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Sermon 47 : (1760) L'ACCABLEMENT RÉSULTANT DES ÉPREUVES
1
Pierre 1:6
Quoique maintenant, attristés (1) pour un peu de temps par diverses épreuves. (1 Pierre 1:6 )
(1)
Dans la version anglaise il y a appesantis, et J. Wesley a intitulé
son discours : L'appesantissement par diverses tentations. Le
mot appesantissement rappelle l'abattement, l'accablement qui
accompagnent un violent chagrin ou des afflictions prolongées.
(Trad.)
Dans
le discours qui précède, j'ai parlé tout spécialement de cet
obscurcissement de l'âme qu'on observe fréquemment chez des
personnes qui marchaient autrefois à la clarté de la face du
Seigneur. Il y a beaucoup de rapport entre cet état et un certain
accablement moral qui se rencontre encore plus souvent, même parmi
ceux qui ont cru. De fait, presque tous les enfants de Dieu éprouvent
cela, les uns plus, les autres moins. Ces deux états d'âme se
ressemblent tellement qu'on les confond assez souvent et qu'on dit
indifféremment d'un homme : « Il passe par l'obscurité »
; ou bien : « Il passe par l'accablement ». On fait
comme si ces expressions étaient équivalentes, comme si elles
disaient exactement la même chose. Mais il s'en faut de beaucoup
qu'il en soit, ainsi. L'obscurcissement de l'âme est une chose, et
son accablement en est une autre. Non seulement il y a une différence
entre ces deux situations ; mais c'est une différence profonde,
essentielle. La distinction à faire entre les deux est de telle
nature qu'il importe que tous les enfants de Dieu la comprennent,
sans cela, rien de plus facile que de glisser de l'accablement dans
les ténèbres.
Afin
d'écarter ce danger, je vais essayer d'indiquer d'abord, à quelle
classe de personnes l'apôtre dit : « Vous êtes
maintenant attristés (ou accablés) » ; en second lieu, de
quel genre était leur accablement ; en troisième lieu, quelles
en étaient les causes ; quatrièmement, dans quel but cela leur
arrivait ; et, enfin, je tirerai quelques conclusions du tout.
I
Cherchons
d'abord à quelle classe de personnes l'apôtre disait. : « Vous
êtes maintenant attristés (ou accablés.) » Il est, en tout
cas, évident que ces personnes avaient la foi, à l'époque où
saint Pierre leur adressait ces paroles ; car il le dit
positivement au verset 5 : « Vous qui êtes gardés par la
puissance de Dieu, par la foi, pour obtenir le salut ». Et de
nouveau, au verset 7, il dit : « L'épreuve de votre foi
qui est beaucoup plus précieuse que l'or périssable ». Dans
le verset 9 également : « Remportant le prix de votre foi
qui est le salut des âmes ». Ainsi, tout en étant dans
l'accablement, ces personnes possédaient une foi vivante ;
cette profonde tristesse n'anéantissait pas leur foi ; « elles
demeuraient fermes, comme voyant celui qui est invisible (Hébreux 11 :
27).
Leur
accablement ne leur avait pas non plus fait perdre leur paix, celle
« paix de Dieu qui surpasse toute intelligence (Philippiens 4 :
7) », et qui est inséparable d'une foi sincère et vivante.
Cela découle tout naturellement du second verset de ce chapitre, où
l'apôtre demande à Dieu pour ces chrétiens, non pas que la grâce
et la paix leur soient données, mais qu'elles leur soient
multipliées, c'est-à-dire que les bénédictions dont ils
jouissaient déjà leur fussent accordées encore plus abondamment.
Ceux
à qui saint Pierre s'adresse ici possédaient également une
espérance vivante. Car il écrit, au verset 3 : « Béni
soit le Dieu et le Père de notre Seigneur Jésus-Christ qui, selon
sa grande miséricorde, nous a fait renaître », vous et moi,
tous ceux qui « sont, sanctifiés par L'Esprit et ont part à
l'aspersion du sang de Jésus-Christ » , (verset 2) « en
nous donnant une espérance vive (ou vivante) de posséder l'héritage
qui ne se peut ni corrompre, ni souiller, ni flétrir ». Malgré
leur accablement, ces chrétiens conservaient donc une espérance
immortelle.
Ils
avaient aussi la joie, « se glorifiant dans l'espérance de la
gloire de Dieu (Romains 5 : 2) ». Ils étaient remplis de joie
par le Saint-Esprit. Aussi l'apôtre, ayant parlé du moment « où
Jésus-Christ paraîtra » (verset 7), c'est-à-dire où il
viendra, à la fin, pour juger le monde, ajoute aussitôt « En
qui vous croyez, quoique vous ne le voyiez pas encore », des
yeux de votre corps, « et en croyant, vous vous réjouissez
d'une joie ineffable et glorieuse » (verset 8). Cet accablement
de la tristesse n'excluait conséquemment ni une espérance vive, ni
une joie ineffable. Ils étaient tout à la fois attristés et,
pleins d'une joie glorieuse.
