de conserver un résidu, une petite postérité qui a été comptée parmi ceux qui servent le Seigneur. Ils ont retiré quelques pauvres brebis des ténèbres du monde et ont guidé leurs pas dans le chemin de la paix.

                    On pourrait s'imaginer que, lorsque l'Écriture et la raison s'accordent à parler d'une manière si claire et si expresse, il est difficile de leur opposer quoi que ce soit, au moins avec quelque apparence de vérité. Mais ceux qui pensent ainsi, connaissent peu les profondeurs de Satan. En dépit de l'Écriture et de la raison, il y a des prétextes si plausibles en faveur d'une religion solitaire, et de la fuite du chrétien loin du monde, ou au moins pour qu'il se cache au milieu du monde, qu'il nous faut toute la sagesse de Dieu pour discerner le piège, et toute sa puissance pour y échapper, tant sont nombreuses et fortes les objections qu'on élève contre un christianisme social, actif et qui se montre à découvert.

                    Répondre à ces objections, c'est le troisième point que je me suis proposé. Et, d'abord, on a souvent objecté que la religion ne consiste point dans l'extérieur, mais dans le cœur, dans le fond de l'âme ; que c'est l'union de l'âme avec Dieu, la vie de Dieu dans l'âme de l'homme ; que toute cette piété du dehors est sans valeur, vu que Dieu « ne prend point plaisir aux sacrifices », au service extérieur, mais qu'un cœur pur et saint est le sacrifice que Dieu ne méprise point.

                    Je réponds : Il est très vrai que c'est dans le cœur, dans le fond de l'âme que se trouve la racine de la religion ; qu'elle est l'union de l'âme avec Dieu, la vie de Dieu dans l'âme de l'homme. Mais si cette racine est réellement dans le cœur, il ne peut se faire qu'elle ne pousse des branches. Ces branches sont les diverses parties de l'obéissance extérieure, qui sont de la même nature que la racine et qui, par conséquent, sont non seulement des marques et des indices, mais encore des parties essentielles de la piété.

                    Il est vrai aussi qu'une religion simplement extérieure, qui n'a point de racines dans le cœur, n'est d'aucune valeur ; que Dieu ne prend point plaisir à un tel service extérieur, pas plus qu'aux sacrifices juifs, et qu'un cœur saint et pur est le sacrifice auquel il prend toujours plaisir. Mais il prend aussi plaisir à tout service extérieur qui part du cœur, au sacrifice de nos prières, soit en public, soit en particulier, de nos louanges et de nos actions de grâces ; a u sacrifice de nos biens, consacrés humblement et sans réserve à son service et à sa gloire ; au sacrifice de nos corps, qu'il réclame en particulier, et que l'apôtre nous exhorte « par les compassions de Dieu, à lui offrir en sacrifice vivant, saint, et qui lui soit agréable ».

                    Une seconde objection, liée de près à la première, c'est que l'amour est tout en tous ; qu'il est l'accomplissement de la loi, « le but du commandement », de tout commandement de Dieu ; que tout ce que nous faisons, tout ce que nous souffrons, si nous n'avons pas la charité ou l'amour, ne nous sert de rien ; et que c'est pour cela que l'apôtre nous enseigne à nous « étudier à la charité », ce qu'il appelle « la voie la plus excellente ».

                    Je réponds qu'il est indubitable que l'amour de Dieu et des hommes, provenant d'une foi sincère, est tout en tous, qu'il est l'accomplissement de la loi, le but de tout commandement de Dieu ; il est vrai que, sans l'amour, tout ce que nous pouvons faire ou souffrir ne nous sert de rien. Mais il ne s'ensuit pas que l'amour soit tout, dans ce sens qu'il pourrait remplacer la foi ou les bonnes œuvres. Il est « l'accomplissement de la loi », non parce qu'il nous en débarrasse, mais parce qu'il nous contraint de lui obéir. Il est « le but du commandement », parce que tout commandement y aboutit comme vers un centre. Sans aucun doute, tout ce que nous pouvons faire ou souffrir, sans amour, ne nous sert de rien ; mais néanmoins rien de ce que nous faisons ou souffrons avec amour, ne fût-ce que d'endurer l'opprobre de Christ, ou de donner un verre d'eau froide en son nom, ne perdra sa récompense.

                     Mais l'apôtre ne nous dit-il pas de nous « étudier à la charité ? » N'est-ce pas ce qu'il appelle « la voie la plus excellente ? » — Il est vrai qu'il nous ordonne de nous étudier à la charité, mais non pas à la charité seule. Ses paroles sont : « Étudiez-vous à la charité ; désirez aussi avec ardeur les dons spirituels (1 Corinthiens 14 : 1)  ». Oui, étudiez-vous à la charité et désirez de vous dépenser pour vos frères ; étudiez-vous à la charité ; et selon que vous en avez l'occasion, faites du bien à tous les hommes.

                    Dans le même verset où il désigne le chemin de l'amour comme « la voie la plus excellente », il engage les Corinthiens à désirer, en outre, d'autres dons et même à les désirer avec ardeur. « Désirez avec ardeur, dit-il, des dons plus utiles, et je vais vous montrer la voie la plus excellente (1Corinthiens 12 : 31)  ». Plus excellente sans doute que les dons de guérir, de parler diverses langues, d'interpréter, qu'il mentionne dans les versets précédents, mais non pas plus excellente que la voie de l'obéissance. De celle-là, l'apôtre ne parle point, pas plus qu'il ne parle d'aucun acte extérieur de la religion, en sorte que ce texte est complètement étranger à la question actuelle.

                  Mais, même à supposer que l'apôtre ait voulu parler de la religion extérieure aussi bien que de la religion intérieure, et les comparer ensemble ; à supposer que dans la comparaison, il ait hautement donné la préférence à la seconde sur la première ; à supposer qu'il eût préféré, comme il le pouvait justement, un cœur aimant à quelque œuvre extérieure que ce fût, il ne s'ensuivrait pas que nous dussions rejeter l'une ou l'autre de ces deux parties de la religion. Non, Dieu les a inséparablement unies dès le commencement du monde, et que l'homme ne sépare point ce que Dieu a uni.

                     Mais, « Dieu est Esprit, et il faut que ceux qui l'adorent, l'adorent en esprit et en vérité ». Cela ne suffit-il point ? Ne devons-nous pas appliquer à ce culte spirituel toute la force de notre âme ? Cette préoccupation des choses extérieures, n'est-elle pas pour l'âme un embarras qui l'empêche de s'élever à de saintes contemplations ? Ne ramollit-elle pas la vigueur de nos pensées ? N'a-t-elle pas une tendance naturelle à surcharger et à distraire l'esprit ? tandis que saint Paul « voudrait que nous fussions sans inquiétude, et attachés au service du Seigneur sans distraction ».

                    Je réponds : « Dieu est Esprit, et il faut que ceux qui l'adorent, l'adorent en esprit et en vérité ». Cela est vrai, cela suffit, et nous devons employer à ce service toute la force de nos âmes. Mais je demanderai : Qu'est-ce donc qu'adorer Dieu, qui est Esprit, en esprit et en vérité ? C'est sans doute l'adorer avec notre esprit, le servir d'une manière dont les esprits seuls sont capables. C'est croire en lui, comme en un être sage, juste et saint, dont les yeux sont trop purs pour voir le mal, et cependant pitoyable, miséricordieux, tardif à colère, pardonnant l'iniquité, le crime et le péché, jetant tous nos péchés loin de lui, et nous acceptant en son bien-aimé ; c'est l'aimer, prendre plaisir en lui, le désirer de tout notre cœur, de toute notre pensée, de toute notre âme et de toute notre force ; c'est imiter celui que nous aimons, en nous purifiant comme lui aussi est pur ; c'est obéir à celui que nous aimons et en qui nous croyons, dans nos pensées, dans nos paroles, et dans nos actions. Par conséquent, l'une des parties du service que nous devons lui offrir et qui consiste à l'adorer en esprit et en vérité, c'est de garder ses commandements extérieurs. Ainsi donc, le glorifier dans nos corps aussi bien que dans nos esprits, accomplir nos œuvres extérieures avec des cœurs élevés vers lui, faire de notre travail journalier un sacrifice à Dieu, acheter et vendre, manger et boire en vue ; de sa gloire,- - c'est là adorer Dieu en esprit et en vérité, tout autant que de le prier dans un désert.

