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Sermon 48 : (1760) LE RENONCEMENT A SOI-MÊME
Luc
9,23
Et
il disait à tous : si quelqu'un veut venir après moi, qu(il renonce
à soi-même, qu'il se charge chaque jour de sa croix et qu'il me
suive. (Luc 9:23)
Beaucoup
de personnes ont supposé que le conseil donné dans notre texte
s'appliquait surtout, sinon exclusivement, aux apôtres, peut-être
encore aux chrétiens des premiers siècles ou bien en général à
ceux qui sont persécutés. Mais c'est là une erreur sérieuse. Car
si, dans ce passage, notre Seigneur s'adressait tout spécialement à
ses apôtres et aux autres disciples qui le suivaient « pendant
les jours de sa chair, (Hébreux 5 : 7) » il parlait aussi par
leur intermédiaire à nous tous, à l'humanité entière, sans
aucune exception, sans distinction aucune. Il est tout simplement
évident et incontestable que le devoir ici prescrit ne regardait pas
seulement les apôtres ou les premiers chrétiens. Il n'incombe ni à
une classe d'hommes particulière, ni à une époque spéciale, ni à
un certain pays. De sa nature il est absolument universel : il
s'applique à tous les temps, à toutes les personnes, voire même à
toutes les choses, et pas seulement au manger et au boire ou à
d'autres objets se rapportant aux sens. La signification de cette
parole, la voici : Si quelqu'un, quels que soient son rang, sa,
position, sa situation, sa nationalité ou le siècle dans lequel il
vit, veut réellement venir après moi, qu'il renonce à soi-même en
toutes choses, qu'il se charge de sa croix, quelle qu'en soit la
nature, qu'il s'en charge chaque jour, et qu'il me suive.
Ce
n'est pas une chose de petite importance que de renoncer à
nous-mêmes, que de nous charger de notre croix, en acceptant ce
devoir dans toute l'étendue du mot. Ce n'est pas seulement une chose
désirable, comme certains détails accessoires de la religion. Non :
c'est absolument nécessaire, c'est indispensable, soit pour devenir,
soit pour demeurer disciple de Jésus. Il le faut absolument, c'est
essentiel pour que nous venions après Lui, pour que nous Le
suivions ; à tel point que, dans la mesure où nous ne
pratiquons pas ce devoir ; nous ne sommes pas ses disciples. Si
nous ne renonçons pas sans cesse à, nous-mêmes, c'est d'autres
maîtres que nous apprenons ; ce n'est pas de Lui. Si nous ne
nous chargeons pas de notre croix chaque jour, ce n'est pas Lui que
nous suivons : c'est le monde, c'est le prince de ce monde,
c'est notre cœur charnel. Si nous ne marchons pas dans le chemin de
la croix, nous ne suivons pas Jésus, nous ne marchons pas sur ses
traces : nous Lui tournons le dos, ou tout au moins nous nous
écartons de Lui.
C'est
pour cela que tant de serviteurs de Jésus-Christ, dans tous les
temps et dans tous les pays, et surtout depuis que l’Église a été
réformée à l'endroit des innovations et des abus qui s'y étaient
glissés, ont écrit et parlé aussi fréquemment sur cet important
devoir, et l'ont fait dans leurs entretiens particuliers comme dans
leurs discours publics. C'est aussi ce qui les a décidés à
répandre dans le monde, beaucoup de traités relatifs à ce sujet.
Quelques-uns ont été publiés spécialement pour notre peuple. Ces
hommes pieux avaient appris, dans les oracles divins et par leur
propre expérience, combien il est impossible que nous ne renoncions
pas à notre divin Maître que nous ne le reniions pas (En anglais,
comme d'ailleurs dans le grec du Nouveau Testament, le même mot
signifie renoncer et renier. Renoncer avait autrefois le sens de
renier, et la version de Saci l'emploie ainsi. —Trad.), si nous ne
voulons pas renoncer à nous-mêmes ; combien il est inutile
d'entreprendre de suivre le divin Crucifié, à moins que nous ne
nous chargions chaque jour de notre propre croix.
