mardi 7 avril 2015

LA PRIÈRE DU ROYAUME par Jean-Christophe Blumhardt

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Table des matières

Introduction
Jésus dans le Notre-Père
Le Père lui-même
Que ton nom soit sanctifié
Que ton règne vienne
Que ta volonté soit faite
Donne-nous notre pain quotidien
Pardonne-nous nos péchés
Ne nous induis pas en tentation
Délivre-nous du malin .
Le règne, la puissance et la gloire

Introduction

         Après avoir recommandé à ses disciples de se garder, en priant, de toute hypocrisie, mais de prier en secret et de ne pas faire beaucoup de paroles, le Seigneur leur donne une prière modèle : Nous l’appelons le Notre- Père, mais d’après son contenu nous devrions l’appeler la prière du Royaume. Un jour, après que Jésus eut prié dans un lieu, ses disciples lui demandèrent de leur enseigner à prier, comme Jean-Baptiste l’avait fait pour les siens. Il semble que l’homme, dans sa faiblesse, ait besoin d’une formule définie pour que sa prière ne se perde pas en paroles vagues et vides, et puisque le Seigneur a bien voulu enseigner une prière modèle, bien des chrétiens devraient s’en souvenir et dire simplement, avec recueillement, un Notre Père, la prière du Royaume, soit qu’ils prient seuls, soit que plusieurs se trouvent réunis. Elle est si sublime, si divine, qu’elle ne vieillit jamais et ne peut devenir banale. 
          En disant : « Vous donc priez ainsi », Jésus recommande aux disciples de se servir de la prière qu’il leur enseigne, il lui confère une importance et une bénédiction particulières ; et cela doit nous engager à y recourir, surtout dans les moments où nous ne savons comment dire à Dieu ce qui nous agite, parce que souvent nous ne le comprenons pas. En nous présentant devant Dieu avec la prière que Jésus nous a donnée, nous pouvons être certains de la bienveillance du Père et de l’exaucement, même de ce que nous ne savons pas exprimer. 
            Aux heures de graves tentations, lorsqu’on se sent comme harcelé par l’ennemi, faible de corps et d’esprit, en proie au souci, au découragement, à l’irritation, surtout aussi lorsqu’on se trouve avec des malades ou qu’on est troublé par quelque inquiétude mystérieuse, rien ne saurait faire plus de bien qu’un Notre-Père dit simplement et lentement, en méditant surtout les grandes demandes qui concernent le Royaume. 
          Au milieu de toutes nos peines et de notre pauvreté, soyons reconnaissants au Sauveur de ce don inestimable et divin qu’il nous a légué, et en toutes circonstances, tenons-nous au Notre-Père, à la forte prière du Royaume. Quand nous la disons, celui qui nous l’a donnée est présent : fais-en l’expérience ! Jean-Christophe Blumhardt