                     La contemplation n'est donc qu'une des manières de servir Dieu en esprit et en vérité. Nous y abandonner complètement, ce serait annuler plusieurs parties du culte spirituel, qui sont toutes également agréables à Dieu et également profitables à nos âmes, loin de leur être nuisibles. Car c'est une grande méprise de supposer que l'attention que réclament les œuvres extérieures auxquelles la Providence de Dieu nous appelle, soit un embarras pour le chrétien et qu'elle l'empêche de chercher constamment Celui qui est invisible. L'ardeur de sa pensée n'en est pas refroidie ; son esprit n'en est ni encombré ni distrait : il n'en éprouve aucune inquiétude pénible ou nuisible, lorsqu'il fait tout en vue du Seigneur, lorsqu'il a appris à tout faire, soit en paroles soit en œuvres, au nom du Seigneur Jésus, ayant un seul des yeux de son âme occupé de suivre les choses extérieures, et l'autre immuablement fixé sur Dieu. Apprenez à connaître cette vie, vous pauvres reclus, afin que vous puissiez discerner clairement la petitesse de votre foi ; et cessez de juger les autres par vous-mêmes, allez apprendre ce que signifie ceci :

                    « C'est toi, Seigneur, qui, dans ton tendre amour, portes toi-même tous mes fardeaux, qui élèves mon cœur vers les biens d'en haut et l'y tiens toujours fixé. Calme, je suis assis sur la roue du tumulte, seul au milieu de la multitude bruyante et affairée, attendant paisiblement à tes pieds jusqu'à ce que toute ta volonté soit accomplie ».

                    Mais la grande objection reste encore : « Nous en appelons, dit-on, à l'expérience. Notre lumière a brillé devant les hommes ; pendant de longues années nous avons mis en œuvres  les moyens extérieurs, et ils ne nous ont servi de rien. Nous avons usé de toutes les ordonnances prescrites, mais sans nous en trouver mieux. Au contraire, nous étions pires, car nous nous imaginions être chrétiens à cause de ces œuvres, tandis que nous ne savions même pas ce que signifie le christianisme ».

                    Je l'accorde ; vous et des milliers d'autres, vous avez ainsi abusé des ordonnances de Dieu, confondant les moyens avec le but, supposant que l'accomplissement de telle ou telle œuvre extérieure était la religion de Jésus-Christ ou pouvait la remplacer. Mais que l'abus disparaisse et que l'usage légitime demeure. Usez maintenant des moyens extérieurs, mais usez-en, ayant constamment en vue le renouvellement de votre âme dans la justice et la sainteté véritables.

                    Mais ce n'est pas tout ; l'expérience montre également, affirment-ils, qu'essayer de faire du bien, c'est perdre sa peine. A quoi sert-il de nourrir ou de vêtir les corps des hommes, s'ils vont tomber dans le feu éternel ? Et quel bien peut-on faire à leurs âmes ? Si elles sont régénérées, c'est Dieu seul qui le fait. D'ailleurs tous les hommes sont ou bons, (au moins désireux de l'être,) ou obstinément méchants. Or, les premiers n'ont aucun besoin de nous ; qu'ils demandent du secours à Dieu et ils l'obtiendront ; quant aux seconds, ils refuseront toute aide de notre part ; d'ailleurs, notre Seigneur lui-même nous défend « de jeter nos perles devant les pourceaux ».

Je réponds : 
               1° qu'ils soient finalement perdus ou sauvés, vous avez reçu le commandement exprès de nourrir ceux qui ont faim et de couvrir ceux qui sont nus. Si, pouvant le faire, vous ne le faites pas, quel que puisse être leur sort, le vôtre sera d'être jetés dans le feu éternel. 

               2° Quoique Dieu seul puisse changer les cœurs, c'est cependant généralement par le moyen de l'homme qu'il le fait. Notre part à nous, c'est d'accomplir la tâche qui nous est confiée, avec autant de zèle que si nous pouvions changer les cœurs nous-mêmes, et puis d'abandonner à Dieu le résultat. 3° Dieu, en réponse aux prières de ses enfants, les fait croître l'un par l'autre dans tous les dons de sa grâce ; il nourrit et fortifie « tout le corps, par la liaison de ses parties qui communiquent les unes aux autres », de sorte que « l’œil ne peut pas dire à la main : je n'ai pas besoin de toi ; ni aussi la tête aux pieds : je n'ai pas besoin de vous ». Enfin, comment savez-vous que les personnes auxquelles vous avez à faire sont des chiens ou des pourceaux ? Ne les jugez pas d'avance. Que sais-tu, ô homme, si tu ne sauveras point ton frère ? si comme instrument de Dieu tu ne sauveras point son âme de la mort ? Quand il aura repoussé ton amour et blasphémé contre la bonne parole, il sera temps alors de t'abandonner à Dieu.

                    Nous avons essayé, ajoute-t-on ; nous avons travaillé à réformer les pécheurs, et qu'avons-nous gagné ? Il en est beaucoup sur lesquels nous n'avons pu faire aucune impression ; et si quelques-uns se sont amendés pour un temps, leur piété n'a été que comme la rosée du matin, et bientôt ils sont redevenus aussi méchants et même pires qu'auparavant. En sorte que nous n'avons réussi qu'à leur faire du mal et à nous aussi, car nos esprits étaient troublés et découragés, peut-être même remplis de colère au lieu d'amour. Nous aurions donc mieux fait de garder notre religion pour nous-mêmes ».

                     Il est très possible qu'il en soit ainsi, que vous ayez essayé de faire du bien et que vous n'ayez pas réussi ; il est très possible que ceux qui semblaient corrigés, se soient replongés dans le péché et que leur dernier état soit pire que le premier. Mais qu'y a-t-il là d'étonnant ? Le serviteur est-il au-dessus de son Maître ? Que de fois ne s'est-il pas efforcé de sauver les pécheurs, et ils ont refusé de l'écouter, ou, après l'avoir suivi pour un temps, ils sont retournés comme le chien à son vomissement ! mais il n'a point cessé pour cela de s'efforcer de faire du bien ; et vous ne devez pas cesser non plus, quel que soit votre succès. A vous de faire ce qui vous est commandé ; le résultat est entre les mains de Dieu. Vous n'en êtes point responsables, laissez-le à Celui qui règle toutes choses avec justice. « Sème ta semence dès le matin, et ne laisse pas reposer tes mains le soir, car tu ne sais pas lequel réussira le mieux (Ecclésiaste 11 : 6)  ».

                   Mais ces tentatives agitent et inquiètent vos âmes. Peut-être ont-elles eu cet effet par cela même que vous vous êtes crus responsables du résultat, tandis qu'aucun homme ne l'est ni ne peut l'être ; il se peut encore que vous n'ayez pas été sur vos gardes, vous n'avez pas veillé sur votre propre cœur. Mais ce n'est pas là une raison de désobéir à Dieu. Essayez de nouveau, mais essayez avec plus de prudence qu'auparavant. Faites le bien, comme vous devez pardonner, « non pas sept fois, mais jusqu'à septante fois sept fois ». Seulement que l'expérience vous rende plus sages ; que chaque fois vos tentatives soient de plus en plus circonspectes. Soyez plus humbles devant Dieu, plus intimement convaincus que de vous-mêmes vous ne pouvez rien faire. Surveillez avec plus de soin votre propre esprit ; soyez plus doux, plus vigilants dans la prière : Alors « jette ton pain sur la face des eaux, et après plusieurs jours tu le trouveras ».

                    Nonobstant tous ces prétextes plausibles, pour cacher votre piété, « que votre lumière luise devant les hommes, afin qu'ils voient vos bonnes œuvres et qu'ils glorifient votre Père qui est dans les cieux ». C'est là l'application pratique que notre Seigneur lui-même fait des considérations précédentes.

