vendredi 17 juin 2016

(11) LE SERMON SUR LA MONTAGNE, ONZIÈME DISCOURS Matthieu 7:13-14

  Numérisation Yves PETRAKIAN Copie autorisée pour diffusion gratuite uniquement Obligation d'indiquer la source http://456-bible.123-bible.com

Sermon 31 :           LE SERMON SUR LA MONTAGNE, ONZIÈME DISCOURS

Matthieu 7,13-14
1750

« Entrez par la porte étroite ; car la porte large et le chemin spacieux mènent à la perdition, et il y en a beaucoup qui y entrent ; mais la porte étroite et le chemin étroit mènent à la vie, et il y en a peu qui les trouvent ». (Mat 7 : 13,14.)

                    Notre Seigneur nous ayant avertis des dangers intérieurs qui nous assiègent facilement à nos premiers pas dans la vraie religion, des obstacles qui naissent naturellement de la perversité de nos propres cœurs, nous fait connaître maintenant les empêchements du dehors, particulièrement ceux qui proviennent des mauvais exemples et des mauvais conseils. Par l'une ou l'autre de ces deux influences, des milliers d'âmes qui « couraient bien » se sont retirées, pour marcher à la perdition, des âmes mêmes qui n'étaient plus novices dans la piété, mais qui avaient fait des progrès dans la justice. C'est pourquoi il nous donne, à ces deux égards, l'avertissement le plus pressant et le plus sérieux, et le répète sous plusieurs formes pour qu'en aucune manière nous ne le laissions écouler. Ainsi, pour nous garder contre le premier danger, il nous dit : « Entrez par la porte étroite, car la porte est large et le chemin est spacieux qui mène à la perdition, et il y en a beaucoup qui y entrent, mais la porte est étroite et le chemin est étroit qui mène à la vie, et il y en a peu qui le trouvent ». Et pour nous prémunir contre le second danger : « Gardez-vous des faux prophètes », etc. Pour aujourd'hui nous nous en tiendrons au premier point.

« Entrez, dit le Seigneur, par la porte étroite, car la porte est large et le chemin spacieux qui mène à la perdition, et il y en a beaucoup qui y entrent, mais la porte est étroite et le chemin étroit qui mène à la vie, et il y en a peu qui le trouvent ».


                    Nous considèrerons ici trois choses : 
1° les caractères propres et inséparables du chemin de l'enfer « La porte est large et le chemin spacieux qui mène à la perdition, et il y en a beaucoup qui y entrent ». 
2° Les caractères propres et inséparables du chemin du ciel : « La porte est étroite et le chemin étroit qui mène à la vie, et il y en a peu qui le trouvent ». 
3° L'exhortation sérieuse qui en est la conséquence « Entrez par la porte étroite ».

                                                                     I

                     Et d'abord, quant au premier point, combien est large la porte, combien est spacieux le chemin qui mène à la perdition ! car la porte de l'enfer, c'est le péché, et le chemin de la perdition, c'est la méchanceté ! Le « commandement de Dieu est d'une grande étendue », puisqu'il s'étend non seulement à toutes nos actions, mais à toute parole qui sort de nos lèvres, à toute pensée même qui s'élève de nos cœurs. Or, l'étendue du péché est tout aussi grande, puisque toute violation du commandement est péché. Que dis-je ? elle est mille fois plus grande ; car il n'y a qu'une manière d'observer le commandement, puisque nous ne l'observons en réalité que si dans la chose même que nous faisons, dans la manière de la faire et dans tout ce qui s'y rattache, nous sommes irréprochables, tandis qu'il y a mille manières de violer chaque commandement. Cette porte est donc vraiment large !

                     Mais considérons ceci d'un peu plus près ; quelle n'est pas l'étendue de ces péchés fondamentaux d'où naissent tous les autres ; de cet « amour du monde qui est inimitié contre Dieu, de l'esprit charnel, de l'orgueil, de la volonté propre ! Pouvons-nous leur assigner des limites ? Ne se répandent-ils pas à travers nos pensées, ne se mêlent-ils pas à tous nos sentiments ? Ne sont-ils pas comme un levain qui fait lever, plus ou moins, toute la masse de nos affections ? Et ne pouvons-nous pas, par une observation attentive et fidèle de nous-mêmes, voir ces « racines d'amertume bourgeonnant continuellement en haut », infectant toutes nos paroles, souillant toutes nos actions ? Et que leurs rejetons sont innombrables de siècle en siècle ! assez pour couvrir la terre entière de ténèbres et « de demeures de violence ! »

                     Oh ! qui fera l'énumération de leurs fruits maudits ! Qui comptera tous les péchés qui se commettent, soit contre Dieu, soit contre le prochain ? Ce n'est point un rêve de notre imagination, mais on peut les constater par une triste et journalière expérience. Et pour les trouver nous n'avons pas besoin de courir le monde. Observez un seul royaume, une seule province, une seule ville, et vous ferez, en ce genre, une riche moisson ! Et ne prenez pas une contrée mahométane ou païenne, prenez une de celles qui se nomment du nom de Christ et qui se glorifient de la lumière de son Evangile. Arrêtez-vous dans notre pays même et dans la ville que nous habitons. Nous nous disons chrétiens et même des chrétiens par excellence, des chrétiens réformés ! Mais, hélas ! qui fera pénétrer dans nos cœurs et dans notre vie la réformation de nos opinions ? Car combien sont innombrables nos péchés, nos péchés les plus criants ! Les abominations les plus grossières n'abondent-elles pas parmi nous chaque jour ? Nos péchés, de toute sorte, ne couvrent-ils pas le pays comme le fond de la mer est couvert par les eaux ? Qui pourrait les compter ? Allez plutôt compter les gouttes de pluie, ou le sable des bords de la mer ! Tant est large la porte, tant est « spacieux le chemin qui mène à la perdition ! »

                     Et « il y en a beaucoup qui entrent » par cette porte, beaucoup qui vont par ce chemin, autant presque qu'il y en a qui entrent par la porte de la mort et qui descendent dans le sépulcre. Car on ne peut nier (quoiqu'on ne puisse non plus le reconnaître sans honte et sans douleur) que, même dans ce pays chrétien, les masses de tout âge, de tout sexe, de tout état, de tout rang, grands et petits, riches et pauvres, suivent le chemin de la perdition. Et, dans cette ville, les habitants, en grande majorité, vivent, jusqu'à ce jour, dans le péché, dans quelque transgression palpable, habituelle, consciente de la loi divine qu'ils font profession d'observer, et même dans quelque forme grossière d'impiété ou d'injustice, dans quelque violation ouverte de leurs devoirs, soit envers Dieu, soit envers les hommes. Ceux-là donc, évidemment, marchent tous dans le chemin de la perdition. Joignez-y ceux qui ont, il est vrai, « le bruit de vivre », mais qui ne connaissent pas la vie de Dieu ; ceux qui, au dehors, paraissent beaux aux yeux des hommes, mais qui sont, au dedans, pleins de corruption, pleins d'orgueil et de vanité, de colère et de rancune, d'ambition et de convoitises, amateurs d'eux-mêmes, amateurs du monde et des plaisirs plutôt que de Dieu. Ceux-là peuvent être, sans doute, fort estimés des hommes, mais ils sont abominables aux yeux du Seigneur. Et combien ces saints du monde n'enfleront-ils pas le nombre des enfants de perdition ! Ajoutez encore ; quels qu'ils puissent être à d'autres égards, tous ceux qui ne connaissant pas la justice de Dieu et voulant établir leur propre justice, ne se soumettent point à la justice qui vient de Dieu par la foi. Tout cela joint ensemble, de quelle terrible vérité vous paraîtra cette assertion du Seigneur : « La porte est large et le chemin spacieux qui mène à la perdition, et il y en a beaucoup qui y entrent ! »

                     Encore ceci ne regarde-t-il pas uniquement le vulgaire, — le pauvre, stupide et vil troupeau de l'humanité. Des hommes éminents dans le monde, des hommes qui ont beaucoup de terres et de couples de boeufs, n'ont garde, en ceci, de se faire excuser. Au contraire, il y en a ici « beaucoup d'appelés » d'entre les sages selon la chair, d'entre les puissants, les courageux, les riches, les nobles au jugement des hommes, appelés dans la voie large par le monde, la chair et le diable, et qui obéissent avec empressement à cet appel. Que dis-je ? plus ils sont élevés en fortune et en puissance, plus ils se dégradent en perversité. Plus ils ont reçu de bénédictions de Dieu, plus ils l'offensent, employant leurs honneurs, leurs richesses, leur sagesse, leur science, non comme moyens de travailler à leur salut, mais plutôt comme moyens d'exceller dans le vice et de rendre leur perdition plus certaine.

II

                     Au reste, c'est précisément parce qu'il est large, que plusieurs suivent ce chemin avec tant de sécurité, ne considérant pas que c'est le caractère inséparable du chemin de la perdition. Ils y marchent par la raison même qui devrait le leur faire éviter, parce qu'il est large et parce que « le chemin de la vie est étroit et qu'il y en a peu qui le trouvent ».

                     « La porte de la vie est étroite, le chemin de la vie est étroit  » ; si étroit qu'il ne peut y entrer « rien d'impur ni de souillé ». C'est un caractère inséparable du chemin du ciel. Nul pécheur ne peut passer par cette porte avant d'être sauvé de tous ses péchés. Non pas seulement de ses grossiers péchés, « de la vaine manière de vivre qu'il a apprise de ses pères ». Il ne suffit pas qu'il ait « cessé de mal faire, appris à bien faire », ni qu'il soit sauvé de  toute action impure, de toute parole inutile et mauvaise. Il faut encore qu'il soit changé intérieurement et complètement renouvelé dans l'esprit de son entendement ; sans quoi il ne peut passer, par la porte de la vie, ni entrer dans la gloire.

                     Car le chemin qui conduit à la vie, — le chemin de la parfaite sainteté est étroit. — Il est étroit, le chemin de la pauvreté d'esprit, le chemin de la sainte tristesse, le chemin de l'humilité, le chemin de la faim et de la soif de la justice. Il est étroit le chemin de la miséricorde, de la charité sans hypocrisie, de la pureté du cœur, de la bienfaisance envers tous les hommes, de la patience et de la joie lorsqu'on souffre le mal, toute sorte de mal pour la cause de la justice.

                     « Et il y en a peu qui le trouvent ». Hélas ! qu'il y en a peu qui trouvent même l'honnêteté païenne ! qu'il y en a peu qui s'abstiennent de faire à autrui ce qu'ils ne veulent pas qu'on leur fasse à eux-mêmes ! qui soient innocents devant Dieu d'actes injustes ou malveillants ! qui ne pèchent pas par leur langue, qui ne prononcent aucune méchanceté, aucun mensonge ! Qu'il est petit le nombre de ceux qui sont exempts des transgressions du dehors ! A plus forte raison sont-ils peu nombreux ceux dont le cœur est droit, pur et saint devant Dieu ! Où sont ceux que son oeil scrutateur trouve vraiment humbles, s'abaissant et s'abhorrant eux-mêmes dans la poudre et la cendre, devant Dieu leur Sauveur, ceux qu'il voit profondément et constamment sérieux, sentant leurs besoins et se conduisant avec crainte durant le temps de leur séjour sur la terre ; ceux qu'il voit débonnaires et doux, n'étant jamais surmontés par le mal, mais surmontant le mal par le bien, toujours altérés de Dieu et soupirant pour le renouvellement à sa ressemblance ! Qu'ils sont clairsemés sur la terre ceux dont l'âme est élargie pour aimer tous les hommes, et qui aiment Dieu de toute leur force, qui lui ont donné leur cœur et qui ne souhaitent que lui dans le ciel et sur la terre ; ceux qui par amour pour Dieu et pour les hommes se dépensent entièrement à faire du bien aux hommes, et qui sont prêts à souffrir tout, même la mort, pour sauver une seule âme de la perdition !