Mais
ce que nous venons de dire ne conduit-il pas à se demander si, après
tout ce qui a été dit et écrit sur le sujet en question, il y a
lieu d'en parler ou d'en écrire davantage ? A cet égard, je
dirai d'abord que bien des gens, même parmi ceux qui craignent Dieu,
n'ont pas eu l'occasion d'entendre ce qui a été dit ou de lire ce
qui a, été écrit relativement à ce devoir. Et puis, s'ils avaient
lu une bonne partie de ce qui a été écrit sur cette matière,
peut-être n'y auraient-ils pas gagné grand-chose ; car
beaucoup de ceux qui ont composé ces ouvrages, dont quelques uns
font de gros volumes, semblent n'avoir guère compris leur sujet :
Ou bien ils n'avaient pas saisi complètement la nature même de ce
devoir, et, dans ce cas, ils ne pouvaient l'expliquer à d'autres ;
ou bien ils en ignoraient toute la portée ; ils ne voyaient pas
« combien ce commandement est d'une grande étendue (Psaume 119 :
96) ». ou bien peut-être encore n'en sentaient-ils pas la
nécessité absolue, le caractère indispensable. Il en est qui
parlent de cela, d'une façon si obscure, si embarrassée, si
enchevêtrée, si mystique ; qu'on dirait qu'ils ont voulu le
cacher au commun de l'humanité au lieu d'en instruire la masse des
lecteurs. D'autres parlent admirablement bien, avec beaucoup de force
et de clarté, de la nécessité du renoncement à soi-même ;
mais ils s'en tiennent à des généralités, ils n'en viennent pas
aux cas particuliers, et ainsi ne rendent presque aucun service au
gros de l'humanité, aux gens de capacité moyenne et d'instruction
ordinaire. Il s'en trouve aussi qui entrent bien dans les détails,
mais c'est pour résoudre des cas exceptionnels qui ne sauraient
intéresser le grand nombre, puisqu'ils se présentent rarement, si
toutefois ils se présentent dans la vie ordinaire : par exemple
l'emprisonnement ou les tortures, ou bien l'abandon absolu, littéral,
de nos maisons et de nos terres, de nos maris ou de nos femmes, de
nos enfants, de notre vie elle-même, toutes choses auxquelles nous
ne sommes pas appelés et auxquelles nous ne serions exposés que si
Dieu permettait le retour des temps de persécution. En somme, je ne
connais aucun écrivain anglais qui ait exposé la nature du
renoncement là soi-même d'une manière claire et simple, qui soit
au niveau des intelligences ordinaires et qui embrasse les petits
détails de la vie journalière. Un discours sur ce sujet est donc
nécessaire, d'autant plus nécessaire que, dans toutes les phases de
la vie spirituelle, bien qu'il se présente une grande variété de
circonstances qui empêchent que nous recevions la grâce de Dieu ou
que nous croissions dans cette grâce, elles s'expliquent toutes par
l'une ou l'autre de ces deux causes : ou bien nous ne renonçons
pas à nous-mêmes, ou bien nous ne nous chargeons pas de notre
croix.
Afin
de combler cette lacune en quelque mesure, je vais m'efforcer de
montrer : premièrement, ce que c'est que de renoncer à
soi-même et de se charger de sa croix ; secondement, que si un
homme n'est pas complètement disciple de Jésus-Christ, cela tient à
ce qu'il n'accomplit pas son devoir.
I
Je
veux, d'abord, essayer d'expliquer ce que c'est que de « renoncer
à soi-même et se charger de sa croix ». Ce point doit, plus
que tout autre, être examiné, et bien éclairci, attendu qu'il
soulève plus que tout autre l'opposition d'ennemis nombreux et
puissants. La nature humaine tout entière proteste contre cet
enseignement, comme par un instinct de conservation personnelle :
le monde, de même, tous ceux qui sont conduits non par la grâce,
mais par leur propre nature, ne veulent point en entendre parler. Il
va sans dire que le grand adversaire de nos âmes, qui connaît
parfaitement l'importance de cet enseignement, ne peut manquer de
faire tout son possible pour le renverser. Ce n'est pas tout :
ceux-mêmes qui ont, en quelque mesure, secoué le joug du diable et
qui, dans ces derniers temps par exemple, ont vu s'accomplir dans
leur âme une œuvre sérieuse de la grâce divine, même ceux-là
n'éprouvent aucune sympathie pour cette doctrine capitale du
christianisme que, pourtant, leur divin Maître a si fortement
accentuée. Il y en a dont l'ignorance à cet égard est si profonde,
si absolue, qu'il semblerait que la Bible ne dit pas un mot de ces
choses.