                  « Que votre lumière luise ainsi », — votre humilité de cœur, votre douceur, votre sagesse, votre souci sérieux et profond pour les choses de l'éternité, et votre affliction sur les péchés et les misères des hommes ; votre désir ardent de posséder l'entière sainteté et le parfait bonheur en Dieu ; votre tendre bienveillance pour toute l'humanité et votre amour fervent pour votre Bienfaiteur suprême. Ne cherchez pas à cacher cette lumière, dont Dieu a éclairé votre âme, mais qu'elle luise devant les hommes, devant tous ceux au milieu desquels vous vivez, dans toutes vos conversations ; qu'elle brille encore plus dans vos actions, dans tout le bien que vous pourrez faire à tous les hommes, enfin dans vos souffrances pour la justice, au milieu desquelles vous devez vous « réjouir et tressaillir de joie, sachant que votre récompense sera grande dans les cieux ».

                   « Que votre lumière luise devant les hommes, afin qu'ils voient vos bonnes œuvres  » ; — tant un chrétien doit être loin d'avoir l'intention ou le désir de cacher sa piété ! Au contraire, que votre désir soit, non de la cacher, non de la mettre sous un boisseau, mais de la mettre « sur un chandelier, afin qu'elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison ». Prenez garde seulement de ne pas chercher en cela votre propre gloire, de ne désirer aucun honneur pour vous-mêmes. Mais que votre seul but soit que ceux qui voient vos bonnes œuvres puissent « glorifier votre Père qui est dans les cieux ».

                    Que ce soit là votre but unique et final en toutes choses. Avec cette réserve, soyez simples, francs, sans déguisement ; que votre amour soit sans dissimulation ; pourquoi cacher un amour pur et désintéressé ? Qu'aucune fraude ne soit trouvée dans votre bouche ; que vos paroles soient l'image sincère de votre cœur ; qu'il n'y ait ni obscurité ni réserve dans votre conversation, ni déguisement dans votre conduite. Laissez cela à ceux qui ont d'autres desseins, des desseins qui ne peuvent supporter la lumière. Soyez simples et sans art devant les hommes, afin que tous puissent voir la grâce de Dieu qui est en vous. Et si quelques-uns endurcissent leurs cœurs, d'autres s'apercevront que vous avez été avec Jésus, et en retournant eux-mêmes au grand Évêque de leurs âmes, ils « glorifieront votre Père qui est dans les cieux ».

                  Avec ce seul objet en vue, la glorification de Dieu en vous par vos semblables, avancez en son nom et dans sa force toute puissante. N'ayez pas même honte d'être seul, pourvu que ce soit dans les voies de Dieu. Que la lumière qui est dans votre cœur brille en toute sorte de bonnes œuvres, œuvres de piété et œuvres de miséricorde ; et, afin d'accroître vos moyens de faire le bien, renoncez à toute superfluité, retranchez toute dépense inutile dans votre nourriture, votre ameublement, votre costume. Soyez un bon économe de tous les dons de Dieu, même de ses dons inférieurs. Renoncez à tout emploi de temps qui n'est pas nécessaire, retranchez toute occupation inutile ou frivole, et « fais selon ton pouvoir, tout ce que tu auras moyen de faire ». En un mot, sois rempli de foi et d'amour, fais le bien, supporte le mal, et en suivant cette voie « sois ferme, inébranlable, abondant toujours dans l'œuvre du Seigneur, sachant que ton travail ne sera pas vain auprès du Seigneur ». 

 


samedi 4 juin 2016

(3) LE SERMON SUR LA MONTAGNE, TROISIÈME DISCOURS WESLEY Matthieu 5: 8-12

Numérisation Yves PETRAKIAN Copie autorisée pour diffusion gratuite uniquement Obligation d'indiquer la source http://456-bible.123-bible.com

 Sermon 23 : (1748  )     LE SERMON SUR LA MONTAGNE, TROISIÈME DISCOURS

Matthieu 5: 8-12

 8  Heureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu!
9  Heureux ceux qui procurent la paix, car ils seront appelés fils de Dieu!
10  Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des cieux est à eux!
11  Heureux serez-vous, lorsqu’on vous outragera, qu’on vous persécutera et qu’on dira faussement de vous toute sorte de mal, à cause de moi.
12  Réjouissez-vous et soyez dans l’allégresse, parce que votre récompense sera grande dans les cieux; car c’est ainsi qu’on a persécuté les prophètes qui ont été avant vous.

                    Quelles excellentes choses nous dit la Bible sur l'amour de notre prochain ! Il est « l'accomplissement de la loi, le but du commandement ». Sans cet amour, tout ce que nous pouvons posséder, faire ou souffrir, n'est d'aucun prix aux yeux de Dieu. Mais l'amour du prochain dont il est question, c'est celui qui prend sa source dans l'amour de Dieu ; sans cela, il n'a de lui-même aucune valeur. Il nous convient donc d'examiner soigneusement sur quel fondement repose l'amour que nous portons à notre prochain, de rechercher s'il est réellement fondé sur l'amour de Dieu, si « nous l'aimons parce qu'il nous a aimés le premier », si nous avons le cœur pur, car c'est là un fondement qui ne peut être ébranlé : « Bienheureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu ».

                     « Ceux qui ont le cœur pur » sont ceux dont Dieu a purifié le cœur, « comme Lui aussi est pur  » ; ceux qui sont purifiés par la foi dans le sang de Christ, de toute affection contraire à la sainteté ; ceux qui étant nettoyés de toute souillure de la « chair et de l'esprit, achèvent leur sanctification dans la crainte » et dans l'amour « de Dieu ». La puissance de la grâce de Dieu les purifie — de l'orgueil, par la plus profonde pauvreté d'esprit ; — de la colère et de toute passion contraire à la bonté et à la patience, par la douceur et la débonnaireté ; — de tout désir autre que celui de plaire à Dieu, de le posséder, de le connaître et de l'aimer de plus en plus, par cette faim et cette soif de la justice qui absorbe maintenant toute leur âme, en sorte que maintenant ils aiment le Seigneur de tout leur cœur, de toute leur âme, de toute leur pensée et de toute leur force.

                     Mais combien peu les faux docteurs de toutes les époques ont donné d'attention à cette pureté de cœur ! Ils se sont contentés d'enseigner simplement aux hommes à s'abstenir de ces souillures extérieures que Dieu a nominativement défendues ; mais ils n'ont pas frappé au cœur, et, en n'avertissant pas de se garder de la corruption intérieure, ils l'ont, par le fait, encouragée.

                      Notre Seigneur nous en donne lui-même un bien remarquable exemple dans les paroles suivantes (Matthieu 5 : 27-32) : « Vous avez entendu qu'il a été dit aux anciens :Tu ne commettras point d'adultère» ; et en expliquant ce commandement , ces aveugles, conducteurs d'aveugles, n'insistaient que sur l'obligation de s'abstenir de l'acte extérieur. « Mais moi je vous dis que quiconque regarde une femme pour la convoiter, a déjà commis l'adultère avec elle dans son cœur », car Dieu « aime la vérité dans l'intérieur », « il sonde le cœur et il éprouve les reins », et si tu inclines ton cœur à l'iniquité, le Seigneur ne t'écoutera point.

                     Et, Dieu n'admet aucune excuse pour ne pas rejeter tout ce qui est une occasion d'impureté. « Si donc ton œil droit te fait tomber dans le péché, arrache-le et jette-le loin de toi ; car il vaut mieux pour toi qu'un de tes membres périsse, que si tout ton corps était jeté dans la Géhenne ». Si des personnes qui te sont aussi chères que ton œil droit, sont une occasion pour toi d'offenser ainsi Dieu, un moyen d'exciter dans ton âme des désirs contraires à la sainteté, n'hésite point, sépare-t'en violemment. « Et si ta main droite te fait tomber dans le péché, coupe-la et jette-la loin de toi ; car il vaut mieux pour toi qu'un de tes membres périsse, que si tout ton corps était jeté dans la Géhenne ». Si une personne qui semble t'être aussi nécessaire que ta main droite est pour toi une occasion de péché, de désir impur ; quand même ce péché n'irait pas plus loin que ton cœur et ne se manifesterait ni en parole, ni en action, impose-toi une séparation complète et définitive, retranche cette main droite d'un seul coup, abandonne tout pour Dieu. Plaisirs, fortune, amis, il faut tout perdre plutôt que de perdre ton âme.

