dimanche 7 juin 2015

LES SERMONS DE WESLEY Sermon 10 : LE TÉMOIGNAGE DE L’ESPRIT (1er DISCOURS)

Numérisation Yves PETRAKIAN
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(tiré du livre  LES SERMONS DE WESLEY  -1- )


Romains 8,16   (1746)

« L'Esprit lui-même rend témoignage avec notre esprit que nous sommes enfants de Dieu ». (Romains 8 : 16.)

                         Que d'hommes vains, ne comprenant ni ce qu'ils disent ni ce qu'ils affirment, ont tordu de tout temps ce passage au grand détriment de leur âme, si ce n'est à sa perdition ! Que d'hommes ignorants ont pris la voix de leur imagination pour le témoignage de l'Esprit de Dieu, et présumé d'être enfants de Dieu tandis qu'ils faisaient les oeuvres du diable ! Ce sont là proprement, et dans la pire signification du mot, des exaltés. Mais qu'il est difficile de les convaincre de leur illusion, surtout s'ils se sont abreuvés à longs traits de cet esprit d'erreur ! Alors tout ce qu'on peut faire pour les éclairer n'est autre chose à leurs yeux que faire la guerre à Dieu, et cette véhémence, cette impétuosité d'esprit qu'ils confondent avec le zèle pour la foi, les met tellement en dehors de la portée des moyens qu'on pourrait employer pour les faire rentrer en eux-mêmes, que nous pouvons bien dire à leur égard : « Quant aux hommes, cela est impossible ».
                      Faut-il donc s'étonner, que tant de gens raisonnables, voyant les terribles effets de cette illusion et voulant s'en tenir le plus loin possible ; inclinent parfois vers un autre extrême, qu'ils ne s'empressent guère de croire ceux qui disent avoir un témoignage qui fut pour d'autres un sujet de si graves erreurs ? Faut-il s'étonner qu'ils soient bien près de noter comme exaltés tous ceux qui emploient des termes dont on a fait un si terrible abus ; et même qu'ils se demandent si le témoignage dont il est ici question est le privilège des chrétiens ordinaires, ou s'il n'est pas plutôt du nombre de ces dons extraordinaires qu'ils supposent n'avoir appartenu qu'au siècle apostolique ?
                      Mais pourquoi nous jetterions-nous dans l'un ou l'autre de ces extrêmes ? Ne pouvons-nous diriger notre course entre les deux et nous tenir à juste distance de l'esprit d'erreur et d'exaltation, sans nier le don de Dieu, ni abandonner le grand privilège de ses enfants ? Oui, sans doute. Eh bien ! considérons donc, en la présence et dans la crainte de Dieu : 1° En quoi consiste le témoignage de notre esprit ; quel est le témoignage de l'Esprit de Dieu ; et de quelle manière il nous donne l'assurance d'être enfants de Dieu. 2° Comment ce double témoignage de notre esprit et de l'Esprit de Dieu se sépare et peut être clairement distingué de la présomption du coeur naturel et de la tromperie du diable.