Jésus dans le Notre-Père

              Notre Père qui est aux cieux » ! Ton esprit doit s’élever jusqu’au ciel où habite le Père, où le Royaume trouve son achèvement. Souvent tes pensées s’arrêtent trop sur la terre et alors il t’est difficile de prier. Pourtant le Père céleste n’est pas loin de toi. Il descend vers toi quand tu pries : c’est comme si tu parlais à un ami à tes côtés. Puisses-tu toujours en être convaincu ! Tu penses peut-être qu’il est plus facile de se représenter le bon Sauveur si proche et qu’en le priant tu es plus à ton aise. Tu es libre de le prier, mais pourquoi ne serais-tu pas tout autant à ton aise en t’adressant au Père, puisqu’il est ton Père ? Il est vrai que nous devons prier au nom de Jésus, mais d’où vient que tu appelles Dieu ton Père ? Si tu as vis-à-vis de lui les droits d’un enfant, n’est-ce pas à Jésus que tu le dois ? Peux-tu prier le Père sans te rappeler qu’il est le Père de Jésus-Christ ? La prière adressée au Père est toujours une prière au nom de Jésus. Comment ton esprit pourrait-il s’élever au ciel sans y trouver le Sauveur, assis à la droite de Dieu ? Réfléchis au Notre-Père tout entier. Tu sanctifies le nom de Dieu quand tu crois en Jésus. C’est Jésus qui fonde le règne qui doit venir. “
              C’est par lui que s’accomplit la volonté de Dieu sur la terre, car c’est lui qui mettra tous les ennemis sous ses pieds, pour que seule subsiste la volonté du Dieu vivant. Tu demandes du pain pour soutenir ta vie, à qui dois-tu la vie, si ce n’est au Sauveur qui en mourant s’est chargé pour toi de la malédiction de la mort ? Qui pardonne les péchés, ou par qui as-tu la possibilité du pardon ? Qui nous secourt dans la tentation, qui nous délivre enfin de tout mal et nous arrache aux griffes du malin ? Tu vois que tu trouves Jésus dans toute la prière du Royaume. Chaque fois que tu en prononces les demandes, tu es en sa présence aussi bien qu’en celle du Père, et c’est Jésus qui a dit : « Quand je serai élevé au-dessus de la terre, je les attirerai tous à moi. » Le Sauveur t’apprend à dire : « Notre Père » cela, signifie que tu ne dois jamais te présenter seul devant le Père, mais toujours en communion avec tous ceux qui, comme toi, ont besoin du secours de Dieu. En priant tu dois être la voix et le représentant de toute la création qui souffre et gémit : c’est ainsi que tu pries en enfant du Royaume. Mais que de fois, quand nous prions, nous ne songeons qu’à nous-mêmes et aux nôtres, et pourtant notre cœur devrait être large comme celui du Sauveur qui a donné sa vie pour tous, afin de nous unir tous en lui. Nous répétons bien quelques formules qui semblent venir d’un cœur plus confiant, mais elles ne font qu’accompagner la prière en boitant, pour ainsi dire : le cœur n’y est pas. Que le Notre-Père nous enseigne à mieux prier ! Si nous savions bien le dire, en y mettant tout notre cœur, combien ne ferions-nous pas progresser la cause du Royaume.
            Le Père lui-même Les trois premières demandes de la prière du Royaume (Matthieu 6.9-10) ont pour objet le Père lui-même, son nom, son règne, sa volonté. Ce qui, en effet, importe le plus pour nous aussi, c’est que tout ce qui est de Dieu acquière chez nous toute sa valeur. En adressant ces demandes au Père, nous prions donc au fond pour nous, puisque c’est nous qui bénéficierons de leur exaucement. Si le nom de Dieu n’est pas reconnu saint, si son règne ne s’édifie pas, si sa volonté est méprisée, nous restons dans une triste situation. C’est d’abord par nous et parmi nous que son nom doit être sanctifié ; c’est chez nous que son règne doit venir, que sa volonté doit s’accomplir. Il serait étrange que nous dussions adresser des demandes à Dieu pour lui-même, comme s’il avait besoin de notre faible prière pour réaliser ce qui est sa chose, ce que lui seul peut faire. 
          Voyons de plus près pourquoi nous devons tant prendre à cœur ces demandes : précisément parce que tout ce qui en fait l’objet est pour notre bien, si nous jugeons inutile de nous en occuper, si nous trouvons qu’il importe peu que son nom soit tenu en honneur dans le monde, que son règne s’établisse sur toutes les créatures, que toutes les volontés qui ne viennent pas de Dieu, si puissantes sur la terre, disparaissent, Dieu n’intervient pas, et laisse les choses suivre leur cours. Ils sont innombrables, ceux qui ne s’inquiètent pas de son nom ni de rien de ce qui a rapport à lui ; d’autres désirent tout autre chose que de vivre sous son règne, et combien ne connaissent que leur propre volonté ou se laissent mener par les ténèbres ! Dieu n’use pas de contrainte pour les sauver, ils sont libres de se précipiter dans l’immense misère qui est leur partage, loin de lui. Il attend que les hommes désirent au moins ce qu’il veut leur donner, et Jésus nous a mis sur les lèvres la prière du Royaume, afin que nous nous y associions intérieurement et que Dieu agisse, pour que tous les êtres créés reconnaissent en lui le Dieu qui seul peut faire leur bonheur. 
             Avant la venue du Christ, presque personne ne priait plus dans l’esprit de ces trois demandes. Pourtant cet esprit n’était pas inconnu en Israël, les psaumes et les prophètes en témoignent, et si on ne l’avait pas oublié de plus en plus, bien des choses eussent été différentes. La voix de l’Eternel, qui autrefois avait parlé par la bouche des prophètes, n’aurait pas cessé de se faire entendre. Au temps de Jésus, quelques rares fidèles qui attendaient le Royaume de Dieu, étaient seuls à représenter les grandes demandes qui devraient sans cesse monter du cœur de l’homme vers Dieu. Ils furent exaucés quand Dieu envoya son Fils par qui seules elles peuvent être réalisées, puisque c’est lui qui est l’annonciateur de l’avènement du Royaume. 
        Le premier de tous les hommes, Jésus a dit parfaitement les trois premières demandes de la prière du Royaume. Toutes ses prières ont certainement eu pour fonds le contenu de ces demandes. Il était la voix et le représentant de toute l’humanité, et si le Fils de l’homme n’avait pas prié au nom de tous, le monde n’aurait pas vu les grandes choses accomplies depuis son apparition pour la sanctification du nom de Dieu, la venue de son règne et la réalisation de sa volonté. Les disciples doivent apprendre à prier comme lui ; c’est en pensant aux trois grandes demandes pour le Royaume qu’il leur dit (Luc 18.1) de prier sans cesse et de ne se lasser jamais. Ils se tiennent ainsi à ses côtés, appuyant pour ainsi dire sa prière, croyant en lui, en son intercession et en son pouvoir. 
            Jésus a révélé et transfiguré le nom de Dieu sur la terre, il a travaillé à l’avancement de son règne, il a fait la volonté du Père en lui obéissant jusqu’à la mort sur la croix ; et quand nous adressons au Père la prière du Royaume, nous devons prier de même le Fils de continuer l’œuvre qu’il a, lui aussi, la puissance d’accomplir au ciel et sur la terre. Par son exemple, Jésus nous enseigne deux choses. 
           Premièrement nous voyons combien lui, qui était seul, a obtenu par ses prières. C’est une consolation et un encouragement dans les temps où ceux qui prient véritablement sont rares. Même s’ils ne sont que deux ou trois, Jésus selon sa promesse, est au milieu d’eux et ils peuvent obtenir beaucoup, aussi pour l’ensemble, pour le commencement d’un renouveau qui gagnera de proche en proche. Ne nous laissons donc pas décourager par le petit nombre de ceux qui veulent faire leur devoir, que chacun fasse le sien pour le bien de tous, comme s’il était le seul fidèle. Tous ceux qui ne disent pas de tout leur cœur les demandes pour le Royaume, sont infidèles. Il faut que les saints combattent pour la cause du Royaume, ainsi qu’il est dit dans Daniel 7.22 : « jusqu’à ce que l’Ancien des jours vint, et que le Jugement fût donné aux saints du Souverain et que le temps vint que les saints entrassent en possession du Royaume, » car Dieu veut rattacher son œuvre sur terre à celles des hommes, pour que le salut de la créature s’accomplisse. Combien peu on songe à cela ! 
          En second lieu, les disciples du Sauveur doivent l’imiter non seulement dans la prière, mais dans le don de toute sa personne à la cause pour laquelle il priait. De même nous devons témoigner par toute notre vie que nous nous considérons comme des instruments de la volonté divine, pour la réaliser, avec l’aide de Jésus, par la patience et la foi. Puissent les disciples qui prient, croient et agissent comme Dieu le commande, devenir plus nombreux en ce temps si grave, dont les besoins sont si grands !