                      Il n'y a que deux mesures qu'on puisse tenter avant d'en venir à cette séparation absolue et définitive. Premièrement, essaie si tu ne peux chasser l'esprit impur par le jeûne et par la prière, et en t'abstenant soigneusement de toute action, de toute parole et de tout regard, que tu as reconnu être pour toi une occasion de péché. En second lieu, si tu n'es pas délivré par ce moyen, demande conseil à celui qui veille sur ton âme, ou du moins à quelque personne expérimentée dans les voies du Seigneur, au sujet du temps et de la manière d'opérer cette séparation ; mais ne consulte point la chair ni le sang, de peur que tu ne sois abandonné « à un esprit qui donnera efficace à l'erreur » pour te faire croire au mensonge.

                    Et le mariage lui-même, saint et honorable comme il l'est, ne peut servir de prétexte pour lâcher la bride à nos désirs. Il est vrai « qu'il a été dit : Si quelqu'un répudie sa femme, qu'il lui donne la lettre de divorce  » ; et alors tout allait bien, quand même le mari n'aurait donné d'autre motif de son divorce, que son peu de sympathie pour sa femme, ou son amour pour une autre femme. « Mais moi je vous dis que quiconque répudiera sa femme, si ce n'est pour cause d'adultère, il l'expose à devenir adultère », si elle vient à se remarier ; « et que quiconque se mariera à la femme qui aura été répudiée, commet un adultère ».

                 Toute polygamie est clairement défendue par ces paroles, où notre Seigneur déclare expressément, que pour une femme dont le mari est encore vivant, se remarier est un adultère. Par la même raison, c'est un adultère pour un homme de se remarier, aussi longtemps qu'il a une femme encore vivante, fussent-ils même divorcés ; à moins que ce divorce n'ait pour cause l'adultère, car dans ce cas seul, il n'y a aucun texte de l'Écriture qui défende de se remarier.

                  Telle est la pureté de cœur que Dieu exige, et qu'il produit lui-même en ceux qui croient au Fils de son amour. Heureux ceux qui ont ainsi le cœur pur, car ils verront Dieu ; il se manifestera lui-même à eux, non seulement comme il ne se montre pas au monde, mais comme il ne le fait pas toujours à ses propres enfants ! Il les favorisera des communications les plus éclatantes de son Esprit, de la communion la plus intime avec le Père et avec le Fils. Il les fera continuellement marcher en sa présence et fera toujours briller sur eux la lumière de sa face. La prière incessante de leur cœur est : « Je te prie, fais-moi voir ta gloire », et ils obtiennent ce qu'ils réclament ainsi de lui. Ils le voient maintenant par la foi, — le voile de la chair étant rendu, pour ainsi dire, transparent ; — ils le voient même dans ses œuvres inférieures qui nous environnent, dans tout ce que Dieu a fait et créé. Ils le voient remplissant toutes choses et accomplissant tout en tous. Ceux qui ont le cœur pur voient toute la création remplie de Dieu. Ils le voient dans la voûte des cieux, dans la lune lorsqu'elle est claire, dans le soleil lorsqu'il « se réjouit comme un homme vaillant pour faire sa course ». Ils le voient « faisant des grosses nuées son chariot et se promenant sur les ailes du vent ». Ils le voient « préparant la pluie pour la terre et en bénissant le fruit, faisant germer le foin pour le bétail et l'herbe pour le service de l'homme ». Ils voient le Créateur de tout, gouvernant tout avec sagesse, et « soutenant toutes choses par sa parole puissante ». « Éternel notre Seigneur, que ton nom est magnifique par toute la terre ! »

                      C'est aussi dans les dispensations de sa providence à leur égard, soit pour l'âme, soit pour le corps, que ceux qui ont le cœur pur voient Dieu plus particulièrement. Ils voient sa main continuellement étendue sur eux pour leur faire du bien, leur distribuant toutes choses dans la mesure convenable, tenant compte des cheveux de leur tête, dressant une haie protectrice autour d'eux et de tout ce qui leur appartient, et disposant toutes les circonstances de leur vie selon la profondeur de sa sagesse et de sa miséricorde.

                     Mais c'est surtout dans les moyens de grâce qu'il a institués qu'ils voient Dieu d'une manière plus spéciale, soit qu'ils se présentent dans la grande assemblée « pour rendre à l'Éternel la gloire due à son nom » et pour l'adorer dans la magnificence de sa sainteté, ou qu'ils « entrent dans leur cabinet », et que là ils répandent leur âme devant leur « Père qui les voit dans le secret  » ; soit qu'ils sondent les oracles de Dieu ou qu'ils écoutent les ambassadeurs de Christ proclamant la bonne nouvelle du salut, soit enfin qu'ils « mangent de ce pain et boivent de cette coupe, qui annoncent la mort du Seigneur jusqu'à ce qu'il vienne » sur les nuées du ciel ; — dans tous ces moyens de grâce désignés par Dieu lui-même, ils trouvent auprès de lui un accès intime que la tangue ne peut exprimer. Ils le voient, pour ainsi dire, face à face ; ils parlent avec lui « comme un homme parte avec son intime ami », et se préparent ainsi pour ces demeures célestes où ils le verront tel qu'il est.

                  Mais combien ils sont loin de voir Dieu ceux qui, ayant « entendu qu'il a été dit aux anciens : Tu ne te parjureras point, mais tu t'acquitteras envers le Seigneur de ce que tu auras promis avec serment (Mat 5 : 33) », interprètent ainsi cette défense : Tu ne te parjureras pas, lorsque tu jures par l'Éternel ton Seigneur ; tu t'acquitteras envers le Seigneur de ce que tu auras promis avec serment par le nom de l'Éternel, mais quant aux autres serments, Dieu ne s'en met pas en peine.

                   C'est ainsi qu'enseignaient les Pharisiens. Non seulement ils permettaient toute espèce de jurements dans la conversation ordinaire ; mais ils regardaient même le parjure comme peu de chose, pourvu qu'on n'eût pas juré par le nom particulier de Dieu.

                  Mais notre Seigneur défend ici d'une manière absolue tous les jurements dans la conversation, aussi bien que toute espèce de faux serments, et il montre le caractère odieux de tous les deux par une même considération solennelle, savoir : que toute créature appartient à Dieu et qu'il est présent en tous lieux, qu'il est en toutes choses et par-dessus toutes choses. « Je vous dis : Ne jurez du tout point, ni par le ciel, car c'est le trône de Dieu  » ; et c'est par conséquent la même chose que de jurer par Celui qui est assis sur l'étendue des cieux ; « ni par la terre, car c'est son marchepied », et il est aussi réellement présent sur la terre que dans le ciel ; « ni par Jérusalem, car c'est la grande ville du Roi », et Dieu « est connu dans ses palais ». « Ne jure pas non plus par ta tête, car tu ne peux faire devenir un seul cheveu blanc ou noir », parce que même cette petite chose n'est point en ta puissance, mais en celle de Dieu, qui seul peut disposer de tout ce qui existe dans le ciel et sur la terre. « Mais que votre parole soit : oui, oui, non, non », une affirmation ou une négation simple mais sérieuse, car, « ce qu'on dinde plus vient du malin », procède du démon et est une marque de ses enfants.

                  Pour se convaincre que notre Seigneur n'entend point ici défendre le serment fait pour attester la vérité en jugement, quand nous en sommes requis par un magistrat ; il suffit de considérer :


1° l'occasion de cette partie de son discours, l'abus qu'il veut condamner ici, savoir : le faux serment et les jurements ordinaires ; le serment devant un magistrat étant tout-à-fait étranger à la question.

 2° Les mots mêmes qu'il emploie pour la conclusion générale de son précepte : « Que votre parole soit, oui, oui, non, non ».

 3° L'exemple même de notre Seigneur, car il répondit lui-même avec serment, quand il y fut appelé par un magistrat. Quand le souverain sacrificateur lui dit : « Je t'adjure, par le Dieu vivant, de nous dire si tu es le Christ le Fils de Dieu ? » Jésus répondit aussitôt affirmativement : « Tu l'as dit », c'est la vérité ; « et même je vous dis que vous verrez ci-après le Fils de l'homme assis à la droite de la puissance de Dieu et venant sur les nuées du ciel (Matthieu 26 : 63,64)  ».

 4° de Dieu, du Père ; qui, « voulant montrer encore mieux aux héritiers de la promesse la fermeté immuable de sa résolution, y fit intervenir le serment (Hébreux 6 : 17)  ».