I

                       Voyons d'abord ce que c'est que le témoignage de notre propre esprit. Mais ici je ne puis qu'engager ceux pour qui le témoignage de l'Esprit de Dieu s'absorbe dans le témoignage purement rationnel de notre propre esprit à remarquer que l'apôtre, bien loin de ne parler dans ce texte que du témoignage de notre esprit ; n'en a peut-être point du tout parlé, le texte original pouvant très bien s'entendre du Saint-Esprit seul. Car on peut très bien traduire : l'Esprit lui-même ou le même Esprit rend témoignage à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. Mais je n'insiste point là-dessus ; tant d'autres textes s'accordant avec l'expérience de tous les vrais chrétiens, pour montrer que chez tout croyant il y a, à la fois, ces deux témoignages, celui du Saint-Esprit et celui de son propre esprit qui lui disent qu'il est enfant de Dieu.
               Quant au témoignage de notre esprit, les passages qui l'établissent sont nombreux ; ce sont ceux qui décrivent les caractères des enfants de Dieu. Chacun peut les connaître et les comprendre.
                       Plusieurs écrivains, tant anciens que modernes, les ont rassemblés et mis en lumière. Pour plus d'instruction, on n'a qu'à suivre les prédications de l’Évangile, méditer la Parole de Dieu en particulier, et converser avec ceux qui ont la connaissance des voies divines. Et par cette raison, par cette intelligence que Dieu nous a donnée, et que la religion doit perfectionner au lieu de l'éteindre (selon cette parole : « Soyez des enfants quant à la malice, mais des hommes faits quant à l'intelligence (1Corinthiens 14 : 20) ; par cette intelligence, dis-je, chacun peut, en s'appliquant à lui-même ces caractères, reconnaître s'il est où s'il n'est pas enfant de Dieu. Ainsi, par exemple, sachant par la Parole infaillible que tous ceux qui sont conduits par l'Esprit de Dieu sont « enfants de Dieu », s'il peut dire que l'Esprit de Dieu le conduit ainsi à toutes sortes de dispositions et d’œuvres saintes, il lui sera facile d'en conclure qu'il est enfant de Dieu.
                   C'est à cela que se rapportent toutes ces déclarations si claires de l'apôtre saint Jean dans sa première Épître : « Par ceci nous savons que nous l'avons connu, si nous gardons ses commandements (1Jean 2 : 3) ; « si quelqu'un garde sa parole, l'amour de Dieu est véritablement parfait en lui, et c'est par cela que nous savons que nous sommes en Lui (1Jean 2 : 5) » « si vous savez qu'il est juste, sachez que quiconque fait ce qui est juste est né de Lui (1Jean 2 : 29) ». « Quand nous aimons nos frères, nous connaissons pas là que nous sommes passés de la mort à la vie (1Jean 3 : 14) ». « C'est à cela que nous connaissons que nous sommes de la vérité, et c'est par là que nous assurerons nos cœurs devant Lui (1Jean 3 : 19) ;» c'est-à-dire quand nous nous aimons les uns les autres, « non pas seulement de parole et de la langue, mais en effet et en vérité ». « A ceci nous connaissons que nous demeurons en Lui et qu'Il demeure en nous, c'est qu'Il nous a fait part de son Esprit (1Jean 4 : 13) ; » « et nous connaissons qu'Il demeure en nous, par l'Esprit qu'Il nous a donné (1Jean 3 : 24) ».
                   Il est fort probable qu'il n'y eut jamais, depuis le commencement du monde, d'enfants de Dieu plus avancés dans la grâce et la connaissance de notre Seigneur Jésus-Christ, que l'apôtre saint Jean, à l'époque où il écrivit, ces paroles, et les pères en Christ à qui il écrivait. Il n'est pas moins évident que cet apôtre, et ces hommes qui étaient comme les colonnes du temple de Dieu, loin de dédaigner ces marques de leur régénération, les appliquaient au contraire à leur âme pour la confirmation de leur foi. Tout cela n'est pourtant qu'une évidence rationnelle, le témoignage de notre esprit, de notre raison, de notre intelligence ; c'est un raisonnement qui revient à dire : Ceux qui ont ces marques sont enfants de Dieu ; or nous avons ces marques ; donc nous sommes enfants de Dieu.
                Mais comment reconnaître si nous avons ces marques ? C'est encore une question à résoudre. Comment reconnaître si nous aimons Dieu et notre prochain, et si nous gardons ses commandements ? Remarquez bien que cette question signifie : comment pourrons-nous le reconnaître nous-mêmes, et non comment les autres le pourront-ils ? Je demanderai donc à mon tour à quiconque pose cette question : comment pouvez-vous reconnaître que vous vivez, que vous vous portez bien et ne souffrez pas ? N'en avez-vous pas la conscience immédiate ? Eh bien ! c'est aussi par un sentiment immédiat que vous saurez si votre âme est vivante à Dieu, si vous êtes sauvés du tourment d'un esprit orgueilleux et colère, si vous avez la paix d'un esprit humble et doux. Le même sentiment ne manquera pas de vous apprendre si votre amour, votre joie, votre plaisir est en Dieu, et c'est par là que vous saurez avec certitude si vous aimez votre prochain comme vous-mêmes, si vous avez une bienveillance de coeur pour tous les hommes, si vous êtes pleins de patience et de douceur. Et quant à la marque extérieure des enfants de Dieu, qui est, selon saint Jean, l'observation des commandements de Dieu, vous savez sans doute vous-mêmes, si, par la grâce de Dieu, elle vous appartient. Votre conscience vous dit, jour après jour, si vous ne mettez le nom de Dieu sur vos lèvres, qu'avec sérieux et dévotion, avec crainte et respect : si vous vous souvenez du jour de repos pour le sanctifier ; si vous honorez votre père et votre mère ; si ce que vous désirez que les hommes vous fassent vous le leur faites aussi vous-mêmes ; si vous possédez votre corps en sanctification et en honneur, et si, quoi que vous fassiez, même en mangeant et en buvant, vous faites tout à la gloire de Dieu.
                      Tel est donc proprement le témoignage de notre esprit : la conscience d'être, par la grâce de Dieu, saints de coeur et saints dans notre conduite. C'est la conscience d'avoir reçu par l'Esprit et en l'Esprit d'adoption, les caractères que mentionne la Parole de Dieu, comme appartenant à ses enfants : un coeur qui aime Dieu et qui aime tous les hommes, se reposant avec une confiance enfantine sur Dieu notre Père, ne désirant que Lui, se déchargeant de toute inquiétude sur Lui, et entourant tout enfant d'Adam d'une sérieuse et tendre affection ; c'est la conscience d'être rendus intérieurement conformes, par l'Esprit de Dieu, à l'image de son Fils, et de marcher devant Lui dans la justice, la miséricorde et la vérité, en faisant les choses qui Lui sont agréables.
                     Mais qu'est-ce que cet autre témoignage, ce témoignage de l'Esprit de Dieu qui vient se joindre à celui de notre esprit ? Comment témoigne-t-il « avec notre esprit que nous sommes enfants de Dieu ? » Il est difficile d'expliquer « les choses profondes de Dieu » dans le langage des hommes. Il n'y a réellement pas de mots qui puissent rendre parfaitement ce qu'éprouvent les enfants de Dieu.
                   Mais peut-être puis-je dire (et je prie toute âme enseignée de Dieu de me corriger, s'il le faut, en adoucissant ou en rendant plus fortes mes expressions) : le témoignage de l'Esprit est une impression directe de l'Esprit de Dieu sur mon âme, par laquelle il témoigne à mon esprit que je suis enfant de Dieu ; que Jésus-Christ m'a aimé et s'est donné pour moi ; que tous mes péchés sont effacés et que moi, oui moi-même, je suis réconcilié avec Dieu.
                      Ce témoignage de l'Esprit de Dieu doit nécessairement précéder celui de notre esprit ; c'est dans la nature des choses, comme une simple considération va le montrer. Avant de nous sentir saints de coeur et de vie, avant que notre esprit puisse nous rendre témoignage que nous sommes saints, il faut que nous le soyons devenus au dedans et au dehors. Mais pour être saints il nous faut aimer Dieu, puisque c'est là la racine de toute sainteté. Et nous ne pouvons l'aimer que lorsque nous savons qu'Il nous aime. Nous l'aimons parce qu'il nous a aimé le premier. Or c'est le témoignage de l'Esprit qui seul peut nous faire connaître l'amour de Dieu et nous assurer de son pardon. Puisque ce témoignage du Saint-Esprit précède tout amour pour Dieu et toute sainteté, il précède aussi
nécessairement le témoignage de notre propre esprit.
                     Lorsque l'Esprit de Dieu dit à notre âme : Dieu t'a aimé et il a donné son Fils en propitiation pour tes péchés ; le Fils de Dieu t'a aimé et il t'a lavé de tes péchés par son sang ; — alors, et alors seulement, « nous aimons Dieu parce qu'Il nous a aimés le premier », et nous aimons aussi nos frères à cause de Lui. Et s'il en est ainsi, nous ne pouvons pas l'ignorer ; nous « connaissons les choses qui nous sont gratuitement données de Dieu ». Nous savons que nous aimons Dieu et que nous gardons ses commandements, et c'est aussi « par là que nous savons que nous sommes de Dieu ». C'est là le témoignage de notre esprit, qui, aussi longtemps que nous continuons à aimer Dieu et à garder ses commandements, continue à nous assurer, d'accord avec. le Saint-Esprit, que nous sommes enfants de Dieu.
                    Qu'on n'aille pas croire pourtant que je veuille distinguer ces deux témoignages au point d'exclure l'opération de l'Esprit de Dieu même du témoignage de notre propre esprit. Non, ce n'est point ma pensée. C'est Lui qui non seulement produit en nous tout ce qui est bon, mais qui met en lumière sa propre oeuvre et fait connaître clairement ce qu'Il a accompli en nous. Car, d'après saint Paul, l'un des grands buts pour lesquels nous recevons l'Esprit, c'est afin que « nous connaissions les choses qui nous sont gratuitement données de Dieu », c'est pour qu'Il fortifie le témoignage que notre conscience rend et à notre simplicité et à notre sincérité devant Dieu, et pour qu'il nous donne de reconnaître à la faveur d'une plus parfaite lumière, que nous faisons maintenant les choses qui sont agréables au Seigneur.
                 Si l'on demandait encore : Comment l'Esprit de Dieu rend-il témoignage avec notre esprit que nous sommes les enfants de Dieu, de manière à exclure tout doute, et à mettre bien au jour la réalité de notre adoption ? La réponse est claire d'après les remarques qui précèdent. Et d'abord, quant au témoignage de notre esprit, il est aussi facile à l'âme de savoir quand elle aime Dieu, quand elle prend son plaisir en Lui, que de savoir quand elle aime un objet terrestre quelconque, et y trouve son bonheur. Et si elle aime et est dans la joie, elle ne peut pas plus en douter que de sa propre existence. Si donc il est exact de dire Celui qui maintenant aime Dieu d'un amour obéissant, qui se réjouit en Lui d'une humble et sainte joie, est enfant de Dieu ; or j'ai cet amour et cette joie, donc je suis enfant de Dieu, — si c'est là un raisonnement solide, il n'est pas possible, dans le cas supposé, qu'un chrétien doute d'être enfant de Dieu. Pour lui, la première proposition est aussi certaine qu'il est certain que la Bible est de Dieu, et quant à son amour pour Dieu, il en a en lui-même une preuve qui va jusqu'à l'évidence. Ainsi le témoignage de notre propre esprit nous est manifesté avec une si intime certitude, qu'il met la réalité de notre adoption au-dessus de tout doute raisonnable.
                  Quant à la manière dont le témoignage divin se manifeste au coeur, je ne prends point sur moi de l'expliquer. C'est une connaissance « trop haute pour moi, et si élevée que je n'y saurais atteindre ».
                       Le vent souffle où il veut ; j'en entends le son, mais je ne sais ni d'où il vient ni où il va. Comme l'esprit d'un homme connaît seul ce qui est en lui, ainsi l'Esprit de Dieu connaît seul les choses qui sont de Dieu. Mais quant au fait nous le connaissons ; nous savons que l'Esprit de Dieu donne au croyant un tel témoignage de son adoption que, pendant qu'il le possède, il ne peut pas plus douter qu'il est enfant de Dieu, qu'il ne peut douter que le soleil brille, quand il reçoit en plein ses rayons.