                     Mais puisqu'il y en a si peu dans le chemin de la vie et tant dans le chemin de la perdition, il est fort à craindre que nous ne soyons entraînés avec ces derniers par le torrent de l'exemple. Quelle impression un exemple même isolé ne peut-il pas faire sur nous, s'il est continuellement sous nos yeux, surtout s'il a pour lui la nature, s'il s'accorde avec nos inclinations ! Combien grande sera donc la force d'exemples si nombreux et toujours placés devant nous, et tous conspirant avec nos propres cœurs à nous faire descendre le courant de la corruption ! Qu'il est difficile d'aller contre vent et marée et de nous conserver purs des souillures du monde !

                     Mais voici qui aggrave encore la difficulté : ce n'est pas la foule ignorante et sans entendement, ce n'est point elle seule du moins qui nous donne l'exemple, qui nous pousse dans le chemin de l'abîme ; mais ce sont les gens sages, polis, bien nés, les gens capables, instruits, éloquents, les gens de goût et de science, les gens raisonnables et qui ont la connaissance du monde ! Tous ceux-là, ou presque tous, sont contre nous. Et comment leur résister ? Leurs lèvres ne distillent-elles pas le miel et n'entendent-ils pas à fond la douce persuasion ? Ne sont-ils pas maîtres en fait de raisonnement, de controverse, de disputes de mots ? Ce n'est que jeu pour eux de prouver que le chemin est le droit chemin puisqu'il est large, qu'on ne peut faire le mal en suivant la multitude mais en refusant de la suivre, que votre chemin est le mauvais chemin puisqu'il est étroit et puisqu'il y en a si peu qui le trouvent. Ils prouveront jusqu'à l'évidence que le mal est bien et le bien mal, que la voie de la sainteté est la voie de la perdition, et que le chemin du monde est le seul chemin qui mène au ciel.

                     Comment de pauvres ignorants pourraient-ils se défendre contre de tels opposants ? Et pourtant il faut encore qu'ils soutiennent contre d'autres adversaires une lutte non moins inégale. Car il y a encore dans le chemin qui mène à la perdition, « beaucoup de puissants et de nobles », qui ont pour convaincre une voie plus courte que celle de la discussion et du raisonnement. Ce n'est point à l'intelligence qu'ils ont coutume de s'adresser, mais à la timidité de ceux qui leur résistent, et, là même où l'argumentation ne sert de rien, cette méthode d'intimidation manque rarement son effet, étant au niveau de la capacité de tous les hommes ; car tous sont accessibles à la peur, qu'ils sachent ou non raisonner. Et comment, sans une ferme confiance en Dieu, en sa puissance et en son amour, ne pas craindre de déplaire à ceux qui ont entre les mains la puissance de ce monde ? Il n'est donc pas étonnant que leur exemple soit une loi pour tous ceux qui ne connaissent point Dieu.

                     Il y a aussi, dans la voie large, « beaucoup de riches », Et ceux-ci font appel aux espérances et aux vaines convoitises des gens avec non moins de force et de succès que les puissants et les nobles à leurs craintes. En sorte qu'il vous est difficile de persévérer dans le chemin du royaume, à moins que vous ne soyez morts à tout ce qui est d'ici-bas, que Dieu seul soit votre désir, que le monde soit crucifié à votre égard et que vous soyez crucifié au monde.

                   Car voyez comme tout, dans la voie opposée, paraît obscur, incommode, rebutant ! Une porte étroite ; un chemin étroit ! et peu de gens seulement qui trouvent cette porte ! peu qui suivent ce chemin ! Encore si ce peu de gens étaient des sages, des hommes instruits, éloquents ! mais loin de là, ils ne savent mettre ni clarté, ni forces dans leurs raisonnements ; ils ne savent soutenir aucune discussion à leur avantage. Ils sont incapables de prouver ce qu'ils font profession de croire, ou même de rendre compte de ce qu'ils appellent leur expérience : Evidemment de tels avocats, bien loin de recommander la cause qu'ils ont embrassée, ne peuvent que jeter sur elle du discrédit.

                      Ajoutez à cela qu'ils ne sont ni nobles, ni honorés dans le monde. S'ils l'étaient, vous supporteriez peut-être leur folie. Ce sont des gens sans crédit, sans autorité, des gens du commun, des gens de rien, et qui, lors même qu'ils le voudraient, n'auraient  pas le pouvoir de vous nuire. Il n'y a donc rien à craindre d'eux, ni rien à espérer, car ils peuvent dire pour la plupart : « Je n'ai ni argent, ni or », ou au moins ils en ont bien peu ; quelques-uns même ont à peine de quoi manger ou de quoi se vêtir. C'est pour cela aussi bien que pour la singularité de leurs voies, que partout on parle contre eux, on les méprise, on rejette leur nom comme mauvais, on les persécute, on les traite comme l'ordure et la balayure du monde. En sorte que soit vos craintes, soit vos espérances, soit vos désirs (excepté ceux qui vous viennent directement de Dieu), tout, en un mot, dans vos sentiments et dans vos passions naturelles vous pousse continuellement à retourner dans le chemin large et spacieux !

                                                                    III

                   C'est pour cela que le Seigneur nous dit avec tant d'insistance : « Entrez », ou, suivant l'expression d'un autre Evangile : « Efforcez-vous d'entrer par la porte étroite  » ; l'expression du texte indique même un combat et comme une agonie. « Car plusieurs », dit le Seigneur, « chercheront (il ne dit pas s'efforceront) d'y entrer, mais ils ne le pourront ».


                     Il est vrai que le verset suivant semble indiquer pour leur réjection une autre raison que leur tiédeur à chercher. Après avoir dit : « Plusieurs chercheront à y entrer, mais ils ne le pourront », il ajoute immédiatement : « Quand le père de famille sera entré et qu'il aura fermé la porte ; et que vous, étant dehors, vous vous mettrez à heurter et à dire : Seigneur, Seigneur, ouvre-nous ! il vous répondra : Je ne sais d'où vous êtes ! retirez-vous de moi, vous tous qui faites métier de l'iniquité ! (Lu 13 : 24-27) »

                     Il paraîtrait de là, au premier abord, que s'ils ne peuvent entrer, c'est pour avoir différé de chercher plutôt que pour avoir cherché négligemment. Mais, au fond, cela revient au même. Ils reçoivent donc l'ordre de se retirer, pour avoir fait métier de l'iniquité, pour avoir marché dans la voie large, ou, en d'autres termes, pour ne pas s'être efforcés d'entrer. Quand la porte était ouverte, ils auront, sans doute, cherché, mais négligemment et sans succès ; et quand elle sera fermée, ils commenceront, mais trop tard, à s'efforcer.

                   Vous donc, efforcez-vous maintenant, dans ce jour qui vous est donné, efforcez-vous d'entrer par la porte étroite ! Et, pour cela, mettez-vous bien dans l'esprit et ne cessez de considérer que, si vous êtes dans la voie large, vous êtes dans le chemin de la perdition. Si vous marchez en grande compagnie, croyez, aussi sûr que Dieu est véritable, croyez que c'est vers l'enfer que tous ensemble vous marchez. Si vous faites comme fait la généralité des hommes, vous allez vers l'abîme sans fond. Vous avez pour compagnons de voyage beaucoup de sages, beaucoup de riches, beaucoup de puissants et de nobles ? C'est assez pour vous montrer, sans autre preuve, que vous ne suivez pas le chemin de la vie. Attachez-vous, sans autre indication, à cotte règle simple, courte et infaillible. Quelle que soit votre condition, il faut que vous paraissiez singulier ou que vous soyez damné ! Le chemin de l'enfer n'a rien de singulier, mais le chemin du ciel est singulier d'un bout à l'autre. Dès les premiers pas que vous faites sérieusement vers Dieu, vous n'êtes plus comme les autres hommes. Mais que vous importe ? Il vaut bien mieux être isolé que de tomber dans l'abîme ! « Poursuis donc patiemment la course qui t'est proposée », bien qu'ayant peu de compagnons. Il n'en sera pas toujours ainsi. Encore un peu de temps, et tu seras réuni « aux milliers d'anges, à l'assemblée et à l'Église des premiers-nés, et aux esprits dos justes parvenus à la perfection ».

                     Maintenant, « efforcez-vous d'entrer par la porte étroite », ayant un profond sentiment de l'inexprimable danger que court votre âme tant que vous êtes dans la voie large, tant que vous êtes sans cette pauvreté d'esprit, et, en général, sans cette religion intérieure que le grand nombre, que les riches, que les sages tiennent pour folie, « efforcez-vous d'entrer », plein de chagrin et de honte pour avoir si longtemps couru avec la foule insouciante, et négligé si ce n'est méprisé, cette « sainteté sans laquelle personne ne verra le Seigneur ». « Efforcez-vous », comme dans une sainte agonie, de peur que « la promesse vous étant faite d'entrer dans son repos, dans le repos qui reste pour le peuple de Dieu, vous n'en soyez pourtant exclu ». « Efforcez-vous » avec toute ardeur d'esprit et des « soupirs qui ne peuvent s'exprimer ». « Efforcez vous », en « priant sans cesse », partout et toujours, élevant vos cœurs à Dieu et ne lui laissant pas de repos jusqu'à ce que vous ressuscitiez à son image et que vous soyez « rassasié de sa ressemblance ! »

                     Un dernier mot : « efforce-toi d'entrer par la porte étroite  » ; mais que ce ne soit pas seulement par cette agonie de repentance, d'inquiétude, de honte, de désirs, de craintes, et par ces prières incessantes ; que ce soit aussi en réglant ta conduite, en marchant de toutes tes forces dans les voies de Dieu, dans l'innocence, la piété et la miséricorde. Abstiens-toi de toute apparence de mal, fais autant de bien que possible à tous les hommes, renonce en tout à toi-même, à ta propre volonté, et charge-toi, chaque jour, de ta croix. Sois prêt à te couper la main droite, à t'arracher l'oeil droit et à les jeter loin de toi, à souffrir la perte de tes biens, de tes amis, de ta santé, de tout sur la terre, pourvu que tu puisses entrer dans le royaume des cieux.

mercredi 15 juin 2016

(10) LE SERMON SUR LA MONTAGNE, DIXIÈME DISCOURS WESLEY Matthieu 7:1-12

Numérisation Yves PETRAKIAN Copie autorisée pour diffusion gratuite uniquement Obligation d'indiquer la source http://456-bible.123-bible.com

Sermon 30 :     (1750)        LE SERMON SUR LA MONTAGNE, DIXIÈME DISCOURS

Matthieu 7,1-12

1  Ne jugez point, afin que vous ne soyez point jugés.
2  Car on vous jugera du jugement dont vous jugez, et l’on vous mesurera avec la mesure dont vous mesurez.
3  Pourquoi vois-tu la paille qui est dans l’œil de ton frère, et n’aperçois-tu pas la poutre qui est dans ton œil?
4  Ou comment peux-tu dire à ton frère: Laisse-moi ôter une paille de ton œil, toi qui as une poutre dans le tien?
5  Hypocrite, ôte premièrement la poutre de ton œil, et alors tu verras comment ôter la paille de l’œil de ton frère.
 