 5° L'exemple de saint Paul, qui avait aussi, croyons-nous, l'Esprit de Dieu et comprenait bien la volonté de son Maître : « Dieu m'est témoin, dit-il aux Romains (Romains 1 : 9), que je fais sans cesse mention de vous dans mes prières ». Et aux Corinthiens (1Corinthiens 2 : 1 ;  2 Corinthiens 1 : 23) : « Je prends Dieu à témoin sur mon âme, que ç’a été pour vous épargner que je ne suis point encore allé à Corinthe ». Et aux Philippiens (Philippiens 1 : 8) : « Dieu m'est témoin que je vous chéris tous d'une affection cordiale en Jésus-Christ », De là résulte inévitablement que, si l'apôtre connaissait bien la vraie signification des paroles de son Maître, elles ne défendent pas l'emploi du serment dans des occasions importantes, même entre particulier, et combien moins par conséquent devant un magistrat !

 6° Enfin cette assertion du grand apôtre au sujet du serment solennel en général (ce qu'il eût été impossible de mentionner sans y joindre quelque indication de blâme, si son Maître l'avait complètement défendu) : « Les hommes jurent par Celui qui est plus grand qu'eux, et le serment fait pour confirmer une chose termine tous les différends (Hébreux 6 : 16)  ».

                   Mais la grande leçon que notre Sauveur veut nous inculquer ici et qu'il développe par cet exemple, c'est que Dieu est en toutes choses, et que nous devons voir Dieu en toute créature, comme dans un miroir ; que nous ne devons considérer aucune chose, ni en user, en la séparant de Dieu, ce qui ne serait réellement qu'une espèce d'athéisme pratique ; mais que nous devons, selon la magnifique expression du prophète, regarder le ciel et la terre et tout ce qui y est contenu, comme renfermés dans le creux de la main de Dieu qui, par sa présence intime, leur conserve l'existence, qui remplit et met en action toute la création sensible, et est, dans le sens vrai, l'âme de l'univers.

                Jusqu'ici notre Seigneur s'est occupé plus particulièrement de nous enseigner la religion du cœur et de nous montrer ce que les chrétiens doivent être. Il va nous montrer maintenant ce qu'ils doivent aussi faire, comment la sainteté intérieure doit se traduire dans notre conduite extérieure ; « Heureux, dit-il, ceux qui procurent la paix, car ils seront appelés enfants de Dieu ! »

                   Il est bien connu que, dans le langage des saintes Écritures, « la paix » comprend souvent toute espèce de bien, toute bénédiction qui se rapporte au corps et à l'âme, au temps comme à l'éternité. Ainsi, lorsque saint Paul, dans le titre de ses Épîtres, souhaite la grâce et la paix aux Romains ou aux Corinthiens, c'est comme s'il disait : Puissiez-vous, comme fruit de l'amour et de la faveur, libres et immérités de Dieu, jouir de toute bénédiction spirituelle et temporelle, de toutes les bonnes choses que Dieu a préparées pour ceux qui l'aiment !

                    De là nous pouvons aisément comprendre quel sens étendu nous devons attribuer à cette expression « Ceux qui procurent la paix ». Dans sa signification littérale, elle renferme ces amis de Dieu et des hommes qui détestent et abhorrent profondément toute querelle et tout débat, tout désaccord et toute contention, et qui travaillent conséquemment de toutes leurs forces à empêcher ce feu d'enfer de s'allumer, d'éclater s'il est déjà allumé, ou s'il a déjà éclaté, de s'étendre davantage. Ils s'efforcent d'apaiser les tempêtes qui s'élèvent dans les esprits des hommes, de calmer les passions turbulentes, d'adoucir les esprits divisés, et, s'il est possible, de les réconcilier ensemble. Ils emploient toutes leurs forces, tous les talents que Dieu leur a donnés, à conserver la paix là où elle existe, et à la rétablir là où elle n'existe pas. C'est la joie de leur cœur de procurer, de confirmer, d'accroître la bienveillance mutuelle entre tous les hommes, mais surtout entre les enfants de Dieu, quoiqu'ils puissent se distinguer les uns des autres par des choses de moindre importance ; en sorte que, comme ils ont « un seul Seigneur et une seule foi », comme ils sont « appelés à une seule espérance », ils puissent aussi « marcher d'une manière digne de leur vocation, avec toute sorte d'humilité et de douceur, avec un esprit patient, se supportant les uns les autres avec charité, ayant soin de conserver l'unité de l'Esprit par le lien de la paix ».

                   Mais, dans le sens complet du mot, celui qui procure la paix est un homme qui, selon qu'il en trouve l'occasion, fait du bien à tous  » ; un homme qui, rempli de l'amour de Dieu et de toute l'humanité ne peut en borner l'expression à sa propre famille, à ses amis, à ses connaissances, à son parti, à ceux qui partagent ses opinions, ni même à ceux qui participent avec lui à la même précieuse foi ; mais qui franchit toutes ces étroites barrières, afin de pouvoir faire du bien à tous les hommes, afin de pouvoir, d'une manière ou d'une autre, manifester son amour aux voisins et aux étrangers, à ses amis et à ses ennemis. Il leur fait du bien à tous, selon l'opportunité, c'est-à-dire, en toute occasion possible, « rachetant le temps » à cet effet, saisissant chaque circonstance favorable, mettant à profit chaque instant, ne perdant pas un moment pour se rendre utile à autrui. Il fait le bien, non d'une manière particulière, mais le bien en général, de toute manière possible ; en y employant tous les talents divers dont il est doué, toutes les puissances et toutes les facultés de son corps et de son âme, toute sa fortune, son intérêt, sa réputation, sans aucun autre désir que d'entendre dire, à son Maître quand il arrivera : « Cela va bien, bon et fidèle serviteur.

                      Il fait du bien, dans toute l'étendue de sa puissance, même aux corps des hommes. Il se réjouit de partager son pain avec celui qui a faim, et de couvrir d'un habillement celui qui est nu. Quelqu'un est-il étranger ? il le recueille et le secourt selon ses besoins. Y a-t-il des malades ou des prisonniers ? il les visite et leur fournit ce qui leur est nécessaire. Et tout cela, il le fait, non comme à un homme, mais en se rappelant celui qui a dit : « en tant que vous avez fait ces choses à l'un de ces plus petits de mes frères, vous me les avez faites » à moi-même.

                    Combien plus encore ne se réjouit-il pas, s'il peut faire quelque bien à l'âme d'un homme ! Ce pouvoir, il est vrai, n'appartient qu'à Dieu ; il n'y a que lui qui puisse changer le cœur, changement sans lequel tout autre changement est plus léger que la vanité. Néanmoins, il a plu à Celui qui fait tout en tous, de secourir l'homme principalement au moyen de l'homme, de communiquer sa propre puissance, sa bénédiction et son amour à chaque homme par le canal d'un autre homme. Par conséquent, quoiqu'il soit certain que tout ce qui est fait sur la terre est fait par Dieu lui-même, aucun homme ne doit, pour ce motif, demeurer inactif dans la vigne de son Maître. Cette inaction est impossible à celui qui veut procurer la paix, il est toujours occupé à travailler, et, comme un instrument dans la main de Dieu, à préparer le terrain pour son Maître, à semer la semence du royaume, ou à arroser ce qui est déjà semé, dans l'espoir que Dieu donnera l'accroissement. Selon la mesure de grâce qui lui a été départie, il met tous ses soins soit à reprendre les pécheurs scandaleux, et à avertir ceux qui se précipitent tête baissée dans le chemin large de la perdition, soit à apporter la lumière à ceux qui sont « assis dans les ténèbres » et prêts à périr « faute de connaissance », à « supporter les faibles », à « fortifier les mains affaiblies et les genoux relâchés », ou à « guérir et ramener ceux qui sont boiteux ou égarés ». Il n'a pas moins de zèle pour venir en aide à ceux qui s'efforcent déjà d'entrer par la porte étroite, pour encourager ceux qui sont debout à poursuivre constamment la course qui leur est proposée pour édifier sur leur très sainte foi ceux qui savent en qui ils ont cru, et les exhorter : rallumer le don de Dieu qui est en eux afin que, croissant chaque jour dans la grâce, « l'entrée au royaume ; éternel de notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ leur soit pleinement accordée ».

