jeudi 9 juin 2016

(6) LE SERMON SUR LA MONTAGNE, SIXIÈME DISCOURS WESLEY Matthieu 6:1-15

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Sermon 26 :   (1748)        LE SERMON SUR LA MONTAGNE, SIXIÈME DISCOURS Matthieu 6,1-15

1  Gardez-vous de pratiquer votre justice devant les hommes, pour en être vus; autrement, vous n’aurez point de récompense auprès de votre Père qui est dans les cieux.

2  Lors donc que tu fais l’aumône, ne sonne  pas de la trompette devant toi, comme font les hypocrites dans les synagogues et dans les rues, afin d’être glorifiés par les hommes. Je vous le dis en vérité, ils reçoivent leur récompense.
3  Mais quand tu fais l’aumône, que ta main gauche ne sache pas ce que fait ta droite,
4  afin que ton aumône se fasse en secret; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra.

5   Lorsque vous priez, ne soyez pas comme les hypocrites, qui aiment à prier debout dans les synagogues et aux coins des rues, pour être vus des hommes. Je vous le dis en vérité, ils reçoivent leur récompense.
6  Mais quand tu pries, entre dans ta chambre, ferme ta porte, et prie ton Père qui est là dans le lieu secret; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra.
7  En priant, ne multipliez  pas de vaines paroles, comme les païens, qui s’imaginent qu’ à force de paroles ils seront exaucés.
8  Ne leur ressemblez pas; car votre Père sait de quoi vous avez besoin, avant que vous le lui demandiez.  

9  Voici donc comment vous devez prier: Notre Père qui es aux cieux! Que ton nom soit sanctifié;
10  que ton règne vienne; que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel.
11  Donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien;
12  pardonne-nous nos offenses, comme nous aussi nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés;
13  ne nous induis pas en tentation, mais délivre-nous du malin. Car c’est à toi qu’appartiennent, dans tous les siècles, le règne, la puissance et la gloire. Amen!
14  Si vous pardonnez aux hommes leurs offenses, votre Père céleste vous pardonnera aussi;
15  mais si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre Père ne vous pardonnera pas non plus vos offenses.

                     Dans le chapitre qui précède Notre Seigneur a décrit, sous ses divers aspects, la religion du cœur. Il a mis devant nous ces dispositions d'âme qui constituent le vrai christianisme, cette sainteté intérieure ; « sans laquelle personne ne verra le Seigneur », ces affections qui, provenant de la foi en Christ, sont essentiellement bonnes et agréables à Dieu. Passant maintenant aux actions, il va nous montrer que toutes, et même les plus indifférentes, peuvent aussi être rendues saintes et bonnes, même aux yeux de Dieu, par une pure et sainte intention. Hors de là, tout ce qu'on peut faire est sans valeur, il le déclare à plusieurs reprises ; mais toute œuvre extérieure ainsi consacrée à Dieu est d'un grand prix devant lui.

                    Cette pureté d'intention, il en montre la nécessité d'abord pour les œuvres qu'on considère comme religieuses et qui le sont en effet lorsqu'elles procèdent d'une intention droite. Les unes sont appelées communément œuvres de piété, et les autres œuvres de charité ou de miséricorde. Entre celles-ci, il nomme particulièrement l'aumône ; pour celles-là la prière et le jeûne. Mais les directions qu'il donne sur ces deux chefs s'appliquent également à toute œuvre, soit de piété, soit de charité.

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Et d'abord, par rapport aux œuvres de charité :

                   « Prenez garde », dit-il, « de ne pas faire votre aumône devant les hommes, afin d'en être vus ; autrement vous n'en aurez point de récompense de votre Père qui est aux cieux ». — « De ne pas faire votre aumône  » ; — l'aumône seule est nommée, mais il faut sous-entendre toute œuvre de charité, tout don, toute parole, toute action profitable au prochain, d'où le prochain peut tirer quelque avantage pour son corps ou pour son âme : nourrir les affamés, vêtir ceux qui sont nus, recueillir ou aider les étrangers, visiter les prisonniers, les malades, consoler les affligés, instruire les ignorants, reprendre les pécheurs, exhorter et encourager les justes, toutes ces choses et les autres semblables sont comprises dans cette instruction.

                    « Prenez garde de ne pas faire votre aumône devant les hommes, afin d'en être vus ». Ce qui est ici défendu, ce n'est pas de faire le bien en présence des hommes, être vus d'eux n'est pas ce qui rend une œuvre meilleure ou plus mauvaise ; — mais c'est de faire le bien devant eux, afin d'en être vus, dans ce but, dans cette intention seule. Je dis seule, car ce pourrait être, à bon droit, une partie de notre intention ; telle action, dont nous désirons qu'elle soit vue, peut néanmoins être agréable à Dieu. Notre intention peut être que notre lumière luise devant les hommes, si notre conscience nous rend témoignage par le Saint-Esprit qu'en nous proposant de leur faire voir nos bonnes œuvres, notre but est « qu'ils glorifient notre Père qui est aux cieux ». Mais gardez-vous de faire la moindre chose en vue de votre propre gloire, gardez-vous de laisser à l'amour de la louange la moindre part dans vos œuvres de charité. Si vous cherchez votre gloire, si vous avez en vue l'honneur qui vient des hommes, tout ce que vous pouvez faire est sans valeur, ce n'est point fait pour Dieu, il ne l'accepte point ; vous n'en aurez pas de récompense de votre Père qui est aux cieux.

                   « Quand donc tu feras l'aumône, ne fais pas sonner la trompette devant toi, comme font les hypocrites, dans les synagogues et dans les rues, afin qu'ils en soient honorés des hommes ». Le mot synagogue, ne désigne pas ici un lieu de culte, mais tout endroit où la foule s'assemble, comme la place publique, le marché. C'était parmi les Juifs riches et surtout parmi les Pharisiens une chose ordinaire que de faire sonner la trompette devant eux, dans les lieux de la ville les plus fréquentés, quand ils voulaient faire de grandes aumônes. Le prétexte était de convoquer les pauvres pour les recevoir ; mais leur but réel était de s'attirer les louanges des hommes. Ne leur ressemblez pas. Ne faites pas sonner la trompette devant vous. Fuyez l'ostentation. Recherchez cet honneur qui ne vient que de Dieu. Ceux qui cherchent l'honneur des hommes, reçoivent leur récompense. Ils n'auront de Dieu aucune louange.

                    « Mais quand tu fais l'aumône, que ta main gauche ne sache pas ce que fait ta droite ». Expression proverbiale qui veut dire ; Fais le bien aussi secrètement qu'il sera compatible avec son accomplissement même, et avec son accomplissement le plus efficace, car il faut qu'il s'accomplisse, soit en secret, soit en public. Si vous êtes pleinement persuadé dans votre esprit qu'en ne cachant pas le bien que vous faites, d'autres pourront être encouragés, ou vous pourrez vous-même en faire d'autant plus, alors ne le cachez pas ; alors que votre lumière » paraisse et « éclaire tous ceux qui sont dans la maison ». Mais hormis ces cas où la gloire de Dieu et le bien des hommes demandent le contraire, agissez d'une façon aussi secrète et aussi privée que la chose pourra l'admettre, « afin que ton aumône se fasse en secret, et ton père qui te voit dans le secret te récompensera publiquement », peut-être déjà dans ce monde (il y en a des exemples dans tous les âges), mais infailliblement dans le monde à venir, devant la grande assemblée des hommes et des anges.  

II

  
                    Des œuvres de charité ou de miséricorde notre Seigneur passe à ce qu'on appelle œuvres de piété. « Quand tu prieras, ne fais pas comme les hypocrites ; car ils aiment à prier en se tenant debout dans les synagogues et au coin des rues, afin d'être vus des hommes. — « Ne sois pas comme les hypocrites ». L'hypocrisie, le manque de sincérité, voilà donc la première chose dont nous devons nous garder en priant. Ayez soin de ne rien dire contre votre pensée. Prier, c'est élever son âme à Dieu ; sans cela les plus pelles paroles ne sont qu'hypocrisie. Songe donc, quand tu veux prier, à n'avoir qu'un dessein, celui d'élever ton cœur à Dieu, de « répandre ton âme en sa présence  » ; et ne sois pas comme les hypocrites qui aiment à prier et qui ont l'habitude de le faire « en se tenant debout dans les synagogues, dans les lieux publics, aux coins des rues, parmi la foule, afin d'être vus des hommes  » ; c'est le seul dessein, le seul but de leurs prières. Je vous dis en vérité qu'ils reçoivent leur récompense, ils n'en doivent point attendre de votre Père qui est aux cieux.

                    Toutefois ce désir de la gloire humaine n'est pas le seul qui nous prive des récompenses de Dieu, et qui prive nos œuvres de sa bénédiction. La pureté d'intention n'est pas moins détruite par toute autre vue temporelle. Prononcer  des prières, assister au culte ou soulager les pauvres pour un gain ou un intérêt quelconque, ce n'est pas d'un fêtu plus estimable aux yeux de Dieu que de le faire par vaine gloire. Tout motif étranger à l'éternité, tout autre dessein que celui de glorifier Dieu ou de faire en son nom du bien aux hommes, fait de l'action la plus belle en apparence, une abomination devant Lui.

                     « Mais toi, quand tu pries, entre dans ton cabinet, et ayant fermé la porte, prie ton Père qui est dans ce lieu secret ». Il y a un temps pour glorifier Dieu publiquement, un temps où tu dois le prier, le louer « dans la grande assemblée ». Mais s'agit-il de lui exposer plus particulièrement tes besoins, « le soir, le matin, ou à midi », entre dans ton cabinet et fermes-en la porte. Choisis le lieu le plus retiré (seulement pas de négligence, sous prétexte que tu n'aurais ni cabinet ni lieu de retraite ; prie si tu le peux, sans témoins, mais si tu ne le peux, ne manque pas de prier) ; répands ainsi tout ton cœur devant ton Père qui est dans le secret, et ton Père, qui te voit dans le lieu secret, te le rendra publiquement.

                   Mais « quand vous priez » même en secret « n'usez point de vaines redites, comme font les païens  » ; de vaines redites, c'est-à-dire de beaucoup de paroles sans aucun sens, la vaine répétition des mêmes choses. Ne pensez pas que le succès de vos prières dépende de leur longueur, comme font les païens : « car ils croient qu'ils seront exaucés en parlant beaucoup ».