6  Ne donnez pas les choses saintes aux chiens, et ne jetez pas vos perles devant les pourceaux, de peur qu’ils ne les foulent aux pieds, ne se retournent et ne vous déchirent.
 
7  Demandez, et l’on vous donnera; cherchez, et vous trouverez; frappez, et l’on vous ouvrira.
8  Car quiconque demande reçoit, celui qui cherche trouve, et l’on ouvre à celui qui frappe.
9  Lequel de vous donnera une pierre à son fils, s’il lui demande du pain?
10  Ou, s’il demande un poisson, lui donnera-t-il un serpent?
11  Si donc, méchants comme vous l’êtes, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, à combien plus forte raison votre Père qui est dans les cieux donnera-t-il de bonnes choses à ceux qui les lui demandent.

12  Tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le de même pour eux, car c’est la loi et les prophètes.

                    Dans ce qui précède, le Seigneur a terminé ce qui a rapport à son sujet principal ; — après avoir présenté le tableau de la vraie religion débarrassé de  toutes ces gloses par lesquelles les hommes anéantissent la Parole de Dieu, il a posé les règles de cette intention pure que nous devons conserver dans toutes nos actions. Maintenant il indique les principaux obstacles de cette religion, puis il conclut le tout par une application convenable.

                 Au chapitre cinq, notre grand docteur a pleinement décrit la religion intérieure sous ses divers aspects. Il a mis devant nous ces dispositions d'âme qui constituent le vrai christianisme, les caractères de cette sainteté sans laquelle personne ne verra le Seigneur, les affections qui, provenant de la foi en Jésus-Christ, leur vraie source, sont intrinsèquement, essentiellement bonnes et agréables à Dieu. Au chapitre six, il a montré comment toutes nos actions, même les plus indifférentes par leur nature propre, peuvent être, à leur tour, sanctifiées par une pure et sainte intention, et que sans cette intention tout ce qu'on peut faire est sans valeur devant Dieu, tandis que les actes extérieurs quelconques qu'on lui consacre par elle sont d'un grand prix à ses yeux.

                    Dans le chapitre sept, dont nous commençons la méditation, il indique d'abord les obstacles les plus communs et les plus funestes qu'on rencontre sur le chemin de la sainteté ; puis il nous exhorte par divers motifs à les surmonter et à assurer le prix de notre glorieuse vocation.

                   Le premier obstacle contre lequel il nous met en garde est l'esprit de jugement. « Ne jugez point afin que vous ne soyez point jugés ! Ne jugez point les hommes, afin que vous ne soyez point jugés par le Seigneur et que vous n'attiriez pas sa vengeance sur vos têtes. Car du jugement dont vous jugez vous serez jugés, et on vous mesurera de la mesure dont vous aurez mesuré les autres  » ; — règle simple et équitable d'où le Seigneur vous permet de déduire comment il procèdera avec vous au grand jour du jugement.

                   Il n'y a pas de condition dans la vie ni de degré de foi où cet avertissement ne soit nécessaire à tout enfant de Dieu, — depuis la première heure de notre conversion à l’Évangile, jusqu'à ce que nous soyons rendus parfaits dans l'amour. Car il ne se peut qu'il n'y ait toujours des occasions de juger ; les tentations à cet égard sont innombrables, et plusieurs d'entre elles sont si bien déguisées que nous tombons dans le péché, avant même de soupçonner aucun danger. Et qui pourra dire les maux qui résultent de ces jugements, toujours pour celui qui les porte et fréquemment pour ceux qui en sont l'objet ? Car le premier se fait tort à lui-même et s'expose au jugement de Dieu, et les autres sont souvent découragés et arrêtés dans leur course, si même ils ne sont pas entièrement scandalisés et rejetés dans le chemin de la perdition ! Oui, lorsque cette « racine d'amertume monte en haut » combien souvent n'arrive-t-il pas que « plusieurs en sont infectés » que la voie de la vérité en reçoit elle-même du blâme et que le beau nom que nous portons est exposé au blasphème !

                    Toutefois, il paraît que c'est moins aux enfants de Dieu qu'aux enfants du monde que le Seigneur adresse cet avertissement. Ceux-ci entendent nécessairement parler de gens qui suivent la religion que nous avons décrite, qui s'efforcent d'être humbles, sérieux, doux, miséricordieux et purs de cœur, qui désirent et attendent ardemment une plus grande mesure de ces grâces, en faisant du bien à tous et souffrant avec patience toute sorte de mal. Quiconque a atteint seulement ce degré ne saurait, en effet, être caché, pas plus qu'une ville située sur une montagne. D'où vient que « voyant leurs bonnes œuvres » ils ne glorifient pas leur Père qui est dans les cieux ? Quelle excuse ont-ils pour ne pas marcher sur leurs traces ? pour ne pas suivre leur exemple et être leurs imitateurs comme ils le sont eux-mêmes de Christ ? Ils n'ont pas d'excuse, mais, pour en trouver une, ils condamnent ceux qu'ils devraient imiter. Ils passent leur temps à découvrir les fautes de leur prochain au lieu d'amender les leurs. Trop occupés à voir si les autres s'écartent du chemin, ils ne songent pas à y entrer eux-mêmes ; ou tout au moins ne s'y engagent-ils bien avant et ne dépassent-ils jamais une forme de piété pauvre et sans vie.

                    C'est surtout à ceux-là que le Seigneur dit : « Pourquoi regardes-tu la paille qui est dans l’œil de ton frère » — les infirmités, les erreurs, l'imprudence, la faiblesse des enfants de Dieu, — « et tu ne vois pas la poutre qui est dans ton œil ? » — Tu ne considères pas la coupable impénitence, l'orgueil satanique, la propre volonté maudite, l'amour idolâtre du monde, qui sont en toi et qui font de ta vie entière une abomination devant Dieu ; et surtout avec quelle indifférence et quelle nonchalante insouciance tu danses sur l'abîme ouvert ! Comment donc peux-tu dire à ton frère : Permets que j'ôte de ton œil la paille — l'excès de zèle pour Dieu, les exagérations du renoncement, le trop de négligence pour les choses du monde, le désir de ne faire nuit et jour que prier ou entendre les paroles de la vie éternelle ! « Et voici, tu as dans ton œil une poutre » — non pas seulement une paille comme l'un d'eux ! « Hypocrite ! » qui affectes de prendre soin des autres, tandis que tu ne prends aucun soin de ton âme, qui fais parade de zèle pour Dieu, tandis qu'en réalité tu ne l'aimes ni ne le crains ! « Ôte d'abord la poutre de ton œil » Ôte la poutre de l'impénitence ! Connais-toi toi-même ! Reconnais-toi pécheur ! Vois que tu n'as au dedans que méchanceté et corruption abominable, et que la colère de Dieu repose sur toi ! — Ôte la poutre de l'orgueil, abhorre-toi toi-même, prosterne-toi comme dans la poudre et la cendre ; sois toujours plus petit, plus bas, plus vil à tes propres yeux. — Ôte la poutre de ta propre volonté ; apprends pourquoi il est dit : « Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il renonce à lui-même ». Renonce à toi-même et charge-toi chaque jour de ta croix. Dis du fond de ton âme : « Je suis descendu du ciel » — (oui, esprit immortel ! cela est vrai, que tu le saches eu ne le saches pas) ! « Je suis descendu du ciel pour faire non ma volonté, mais celle de mon Père qui m'a envoyé ». Ôte la poutre de l'amour du monde ! « N'aime point le monde ni les choses qui sont dans le monde ! « Sois crucifié au monde et que le monde te soit crucifié. Use du monde, mais jouis de Dieu. Cherche tout ton bonheur en lui ! — Ôte surtout la grande poutre — la nonchalante, l'insouciante indifférence ! Considère profondément qu'une seule chose est nécessaire — cette seule chose à laquelle tu n'as guère jamais pensé ! Sache et vois que tu n'es qu'un pauvre et misérable ver, tremblant sur le bord du grand abaîme ! Qu'es-tu encore ? Un pécheur né pour mourir, une feuille qu'emporte le vent, une vapeur prête à s'évanouir, qui paraît un instant pour perdre dans l'air et pour disparaître ! Considère cela, et puis tu penseras à ôter la paille de l’œil de ton frère, et puis, si le soin de ton âme t'en laisse le loisir, tu songeras à corriger ton frère !

                    Mais quel est proprement le sens de cette parole « Ne jugez point  » ; et de quelle sorte de jugement est-il ici question ? Ce n'est pas la médisance, quoique les deux choses marchent souvent ensemble. Médire, c'est faire quelque mauvais rapport sur un absent, tandis que pour juger il est indifférent que la personne soit absente ou présente. Et même il n'est pas nécessaire de parler, il suffit de penser le mal. Mais penser mal de quelqu'un n'est pas toujours juger. Si je vois un homme voler ou tuer, ou si je l'entends blasphémer le nom de Dieu, je ne puis pas ne pas mal penser de ce voleur ou de ce meurtrier ou de ce blasphémateur ; mais ce n'est pas juger dans le mauvais sens du mot ; il n'y a là ni péché ni rien d'incompatible avec une vraie affection.

                   Mais avoir sur le prochain des pensées contraires à la charité, voilà ce que le Seigneur appelle ici juger, et nous pouvons commettre ce péché de diverses manières. Nous pouvons juger notre frère digne de blâme lorsqu'il ne l'est point. Nous pouvons le charger (ne serait-ce que dans notre esprit) de choses dont il n'est pas coupable, de paroles qu'il n'a point dites, de faits qu'il n'a point commis. Ou nous pouvons juger sa manière d'agir mauvaise, lorsqu'en réalité elle ne l'est point, ou même lorsqu'il n'y a rien à reprendre, ni dans ce qu'il fait ni dans la manière dont il le fait ; nous pouvons encore le condamner en lui supposant une mauvaise intention, pendant que Celui qui sonde les cœurs ne voit en lui que droiture et sincérité.

                  Mais ce n'est pas seulement en condamnant l'innocent, que nous pouvons pécher par un jugement mauvais, c'est encore en condamnant le coupable plus sévèrement qu'il ne mérite. Cette sorte de jugement blesse la charité aussi bien que la justice, et rien ne peut nous en préserver, si ce n'est le plus haut degré d'affection pour le prochain. Sans cela, lorsqu'un homme est trouvé en faute, nous le supposons volontiers plus coupable qu'il ne l'est réellement. Nous rabaissons ses bonnes qualités. Il nous est même difficile de lui en reconnaître encore aucune.

                    Tout cela indique, d'une manière évidente, l'absence de cette « charité qui ne soupçonne point le mal », qui jamais ne tire de prémisses quelconques une conclusion injuste ou malveillante. De ce qu'un homme est une fois tombé dans un péché grossier, la charité ne conclut pas qu'il s'en rende habituellement coupable, ou de ce qu'il en avait autrefois l'habitude, elle se garde de conclure qu'il l'ait encore ; bien moins conclut-elle de sa culpabilité sur ce point à sa culpabilité à d'autres égards. Ce ne sont là que raisonnements malicieux qui appartiennent à cette coupable manière de juger contre laquelle le Seigneur nous met ici en garde, et que nous avons le plus grand intérêt à éviter si nous aimons Dieu et notre propre âme.