Au
sein de cet accablement moral, ils jouissaient cependant encore de
l'amour de Dieu répandu dans leur cœur. « Lequel vous aimez,
quoique vous ne l'ayez pas vu », dit saint Pierre (verset 8).
Quoique vous ne l'ayez pas vu face à face, leur dit-il, vous avez
appris à le connaître par la foi, et vous avez obéi à sa parole :
« Mon fils, donne-moi ton cœur ! (Proverbe 23 : 26) »
Il est votre Dieu, l'objet de votre amour, le désir de vos yeux,
votre « très grande récompense » Vous avez cherché et
trouvé votre bonheur en lui ; vous « prenez votre plaisir
en l’Éternel, et il vous accorde les demandes de votre cœur (Psaume 37 :
4).
Il
reste à ajouter ceci. Tout en étant accablés, ils demeuraient
saints, ils conservaient le même ascendant sur le péché. A l'égard
du péché, ils étaient encore et toujours « gardés par la
puissance de Dieu (verset 5) ; » ils étaient « comme des
enfants obéissants, ne se conformant point aux convoitises
d'autrefois (verset 14) ; » et, « comme celui qui les
avait appelés est saint », eux aussi de même étaient
« saints dans toute leur conduite (verset 15) ».
« Sachant qu'ils avaient été rachetés par le précieux sang
de Christ, comme de l'Agneau sans défaut : et sans tache (verset
18) », ils avaient, par la foi et l'espérance qu'ils mettaient
en Dieu, « purifié leurs âmes en obéissant à la vérité
par l'Esprit (verset 22) ». Voilà donc, en résumé, une
tristesse, un accablement qui n'empêchent pas la foi, l'espérance,
l'amour de Dieu et du prochain, la paix de Dieu, la joie du
Saint-Esprit, la sainteté au dedans et au dehors. Cet état
n'anéantissait pas l'œuvre de Dieu dans l'âme de ces chrétiens,
ne la dégradait en rien. Cela ne nuisait point chez eux à cette
sanctification par l'Esprit qui est la racine de toute vraie
obéissance à Dieu ; cela ne leur ôtait même pas ce bonheur
qui découle nécessairement de la grâce et de la paix du Seigneur,
lorsqu'elles règnent dans un cœur.
II
Ce
que nous venons de dire aide à comprendre quelle était la nature de
l'accablement, qui pesait, sur ces personnes ; et c'est là le
second point que nous voulons éclaircir. Le mot employé dans le
texte grec signifie attristés, chagrinés ; (c'est qui vient de
tristesse, chagrin.) Tel est le sens littéral et invariable de ce
mot. Il suit de là que cette expression ne saurait être ambiguë et
qu'il ne peut pas être difficile d'en saisir la portée. Les
personnes dont il s'agir ici étaient attristées ; leur
accablement était, ni plus ni moins, du chagrin, de la douleur, et
tout enfant des hommes sait par expérience ce que cela veut dire.
Il
est probable que nos traducteurs (Ceux de la version anglaise, dite
autorisée. Elle fut publiée en 1611 Il en a paru une révision en
1881 et le mot appesantis y est remplacé par attristés. (Trad.) ont
employé ici le mot appesantis (ou accablés, qui est un peu plus
spécial,) parce qu'ils voulaient exprimer deux choses, le degré et
la durée de cette tristesse. Et on peut supposer, en effet, que le
chagrin dont il est question dans notre texte n'était pas léger et
insignifiant, mais de ceux qui font sur l'âme une forte impression
et qui y pénètrent profondément. Ce n'était pas une de ces
douleurs passagères qui s'envolent au bout d'une heure ; mais
plutôt une de celles qui s'emparent tellement du cœur qu'on ne peut
s'en débarrasser promptement ; c'est une tristesse qui
persiste, comme si elle devenait une habitude ; au lieu d'être
une simple émotion, et cela chez des hommes qui ont une foi vivante
en Jésus-Christ et un amour sincère pour Dieu.
Même
chez de tels chrétiens, cet accablement peut être parfois si grand
qu'il projette une ombre sur l'âme tout entière, qu'il déteigne en
quelque sorte sur nos sentiments et que cela s'aperçoive dans toute
notre manière d'agir. Cela peut aussi influer sur le corps, en
particulier chez les personnes dont la constitution est faible
naturellement ou a été affaiblie par quelque maladie, et surtout
par une maladie des nerfs. Dans bien des cas, c'est le corps mortel
qui pèse sur l'âme ; mais ici c'est l'âme qui pèse sur le
corps et qui l'affaiblit de plus en plus. Je ne suis pas même
certain qu'un chagrin violent et prolongé ne puisse pas affaiblir
une constitution solide et y déposer les germes de maladies qu'on ne
guérira pas facilement. Mais tout cela peut se produire sans que
l'âme cesse de posséder un certain degré de cette foi qui agit par
l'amour.