Que ton nom soit sanctifié

               Nous posons d’abord la question : « Où le nom de Dieu doit-il être sanctifié ? » Et nous répondons : « Dans le monde entier, par toutes les créatures qui sont au ciel, sur la terre et sous la terre. » Si celui qui prie sanctifie le nom de Dieu, il souffre de ce qu’il y a encore tant de créatures qui ne le sanctifient pas. En disant : « Notre Père », il se sent en communion avec beaucoup d’autres, mais il sait aussi que la grandeur du nom de Dieu est loin d’être reconnue par toute la création et que pourtant la création ne peut trouver la paix tant que le nom de Dieu n’est pas sanctifié partout. En outre, celui qui prie a conscience de jouir d’un grand privilège et il souhaite à toutes les créatures, et aussi—j’ose le dire—au Père qui les aime, que ce nom qui devrait être vénéré au-dessus de tous les autres, ne soit pas plus longtemps négligé et insulté. On sanctifie ce qu’on met à part, au-dessus de toutes les choses vulgaires. C’est ainsi que le nom de Dieu doit être mis à part et placé si haut par toutes les créatures, que tout le reste n’ait plus de valeur à leurs yeux. Ce nom, avec tout ce qu’il affirme, doit leur signifier tout.
                A la question suivante : « Quel est le nom de Dieu qui doit être sanctifié ? » Nous répondons simplement : «  Son nom de Père ! » En commençant par l’invocation : « Notre Père qui es aux cieux ! » nous soupirons intérieurement : « Puissent tous les hommes t’appeler Père ! » Et nous ajoutons immédiatement : «  Que ton nom soit sanctifié ! » Cela signifie que toutes les créatures devraient retrouver en Dieu leur Père, c’est-à-dire d’une part prendre conscience de son amour paternel envers les hommes, et d’autre part l’aimer finalement, se soumettre à lui comme à un Père à qui on obéit volontiers, en qui on a toute confiance et met tout son espoir.
            Malheureusement l’humanité est loin de reconnaître en Dieu son Père, malgré les bienfaits paternels qu’il lui dispense chaque jour. Elle reçoit tout de sa main, comme les enfants ingrats qui acceptent tout de leurs parents, sans les remercier ni s’inquiéter d’eux. De même les hommes abusent de la bonté de Dieu et leur cœur est loin de lui, quand ils ne vont pas jusqu’à s’opposer à lui. Le disciple qui prie en est douloureusement ému et il songe nuit et jour à toutes les créatures qui devraient revenir au Père et sanctifier son nom. Le sentiment filial de l’homme fut troublé dès l’origine par la question du serpent : « Dieu a-t-il dit réellement : “Vous ne mangerez pas de tous les arbres du jardin ?” » C’est-à-dire : « Peut-il vraiment vous avoir défendu de toucher au meilleur des fruits, qui rend semblable à lui ? Est-ce ainsi qu’il vous témoigne ses sentiments paternels ? »
            Les hommes se laissèrent séduire et depuis lors ils sont soumis au pouvoir étranger, opposé à Dieu. Ils ont cru devenir des dieux : c’est Satan qui est devenu leur dieu et s’est arrogé sur eux les droits qui ne revenaient qu’au Père. Ils se sont, eux aussi, opposés à Dieu, en lui déclarant : « Nous sommes tes égaux. » Plus les ténèbres ont d’empire sur les hommes, plus ils méprisent le nom de Dieu. Pour que ce nom soit de nouveau sanctifié par eux. il faut qu’ils sortent du domaine des ténèbres et reviennent à Dieu. Il faut prier pour que Dieu leur en donne la volonté et la force et que l’humanité cesse d’être partagée entre Dieu et les ténèbres. Christ est venu écraser le serpent et réconcilier les hommes avec Dieu ; il leur donne son esprit qui leur apprend à dire : « Abba, Père ! » Quand toutes les créatures répéteront cette prière, la demande : « Que ton nom soit sanctifié ! » sera complètement exaucée.
               Nous devons encore sanctifier le nom de Dieu en reconnaissant et en vénérant ses attributs sublimes. Mais que font les hommes ? Ne parlons même pas des païens qui « ont changé la gloire du Dieu immortel en une image semblable à celle de l’homme mortel, des oiseaux, des quadrupèdes et des reptiles. » (Romains 1. 20-23). Mais jusqu’à aujourd’hui, une multitude d’hommes agissent comme si Dieu ne possédait pas toute puissance et toute science, comme s’il n’était pas partout présent, ni saint, ni juste. Ils ne croient, pas qu’il entende aucune prière, ni qu’il s’occupe en rien des hommes, parce qu’il est trop loin au-dessus d’eux. Ils nient qu’il se manifeste par des grâces particulières et des châtiments exceptionnels, ils attribuent tout au hasard et éliminent Dieu de l’histoire de l’humanité ; beaucoup de ses œuvres et de ses miracles leur sont un scandale. Ils ne s’attachent au monde invisible que par la superstition et souvent ils abusent du nom de Dieu d’une manière abominable.
              Tout cela devrait changer et les enfants du Royaume devraient en faire leur pensée constante et demander à Dieu l’achèvement de l’œuvre du salut commencée par Christ. Mais tout ne changera que lorsque toute l’humanité vénérera Dieu en tous ses attributs et que son nom sera sanctifié par toutes les créatures. Certains chrétiens très croyants sont spécialement exposés à ne pas sanctifier le nom de Dieu comme il doit l’être.
Dieu lui-même s’est défini et a dit à Moïse comment il veut être nommé (Exode 34.6) : « L’Eternel, l’Eternel, Dieu miséricordieux et compatissant, lent à la colère, riche en bonté et en fidélité. » On sanctifie le nom de Dieu en donnant à ces paroles le sens le plus large, mais si on en diminue la portée, on ne le sanctifie pas. 
            Or il arrive que dans le monde des croyants on ait une tendance à vouloir le sanctifier en opposant la sainteté et la justice de Dieu à sa miséricorde incarnée en Jésus-Christ. On pense que la sainteté exige qu’il se montre dur et sévère envers ceux qui lui désobéissent et se détournent de lui, même si cette sévérité risque de peupler l’enfer plus que le ciel. On ne croit pas que Dieu puisse conserver son amour à des chrétiens dégénérés et les ramener à lui en leur renouvelant ses grâces. Puisqu’ils ont dédaigné les dons du Saint-Esprit, il faut qu’ils deviennent ce qu’ils doivent être, sans le secours de ces dons qui ne peuvent leur être dispensés à nouveau, ou qu’ils sombrent dans l’abîme. Quant aux générations disparues dont la foi n’a pas été entière, une certaine théologie leur dénie tout droit à la miséricorde ; pour elles, il n’y aura au Jugement dernier que la damnation.
                 Ce n’est pas ainsi que le nom de Dieu est sanctifié. On en fait, et aussi du nom de Jésus, un épouvantail pour les pécheurs, en dépit des consolantes assurances données par Dieu et par Jésus, et quoique celui-ci ait incarné dans sa personne la grâce et la bonté du Père, les attestant dans l’amertume de la souffrance et de la mort. Nous ne sanctifions le nom de Dieu et nous n’encourageons la créature malheureuse à recourir à lui que si nous croyons fermement à son extrême miséricorde. Puissent les disciples du Sauveur, en répétant la prière du Royaume, ne pas être de ceux qui, au fond, tiennent fort peu à voir le nom de Dieu sanctifié ; ils veulent bien jouir eux-mêmes de l’amour paternel de Dieu en Christ, mais sont disposés à en exclure d’autres, précisément ceux qui en ont le plus impérieux besoin. Ils oublient qu’ainsi le Sauveur serait mort sur la croix presque en vain. O notre Père qui es aux cieux, puissent ton nom et celui de ton Fils, pleins de grâce et de miséricorde, être sanctifiés en tout lieu ! Puissent-ils l’être bientôt, car la détresse est grande.