D'autres sont encore plus éloignés du but, puisque sans
s'en douter ils ont conçu des préventions très arrêtées contre
cette doctrine. Ces préventions, ils les doivent en partie à des
chrétiens de nom, d'apparence, gens qui parlent bien, qui ont une
bonne tenue, qui ont tout de la piété sauf la force, qui possèdent
de la religion tout, excepté son esprit ; en partie aussi, à
certains chrétiens qui ont autrefois, comme ils ne le font plus
maintenant, « goûté les jouissances à venir (Hébreux 6 : 5)
». — Mais, direz-vous, y a-t-il vraiment des chrétiens qui
ne pratiquent pas le renoncement à eux-mêmes et ne le recommandent
pas aux autres ? » Ce serait bien mal connaître le genre
humain que de poser ainsi la question. Il y a, en effet, des
quantités de gens qui se contentent de ne pas attaquer cette
doctrine en face. N'allons pas plus loin que Londres. Voyez la masse
des adeptes de la prédestination que Dieu, dans sa grande
miséricorde, a fait récemment passer de leurs ténèbres naturelles
à la lumière de la foi. Sont-ils des modèles de renoncement à soi
même ? Combien peu d'entre eux font même profession de
pratiquer tant soit peu ce devoir ! Combien peu d'entre eux
l'inculquent à d'autres ou sont heureux qu'on le leur inculque !
N'est-il pas vrai plutôt qu'ils représentent de la façon la plus
défavorable le renoncement à soi-même, comme si c'était « le
salut par les œuvres », et « chercher à établir sa
propre justice ? (Romains 10 : 3) » Et avec quel
empressement les antinomiens de toute nuance depuis le morave
doucereux jusqu'à l'exalté bruyant et profane, font écho à cette
clameur et y joignent leur sotte et folle accusation de légalisme
(Attachement exagéré à la loi) et de « prêcher la loi ».
Ainsi on est toujours exposé à être détourné de cette importante
doctrine de l’Évangile, soit par les sophismes, soit par les
bravades, soit par le ridicule, armes qu'emploient tour à tour les
faux docteurs et les
faux frères qui se sont plus ou moins écartés de « la
simplicité qui est en Christ (2Corinthiens 11 : 3) ; » ou bien il
faut qu'on soit bien affermi sur ce point. Que nos prières les plus
ferventes précèdent donc, accompagnent et suivent ce que vous allez
lire, de sorte que cela soit écrit dans vos cœurs « du doigt
de Dieu » (Exode 31 : 18) lui-même et de façon à n'en être
jamais effacé !
Mais
qu'est-ce que le renoncement à soi-même, ? En quoi devons-nous
renoncer à nous-mêmes ? D'où vient la nécessite de ce
renoncement ? Voici ma réponse. La volonté de Dieu est la
règle suprême et immuable de tout être intelligent, et elle est
tout aussi obligatoire pour les anges du ciel, sans exception, que
pour tous les hommes qui sont sur cette terre. Il ne saurait en être
autrement ; car telle est la conséquence ; naturelle et
nécessaire des rapports qui unissent la créature à son créateur.
Mais si la volonté de Dieu doit être notre règle de conduite en
toutes choses, dans les petites comme dans les grandes, il s'ensuit
incontestablement que nous ne devons plus, dans aucun cas, faire
notre volonté propre. Du même coup nous apercevons ici quelle est
la vraie nature du renoncement à soi-même et quelles sont ses bases
et sa raison d'être. Quant à sa nature, c'est de renoncer à faire
notre propre volonté, de refuser même de la faire, et cela parce
que nous sommes convaincus que c'est la volonté de Dieu qui doit
être pour nous l'unique règle de conduite. La raison d'être de ce
devoir se trouve dans le fait que nous sommes des créatures de
Dieu : "C'est Lui qui nous a formés ; ce n'est pas
nous qui nous sommes faits (Ps 100 : 3)".
Ce
motif pour renoncer à soi-même doit être également valable, qu'il
s'agisse des anges du ciel ou de l'homme innocent et saint, tel enfin
qu'il sortit des mains de son créateur. Mais nous trouvons une
raison de plus pour accepter ce devoir, dans la situation où se
trouve l'humanité depuis sa chute. Actuellement nous pouvons dire
tous : « Voilà, j'ai été formé dans l'iniquité, et ma
mère m'a conçu dans le péché (Psaume 51 : 7). Toutes les
facultés, toutes les forces vives de notre nature sont entièrement
dépravées. Notre volonté, corrompue elle aussi, emploie tout son
ressort uniquement en vue de satisfaire nos penchants mauvais. D'un
autre côté, Dieu veut que nous luttions contre cette dépravation,
que nous la surmontions, non seulement sur tel ou tel point et à tel
ou tel moment, mais en tout et toujours. Voilà donc un motif de plus
pour renoncer continuellement et en tout à nous-mêmes.