C'est
bien là ce qu'on peut appeler « une fournaise ». Et
quoique ce genre d'épreuve ne soit pas celui dont l'apôtre parle
dans le quatrième chapitre de cette épître, plusieurs des
expressions dont il se sert en cet endroit pour caractériser les
souffrances extérieures peuvent s'appliquer à la souffrance intime
dont nous nous occupons. Il ne conviendrait pas de s'en servir en
parlant de ceux qui sont « dans les ténèbres ». Car
ceux-là ne se réjouissent pas : ils ne le peuvent ; et il
ne serait pas vrai non plus de dire d'eux : « L'Esprit de
gloire, qui est l'Esprit de Dieu, repose sur vous (1Pierre 4 : 2)
». Mais cet Esprit repose souvent sur ceux qui sont attristés
ou accablés, de sorte que, tout en étant tristes, ils sont pourtant
« toujours joyeux ».
III
Passons
à notre troisième point : Quelles sont les causes qui
produisent cette tristesse, cet accablement chez des croyants
sincères ? Saint Pierre le dit clairement : « Vous
êtes maintenant attristés par diverses épreuves », par des
épreuves variées, non seulement nombreuses, mais de divers genres.
Elles peuvent, en effet, être modifiées et diversifiées de mille
façons par l'introduction d'une foule de circonstances
particulières. Cette variété, ces différences font qu'il est
encore plus difficile de se défendre contre l'épreuve. Parmi ces
afflictions diverses, on peut compter tous les maux physiques, et
tout spécialement les maladies aiguës et tous les genres de
souffrance violente, que le siège en soit d'ailleurs le corps tout
entier ou bien une portion très minime de notre organisme. Sans
doute, les gens qui ont toujours joui d'une santé parfaite et qui
n'ont rien éprouvé de pareil, tiennent fort peu de compte de ces
choses, et s'étonnent qu'une maladie ou une douleur physique aient
pour effet d'accabler l'esprit. Peut-être y en a-t-il un sur mille
qui soit constitué si exceptionnellement qu'il ne sente pas la
souffrance comme le reste des hommes. Il a plu à Dieu de montrer sa
toute-puissance en créant de ces natures prodigieuse, que la douleur
ne semblait, point affecter, même quand elle était à son
paroxysme ; mais il a pu se faire aussi que ce mépris de la
douleur provînt soit d'une forte éducation, soit même de causes
surnaturelles, par exemple, de l'assistance d'esprits bons ou mauvais
qui ont pu élever ces individus au-dessus des conditions ordinaires
de l'existence. Mais, en réservant ces cas extraordinaires, on peut
dire :
La
souffrance suffit pour abattre et troubler ;
Et,
quand elle est extrême,
Il
peut arriver même
Que
les plus patients se laissent accabler.
Et
lorsque ce dernier effet est écarté par la grâce divine, lorsque
les chrétiens ont appris à « posséder leur âme par leur
patience (Luc 21 : 19) », il peut cependant en résulter un
grand accablement intérieur dû à la sympathie qui existe entre
l'âme et le corps.
Toutes
les maladies prolongées, bien qu'elles fassent moins souffrir, ont
une tendance à produire, les mêmes résultats. Quand Dieu nous
envoie la phtisie, ou bien une fièvre chaude avec ses alternatives
de frissons, si ces maux ne sont pas promptement guéris, ils
« consumeront nos yeux, et tourmenteront aussi nos âmes (Lévitique
26 : 16) ». Tel est tout spécialement l'effet de toutes
les affections qu'on appelle maux de nerfs. La foi n'a pas le
privilège de suspendre le cours de la nature. Les causes naturelles
continuent à produire leurs effets naturels. La foi n'empêche pas
davantage l'esprit de s'abattre dans une maladie hystérique, qu'elle
n'empêche le pouls de battre plus vite quand on a la fièvre.