                    Mais ne pas condamner l'innocent et ne pas charger le coupable plus qu'il ne mérite, ce n'est pas encore être hors de tout piège, car il est encore une troisième sorte de jugements illicites, c'est de condamner qui que ce soit sans preuve suffisante. Que les faits que vous supposez soient aussi vrais qu'il vous plaira, cela ne vous excuse pas. Car ils ne devraient pas être supposés, mais prouvés, et jusqu'à ce qu'ils le fussent, vous devriez vous abstenir de juger. Je dis jusqu'à ce qu'ils le fussent, car quelque forte preuve qu'en puisse en donner, nous n'avons pas d'excuse, à moins que cette preuve n'ait été produite avant notre jugement et comparée aux témoignages contraires. Encore ne serions-nous pas excusables de porter une sentence définitive avant d'avoir entendu l'accusé parler pour sa défense. Les Juifs eux-mêmes auraient pu nous donner cette simple leçon de justice, pour ne pas dire de miséricorde et d'amour fraternel. « Notre loi, disait Nicodème, condamne-t-elle quelqu'un sans l'avoir entendu (Jean 7 : 51)  ». Et Festus, quoique païen, put répondre aux chefs des Juifs qui pressaient la condamnation de Paul : « Ce n'est pas la coutume des Romains de livrer qui que ce soit pour le faire mourir, avant que celui qui est accusé ait ses accusateurs présents, et qu'il ait la liberté de se justifier du crime dont on l'accuse (Actes 25 : 16)  ».

                  En effet, nous tomberions difficilement dans ce péché de juger, si nous observions seulement la règle qu'un autre de ces Romains (le philosophe Sénèque) affirme avoir prise pour base de sa propre conduite. « Je suis si loin, dit-il, de croire légèrement le témoignage du premier venu ou de qui que ce soit contre un homme, que je n'admets ni facilement ni immédiatement le témoignage d'un homme contre lui-même. Je lui laisse toujours le temps de réfléchir, et lui en donne plusieurs fois le conseil ». Va, chrétien, et fais de même ! de peur que les païens « ne s'élèvent contre toi au jour du jugement ! »

                    Mais combien nos jugements seraient plus rares, ou combien nous en reviendrions plus facilement si nous voulions marcher d'après la règle claire et expresse posée par le Seigneur lui-même ! « Si ton frère a péché contre toi » ou si tu apprends ou crois qu'il l'a fait, « va et reprends-le entre toi et lui seul » voilà la première chose à faire ; « s'il t'écoute, tu auras gagné ton frère. Mais s'il ne t'écoute pas, prends avec toi encore une ou deux personnes, afin que tout soit, confirmé sur la parole de deux ou de trois témoins. Que s'il ne daigne pas les écouter, dis-le à l’Église » soit aux anciens, soit à la congrégation entière ! Cela fait, n'y pense plus ; tu as rempli ton devoir, remets le reste à Dieu.

                   Mais je suppose que, par la grâce de Dieu, tu aies ôté la poutre de ton œil et que tu sois maintenant capable de discerner la paille ou la poutre qui se trouve dans l’œil de ton frère, prends garde néanmoins, on voulant le guérir, de te nuire à toi-même. Prends garde de donner « les choses saintes aux chiens ». N'attribue légèrement ce titre à personne, mais s'il en est qui évidemment le méritent, alors « ne jetez pas vos perles devant les pourceaux ». Craignez d'avoir ce zèle qui est sans connaissance ; car là est un autre obstacle pour ceux qui désirent être « parfaits, comme leur Père céleste est parfait ». En effet, ayant ce désir, ils ne peuvent que souhaiter à tous les hommes la même grâce. Or, lorsque nous avons part nous-mêmes « au don céleste », à cette foi qui est « la démonstration des choses qu'on ne voit point », nous nous étonnons que d'autres puissent ne pas voir ce que nous voyons si clairement, et nous croyons facile d'ouvrir les yeux de tous ceux avec qui nous avons quelque relation. Nous voilà donc attaquant sans plus tarder tous ceux que nous rencontrons, pour les contraindre à voir, bon gré mal gré ; et les suites fâcheuses d'un zèle si mal dirigé, nuisent souvent à nos propres âmes. C'est pour nous garder d'user ainsi notre force pour néant, que le Seigneur ajoute cet avertissement nécessaire à tous, mais surtout nécessaire aux nouveaux convertis qui brûlent du premier amour : « Ne donnez pas les choses saintes aux chiens, et ne jetez pas vos perles devant les pourceaux, de peur qu'ils ne les foulent aux pieds et que se tournant, ils ne vous déchirent ».

                  « Ne donnez pas les choses saintes aux chiens ». Gardez-vous de croire qui que ce soit digne de ce nom, jusqu'à ce que vous en ayez des preuves incontestables auxquelles vous ne puissiez résister. Mais s'il est clairement et irréfutablement prouvé que tels et tels sont des hommes impies et méchants, non seulement étrangers à Dieu, mais ennemis de Dieu, de toute justice et de toute vraie sainteté : alors « ne livrez pas la chose sainte », comme il est dit emphatiquement dans le texte à de telles gens. Les doctrines particulières de l’Évangile, ces doctrines saintes, cachées dans les âges précédents, mais révélées maintenant pour nous en Jésus-Christ par le Saint-Esprit, ne doivent pas être prostituées à ces gens qui ne savent pas même s'il y a un Saint-Esprit. Non, sans doute, que les ambassadeurs de Christ puissent se dispenser de les déclarer dans la grande assemblée, là où se trouvent probablement quelques-uns de ces gens ; il faut que nous parlions, soit que les hommes écoutent, soit qu'ils n'en fassent rien ; mais pour le commun des chrétiens, le cas est différent. Ils ne sont pas revêtus de ce redoutable caractère et ne sont en aucune manière sous l'obligation de faire entendre à tout prix ces grandes et glorieuses vérités à ceux qui contredisent, qui blasphèment et qui ont contre elles une inimitié enracinée. Ils ont plutôt le devoir d'en agir tout autrement et de ne leur donner que ce qu'ils peuvent supporter. N'engagez donc pas avec eux d'entretien sur le pardon des péchés et le don du Saint-Esprit ; mais parlez-leur dans leur langue et d'après les principes qu'ils peuvent comprendre. A l'honorable, raisonnable et injuste épicurien, parlez « de la justice, de la tempérance et du jugement à venir ». Ce sera probablement le meilleur moyen de faire trembler Félix. Réservez de plus profonds sujets à des capacités plus hautes.

                   Et « ne jetez pas non plus vos perles devant les pourceaux ». Ne consentez qu'à contre-cœur à parler sur qui que ce soit un pareil jugement. Mais si le fait est clair, irrécusable et hors de toute contestation, si les pourceaux ne cherchent pas à se déguiser, s'ils « se glorifient de ce qui fait leur confusion », si loin de prétendre à la pureté du cœur ou de la vie, ils commettent avec empressement toutes sortes d'impuretés, alors « ne jetez pas vos perles devant eux ». Ne leur parlez pas de ces mystères du royaume des cieux « que l’œil n'a point vus, que l'oreille n'a point entendus », et que par conséquent ils ne peuvent en aucune manière comprendre ». Ne leur dites rien « des grandes et précieuses promesses » que Dieu nous a données dans le Fils de son amour. Songeraient-ils à être « faits participants de la nature divine », eux qui ne désirent pas même « échapper à la corruption qui règne dans le monde par la convoitise ? » Autant les pourceaux ont de sens et de goût pour les perles, autant ils en ont pour les choses profondes de Dieu, eux qui sont plongés dans la fange de ce monde, dans les plaisirs, les souhaits et les soucis de la terre. Oh ! ne jetez pas devant eux ces perles, « de peur qu'ils ne les foulent aux pieds », de peur qu'ils ne fassent un souverain mépris de ce qu'ils ne peuvent comprendre, et ne médisent des choses qu'ils ne connaissent point. Il est même probable qu'il s'ensuivrait encore d'autres inconvénients. Et qu'y aurait-il d'étrange si, conformément à leur nature, ils se retournaient pour vous déchirer, s'ils vous rendaient le mal pour le bien, la malédiction pour la bénédiction, et la haine en échange de votre bonne volonté ? Telle est l'inimitié de l'âme charnelle contre Dieu et contre tout ce qui est de Dieu. Tel est le traitement que vous devez attendre d'eux si vous leur faites l'outrage impardonnable de chercher à sauver leurs âmes de la mort et à les arracher comme des tisons du feu !

                    Ne désespérez pourtant pas entièrement même de ceux qui, pour le présent, « se retournent et vous déchirent ». Car si tous vos arguments et toutes vos représentations manquent leur effet, il reste encore un remède, un remède dont l'efficace se montre souvent là où échouent tous les autres, la prière ! C'est pourquoi, dans tous vos besoins ou vos désirs pour les autres ou pour vous-mêmes : « Demandez et on vous donnera ; cherchez et vous trouverez ; heurtez et on vous ouvrira ». Ceci répond à un troisième grand obstacle que nous rencontrons sur le chemin de la sanctification. « Vous n'avez pas parce que vous ne demandez pas ! » Oh ! combien vous pourriez être à cette heure doux et débonnaires, humbles de cœur et pleins d'amour pour Dieu et pour les hommes, si seulement vous l'aviez demandé, si vous aviez persisté à le demander instamment ? Mais maintenant encore « demandez, et il vous sera donné ». « Demandez » de pouvoir ressentir et pratiquer parfaitement cette religion dont le modèle est ici décrit dans toute sa beauté, et « il vous sera donné » d'être « saints comme il est saint », dans votre cœur et dans toute votre conduite.

                   « Cherchez » de la manière qu'il ordonne lui-même, en « sondant les Écritures », en écoutant, en méditant sa parole, dans le jeûne et la participation à ta sainte Cène, et certainement « vous trouverez : » vous trouverez cette « perle de grand prix », cette foi « qui surmonte le monde », cette foi que le monde ne peut donner, cet amour qui est « les arrhes de votre héritage ». « Heurtez », persévérez dans la prière et dans tous les autres moyens voulus par le Seigneur ; ne vous laissez ni décourager, ni abattre, persistez à demander « une marque de sa faveur », n'acceptez pas de refus, et ne « le laissez point aller qu'il ne vous ait béni  » ; et « on vous ouvrira » la porte de la grâce, la porte de la sainteté, la porte des cieux.

                    Par compassion pour la dureté de notre cœur si lent à croire de telles promesses, le Seigneur daigne encore les répéter et les confirmer : « Car », dit-il, « quiconque demande, reçoit  » ; en sorte qu'il n'est point nécessaire que personne soit privé de la bénédiction, « Et quiconque cherche, trouve », trouve l'amour et la ressemblance de Dieu ; « et à celui qui heurte », à quiconque heurte, la porte de justice sera ouverte. Il n'y a donc lieu pour personne de se décourager, comme si l'on pouvait demander, chercher, heurter en vain. Ayez seulement toujours à cœur de prier, de chercher, de heurter sans perdre courage, et la promesse est dès lors assurée. Elle est ferme comme les colonnes des cieux ; que dis-je, bien plus ferme : car « le ciel et la terre passeront », dit le Seigneur, « mais mes paroles ne passeront point ».