                    Heureux ceux qui sont ainsi continuellement employés dans cette œuvre de foi et dans ce travail d'amour, « car ils seront appelés », c'est-à-dire, suivant un hébraïsme commun, ils seront « enfants de Dieu ». Dieu leur continuera la jouissance de l'Esprit d'adoption, et même il en répandra dans leurs cœurs une mesure plus abondante ; il les bénira de toutes les bénédictions qui appartiennent à ses enfants ; il les reconnaîtra comme ses enfants devant les anges et devant les hommes ; et, « s'ils sont enfants, ils sont aussi héritiers, héritiers de Dieu, cohéritiers de Christ ».

                   On pourrait s'imaginer qu'un homme, tel qu'on vient de le décrire, si rempli d'une humilité sincère et d'un sérieux sans affectation, si doux et si paisible, si pur de toute intention égoïste, si dévoué à Dieu et si actif dans son amour pour les hommes, doit être chéri par tous ses semblables. Mais notre Seigneur connaissait mieux la nature humaine telle qu'elle est dans son état actuel.

                 Il complète donc le portrait de cet homme de Dieu, en montrant quel traitement il doit attendre du monde : « Heureux, dit-il, ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des cieux est à eux ».

                    Pour comprendre pleinement cette déclaration, examinons d'abord quels sont ceux qui sont persécutés ? Nous l'apprendrons de la bouche de saint Paul : « Comme alors celui qui était né selon la chair persécutait celui qui était né selon l'Esprit, il en est de même maintenant (Galates 4 : 29)  ». « Aussi, tous ceux qui veulent vivre dans la piété selon Jésus-Christ seront persécutés (2Timothée 3 : 12)  ». Saint Jean nous enseigne la même chose « Mes frères, ne vous étonnez point si le monde vous hait. Quand nous aimons nos frères, nous connaissons par là que nous sommes passés de la mort à la vie (1Jean 3 : 13,14)  ». C'est comme s'il disait : Les frères, les chrétiens, ne peuvent être aimés que par ceux qui sont passés de la mort à la vie. Et notre Seigneur nous le déclare aussi très expressément lui-même : « Si le monde vous hait, sachez qu'il m'a haï avant vous. Si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui serait à lui ; mais parce que vous n'êtes pas du monde ? c'est pour cela que le monde vous hait. Souvenez-vous de la parole que je vous ai dite, que le serviteur n'est pas plus grand que son maître. S'ils m'ont persécuté, ils vous persécuteront aussi (Jean 15 : 18-20)  ».

                     Tous ces textes montrent clairement quels sont ceux qui sont persécutés, savoir : les justes : — « Celui qui est né de l'Esprit  » ; — « tous ceux qui vivent dans la piété selon Jésus-Christ  » ; — ceux qui « sont passés de la mort à la vie  » ; — ceux qui « ne sont pas du monde  » ; — tous ceux qui sont doux et humbles de cœur, qui pleurent après Dieu, qui ont faim et soif de sa ressemblance ; tous ceux qui aiment Dieu et leur prochain, et qui, en conséquence, selon qu'ils en trouvent l'occasion, font du bien à tous les hommes.

                     Si l'on demande, en second lieu, pourquoi ils sont persécutés, la réponse est tout aussi simple et claire. C'est « pour la justice », parce qu'ils sont justes, parce qu'ils sont nés selon l'Esprit, parce qu'ils veulent vivre dans la piété selon Jésus-Christ, parce qu'ils ne sont pas du monde. Quel que puisse être le prétexte mis en avant, c'est là le véritable motif. Quelles que soient d'ailleurs leurs infirmités personnelles, si ce n'était pour ce seul motif, on les supporterait, et le monde aimerait ce qui serait à lui. Ils sont persécutés, parce qu'ils sont pauvres en esprit, c'est-à-dire, comme le dit le monde : « des gens pauvres d'esprit, à l'âme basse et lâche, qui ne sont bons à rien et ne sont pas faits pour vivre dans le monde ». — Parce qu'ils sont dans l'affliction : « ce sont des créatures si lourdes, si tristes, si ennuyeuses ! Il suffit de les voir pour avoir l'esprit tout assombri. Ce sont de véritables têtes de mort ; ils proscrivent toute joie, même innocente, et troublent toute compagnie où ils entrent ». — Parce qu'ils sont débonnaires : « des fous sans énergie, qui ne sont bons qu'à se laisser molester, fouler aux pieds ». — Parce qu'ils ont faim et soif de la justice : « une poignée d'enthousiastes à tête chaude, courant, bouche béante, après ils ne savent quoi, ne pouvant se contenter d'une religion raisonnable, mais se rendant fous à la poursuite des extases et des sensations intérieures ». — Parce qu'ils sont miséricordieux, amis de tous les hommes, amis même des méchants et des ingrats : « Encourageant toute espèce de méchanceté et même induisant les gens à faire du mal par l'espérance de l'impunité ; des hommes qui, il y a lieu de le craindre, sont encore, malgré toutes leurs prétentions, sans règle religieuse, étant très relâchés dans leurs principes ». — Parce qu'ils ont le cœur pur : « des créatures sans charité, qui damnent tout le monde, excepté ceux de leur espèce ! Misérables blasphémateurs qui veulent faire Dieu menteur, en prétendant vivre sans péché ! » — Et par-dessus tout, parce qu'ils procurent la paix, parce qu'ils saisissent toute occasion de faire du bien à tous les hommes. C'est là la grande raison pour laquelle ils ont été persécutés de tout temps et le seront encore jusqu'au rétablissement de toutes choses : « s'ils voulaient seulement garder leur religion pour eux-mêmes, ce serait encore supportable ; mais c'est cette manie de répandre leurs erreurs et d'en infecter les autres, qu'on ne peut endurer. Ils font tant de mal dans le monde, qu'il est impossible de les supporter plus longtemps. Il y a en eux, il est vrai, quelques choses assez bonnes ; ils soulagent quelques pauvres ; mais ce n'est que pour mieux attirer les gens à leur parti, et pour faire ainsi, en définitive, encore plus de mal ».

                    C'est ainsi que pensent et s'expriment, avec toute sincérité, les gens du monde ; et plus le royaume de Dieu s'étend, plus les hommes qui procurent la paix sont rendus capables de propager l'humilité, la douceur et toutes les autres dispositions divines, plus aux yeux du monde le mal est grand, et plus, par conséquent, ils s'irritent contre ceux qui en sont les auteurs, et les poursuivent avec une véhémence croissante.

                    Voyons, en troisième lieu, quels sont ceux qui les persécutent ? Saint Paul nous répond : « Celui qui est né selon la chair ». Tous ceux qui ne sont pas « nés de l'Esprit », ou qui au moins ne sont pas désireux de l'être ; tous ceux qui n'essaient pas au moins « de vivre dans la piété, selon Jésus-Christ  » ; tous ceux qui ne sont pas « passés de la mort à la vie », et qui, par conséquent, ne peuvent « aimer leurs frères  » ; « le monde », c'est-à-dire, suivant l'explication de notre Sauveur, ceux qui « ne connaissent point Celui qui m'a envoyé », ceux qui n'ont pas appris à connaître Dieu, le Dieu d'amour et de pardon, par l'enseignement de son Esprit.

                     La raison pour laquelle ceux-ci persécutent les enfants de Dieu est bien simple : l'esprit qui est dans le monde est directement contraire à l'esprit qui vient de Dieu. Il doit donc nécessairement se faire que ceux qui sont du monde soient opposés à ceux qui sont de Dieu. Il y a entre eux l'opposition la plus profonde dans toutes leurs opinions, leurs désirs, leurs intentions et leurs dispositions. Le léopard et le chevreau ne peuvent gîter paisiblement ensemble. L'orgueilleux, par le fait qu'il est orgueilleux, ne peut faire autrement que de persécuter celui qui est humble ; l'homme léger et folâtre, celui qui est dans l'affliction ; et ainsi de suite, la diversité d'humeur étant à elle seule un prétexte suffisant d'inimitié perpétuelle. Par conséquent, ne fût-ce que pour ce seul motif, tous les serviteurs du démon persécuteront les enfants de Dieu.