                    Deux choses sont ici condamnées : non pas proprement la longueur des prières, pas plus que leur brièveté, mais d'abord : la longueur insipide, parler beaucoup avec peu ou point de pensées ; l'usage, non pas de toute répétition (car le Seigneur lui-même pria trois fois répétant les mêmes paroles), mais de répétitions vaines comme celles des païens qui disent et redisent les noms de leurs dieux ; comme celles des papistes et des chrétiens de nom qui récitent toujours les mêmes prières sans avoir le sentiment de ce qu'ils expriment ; — en second lieu, croire être exaucé en parlant beaucoup, s'imaginer que Dieu mesure les prières à leur longueur, et qu'il prend surtout plaisir à celles qui contiennent le plus de mots et qui résonnent le plus longtemps à ses oreilles. Ce sont là des traits de superstition et de folie que tous ceux qui portent le nom de Christ devraient bien laisser aux païens, sur lesquels n'a jamais brillé la glorieuse lumière de l'Évangile.

                   « Ne leur ressemblez donc pas ». Vous qui avez goûté la grâce de Dieu en Jésus-Christ, vous êtes pleinement persuadés que « votre Père sait ce dont vous avez besoin avant que vous le lui demandiez  » ; et le but de vos prières n'est pas de l'en instruire, mais plutôt de vous instruire vous-mêmes, de fixer plus profondément dans vos cœurs le sentiment de vos besoins et de la dépendance où vous êtes sans cesse de Lui ; ce n'est pas de l'incliner, Lui qui est toujours plus prompt à donner que vous à demander, mais plutôt de vous incliner vous-mêmes à recevoir volontiers et avec empressement les grâces qu'il vous a préparées.
 III
                    Après avoir enseigné la vraie nature et le but de la prière, notre Seigneur joint l'exemple au précepte et nous donne ici surtout comme modèle (vous donc priez ainsi) cette forme divine de prière dont ailleurs (Luc 11 : 2), il commande aussi l'usage des propres termes.
Remarquons en général : 

                    1° que cette prière contient tout ce que nous pouvons raisonnablement ou innocemment demander. De toutes les choses que nous avons besoin de demander à Dieu ou que, nous pouvons lui demander sans l'offenser, il n'en est aucune qui n'y soit directement ou indirectement comprise ; 

             2° qu'elle contient tout ce que nous pouvons raisonnablement ou innocemment désirer : tout ce qui est pour la gloire de Dieu, tout ce qui peut être nécessaire ou utile, non seulement pour nous-mêmes, mais encore pour toute créature au ciel ou sur la terre. Et, dans le fait, nos prières sont la vraie pierre de touche de nos désirs. Ce qui ne peut avoir place dans nos désirs ne doit pas non plus avoir place dans nos prières. Remarquons, en troisième lieu, qu'elle contient tous nos devoirs envers Dieu et envers les hommes, exprimant ou impliquant nécessairement tout ce qui est pur et saint, tout ce que Dieu requiert des fils des hommes, tout ce qui est agréable à ses yeux, tout ce par quoi nous pouvons être utiles à notre prochain.

                 On peut y distinguer trois parties : l'introduction ou invocation, les demandes et la doxologie ou conclusion. L'invocation « Notre Père qui es aux cieux » pose le fondement de toute prière ; car elle renferme ce qu'il nous faut savoir de Dieu pour le prier avec assurance, et elles nous indique dans quelles dispositions nous devons approcher de Dieu pour que nos prières, comme notre vie, lui soient agréables.

                   « Notre Père ». S'il est père, il est bon pour ses enfants ; il  les aime. C'est là la première, la grande raison pour prier. Dieu a la volonté de bénir : réclamons sa bénédiction. « Père », c'est-à-dire Créateur : l'auteur de notre être, qui nous tira de la poudre de la terre, qui souffla en nous une respiration de vie, et nous fûmes faits âmes vivantes. Mais, puisqu'il nous a faits, prions, il ne refusera rien de bon à l'œuvre de ses mains. « Père », c'est-à-dire Conservateur : celui qui, jour par jour, soutient la vie qu'il a donnée, dont le constant amour nous donne à cette heure, comme à chaque moment, la vie, la respiration et toutes choses. Allons donc d'autant plus hardiment à Lui et « nous obtiendrons miséricorde, nous trouverons grâce et nous serons secourus dans le temps convenable ». « Père », surtout Père de notre Seigneur Jésus-Christ et de tous ceux qui croient en Lui ; « qui nous justifie gratuitement par sa grâce, par la rédemption qui est en Jésus », qui a « effacé tous nos péchés et guéri toutes nos infirmités », qui nous a reçus pour ses enfants par adoption et par grâce ; qui, parce que nous sommes enfants, a envoyé dans nos cœurs l'Esprit de son Fils, criant Abba, Père ; qui nous a régénérés par une semence incorruptible et fait de nouvelles créatures en Jésus-Christ. C'est pourquoi nous savons qu'il nous exauce toujours ; c'est pourquoi nous le prions sans cesse. Parce que nous aimons, nous prions, et nous l'aimons « parce qu'il nous a aimés le premier ».

                    « Notre Père  » ; non pas seulement mon Père à moi qui maintenant le prie, mais notre Père, dans le sens le plus  étendu : le Dieu et « Père des esprits » de toute chair, le Père des anges et des hommes (les païens mêmes le reconnaissaient pour tel), le Père de l'univers et de toutes les familles du ciel et de la terre.

                   Il n'y a donc chez lui « aucune acception de personnes ». Il aime tous ceux qu'il a faits ». Il est bon pour tous, et ses compassions s'étendent sur toutes ses œuvres ». Et son affection, « il la met en ceux qui le craignent et qui s'attendent à sa bonté », en ceux qui se confient en Lui par « le Fils de son amour », sachant qu'ils sont acceptés dans le Bien-Aimé ». Mais si Dieu nous a ainsi aimés, aimons-nous les uns les autres, aimons tous les hommes, car « Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique afin que quiconque croit en Lui ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle ».

                 « Qui es aux cieux  » ; haut et élevé. « Dieu sur toutes choses, béni éternellement », qui de la voûte des cieux où tu es assis, contemples toutes choses au ciel et sur la terre, dont l’œil embrasse toute la sphère des êtres créés et même de la nuit incréée, « à qui sont connues de toute éternité, d'éternité en éternité, toutes tes œuvres « et toutes les œuvres de toute créature, qui contrains les armées des cieux, aussi bien que les fils des hommes, à s'écrier pleins d'admiration et d'étonnement : ô profondeur ! « profondeur des richesses de la sagesse et de la science de Dieu ! » « Qui es aux cieux », toi le « Seigneur et le Maître », qui surveilles et gouvernes toutes choses, toi le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs, le seul et bienheureux Potentat, toi qui es ceint de force pour faire tout ce qu'il te plaît, le Tout-Puissant. « Aux cieux », dans les lieux les plus hauts. Le ciel est ton trône ; c'est là surtout que réside ta gloire, mais non pas là seulement, car tu remplis le ciel et la terre, toute l'étendue de l'espace. Les cieux et la terre sont pleins de ta gloire. Gloire soit à toi, ô Dieu très-haut ! « Servons donc l'Éternel avec crainte et réjouissons-nous avec tremblement ». Soit que nous parlions, pensions ou agissions, faisons-le toujours comme sous le regard et en la présence immédiate du Seigneur notre Roi.

                    « Ton nom soit sanctifié ». Voici la prière proprement dite ; et telle est la première des six demandes dont elle se compose. Le nom de Dieu, c'est Dieu lui-même, c'est sa nature en tant qu'elle peut être révélée à l'homme. Il embrasse donc, avec son existence, tous ses parfaits attributs : son éternité particulièrement signifiée par son nom incommunicable de Jéhovah ; c'est-à-dire, comme le traduit l'apôtre Jean, « l'alpha et l'oméga, le commencement et la fin, celui qui est, qui était et qui sera  » ; son existence absolue et indépendante, exprimée par cet autre grand nom : « Je suis celui qui suis ! » sa toute-présence, et sa toute-puissance, car il est le seul principe actif du monde matériel, inerte par lui-même, et la seule source de l'activité de toutes les créatures visibles ou invisibles qui n'agissent, et même n'existent que par l'impulsion incessante de sa toute-puissance. Ce nom comprend sa sagesse, clairement établie par l'ordre divin des choses visibles ; sa trinité dans l'unité, et son unité dans la trinité, révélées dès la première ligne de la Bible (au commencement, Barah Eloïm,  (Genèse 1 : 1) littéralement, Dieux créa, un verbe au singulier avec un sujet pluriel), et confirmées par toute la suite de ses communications aux prophètes et aux apôtres ; sa pureté, sa sainteté essentielles, et, par dessus tout, son amour qui est proprement la splendeur de sa gloire ».

                    Par ces mots « que ton nom soit sanctifié » ou glorifié, nous demandons que Dieu soit reconnu tel qu'il est par tous les êtres capables de le connaître et avec les sentiments qui conviennent à cette connaissance ; en d'autres termes, qu'il soit dûment honoré, craint, aimé de tous, dans les cieux en haut et ici-bas sur la terre, par l'universalité des anges et des hommes que, dans ce but, il a créés capables de le connaître et de l'aimer pour l'éternité.

                    « Ton règne vienne ». Cette seconde demande est intimement liée à la première. Pour que le nom de Dieu soit sanctifié, nous demandons que son règne vienne. Ce règne vient pour une âme lorsqu'elle se repent et croit à l'Évangile, et lorsque Dieu lui enseigne à se connaître elle-même, puis à connaître Christ et Christ crucifié. Comme la vie éternelle, « c'est de connaître Dieu et Jésus-Christ qu'il a envoyé », de même le royaume de Dieu est commencé sur la terre et établi dans le cœur du croyant, le Seigneur Dieu tout-puissant règne, alors qu'il est connu en Jésus-Christ. Il se revêt de son pouvoir vainqueur pour se soumettre toutes choses. Il entreprend et poursuit dans l'âme son œuvre de conquête jusqu'à ce qu'il ait « tout mis sous ses pieds et amené toute pensée captive à l'obéissance de Christ ». Quand donc il donnera à son Fils « pour son héritage les nations et pour sa possession les bouts de la terre », quand tous les royaumes s'inclineront devant lui et que tous les peuples le serviront, quand la montagne de la maison de l'Éternel, l'Église de Christ, sera établie par-dessus les montagnes, quand la plénitude des Gentils y sera entrée et que tout Israël sera sauvé, alors on verra que le Seigneur est Roi et qu'il s'est revêtu de magnificence, se montrant à toute âme d'homme comme Roi des rois et Seigneur des seigneurs. Il sied à ceux qui « aiment son avènement », de prier qu'Il hâte ce temps, afin que ce règne de grâce vienne promptement absorber tous les pouvoirs terrestres, et que tous les hommes le reçoivent pour roi, croient en son nom et soient ainsi remplis de justice, de joie et de paix de sainteté et de bonheur, jusqu'à ce que d'ici-bas ils soient transportés dans son royaume céleste pour y régner avec Lui aux siècles des siècles.