                    Mais notre Sauveur va achever de nous ôter tout prétexte d'incrédulité, en faisant appel aux sentiments de nos propres cœurs. « Quel est l'homme d'entre vous », dit-il, « qui donne une pierre à son fils, s'il lui demande du pain ? » L'affection naturelle permet-elle de refuser la juste requête de celui qu'on aime ?

                    « Ou s'il lui demande du poisson, lui donnera-t-il un serpent ? » Au lieu de choses bonnes, lui donnera-t-il des choses nuisibles ? Vous pouvez donc tirer de vos propres sentiments et de votre propre conduite la pleine assurance, non seulement qu'aucun effet fâcheux ne peut résulter pour vous de vos prières, mais que plutôt elles auront pour effet la pleine satisfaction de tous vos besoins. « Car, si vous, qui êtes méchants, savez bien donner à vos enfants de bonnes choses, combien plus votre Père qui est dans les cieux », qui est la bonté pure, essentielle, sans mélange, « donnera-t-il de bonnes choses (ou, comme il est dit ailleurs, son Saint-Esprit) à ceux qui les lui demandent ». Dans le Saint-Esprit sont comprises toutes les bonnes choses, toute sagesse, toute paix, toute joie, tout amour, tous les trésors de sainteté et de félicité, tout « ce que Dieu a préparé pour ceux qui l'aiment ».

                    Mais, pour que vos prières aient tout leur poids auprès de Dieu, songez à être envers tous les hommes dans des sentiments de charité. Car autrement vous en recueilleriez plutôt une malédiction qu'une bénédiction. Ceci vous indique un autre obstacle qu'il vous faut avoir soin d'enlever au plus tôt. Affermissez-vous dans l'amour pour tous vos frères et pour tous les hommes. Et ne les aimez pas « des lèvres et en paroles seulement, mais en effet et en vérité ». « C'est pourquoi, tout ce que vous voulez que les hommes vous fassent, faites-le-leur pareillement, car c'est là la loi et les prophètes ».

                   C'est ici cette « loi royale », cette règle d'or de la miséricorde et de la justice, que même un empereur païen fit écrire au-dessus de la porte de son palais ; cette règle que plusieurs croient être gravée naturellement dans le cœur de tout homme venant au monde. Toujours est-il certain qu'elle se recommande d'elle-même à la conscience et à la raison de quiconque l'entend prononcer, en sorte que nul ne peut sciemment y contrevenir sans se sentir aussitôt condamné par son propre cœur.

                   « C'est ici la loi et les prophètes ». Tout ce qui est écrit dans la loi de Dieu donnée autrefois aux hommes, tous les préceptes donnés de Dieu à ses saints prophètes dès la création du monde, sont sommairement contenus dans cette courte instruction, et, bien comprise, elle embrasse aussi toute la religion que notre Seigneur est venu établir sur la terre.

                    On peut la comprendre dans un sens positif et dans un sens négatif. Dans le sens négatif elle nous dit : « Ne faites pas aux hommes ce que vous ne voulez pas qu'ils vous fassent ». C'est une règle simple, toujours accessible et d'une application toujours facile. Dans tous les cas où vous avez affaire à votre prochain, mettez-vous d'abord à sa place. Supposez que vous êtes dans sa position et lui dans la vôtre ; vous apprendrez ainsi quels sont les sentiments, les pensées que vous devez réprimer, les paroles, les actes que vous devez éviter à son égard, puisque vous les auriez condamnés en lui. Dans le sens direct et positif, elle nous dit : Faites, de tout votre pouvoir, à tout enfant des hommes, tout ce que vous pourriez raisonnablement désirer de lui s'il était à votre place.

Prenons, comme au hasard, un ou deux exemples.

                    Notre conscience nous dit à tous bien clairement que nous n'aimons pas qu'on nous juge, qu'on pense légèrement et sans cause du mal de nous ; bien moins encore qu'on parle mal de nous, et qu'on publie nos fautes réelles et nos faiblesses. — Tirez de cela l'application : ne faites pas à d'autres ce que vous ne voulez pas qu'ils vous fassent, et dès lors il ne vous arrivera plus de juger votre prochain, de penser légèrement du mal de qui que ce soit, et bien moins encore de médire ou même de mentionner les fautes réelles d'une personne absente, à moins que vous ne soyez convaincu que l'intérêt d'autres âmes vous y oblige.

                    Nous désirons que les hommes nous aiment et nous estiment, qu'ils pratiquent envers nous la justice, la miséricorde et la fidélité. Nous pouvons raisonnablement désirer qu'ils nous fassent tout le bien qu'ils peuvent nous faire sans se faire du tort à eux-mêmes, et pour les choses terrestres, nous pouvons même souhaiter (conformément à une règle bien connue) ; « que leur superflu cède à notre utilité, leur utilité à nos nécessités, et leurs nécessités à nos extrémités ». Eh bien donc ! marchons nous-mêmes d'après cette règle ; faisons à tous les hommes ce que nous voudrions qu'ils fissent pour nous. Aimons et honorons tous les hommes. Que la justice, la miséricorde et la fidélité gouvernent tous nos sentiments et toutes nos actions. Que notre superflu cède à l'utilité de notre prochain (et à qui restera-t-il alors du superflu ?), notre utilité à ses nécessités et nos nécessités à ses extrémités.

                    C'est là de la vraie, de la pure morale. « Fais cela, et tu vivras ». Et « pour tous ceux qui marchent suivant cette règle, que la paix soit sur eux », car ils sont « l'Israël de Dieu ». Ajoutons maintenant que personne ne peut suivre cette règle (ni ne l'a fait depuis le  commencement du monde), personne ne peut aimer son prochain comme lui-même, s'il n'a commencé par aimer Dieu ; et personne ne peut aimer Dieu s'il ne croit en Christ, s'il n'a la rédemption par son sang, et si le Saint-Esprit « ne rend témoignage avec son Esprit qu'il est enfant de Dieu ». La foi demeure donc la racine de tout, du salut présent comme du salut éternel ; et toujours nous devons dire à chaque pécheur : « Crois au Seigneur Jésus-Christ, et tu seras sauvé ». Tu seras sauvé maintenant, afin que tu sois sauvé à toujours, sauvé sur la terre, pour être sauvé dans le ciel, crois en lui, et ta foi sera « agissante par la charité ». Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, parce qu'il t'a aimé ; tu aimeras ton prochain comme toi-même ; et dès lors tu mettras ta gloire et ta joie à exercer et à accroître cet amour, non seulement en t'abstenant de ce qui y est contraire, de toute malveillance en pensées, en paroles ou en actions, mais encore en ayant pour tout homme la bonté que tu voudrais qu'il eût à ton égard.



mardi 14 juin 2016

(9) LE SERMON SUR LA MONTAGNE, NEUVIÈME DISCOURS WESLEY Matthieu 6:24-34

Numérisation Yves PETRAKIAN Copie autorisée pour diffusion gratuite uniquement Obligation d'indiquer la source http://456-bible.123-bible.com 

Sermon 29 :   (1748)     LE SERMON SUR LA MONTAGNE, NEUVIÈME DISCOURS

Matthieu 6,24-34


24  Nul ne peut servir deux maîtres. Car, ou il haïra l’un, et aimera l’autre; ou il s’attachera à l’un, et méprisera l’autre. Vous ne pouvez servir Dieu et Mamon. 
25   C’est pourquoi je vous dis: Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps, de quoi vous serez vêtus. La vie n’est-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement?
26  Regardez les oiseaux du ciel: ils ne sèment ni ne moissonnent, et ils n ‘amassent rien dans des greniers; et votre Père céleste les nourrit. Ne valez-vous pas beaucoup plus qu’eux?
27  Qui de vous, par ses inquiétudes, peut ajouter une coudée à la durée de sa vie?
28  Et pourquoi vous inquiéter au sujet du vêtement? Considérez comment croissent les lis des champs: ils ne travaillent ni ne filent;
29   cependant je vous dis que Salomon même, dans toute sa gloire, n’a pas été vêtu comme l’un d’eux.
30  Si Dieu revêt ainsi l’herbe des champs, qui existe aujourd’hui et qui demain sera jetée au four, ne vous vêtira-t-il pas à plus forte raison, gens de peu de foi?
31  Ne vous inquiétez donc point, et ne dites pas: Que mangerons-nous? que boirons-nous? de quoi serons-nous vêtus?
32  Car toutes ces choses, ce sont les païens qui les recherchent. Votre Père céleste sait que vous en avez besoin.
33  Cherchez premièrement le royaume et la justice de Dieu; et toutes ces choses vous seront données par-dessus. 
34  Ne vous inquiétez donc pas du lendemain; car le lendemain aura soin de lui-même. A chaque jour suffit sa peine.

                    Nous lisons dans le livre des rois que les nations que le roi d'Assyrie plaça dans les villes de la Samarie, après avoir transporté Israël en captivité, « révéraient l’internet et servaient en même temps leurs dieux ». Ces nations, « dit l'auteur inspiré », craignaient (ou révéraient) l’Éternel, « c'est-à-dire lui rendaient extérieurement une sorte de culte et en même temps elles servaient leurs images, et leurs enfants et les enfants de leurs enfants font jusqu'à ce jour comme leurs pères ont fait (2 Rois 17 : 33-41).

                 Combien la plupart des chrétiens actuels se rapprochent, dans leur conduite, de ces tribus païennes ! Eux aussi révèrent le Seigneur ; par le culte extérieur qu'ils lui rendent, ils montrent qu'ils le craignent en quelque mesure ; mais eux aussi servent leurs propres dieux. Eux aussi ont, comme ces Assyriens, des gens qui leur enseignent « la manière de servir le dieu du pays », le dieu dont le pays porte le nom jusqu'à ce jour et qui y reçut jadis une plus véritable adoration ; toutefois ils ne le servent pas seul ; ils ne le craignent pas assez pour cela ; mais « chaque nation se fait ses » propres « dieux », chaque nation dans les villes qu'elle habite ». Ces nations « craignent le Seigneur  » ; elles n'ont pas mis de côté les formes de son service, mais « elles servent leurs images » d'argent et d'or, faites de main d'homme : l'argent, le plaisir, la gloire, — qui sont les dieux de ce monde, font plus que partager leurs hommages avec le Dieu d'Israël ; « et leurs enfants et les enfants de leurs enfants font jusqu'à ce jour comme leurs pères ont fait ». 

                    Mais quoiqu'il soit dit, dans un sens peu rigoureux et selon le langage ordinaire des hommes, que ces pauvres païens « servaient l’Éternel », il nous faut bien remarquer que le Saint-Esprit ajoute immédiatement après, parlant selon la vraie nature des choses : « Ils ne craignent donc point l’Éternel et ne suivent point les lois et les commandements que le Seigneur commanda aux enfants d'Israël, avec lesquels il fit une alliance et auxquels il commanda en disant : Vous ne craindrez point d'autres dieux et ne vous prosternerez point devant eux, mais vous craindrez l’Éternel et il vous délivrera de la main de vos ennemis ».