Que ton règne vienne

                 La deuxième demande — « Que ton règne vienne » —est la suite de la première. Le règne de Dieu est aussi nommé le Royaume des cieux. Il ne comprend donc pas seulement la terre, mais les cieux. Saint Paul parle du « mystère de la volonté de Dieu » qui est (Ephésiens 1.10) : « de réunir toutes choses en Christ, celles qui sont dans les cieux et celles qui sont sur la terre. » Le règne de Dieu sera complètement établi quand « Dieu sera tout en tous » et que toute la création sanctifiera son nom. Tant qu’il y aura des créatures qui méprisent le nom de Dieu et ne lui sont pas soumises, il ne régnera pas sans conteste, il est pour ainsi dire en guerre avec des puissances qui voudraient empêcher l’avènement de son règne. Il est tout-puissant et pourrait abattre tous ses ennemis, les livrer à la damnation. S’il ne le fait pas, c’est parce qu’il ne veut pas user de violence envers des êtres libres. Il veut que toutes les créatures reviennent à lui librement, comme le fils prodigue revient à son père, et il patiente.
               Et comme la créature, même si elle est disposée à ce retour, en est incapable sans aide, Dieu lui-même est venu à son secours en incarnant son Verbe dans la personne du Fils de l’homme. Celui-ci s’appelle « le premier-né de toute la création » c’est-à-dire le premier qui, par une soumission absolue, a inauguré le règne de Dieu. C’est ce qui fait écrire à saint Paul (Colossiens 1.19-20) : « Dieu s’est plu à faire habiter en lui toute la perfection et à réconcilier avec soi, par lui, toutes choses, soit celles qui sont sur la terre, soit celles qui sont dans les cieux, en faisant la paix par le sang de sa croix. » 
              Celui qui croit en Jésus se laisse librement ramener par lui à Dieu, ainsi que l’exigent la sainteté et la justice divines. Jésus-Christ Fils de l’homme, Verbe divin et représentant de toute la création, rassemble tous ceux qui se sont détachés de Dieu. Le règne dont nous demandons la venue est donc son règne, en même temps que celui du Père. « Lorsque toutes choses lui auront été soumises, alors le Fils lui-même sera aussi soumis à celui qui lui a soumis toutes choses, afin que Dieu soit tout en tous. » (1 Corinthiens 15.28). 
              Par son apparition sur la terre, Jésus a inauguré le règne de Dieu ; par son obéissance jusqu’à la mort, il a vaincu les ténèbres, et en le ressuscitant, Dieu lui a donné le pouvoir d’attirer à lui ceux qu’il avait rachetés. Il a donc frayé la voie au règne de Dieu, annoncé par la bonne nouvelle : « Le Royaume des cieux est proche. » Mais ce Royaume a eu d’abord un très petit nombre d’adhérents, il a fallu et il faudra, encore beaucoup de temps pour que toutes les puissances ennemies soient brisées, que toutes les âmes soient arrachées aux ténèbres et s’unissent dans la communion de Jésus et de son Père, en un seul peuple. De là la prière : « Que ton règne vienne ! »
                  Pour que le libre retour à Dieu devienne possible à toute l’humanité, il faut qu’il y ait des hommes qui le de- mandent ardemment dans leurs prières. Les disciples de Jésus doivent se rendre compte des maux qui résultent de ce que Dieu ne règne pas encore uniquement, surtout pour ceux qui vivent dans l’insouciance et l’aveuglement et deviennent ainsi la proie des puissances menteuses dont ils ne peuvent se délivrer eux-mêmes, car ils ne sentent pas les liens qui les enchaînent et ne cherchent pas à les briser. La victoire toujours plus rapide sur tous les pouvoirs opposés à Dieu, jusqu’à ce qu’il règne seul sur toute la création, doit être pour nous tous un constant sujet de prière. Mais il y en a peu qui prient comme ils le devraient. Pour la plupart, l’avancement du règne de Dieu va de soi et ne dépend pas de leur foi ni de leurs prières, et ils vivent à cet égard dans une, tranquille insouciance. Mais nous devons, pour ainsi dire, ressentir la douleur du Père céleste qui voit une foule de ses enfants vivre loin de lui, sans que ses mains puissent les atteindre pour les rassembler dans son Royaume. Pour que ce Royaume croisse, il faut que beaucoup d’âmes croient en Jésus et naissent par la foi à la lumière.
                  Nous pouvons y contribuer, et nous le devons, en joignant l’action à la prière. Ce n’est pas à des anges, c’est à des hommes que l’ordre a été donné de prêcher l’Evangile à toute créature. Il est donc de notre devoir de travailler à répandre toujours plus loin la connaissance de l’Evangile. Le Sauveur a dit : « Quand je serai élevé au-dessus de la terre, je les attirerai tous à moi », mais il faut que par nos prières et notre foi active, nous concourions à la réalisation de sa parole. L’avènement complet du règne de Dieu aura lieu finalement par le retour du Christ et la révélation de la gloire des enfants de Dieu, objet de l’attente de toute la création (Romains 8.19).
                Puissions-nous nous écrier de tout notre cœur, avec un zèle et une ferveur plus qu’habituels : « Que ton règne vienne ! » La prière des élus qui crient jour et nuit sera exaucée à la fin et l’œuvre du Sauveur trouvera son achèvement. Quelle joie sera la nôtre, d’avoir contribué pour notre part, de toute notre âme, par notre zèle et notre abnégation, à la venue du règne de Dieu qui apaisera l’attente de toutes les créatures !