                    Car lorsque nous disons « que ton règne vienne », nous avons en vue cette dernière fin, nous demandons ce royaume éternel, ce règne glorieux des cieux, qui est la suite et l'accomplissement du règne de grâce sur la terre. Et par conséquent, cette demande aussi bien que la précédente est offerte pour toutes les créatures intelligentes, qui sont toutes intéressées à ce grand avènement, à ce renouvellement final où Dieu mettant fin à la misère, au péché, aux infirmités, à la mort, ramenant tout sous son sceptre, établira le royaume qui doit durer dans tous les siècles.

                   « Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel  » ; c'est ce qui arrivera nécessairement partout où viendra le règne de Dieu, où Dieu habitera dans l'âme par la foi, où Christ régnera dans le cœur par l'amour.

                    Plusieurs, je le crois, ne voient dans ces paroles qu'une expression de résignation ou que le désir de se soumettre à la volonté de Dieu, quelle qu'elle puisse être. Et c'est là sans doute une disposition excellente, un don très précieux de la grâce. Mais ce n'est pas de cette disposition qu'il s'agit ici, au moins directement. C'est pour une conformité active bien plus que passive à sa volonté, que nous prions, quand nous disons : « Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel ».

                  Comment est-elle faite, dans le ciel, par les anges dont les choeurs joyeux environnent son trône ? Ils la font de bon cœur. Ils aiment ses commandements et prennent plaisir à ses paroles. C'est leur nourriture, leur breuvage que de lui obéir ; c'est leur gloire et leur joie. lis la font continuellement ; il n'y a pas d'interruption dans leur libre service. De nuit comme de jour et à toute heure (pour parler un langage humain, car dans l'éternité il n'est proprement question ni de jour, ni de nuit, ni d'heures), ils sont occupés sans relâche à accomplir ses commandements, à exécuter ses desseins et ses conseils. Ils la font parfaitement. Le péché leur est étranger. Il est vrai que « les étoiles ne sont pas pures devant Lui », même les « étoiles du matin qui chantent de joie en sa présence  » ; devant Lui, c'est-à-dire comparés avec Lui, les anges mêmes ne sont pas purs. Mais ce n'est pas à dire qu'ils aient en eux-mêmes quelque impureté. Non, sans doute, Ils sont au contraire sans tâche, parfaitement dévoués à sa volonté et obéissants en toutes choses.

                   En d'autres termes, on peut dire que les anges de Dieu font sa volonté toute entière, qu'ils ne font rien d'autre, rien dont ils n'aient la pleine certitude que c'est sa volonté ; que de plus, ils font ce que Dieu veut, comme il le veut, de la manière qui lui plaît et non d'une autre, enfin qu'il font sa volonté seulement parce que c'est sa volonté, c'est là la seule raison qui les fait agir ; ils n'obéissent par aucun autre motif.

                   Ainsi donc, demander « que la volonté de Dieu soit faite sur la terre comme au ciel », c'est demander que tous les habitants de la terre, que tous les membres de la famille humaine fassent la volonté de leur Père céleste aussi volontairement, aussi continuellement, aussi parfaitement que les saints anges, et que « le Dieu de paix par le sang de l'alliance éternelle les rende accomplis en toutes sortes de bonnes œuvres, pour faire sa volonté » et qu'il fasse lui-même en eux tout « ce qui lui est agréable ».

                   Ou, en d'autres termes, c'est demander que nous et tous les hommes nous fassions toute la volonté de Dieu et rien de plus, que nous la fassions de la manière qu'il veut, et qu'enfin nous fassions cette volonté parce que c'est sa volonté, sans avoir d'autre raison, d'autre motif dans tout ce que nous pouvons faire, dire ou penser.

                    « Donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien ». Ce qui précède était pour tous les hommes ; maintenant nous prions pour nos propres besoins, sans que nous devions toutefois, même en ceci, prier exclusivement pour nous-mêmes, car cette demande et chacune des suivantes peut s'appliquer à tout le corps de Christ sur la terre.

                      Par « le pain » il faut comprendre tout ce qui est nécessaire tant pour nos âmes que pour nos corps. Nous ne l'entendons pas seulement du pain matériel, ou, comme dit le Seigneur, de « la nourriture qui périt », mais bien plus encore du pain spirituel qui est la grâce de Dieu, ou « la viande permanente en vie éternelle ». Plusieurs des anciens Pères voyaient encore ici le pain de la sainte Cène, auquel participait chaque jour toute l'Église de Christ, et qui jusqu'à ce que « l'amour de plusieurs se fût refroidi », fût considéré comme le grand canal par lequel son Esprit se communique à tous les enfants de Dieu.

                    « Notre pain quotidien ». Le mot grec que nous rendons par quotidien est diversement expliqué par les commentateurs : mais il paraît désigner ce qui est suffisant pour aujourd'hui et ainsi pour chaque jour successivement. C'est le sens le plus naturel et c'est ce qu'expriment les principales traductions.

                      « Donne-nous  » ; car c'est un don, une grâce et non un droit que nous réclamons. Nous ne méritons ni l'air qui nous fait vivre, ni la terre qui nous porte, ni le soleil, qui nous éclaire. Notre seul droit, nous l'avouons, c'est l'enfer. Mais Dieu nous aime d'un amour gratuit ; c'est pourquoi nous le prions de nous donner ce que nous sommes aussi incapables de produire que de mériter de sa main.

                    Non que la bonté de Dieu ou sa puissance soit pour nous un motif de rester oisifs. Il veut plutôt qu'en toutes choses nous usions d'autant d'activité et nous employions d'aussi grands efforts que si notre succès devait être l'effet naturel de notre sagesse et de notre force ; puis que nous attendions, comme n'ayant rien fait, toute bénédiction de « l'Auteur de tout don et de toute grâce excellente ».

                     « Aujourd'hui : » car nous n'avons pas à nous inquiéter du lendemain. C'est même dans ce but que notre Créateur tout sage a partagé le temps de notre vie en ces petites portions si distinctes, afin que chaque nouveau jour nous apparaisse comme le don nouveau d'une vie à consacrer à sa gloire et que chaque soirée soit pour nous comme une fin de vie au-delà de laquelle nous n'apercevions rien que l'éternité.

                    « Et pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés ». Le péché étant le seul obstacle qui empêche les bontés de Dieu de se répandre sur toute créature, nous demandons maintenant que cet obstacle soit ôté pour que nous puissions attendre de Lui avec confiance toutes sortes de biens.

                     « Nos offenses ». Le texte dit proprement nos dettes, et cette manière de désigner nos péchés est fréquente dans les Écritures, chaque péché étant pour nous comme une nouvelle dette envers Dieu, à qui nous devons déjà, pour ainsi dire, « dix mille talents ». Que pourrons-nous donc lui répondre ; s'il nous dit « Paie-moi ce que tu me dois ? » Nous avons tout dépensé, il ne nous reste rien, nous sommes tout-à-fait, insolvables. Si donc Il voulait nous traiter suivant la rigueur de sa loi et les exigences, de sa justice, il devrait commander « qu'on nous liât pieds et mains et qu'on nous livrât aux exécuteurs des tourments ».

                     Par le fait nous sommes déjà liés pieds et mains par les chaînes de nos péchés. Ce sont là, par rapport à nous-mêmes, des chaînes de fer, des entraves d'airain. Ce sont des blessures dont le monde, la chair et le diable nous ont tout meurtris et déchirés. Ce sont des maladies qui épuisent notre sang et nos forces et qui nous entraînent aux régions du sépulcre. Mais considérés comme ils le sont ici, par rapport à Dieu, ce sont des dettes immenses et sans nombre. Nous sommes insolvables. Ah ! crions donc à Lui pour qu'il nous quitte gratuitement le tout.

                  « Pardonne-nous ». L'expression du texte implique à la fois pardon et délivrance. Ces deux choses, en effet, sont dans une telle relation que si nous obtenons la première, la seconde suit d'elle-même ; si nos dettes nous sont quittées, les chaînes tombent de nos mains. Dès que par la grâce de Dieu en Christ nous recevons le pardon des péchés, nous recevons aussi une part avec ceux que sanctifie la foi en Lui. Le péché a perdu sa force. Il n'a « plus de domination sur ceux qui sont sous la grâce ». Puisqu'il « n'y a plus de condamnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ », ils sont affranchis du péché aussi bien que de la culpabilité. « La justice de la loi est accomplie en eux » et « ils ne marchent plus selon la chair, mais selon l'esprit ».

                     « Comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés ». Ici le Seigneur dit clairement à quelle condition et dans quel degré nous pouvons attendre le pardon de Dieu. Nos transgressions et péchés nous sont pardonnés si nous pardonnons, et comme nous pardonnons aux autres. Ce point est de la plus haute importance ; et notre Seigneur tient si fort à nous l'inculquer et à ce que nous ne le perdions jamais de vue, que, non content de l'avoir inséré dans la prière même, il le répète deux fois aussitôt après. « Si vous pardonnez aux hommes leurs offenses, votre Père céleste vous pardonnera aussi les vôtres ; mais si vous ne pardonnez pas aux hommes leurs offenses, votre Père ne vous pardonnera pas non plus les vôtres. (Mat 5 : 14,15) » Ou bien il vous pardonnera comme vous aurez pardonné. En sorte que s'il reste quelque malice ou quelque amertume, quelque levain d'aigreur ou de colère, si ce n'est pas du fond du cœur, clairement, pleinement, que nous pardonnons les fautes du prochain, nous restreignons d'autant le pardon des nôtres. Dieu ne peut nous pardonner pleinement, et lors même qu'il nous montre quelque degré de miséricorde, nous ne lui permettons pas « d'effacer tous nos péchés et de pardonner toutes nos iniquités ».