                  Tel est aussi le jugement que l'Esprit qui ne peut mentir (et même quiconque a les yeux ouverts pour discerner les choses de Dieu), porte sur ces pauvres chrétiens de nom. A parler selon la vérité et la nature réelle des choses, « ils ne craignent ni ne servent l’Éternel ». Car ils ne font ni selon l'alliance que le Seigneur a faite avec eux, ni d'après la loi et le commandement qu'il leur a donné, en disant : « Tu adoreras le Seigneur ton Dieu et tu le serviras lui seul ». Ils servent jusqu'à ce jour d'autres dieux et — « nul ne peut servir deux maîtres ».

                    Que ce désir de servir deux maîtres, qui que ce soit qui le forme, est insensé ! N'est-il pas aisé de prévoir la conséquence inévitable d'une telle tentative ? « Ou il haïra l'un et aimera l'autre, ou il s'attachera à l'un et méprisera l'autre ». Ces deux sentences, quoique présentées séparément, sont intimement liées, quant au sens, et l'une est la conséquence de l'autre. Naturellement il s'attachera à celui qu'il aime, en sorte qu'il lui rendra un service volontaire, fidèle et actif ; tandis que, pour le maître qu'il hait, il le méprisera au moins assez pour n'avoir que peu d'égards pour ses commandements et pour n'y prêter obéissance, si obéissance il y a, qu'imparfaitement et avec négligence.

                     Ainsi donc, quoi qu'en pensent les sages de ce monde, « vous ne pouvez servir Dieu et Mammon ».

                    Mammon était le nom d'une divinité païenne qu'on supposait présider aux richesses. Il est pris ici pour les richesses elles-mêmes, pour l'argent et l'or, et, par une figure ordinaire de langage, pour tout ce qu'on peut se procurer à prix d'argent, — le bien-être, l'honneur et les plaisirs sensuels.

Mais que faut-il entendre ici par le service de Dieu et par le service de Mammon ?

                    Nous ne pouvons servir Dieu si nous ne croyons en lui. La foi est la vraie base de son service. Croire en Dieu comme « réconciliant le monde avec lui-même par Jésus-Christ », croire en lui comme en un Dieu qui aime et qui pardonne, c'est par là qu'il faut commencer pour le servir.

                  Croire ainsi en Dieu, — c'est nous confier en lui comme en notre force sans laquelle nous ne pouvons rien, et qui nous revêt incessamment de cette vertu d'en haut qui est indispensable pour lui plaire ; comme en notre soutien, notre seul soutien qui, dans le temps de détresse, nous environne de chants de délivrance ; comme en notre bouclier, notre défenseur qui élève notre tête par-dessus nos ennemis qui campent autour de nous.

                  Croire ainsi en Dieu, — c'est nous confier en lui comme en notre vie, comme au Père des esprits, l'unique repos de nos âmes, le seul bien qui réponde à la grandeur de nos facultés et qui puisse suffire à remplir les désirs qu'il a lui-même mis au dedans de nous.

                   Croire ainsi en Dieu, — c'est nous confier en lui comme en notre fin, regarder à lui en toutes choses ; n'user des choses que par rapport à lui et comme moyen de le connaître et de le posséder ; c'est voir dans toutes nos allées et nos venues Celui qui est invisible nous regardant avec bienveillance, enfin c'est lui rapporter toutes choses en Jésus-Christ.

                   Croire ainsi en Dieu est la première partie du service de Dieu. La seconde, c'est de l'aimer.

                   Aimer Dieu, suivant la définition des Écritures et comme Dieu lui-même le requiert de nous et s'engage par cela même à opérer en nous dans ce but, c'est l'aimer comme le seul Dieu, c'est-à-dire « de tout notre cœur, de toute notre âme, de toute notre pensée et de toutes nos forces ». C'est désirer Dieu pour lui-même et ne rien désirer qu'à cause de lui ; c'est se réjouir en Dieu, mettre en lui ses délices, non seulement chercher mais trouver son bonheur en lui, l'aimer comme le premier « entre dix mille », nous reposer en lui comme en notre tout ; — en un mot, c'est avoir de lui cette possession qui rend continuellement heureux.

Servir Dieu, c'est encore lui ressembler, l'imiter.

                     « La meilleure adoration de Dieu », disait un ancien père, « c'est d'imiter celui que tu adores ». L'imitation dont je parle est celle de notre esprit et de nos pensées, car c'est là que commence la manière chrétienne d'imiter Dieu. « Dieu est esprit », et il faut que ceux qui l'imitent lui ressemblent « en esprit et en vérité ».

                      Or, « Dieu est amour  » ; c'est pourquoi ceux qui lui ressemblent en esprit sont « transformés dans cette même image ». Ils sont « miséricordieux, comme il est miséricordieux ». Leur âme est tout amour. Ils sont doux, bienveillants, compatissants et tendres ; et cela non seulement pour ceux qui sont bons et doux, mais pour ceux-mêmes dont l'humeur est difficile et acariâtre. Comme lui ils sont « bons pour tous », et leurs « compassions s'étendent à toutes ses œuvres ».

                      Servir Dieu, c'est enfin lui obéir, c'est le glorifier dans nos corps comme dans nos esprits, garder au dehors comme au dedans ses ordonnances, faire avec zèle tout ce qu'il commande, éviter avec soin tout ce qu'il interdit, accomplir les actes ordinaires de la vie d'un œil simple et d'un cœur pur, et les offrir par un amour saint et fervent, comme des sacrifices à Dieu par Jésus-Christ.

Considérons maintenant, d'autre part, ce qu'il faut entendre par servir Mammon.

                     Servir Mammon, c'est, d'abord, nous confier aux richesses et en tout ce qu'elles procurent comme en notre force, comme au moyen d'accomplir tout ce qui nous plaît ; — comme en notre secours, par lequel nous comptons être consolés ou délivrés dans les jours de détresse.

                   Servir Mammon, c'est nous confier au monde pour notre bonheur ; c'est croire que lorsque « les biens abondent à quelqu'un, il a la vie », le bonheur de la vie « par ses biens  » ; c'est attendre notre repos des objets visibles, notre contentement de l'abondance extérieure, c'est attendre des choses du monde cette sorte de satisfaction qu'on ne saurait trouver hors de Dieu.

                    Et dès lors servir Mammon, c'est nécessairement faire du monde notre fin, le dernier but tout au moins d'un grand nombre de nos entreprises, d'un grand nombre de nos actions et de nos desseins, dans lesquels nous viserons uniquement à accroître notre fortune, à obtenir les plaisirs ou les louanges, à nous procurer plus de biens temporels sans avoir égard aux choses éternelles.

                      Servir Mammon, c'est, en deuxième lieu, aimer le monde ; c'est désirer le monde pour lui-même, c'est placer notre joie dans les choses du monde et y mettre notre cœur, c'est y chercher, bien vainement sans doute, notre bonheur, c'est nous appuyer de toute la puissance de notre âme sur ce roseau brisé, quoiqu'une expérience journalière nous montre qu'il ne peut servir d'appui, mais qu'il ne fait que nous « percer la main ».

                    Servir Mammon, c'est, en troisième lieu, ressembler au monde, s'y rendre conforme, c'est avoir non seulement des desseins, mais des désirs, des sentiments, des affections d'accord avec ceux du monde, c'est être terrestres, sensuels, enchaînés aux choses de la terre, c'est être attachés à notre volonté propre, amateurs passionnés de nous-mêmes, c'est avoir une haute opinion de nos qualités, c'est nous complaire dans les louanges des hommes, c'est craindre, éviter, détester ses reproches, c'est être impatients de la répréhension, irritables et prompts à rendre le mal pour le mal.

                    Servir Mammon, c'est, enfin, obéir au monde, en suivant, au dehors, ses maximes et ses coutumes, c'est faire comme les autres, marcher dans la route commune, dans le sentier large, facile et battu, c'est être à la mode et suivre la multitude, c'est faire, en un mot, la volonté de la chair et de nos pensées, caresser nos appétits et nos penchants, sacrifier à nous-mêmes et ne chercher dans l'ensemble de nos actions et de nos paroles que notre plaisir et notre propre satisfaction. N'est-il donc pas évident par-dessus toute évidence qu'un tel service ne peut être rendu à la fois à Dieu et à Mammon ?

                   Qui ne voit qu'on ne peut commodément les servir tous deux ? Que flotter entre Dieu et le monde est le plus sûr moyen d'être désappointé des deux parts et de n'avoir de repos d'aucun côté ? Quelle condition que celle d'un homme qui, craignant Dieu sans l'aimer, le servant mais non de tout son cœur, ne recueille que les peines et non les plaisirs de la religion ? Il a tout juste assez de religion pour être misérable, mais pas assez pour être heureux ; la religion ne lui permet pas de jouir du monde, et le monde ne lui permet pas de jouir de Dieu. En sorte que, pour se tenir entre deux, il les perd tous deux et n'a la paix ni avec Dieu ni avec le monde.

                  Qui ne voit qu'on ne peut de manière à être conséquent avec soi-même les servir tous deux ? Quelle plus éclatante contradiction peut-on concevoir que celle qui paraît continuellement dans la conduite d'un homme qui s'efforce de servir à la fois Dieu et Mammon ? C'est un pécheur qui « va par deux chemins », un pas en avant, un pas en arrière. Sans cesse il bâtit d'une main et démolit de l'autre ; il aime le péché, et cependant il le hait ; toujours cherchant Dieu et toujours fuyant loin de Lui. Il veut et ne veut pas. Il n'est pas le même homme pendant un jour, que dis-je, pendant une heure entière. C'est un mélange bizarre de contrastes, un amas de contradictions fondues en une seule. Oh ! soyez, de manière ou d'autre, d'accord avec vous-même ! Prenez à droite ou à gauche. Si Mammon est Dieu, servez-le ! Si l'Éternel est Dieu, servez-le ! Mais n'allez pas croire que vous servez l'un ou l'autre, à moins que vous ne le fassiez de tout votre cœur.

                     Quel homme raisonnable et réfléchi ne voit qu'il est impossible de les servir tous deux, attendu qu'il y a entre eux l'opposition la plus absolue, l'inimitié la plus irréconciliable. L'opposition qui existe ici-bas entre les choses les plus contraires, entre le feu et l'eau, entre les ténèbres et la lumière, s'évanouit entièrement devant celle qui existe entre Dieu et Mammon, en sorte que vous ne pouvez servir l'un, en quoi que ce soit, sans renier l'autre. Vous croyez en Dieu par Jésus-Christ, vous l'embrassez comme votre force, votre secours, votre bouclier, votre « très grande récompense », — comme votre vie, votre tout dans tout et par-dessus tout ? Mais alors vous ne vous confiez point aux richesses. Vous ne sauriez absolument le faire aussi longtemps que vous avez cette foi en Dieu. Vous vous confiez aux richesses ? Alors vous avez renié la foi, et vous ne vous confiez pas au Dieu vivant. Aimez-vous Dieu, avez-vous cherché et trouvé votre bonheur en lui ? Alors vous ne pouvez aimer le monde ni les choses du monde. Vous êtes crucifié au monde et le monde vous est crucifié. Aimez-vous le monde ? Vos affections appartiennent-elles aux choses d'ici-bas ? Y cherchez-vous votre bonheur ? Alors il est impossible que vous aimiez Dieu ; alors « l'amour du Père n'est point en vous ». Ressemblez-vous à Dieu ? Êtes-vous miséricordieux comme votre Père est miséricordieux ? Êtes-vous transformés par le renouvellement de votre esprit à l'image de celui qui vous a créés ? Alors vous ne pouvez « vous conformer au présent siècle ». Vous avez renoncé à ses affections et ses convoitises. Êtes-vous conformes au monde ? Votre âme porte-t-elle encore « l'image du terrestre ? » Alors vous n'êtes pas renouvelé dans l'esprit de votre entendement ; vous ne portez pas « l'image du céleste ». Obéissez-vous à Dieu ? Êtes-vous zélés pour sa volonté sur la terre comme les anges le sont dans le ciel ? Alors il est impossible que vous obéissiez à Mammon. Alors vous bravez le monde, vous foulez aux pieds ses coutumes et ses maximes, et vous ne voulez ni les suivre, ni vous laisser diriger par elles. Suivez-vous le monde ? Vivez-vous comme les autres hommes ? Plaisez-vous aux hommes ? Vous plaisez-vous à vous-mêmes ? Alors vous ne pouvez être serviteurs de Dieu ; vous servez le diable, votre maître et votre père.