Mais
éclaircissons encore mieux ces principes. La volonté de Dieu est
comme un chemin qui mène droit à Lui. La volonté humaine, qui à
l'origine était parallèle à celle de Dieu, est devenue comme un
chemin tout à fait distinct et dont la direction n'est pas seulement
différente, mais totalement opposée, à prendre les choses telles
qu'elles sont maintenant ; de fait, c'est un chemin qui éloigne
de Dieu. Pour marcher dans l'une de ces deux voies, il faut
nécessairement sortir de l'autre ; car nous ne pouvons les
suivre toutes les deux en même temps. L'homme dont le cœur est
lâche et dont les mains sont faibles, pourra bien marcher dans deux
chemins différents, suivant tantôt l'un, tantôt l'autre ;
mais il ne saurait marcher en même temps dans les deux ; il ne
peut au même moment faire sa propre volonté et se conformer à
celle de Dieu. Il faut donc qu'il choisisse, qu'il renonce à la
volonté divine pour accomplir la sienne, ou bien qu'il renonce à
lui-même pour obéir à la volonté de Dieu.
Il
est vrai que, sur le moment, il est bien plus agréable de faire
notre propre volonté et d'accorder successivement à notre nature
déchue toutes les satisfactions qu'elle réclame. Mais, chaque fois
que nous agissons ainsi, nous confirmons d'autant le dérèglement de
notre volonté ; et, en satisfaisant les mauvais penchants de
notre nature, nous ne faisons qu'en augmenter la dépravation. C'est
ainsi qu'en prenant certains aliments qui plaisent à notre palais,
il nous arrive souvent d'empirer une maladie : un de nos goûts
est satisfait, mais le mal s'est accru ; nous nous sommes
accordé un plaisir ; mais il faudra le payer de notre vie.
En
résumé, renoncer à nous-mêmes, c'est renoncer à notre volonté
toutes les fois qu'elle ne coïncide pas avec celle de Dieu, et quel
que soit le plaisir que nous aurions à faire la nôtre. C'est donc
renoncer à toute jouissance qui ne vient pas de Dieu et ne ramène
pas à Lui : ce qui revient à dire que nous refuserons de
quitter le chemin où nous sommes appelés à marcher, même s'il
s'agit d'entrer dans un sentier attrayant et bordé de fleurs ;
nous refuserons de prendre ce que nous savons être un poison mortel,
bien que le goût en soit agréable.
Quiconque
voudra suivre Jésus-Christ, voudra être un de ses vrais disciples,
devra non seulement renoncer à lui-même, mais aussi se charger de
sa propre croix. Une croix, c'est tout ce qui est en opposition avec
notre volonté, tout ce qui déplaît à notre nature déchue. Ainsi,
nous charger de notre croix est quelque chose de plus que renoncer à
nous-mêmes ; c'est monter d'un degré, c'est un effort plus
pénible pour la chair et le sang ; car il est plus facile de
renoncer à un plaisir que d'endurer une souffrance.
Mais
si nous voulons « poursuivre constamment la course qui nous est
proposée (Hébreux 12 : 1) », et marcher selon la volonté de
Dieu, nous rencontrerons souvent une croix en travers de notre
chemin, c'est-à-dire quelque chose qui non seulement n'est pas
agréable, mais est même très fâcheux, quelque chose qui contrarie
notre volonté et déplaît à notre nature. Que faire alors ?
Il n'y a qu'à choisir : ou bien nous charger de notre croix, ou
bien nous détourner du chemin de Dieu, « du saint commandement
qui nous a été donné (2Pierre 2 : 21) », peut-être même
nous arrêter tout à fait et reculer pour nous perdre éternellement.
Pour
arriver à nous guérir du péché, de ce mal pernicieux que tout
homme apporte avec lui en venant au monde, il faudra souvent que nous
arrachions un œil droit, que nous coupions une main droite, ce qui
veut dire que la chose à faire est fort pénible, ou bien que c'est
la façon de l'accomplir qui est douloureuse. C'est peut-être le
sacrifice d'un caprice vain ou d'une affection déréglée, ou bien
l'abandon de ce qui en était l'objet, abandon sans lequel cette
passion ne saurait être vaincue. Dans le premier cas, l'extirpation
de ce désir insensé, de cette affection folle, quand ils ont jeté
de profondes racines en nous, est souvent comme une épée aiguë qui
« atteint jusqu'au fond de l'âme et de l'esprit, des jointures
et des moelles (Hébreux 4 : 12) ». C'est alors que l’Éternel
s'assied dans notre âme comme celui qui l'affine par le feu et en
consume toute l'écume. C'est bien là une croix ; car c'est
essentiellement douloureux, et il est dans la nature même des choses
qu'il en soit ainsi. L'âme ne peut pas se déchirer ou passer par la
fournaise sans souffrir.