II

                     Mais comment ce témoignage réuni de l'Esprit de Dieu et de notre esprit peut-il être clairement et solidement distingué de la présomption de l'esprit naturel et de la tromperie du diable ? C'est ce qu'il nous reste maintenant à examiner. Et il est bien urgent, pour tous ceux qui désirent le salut de Dieu, de méditer ce sujet avec la plus sérieuse attention, afin de ne pas séduire leur propre âme.
                    Une erreur sur ce point a généralement les plus fatales conséquences, surtout parce que ceux qui s'abusent ne découvrent guère leur illusion que lorsqu'il est trop tard pour y remédier. Et d'abord comment distinguer ce témoignage de la présomption du coeur naturel ? Il est certain qu'une âme qui ne fut jamais sous la conviction de son péché, est toujours prête à se flatter et à avoir d'elle-même, surtout pour les choses spirituelles, une plus haute opinion qu'elle ne devrait.
               Faut-il donc s'étonner que celui qui est enflé de son sens charnel, entendant parler de ce privilège des vrais chrétiens parmi lesquels il ne manque pas de se ranger, parvienne bientôt à se persuader que déjà il le possède ? Le fait est commun à l'heure qu'il est, et les exemples en ont toujours abondé dans le monde. Comment distinguer le vrai témoignage d'avec cette fatale présomption ?
                Je réponds que les Écritures multiplient les signes caractéristiques auxquels on peut les distinguer ; elles décrivent de la manière la plus claire, les circonstances qui précèdent, qui accompagnent et qui suivent le vrai et authentique témoignage de l'Esprit de Dieu et de l'esprit du croyant.
                Quiconque voudra remarquer et peser avec soin ces circonstances ne sera pas dans le cas de prendre les ténèbres pour la lumière. Elles lui montreront tontes une si immense différence entre le vrai et le prétendu témoignage de l'Esprit, qu'il n'y aura pour lui ni danger ni même, en quelque sorte, possibilité de les confondre.
                 Celui qui présume vainement d'avoir le don de Dieu pourra, s'il le veut, connaître avec certitude par ces signes, qu'il a été livré jusqu'ici, « à une erreur efficace », et qu'il a cru au mensonge. Car l'Écriture nous présente comme précédant, accompagnant et suivant ce don, des marques qu'avec tant soit peu de réflexion il reconnaîtrait n'avoir jamais été dans son âme. Ainsi l'Écriture décrit la repentance ou conviction de péché, comme précédant invariablement ce témoignage de pardon.
               «Repentez vous, car le royaume des cieux est proche (Matthieu 3 : 2)» «repentez-vous et croyez à l'Évangile (Marc 1 : 15) ; » « repentez vous, et que chacun de vous soit baptisé pour obtenir la rémission des péchés (Actes 2 : 38) ; » « repentez-vous et vous convertissez, afin que vos péchés soient effacés (Actes 3 : 49) ; » et l'Église anglicane, d'accord avec ces paroles, met aussi toujours la repentance avant le pardon et le témoignage du pardon. « Il pardonne et absout tous ceux qui se repentent et croient sincèrement à l'Évangile ». « Le Tout-Puissant promet le pardon des péchés à tous ceux qui, avec la repentance du coeur et la vraie foi, se tournent vers Lui ». Mais celui qui s'abuse est étranger même à la repentance ; il ne sait ce qu'est un coeur contrit et brisé; le souvenir de ses péchés ne lui a jamais été douloureux, et s'il a répété avec la liturgie que « le fardeau de ses transgressions lui est insupportable », il l'a toujours fait sans sincérité ; c'était une politesse qu'il faisait à Dieu. Or ne fût-ce que pour le défaut de cette première oeuvre de Dieu, de la repentance, il n'a que trop lieu de craindre de n'avoir saisi jusque-là qu'une vaine ombre, et de n'avoir encore jamais connu le vrai privilège des enfants de Dieu.
                   De plus, l'Écriture décrit la nouvelle naissance qui doit nécessairement précéder le témoignage qu'on est enfant de Dieu, comme un grand et puissant changement — comme « un passage des ténèbres à la lumière », « de la puissance de Satan à Dieu », «de la mort à, la vie », comme « une résurrection d'entre les morts ». C'est ainsi que l'Apôtre écrit aux Ephésiens : « Vous étiez morts dans vos fautes et dans vos péchés... mais lorsque nous étions morts dans nos fautes, Dieu nous a vivifiés ensemble avec Christ ; et il nous a ressuscités ensemble et nous a faits asseoir ensemble dans les lieux célestes, en Jésus-Christ (Ephésiens 2. 1,5,6) Mais l'homme dont nous parlons connaît-il un tel changement ? Il ne sait rien de tout ceci. Nous lui parlons une langue inconnue. Il assure avoir toujours été chrétien. Il ne sait pas quand il aurait eu besoin de changer ainsi. Ce fait même, s'il se permet un peu de réflexion, lui montrera qu'il n'est pas né de l'Esprit ; qu'il n'a point encore connu Dieu ; mais qu'il a pris la voix de la nature pour la voix de Dieu.
                   Mais laissons en suspens la question qui se rapporte à ce qu'il a pu éprouver ou ne pas éprouver dans le passé ; il y a dans le présent des marques auxquelles on distingue aisément un enfant de. Dieu d'une âme qui s'abuse présomptueusement.     L'Écriture décrit cette joie en Dieu qui accompagne le témoignage de son Esprit, comme une joie humble, comme une joie qui abaisse jusque dans la poussière, qui porte le pécheur reçu en grâce à s'écrier : « Je suis un homme vil » ; « que suis-je, et quelle est la maison de mon père ? » « Maintenant mon oeil t'a vu et je me condamne et me repens sur la poudre et la cendre ». - Or, où se trouve l'humilité, se trouve la débonnaireté, la patience, la douceur, le long support ; un esprit conciliant, une délicatesse, une tendresse, une bonté d'âme qu'aucune expression ne peut rendre. Mais ces fruits accompagnent-ils ce prétendu témoignage de l'Esprit que s'attribue la présomption ? Bien au contraire, plus le présomptueux se persuade d'avoir la faveur de Dieu, plus il est vain, plus il s'élève, plus il est hautain et arrogant dans toutes ses manières. Et en proportion de l'évidence qu'il croit posséder de son adoption, il est plus tyrannique pour ses alentours, plus incapable de supporter une répréhension, plus impatient de la contradiction. Au lieu d'être plus débonnaire, plus doux, plus docile, plus prompt à écouter et plus lent à parler, il est plus lent à écouter, plus prompt à parler, plus dédaigneux de toute instruction, plus violent, plus véhément dans son caractère, plus empressé dans sa conversation. Peut-être même remarque-t-on souvent une sorte de férocité dans son air, dans son langage et dans toute sa conduite, comme s'il allait se mettre à la place de Dieu et consumer lui-même les adversaires.
            Enfin l'Écriture enseigne que l'amour de Dieu consiste à garder ses commandements (Jean 5 : 3), L'obéissance est la preuve certaine de cet amour. Le Seigneur dit lui-même : « Celui qui garde mes commandements, c'est celui-là qui m'aime (Jean 14 : 21) ». L'amour se plaît à obéir, à faire en tout point ce qui est agréable à l'être bien-aimé. Celui qui aime Dieu s'empresse de faire sa volonté sur la terre, comme elle est faite dans le ciel. Mais est-ce là le caractère de celui qui se persuade présomptueusement d'aimer Dieu ? Ah ! il l'aime, mais d'un amour qui lui donne toute liberté de désobéir et de violer ces commandements au lieu de le pousser à les garder. Peut-être, lorsqu'il était sous la crainte de sa colère, travaillait-il à faire sa volonté. Mais maintenant qu'il se regarde comme n'étant plus sous la loi, il ne se croit plus tenu de l'observer. Il est donc moins zélé pour les bonnes oeuvres, moins soigneux d'éviter le mal, moins observateur de son coeur, moins attentif à tenir en bride sa langue. Il a moins d'ardeur à se renoncer lui-même et à se charger chaque jour de sa croix. En un mot, toute l'apparence de sa vie est changée, depuis qu'il s'est imaginé être en liberté ; on ne le voit plus « s'exercer à la piété », «combattre non pas seulement contre la chair et le sang, mais contre les principautés et les puissances », « endurer les travaux », « s'efforcer d'entrer par la porte étroite ». Non, il a trouvé un chemin plus commode pour aller au ciel, un chemin large, uni, semé de fleurs, où il peut dire à son âme : « Mon âme, repose-toi, mange, bois et te réjouis ». Il est évident, d'après cela, qu'il n'a pas vraiment le témoignage de son propre esprit. Il ne saurait avoir la conscience de posséder ce qu'il ne possède pas, l'humilité, la douceur, l'obéissance.                          L'Esprit de vérité ne peut non plus confirmer un mensonge, ni lui rendre témoignage qu'il est enfant de Dieu, pendant qu'il est manifestement enfant du diable. Ouvre les yeux, ô toi pauvre pécheur qui te séduis toi-même ! — toi qui t'assures d'être enfant de Dieu, toi qui dis : J'ai le témoignage en moi-même et je puis défier tous mes ennemis ! Tu as été pesé à la balance, à la balance du sanctuaire, et tu as été trouvé léger. Ton âme, mise au creuset de la parole du Seigneur, s'est trouvée un argent réprouvé. Tu n'es pas humble de coeur, tu es donc étranger jusqu'à ce jour à l'Esprit de Jésus. Tu n'es pas doux et débonnaire, ta joie est donc vaine ; ce n'est pas la joie du Seigneur. Tu ne gardes pas ses commandements, donc tu ne l'aimes point et tu n'as point été fait participant Saint-Esprit ! Si donc les oracles de Dieu sont certains, il est certain que son esprit ne rend pas témoignage avec ton esprit que tu es enfant de Dieu. 
                    Oh ! demande avec de grands cris que les écailles tombent de tes yeux ; que tu puisses te connaître tel que tu es connu ; que tu reçoives la sentence de mort en toi-même, jusqu'à ce que la voix qui ressuscite les morts se fasse entendre à ton âme, disant : « Aie bon courage ; tes péchés te sont pardonnés, ta foi t'a sauvé ! »
               Mais, direz-vous, comment celui qui a, vraiment le témoignage en lui-même le distinguera-t-il de la présomption ? Et comment distinguez-vous la lumière des ténèbres ? la clarté d'une étoile ou d'un pâle flambeau, de l'éclat du soleil en plein midi ? N'y a-t-il pas entre ces deux une différence inhérente, visible, essentielle ? Et n'apercevez-vous pas immédiatement cette différence, pourvu que vos sens soient en bon état.
                De même, il y a une différence inhérente, essentielle, entre la lumière spirituelle et les ténèbres spirituelles, entre la clarté dont le soleil de justice inonde nos cœurs, et les pâles lueurs qui proviennent des étincelles que nous avons nous-mêmes allumées, et pourvu que nos sens spirituels soient en bon état, nous apercevons également bientôt cette différence.
          Mais si l'on insiste, et si l'on demande une explication plus exacte et plus philosophique de la manière dont s'observe cette différence, et des critères ou signes intrinsèques auxquels on distingue la voix de Dieu, c'est faire une demande qui dépasse les limites de la capacité même de celui qui possède la connaissance la plus profonde de Dieu. Si, lorsque Paul eut rendu compte de sa conversion devant Agrippa, le sage Romain lui eût dit : « Tu as entendu la voix du Fils de Dieu ? Mais comment sais-tu que c'est réellement sa voix ? Quels sont les critères, les signes intrinsèques de la voix de Dieu ? Explique-moi la manière de la distinguer d'une voix humaine ou angélique ? » Pensez-vous que l'apôtre lui-même eût essayé de résoudre une question si vaine ? Et pourtant on ne peut douter que du moment qu'il entendit cette voix, il ne sût que c'était la voix de Dieu. Mais comment le sut-il? C'est peut-être ce que ni homme ni ange ne pourrait expliquer.
                   Soyons plus rigoureux encore : Dieu dit maintenant à une âme : « Tes péchés te sont pardonnés » ; Il veut sans doute que cette âme reconnaisse sa voix, autrement il parlerait en vain. Et il peut faire qu'elle la reconnaisse, car il n'a qu'à vouloir, et ce qu'il veut s'accomplit. Et c'est ce qui a lieu. Cette âme est absolument assurée que cette voix est la voix de Dieu. Néanmoins, celui qui a ce témoignage en lui-même ne peut l'expliquer à qui ne l'a pas ; et il ne faut pas même s'attendre à ce qu'il le puisse. S'il existait quelque moyen ordinaire, quelque méthode naturelle, pour expliquer les choses de Dieu à qui ne les éprouve point, il s'ensuivrait que l'homme naturel pourrait discerner et connaître les choses de l'Esprit de Dieu, ce qui est directement contraire à cette déclaration de saint Paul, « qu'il ne peut les connaître, parce qu'elles se discernent spirituellement », c'est-à-dire par des sens spirituels que n'a pas l'homme naturel.
                « Mais comment connaître si mes sens spirituels sont en bon état ? » Cette question aussi est d'une immense importance ; car si l'on se trompe à cet égard, on peut se jeter dans des illusions sans fin.
Et qui me dit que ce n'est pas là mon cas et que je connais bien la voix du Saint-Esprit ? — Ce qui vous le dit, c'est précisément le témoignage de votre esprit ; c'est « la, réponse d'une bonne conscience devant Dieu ». C'est par les fruits qu'il a produits dans votre esprit que vous connaîtrez le témoignage de l'Esprit de Dieu ; c'est par là que vous saurez que vous ne vous faites aucune illusion et que vous ne vous abusez point vous-mêmes. Les fruits immédiats du Saint-Esprit dans un coeur où il règne, sont l'amour, la joie, la paix, les entrailles de miséricorde, l'humilité d'esprit, la débonnaireté, la douceur, le support. Et, au dehors, ils consistent à faire du bien à tous, à ne faire de mal à personne, à marcher dans la lumière, à rendre une obéissance empressée et constante à tous les commandements de Dieu.
                       Ces mêmes fruits vous feront distinguer cette voix de Dieu de toute séduction du diable. Cet esprit orgueilleux ne saurait te rendre humble devant Dieu. Il ne peut ni ne veut toucher ton coeur ni en fondre la dureté et la glace, d'abord par la repentance, et ensuite par l'amour filial. L'ennemi de Dieu et des hommes te disposerait-il à aimer les hommes ou à te revêtir de débonnaireté, de douceur, de patience, de tempérance et de toute l'armure de Dieu ? Il n'est pas divisé contre lui-même ; il n'est pas le destructeur du péché qui est son oeuvre. Non, il n'y a que le Fils de Dieu qui vienne « détruire les oeuvres du diable ». Autant il est certain que la sainteté est de Dieu et que le péché est du diable, autant il est certain que le témoignage que tu as en toi, n'est point du diable, mais de Dieu.
                Tu peux donc bien t'écrier : « Grâces soient rendues à Dieu pour son don ineffable ! » Grâces soient à Dieu qui me donne de savoir en qui j'ai cru ; qui a envoyé dans mon coeur l'Esprit de son Fils, criant Abba, Père ! et rendant en ce moment même témoignage avec mon esprit que je suis enfant de Dieu ! — Et que ta vie, aussi bien que tes lèvres, publie sa louange. Il t'a « scellé » pour Lui-même ; « glorifie-Le donc dans ton corps et dans ton esprit qui Lui appartiennent ». Bien-aimé, si tu as dans ton âme cette espérance en Lui, purifie-toi toi-même, comme Lui aussi est pur. « Contemple » l'amour que le Père t'a témoigné en t'appelant enfant de Dieu, et en même temps « purifie-toi de toute souillure de la chair et de l'esprit, achevant la sanctification dans la crainte de Dieu », et que toutes tes pensées, tes paroles et tes oeuvres soient un sacrifice spirituel saint et agréable à Dieu, par Jésus-Christ !