                     C'est pourquoi « tu adoreras l'Éternel ton Dieu, et tu le serviras lui seul ». Tu renonceras à toute idée d'obéir à deux maîtres, de servir Dieu et Mammon. Tu ne te proposeras pas d'autre fin, d'autre aide, d'autre bonheur que Dieu. Tu ne chercheras « que lui dans le ciel et sur la terre »,  tu n'auras d'autre but que de le connaître, de l'aimer et de le posséder : Et, puisque c'est là votre seule affaire ici-bas, la seule vue, le seul dessein que vous puissiez raisonnablement avoir et poursuivre en toutes choses, pour cette raison « je vous dis », continue le Seigneur, « ne soyez point en souci de votre vie de ce que vous mangerez et de ce que vous boirez, ni pour votre corps de quoi vous serez vêtus  » ; — profonde et importante instruction qu'il nous importe de bien considérer et de bien comprendre.

                     Ce que le Seigneur commande, dans ce passage, ce n'est pas que nous soyons absolument sans souci, même pour les intérêts de la terre. L'étourderie et l'insouciance sont aussi loin que possible de la religion de Christ. Il ne nous commande pas non plus d'être lâches, paresseux et lents dans les affaires. Ce n'est pas moins contraire à l'esprit tout entier de sa religion. Le chrétien abhorre la paresse autant que l'ivrognerie, et fuit l'oisiveté autant que l'adultère. Il est une sorte de soins auxquels Dieu prend plaisir, et qui sont nécessaires pour remplir comme il faut les devoirs extérieurs auxquels la providence de Dieu nous appelle.

                  Dieu veut que chacun travaille pour manger son propre pain et qu'il pourvoie au besoin des siens, de ceux de sa propre maison. Il veut aussi « que nous ne devions rien à personne », recherchant « les choses qui sont honnêtes devant tous les hommes ». Mais cela ne peut se faire sans réflexion, sans quelque souci, souvent même sans de longues et sérieuses préoccupations et sans une grave sollicitude. Le Seigneur ne peut donc condamner ces pensées et ce souci indispensables. C'est, au contraire, une chose bonne et agréable à Dieu, notre Sauveur.

                   Il est bon et agréable à Dieu que nos pensées travaillent assez relativement à tout ce dont nous nous occupons pour bien comprendre et bien régler le plan de toute affaire avant de l'entreprendre. Il est bon aussi que, de temps en temps, nous considérions avec soin la marche qu'il faut y suivre, après avoir tout préparé d'avance pour y réussir de notre mieux. Ces « soucis de la tête », comme quelques-uns les appellent, ne sont nullement ce que le Seigneur a eu l'intention de condamner. 

                      Ce qu'il condamne ici ce sont les « soucis du cœur  » ; les soucis inquiets, les soucis qui rongent, tout souci propre à faire du tort soit au corps, soit à l'âme. Ce qu'il interdit, c'est ce genre de soucis qui, comme le montre l'expérience, troublent notre sang et épuisent nos esprits, qui devancent la misère qu'ils redoutent, et qui viennent nous « tourmenter avant le temps » ; ces soucis qui empoisonnent la bénédiction d'aujourd'hui par la crainte de ce qui peut arriver demain, et empêchent de jouir de l'abondance actuelle par l'appréhension d'une indigence future. De tels soucis ne sont pas seulement une maladie, une grave maladie de l'âme, mais encore une offense odieuse envers Dieu, un très grand péché, un outrage au sage Dispensateur de toutes choses ; car c'est dire que le souverain Juge ne juge pas justement et qu'il n'ordonne pas bien les choses d'ici-bas. C'est dire ou qu'il manque de sagesse, s'il ne sait pas ce dont nous avons besoin, ou de bonté, s'il refuse de procurer ces choses à l'un de ceux qui se confient en lui. Gardez-vous donc de cette sorte de soucis ; n'ayez de soucis inquiets pour aucune chose. Ne vous tourmentez pas dans vos pensées ; cette règle est claire et certaine : tout souci inquiet est mauvais. Faites, d'un œil simple, tout ce qui est en votre pouvoir pour vous procurer les choses qui sont « honnêtes devant tous les hommes », puis remettez le tout en de meilleures mains, et attendez le succès de Dieu.  

                  Dans ce sens « ne vous inquiétez pas même, pour votre vie, de ce que vous mangerez, de ce que vous boirez, ni, pour votre corps, de quoi vous serez vêtus. La vie n'est-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement ? » Dieu, qui vous a fait le plus grand don, celui de la vie, ne vous en accordera-t-il pas un moindre, la nourriture nécessaire à cette vie ? S'il vous a donné le corps, comment doutez-vous qu'il ne vous donne de quoi le vêtir ? surtout si vous vous abandonnez à lui et le servez de tout votre cœur. « Considérez », regardez devant vous « les oiseaux de l'air : ils ne sèment ni ne moissonnent, et n'amassent rien dans des greniers », et cependant ils ne manquent de rien, mais « votre Père céleste les nourrit ». N'êtes-vous pas plus excellents qu'eux ? « Vous, créatures capables de posséder Dieu, n'avez-vous pas plus de valeur à ses yeux, et votre rang n'est-il pas plus élevé dans l'échelle des êtres ? « Et lequel de vous, par son souci, pourrait ajouter une coudée à sa taille ? » Que gagneriez-vous à vous inquiéter ? Ce souci est donc de toute manière inutile et sans fruit.

                   « Et pourquoi vous mettez-vous en peine pour le vêtement ? » N'avez-vous pas tous les jours, sous les yeux, votre censure ? « Apprenez comment les lis des champs croissent : ils ne travaillent ni ne filent. Cependant je vous dis que Salomon même, dans toute sa gloire, n'a point été vêtu comme l'un d'eux. Si donc Dieu revêt ainsi l'herbe des champs qui est aujourd'hui et qui demain sera jetée dans le four, ne vous revêtira-t-il pas beaucoup plutôt ? ô gens de petite foi », vous qu'il a faits pour vivre toujours, pour être à l'image de son éternité ! Vous êtes vraiment de petite foi, car autrement vous ne pourriez douter de son amour et de sa sollicitude, non, pas même pour un moment.

                      « Ne soyez donc point en souci disant : Que mangerons-nous » si nous n'amassons des trésors sur la terre ? Que boirons-nous » si nous servons Dieu de toutes nos forces, si, d'un cœur simple, nous regardons à lui seul ? « De quoi serons-nous vêtus » si nous ne nous confions pas au monde, si nous heurtons ceux de qui nous pourrions tirer profit ? « Car ce sont les païens qui recherchent toutes ces choses », les païens qui ne connaissent point Dieu. Mais vous n'ignorez pas que « votre Père céleste sait que vous avez besoin de toutes ces choses-là ». Et il vous indique une marche infaillible pour en être toujours pourvus : « Cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et toutes ces choses vous seront données par-dessus ».

                   « Cherchez premièrement le royaume de Dieu : » Avant toute autre pensée, tout autre souci, ayez le désir ardent que Dieu règne dans vos cœurs, lui le Dieu et Père de notre Seigneur Jésus-Christ, qui a donné son Fils unique pour vous, qu'il se manifeste en vous, qu'il y habite et y gouverne ; « qu'il renverse les forteresses et tout ce qui s'élève contre sa connaissance et soumette toutes vos pensées captives à l'obéissance de Christ  » ; que Dieu seul ait domination sur vous ; que seul il soit votre attente, votre joie, votre amour ; en sorte que tout ce qui est en vous répète continuellement : « Le Seigneur Dieu tout-puissant règne ! »

                    « Cherchez le royaume de Dieu et sa justice ». La justice habite là où Dieu règne ainsi dans le cœur ; et qu'est-ce que la justice, si ce n'est l'amour ? l'amour de Dieu et de tous les hommes, découlant de la foi en Jésus-Christ et produisant l'humilité d'esprit, la douceur, la débonnaireté, la longanimité, la patience, le renoncement au monde, et toute bonne disposition envers Dieu et envers les hommes ; d'où naissent à leur tour, toutes les actions saintes, aimables et dignes de louange, toute œuvre de foi, tout travail de charité agréable à Dieu et utile au prochain.

                    « Sa justice ». -Tout cela demeure sa justice ; c'est le don libre de sa grâce envers nous, en Jésus-Christ le Juste, par qui seul elle nous est acquise ; et c'est son œuvre ; lui seul l'opère en nous par l'effusion du Saint-Esprit.

                  Ceci peut jeter du jour sur d'autres passages que nous n'avons peut-être pas clairement compris. Saint Paul, dans son Épître aux Romains, dit, en parlant des Juifs incrédules : « Ne connaissant pas la justice de Dieu, et voulant établir leur propre justice, ils ne se sont pas soumis à la justice de Dieu ». Je pense donc que par ces mots : « Ne connaissant pas la justice de Dieu », il ne faut pas entendre seulement qu'ils ignoraient la justice de Christ imputée à tout croyant, par laquelle ses péchés sont effacés, en sorte qu'il retrouve la faveur de Dieu, mais aussi et plus immédiatement encore, qu'ils ignoraient cette justice intérieure, cette sainteté de cœur qui mérite parfaitement d'être appelée « justice de Dieu », puisqu'elle est, à la fois, son don gratuit en Jésus et son œuvre par le Saint-Esprit. C'est parce qu'ils ignoraient cette justice qu'ils cherchaient à établir « leur propre justice ». Ils s'efforçaient d'établir cette justice extérieure ; qui méritait bien d'être appelée la leur, car elle n'était, ni produite par l'Esprit de Dieu, ni avouée et reconnue de lui. Ils pouvaient l'opérer eux-mêmes par leurs forces naturelles ; et quoique ce ne fût qu'une abomination devant Dieu et une puanteur à ses narines, cependant comme ils s'y confiaient, ils ne voulaient point se soumettre à la justice de Dieu, et même ils s'endurcissaient contre la foi par laquelle seule on peut l'atteindre. « Car Christ est la fin de la loi en justice à tout croyant ». Christ, lorsqu'il s'écria : « Tout est accompli », mit fin à la loi, à la loi des cérémonies et des rites extérieurs, afin de nous procurer une justice plus excellente par son sacrifice, savoir le don de la ressemblance de Dieu gravée au plus profond de l'âme de tout croyant.