Dans
le second cas, il est évident que le procédé employé pour guérir
une âme du péché, pour la débarrasser d'un vain caprice ou d'une
affection déréglée, peut être souvent fort pénible ; mais
cela ne vient pas tant du moyen employé que de la nature même de la
maladie. Quand, par exemple, notre Seigneur dit au jeune homme
riche : « Va ; vends tout ce que tu as, et le donne
aux pauvres (Marc 10 : 21) » (et il lui commanda cela parce
qu'il savait que c'était l'unique moyen de le guérir de son
avarice), la seule pensée de ce sacrifice lui causa tant de douleur
qu' « il s'en alla tout triste (Marc 10 : 22) »,
préférant abandonner l'espérance du ciel plutôt que ses biens
terrestres. Ce fut là le fardeau qu'il ne voulut pas soulever, la
croix dont il ne voulut pas se charger. D'ans l'un ou l'autre cas, il
faudra très certainement que celui qui veut suivre Jésus se charge
de sa croix chaque jour.
Se
charger de sa croix n'est pas tout à fait la même chose que porter
sa croix. A proprement parler, nous portons notre croix lorsque nous
endurons avec patience et résignation une chose qui nous est
imposée sans que nous ayons été consultés. Mais pour que
nous nous chargions de notre croix, il faut que nous souffrions
volontairement ce que nous pourrions éviter de souffrir ; c'est
choisir librement la volonté de Dieu, bien qu'elle soit opposée à
la nôtre ; c'est choisir ce qui est pénible, et le choisir
parce que c'est là la volonté de notre Créateur qui est à la fois
sage et bon.
C'est
ainsi qu'il convient que tout disciple de Christ prenne et porte sa
croix. Dans un certain sens, sans doute, elle n'est pas seulement la
sienne ; elle est commune à lui et à beaucoup d'autres,
puisqu' « aucune tentation ne vous survient qui ne soit une
tentation humaine » , (1Corinthiens 10 : 13), c'est-à-dire commune
aux hommes, inhérente et adaptée à la nature humaine ordinaire et
à ses rapports avec le monde où nous vivons. Mais, dans un autre
sens et en tenant compte de tous les détails, c'est bien la sienne
que cette croix ; elle lui est particulière ; Dieu la lui
a préparée et la lui donne comme un gage de son amour. Et s'il la
reçoit comme telle ; si, après avoir employé, pour en alléger
le poids, les moyens qu'autorise la sagesse chrétienne, il demeure
comme l'argile entre les mains du potier, il éprouvera que Dieu a
tout réglé et arrangé en vue de son bien, tant la nature de cette
épreuve que sa mesure et son intensité, sa durée et toutes les
autres circonstances accessoires.
Il
doit nous être facile de nous représenter notre bon Sauveur
agissant en tout cela comme le médecin de nos âmes, agissant ainsi
non pour son plaisir, mais « pour notre profit, afin de nous
rendre participants de sa sainteté (Hébreux 12 : 10) ». Si,
en sondant nos blessures, il nous fait souffrir, ce ne peut être
qu'en vue de nous guérir. Il ampute ce qui est gangrené et perdu,
afin de conserver ce qui est bien portant. Et puisque nous acceptons
volontiers la perte d'un membre, plutôt que de laisser périr le
corps entier, combien ne devrions-nous pas préférer couper notre
main droite, figurativement parlant, plutôt que d'exposer notre âme
à être jetée tout entière en enfer !
Voilà
donc bien nettement devant nous la vraie nature et la raison d'être
de ce devoir : nous charger de notre croix. Cela ne signifie pas
qu'il faut nous macérer, comme disent quelques-uns, nous déchirer
la chair, porter un cilice ou une ceinture de fer, ou toute autre
chose qui est de nature à compromettre notre santé. Il est possible
que Dieu tienne compte de l'intention de ceux qui font ces choses par
pure ignorance. Mais notre devoir consiste à accepter la volonté de
Dieu, bien qu'elle soit contraire à la nôtre ; à prendre un
remède qui, s'il est amer, est salutaire ; à endurer
volontiers des souffrances temporaires, quelle qu'en soit la nature,
quelle qu'en soit la mesure, dès qu'elles sort nécessaires, soit
absolument, soit accessoirement ; pour notre bonheur éternel.