samedi 6 juin 2015

LES SERMONS DE WESLEY Sermon 9 L’ESPRIT DE SERVITUDE ET L’ESPRIT D’ADOPTION

Numérisation Yves PETRAKIAN
Copie autorisée pour diffusion gratuite uniquement
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Romains 8,15  (1746)

« Vous n'avez point reçu un esprit de servitude pour être encore dans la crainte : mais vous avez reçu l'esprit d'adoption, par lequel nous crions : Abba, c'est-à-dire Père ». (Romains 8 : 15.)

                   Saint Paul parle ici à ceux qui sont enfants de Dieu par la foi. Vous, leur dit-il, vous, ses enfants, abreuvés de son Esprit, vous n'avez pas reçu un esprit de servitude pour être encore dans la crainte ; mais parce que vous êtes fils, Dieu a envoyé l'Esprit de son Fils dans vos cœurs. Vous avez reçu l'esprit d'adoption, par lequel nous crions : Abba ! c'est-à-dire Père.
                    Il y a loin de l'esprit de servitude et de crainte à cet esprit d'adoption qui est un esprit d'amour. Ceux qui ne sont influencés que par une crainte servile ne peuvent être appelés enfants de Dieu ; il en est pourtant qui ont droit au titre de serviteurs du Seigneur, et qui ne sont pas éloignés du royaume des cieux. Mais, quant aux multitudes, même en pays appelés chrétiens, elles sont encore, je le crains, bien au-dessous même de ces derniers ; Dieu est loin de toutes leurs pensées. Il y a donc quelques personnes qui aiment Dieu : il y en a davantage qui Le craignent, mais le plus grand nombre n'ont ni la crainte de Dieu devant leurs yeux, ni l'amour de Dieu dans leurs cœurs.
                 Vous qui, par sa grâce, êtes maintenant sous l'influence d'un meilleur esprit, vous vous rappelez peut-être, pour la plupart, le temps où, comme ceux-ci, Vous étiez sous la condamnation ; mais d'abord vous l'ignoriez, quoique vous vautrant journellement dans vos péchés et dans votre sang, jusqu'au moment où vous reçûtes l'esprit de crainte — vous le reçûtes, car c'est aussi un don de Dieu ; — puis enfin la crainte disparut et l'esprit d'amour vint inonder vos cœurs.
                    Celui qui est dans le premier état d'esprit ; étranger à la crainte aussi bien qu'à l'amour, est ce que l'Ecriture appelle : un homme naturel ; avoir l'esprit de servitude et de crainte, c'est ce qu'elle appelle : être sous la loi (quoique cette expression désigne plus souvent ceux qui étaient sous la dispensation mosaïque ou qui se croyaient obligés d'observer tous les rites de la loi juive) ; mais être en réalité sous la grâce, c'est avoir reçu l'Esprit d'amour en échange de cet esprit de crainte.
               Comme il nous importe extrêmement de savoir à quel esprit nous sommes soumis, je m'efforcerai de caractériser clairement : 1° l'état de l'homme naturel ; 2° celui de l'homme qui est sous la loi ; et 3° l'état de l'homme qui est sous la grâce.