                  Si l'on demandait, quatrièmement, comment les persécuteront-ils ? On peut répondre, en général : Justement de la manière et dans la mesure que le sage Dispensateur de toutes choses jugera les plus convenables pour sa gloire, et les plus efficaces pour les progrès de ses enfants dans la grâce et pour l'agrandissement de son propre royaume. Il n'y a dans le gouvernement de Dieu rien de plus admirable que cela. Son oreille n'est jamais fermée aux menaces des persécuteurs, ni aux cris des persécutés ; son œil est toujours ouvert, et sa main toujours étendue pour diriger chacune des plus petites circonstances de la persécution. Quand la tempête doit commencer, à quelle hauteur elle doit s'élever, dans quelle direction elle doit s'étendre, quand et comment elle doit finir, tout est déterminé par son infaillible sagesse. Les impies ne sont qu'une épée dans sa main, un instrument dont il se sert selon son bon plaisir, et qu'il jette dans le feu quand il a accompli les desseins gracieux de sa providence.

                     Dans quelques rares circonstances, comme lorsque le christianisme fut d'abord planté et pendant qu'il prenait racine dans la terre, comme aussi quand la pure doctrine de Christ commença à être rétablie dans notre patrie, Dieu permit à la tempête de sévir avec violence, et ses enfants furent appelés à résister jusqu'au sang. Il y avait une raison particulière de permettre cela quant aux apôtres, afin que leur témoignage n'en fût que plus irrécusable. Mais les annales de l'Église nous apprennent une autre raison bien différente des cruelles persécutions qu'il a permises dans le second et le troisième siècle, savoir « le mystère d'iniquité qui se formait déjà », les monstrueuses corruptions qui régnaient dès lors dans l'Église. Dieu châtiait son peuple, et en même temps s'efforçait de guérir ses plaies par ces jugements sévères mais indispensables.

                    Peut-être la même observation s'applique-t-elle à la grande persécution de notre pays (l'Angleterre). Dieu avait agi très miséricordieusement envers notre nation ; il avait répandu sur nous diverses bénédictions ; il nous avait donné la paix au dedans et au dehors, et un roi (Edouard VI) sage et bon au-dessus de son âge, et, par-dessus tout, il avait fait naître et briller parmi nous la pure lumière de l’Évangile. Mais que trouva-t-il en retour ? « Il attendait de la justice, et voici le cri », un cri d'oppression, d'ambition et d'injustice, de malice, de fraude et de convoitise. Oui, le cri de ceux qui même alors expiraient dans les flammes, parvint jusqu'aux oreilles du Seigneur des armées. C'est alors que Dieu se leva pour défendre sa propre cause contre ceux qui supprimaient la vérité injustement ; il les vendit entre les mains de leurs persécuteurs par un jugement mêlé de miséricorde, châtiment pour punir les affligeantes infidélités de son peuple, et en même temps remède pour les guérir.

                   Mais il est rare que Dieu permette à la tempête de s'élever jusqu'aux tortures, à la mort, aux fers ou à l'emprisonnement. Ses enfants sont appelés habituellement à endurer des persécutions plus légères. Ils souffrent fréquemment l'aliénation des cœurs de leurs parents, la perte des amis qui étaient comme leur propre âme. Ils éprouvent la vérité de cette parole de leur Maître, concernant, non le but, mais l'effet de sa venue : « Pensez-vous que je sois venu apporter la paix sur la terre ? Non, vous dis-je, mais plutôt la division (Luc 12 : 51)  ». De là résulte naturellement la perte de leurs occupations, de leurs affaires, et par suite de leurs biens. Mais tous ces événements sont également sous la sage direction de Dieu, qui dispense à chacun ce qui lui est le plus salutaire.

                    Mais la persécution qui attend tous les enfants de Dieu est celle que notre Seigneur indique dans ces paroles : « Vous serez heureux lorsque, à cause de moi, on vous dira des injures, qu'on vous persécutera », par des paroles injurieuses, « et qu'on dira faussement contre vous toute sorte de mal ». Cela ne peut manquer ; c'est le caractère propre de notre état de disciples, c'est un des sceaux de notre vocation, c'est une portion assurée et acquise à tous les enfants de Dieu. Si nous ne possédons pas cette part, nous sommes des bâtards et non point des enfants légitimes ; c'est droit au milieu de la mauvaise réputation, comme de la bonne, que passe le seul chemin du royaume. Les amis de Dieu et des hommes, doux, sérieux, humbles et zélés, jouissent d'une bonne réputation parmi leurs frères, mais ils en ont une mauvaise auprès du monde, qui les regarde et les traite « comme les balayures du monde et le rebut de toute la terre ».

                    On a supposé, if est vrai, qu'avant que « la multitude des Gentils ne soit entrée » dans l’Église, le scandale de la croix cessera, et que Dieu fera que les chrétiens soient estimés et chéris même par ceux qui sont encore dans leurs péchés. Oui, sans doute, et même, dès à présent, il suspend quelquefois le mépris aussi bien que fa férocité des hommes ; pour un temps, il donne à un homme la paix avec ses ennemis et lui fait trouver faveur auprès de ses plus cruels persécuteurs ; mais, à part cette circonstance exceptionnelle, le scandale de la croix n'a pas encore cessé, et l'on peut encore dire : « Si je cherchais à plaire aux hommes, je ne serais pas serviteur de Christ ». Que personne donc ne se laisse prendre à cette agréable suggestion (agréable sans doute à la chair et au sang), savoir que les méchants prétendent bien haïr et mépriser les gens de bien, mais que dans leurs cœurs ils les aiment et les estiment réellement. Il n'en est rien ; ils peuvent bien les employer quelquefois, mais c'est uniquement pour leur propre avantage. Ils peuvent bien se confier à eux, car ils savent que leurs voies ne ressemblent pas à celles des autres hommes, mais ils ne les aiment cependant point, à moins que l'Esprit de Dieu n'agisse en eux. Les paroles de notre Sauveur sont expresses :

                 « Si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui serait à lui ; mais parce que vous n'êtes pas du monde, c'est pour cela que le monde vous hait ». Oui, mettant à part les exceptions que peut produire la grâce prévenante ou quelque providence particulière de Dieu, le monde hait les disciples aussi cordialement et aussi sincèrement qu'il n'a jamais aimé le Maître.

                    Il ne reste plus qu'à demander : Comment les enfants de Dieu doivent-ils se conduire à l'égard de la persécution ? Et d'abord ils ne doivent pas sciemment ou de propos délibéré l'attirer sur eux-mêmes. Ce serait contraire à la fois aux exemples et aux avertissements de notre Seigneur et de tous ses apôtres, qui nous enseignent non seulement à ne pas rechercher la persécution, mais à l'éviter, autant que faire se peut, sans faire tort à notre conscience, sans renoncer à aucune partie de cette justice que nous devons préférer à la vie elle-même. C'est ainsi que notre Seigneur dit expressément : « Quand ils vous persécuteront dans une ville, fuyez dans une autre  » ; ce qui est réellement, quand on peut le faire, la manière la plus irréprochable d'éviter la persécution.

                    Cependant ne vous imaginez pas que vous puissiez toujours l'éviter de cette manière ou de toute autre. Si jamais cette vaine imagination se glisse dans votre cœur, écartez-la par ce sérieux avertissement : « Souvenez-vous de la parole que je vous ai dite, que le serviteur n'est pas plus grand que son Seigneur. S'ils m'ont persécuté, ils vous persécuteront aussi ». « Soyez prudents comme des serpents et simples comme des colombes ». Mais cela vous garantira-t-il de la persécution ? Non, à moins que vous n'ayez plus de sagesse que votre Maître ou plus d'innocence que l'Agneau de Dieu...

                   Ne désirez pas non plus l'éviter et y échapper totalement ; car si vous le faites, vous n'êtes pas des siens. Si vous échappez à la persécution, vous perdez la bénédiction, la bénédiction promise à ceux qui sont persécutés pour la justice. Si vous n'êtes pas persécutés pour la justice, vous ne pouvez entrer dans le royaume des cieux. « Si nous souffrons avec lui, nous règnerons aussi avec lui ; si nous le renions, il nous reniera aussi ».