D'un
autre côté, « quand la calamité surviendra comme un
tourbillon (Proverbe 1 : 27) » quand « la pauvreté et la
disette viendront comme un homme armé, (Proverbe 6 : 11) »,
l'épreuve sera-t-elle insignifiante ? Faudra-t-il s'étonner si
elle occasionne du chagrin et de l'accablement ? Pour ceux qui
voient cela de loin et, après l'avoir vu, passent outre, ces
afflictions peuvent sembler petites ; mais il en est autrement
pour ceux qui les traversent. « Pourvu que nous ayons la
nourriture et de quoi nous vêtir » , (le mot employé ici, se
rapporte au logement, aussi bien qu'au vêtement, de quoi nous
couvrir,) cela nous suffira (1Timothée 6 : 8) », si nous avons
l'amour de Dieu dans le cœur. Mais que feront ceux qui n'ont pas
même ces choses-là ? ceux qui sont réduits à « chercher
leur retraite dans les rochers (Job 24 : 8) », ceux qui
n'ont que la terre pour lit et que le ciel pour couverture, qui n'ont
point pour eux et pour leur famille une demeure chaude ou même
sèche, encore moins une maison propre, qui ne possèdent pas assez
de vêtements pour se préserver, eux et ceux qu'ils aiment comme
eux-mêmes, du froid perçant, soit de jour, soit de nuit ? Je
ne puis m'empêcher de rire quand j'entends cette absurde exclamation
d'un auteur païen :
Quàm
quod ridiculos homines facit !..... (Juvénal, Satire 3, vers.
152, 153)
Est-il
donc vrai que « la pauvreté malheureuse ne renferme rien de
plus dur que ceci, qu'elle rend les hommes ridicules », les
expose à ce qu'on rie d'eux ? Est-ce que la privation de
nourriture n'est rien ? Dieu prononça cette malédiction contre
l'homme : « Tu mangeras le pain à la sueur de ton visage
(Genèse 3 : 19) ». Mais que de gens n'y a-t-il pas dans ce
pays chrétien qui travaillent, et peinent, et suent pour n'avoir pas
même, après tout, ce pain, qui ont à lutter à la fois contre la
fatigue et contre la faim ! N'est-ce pas un surcroît de maux,
quand on a travaillé dur toute la journée, de rentrer dans un
logement pauvre, glacé, sale et misérable, où l'on ne trouve pas
même la nourriture qu'il faudrait pour réparer ses forces ?
J'en appelle à vous qui vivez dans l'aisance ici-bas et à qui il ne
manque que des yeux pour voir, des oreilles pour entendre, et un cœur
pour comprendre tout ce que Dieu a fait pour vous ; dites-moi,
n'est-ce rien que
de chercher à gagner son pain, jour après jour, sans y réussir,
et, pour comble d'infortune, d'avoir à écouter les cris de cinq ou
six petits enfants qui réclament ce qu'on ne peut pas leur donner ?
Si une main invisible ne retenait pas un homme qui en est là,
comment pourrait-il éviter de « maudire Dieu et mourir
ensuite ! » (Job 2 : 9) Point de pain, point de
pain ! pour savoir ce que cela veut dire, il faudrait l'avoir
éprouvé. Je trouve surprenant que cela ne cause que de
l'accablement, même quand on a la foi !
On
pourrait mentionner, comme venant ensuite, la perte des êtres qui
nous sont chers, des nôtres, d'un père, d'une mère, peut-être
encore peu avancés en âge ; d'un enfant bien-aimé qui entrait
dans la vie et dont l'âme était étroitement liée à la nôtre ;
ou bien d'un ami, qui était comme notre propre âme, d'un ami, don
suprême, don le plus excellent du ciel après la grâce de Dieu !
Mille circonstances ont pu aggraver ces afflictions. Peut-être cet
enfant, cet ami est-il mort dans nos bras ! peut-être nous a-t-
il été au moment où nous y pensions le moins : il
fleurissait, et il a été coupé comme une fleur ! Dans des cas
pareils, non seulement l'épreuve peut nous toucher, mais elle le
doit : Dieu a voulu qu'il en fût ainsi. Il ne nous a pas faits
semblables au bois ou à la pierre. Il ne veut pas étouffer nos
affections, mais les régler. Ainsi, laissons couler, sans les
condamner, ces larmes que réclame la nature. On peut être affligé
sans pécher.
C'est
une douleur encore plus cruelle pour nous quand nous avons affaire à
des âmes mortes en vivant, quand nous rencontrons méchanceté,
ingratitude, apostasie chez ceux qui autrefois étaient unis à nous
par les liens les plus forts. Qui dira le qu'un chrétien qui aime
les âmes ressent en voyant son ami, son frère, perdu loin de Dieu ?
en voyant un époux ou une épouse, un père ou une mère, un enfant
se lancer dans le péché, comme le cheval dans la bataille,
travailler ardemment à sa perte éternelle, malgré tous les
raisonnements et toutes les supplications ? Et cette angoisse
sera cent fois plus amère si l'on peut se souvenir d'un temps où
cette personne, qui maintenant court à sa ruine, marchait dans le
chemin de la vie. Le souvenir de ce qu'elle était autrefois ne sert
plus qu'à envenimer toujours davantage l'aiguillon de la douleur
qu'on éprouve en réfléchissant à son état actuel.