I

                  Et d'abord l'état de l'homme naturel. C'est, d'après l'Ecriture, un état de sommeil. « Réveille-toi, toi qui dors ! » voilà l'appel de Dieu au pécheur. Son âme est, en effet, dans un sommeil profond ; ses sens spirituels dorment et ne discernent ni le bien ni le mal. Les yeux de son entendement sont entièrement fermés, et il ne peut voir. Les nuées et l'obscurité reposent sur lui ; car il demeure dans la vallée de l'ombre de la mort. Toutes les avenues de son âme étant donc fermées pour les choses spirituelles, il est dans une grossière et stupide ignorance de ce qu'il lui importerait le plus de connaître ; dans l'ignorance quant à Dieu, sur qui il ne sait rien comme il faudrait savoir ; dans l'ignorance quant à la loi de Dieu, au sens vrai et spirituel de laquelle il est étranger ; dans l'ignorance quant à cette sainteté évangélique sans laquelle personne ne verra le Seigneur ; dans l'ignorance quant à ce bonheur que trouvent ceux-là seuls dont la vie est cachée avec Christ en Dieu.
                    Et par cela même qu'il est dans un profond sommeil, il est, en quelque sorte, en repos. Parce qu'il est aveugle, il est tranquille, il dit : Il ne m'arrivera aucun mal ! Les ténèbres qui le couvrent de toutes parts l'entretiennent dans une sorte de paix, si tant est qu'on puisse avoir quelque paix en faisant les oeuvres du diable et en vivant dans une disposition d'âme toute terrestre et diabolique. Il ne voit pas qu'il est au bord de l'abîme ; il ne le craint donc pas. Il ne peut trembler pour un danger qu'il ignore. Il est trop peu avisé pour craindre. Pourquoi ne tremble-t-il pas à la pensée de Dieu ?
                    Parce qu'il est à son égard tout à fait ignorant. S'il ne dit pas en son coeur n'y a point de Dieu, ou bien : Il siège au-dessus de la voûte des cieux et ne s'abaisse point pour regarder ce qui se passe sur la terre, — il se persuade au moins qu'Il est miséricordieux, ce qui ne sert pas moins à le tranquilliser dans ses voies épicuriennes. C'est ainsi qu'il réussit à confondre et à engloutir à la fois dans cette large et vague idée de la miséricorde de Dieu tous ses attributs essentiels de sainteté, de haine pour le péché, de justice, de sagesse et de fidélité. Il ne craint pas la vengeance dénoncée contre les transgresseurs de la loi divine, parce qu'il ne comprend pas cette loi ; il se figure qu'il s'agit simplement d'agir de telle ou telle manière, d'être irréprochable au dehors, il ne voit pas que la loi s'étend à toute disposition, tout désir, à toute pensée, à tout mouvement du coeur ; ou bien il s'imagine qu'elle a cessé d'être obligatoire, que Christ est venu abolir la loi et les prophètes, sauver son peuple, non du péché, mais dans le péché, et rendre le ciel accessible sans la sainteté, oubliant qu'Il a dit lui même : « Il ne passera point un seul iota ni un seul trait de lettre de la loi jusqu'à ce que toutes ces choses soient accomplies », et encore, « tous ceux qui me disent : Seigneur, Seigneur, n'entreront pas au royaume de Dieu. mais celui-là seulement qui fait la volonté de mon Père qui est aux cieux ».
                 L'homme naturel est tranquille parce qu'il s'ignore complètement lui-même. Aussi parle t -il de se convertir plus tard ; au fait il ne saurait dire quand, mais ce sera une fois ou l'autre avant de mourir ; tenant pour certain que la chose est entièrement en son pouvoir. S'il le veut, qu'est-ce qui l'empêchera de se repentir ? Qu'il en prenne une fois la résolution, et nul doute qu'il ne l'accomplisse !
               Mais cette ignorance n'est nulle part si manifeste que chez ceux qu'on appelle savants. S'il est de ce nombre, l'homme naturel peut disserter sur ses facultés rationnelles, sur son libre arbitre, sur la nécessité absolue de la liberté morale pour faire de l'homme un agent moral. Il lit, et il argumente et démontre que tout homme fait ce qu'il veut, qu'il a la puissance de tourner son coeur au bien ou au mal, comme bon lui semble. C'est ainsi que le dieu de ce monde étend sur son coeur un double voile d'aveuglement, de peur que la lumière du glorieux Évangile de Christ ne vienne en quelque manière à l'éclairer.
               De cette même ignorance de lui-même et de Dieu peut naître quelquefois chez l'homme naturel une sorte de joie, car il se félicite lui même de sa bonté et de sa sagesse ; et ce que le monde appelle joie souvent il le possède. Il peut, en plusieurs manières, se donner du plaisir par la satisfaction des désirs de la chair, de la convoitise des yeux ou de l'orgueil de la vie ; surtout s'il a de grandes possessions, s'il jouit de revenus opulents, il peut alors se vêtir de pourpre et de fin lin et se traiter magnifiquement tous les jours. Et pendant qu'il a ainsi soin de lui-même, les hommes ne manquent pas de le louer et de dire c'est un homme heureux. Car, en somme, c'est là tout le bonheur du monde : la toilette, les visites, les causeries, manger, boire et se lever pour danser.
                Quoi d'étonnant si, dans de telles circonstances, prenant à forte dose le breuvage narcotique de la flatterie et du péché, cet homme, qui dort en veillant, s'imagine, entre autres rêves, qu'il marche en liberté ! Il est facile de se croire libre des erreurs vulgaires et des préjugés de l'éducation ; capable de juger de tout exactement et de se tenir loin de tous les extrêmes : je suis affranchi, dit il, de toute cette exaltation des âmes faibles et étroites, de toute cette superstition des sots et des lâches qui ne savent qu'outrer la piété, de toute cette bigoterie qui s'attache toujours à ceux dont les pensées manquent d'élévation et d'indépendance. — Ah ! il n'est que trop certain qu'il est tout à fait affranchi de la sagesse qui vient d'en haut, de la sainteté ; de la religion du coeur et ; de tous les sentiments qui étaient en Jésus-Christ.
               Cependant il est toujours l'esclave du péché ; il pèche plus ou moins chaque jour, mais il ne s'en trouble point ; il n'est point sous le joug, comme disent quelques-uns, il ne sent point de condamnation. Et, lors même qu'il professe de croire aux Écritures l'homme est faible, dit-il, nous sommes tous fragiles, chacun a ses défauts ; et cela suffit pour le tranquilliser. Il prétendra même citer l'Écriture : Quoi ! Salomon n'a-t il pas dit que le juste pèche sept fois par jour ? Il n'y a donc que des hypocrites ou des exaltés qui prétendent valoir mieux que leurs semblables. — Et s'il arrive une fois qu'une pensée sérieuse, le poursuive : Pourquoi craindrais-je, se hâte-t-il de dire pour l'étouffer, puisque Dieu est miséricordieux et que Christ est mort pour les pécheurs ? C'est ainsi qu'il demeure volontairement dans l'esclavage de la corruption, prenant son parti de n'être saint ni au dehors ni au dedans ; ne remportant et n'essayant pas même de remporter la victoire sur le péché et surtout sur le péché particulier qui l'enveloppe le plus aisément.
           Tel est l'état de tout homme naturel, qu'il soit un transgresseur grossier et scandaleux ou un pécheur plus respectable et plus honnête, conservant la forme de la piété, quoiqu'il en ait renié la force. Mais comment un tel homme sera-t-il convaincu de péché et : porté à la repentance ? Comment sera-t-il placé sous la loi et recevra-t-il l'esprit de servitude et de crainte ?  C'est le second point que nous avions à considérer.