Que ta volonté soit faite

                En nous apprenant à dire : « Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel », le Sauveur nous indique qu’au ciel la volonté de Dieu se fait, et il faut entendre par le ciel le monde bienheureux où Dieu règne uniquement, où toutes les volontés sont en harmonie avec la sienne. De même, sur la terre, aucune volonté contraire à celle de Dieu ne devrait se manifester, et l’harmonie de la volonté divine et de la volonté humaine doit être désirée tout spécialement par les disciples du Sauveur et faire le sujet de leurs prières.
           Il faut remarquer cependant que le mot ciel désigne aussi toute l’étendue de la création au-dessus de la terre, comme le disent déjà ces paroles : « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. » D’après certains passages de l’Ecriture, la volonté divine ne règne pas d’une façon absolue dans l’immense univers. Saint-Paul dit (Colossiens 1.20) que toutes choses, celles qui sont sur la terre et celles qui sont dans le ciel, doivent être réconciliées par le sang de Christ. Et aussi qu’au nom de Jésus tout genou doit fléchir au ciel, sur la terre et sous la terre (Philippiens 2.10). Parmi les milliers de mondes que renferme l’univers, il doit en exister où la volonté de Dieu ne règne pas encore sans partage, il est donc nécessaire que partout, aussi bien au ciel que sur la terre et sous la terre, le Rédempteur ramène à l’obéissance ceux qui sont entrés en conflit avec Dieu. Le Seigneur ne nous recommande pas expressément de prier dans ce but, il ne s’explique pas à ce sujet, il se borne à ce qui nous regarde plus directement.
               Mais nous pouvons bien élargir la troisième demande ainsi : « Que ta volonté soit faite par toute la création, au ciel et sur la terre. » D’après cette demande, une autre volonté que celle de Dieu, étrangère à lui, est donc puissante dans la création, mais nous ne pouvons guère le constater que sur la terre. Cette volonté étrangère se manifeste dans l’homme, parce qu’il est libre, sous la forme de sa volonté propre qui se révolte contre celle de Dieu, veut régner elle-même et subsister sans Dieu. Comme Dieu ne veut pas contraindre ses enfants à l’obéissance par la force, ni les livrer sans appel à la damnation, il les laisse agir librement, mais ceux qui s’opposent à lui se jettent dans des maux sans nombre. Pour que la volonté étrangère et mauvaise soit combattue et que les maux qu’elle engendre soient diminués, il faut que du sein de l’humanité encore assujettie aux puissances des ténèbres d’instantes prières montent vers Dieu. Jésus a donné l’exemple à ses disciples, leur vocation est d’invoquer le Père céleste, afin que par l’amour de Jésus et de ceux qui le suivent, la volonté mauvaise perde de son pouvoir. Il nous faut donc prier « que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. »
            La volonté de Dieu est « que tous les hommes soient sauvés et que tous parviennent à la connaissance de la vérité. » Il veut que ses intentions miséricordieuses se réalisent, ce qui amènerait la soumission à sa volonté. C’est ainsi que Jésus a dit : « C’est ici la volonté de mon Père, que quiconque voit le Fils et croit en lui, ait la vie éternelle » (Jean 6.40). Et saint Paul parle (Ephésiens 1.9) du mystère de la volonté : de Dieu qui doit être annoncé. C’est à cette volonté divine que Jésus fait spécialement allusion dans la troisième demande. Il nous met sur le cœur le souci perpétuel du salut de toutes les créatures qui doivent être amenées à lui, selon la volonté miséricordieuse du Père. Nous avons le devoir non seulement de demander par nos prières que cette volonté soit reconnue par tous, mais aussi d’aider à répandre cette connaissance pour autant que cela est en notre pouvoir. C’est une erreur de penser que tout se fait de soi-même, sans que nous nous en occupions ; et c’est une erreur plus grande encore de ne pas croire que Dieu veut sauver tous les hommes, qu’il est plutôt prêt à user de sévérité que de miséricorde envers les pécheurs, dussent un grand nombre d’entre eux courir à leur perte. Ceux qui admettent cela supposent que Dieu leur ressemble, que la perdition de ses créatures le laisse indifférent. Pour eux, la troisième demande est un appel adressé à Dieu pour qu’il se serve de sa toute-puissance pour châtier ses ennemis, plutôt qu’une supplication en faveur des rebelles, afin qu’ils soient amenés par l’amour de Jésus à la vie bienheureuse.
             Mais les vrais disciples de Jésus prient comme lui, d’un cœur sacerdotal, et demandent en son nom, chaque jour avec plus d’insistance, que la volonté de Dieu s’accomplisse sur la terre et que le plus grand nombre possible de pécheurs soient sauvés par la foi en Jésus-Christ. Puissent ceux qui prient ainsi devenir de plus en plus nombreux ! Il importe de ne pas oublier que les croyants eux-mêmes, les disciples du Sauveur, doivent veiller à ce qu’en toutes choses la volonté de Dieu s’accomplisse en eux. Ils sont exposés à bien des tentations et bien des paroles de l’Ecriture nous avertissent de la nécessité de prier le Père de nous aider à accomplir sa volonté. Il est dit (1 Thessaloniciens 4.3) : « Ce que Dieu veut, c’est que vous vous conserviez purs. » Et ailleurs (Romains 12.2) : « Ne vous modelez pas sur le siècle présent, mais qu’il se fasse en vous une métamorphose par le renouvellement de l’esprit, en sorte que vous appréciiez ce qu’est la volonté de Dieu, combien elle est bonne, agréable et parfaite. » Ailleurs encore (Hébreux 10.38) : « Vous avez besoin de persévérance, afin qu’après avoir fait la volonté de Dieu, vous obteniez ce qui vous est promis. » Et enfin la grave parole du Sauveur : « Ceux qui me disent : Seigneur ! Seigneur ! n’entreront pas tous au Royaume des cieux, mais ceux-là seulement qui font la volonté de mon Père qui est dans les cieux. » Pour toutes les choses dont ils savent qu’elles sont conformes à la volonté du Père, les disciples de Jésus devraient être obéissants comme les anges, afin que la terre ressemble de plus en plus au ciel où habite le Seigneur. Pensons à cela aussi quand nous disons « Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. »