Il
va sans dire que, dans ces diverses situations, notre grand
adversaire mettra tout à profit pour faire son œuvre. « Il
tourne autour de nous, cherchant qui il pourra dévorer (1Pierre 5 :
8) », et il déploiera toute sa puissance, toute sa ruse pour
essayer de triompher d'une âme qui déjà est abattue. Il ne
ménagera pas ses traits enflammés ; il lancera ceux qu'il juge
les plus propres à pénétrer dans l'âme et à s'y planter
profondément, en raison même de leur adaptation aux circonstances
dans lesquelles la tentation a lieu pour cette âme. Il s'efforcera
d'y insinuer l'incrédulité, le blasphème, le murmure contre Dieu.
Il suggère à l'esprit cette pensée que décidément Dieu ne
« s'inquiète pas de ce monde et ne le dirige pas, ou bien
qu'il ne le dirige pas comme il faudrait, selon les lois de la
justice et de la bonté. Il cherchera à insurger le cœur de l'homme
contre Dieu, à ressusciter notre ancienne inimitié naturelle contre
le Seigneur. Et si nous entreprenons de le combattre avec ses propres
armes, si nous nous mettons à raisonner avec lui, notre accablement
ne fera qu'augmenter et aboutira peut-être aux ténèbres les plus
profondes.
Plus
d'une fois on a exprimé l'opinion qu'il y a une autre cause
d'accablement, sinon d'obscurité, pour l'âme : ce serait que
Dieu se retire d'elle, uniquement parce que telle est sa volonté
souveraine. Bien certainement il se retirera si nous contristons son
Saint-Esprit par des péchés visibles ou cachés, soit en commettant
le mal, soit en négligeant de faire le bien, en nous laissant aller
à l'orgueil ou à la colère, à la nonchalance spirituelle, à des
désirs insensés ou à des affections déréglées. Mais qu'il nous
abandonne jamais simplement parce qu'il le veut, simplement parce que
tel est son bon plaisir, je le nie formellement. Il n'y a pas un seul
texte de ta Bible qui puisse fournir l'ombre d'un prétexte pour
faire une pareille supposition. Cette idée est contraire non
seulement à tel ou tel passage des Écritures saintes, mais à tout
l'ensemble de la révélation divine. Elle répugne à la nature même
de Dieu : c'est une insulte à sa majesté, à sa sagesse ;
ce serait, comme l'a dit énergiquement un grand écrivain, « jouer
à cache-cache avec ses créatures ». Ce serait incompatible
avec sa justice et avec sa miséricorde, comme avec l'expérience
authentique de son peuple.
Une
autre cause d'accablement a été indiquée par certains auteurs
qu'on a qualifiés du nom de Mystiques. Et, je ne sais trop comment,
leurs vues se sont propagées parmi de braves gens qui ne connaissent
pourtant pas ces écrivains. Je ne saurais mieux rendre compte de ces
idées particulières qu'en citant les paroles d'une femme (John
Wesley cite peut-être ici les idées de Madame Guyon ou plus
probablement celles d'Antoinette Bourignon, qui a publié vingt et un
volumes d'écrits mystiques. Madame Guyon en a laissé trente-neuf.
(Trad.) ) qui raconte ainsi ce qu'elle a éprouvé : « Je
continuais à être si heureuse en mon Bien-aimé que, s'il m'avait
fallu vivre errante dans un désert, cela ne m'aurait pas paru
difficile. Mais cet état ne dura pas longtemps ; car je me
trouvai effectivement bientôt conduite dans un désert. Je me
trouvai dans un état d'abandon, tout à fait pauvre, malheureuse,
misérable. La vraie source de cette tristesse, c'est la connaissance
que nous gagnons de nous-mêmes, et par laquelle nous apercevons
combien peu nous ressemblons à Dieu. Nous nous voyons tout le
contraire de lui ; nous voyons notre âme entièrement corrompue
et dépravée, toute pleine de péché et de méchanceté, du monde
et de la chair, de toute sorte d'abominations ». C'est de
considérations de ce genre qu'on a conclu que la connaissance de
nous-mêmes, qui est essentielle pour que nous ne périssions pas
éternellement, ne peut manquer, lorsque nous sommes déjà arrivés
à la foi par laquelle on est justifié, de produire chez nous le
plus profond des accablements.
A
propos de cette théorie, je ferai les observations suivantes. Dans
un paragraphe précédent, l'auteur que je viens de ci ter disait :
« Avant compris que je n'avais pas la vraie foi en
Jésus-Christ, je me consacrai à Dieu, et aussitôt je sentis son
amour ». C'est possible ; mais il n'est pas prouvé que ce
fût la grâce de la justification. Il est plus probable que ce
n'était que ce qu'on a appelé les attraits du Père. Et, s'il en
était ainsi, l'accablement et les ténèbres qui suivirent étaient
tout simplement les convictions de péché qui, dans l'ordre naturel
des choses, doivent précéder la foi par laquelle on est justifié.