                 Réjouissez-vous », au contraire, « et tressaillez de joie », quand les hommes vous persécutent pour l'amour de Jésus, quand ils vous persécutent par des paroles injurieuses et « en disant faussement contre vous toute sorte de mal », ce qu'ils ne manqueront pas d'ajouter à tout genre de persécution : il faut bien qu'ils vous noircissent pour s'excuser eux-mêmes. « Car on a ainsi persécuté les prophètes qui ont été avant vous », ceux qui étaient le plus éminemment saints dans leur cœur et dans leur vie, tous les justes, en un mot, qui ont jamais existé depuis le commencement du monde. Réjouissez-vous, parce que, à cette marque aussi, vous pouvez reconnaître à qui vous appartenez, et « parce que votre récompense sera grande dans les cieux », la récompense acquise par le sang de l'alliance et accordée gratuitement en proportion de vos souffrances aussi bien que de votre sainteté de cœur et de vie. « Tressaillez de joie », sachant que « votre légère affliction du temps présent produit en vous le poids éternel d'une gloire infiniment excellente ».

                   En attendant, qu'aucune persécution ne puisse vous détourner de la voie de l'humilité et de la douceur, de l'amour et de la bienfaisance. « Vous avez entendu », sans doute, « qu'il a été dit : Œil pour œil et dent pour dent », et vos misérables docteurs vous ont permis de vous venger vous-mêmes et de rendre le mal pour le mal. « Mais moi je vous dis de ne pas résister à celui qui vous fait du mal », de ne pas lui résister de cette manière en lui rendant le mal qu'il vous fait ; mais plutôt que de faire cela, « si quelqu'un te frappe à la joue droite, présente-lui aussi l'autre ; et si quelqu'un veut plaider contre toi et t'ôter ta robe, laisse-lui encore l'habit ; et si quelqu'un veut te contraindre d'aller une lieue avec lui, vas-en deux ».

                     Que ta douceur soit ainsi inaltérable et que ton amour égale ta douceur. « Donne à celui qui te demande et ne te détourne pas de celui qui veut emprunter de toi ». Seulement ne donne point ce qui est à autrui, ce qui ne t'appartient point. Par conséquent, prends garde de ne rien devoir à personne ; car ce que tu dois n'est point à toi, mais à autrui. Subviens aux besoins de ceux de ta propre maison, car Dieu exige aussi cela de toi ; et ce qui est nécessaire pour les maintenir en vie et dans la piété n'est pas non plus à toi. Après cela, donne ou prête tout ce qui te reste, de jour en jour, ou d'année en année ; seulement, puisque tu ne peux donner à tous, souviens-toi d'abord des domestiques de la foi.

                    Dans les versets qui suivent, le Sauveur nous dépeint la débonnaireté et l'amour que nous devons éprouver pour ceux qui nous persécutent à cause de la justice, et la bonté que nous devons leur témoigner. Oh ! puissent ces paroles être gravées dans nos cœurs ! « Vous avez entendu qu'il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi (Mat 5 : 43)  ». Dieu, il est vrai, n'avait prononcé que la première partie de cette phrase, « tu aimeras ton prochain  » ; les enfants du diable avaient ajouté la seconde, « tu haïras ton ennemi ». Mais moi je vous dis : 

1° « Aimez vos ennemis ». Ayez soin d'être portés de bonne volonté envers ceux dont l'esprit est le plus aigri contre vous et qui vous souhaitent toute sorte de mal. 
 2° « Bénissez ceux qui vous maudissent ». Y en a-t-il parmi eux dont l'amertume d'esprit éclate en paroles amères ? qui soient continuellement à vous maudire et à vous accabler de reproches quand vous êtes présents, et à dire toute sorte de mal contre vous quand vous êtes absents ? Bénissez-les d'autant plus : en parlant avec eux, employez le langage le plus doux et le plus paisible. Reprenez-les en leur montrant comment ils auraient dû parler. Et, en parlant d'eux, dites-en tout le bien possible, sans violer les règles de la vérité et de la justice. 
 3° « Faites du bien à ceux qui vous haïssent », que vos actions témoignent que votre amour est aussi réel que leur haine. Rendez le bien pour le mal. « Ne vous laissez point surmonter par le mal, mais surmontez le mal par le bien ». 
 4° Si vous ne pouvez faire plus, au moins « priez pour ceux qui vous outragent et vous persécutent ». Vous ne pouvez jamais être incapables de le faire ; toute leur malice et leur violence ne peuvent vous en empêcher. Répandez vos âmes devant Dieu, non seulement pour ceux qui vous ont persécutés jadis, mais qui se repentent maintenant ; — c'est là peu de chose ; « si ton frère revient vers toi sept fois le jour et te dit : je me repens (Luc 17 : 4) », c'est-à-dire, si après même de si nombreuses rechutes, il te donne sujet de croire qu'il est réellement et complètement changé, alors tu lui pardonneras jusqu'à te confier à lui et le presser sur ton sein, comme s'il n'avait jamais péché contre toi ; — mais, prie pour ceux qui ne se repentent pas, lutte avec Dieu pour ceux qui, dans ce moment même, t'outragent et te persécutent. Pardonne-leur ainsi, « non pas seulement jusqu'à sept fois, mais jusqu'à septante fois sept fois (Matthieu 18 : 22)  ». Qu'ils se repentent ou non, qu'ils paraissent même s'éloigner de plus en plus du repentir, donnez-leur cependant cette preuve de bonté, « afin que vous soyez les enfants », que vous prouviez que vous êtes réellement les enfants légitimes « de votre Père qui est dans les cieux », qui montre sa bonté en répandant même sur ses ennemis les plus endurcis toutes les bénédictions qu'ils sont capables de recevoir ; « qui fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes ». « Car, si vous n'aimez que ceux qui vous aiment, quelle récompense en aurez-vous ? Les péagers mêmes n'en font-ils pas autant (Matthieu 5 : 46) », eux qui n'ont aucune prétention religieuse et que vous reconnaissez vous-mêmes comme étant sans Dieu dans le monde ? « Et si vous ne faites accueil », si vous ne montrez de la bonté en paroles ou en actions, « qu'à vos frères », à vos amis ou à vos parents ; « que faites-vous d'extraordinaire ? » de plus que ceux qui n'ont point de religion ? « Les péagers même n'en font-ils pas autant (Matthieu 5 : 47) ? » Mais, suivez un meilleur modèle qu'eux, vous chrétiens, « soyez parfaits » en patience, en long support, en miséricorde, en bienfaisance de toute espèce, envers tous, même envers vos plus cruels persécuteurs, « soyez parfaits, comme votre père qui est dans les cieux est parfait (Mat 5 : 48) ; » c'est-à-dire que votre perfection ait le même caractère, quoiqu'elle ne puisse atteindre au même degré que la sienne.

                   Voilà le christianisme dans sa forme primitive, tel qu'il nous est exposé par son grand Auteur ! Voilà la religion pure de Jésus-Christ ! C'est ainsi qu'elle se présente à celui dont les yeux sont ouverts. Voyez ce portrait de Dieu en tant que Dieu est imitable par l'homme ; un portrait tracé de la main du Seigneur lui-même. « Voyez, vous qui méprisez, et soyez étonnés, et pâlissez d'effroi », ou plutôt soyez étonnés et adorez ! Écriez-vous : est-ce là la religion de Jésus de Nazareth, la religion que j'ai persécutée ? Que l'on ne me voie plus combattre contre Dieu ! Seigneur, que veux-tu que je fasse ? Quelle beauté se manifeste dans l'ensemble de ce tableau ! quelle juste symétrie, quelle exacte proportion dans chaque partie ! Que le bonheur qui est ici décrit est désirable ! Que la sainteté qui nous y est présentée est vénérable ! qu'elle est aimable ! Voilà l'esprit de la religion, son essence même ; voilà les vrais fondements du christianisme. Oh ! puissions-nous ne pas être seulement des auditeurs de ces vérités, « semblables à un homme qui regarderait dans un miroir son visage, naturel, et qui, après s'être regardé, s'en irait et oublierait aussitôt quel il était ». Non, mais  plutôt « considérons avec attention la loi parfaite, qui est celle de la liberté, et persévérons-y ». Ne nous donnons aucun repos jusqu'à ce que chaque ligne de cette loi soit transcrite dans nos cœurs. Veillons, prions, croyons, aimons, combattons, jusqu'à ce que par le doigt de Dieu chacune de ses parties soit gravée sur notre âme, jusqu'à ce que nous soyons « saints comme Celui qui nous a appelés est saint », « parfaits comme notre Père qui dans les cieux est parfait ».