Donne-nous notre pain quotidien

         Après les demandes pour le Royaume, voici celles qui concernent plus personnellement celui qui prie. N’oublions pas cependant qu’elles expriment les besoins de tous, et n’oublions pas non plus que c’est au sein du Royaume que les enfants du Royaume recevront toutes choses. La quatrième demande dit : « Donne-nous aujourd’hui notre pain quotidien ». Le Sauveur pense à ceux qui n’ont pas le nécessaire, même pour la journée d’aujourd’hui. Ceux qui ne sont pas dans cet extrême besoin ont le devoir de se souvenir des autres moins bien partagés, qui ont peut-être des enfants qu’ils ne savent comment nourrir. Il importe beaucoup que celui qui ne manque de rien pense à tous ceux qui, à leur réveil, se demandent d’où leur viendra la nourriture de la journée. Cette pensée l’amènera à songer à bien des choses dont il pourra s’occuper au cours de cette journée. Quand la demande que Jésus met sur nos lèvres éveille dans nos cœurs la compassion pour les autres et le désir de leur venir en aide, nous la disons dans son esprit. Elle doit de plus, chez ceux qui sont bien situés, faire naître la reconnaissance ainsi que la pensée que, pour eux aussi, le jour pourrait venir où ils ne seront plus assurés du pain quotidien.
                  Il faut d’ailleurs remarquer que Jésus a enseigné la quatrième demande d’abord à ses disciples immédiats qui voulaient apprendre à prier. Lorsqu’il les envoyait en mission, leur pain quotidien n’était pas assuré d’avance. Ils ne devaient rien emporter ni se mettre en souci de rien, mais tout attendre chaque jour de la bonté de Dieu. Sans inquiétude, ils devaient prier simplement : « Père bien-aimé qui es au ciel, donne-nous aujourd’hui aussi notre pain quotidien. » Ils priaient avec confiance et ils ne manquaient de rien. Il en était ainsi déjà du vivant de Jésus. Il leur disait (Luc 10.7-8) : « Demeurez dans cette maison (où vous êtes entrés), mangez et buvez ce qu’on vous donnera, car l’ouvrier mérite son salaire. » Et plus tard il leur demanda (Luc 22.35) : « Lorsque je vous ai envoyés, sans bourse, sans sac, ni sandales, avez- vous manqué de quelque chose ? » —« Non, de rien, répondirent-ils. » Donc ce sont surtout les ouvriers du Seigneur qui n’ont pas à s’inquiéter, même lorsqu’il semble que le pain quotidien va leur manquer. C’est pour eux tout spécialement qu’est faite la quatrième demande. Il faut qu’ils aient foi dans la parole (Matthieu 6.34) : « Cherchez premièrement le Royaume et sa justice, et toutes ces choses (la nourriture et le vêtement) vous seront don- nées par-dessus. »
                Cependant, à un point de vue plus général, le Notre Père appartient à tous et dans la pensée du Sauveur, la quatrième demande est la prière de tous ceux qui se trouvent dans le besoin. Il les encourage à lever vers le Père céleste un regard confiant, sachant qu’il ne les laissera pas manquer du nécessaire aujourd’hui, et de même demain, puisqu’ils peuvent prier de même demain. Celui qui dit cette demande avec une filiale confiance ne prie jamais en vain.
                 Mais il arrive souvent qu’on s’imagine être dans le besoin et que, même quand on est assuré du nécessaire pour le lendemain, on se ronge de soucis pour l’avenir plus lointain. Le Sauveur nous défend cela, déjà parce qu’aucun de nous ne sait combien de temps il vivra et que chacun ne peut compter avec quelque certitude que sur la journée commencée. Puisque tu vis et que tu dois vivre aujourd’hui, tu auras ce qu’il te faut ; sur demain ferme les yeux.
                Chez la plupart des hommes le souci du pain va trop loin. Ils veulent pour le moins assurer leur nourriture. Ce n’est pas un mal en soi et le Sauveur ne les condamne pas. Il veut au contraire que l’homme soit fidèle en ceci comme en toutes choses, qu’il ne laisse pas perdre par légèreté, négligence ou paresse, ce que Dieu met dans sa main. Il peut bien se servir de son intelligence pour chercher, en demandant à Dieu de bénir son travail, à bien organiser l’avenir. Mais s’il se tourmente outre mesure et se surmène pour être sûr de réussir, s’il s’absorbe dans ses calculs anxieux et ne sacrifie rien pour aider ceux qui sont dans le dénuement, il agit directement contre l’esprit de la quatrième demande.
          Même quand les ressources semblent devenir insuffisantes, il faut savoir se tranquilliser en se disant : « J’ai ce qu’il faut pour aujourd’hui. » Le Sauveur veut, par la prière pour le pain quotidien, réconforter ceux qui n’ont point de ressources assurées en leur montrant les choses sous leur vrai jour. Il ne faut pas qu’ils craignent de mourir de faim parce qu’ils ne voient pas au-delà d’aujourd’hui. 
               Les plus pauvres sont souvent les moins inquiets, parce qu’ils sont habitués à vivre au jour le jour. Ce sont les gens de moyenne condition qui ont le plus de peine à éviter le souci, surtout ceux qui ont vu des jours meilleurs et qui, dans le besoin, sont plus timides que les pauvres de naissance. Qu’ils se laissent enseigner par le Sauveur la quatrième demande, et que les mieux situés pensent, quand ils prient, à ceux qui sont tombés dans la pauvreté. Car ceux-ci méritent tout particulièrement qu’on se souvienne d’eux, et la prière compatissante ne sera pas dite en vain.