D'un autre côté, si nous supposons qu'elle fut justifiée presqu'en
même temps qu'elle s'apercevait qu'elle n'avait pas la foi, alors
elle n'a pas eu le temps d'arriver à cette connaissance graduelle de
soi-même qui d'ordinaire précède la justification ; et, dans
ce cas, cette connaissance serait venue après ; et, comme elle
ne s'y attendait pas, l'effet en aurait été d'autant plus
accablant. De plus, je rappelle qu'après notre justification nous
apprenons à connaître bien mieux qu'auparavant, d'une façon plus
claire et plus complète, notre péché intérieur, l'entière
dépravation de notre nature. Il n'y a pas de raison pour que cela
plonge notre âme dans les ténèbres, et je n'oserais pas même
affirmer que cela causera nécessairement de l'accablement. S'il en
était ainsi, l'apôtre n'aurait pas employé cette expression :
« S'il le faut (Notre traduction dit : « Vu que cela
est convenable ». (1Pierre 1 : 6) ). Car, alors, il serait
absolument indispensable de passer par là si on veut arriver à se
connaître, c'est-à-dire en réalité si on veut connaître l'amour
parfait de Dieu et être « rendus capables d'avoir part à
l'héritage des saints dans la lumière (Colossiens 1 : 12) ».
Mais il. n'en est rien. Au contraire, Dieu peut augmenter en nous
indéfiniment cette connaissance de nous-mêmes, et en même temps y
augmenter dans la même proportion la connaissance de lui-même et le
sentiment de son amour. Cela suffit pour qu'il n'y ait plus pour nous
de désert, de misère, d'abandon, pour que tout en nous soit amour,
paix et joie, jaillissant toujours plus jusqu'en vie éternelle.
IV
Et
maintenant, quel but le Seigneur se propose-t-il en permettant cet
accablement chez un si grand nombre de ses enfants ? Voici la
réponse nette et simple de l'apôtre à cette question : « Afin
que l'épreuve de votre foi, qui est beaucoup plus précieuse que
l'or périssable, et qui toutefois est éprouvé par le feu, vous
tourne à louange, à honneur et à gloire, lorsque Jésus-Christ
paraîtra (verset 7) ». Il peut y avoir une allusion à ce même
but dans le passage bien connu, qui toutefois, nous l'avons déjà
dit, se rapporte à un sujet tout à fait distinct : « Ne
trouvez point étrange, si vous êtes comme dans une fournaise, pour
être éprouvés, comme s'il vous arrivait quelque chose
d'extraordinaire ; mais réjouissez-vous de ce que vous avez
part aux souffrances du Christ, afin que, lorsque sa gloire se
manifestera, vous soyez aussi comblés de joie (1Pierre 4 : 1,13).
Ces
paroles nous apprennent que le but principal que Dieu se propose en
permettant les tentations qui causent de l'accablement chez ses
enfants, c'est d'éprouver leur foi, et cela l'éprouve comme le leu
éprouve l'or, Nous savons que, quand l'or est éprouvé par le feu,
il est ainsi purifié, dégagé de toute crasse. Eh bien, la même
chose arrive à notre foi quand elle passe par la fournaise de la
tentation ; plus elle est éprouvée, plus elle est purifiée,
et plus aussi elle se fortifie, elle s'affermit, elle s'augmente
puissamment, trouvant dans cette épreuve des marques nombreuses de
la sagesse, de la puissance, de l'amour et de la fidélité du
Seigneur. Accroître notre foi, telle est donc une des intentions de
Dieu lorsqu'il permet que nous soyons tentés de diverses manières.
Ces
afflictions servent aussi purifier, à affermir et à augmenter en
nous cette espérance vive, à laquelle « le Dieu et le Père
de notre Seigneur Jésus-Christ, dans sa grande miséricorde, nous a
fait renaître (1Pierre 1 : 3) ». D'ailleurs, l'espérance ne
peut manquer de grandir chez nous dans les mêmes proportions que la
foi. Voici, en effet, sur quelle base elle repose. Nous croyons au
nom de Jésus, nous vivons dans la foi au Fils de Dieu, et nous
espérons, nous attendons avec confiance la gloire qui doit être
révélée ; d'où il suit que tout ce qui sert à fortifier
notre foi doit servir aussi à augmenter notre espérance. Et du même
coup, cela augmentera notre joie, cette joie dans le Seigneur qui est
inséparable d'une espérance pleine d'immortalité. C'est dans cette
pensée que Saint-Pierre écrit plus loin à ces chrétiens :
« Réjouissez- vous de ce que vous avez part aux souffrances de
Christ » ; et qu'il ajoute : « Vous êtes
bien heureux ; car l'Esprit de gloire, qui est l'Esprit de Dieu,
repose sur vous » ; et par là vous pouvez, même au
sein de la souffrance, vous réjouir « d'une joie ineffable et
glorieuse ».