                    Mais s'il en est ainsi, que devient alors cette prière dans notre bouche quand nous l'offrons à Dieu sans pardonner du cœur à notre prochain ses offenses ? Ce n'est rien moins qu'un défi ouvert par lequel nous bravons ses plus terribles jugements. « Pardonne-nous comme nous pardonnons », c'est-à-dire, pour parler net : ne nous pardonne pas du tout ; ne nous fais point de grâce ! Nous désirons que tu te souviennes de nos péchés et que ta colère demeure sur nous ! Mais y pensez-vous, d'offrir à Dieu une telle prière ? Et il ne vous a pas encore jetés en enfer ! Oh ! ne le tentez pas plus longtemps ! Dés maintenant, dès cette heure, par sa grâce, pardonnez comme vous voulez qu'il vous pardonne ! Dès cette heure, aie pitié de ton compagnon de service comme Dieu a eu et veut avoir pitié de toi !

                      « Et ne nous induis point en tentation, mais délivre-nous du malin ». « Ne nous induis point en tentation ». Le mot grec traduit par tentation signifie proprement une épreuve. Tel est aussi quelquefois le sens du mot dans notre langue, quoique plus souvent il exprime la sollicitation au mal. Saint Jacques l'emploie dans les deux sens. Dans le premier, quand il dit : « Heureux l'homme qui endure la tentation, car quand il aura été éprouvé » et trouvé fidèle « il recevra la couronne de vie ». Mais il ajoute aussitôt dans le second : « Que personne ne dise, lorsqu'il est tenté, c'est Dieu qui me tente ; car, comme Dieu ne peut être tenté par aucun mal, aussi ne tente-t-il personne ; mais chacun est tenté quand il est attiré (ou entraîné loin de Dieu) et amorcé par sa propre convoitise », comme le poisson se laisse prendre par l'appât. C'est quand il est ainsi entraîné et amorcé qu'il entre proprement en tentation. C'est alors que la tentation le couvre comme une nuée et se répand sur toute son âme. Oh ! qu'il est difficile alors qu'il échappe ! C'est pourquoi nous supplions Dieu de ne pas « nous induire en tentation », c'est-à-dire, « puisqu'il ne tente personne », de ne pas souffrir que nous y soyons induits.

                     « Mais délivre-nous du malin », du méchant. C'est ainsi qu'est désigné, dans un sens particulier, le « Prince et le Dieu de ce monde », qui « agit avec puissance dans les enfants de rébellion ». Mais tous ceux qui, par la foi, sont enfants de Dieu, sont arrachés de ses mains. Il peut les attaquer et il le fera ; mais il ne saurait les vaincre, à moins qu'ils ne trahissent leurs propres âmes. Il peut les tourmenter pour un temps, mais non les détruire ; car ils ont Dieu pour eux qui ne manquera pas de « venger » à la fin « ses élus qui crient à Lui jour et nuit ». Seigneur ! quand nous sommes tentés, ne permets pas que nous entrions en tentation ! Fraie-nous toi-même une porte d'issue, de sorte que le malin ne nous touche point !

                    La conclusion de cette divine prière, communément appelée doxologie, est une action de grâces solennelle, une confession sommaire des attributs et des œuvres de Dieu, « car à Toi est le règne », la souveraineté sur toutes tes œuvres passées, présentes et futures ; car « ton royaume est un royaume éternel et ta domination est d'âge en âge « la puissance », la force par laquelle cette souveraineté s'exerce dans ton royaume éternel, par laquelle tu fais ce qu'il te plaît dans tous les lieux de ton empire ; « et la gloire », la louange que te doit toute créature pour ta puissance, pour la force de ton royaume et pour toutes les œuvres merveilleuses que tu opères depuis l'éternité et que tu opéreras toujours, « aux siècles des siècles ». Amen ! Ainsi soit-il ! 

 

mardi 7 juin 2016

(5) LE SERMON SUR LA MONTAGNE, CINQUIÈME DISCOURS WESLEY Matthieu 5 : 17-20

Numérisation Yves PETRAKIAN Copie autorisée pour diffusion gratuite uniquement Obligation d'indiquer la source http://456-bible.123-bible.com

 Sermon 25 : (1748)      LE SERMON SUR LA MONTAGNE, CINQUIÈME DISCOURS

Matthieu 5 : 17-20

17  Ne croyez pas que je sois venu pour abolir la loi ou les prophètes; je suis venu non pour abolir, mais pour accomplir.
18  Car, je vous le dis en vérité, tant que le ciel et la terre ne passeront point, il ne disparaîtra pas de la loi un seul iota ou un seul trait de lettre, jusqu’à ce que tout soit arrivé.
19  Celui donc qui supprimera l’un de ces plus petits commandements, et qui enseignera aux hommes à faire de même, sera appelé le plus petit dans le royaume des cieux; mais celui qui les observera, et qui enseignera à les observer, celui-là sera appelé grand dans le royaume des cieux.
20  Car, je vous le dis, si votre justice ne surpasse celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez point dans le royaume des cieux.
 

                   Parmi la multitude des reproches infligés à celui qui fut « le méprisé et le dernier des hommes », devait naturellement se trouver celui d'être un docteur de nouveautés, l'introducteur d'une nouvelle religion. Ce reproche pouvait sembler d'autant plus légitime que plusieurs des expressions qu'employait Jésus n'étaient pas communes parmi les Juifs, soit qu'ils n'en fissent point usage, soit qu'ils ne s'en servissent pas dans le même sens ou avec une signification aussi complète et aussi forte.

              Ajoutez à cela que le culte de Dieu « en esprit et en vérité », doit nécessairement toujours sembler une religion nouvelle à ceux qui n'ont connu jusque-là rien de plus que le culte extérieur, que « l'apparence de la piété ».

                  Peut-être bien aussi, quelques-uns pouvaient-ils espérer que Jésus venait abolir l'ancienne religion et en introduire une autre qui serait, s'en flattaient-ils peut-être, une voie plus aisée pour parvenir au ciel. Mais notre Seigneur réfute dans les paroles de notre texte, à la fois les vaines espérances des uns et les calomnies sans fondement des autres.

                  Je considérerai ces paroles dans l'ordre même où elles nous sont données, prenant successivement chaque verset pour sujet distinct de mon discours.


I

                    Et d'abord, « ne pensez pas que je sois venu pour abolir la loi ou les prophètes : je suis venu non pour les abolir, mais pour les accomplir ».

                    Quant à la loi rituelle ou cérémonielle, donnée par Moïse aux enfants d'Israël, renfermant toutes les injonctions et les ordonnances relatives aux anciens sacrifices et au service du temple, notre Seigneur est venu bien réellement pour la détruire, l'annuler et l'abolir entièrement. C'est ce que témoignent tous les apôtres ; non seulement Barnabas et Paul, qui résistèrent en face à ceux qui enseignaient que les chrétiens « devaient garder la loi de Moïse  » ; non seulement Pierre, qui déclare qu'insister sur l'observation de la foi rituelle « c'est tenter Dieu », et « imposer aux disciples un joug que ni nos pères », dit-il, « ni nous-mêmes n'avons pu porter  » ; — mais tous « les apôtres, les anciens et les frères », « assemblés d'un commun accord », ont déclaré « qu'ordonner de garder la loi de Moïse », c'est « ébranler les âmes », et « qu'il a semblé bon au Saint-Esprit » et à eux de ne leur point imposer une telle charge. « Cette obligation, qui était contre nous, laquelle consistait dans les ordonnances », notre Seigneur « l'a effacée, et il l'a entièrement annulée, en l'attachant à la croix ».

Mais la loi morale, contenue dans les dix commandements et confirmée par les prophètes, notre Seigneur ne l'a point annulée. Sa venue n'avait point pour but d'en révoquer aucune partie. C'est une loi qui ne peut jamais être anéantie, et qui est aussi durable que le fidèle témoin qui est dans le ciel. La loi morale repose sur un tout autre fondement que la loi cérémonielle, qui n'était destinée qu'à servir de joug temporaire sur un peuple rebelle et de col roide, tandis que la première date du commencement du monde, étant « écrite non sur des tables de pierre », mais dans le cœur de tous les enfants des hommes, lorsqu'ils sont sortis des mains de leur Créateur. Et quoique les caractères, tracés jadis par le doigt de Dieu, soient maintenant en grande partie effacés par le péché, encore ne peuvent-ils avoir complètement disparu, aussi longtemps que nous avons quelque conscience du bien et du mal. Chacune des parties de cette loi doit rester en vigueur pour toute l'humanité dans tous les âges, vu qu'elle ne dépend ni des temps, ni des lieux, ni d'aucune autre circonstance sujette au changement, mais uniquement de la nature de Dieu et de la nature de l'homme et de leurs inaltérables rapports l'un avec l'autre.

« Je ne suis point venu pour abolir cette loi, mais pour l'accomplir ». Quelques-uns ont compris que notre Seigneur voulait dire par là : Je suis venu pour l'accomplir, par mon obéissance entière et parfaite ; et l'on ne peut douter que, dans ce sens, il n'en ait accompli chaque partie. Mais ce sens ne paraît pas être dans l'intention de notre Sauveur, parce qu'il est étranger au dessein de son discours actuel. Indubitablement, le sens de ses paroles est ici, en tenant compte de tout ce qui précède et de tout ce qui suit : Je suis venu pour établir la loi dans sa plénitude, en dépit de tous les commentaires des hommes ; je suis venu pour placer dans un jour clair et complet, tout ce qui était auparavant obscur ; je suis venu pour déclarer le sens complet et vrai de chacune de ses parties, pour montrer la longueur et la largeur, — l'entière étendue de chaque commandement qu'elle renferme, — et la hauteur et la profondeur, — la pureté et la spiritualité inconcevables de cette loi dans toutes ses branches.

C'est là ce que notre Seigneur a abondamment accompli dans les parties qui précèdent et qui suivent du discours qui est devant nos yeux ; ce n'est point une religion nouvelle qu'il vient par là introduire dans le monde, c'est la même qui existait dès le commencement, une religion dont la substance est incontestablement aussi ancienne que la création, née avec l'homme et procédée de Dieu au moment même où « l'homme fut fait en âme vivante » (je dis la substance, car quelques circonstances de cette religion se rapportent maintenant à l'homme en tant que créature déchue) ; — une religion à laquelle rendent témoignage la loi et les prophètes, dans toutes les générations successives. Mais elle ne fut jamais aussi complètement expliquée, ni aussi parfaitement comprise, jusqu'à ce que son grand Auteur condescendît à donner lui-même à l'humanité ce commentaire authentique de toutes ses branches essentielles, déclarant en même temps qu'elle ne serait jamais changée, mais qu'elle demeurerait en vigueur jusqu'à la fin du monde.