               Les pécheurs aussi peuvent-ils être exaucés en demandant le pain quotidien ? Certainement, car il faut remarquer que la demande pour le pardon des péchés ne précède pas, mais suit la quatrième. Donc il est permis à celui qui n’a pas encore obtenu le pardon, de demander le pain quotidien. Comme nous sommes tous pécheurs et pourrions par suite craindre qu’à cause de nos péchés le pain nous soit refusé, le rang qu’occupe la quatrième demande peut nous faire souvenir de la parole de Jésus (Matthieu 5.45) : « Il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et il répand sa pluie sur les justes et sur les injustes. » Et de cette autre (Luc 6.35) : « Il est bon envers les ingrats et les méchants. »
               Tout homme, quel qu’il soit, peut demander le pain quotidien, et la prière confiante ne fait pas appel en vain à la bienveillance du Père. Son regard paternel s’arrête sur celui qui le supplie, comme sur Agar à qui il montra le puits où elle puisa pour désaltérer Ismaël (Genèse 21.19). Dieu ne manque jamais de moyens pour venir en aide à ceux qui l’implorent. Il a fait nourrir par les corbeaux le prophète Elie (1 Rois 17.4) ; il a fait dire à la veuve : « La farine qui est dans le pot ne manquera point et l’huile qui est dans la cruche ne diminuera point. » (1 Rois 17.14). Avec quelques pains il a nourri des milliers, pour qu’ils ne meurent pas de faim dans le désert. Il a fait tomber du ciel la manne pour donner le pain quotidien aux bons et aux méchants. Il sait faire des miracles quand il le juge nécessaire, il sait en tous cas tout conduire de manière à ce que sa main paternelle soit bien reconnaissable. Qui n’en a vu des exemples ?
              Nous avons déjà dit que le Sauveur nous enseigne à ne demander notre pain que pour aujourd’hui, parce que nous ne savons pas si nous vivrons demain ni plus tard. Sa pensée est plus profonde que la nôtre. Nous avons l’air de croire que nous vivrons ici-bas une éternité, et ce sont souvent les vieillards qui craignent le plus de manquer du nécessaire avant de mourir. Pauvres insensés que nous sommes, de nous mettre en souci du pain de demain, alors que notre vie est si précaire. Pense chaque jour, en demandant ton pain, à ta mort, et n’envisage pas le lendemain ni l’avenir plus lointain avec inquiétude. Aujourd’hui  tu peux encore compter vivre et tu peux dire au Père céleste . « Puisque je vis, donne-moi ce dont j’ai besoin pour vivre. » Il y a des gens qui se désespèrent parce qu’ils ont peur de n’avoir plus de quoi vivre demain ou après-demain, ou dans quelques semaines. Plus d’un qui tient à la main le pain d’aujourd’hui, se laisse entraîner à s’ôter la vie, de peur de ne plus vivre demain. La veuve de Sarepta, païenne pourtant, n’a pas agi ainsi. Elle a voulu préparer et manger ce qui lui restait, et ensuite seulement attendre la mort par la faim.
           Il est arrivé qu’on a trouvé de fortes sommes d’argent chez les désespérés qui s’étaient tués par excès de souci. Ils ne connaissaient pas sans doute la quatrième demande, ou ils n’ont jamais su prier. A la considérer de près, cette demande renferme une prière pour la vie. De même que nous devons persévérer dans la confiance d’obtenir notre pain quotidien, nous devons prier pour que la vie nous soit conservée. Si nous venons à manquer de pain, c’est-à-dire en général de nourriture, notre vie est en danger, et il nous faut tous les jours, en demandant le pain, la demander aussi, même si elle est pénible. Elle doit nous être précieuse.
             Le malade qui ne peut pas manger, peut cependant demander son pain, c’est-à-dire des remèdes qui raniment sa vie. Nous ne devons pas souhaiter de mourir vite pour échapper à toutes les tribulations. Il est vrai que plus d’un peut être las de la vie, en se voyant exposé à manquer de pain, mais il ne doit pas l’être, puisque c’est Dieu qui la lui donne chaque jour. Dieu d’ailleurs ne laisse pas dans l’extrême besoin ceux qui ont confiance en lui. « J’ai été jeune et j’ai vieilli, dit David (Psaume 37.25), et je n’ai point vu le juste abandonné ni sa postérité mendiant son pain. » Il peut arriver que le Seigneur nous tienne court, pour mettre notre foi à l’épreuve, mais l’épreuve ne dure pas toujours. Avec Dieu, il est bien facile de conserver sa vie, sans aucun souci. Car finalement, quand nous ne pouvons plus avoir soin de nous-mêmes, le Seigneur a d’autant plus soin de nous, pourvu que nous sachions le prier.
           Il a, si j’ose dire ainsi, l’ouïe très fine pour tous les affamés, les altérés, les misérables quels qu’ils soient, surtout quand leur détresse est à son comble. Que ne sommes-nous à tous égards les véritables enfants du Père qui est dans les cieux !