Les
chrétiens se réjouissent alors d'autant plus, que ces épreuves,
qui augmentent leur foi et leur espérance, accroissent aussi leur
amour, leur reconnaissance envers Dieu pour tous ses bienfaits, leur
bienveillance envers tous les hommes. Plus ils sentent la grandeur de
l'amour de Dieu leur Sauveur, plus aussi leur cœur s'embrase d'amour
pour celui qui les « a aimés le premier (1Jean 4 : 19) ».
Plus ils ont une assurance nette et ferme de la gloire qui doit être
manifestée, plus aussi ils aiment celui qui la leur a acquise et qui
leur « a donné les arrhes dans leurs cœurs (2Corinthiens 1 : 22)
». Ainsi, voilà encore un but, en vue duquel Dieu a permis
que ces tentations survinssent.
Un
autre but qu'il se propose, c'est de nous faire faire des progrès
dans la sainteté, tant celle du cœur que celle de la conduite ;
la seconde procède tout naturellement de la première ; car un
bon arbre produira de bons fruits. Or, toute sainteté intérieure
est le fruit immédiat de cette foi qui agit par l'amour. L'Esprit
divin se sert de ce moyen pour purifier le cœur de l'orgueil, de la
volonté charnelle, de la colère, de l'amour du monde, des désirs
insensés et funestes, des affections basses et vaines. De plus, il
est certain que, par l'action de la grâce de Dieu, les épreuves
sont sanctifiées pour notre bien et nous portent à la sainteté
d'une manière très directe. Grâce aux opérations de son Esprit,
elles humilient de plus en plus notre âme et la courbent devant le
Seigneur. Elles calment et adoucissent notre esprit remuant, elles
domptent la violence de notre naturel, elles assouplissent notre
volonté personnelle revêche, elles nous crucifient à l'égard du
monde, et enfin elles nous amènent à attendre de Dieu toute notre
force, a ne chercher notre bonheur qu'en Dieu.
Tous
ces effets concourent à l'accomplissement de ce but suprême, que
notre foi, notre espérance, notre amour et notre sainteté « nous
tournent à louange » de la part de Dieu lui-même, « à
honneur » devant les hommes et les anges, « et à
gloire » même ; car le Juge souverain décernera la
gloire à ceux qui auront persévéré jusqu'à la fin. Il
l'accordera, dans ce jour solennel, « à chacun selon ses
œuvres (Matthieu 16 : 27 etc.) ; » selon l'œuvre accomplie
par Dieu lui-même dans le cœur de chaque homme, les œuvres
visibles qu'il aura faites pour le Seigneur, et aussi selon ce qu'il
aura souffert. Ainsi, toutes ces épreuves sont pour nous un gain
indicible. Ainsi, de mille manières, « notre légère
affliction du temps présent produit en nous le poids éternel. d'une
gloire infiniment excellente (2Corinthiens 4 : 17) ».
Il
faut également tenir compte des bons effets produits sur ceux qui
nous verront endurer l'épreuve comme il faut. L'expérience nous
enseigne que l'exemple a plus d'influence que le précepte. Et quel
exemple pourrait exercer une influence plus puissante, non seulement
sur ceux qui ont reçu une foi du même prix, mais aussi sur ceux qui
ne connaissent pas le Seigneur, que l'exemple d'une attitude d'esprit
calme et sereine au milieu des tempêtes ; que la conduite d'un
chrétien qui est attristé, mais pourtant toujours joyeux ; qui
accepte avec douceur la volonté de Dieu quelle qu'elle soit, même
lorsqu'elle est le plus pénible pour la nature humaine, qui, dans la
maladie et dans la souffrance, peut, dire : « Ne boirai-je
pas la coupe que le Père m'a donnée à boire ? (Jean 18 :
11) » qui, dans le deuil ou les privations, peut s'écrier :
« L'Éternel l'avait donné ; l'Éternel l'a ôté ;
que le nom de l'Éternel soit béni (Job 1 : 21) »
Pour
terminer, tirons de ce qui précède quelques conclusions. Et
d'abord, quelle différence absolue entre l'obscurité spirituelle et
l'accablement de l'âme ! Et, cependant, ces deux états sont
généralement confondus, même par des chrétiens d'expérience.