II
Je
veux démontrer, en second lieu, que si un homme ne suit pas
entièrement Jésus, n'est pas même son disciple, cela vient
toujours ou de ce qu'il ne renonce pas à lui-même ou de ce qu'il ne
se charge pas de sa croix.
Sans
doute, cela pourrait aussi provenir dans certains cas de l'absence
des moyens de grâce, de ce qu'on est privé d'une prédication
vivante et puissante de la parole de Dieu, ou de la participation aux
sacrements, ou de l'association avec des chrétiens. Mais là où ces
secours ne font pas défaut, ce qui met le plus d'empêchement à ce
que nous recevions la grâce de Dieu et grandissions dans cette
grâce, c'est toujours le fait que nous ne renonçons pas à
nous-mêmes et que nous ne nous chargeons pas de notre croix.
Pour
éclaircir ce point, prenons quelques exemples. Un homme a entendu
cette parole « qui peut sauver son âme (Jacques 1 : 21) ».
Il approuve ce qu'il a entendu, il en reconnaît la vérité, il en
est même un peu touché ; mais il reste « mort dans ses
fautes et dans ses péchés (Éphésiens 2 : 1) », indifférent et
endormi. Pourquoi cela ? Parce qu'il ne veut pas rompre avec son
péché favori, bien qu'il sache que c'est une abomination devant l’Éternel. Pendant qu'il écoutait la parole de Dieu, son âme était
pleine de convoitise et de mauvais désirs ; et il n'a pas voulu
s'en séparer. Aussi les impressions produites chez lui sont-elles
sans profondeur et son cœur insensé s'endurcit ; il demeure
endormi et indifférent, parce qu'il n'a pas voulu renoncer à
lui-même.
Mais
supposons qu'il ait commencé à se réveiller, que ses yeux se
soient entr'ouverts, pourquoi donc se referment-ils si vite ?
Pourquoi retombe-t-il dans son sommeil de mort ? Parce qu'il a
cédé de nouveau à son péché favori ; de nouveau, il a bu ce
délicieux poison. Voilà pourquoi son âme ne reçoit point
d'impressions profondes. Il retombe dans son engourdissement fatal,
parce qu'il ne veut pas renoncer à Iui-même.
Mais
il n'en est pas ainsi dans tous les cas. Il y a beaucoup d'hommes
qui, une fois réveillés, ne se rendorment plus. Les impressions
qu'ils ont reçues ne s'effacent pas ; non seulement elles sont
profondes, mais elles sont durables. Et pourtant, plusieurs d'entre
eux ne trouvent pas ce qu'ils cherchaient. Ils pleurent et ne sont
pas consolés. D'où vient cela ? De ce qu'ils « ne
portent pas des fruits convenables à la repentance (Matthieu 3 :
8) », de ce qu'avec le secours de la grâce qu'ils ont reçue,
ils n'ont pas « cessé de mal faire et appris à bien faire
(Esaïe 1 : 16,17) ». Ils n'ont pas abandonné, le péché
qui les enveloppe aisément, celui qui tient leur tempérament, à
leur éducation ou à leur profession. Ou bien, peut-être, c'est
qu'ils négligent de faire le bien qu'ils pourraient faire et qu'ils
savent qu'ils devraient faire, et le négligent parce que cela
entraînerait certains ennuis. Ils n'arrivent pas à la foi parce
qu'ils ne veulent pas renoncer à eux-mêmes, parce qu'ils ne veulent
pas se charger de leur croix.
Mais
voici un homme qui a « goûté le don céleste et les
puissances du siècle à venir (Hébreux 6 : 4,5) », qui a vu
« la lumière de la gloire de Dieu sur la face de Jésus Christ
(2Corinthiens 4 : 6 — d'après la version anglaise) ; » « la
paix de Dieu qui surpasse tonte intelligence (Philippiens 4 : 7) »
a rempli son cœur et son esprit ; « l'amour de Dieu a été
répandu dans son cœur par le Saint-Esprit qui lui a été donné
(Romains 5 : 5) ». Et cependant il est devenu faible comme les
autres hommes ; de nouveau ; il a pris goût aux choses de
la. terre, et il a plus d'inclination pour les visibles que pour les
invisibles ; les yeux de son esprit se sont refermés, de telle
sorte qu'il ne voit plus « Celui qui est. invisible (Hébreux 11 :
27) ; » son amour s'est refroidi, et la paix de Dieu ne remplit
plus son cœur. Il n'y a là rien d'étonnant ; car il a de
nouveau « donné lieu a diable (Éphésiens 4 : 27) », et
« attristé le Saint-Esprit de Dieu (Éphésiens 4 : 30) ».