Il

                     « Car je vous dis en vérité », — avertissement solennel qui dénote à la fois l'importance et la certitude de la déclaration, - « que,jusqu'à ce que le ciel et la terre passent, il ne passera pas un seul iota ni un seul trait de lettre de la loi, jusqu'à ce que toutes choses soient accomplies ».

                    Pas « un seul iota », pas la moindre voyelle, « ni un seul trait de lettre », un seul point ou accent sur une consonne. C'est une expression proverbiale pour signifier qu'aucun des commandements de la loi morale ne devait jamais être annulé, ni même la moindre partie d'aucun commandement, quelque peu considérable qu'elle pût paraître.

                   « Il ne passera » rien « de la loi ». Le texte original renferme une double négation qui renforce le sens et exclut toute contradiction ; et le mot grec n'est pas seulement un futur, indiquant ce qui arrivera, mais il a aussi la force d'un impératif, ordonnant ce qui doit être. C'est une parole d'autorité exprimant la volonté souveraine et la puissance de Celui qui parle, de Celui dont la parole est la loi du ciel et de la terre, qui demeure ferme à toujours et à perpétuité.

                   « Il ne passera pas un seul iota ni un seul trait de lettre de la loi, jusqu'à ce que le ciel et la terre passent », ou, comme il est dit immédiatement après, « jusqu'à ce que toutes choses soient accomplies », jusqu'à la consommation de toutes choses. Il n'y a donc aucune place ici pour cette pauvre évasion dont quelques-uns se sont grandement flattés, savoir qu'aucune partie de la loi ne passera jusqu'à ce que toute la loi soit accomplie ; or, la loi a été accomplie par Christ ; elle doit donc passer maintenant pour faire place à l'établissement de l'évangile ». Mais il n'en est point ainsi ; l'expression toutes choses ne signifie pas toute la loi, mais bien toutes choses dans l'univers, et le mot accomplies ne se rapporte point à la loi, mais à tout ce qui existe dans le ciel et sur la terre.

                    De tout cela, nous pouvons apprendre qu'il n'y a aucune opposition entre l'évangile et la loi, et qu'il n'est pas besoin que la loi disparaisse pour faire place à l'évangile. Aucun des deux ne doit céder à l'autre, mais ils s'accordent parfaitement ensemble. Les mêmes paroles, suivant le point de vue où on les considère, font partie à la fois de la loi et de l'évangile ; de la loi, si on les regarde comme des commandements ; de l'évangile, si on les regarde comme des promesses. Ainsi, ce passage : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur », si on le considère comme un commandement, appartient à la loi ; si on le considère comme une promesse, il forme une partie essentielle de l'évangile, l'évangile n'étant autre chose que les commandements de la loi, proposés sous forme de promesses. Ainsi donc la pauvreté d'esprit, la pureté de cœur, et tout ce qui est prescrit par la sainte loi de Dieu, ne sont, quand on les regarde à la lumière de l'évangile, qu'autant de grandes et précieuses promesses.

                    Il y a donc la plus intime liaison qu'on puisse imaginer entre la loi et l'évangile. D'un côté, la loi prépare continuellement le chemin à l'évangile et nous y conduit ; de l'autre, l'évangile nous ramène à une observation toujours plus complète de la loi. La loi, par exemple, nous commande d'aimer Dieu, d'aimer notre prochain, d'être doux, humbles et saints ; nous sentons que nous ne sommes pas suffisants pour ces choses, et même que « quant à l'homme, cela est impossible ». Mais nous voyons la promesse de Dieu de nous donner cet amour et de nous rendre humbles, doux et saints ; nous saisissons cet évangile, cette bonne nouvelle, et il nous est fait selon notre foi, « la justice de la loi est accomplie en nous » par la foi en Jésus-Christ.

                    Nous pouvons même observer, de plus, que tout commandement dans la sainte Écriture n'est qu'une promesse couverte. Car, par cette solennelle déclaration « Voici l'alliance que je traiterai avec eux dans ces jours-là, dit le Seigneur ; je mettrai mes lois dans leur esprit et je les graverai dans leur cœur  » ; Dieu s'est engagé à nous donner lui-même tout ce qu'il nous commande. Dès lors, nous commande-t-il de « prier sans cesse », d'être « toujours joyeux », d'être « saints comme il est saint ? » Cela suffit ; il produira en nous cela même qu'il demande : il nous sera fait suivant sa parole.

                    Mais, s'il en est ainsi, nous ne pouvons être embarrassés sur ce qu'il faut penser de ceux qui, dans tous les âges de l'église, ont entrepris de modifier ou d'abroger quelque commandement de Dieu, par une prétendue direction spéciale de son Esprit. Christ nous donne ici une règle infaillible pour juger de pareilles prétentions. Le christianisme renfermant toute la loi morale de Dieu, soit comme commandements ; soit comme promesses ; le christianisme, si nous voulons écouter le Seigneur lui-même, est dans le dessein de Dieu, la dernière de toutes ses dispensations. Aucune autre dispensation ne doit lui succéder ; il doit durer jusqu'à la consommation de toutes choses. Par conséquent, toute nouvelle révélation est de Satan et non point de Dieu, et toute prétention à une autre dispensation plus parfaite, tombe naturellement à terre. « Le ciel et la terre passeront », mais cette parole « ne passera point ».

III

                    « Celui donc qui aura violé l'un de ces plus petits commandements et qui aura ainsi enseigné les hommes, sera estimé le plus petit dans le royaume des cieux ; mais celui qui les aura observés et enseignés, celui-là sera estimé grand dans le royaume des cieux ».

                 Qui sont-ils donc, ceux qui condamnent la prédication de la loi ? Ne voient-ils donc point sur qui retombe en définitive le reproche qu'ils nous font ? Quiconque nous méprise sous ce prétexte, méprise celui qui nous a envoyés ; car personne a-t-il jamais prêché la loi comme Jésus, alors même qu'il est venu, non pour condamner le monde, mais pour le sauver ; qu'il est venu tout exprès pour « mettre en évidence la vie et l'immortalité par l'évangile ? » Peut-on prêcher la loi plus expressément et plus rigoureusement que ne le fait Christ dans ces paroles ? Et qui osera les altérer ? Où est celui qui apprendra à prêcher au Fils de Dieu ? Qui lui enseignera une meilleure manière de communiquer le message qu'il a reçu de son Père ?

                    « Celui donc qui aura violé l'un de ces plus petits commandements », ou l'un des plus petits de ces commandements. — « Ces commandements », c'est là une expression que notre Seigneur emploie comme équivalente à la loi ou la loi et les prophètes, ce qui est exactement la même chose, vu que les prophètes n'ont rien ajouté à la loi, mais n'ont fait que la répéter, l'expliquer ou l'enjoindre, suivant qu'ils y étaient poussés par le Saint-Esprit ».

                    « Celui donc qui aura violé l'un de ces plus petits commandements », surtout si cette violation a lieu volontairement ou avec présomption : l'un, un seul, car « quiconque aura observé toute la loi, s'il vient à pécher » de cette manière « dans un seul commandement, il est coupable comme s'il les avait tous violés », la colère de Dieu demeure sur lui, aussi certainement que s'il avait violé chacun de ces commandements. Ainsi point de tolérance pour aucune convoitise dominante, point de réserve pour aucune idole, point d'excuses pour celui qui s'abstient de tout autre péché, à l'exception d'un seul péché qu'il caresse au fond de son cœur. Ce que Dieu demande, c'est une obéissance entière et complète ; nous devons tenir nos regards fixés sur tous ses commandements ; sans cela nous perdons toute la peine que nous prenons à en observer quelques-uns, et nous perdons nos pauvres âmes pour l'éternité.

                    « L'un de ces plus petits commandements » ou l'un des plus petits de ces commandements. — Encore une autre excuse retranchée, par laquelle plusieurs, s'ils ne peuvent tromper Dieu, trompent misérablement leurs propres âmes. « Ce péché, dit le pécheur, n'est-il pas petit ? Le Seigneur ne m'épargnera-t-il point par rapport à cette seule chose ? Certainement il ne sera point assez rigoureux pour y prendre garde, puisque je ne viole point les articles les plus importants de la loi ». — Vain espoir ! A parler suivant la manière des hommes, nous pouvons bien appeler certains commandements grands et d'autres petits, mais en réalité il n'en est point ainsi ; il n'existe point de petit péché, tout péché étant une transgression de la loi sainte et parfaite, et une insulte à la majesté du grand Roi des cieux.

                   « Et qui aura ainsi enseigné les hommes ». Dans un certain sens, on peut dire que quiconque transgresse ouvertement quelque commandement, apprend aux autres par là à faire la même chose ; car l'exemple parle, et souvent beaucoup plus haut que le précepte. Sous ce point de vue, il est évident que tout ivrogne enseigne l'ivrognerie ; tout violateur du sabbat enseigne constamment à son prochain à profaner de même le jour du Seigneur. Mais ce n'est pas tout. Celui qui a l'habitude de violer la loi se contente rarement d'en rester là, il excite ordinairement les autres à l'imiter, par ses paroles aussi bien que par son exemple, spécialement quand il raidit son cou et hait d'être repris. Un tel pécheur devient bientôt un avocat du péché, il défend ce qu'il est résolu à ne point abandonner, il excuse le péché auquel il ne veut pas renoncer, et enseigne ainsi directement chaque péché qu'il commet.

                  Celui-là « sera estimé le plus petit dans le royaume des cieux », c'est-à-dire, il n'y aura aucune part. Il est étranger au royaume des cieux qui est sur la terre, il n'a aucune portion dans cet héritage ; aucune part à « la justice, à la paix et à la joie par le Saint-Esprit ». Il ne peut donc, par conséquent, avoir non plus aucune part à la gloire qui doit être révélée un jour.