L'obscurité spirituelle, le passage du désert, comme on l'a
surnommée, signifie une privation complète de cette joie que donne
le Saint-Esprit. Il n'en est pas ainsi dans l'accablement de l'âme ;
car, même alors, on peut se réjouir d'une joie ineffable. Ceux qui
sont dans les ténèbres ont perdu la paix de Dieu, ceux qui passent
par l'accablement la conservent, et même c'est à ce moment-là que
la paix et la grâce peuvent leur être multipliées. Chez les
premiers, l'amour de Dieu s'est refroidi, sinon tout à fait éteint ;
chez ceux-ci, il a gardé toute sa vigueur et même il grandit de
jour en jour. Chez les uns, la foi est sérieusement entamée, si
même elle n'est anéantie ; car leur conviction et leur
assurance des choses invisibles, et en particulier de l'amour de Dieu
et de son pardon, ne sont plus nettes et fermes comme auparavant, et
leur confiance dans le Seigneur est diminuée d'autant. Quant aux
autres, bien qu'ils ne voient pas Dieu, ils ont en lui une confiance
profonde et inébranlable ; ils possèdent une certitude
constante de cet amour qui efface tous leurs péchés. Ainsi donc,
tant que la foi et l'incrédulité, l'espérance et le désespoir, la
paix et la guerre, l'amour de Dieu et l'amour du monde resteront
choses distinctes, nous pouvons reconnaître infailliblement un état
d'obscurcissement d'avec un état d'accablement.
Une
leçon à apprendre ici, c'est qu'il peut être nécessaire que nous
passions par l'accablement, mais il ne peut pas l'être que nous
passions par les ténèbres. Il peut être bon que nous soyons
attristés pour un peu de temps en vue des résultats indiqués plus
haut, ou du moins dans ce sens que ces résultats découleront
naturellement de ces diverses afflictions qui auront servi à
éprouver et à augmenter notre foi, à affermir et à développer
nos espérances, à purifier notre cœur de tous les sentiments
contraires à la sainteté, à nous perfectionner dans l'amour enfin.
Et c'est de la même façon que, finalement, ces afflictions
contribueront à rendre notre couronne plus brillante, à accroître
pour nous le poids de la gloire éternelle. Mais nous ne pouvons pas
dire que les ténèbres soient utiles pour produire ces mêmes
effets. Car elles n'aboutissent à rien de pareil.
La
perte de notre foi, de notre espérance, de notre amour, ne tendent
ni à nous rendre plus saints, ni à nous préparer dans le ciel une
récompense plus éclatante, mais qui doit toujours être en rapport
avec le degré de sainteté atteint ici-bas.
De
ce que dit saint Pierre, nous pouvons aussi tirer cette conséquence
que l'accablement lui-même n'est pas toujours nécessaire.
« Maintenant » , « pour un peu de temps » ,
« vu que cela est convenable » , cela signifie bien que
ce n'est pas nécessaire pour tous ; et que ce n'est pas
invariablement nécessaire pour une même personne. Dieu peut (il est
assez grand et assez sage pour cela), accomplir, s'il le juge à
propos, cette œuvre dans une âme par toute sorte d'autres moyens.
Il v a des cas où il le fait : il y a des chrétiens qu'il
trouve bon de faire aller de force en force jusqu'à ce qu'ils aient
« achevé leur sanctification dans la crainte de Dieu (2Corinthiens 7 :
1) », sans presque avoir affaire à l'accablement spirituel.
C'est qu'il a un pouvoir absolu sur les âmes et en fait jouer tous
les ressorts comme il veut. Mais ces cas-là sont rares. En général,
Dieu trouve bon de faire passer par le creuset de l'affliction les
hommes qu'il agrée. Aussi, des tentations diverses et plus ou moins
d'accablement sont-ils habituellement la portion de ses enfants les
plus chers.
En
dernier lieu, tout cela nous rappelle qu'il faut veiller et prier,
qu'il faut faire tous nos efforts pour ne point tomber dans un état
ténébreux. Mais, quant à l'accablement, il ne s'agit pas tant d'y
échapper que de mettre à profit cette dispensation. Notre grande
préoccupation doit être de nous y comporter de telle sorte, d'y
suivre le Seigneur de si près que nous y réalisions pleinement les
intentions de son amour qui a permis que cela nous arrivât ; de
telle sorte, enfin, que cela serve à augmenter notre foi, à
affermir notre espérance, à nous rendre parfaits en toute sainteté.
Et dès que nous sentirons approcher cet accablement, pensons à ce
que Dieu a en vue en permettant que nous passions par cet état, et
efforçons-nous de ne frustrer en rien ses plans en notre faveur.
Soyons ouvriers avec lui de tout notre cœur par la grâce qu'il veut
nous accorder sans cesse, afin que nous puissions « nous
nettoyer de toute souillure de la chair et de l'esprit (2Corinthiens 7 :
1) ; » et grandir de jour en jour dans la grâce de notre
Seigneur Jésus-Christ, jusqu'au moment où il nous recevra dans son
royaume éternel !