Il est retourné à ses égarements, à quelque péché attrayant :
s'il ne l'a pas fait visiblement, il l'a fait par le cœur. Il s'est
laissé aller à l'orgueil, ou à la colère, ou à quelque
convoitise, ou bien à sa volonté charnelle et à la rébellion.
Peut-être a-t-il oublié de faire revivre le don de Dieu qui était
en lui ; peut-être a-t-il ouvert la porte à l'indolence
spirituelle et n'a pas voulu prendre la peine de « prier sans
cesse, (1Thessaloniciens 5 : 17) » et de « veiller à cela avec
persévérance (Éphésiens 6 : 18) ». Et c'est ainsi qu'il a
fait naufrage de la foi, pour n'avoir pas renoncé à lui-même et ne
s'être pas chargé de sa croix de jour en jour.
Mais
peut-être n'a-t-il pas fait naufrage de la foi ; peut-être
possède -t il en quelque, mesure cet Esprit d'adoption qui témoigne
avec son esprit qu'il est enfant de Dieu. Quoi qu'il en soit ;
il est certain qu'il ne « tend » plus « à la
perfection (Hébreux 6 : 1) ; » il n'est pas, comme jadis,
affamé et altéré de justice ; il ne soupire pas après une
ressemblance entière avec Dieu, après une pleine jouissance de
Dieu, comme le cerf après les eaux courantes. Il est bien plutôt
las et découragé ; il semble suspendu entre la vie et la mort.
Pourquoi
se trouve-t-il dans cet état ? C'est parce qu'il a oublié
cette parole du Seigneur : « Par ses œuvres sa foi fut
rendue parfaite (Jacques 2 : 22) ». Il ne s'applique plus
diligemment à faire les œuvres de Dieu. Il n'est plus « persévérant
dans la prière (Romains 12 : 12) », en particulier comme en
public. Il néglige la sainte Cène, la prédication, la méditation,
le jeûne, les entretiens religieux. S'il n'a pas abandonné,
l'emploi de ces moyens de grâce, du moins il en use sans entrain.
Peut-être s'est-il relâché dans les œuvres de charité comme dans
celles de piété ; il n'exerce plus la libéralité selon son
pouvoir, selon les ressources que Dieu lui donne. Il ne sert plus le
Seigneur en faisant du bien aux hommes, de toutes manières et dans
tous les sens, tant au corps qu'à l'âme. Mais pourquoi s'est-il
relâché dans la prière ? Parce que, dans les moments de
sécheresse spirituelle, il éprouvait de la difficulté et comme une
souffrance à prier. Il néglige les services de prédication, parce
qu'il aime à dormir, ou bien parce qu'il fait froid ou obscur, ou
bien parce qu'il pleut. Pourquoi délaisse t-il les œuvres de
charité ? Parce que, pour nourrir ceux qui ont faim ou vêtir
ceux qui sont nus, il devrait diminuer ses dépenses de toilette, et
se contenter d'une nourriture plus simple et de mets moins coûteux.
Et puis, la visite des malades ou des prisonniers entraîne plusieurs
désagréments. Il en est de même pour la plupart des devoirs
spirituels imposés par la charité, par exemple lorsqu'il s'agit de
reprendre quelqu'un : Cet homme. reprendrait bien son prochain ;
mais un jour c'est la fausse honte, un autre,jour c'est la crainte
qui l'arrête ; ne va-t-il pas s'exposer non seulement au
mépris, mais à des ennuis bien plus graves encore ? Pour ces
raisons-là et pour d'autres qui ne valent pas mieux, il s'abstient,
partiellement ou totalement de pratiquer les œuvres de charité et
de piété. Ainsi sa foi n'est pas rendue parfaite, et il ne croît
pas dans la grâce, parce qu'il ne veut pas renoncer lui-même, ni se
charger de sa croix.