II

          Par quelque dispensation solennelle de sa providence ou par sa parole accompagnée de la démonstration de l'Esprit, Dieu touche le coeur de celui qui dormait dans les ténèbres et dans l'ombre de la mort. Terriblement secoué dans son sommeil, il se réveille et a conscience de son danger. Soudainement peut-être, ou par degrés, les yeux de son entendement s'ouvrent, et le voile étant en partie ôté, il voit pour la première fois l'état réel où il se trouve. Une horrible lumière pénètre jusqu'à son âme, une lumière comme celle qu'on peut attendre du puits de l'abîme, des profondeurs de l'enfer, de l'étang ardent de feu et de soufre. Il voit enfin que le Dieu d'amour et de miséricorde est aussi un feu consumant; un Dieu juste et terrible qui rend à chacun selon ses oeuvres, qui entre en jugement avec l'impie pour toute vaine parole ; que dis-je ? même pour les imaginations du coeur. Il voit clairement que le Dieu saint et grand a les yeux trop purs pour voir le mal, qu'Il rend à tout rebelle et à tout méchant sa rétribution en face, et que c'est une chose terrible que de tomber entre les mains du Dieu vivant.
                L'éclat de cette lumière commence à placer devant ses yeux le sens spirituel, intime, de la loi de Dieu. Il voit que le commandement est d'une grande étendue, et que rien ne se dérobe à sa clarté.
               Il ne doute plus que, dans toutes ses parties, la loi, loin de se rapporter simplement  à l'obéissance ou à la transgression extérieure, s'applique à ce qui se passe dans les replis secrets de l'âme où l’œil de Dieu peut seul pénétrer. Maintenant, lorsqu'il entend cette défense : « Tu ne tueras point », Dieu lui dit d'une voix de tonnerre : Celui qui hait son frère est un meurtrier ; celui qui dit à son frère fou, sera punissable par la géhenne du feu. Si la loi dit : « Tu ne commettras point d'adultère », ces paroles retentissent à ses oreilles de la part du Seigneur : Celui qui regarde une femme pour la convoiter a déjà commis adultère avec elle dans son coeur. Et c'est ainsi que, sur chaque point, la Parole de Dieu est pour lui vivante et efficace, plus pénétrante qu'une épée à deux tranchants. Elle atteint jusqu'à la division de son âme et de son esprit, des jointures et des moelles ; d'autant plus qu'il sent en lui-même qu'il a négligé le grand salut, qu'il a foulé aux pieds le Fils de Dieu qui voulait le sauver de ses péchés, et teint pour une chose profane, c'est-à-dire commune et sans vertu, le sang de la nouvelle alliance.
                   Convaincu que toutes choses sont nues et découvertes devant les yeux de Celui à qui nous avons affaire, il se voit lui-même nu et dépouillé de toutes les feuilles de figuier qu'il avait cousues ensemble, de toutes ses prétentions misérables de religion ou de vertu, de toutes les pauvres excuses dont il couvrait ses péchés. Il se voit, comme les victimes des anciens sacrifices, partagé du haut en bas, si l'on peut ainsi dire, en sorte que tout en lui se montre à découvert. Son coeur est à nu, et il n'y voit que péché. Il voit qu'il est rusé et désespérément malin, corrompu et abominable au-delà de toute expression, qu'il n'y habite qu'injustice et impiété, toutes ses imaginations, ses mouvements et ses pensées n'étant que mal en tout temps.
              Et il ne voit pas seulement, mais il sent en lui-même, par une émotion indescriptible, que pour les péchés de son coeur, lors même que sa vie serait irréprochable (ce qu'elle n'est ni ne peut être, puisqu'un mauvais arbre ne peut porter de bons fruits), il sent qu'il mérite d'être jeté dans le feu qui ne s'éteint point. Il sent que les gages, la, juste récompense du péché, de son péché surtout, c'est la mort, la mort seconde, la mort qui ne meurt point ; la ruine du corps et de l'âme dans l'enfer.
                  C'en est fait de ses rêves ; de son repos trompeur, de sa fausse paix, de sa vaine sécurité. Sa joie s'évanouit comme un nuage ; les plaisirs qu'il aimait naguère n'ont plus de charme pour lui. Leur insipidité, leur fadeur, lui répugnent et le fatiguent. Les ombres du bonheur s'enfuient et plongent dans l'oubli ; en sorte que dépouillé de tout, il erre, il va et vient, cherchant le repos et ne pouvant le trouver.
                    Les fumées du breuvage dont il s'enivrait étant dissipées, il ne lui reste plus que l'angoisse d'un esprit abattu. Il éprouve que le péché déchaîné sur l'âme n'amène qu'une misère complète ; que ce soit l'orgueil, la colère, la convoitise, la volonté propre ; la malice, l'envie ou tout autre péché. Il ressent une tristesse de coeur pour les bénédictions perdues et pour la malédiction qui est venue fondre sur lui ; le remords, pour s'être ainsi perdu lui-même au mépris de son propre salut ; il est agité par la crainte qui provient d'un vif sentiment de la colère de Dieu et des conséquences de cette colère, des châtiments qu'il a si justement mérités et qu'il voit ; suspendus sur sa tête ; par la crainte de la mort qu'il considère comme la porte de l'enfer ; par la crainte du diable, l'exécuteur de la colère et de la juste vengeance de Dieu : par la crainte des hommes qui, s'ils pouvaient tuer son corps, plongeraient son corps et son âme dans la géhenne ; et cette crainte s'accroît souvent à tel point que cette pauvre âme pécheresse et coupable est épouvantée de tout, d'un rien, d'une ombre, d'une feuille agitée par le vent. Cette crainte peut même quelquefois approcher de la folie, suspendre par une ivresse qui ne vient pas du vin, l'exercice de la mémoire, de l'intelligence et de toutes les facultés naturelles. Quelquefois elle peut pousser le pécheur jusqu'au bord du désespoir, et tout en tremblant au seul nom de mort, il peut être prêt, à chaque instant, à choisir la mort plutôt que la, vie Ah ! c'est alors qu'il rugit, comme le Psalmiste, dans le trouble de son âme ; car l'esprit de l'homme le soutiendra dans son infirmité ; mais l'esprit abattu qui le relèvera ?
                  Maintenant il désire vraiment rompre avec le péché ; il commence à le combattre. Mais quoiqu'il lutte de toutes ses forces il ne peut vaincre : le péché est plus fort que lui. Il voudrait bien échapper, mais il ne peut sortir de sa prison. Il prend des résolutions contre le péché, mais il pèche encore ; il voit le piège, il l'a en horreur, et cependant il s'y précipite. Ah ! que cette raison dont il était fier est puissante ! Puissante pour accroître sa culpabilité, pour augmenter sa misère ! Que sa volonté est libre ! Libre seulement pour le mal, libre pour boire l'iniquité comme l'eau, pour s'égarer toujours plus loin du Dieu vivant, et pour outrager toujours plus l'Esprit de grâce.
                   Plus il soupire, travaille et lutte pour la liberté, plus il sent ses chaînes, les chaînes cruelles du péché par lesquelles Satan le tient captif et le mène à sa volonté ; il a beau murmurer, il a beau se révolter, il est son esclave, et ses efforts sont vains. Il demeure dans la servitude et dans la crainte à cause du péché ; esclave de quelque péché extérieur, auquel il est particulièrement enclin, soit par nature, soit par habitude ou par suite des circonstances ; mais toujours esclave de quelque péché intérieur, de quelque mauvais penchant ou de quelque affection profane. Et plus il s'indigne contre le mal, plus il y succombe ; il peut mordre sa chaîne, il ne peut la briser. C'est ainsi qu'il se livre à un travail sans fin, de la repentance au péché et du péché à la repentance, jusqu'à ce qu'enfin, pauvre, misérable, à bout de ressources, il n'ait plus qu'à gémir et à s'écrier : «Misérable que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort ! »
                     Toute cette lutte d'un homme sous la loi ; dominé par l'esprit de crainte et de servitude, est magnifiquement décrite dans Romains (7 : 9-25), où l'apôtre prend le langage d'un pécheur réveillé : « Autrefois, quand j'étais sans loi, je vivais », j'avais, en abondance, vie, sagesse, force et vertu, je le croyais du moins ; « mais quand le commandement est venu, le péché a repris la vie et moi je suis mort ». — Le sens spirituel du commandement m'étant révélé avec puissance, ma corruption innée s'est émue, enflammée, manifestée, et ma vertu s'est évanouie. « De sorte qu'il s'est trouvé que le commandement qui m'était donné pour avoir la vie m'a donné la mort. Car le péché, prenant occasion du commandement, m'a séduit et m'a fait mourir par le commandement même » ; me prenant par surprise, il a frappé au coeur ma confiance, me montrant clairement qu'en vivant j'étais mort. « La loi donc est sainte et le commandement est saint, juste et bon » ; ce n'est plus la loi que je blâme, mais mon propre coeur. Je reconnais « que la loi est spirituelle ; mais je suis charnel, vendu au péché », c'est-à-dire son esclave (comme les esclaves achetés par argent étaient à la merci de leurs maîtres) ; « car je n'approuve point ce que je fais, parce que je ne fais point ce que je voudrais faire, mais je fais ce que je hais ». Telle est ma dure servitude : « J'ai bien la volonté de faire ce qui est bon, mais je ne trouve pas le moyen de l'accomplir ; car je ne fais pas le bien que je voudrais faire, mais je fais le mal que je ne voudrais pas faire. Je trouve donc en moi cette loi, cette contrainte, « c'est, que quand je veux faire le bien, le mal est attaché à moi ; car je prends plaisir » ou je consens « à la loi de Dieu quant à l'homme intérieur », c'est-à-dire, dans mon esprit, comme le dit l'apôtre au verset suivant : « Mais je trouve une autre loi dans mes membres qui combat contre la loi de mon esprit et qui me rend captif sous la loi du péché », me liant, pour ainsi dire, au char de mon vainqueur, du vainqueur que je déteste. « Misérable que je suis ! qui me délivrera du corps de cette mort ? » (qui me délivrera de cette vie qui n'est qu'une mort, de cette servitude du péché et du malheur ? Jusque-là « je sers moi-même, de l'esprit à la loi de Dieu », — mon esprit, ma, conscience est pour Dieu, « mais de la chair à la loi du péché», car je suis entraîné par une force à laquelle je ne puis résister.
                       Quelle peinture vivante d'un homme qui est sous la loi, d'un homme qui gémit sous un fardeau qu'il ne peut secouer ; haletant après la liberté, la force, l'amour, et demeurant toujours dans la crainte et la servitude, jusqu'à l'heure où, à ce misérable qui crie : Qui me délivrera de ce corps de mort ? Dieu répond : La grâce de Dieu par Jésus Christ, ton Seigneur !