                   Je trouve un sens analogue dans ces paroles de Paul aux Philippiens : « Je ne regarde toutes choses que comme de l'ordure, pourvu que je gagne Christ et que je sois trouvé en lui, ayant non la justice qui me venait de la loi, mais celle qui vient de la foi en Christ, la justice qui est de Dieu par la foi ». « N'ayant pas la justice qui me venait de la loi », une justice purement du dehors, la religion que j'avais autrefois quand je fondais mon espérance sur ce que, « à l'égard de la justice de fa loi, j'étais sans reproche », mais « la justice qui vient de la foi en Christ, la justice qui est de Dieu par la foi », ce renouvellement complet de l'âme, qui est l'œuvre de Dieu et non des hommes ; qui est « par la foi », par la foi en Christ par laquelle seule nous obtenons la rémission des péchés et un héritage parmi ceux qui sont sanctifiés.

                   « Cherchez premièrement » ce « royaume de Dieu » qui s'établit dans le cœur, cette justice qui est le don et l'œuvre de Dieu et le renouvellement de l'image de Dieu dans vos âmes ; et « tout le reste », c'est-à-dire, tout ce qui est nécessaire pour le corps, dans la mesure la plus convenable pour l'avancement de son règne, « tout le reste vous sera donné par-dessus ». Dieu vous le donnera par-dessus le marché. En cherchant la paix et l'amour de Dieu, vous ne trouverez pas seulement ce premier objet de vos désirs — « le royaume qui ne peut être ébranlé » — mais encore vous trouverez ce que vous ne cherchez point, et que du moins vous ne cherchez nullement pour soi ; — vous trouverez sur votre chemin les biens extérieurs en tant qu'il vous convient d'en avoir ; c'est un soin que Dieu prend à sa charge ; jetez donc sur lui le fardeau de vos soucis. Il sait vos besoins et il ne manquera pas de suppléer à ce qui vous manque.

                « Ne soyez donc point en souci pour le lendemain ». Non seulement ne vous mettez point en souci d'amasser des trésors sur la terre, d'asseoir votre position dans le monde, — mais, même pour ce qui est absolument nécessaire, n'ayez pas de souci inquiet. Ne vous tourmentez pas maintenant de ce que  vous aurez à faire dans une éventualité encore éloignée. Peut-être ne viendra-t-elle jamais ou ne viendra-t-elle pas pour vous dont la nacelle aura déjà abordé dans l'éternité. Toutes ces vues éloignées doivent être étrangères à des créatures d'un jour. Et qu'avez-vous à faire proprement avec le lendemain ! pourquoi vous tourmenter sans nécessité ? Dieu prend soin pour aujourd'hui de soutenir la vie qu'il vous a donnée. Cela suffit. Mettez-vous entre ses mains. Un autre jour, si vous vivez, il prendra encore soin de vous.

                  Surtout que le souci de l'avenir ne vous soit pas un prétexte pour négliger le devoir présent. C'est la manière la plus funeste de prendre souci du lendemain. Et que ce travers est commun ! Que de gens, lorsque nous les exhortons à conserver une conscience pure, à s'abstenir de ce qu'ils savent être mal, ne se font aucun scrupule de répliquer : « Et que ferons-nous pour vivre ? Ne faut-il pas vivre, nous et notre famille ? » Ils croient cette raison suffisante pour persévérer volontairement dans le péché. Ils voudraient, disent-ils, sincèrement peut-être, ils voudraient servir Dieu aujourd'hui ; mais ils perdraient aussitôt leur pain. Ils voudraient se préparer pour l'éternité ; mais ils craignent de manquer du nécessaire. C'est ainsi qu'ils servent le diable pour un morceau de pain ; ils courent en enfer par crainte du besoin ; ils perdent leurs pauvres âmes de crainte de manquer, un jour ou l'autre, de ce qui est nécessaire pour le corps.

                 Empiétant ainsi sur l'action de Dieu et sur les soins qu'il s'est réservés, il n'est pas étonnant qu'ils soient souvent désappointés dans les choses mêmes qu'ils recherchent et que jetant les biens du ciel pour s'assurer ceux de la terre, ils perdent les uns sans gagner les autres. Le Dieu jaloux permet souvent cela dans sa providence ; et ceux qui ne veulent pas « rejeter leurs soucis sur l’Éternel », perdent souvent cela même qu'ils ont choisi pour leur portion. Une malédiction visible repose ; sur toutes leurs entreprises, et ils échouent en tout et partout, en sorte qu'après avoir abandonné Dieu pour le monde, ils perdent ce qu'ils cherchent aussi bien que ce qu'ils ne cherchent point, et se trouvent privés du royaume de Dieu et de sa justice sans que les autres choses leur soient données en compensation.

                     Mais il est une autre manière de « se mettre en souci pour le lendemain » qui se rapporte aux choses spirituelles et qui n'est pas moins condamnée par ce texte. L'inquiétude pour un avenir plus ou moins éloigné peut nous faire négliger les devoirs que nous avons sous la main. Oh ! qu'il est facile, à moins de veiller et de prier sans cesse, de se laisser entraîner insensiblement dans cet écart, et de rêver pour ainsi dire, les yeux ouverts, formant des projets pour un avenir lointain et se repaissant des peintures séduisantes de l'imagination. Que de bien ne ferai-je pas quand je serai dans tel lieu, dans telle position ! Comme j'abonderai en bonnes œuvres quand je serai bien dans mes affaires ! Avec quel zèle je servirai Dieu quand je n'aurai plus tel ou tel obstacle sur mon chemin !

                    Vous êtes peut-être dans un pénible état d'âme ; Dieu semble vous cacher sa face, vous voyez peu sa lumière ; vous avez peu le sentiment de son amour. Dans cette position qu'il est naturel de penser : « Oh ! combien je louerai Dieu quand il aura fait lever de nouveau sur moi la clarté de sa face ! Comme j'exhorterai les âmes à le bénir quand son amour sera de nouveau répandu dans mon cœur ! Je rendrai partout témoignage à Dieu ; je n'aurai point honte de l’Évangile de Christ ; je rachèterai le temps, je ferai valoir tous les talents qu'il m'a donnés ! » Ne crois rien de tout cela. Tu ne le feras point alors, si tu ne le fais dès aujourd'hui. « Celui qui est fidèle dans les petites choses », quelle qu'en soit la nature, qu'il s'agisse de la terre ou du ciel, « sera aussi fidèle dans les grandes ». Si tu caches maintenant dans la terre ce seul talent que tu possèdes, tu en cacheras alors cinq s'ils te sont donnés : mais il n'y a pas apparence que tu les obtiennes ». Car « à celui qui a », c'est-à-dire qui emploie ce qu'il a, on donnera davantage ; mais « à celui qui n'a pas », c'est-à-dire qui n'emploie pas la grâce petite ou grande qu'il a déjà reçue, « on lui ôtera même ce qu'il a ».

                         Ne vous préoccupez pas non plus des tentations du lendemain. Ce piège aussi est dangereux. Ne dites pas : « Que ferai-je en face de cette tentation et comment y résisterai-je ? Je me sens incapable de la surmonter. Je ne saurais vaincre cet ennemi ».

                        Il est vrai, vous n'avez pas maintenant la force dont vous n'avez pas besoin maintenant. Vous ne sauriez vaincre à cette heure tel ennemi, mais à cette heure il ne vous attaque point. Avec la force que vous avez, vous ne sauriez résister aux tentations que vous n'avez point. Mais quand viendra la tentation, alors viendra la grâce. Dans une plus grande épreuve vous recevrez plus de force. Lorsque les souffrances abonderont, les consolations de Dieu abonderont dans la même proportion, en sorte que dans toute situation, vous puissiez dire : « Sa grâce me suffit ». Chaque jour vous pourrez dire : Il ne permet point aujourd'hui que je sois tenté au-dessus de mes forces. « Dans toute tentation, il vous donnera une issue ». « Ta  force durera autant que tes jours ».

                           Que « le lendemain donc ait soin de ce qui le regarde », c'est-à-dire, attends d'être au lendemain pour t'en occuper. Vis jour par jour. Que ton grand souci soit de mettre à profit l'heure présente. Elle t'appartient, et c'est tout ce qui t'appartient. Le passé n'est plus rien et c'est comme s'il n'avait jamais été. L'avenir n'est rien encore ; il n'est point encore à toi, peut-être ne sera-t-il jamais à toi. Tu ne peux y compter ; car tu ne sais ce qu'amènera le jour de demain. Occupe-toi donc d'aujourd'hui ; ne perds pas une heure ; emploie le moment présent, car c'est là ta portion. Qui est-ce qui connaît ce qui a été avant lui ou ce qui sera après lui sous le soleil ? « Les générations qui furent dès le commencement, où sont-elles ? Elles sont disparues, elles sont oubliées. Elles furent, elles vécurent leur jour ; puis elles tombèrent comme les feuilles d'un arbre qu'on secoue, et allèrent se confondre dans la commune poussière. Puis vinrent d'autres générations qui bientôt rejoignirent leurs pères pour « ne plus voir la lumière ». Maintenant tu es sur la terre à ton tour : « Jeune homme, réjouis-toi dans les jours de ta jeunesse ». Maintenant, maintenant embrasse Celui dont les années ne finissent point. Maintenant regarde d'un œil simple à Celui « en qui il n'y a ni variation ni ombre de changement ». Maintenant donne-lui ton cœur, maintenant appuie-toi sur lui ; maintenant sois saint comme il est saint ! Maintenant saisis l'occasion bénie de faire sa volonté agréable et parfaite ! Maintenant endure avec joie « la perte de toutes choses, afin de gagner Christ ! » Souffre avec joie « aujourd'hui » pour son nom, mais ne t'inquiète pas des souffrances de demain : « A chaque jour suffit sa peine ». « Sa peine », oui, c'est ainsi qu'il faut appeler, dans la langue des hommes, l'opprobre et le besoin, la douleur et la maladie ; mais dans la langue de Dieu, ce n'est que bénédiction ». C'est un baume précieux préparé par sa sagesse, et diversement distribué parmi ses enfants, suivant les diverses maladies de leurs âmes. Il en donne « chaque jour » une dose suffisante pour ce jour, selon le besoin et la force du malade. Si donc tu anticipes sur la dose de demain, la joignant à ce qui t'est donné pour aujourd'hui, ce sera plus que tu ne peux porter, et c'est le moyen non de guérir, mais de détruire ton âme. Contente-toi donc aujourd'hui de ce qu'il te prescrit pour aujourd'hui. Aujourd'hui, fais et endure sa volonté ! Aujourd'hui livre ton corps ton âme, ton esprit à Dieu par Jésus-Christ, ne désirant rien, si ce n'est de le glorifier dans tout ce que tu es, dans tout ce que tu fais, dans tout ce que tu souffres ; ne cherchant rien si ce n'est la connaissance de Dieu et de Jésus-Christ, son Fils, par l'Esprit éternel ; ne te proposant rien, si ce n'est de l'aimer, de le servir, et de le posséder à cette heure et dans toute l'éternité !

                    Or, à Dieu le père qui m'a créé, qui a créé le monde, — à Dieu le Fils qui m'a racheté, qui a racheté tous les hommes, — à Dieu le Saint-Esprit qui me sanctifie et qui sanctifie tous les élus de Dieu, soit honneur, louange, majesté et puissance, aux siècles des siècles ! Amen !