                    Mais si ceux qui violent ainsi « l'un de ces plus petits commandements », et enseignent aux autres à le faire pareillement ; si ceux-là seront « estimés les plus petits dans le royaume des cieux », n'auront aucune part dans le royaume de Dieu et de Christ ; s'ils seront jetés dans les ténèbres de dehors, où il y aura des pleurs et des grincements de dents ; que deviendraient donc ceux que notre Seigneur a principalement en vue dans ces paroles ; — ceux qui, portant le caractère de docteurs envoyés de Dieu, violent cependant eux-mêmes ses commandements, et enseignent ouvertement aux autres à en faire autant, étant à la fois corrompus dans leur vie et dans leur doctrine ?

                  Il y en a de plusieurs sortes. Les premiers sont ceux qui vivent dans quelque péché volontaire et habituel. Or si un pécheur ordinaire prêche par son exemple, combien plus un ministre pécheur, quand même il n'essaie point de défendre, d'excuser ou d'atténuer son péché ! S'il le fait, il est un véritable meurtrier, le meurtrier de tout son troupeau ; il peuple les régions de la mort ; il est l'instrument de choix du prince des ténèbres. Quand il quitte ce monde, « le sépulcre profond s'émeut, pour aller au-devant de lui à sa venue  » ; car il ne peut tomber dans l'abîme sans entraîner avec lui toute une multitude dans la perdition.

                   Ensuite viennent ces hommes d'un bon naturel, qui vivent à leur aise sans faire de mal à personne, ne faisant cas ni du péché extérieur, ni de la sainteté intérieure ; hommes qui ne se font remarquer ni d'une manière, ni de l'autre, ni pour la religion, ni pour l'irréligion ; réguliers dans leur conduite publique et privée, mais ne prétendant pas se montrer plus stricts que leurs voisins. Un ministre de cette espèce viole non seulement un ou plusieurs des plus petits commandements de Dieu, mais il viole toutes les grandes et importantes prescriptions de la religion qui se rapportent à la force de la piété, toutes celles qui nous ordonnent de « nous conduire avec crainte durant le temps de notre séjour sur la terre », de « travailler à notre salut avec crainte et tremblement », d'avoir « nos reins ceints et nos lampes allumées », de « nous efforcer d'entrer par la porte étroite ». Et il enseigne aux autres à faire de même, par toute la forme de sa vie, et par l'esprit général de ses prédications, dont la tendance uniforme est de bercer dans leur rêve agréable ceux qui s'imaginent être chrétiens et ne le sont pas, et de persuader à tous ceux qui suivent son ministère, qu'ils peuvent dormir et se reposer tranquillement. Après cela, faudra-t-il s'étonner si lui-même et tous ceux qui le suivent, se réveillent ensemble un jour dans les flammes éternelles ?

                    Mais, par-dessus tous et au rang le plus élevé de ces ennemis de l'évangile de Christ, sont ceux qui ouvertement et explicitement « jugent la loi » elle-même et « médisent de la loi », qui enseignent aux hommes à violer, non pas un seul des plus petits ou des plus grands commandements, mais tous les commandements d'un seul coup ; qui disent sans aucun déguisement, en tout autant de mots : « Qu'est-ce que notre Seigneur a fait de la loi ? Il l'a abolie ; il n'existe plus qu'un seul devoir, celui de croire. Tous les autres commandements ne conviennent plus à notre temps. Aucun ordre de la loi n'oblige plus personne maintenant à faire un seul pas, à donner un seul sou, à manger ou à se refuser un seul morceau ». C'est là, sans doute, mener les choses rondement ; c'est là résister en face au Seigneur et lui dire qu'il n'a pas compris la manière de remplir la mission pour laquelle il a été envoyé. O Seigneur, ne leur impute point ce péché ! Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu'ils font !

                     Ce qu'il y a de plus surprenant dans cette étrange illusion, c'est que ceux qui s'y abandonnent, croient réellement honorer Christ en renversant sa loi, et magnifier son office, pendant qu'ils anéantissent sa doctrine ! Oui, ils l'honorent tout juste comme le faisait Judas quand « il lui dit : Maître, je te salue, et il le baisa ». Et Il peut bien justement dire aussi à chacun d'eux : « Trahis-tu ainsi le Fils de l'homme par un baiser ? » C'est certainement le trahir avec un baiser, que de parler de son sang et de lui arracher sa couronne, de mépriser une partie de sa loi, sous prétexte d'agrandir son évangile. Et personne ne peut échapper à cette accusation, lorsqu'il prêche la foi d'une manière qui tend directement nu indirectement à faire négliger quelque partie de l'obéissance ; lorsqu'il prêche Christ de manière à annuler ou à affaiblir en quoi que ce soit le moindre des commandements de Dieu.

                   Il est impossible, sans doute, d'avoir une trop haute estime pour « la foi des élus de Dieu  » ; et nous devons tous prêcher : « vous êtes sauvés par la grâce, par la foi ; ce n'est point par les œuvres, afin que personne ne se glorifie ». Nous devons proclamer hautement à tout pécheur qui se repent : « Crois au Seigneur Jésus, et tu seras sauvé ». Mais, en même temps, nous devons prendre soin de faire savoir à tous les hommes que nous n'apprécions aucune foi, si ce n'est celle qui est agissante par la charité, et que nous ne sommes sauvés par la foi, qu'autant que nous sommes délivrés de la puissance aussi bien que de la condamnation du péché. Et quand nous disons : « Crois et tu seras sauvé  » ; nous ne voulons pas dire : « Crois et tu ne feras qu'un pas du péché dans le ciel, sans aucune sainteté entre les deux, la foi remplaçant la sainteté », mais nous voulons dire : « Crois et tu seras saint ; crois au Seigneur Jésus et tu recevras à la fois la paix et le pouvoir de faire le bien ; tu recevras de Celui en qui tu crois la force nécessaire pour mettre le péché sous tes pieds ; la faculté d'aimer le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur et de le servir de toute ta force. Tu obtiendras la puissance de « chercher la gloire, l'honneur et l'immortalité, en persévérant dans les bonnes œuvres  » ; tu pourras alors à la fois pratiquer et enseigner tous les commandements de Dieu, depuis le plus petit jusqu'au plus grand. Tu les enseigneras par ta vie aussi bien que par tes paroles, et ainsi tu « seras estimé grand dans le royaume des cieux ».

IV

                    Quelque autre voie que l'on puisse enseigner pour conduire au royaume du ciel, à la gloire, à l'honneur et à l'immortalité, qu'on l'appelle la voie de la foi on qu'on la désigne par tout autre nom, ce n'est en réalité que la voie de la destruction ; elle ne peut procurer la paix à l'homme à la fin. Car, ainsi dit l’Éternel : « Je vous dis que si votre justice ne surpasse celle des Scribes et des Pharisiens, vous n'entrerez point dans le royaume des cieux ».

                    Les Scribes dont il est si souvent question dans le Nouveau Testament, comme étant au nombre des ennemis les plus constants et les plus véhéments de notre Seigneur, n'étaient pas simplement des secrétaires ou des écrivains, comme leur nom pourrait le faire croire. Ce n'étaient pas non plus des hommes de loi, dans le sens ordinaire de ce mot, quoique le mot ait cette signification ; leur emploi n'avait aucun rapport avec celui des hommes de foi parmi nous. C'était des lois de Dieu qu'ils s'occupaient et non de celles des hommes. Ces lois étaient l'objet de leurs études ; leur affaire propre et spéciale, c'était de lire et d'expliquer la loi et tes prophètes, particulièrement dans les synagogues. Ils étaient les prédicateurs ordinaires et établis parmi les Juifs ; en sorte qu'en nous attachant au vrai sens de leur nom, nous pourrions les appeler des théologiens. C'étaient en effet des gens qui faisaient de l'étude de la théologie leur profession, et c'était généralement, comme leur nom l'indique littéralement, des hommes de lettres, les hommes les plus marquants pour l'instruction, qui fussent alors dans la nation juive.

                    Les Pharisiens étaient une secte ou société très ancienne parmi les Juifs ; leur nom vient d'un mot hébreu qui signifie se séparer. Non qu'ils eussent fait aucune séparation formelle, ni aucune division dans l'église nationale ; ils ne se distinguaient des autres que par une vie plus stricte, une conduite plus réglée. Ils étaient très zélés pour la loi dans ses plus petits détails, payant la dîme de la menthe, de l'anet et du cumin ; aussi étaient-ils tenus en grand honneur parmi tout le peuple et considérés généralement comme les plus saints des hommes.

                  La plupart des Scribes appartenaient à la secte des Pharisiens. Ainsi saint Paul lui-même, qui avait été élevé pour être Scribe, d'abord à l'université de Tarse et ensuite à Jérusalem, aux pieds de Gamaliel (l'un des plus savants Scribes ou Docteurs de la loi, qu'il y eût alors dans la nation juive), se déclare lui-même devant le conseil « Pharisien, fils de pharisien (Actes 23 : 6) », et devant le roi Agrippa, il dit qu'il a « vécu Pharisien, selon cette secte, qui est la plus exacte de notre religion (Act 26 : 5)  ». Le corps entier des Scribes pensait et agissait généralement de concert avec les Pharisiens. De là vient que notre Seigneur les place si souvent ensemble, comme sujets sous beaucoup de rapports, aux mêmes observations de sa part. Dans cet endroit ils semblent réunis, comme étant les plus éminents parmi ceux qui faisaient profession de religion, passant les uns pour les plus savants, les autres pour les plus saints des hommes.

                    Quelle était réellement « la justice des Scribes et des Pharisiens ? » C'est ce qu'il n'est point difficile de déterminer. Notre Seigneur nous en a conservé un tableau authentique, donné de lui-même par l'un d'entre eux, qui est clair et complet, dans la description qu'il nous fait de sa propre justice, et l'on ne peut supposer qu'il ait rien oublié. Ce Pharisien « monta au temple pour prier », mais il fut tellement absorbé dans la contemplation de ses propres vertus, qu'il oublia l'intention même dans laquelle il était venu. Car il est très remarquable que, à proprement parler, il ne prie point du tout ; il dit seulement à Dieu, combien il est sage et bon : « O Dieu, je te rends grâces de ce que je ne suis point comme le reste des hommes, qui sont ravisseurs, injustes, adultères ; ni même aussi comme ce péager. Je jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de tout ce que je possède ». Sa justice consistait donc en trois points principaux : premièrement, dit-il, « je ne suis point comme le reste des hommes », je ne suis ni ravisseur, ni injuste, ni adultère ; je ne suis pas même comme ce péager. Secondement, « je jeûne deux fois la semaine  » ; en troisième lieu, « je donne la dîme de tout ce que je possède ».