III

                     C'est alors que finit cette triste servitude et qu'il n'est plus sous la loi, mais sous la grâce. Nous allons donc considérer ; en troisième lieu, l'état d'un homme qui a trouvé grâce aux yeux de Dieu, de Dieu le Père, et dans le coeur duquel règne la grâce ou la puissance du Saint-Esprit ; d'un homme qui a reçu, comme s'exprime l'apôtre, l'esprit d'adoption, par lequel il crie maintenant : Abba, c'est-à- dire Père !
                      Il a crié à l'Éternel dans sa détresse et il l'a délivré de ses angoisses. Ses yeux sont ouverts, mais d'une toute autre manière qu'auparavant ; ils sont ouverts pour voir un Dieu d'amour et de grâce. Et tandis qu'il lui crie : « Je te prie, montre-moi ta gloire ! » une voix lui répond au dedans : « Je vais faire passer devant toi toute ma bonté, je crierai le nom de l'Éternel devant toi, je ferai grâce à celui à qui je ferai grâce, et j'aurai compassion de celui dont j'aurai compassion ! » Et bientôt le Seigneur descendant dans la nuée et proclamant le nom de l'Éternel devant lui, il voit, mais non des yeux de la chair et du sang, « l'Éternel, le Dieu fort, miséricordieux et pitoyable, tardif à colère et abondant en grâce et en vérité ; qui garde la miséricorde jusqu'en mille générations, et qui pardonne l'iniquité, le crime et le péché ».
                      Une lumière céleste et bienfaisante se répand alors dans son âme. Il regarde à Celui qu'il avait percé, et Dieu qui a dit que la lumière sortît des ténèbres, répand la lumière dans son coeur. Il voit la lumière glorieuse de l'amour de Dieu. en la face de Jésus-Christ. Il possède une démonstration divine des choses invisibles au sens, des choses profondes de Dieu, surtout de l'amour de Dieu pardonnant à celui qui croit, en Jésus. Subjuguée par cette vue, son âme entière s'écrie : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » Il voit. toutes ses iniquités rassemblées sur celui qui les a portées en son corps sur le bois ; il voit cet Agneau de Dieu qui ôte ses péchés. — Combien il discerne clairement que Dieu était en Christ, réconciliant le monde avec Lui-même, faisant Celui qui n'a point connu le péché, être péché pour nous, afin que nous fussions justice de Dieu par Lui. Avec quelle certitude il sait que lui-même est réconcilié avec Dieu, par le sang de l'alliance !
                        Ici finit pour lui toute condamnation ; ici finit l'empire du péché. Maintenant il peut dire : « Je suis crucifié avec Christ et je vis, non pas moi toutefois, mais Christ vit en moi, et si je vis encore dans la chair » (dans ce corps mortel), « je vis dans la foi au Fils de Dieu qui m'a aimé et qui s'est donné lui-même pour moi ». Ici finit le remords, la tristesse de coeur, l'angoisse d'un esprit abattu. Dieu change sa tristesse en joie. Il fit la plaie et sa main la bande. Ici finit cet esprit de servitude et de crainte, car son coeur est ferme se confiant en l'Éternel. Il ne peut plus craindre la colère de Dieu, car il sait qu'elle s'est détournée de lui, et il voit en Dieu non plus un juge irrité, mais un Père. Il ne peut plus craindre le diable, sachant qu'il n'a aucun pouvoir s'il ne lui est donné d'en haut. Il ne craint pas l'enfer, puisqu'il est héritier du ciel ; dès lors il est affranchi de cette crainte de la mort qui le rendit, pendant tant d'années, sujet à la servitude. Mais plutôt, sachant que si cette demeure terrestre dans cette tente est détruite, il a dans le ciel un édifice de Dieu, une demeure éternelle qui n'est point faite de main d'homme, il soupire ardemment, désirant être revêtu de sa demeure céleste. Il soupire après le dépouillement de cette maison de terre, après le moment où ce qu'il y a de mortel en lui sera absorbé par la vie ; car il sait que c'est Dieu qui l'a formé, pour cela, et qui lui a aussi donné pour arrhes son Esprit.
                    Et là où est l'Esprit du Seigneur, là est la liberté, l'affranchissement, non seulement de la condamnation et de la crainte, mais du plus pesant de tous les,jougs, de la plus honteuse de toutes les servitudes, savoir du péché. Désormais son travail n'est plus vain. Les lacs qui le tenaient captif sont brisés. Il lutte, mais c'est avec succès ; il combat, mais c'est pour remporter la victoire. Il n'est plus asservi au péché. Il est mort au péché et vivant à Dieu ; le péché ne règne plus, même dans son corps mortel, et il n'obéit plus à ses convoitises. Il ne livre plus ses membres pour servir à l'iniquité et au péché, mais pour servir à la justice et à la sainteté. Car étant libre maintenant quant au péché, il est devenu l'esclave de la justice (Romains 6 : 6).
                       Ainsi il a la paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus-Christ, il se réjouit dans l'espérance de la gloire de Dieu ; il a la domination sur tout péché ; sur tout désir, tout penchant, toute parole, toute oeuvre mauvaise. Dans cet heureux état, il est un témoin vivant de la liberté glorieuse des enfants de Dieu, qui tous ont en partage une foi du même prix et qui disent tous d'une voix : « Nous avons reçu l'esprit d'adoption, par lequel nous crions : Abba, Père ! »
                  C'est cet esprit qui produit en eux continuellement et la volonté et l'exécution selon son bon plaisir. C'est lui qui répand dans leurs cœurs l'amour de Dieu et l'amour de tous les hommes ; les purifiant ainsi de l'amour du monde, de la convoitise de la chair, de la convoitise des yeux et de l'orgueil de la vie. C'est Lui qui les délivre de la colère et de l'orgueil, de toute affection basse et désordonnée, et, par suite, de paroles et d’œuvres  mauvaises, et de toute conversation profane, de sorte qu'ils ne font de mal à personne et qu'ils sont zélés pour toute bonne oeuvre.
                   En résumé : l'homme naturel ne craint ni n'aime Dieu, l'homme sous la loi le craint, l'homme sous la grâce l'aime, Le premier n'a point de lumière dans les choses de Dieu, mais il marche dans les plus épaisses ténèbres ; le second voit l'horrible lumière de l'enfer, le troisième, la joyeuse lumière du ciel. Celui qui dort d'un sommeil de mort est dans une fausse paix ; celui qui croit possède la vraie paix, car la paix de Dieu remplit et gouverne son coeur. Le païen, baptisé ou non, jouit d'une liberté illusoire qui n'est que la licence ; le Juif, de naissance ou de coeur, est sous un lourd et cruel esclavage ; le chrétien jouit de la vraie et glorieuse liberté des enfants de Dieu. Un enfant du diable, avant d'être réveillé, pèche de bon coeur ; réveillé, il pèche à contre-coeur ; un enfant de Dieu ne pèche point, mais il se conserve lui-même, et le malin ne le touche point. Bref, l'homme naturel ne connaît ni combat ni victoire ; l'homme sous la loi combat contre le péché sans pouvoir en triompher ; mais l'homme sous la grâce est combattant et vainqueur, il est même plus que vainqueur par Celui qui l'a aimé.