Nous
concluons donc que c'est parce qu'un homme refuse de renoncer à
lui-même et de se charger de sa croix, qu'il ne peut pas suivre
fidèlement le Seigneur, qu'il n'est pas un disciple dévoué de
Jésus. C'est à cause de cela que celui qui est mort dans ses péchés
ne se réveille pas, bien que la trompette sonne ; c'est pour
cela que celui qui avait commencé à se réveiller n'a pourtant pas
des convictions profondes et durables ; c'est pour cela que tel
autre qui était sérieusement et profondément convaincu du péché,
n'obtient pas le pardon ; c'est pour cela que d'autres qui
avaient reçu ce don céleste, ne l'ont pas conservé et ont fait
naufrage de la foi ; c'est pour cela, enfin, que quelques-uns,
s'ils ne reculent pas pour se perdre, sont en tous cas las et
découragés et ne courent plus « vers le but, vers le prix de
la vocation céleste de Dieu en Jésus Christ (Philippiens 3 : 14) ».
III
Combien
ce que nous venons de dire montre clairement que ceux qui, soit
directement, soit indirectement, en public ou en particulier,
s'opposent à la doctrine du renoncement, à soi-même de la croix à
porter chaque jour, ne connaissent ni les Écritures ni la puissance
de Dieu ! Il faut que ces hommes ignorent absolument cent textes
de la Bible qui ont rapport à ce sujet, aussi bien que la portée
générale des oracles divins. Il faut qu'ils ne sachent rien des
expériences les plus vraies, les plus authentiques du chrétien, et
de la façon dont le Saint-Esprit a de tout temps opéré, et opère
encore à cette heure ; dans le cœur des hommes. Ils pourront,
à la vérité, parler très haut, avec beaucoup d'assurance, comme
cela, arrive naturellement là où il y a ignorance, parler comme
s'ils étaient seuls à comprendre la Parole de Dieu et l'expérience
chrétienne ; mais leurs discours sont, à tous égards, des
paroles vaines : ils ont été pesés dans la balance et trouvés
légers.
Nous
apprenons également par ce qui précède pourquoi tant d'individus,
et même d'associations, qui jadis étaient autant de flambeaux
allumés et brillants, ont maintenant perdu leur lumière, et leur
chaleur. Ils n'ont peut-être pas haï et combattu ce précieux
enseignement de l'Évangile, mais à coup sûr ils en ont fait peu de
cas. Ils n'ont peut-être pas, comme quelqu'un, dit fièrement :
Abnegationem omnem proculcamus, internecioni damus ;
« nous foulons aux pieds tout renoncement et le vouons à la
destruction ». Mais ils n'ont pas su voir toute l'importance de
ce grand devoir, et ne se sont pas mis en peine de le pratiquer. Hanc
mystici docent ; « les écrivains mystiques le
prêchent », disait encore, ce même auteur, homme aussi
pernicieux que grand ! Non ! lui répondons-nous ; ce
sont les écrivains sacrés qui l'enseignent ; c'est Dieu
lui-même qui le prêche à toute âme qui veut écouter sa, voix.
Mais
nous devons aussi conclure de ces vérités qu'il ne suffit point
qu'un ministre de l'Évangile ne combatte
pas cette doctrine du renoncement à soi même ou qu'il n'en dise
rien. Il ne suffirait même pas qu'il se contentât de dire, quelques
mots pour l'appuyer. Pour être net du sang de tous les hommes, il
faut qu'il en parle fréquemment et amplement ; il faut qu'il en
inculque la nécessité de la façon la plus nette et la plus
énergique ; il faut qu'il y insiste : de toutes ses
forces, auprès de tout le monde, en tout temps, en tout lieu,
« commandement après commandement, commandement après
commandement, ligne après ligne, ligne après ligne (Esaïe 28 :
10) ». Alors seulement il aura une conscience, sans reproche
et « pourra se sauver lui-même avec ceux qui l'écoutent (1Timothée
4 : 16) ».
En
dernier lieu, que chacun de vous fasse l'application de ces vérités
à sa propre âme. Méditez-les quand vous êtes seuls ;
pesez-les dans vos cœurs. Tâchez non seulement de les bien
comprendre, mais de vous en souvenir jusqu'à la fin de votre vie.
Implorez Celui qui est fort, afin qu'il vous fortifie, et que vous
n'ayez pas plus tôt compris votre devoir qu'aussitôt vous
l'accomplirez. Ne renvoyez pas à plus tard, mais mettez tout de
suite en pratique. Oui, pratiquez ceci en toutes choses, dans les
mille occasions que nous offrent les circonstances variées de notre
existence. Pratiquez-le chaque jour, sans interruption, depuis le
moment où vous avez mis la main à la charrue et jusqu'à ce que la
fin arrive, jusqu'à l'heure où votre esprit retournera à Dieu !