                    « Je ne suis point comme le reste des Hommes ». Ce n'est point certes là une petite chose, tout le monde ne peut pas en dire autant. C'est comme s'il disait : Je ne me laisse point entraîner par le grand torrent de la coutume. Ce n'est point sur la coutume, mais sur la raison que je règle ma vie ; non sur les exemples des hommes, mais sur la Parole de Dieu. Je ne suis point adultère, injuste ou ravisseur, quelque communs que soient ces péchés, même parmi ceux qui s'appellent le peuple de Dieu (l'injustice, par exemple, cette espèce d'injustice légale, qui échappe aux punitions de la loi humaine, et qui consiste à profiter de l'ignorance ou de la nécessité des autres, ayant envahi tout le pays) ; je ne suis pas même comme ce péager, n'étant point coupable d'aucun péché scandaleux ; je ne suis point extérieurement pécheur, mais un homme honnête et estimable, irréprochable dans ma vie et ma conduite.

                    « Je jeûne deux fois la semaine ». Cette déclaration comprend beaucoup plus de choses que nous ne pourrions le penser d'abord. Tous les Pharisiens rigides observaient les jeûnes hebdomadaires, savoir : chaque lundi et chaque jeudi. Le premier de ces jours, ils jeûnaient en mémoire du jour où Moïse avait reçu, suivant leur tradition, les deux tables de pierre écrites par le doigt de Dieu ; le second, en mémoire du jour où il les jeta par terre, en voyant le peuple danser autour du veau d'or. Dans ces jours-là, ils ne prenaient absolument aucune nourriture jusqu'à trois heures de l'après midi, heure à laquelle on commençait à offrir le sacrifice du soir dans le temple. Jusqu'à cette heure, ils avaient l'habitude de demeurer dans le temple, dans quelqu'une de ses chambres ou de ses cours, afin d'être prêts à assister à tous les sacrifices et à se joindre à toutes les prières. Le temps intermédiaire était employé par eux, soit à des prières particulières, soit à la lecture de la loi et des Prophètes, à la méditation des Ecritures. Tout cela est compris dans cette déclaration : « Je jeûne deux fois la semaine », ce qui forme la deuxième branche de la justice d'un Pharisien.

                    « Je donne la dîme de tout ce que je possède ». C'est ce que faisaient les Pharisiens avec la plus scrupuleuse exactitude, sans en excepter les choses de la moindre valeur, pas même la menthe, l'anet et le cumin. Ils n'auraient pas voulu garder la moindre partie de ce qu'ils croyaient appartenir proprement à Dieu ; mais ils donnaient une dîme complète de tout leur revenu annuel et de tous leurs gains, quels qu'ils fussent.

                   Et même, les Pharisiens les plus scrupuleux, comme font souvent fait remarquer les savants les plus versés dans les anciens écrits des Juifs, non contents de donner un dixième de leur fortune à Dieu dans la personne de ses prêtres et de ses lévites, lui donnaient un autre dixième dans la personne de ses pauvres, et cela d'une manière régulière et constante ; ils donnaient en aumônes la même proportion de leurs biens qu'ils avaient coutume de donner en dîmes : ils y mettaient la même rigoureuse exactitude, afin de ne garder aucune partie de ce qu'ils croyaient appartenir à l'Eternel, mais de lui rendre pleinement ce qui était à lui. De sorte qu'au bout du compte, ils donnaient, chaque année, le cinquième de tout ce qu'ils possédaient.

                   Telle était « la justice des Scribes et des Pharisiens », justice qui s'étendait, sous beaucoup de rapports, beaucoup plus loin qu'on n'a coutume de se l'imaginer. Mais peut-être dira-t-on : « Ce n'était que fausseté et apparence, ils n'étaient qu'une troupe d'hypocrites ». Sans doute cela est vrai de quelques-uns d'entre eux ; dans leur nombre se trouvaient des hommes n'ayant aucune religion réelle, ni crainte de Dieu, ni désir de lui plaire ; ne s'inquiétant nullement de l'honneur qui vient de Dieu, mais uniquement des louanges des hommes Ce sont ceux-là que notre Seigneur condamne et censure avec tant de sévérité, dans plusieurs occasions. Mais il ne faut point supposer que, parce que quelques Pharisiens étaient hypocrites, tous le fussent ; et même l'hypocrisie n'est nullement essentielle au caractère d'un Pharisien. Ce n'est pas là la marque distinctive de leur secte ; la voici plutôt, d'après ce qu'en dit notre Seigneur lui-même : « Ils présumaient d'eux-mêmes comme s'ils étaient justes, et méprisaient les autres ». Voilà leur sceau particulier. Mais le Pharisien de ce caractère ne peut être un hypocrite ; il doit être sincère, dans le sens ordinaire de ce mot, autrement il ne saurait « présumer de lui-même qu'il est juste ». L'homme qui se recommandait ainsi lui-même à Dieu, se croyait incontestablement juste ; ce n'était donc, point un hypocrite, il n'avait point la conscience en lui-même d'aucun manque de sincérité. Il disait à Dieu, tout juste ce qu'il pensait : qu'il était de beaucoup meilleur que le reste des hommes.

                     Mais à défaut de tout autre exemple, celui de saint Paul serait suffisant pour mettre ceci hors de doute. Il pouvait non seulement dire, après être devenu chrétien « Je travaille à avoir toujours la conscience sans reproche, devant Dieu et devant les hommes  » ; mais, même en parlant du temps où il était Pharisien « Mes frères, j'ai vécu jusqu'à présent devant Dieu en bonne conscience ». Il était donc sincère pendant qu'il était Pharisien, aussi bien que lorsqu'il fut devenu chrétien. Il n'était pas plus hypocrite quand il persécutait l'Eglise, que lorsqu'il prêchait la foi qu'il s'efforçait jadis de détruire. Ajoutons donc à la « justice des Scribes et des Pharisiens, la croyance sincère qu'ils avaient en eux-mêmes d'être justes et de « rendre service à Dieu » en toutes choses.

                      Et cependant, dit le Seigneur : « Si votre justice ne surpasse celle des Scribes et des Pharisiens, vous n'entrerez point dans le royaume des cieux ». Solennelle et importante déclaration, qu'il convient à tous ceux qui sont appelés du nom de Christ, de considérer avec une sérieuse et profonde attention ! Mais avant d'examiner comment notre justice peut surpasser celle des Pharisiens et des Scribes, voyons d'abord si nous atteignons maintenant cette justice.

                    Et d'abord, un Pharisien n'était pas « comme le reste des hommes  » ; extérieurement il était remarquablement bon. Le sommes-nous aussi ? Osons-nous nous faire remarquer en quoi que ce soit ? ou plutôt ne nageons-nous pas avec le courant ? Ne nous arrive-t-il pas souvent de nous dispenser à la fois des règles de la religion et de celles mêmes de la raison, parce que nous ne voulons pas paraître singuliers ? N'avons-nous pas souvent plus de peur d'être hors de la mode que hors du chemin du salut ? Avons-nous le courage de remonter le courant des idées mondaines, et de marcher à l'encontre du monde ? d'obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes ? Sans cela, le Pharisien nous laisse bien loin derrière lui dès le premier pas, et ce sera bien si nous parvenons à l'atteindre du tout.

                    Mais continuons : pouvons-nous dire à Dieu comme lui : « Je ne fais point de mal ; je ne vis dans aucun péché extérieur ; je ne fais aucune chose en laquelle mon cœur me condamne ? » Le pouvez-vous ? en êtes-vous bien sûrs ? N'avez-vous aucune habitude que votre cœur condamne ? Si vous n'êtes ni adultère, ni impudique, soit en paroles, soit en actions, n'êtes-vous point injuste ? La grande règle de la justice, comme de la miséricorde, est celle-ci : « Faites aux autres comme vous voudriez qu'ils vous fissent ». Suivez-vous cette règle ? Ne faites-vous jamais à autrui ce que vous ne voudriez pas qui vous fût fait ? Et même, n'êtes-vous point grossièrement injuste ? N'usez-vous point d'extorsion ? Ne profitez-vous point de l'ignorance ou de la nécessité des autres, soit en vendant, soit en achetant ? Si vous êtes dans le commerce, ne demandez-vous, ne recevez-vous que la valeur réelle de ce que vous vendez ? Ne demandez-vous, ne recevez-vous rien de plus de l'ignorant, que de celui qui est au courant des choses, d'un petit enfant, que de celui qui a l'expérience du commerce ? Si vous le faites, pourquoi votre cœur ne vous condamne-t-il point ? Ce n'est là qu'une pure et simple extorsion ! Ne demandez-vous que le prix ordinaire des marchandises à celui qui en a un besoin pressant, à qui il faut, sans le moindre délai, les objets que seul vous pouvez lui fournir ? Si vous faites autrement, c'est encore une vraie extorsion, et il est clair que vous n'arriverez point à la justice d'un Pharisien.

                    Secondement, un Pharisien, pour approprier le sens de ses paroles à nos usages, usait de tous les moyens de grâce. De même qu'il jeûnait souvent deux fois la semaine, de même il assistait à tous les sacrifices ; il était assidu aux prières publiques et particulières, à la lecture et à l'ouïe des Ecritures. Allez-vous jusque-là ? Jeûnez-vous souvent et, beaucoup ? Deux fois par semaine ? J'ai bien peur que non. Au moins une fois alors ? « Tous les vendredis de l'année ? » comme l'enjoint clairement et péremptoirement notre Eglise (anglicane) à tous ses membres. Jeûnez-vous deux fois par an ? J'ai bien peur encore que beaucoup d'entre vous ne puissent pas même l'affirmer. Ne négligez-vous aucune occasion d'assister et de participer à la sainte Cène ? Combien n'y en a-t-il pas qui se disent chrétiens, et qui cependant négligent complètement ce devoir, et ne mangent point de ce pain, ne boivent point de cette coupe, pendant des mois, peut-être pendant des années entières ! Avez-vous l'habitude, chaque jour, d'entendre les Ecritures, ou de les lire et de les méditer ? Vous joignez-vous en prières avec tout le troupeau, chaque jour, si vous en avez occasion ; sinon, chaque fois que cela vous est possible ; particulièrement le jour que vous devez vous souvenir de sanctifier ? Cherchez-vous à faire naître les occasions de vous unir aux prières de l'Eglise ? Vous réjouissez-vous quand on vous dit : « Nous irons à la maison de l'Eternel ? » Etes-vous zélés pour la prière secrète ? Ne laissez-vous jamais passer un jour sans vous y livrer ?