IV

                  On voit par ce simple exposé de ces trois états où l'homme peut être ; l'état naturel, l'état légal et l'état de grâce ou évangélique, qu'il ne suffit pas de classer les hommes en sincères et en non sincères. On peut être sincère dans ces trois états, non seulement avec l'esprit d'adoption, mais encore sous l'esprit de servitude et de crainte, et même quand on n'a ni la crainte de Dieu, ni son amour. Car il peut, sans nul doute, y avoir de la sincérité chez les païens, aussi bien que chez les Juifs ou les chrétiens. La sincérité ne prouve donc, nullement qu'on soit agréable à Dieu, et en état de subsister devant lui.
                  C'est pourquoi « éprouvez-vous vous-mêmes, non seulement pour savoir si vous êtes sincères, mais pour « savoir si vous êtes dans la foi ». Examinez de près, car cela vous importe grandement, quel est dans votre âme le principe qui gouverne. 
Est-ce l'amour de Dieu ? 
Est-ce la crainte de Dieu ? 
Ou n'est ce ni l'un ni l'autre ? 
N'est-ce pas plutôt l'amour du monde, l'amour du plaisir ou du gain ?
L'amour des aises ou de la réputation ? 
S'il en est ainsi, vous êtes moins avancé que les Juifs ; vous n'êtes encore qu'un païen. 
Avez-vous le ciel dans votre coeur ? 
Avez-vous l'esprit d'adoption, qui toujours crie Abba, Père ? 
Ou invoquez-vous Dieu, comme du fond de l'abîme, accablé de peine et de crainte ? 
Ou bien, étranger à tout ceci, ne savez-vous de quoi je veux parler ? 
— Païen, lève le masque ! Tu ne t'es jamais revêtu de Christ ! Découvre ta face ! Lève les yeux au ciel et confesse, devant Celui qui vit aux siècles des siècles, que tu n'as de part ni parmi les enfants, ni parmi les serviteurs de Dieu.
                    Qui que tu sois, commets-tu ou ne commets-tu pas le péché ? Si tu le commets, est-ce de bon ou de mauvais gré ? Que ce soit l'un ou l'autre, Dieu t'a dit à qui tu appartiens : « Celui qui commet le péché est du diable ». Si c'est de bon gré ; tu es son serviteur fidèle et il ne manquera pas de récompenser ton travail. Si c'est de mauvais gré, tu n'en est pas moins son serviteur. Que Dieu t'arrache de ses mains !
                       Es -tu tous les jours en guerre contre tout péché, et tous les jours plus que vainqueur ? Je te reconnais pour un enfant de Dieu ! Oh ! demeure ferme dans ta glorieuse liberté ! Combats-tu, mais sans vaincre, t'efforçant d'avoir le dessus, mais sans pouvoir y parvenir ? Alors tu ne crois pas encore en Christ, mais persévère et tu connaîtras bientôt le Seigneur. Vis-tu sans aucun combat, dans la mollesse, l'indolence et la conformité à la mode ? Oh ! comment présumes-tu de te nommer du nom de Christ, pour être un sujet de scandale aux Gentils ? « Dormeur », lève-toi, et crie à ton Dieu, avant que l'abîme t'engloutisse ! Une des raisons, peut être, qui expliquent pourquoi tant de gens ont d'eux-mêmes une plus haute opinion qu'ils ne doivent et ne discernent point auquel de ces trois états ils appartiennent, c'est que ces divers états d'âme se confondent souvent et peuvent en quelque mesure se rencontrer chez une seule et même personne. Ainsi l'expérience montre que l'état légal ou de crainte se mêlent souvent à l'état naturel ; car peu d'hommes sont si profondément endormis dans le péché qu'ils ne s'éveillent plus ou moins de temps à autre. Et comme l'Esprit de Dieu n'attend pas que l'homme l'appelle, il est des moments où il se fait entendre ; qu'on le veuille ou non. Il épouvante les pécheurs de telle sorte que pour un temps, du moins, ces païens connaissent qu'ils ne sont que des hommes mortels. Ils sentent le fardeau du péché, ils désirent ardemment fuir la colère à venir. Mais ce n'est, pas long ; rarement ils souffrent que, les flèches de la conviction entrent profondément dans leurs âmes ; ils s'empressent d'étouffer la grâce de Dieu, pour retourner se vautrer dans le bourbier.
                        De même l'état évangélique, ou d'amour, se mêle fréquemment à l'état légal. Peu de ceux qui ont l'esprit de servitude et de crainte demeurent toujours sans espérance. Le Dieu sage et miséricordieux le souffre rarement, « Il se souvient que nous ne sommes que poudre », Il ne veut pas que « l'esprit soit accablé par sa présence, car c'est Lui qui a fait les âmes ». C'est pourquoi, dans les moments qu'Il juge convenables, il fait poindre la lumière sur ceux qui sont assis dans les ténèbres. Il fait passer en partie devant eux sa bonté, il leur montre qu'il entend les prières. Ils voient, quoique de loin, la promesse qui est par la foi en Jésus-Christ, et cela les encourage à poursuivre la course qui leur est proposée.
                  Une autre cause d'illusion pour plusieurs, c'est qu'ils ne considèrent pas combien un homme peut aller loin sans sortir de l'état naturel ou tout au moins de l'état légal. Un homme peut être d'un caractère compatissant, affable ; il peut être courtois, généreux, prévenant ; avoir quelque degré de patience, d'humilité, de tempérance et d'autres vertus morales. Il peut désirer s'abstenir de tout vice et vouloir s'élever à une plus haute vertu. Il peut renoncer à diverses formes du mal ; peut-être à tout ce qui est grossièrement contraire à la justice, à la bonté, à la vérité. Il peut faire beaucoup de bien, nourrir les affamés, vêtir ceux qui sont nus, consoler la veuve et l'orphelin. A l'assiduité au culte public, il peut ajouter la prière en particulier, et beaucoup de lectures pieuses ; il peut faire tout cela, et n'être encore qu'un homme naturel, ne connaissant ni lui-même, ni Dieu ; étranger à l'esprit de crainte aussi bien qu'à celui d'amour, n'ayant encore ni la repentance, ni la foi à l’Évangile.
                       Mais lors même qu'à tout cela se joint une profonde conviction de péché, et une grande crainte de la colère de Dieu ; de véhéments désirs de fuir tout péché et d'accomplir toute justice ; de fréquents élans de joie dans l'espérance, et des impressions de l'amour divin traversant l'âme ; ceci non plus ne prouve pas qu'un homme soit sous la grâce, qu'il ait la vraie, la vivante foi chrétienne, à moins qu'il n'ait l'esprit d'adoption, demeurant dans son coeur; à moins qu'il ne puisse continuellement s'écrier : «Abba, Père!»
                        Toi donc qui portes le nom de chrétien, prends garde et crains de manquer le but de ta haute vocation ; de t'arrêter, soit dans l'état naturel, avec trop de gens estimés bons chrétiens, soit dans l'état légal, où les personnes qui sont en grande considération jugent en général suffisant de vivre et de mourir. Non, Dieu a préparé pour toi de meilleures choses ; pourvu que tu persévères à les chercher jusqu'à ce que tu les atteignes. Tu n'es point appelé à craindre, à trembler comme les démons ; mais à te réjouir, à aimer comme les anges de Dieu. « Tu aimeras l’Éternel ton Dieu, de tout ton coeur, de toute ton âme, de toute ta pensée, de toutes tes forces » ; tu dois être toujours joyeux, prier sans cesse, rendre grâces pour toutes choses ; tu feras la volonté de Dieu sur la terre, comme elle est faite dans le ciel. Oh ! « éprouve que la volonté de Dieu est bonne, agréable et parfaite », en te présentant à Lui en sacrifice vivant et saint, ce qui est ton service raisonnable !
                           Retiens ferme ce que tu as, avançant vers les choses qui sont devant toi, jusqu'à ce que le Dieu de paix te rende accompli en toute bonne oeuvre, faisant Lui-même en toi ce qui lui est agréable par Jésus-Christ, à qui soit la gloire aux siècles des siècles ! Amen !