                     Ou plutôt n'y en a-t-il point parmi vous, qui loin d'y consacrer, comme le Pharisien, plusieurs heures par jour, pensez au contraire qu'une heure est bien assez, si ce n'est trop ? Consacrez-vous donc une heure par jour, ou par semaine, à prier votre Père qui vous voit dans le secret ? ou même, une heure par mois ? Avez-vous même passé une heure de suite à prier en particulier, depuis que vous êtes né ? Ah ! pauvre chrétien ! le Pharisien ne s'élèvera-t-il point au jugement contre toi pour te condamner ? Sa justice est au-dessus de la tienne, autant que les cieux sont élevés par-dessus la terre !

                    Le Pharisien, en troisième lieu, payait la dîme de tout ce qu'il possédait, il faisait aussi des aumônes ; et avec quelle libéralité ! C'était donc, comme nous dirions, un homme qui faisait beaucoup de bien. L'égalons-nous en cela ? Qui de nous est aussi abondant que lui en bonnes œuvres ? Qui de nous donne à Dieu la cinquième partie de ses biens, tant du capital que des profits ? Qui de nous sur cent livres par an, je suppose, en donne vingt à Dieu et aux pauvres, sur cinquante, dix et ainsi de suite en proportion de son revenu, suivant qu'il est plus grand ou plus petit ? Quand donc, dans l'usage de tous les moyens de grâce, dans l'observation de toutes les ordonnances de Dieu, dans le renoncement au mal et dans le bien, quand notre justice égalera-t-elle enfin la justice des Scribes et des Pharisiens ?

                    Et à quoi nous servira-t-elle, si elle ne fait même que l'égaler ? « Car je vous dis en vérité que si votre justice ne surpasse celle des Scribes et des Pharisiens, vous n'entrerez point dans le royaume des cieux ». Mais comment notre justice peut elle surpasser la leur ? En quoi la justice chrétienne surpasse-t-elle celle d'un Scribe ou d'un Pharisien ? D'abord, en étendue. La plupart des Pharisiens, quelque rigoureusement exacts qu'ils fussent dans l'observation de beaucoup de points de la loi, s'étaient enhardis cependant, par les traditions des anciens, jusqu'à se dispenser d'en observer d'autres tout aussi importants. Ainsi ils étaient extrêmement scrupuleux dans l'observation du quatrième commandement, ils ne voulaient pas même froisser entre leurs mains un épi de blé au jour du sabbat ; mais ils n'avaient pas le même respect pour le troisième commandement et ne s'inquiétaient point de jurer légèrement et même faussement. Leur justice n'était donc que partielle, tandis que celle d'un véritable chrétien est universelle. Il n'observe pas une ou plusieurs parties de la loi de Dieu, en négligeant le reste ; mais il garde tous ses commandements, il les aime tous, il les estime au-dessus de l'or ou des pierres précieuses.

                     Il se peut, sans doute, que quelques-uns des Scribes et des Pharisiens s'efforçaient de garder tous les commandements, et étaient, en conséquence, quant à la justice de la loi, c'est-à-dire, suivant la lettre, sans reproche. Mais encore, la justice chrétienne surpasse toute cette justice d'un Scribe ou d'un Pharisien, en ce qu'elle accomplit l'esprit aussi bien que la lettre de la loi, par une obéissance intérieure aussi bien qu'extérieure. Sur ce point de la spiritualité de l'obéissance, il n'y a aucune comparaison à établir entre les deux justices. C'est là ce que notre Seigneur a si amplement prouvé dans toute l'étendue de son discours. Leur justice n'était qu'extérieure, la justice chrétienne existe dans l'homme intérieur. Le Pharisien « nettoyait le dehors de la coupe et du plat », c'est dans l'intérieur que le chrétien est net. Le Pharisien s'efforçait de se présenter à Dieu avec une vie irréprochable ; le chrétien, avec un cœur saint. L'un secouait loin de lui les feuilles et peut-être même les fruits du péché ; l'autre met la cognée à la racine, ne se contentant pas de la forme extérieure de la piété, quelque exacte qu'elle soit, à moins que la vie, l'Esprit, la puissance de Dieu pour le salut, ne se fassent sentir jusqu'au fond de l'âme.

                    Ainsi, ne faire aucun mal, faire du bien, suivre les ordonnances de Dieu, tout cela est extérieur, c'est la justice du Pharisien ; tandis que, au contraire, la pauvreté d'esprit, l'affliction, la débonnaireté, la faim et la soif de la justice, l'amour de notre prochain et la pureté du cœur, qui forment la justice du chrétien, sont toutes des dispositions intérieures ; et même la recherche de la paix ou la bienfaisance, et la souffrance pour la justice, n'ont droit aux bénédictions qui y sont attachées, qu'autant qu'elles impliquent ces dispositions intérieures, qu'elles en découlent, les exercent et les confirment. En sorte que, tandis que la justice des Scribes et des Pharisiens était tout extérieure, on peut dire, dans un certain sens, que la justice du chrétien est tout intérieure : toutes ses actions et ses souffrances n'étant rien en elles-mêmes, et n'ayant de valeur devant Dieu que par les dispositions dont elles découlent.

                    Qui que tu sois donc, toi qui portes le nom saint et vénérable de chrétien, prends garde d'abord que ta justice ne soit point au-dessous de la justice des Scribes et des Pharisiens. Ne sois point comme le reste des hommes ! Ose être seul ; ose, contre l'exemple des autres, être singulier pour le bien. Si tu suis la multitude, ce ne peut être que pour faire le mal. Que la coutume ou la mode ne soient point tes guides, mais bien la raison et la religion. Que t'importe la manière d'agir des autres ? « Chacun de nous rendra compte à Dieu pour soi-même ». Certes si tu peux sauver l'âme d'un autre, fais-le ; mais au moins sauves-en une, la tienne propre. Ne marche point dans le sentier de la mort, parce qu'il est large et qu'il y en a beaucoup qui le suivent : c'est à ce signe même que tu le reconnaîtras. Le chemin où tu marches maintenant, est-il large, bien fréquenté, est-ce le chemin à la mode ? En ce cas, il mène infailliblement à la destruction. Oh ! ne te perds point simplement pour avoir de la compagnie ! Détourne-toi du mal ; fuis le péché comme tu fuirais un serpent ! Au moins, ne fais point de mal. « Celui qui fait le péché est du diable ». Qu'on ne te trouve point au nombre des enfants du démon ! Maintenant même la grâce de Dieu te suffit pour te garder des péchés extérieurs. A cet égard au moins « travaille à avoir toujours la conscience sans reproche devant Dieu et devant les hommes ».

                    Secondement, que ta justice ne reste point au-dessous de la leur, en ce qui concerne les ordonnances de Dieu. Si ton travail ou ta faiblesse corporelle ne te permet point de jeûner deux fois la semaine, cependant agis fidèlement envers ta propre âme et jeûne aussi souvent que ta force te le permettra. Ne perds aucune occasion, soit en public, soit en particulier, de répandre ton âme en prières ; de manger de ce pain et de boire de cette coupe, qui est la communion au corps et au sang de Christ. Aie soin de sonder les Ecritures, lis-les autant que tu le peux, et médite-les jour et nuit. Saisis avec joie toute occasion d'entendre « la parole de réconciliation », annoncée par les « ambassadeurs de Christ », les « dispensateurs des mystères de Dieu ». En un mot, dans l'usage de tous les moyens de grâce, dans l'observation constante et attentive de toute ordonnance de Dieu, atteins la justice des Scribes et des Pharisiens, au moins jusqu'à ce que tu puisses la surpasser.

                    En troisième lieu, ne reste point en dessous d'un Pharisien pour faire le bien. Donne l'aumône de tout ce que tu possèdes. Quelqu'un a-t-il faim ? donne lui à manger. A-t-il soif ? donne lui à boire. Est-il nu ? couvre-le d'un vêtement. Si tu possèdes les biens de ce monde, ne limite pas ta bienfaisance à une proportion mesquine. Sois miséricordieux dans toute l'étendue de tes ressources. Pourquoi pas tout autant que le Pharisien ? Maintenant, pendant que tu en as le temps, « fais-toi des amis avec les richesses injustes, afin que quand tu viendras à manquer », quand ton tabernacle terrestre tombera en dissolution, « ils te reçoivent dans les tabernacles éternels ».

                    Mais n'en reste pas là. Que ta justice surpasse celle des Scribes et des Pharisiens. Ne te contente pas d'observer toute la loi et de ne pécher qu'en un seul point. Attache-toi à tous les commandements et aie en haine toute voie de mensonge. Fais absolument tout ce que Dieu a commandé, et fais-le de toute ta force ; tu peux tout par Christ qui te fortifie, quoique sans lui tu ne puisses rien.

                    Sur toutes choses, que ta justice surpasse celle des Scribes et des Pharisiens, par sa pureté et sa spiritualité. Que t'importent la forme la plus exacte de la religion, la justice extérieure la plus parfaite ? Monte plus haut et descends plus bas que tout cela. Que ta religion soit la religion du cœur. Sois pauvre en esprit, petit, bas et méprisable à tes propres yeux ; sois étonné et humilié dans la poussière, à la vue de l'amour de Dieu manifesté en Jésus-Christ, ton Seigneur ! Sois sérieux ; que tout le courant de tes pensées, de tes paroles et de tes œuvres, découle évidemment de la conviction la plus profonde que tu es sur le bord de l'abîme de l'éternité, toi et tous les enfants des hommes ; que vous êtes tous prêts à être reçus dans la gloire éternelle, ou précipités dans les flammes éternelles ! Sois débonnaire, que ton âme soit remplie de douceur, de bonté, de patience, de long support envers tous les hommes. En même temps que tout ce qui est en toi ait soif de Dieu, du Dieu vivant ; que ton âme soupire après le moment où tu te réveilleras dans sa justice et où tu seras rassasié de sa ressemblance ! Aime Dieu, aime toute l'humanité, et dans cet esprit, fais et souffre toutes choses. Surpasse ainsi la justice des Scribes et des Pharisiens, et tu seras « appelé grand dans le royaume des cieux ».