Pardonne-nous nos péchés

            Selon Matthieu : « Remets-nous nos dettes, comme nous remettons (ou avons remis) leurs dettes à nos débiteurs ». Selon Luc : « Pardonne-nous nos péchés, comme nous aussi nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés ». Rappelons-nous que Jésus enseigne à prier à ses disciples qui ne doivent plus, en se présentant devant Dieu, être aussi lourdement chargés de péchés que les inconvertis, ni garder rancune, dans leur cœur, à ceux qui les ont offensés. Ils doivent savoir que leurs péchés sont pardonnés et il ne doit pas arriver que dans leurs prières, après les grandes demandes pour le Royaume, ils aient à s’accuser devant Dieu de péchés très graves. Sous les dettes (selon Matthieu) comme sous les péchés (selon Luc), il faut comprendre plutôt des offenses moins graves, des manquements par inattention ou faiblesse, qui peuvent se produire chez les disciples de Jésus.
          Un vrai disciple ne devrait jamais avoir à se reprocher que des négligences involontaires par rapport à ce qu’il doit à Dieu et à son prochain. Il ne faut pas qu’il se sente accablé par ces fautes, mais il ne doit pas non plus les passer sous silence devant Dieu, car il en augmenterait ainsi la gravité. Les fautes auxquelles nous ne prenons pas garde peuvent devenir très importantes aux yeux de Dieu, tandis qu’il pardonne les mêmes fautes à ceux qui les confessent sincèrement. Si cependant il arrive à un chrétien, à un enfant de Dieu, converti et croyant, de se laisser entraîner à un péché grave, il ne peut pas s’en libérer en disant simplement un Notre Père. Il faut qu’il se repente sérieusement qu’il confesse son péché, pour ne pas en rester intérieurement captif. La cinquième demande renferme une proposition complémentaire qui doit nous enseigner que le pardon ne peut nous être accordé qu’à une condition qui est absolue : « Comme nous remettons leurs dettes à nos débiteurs. »
                Il ne suffit pas de nous repentir de nos propres fautes, nous ne devons pas garder le moindre reste de rancune contre l’un ou l’autre de ceux qui peuvent avoir commis des fautes envers nous. Souvent nous ne nous rendons compte de nos mauvais sentiments qu’à la vue du débiteur, mais l’amertume n’en réside pas moins au fond de notre cœur. La cinquième demande doit nous empêcher de penser que le pardon va toujours de soi et de prendre nos péchés à la légère. Nous avons besoin de la rémission de toutes nos dettes petites ou grandes, que ce soient de simples erreurs et négligences ou des fautes graves. Mais d’autre part il ne faut pas perdre courage, si dans un monde plein de tentations, nous tombons par manque de vigilance dans quelque faute. Le pardon ne nous est pas refusé, pourvu que nous regardions sincèrement, notre faute en face, que nous en reconnaissions le danger et qu’en disant : « Remets-nous nos dettes, ô notre bon Père céleste, » nous soyons décidés à lutter vaillamment contre elle. Dieu pardonne volontiers aux sincères qui ne veulent pas laisser subsister le mal à côté du bien, car il est miséricordieux. 
                Les mots : « Comme nous avons remis leurs dettes à nos débiteurs », ne sont pas l’expression d’un droit. Ils ne signifient pas que Dieu nous doit le pardon, parce que nous avons pardonné. En les comprenant ainsi, nous aurions l’air de croire que le pardon est dû à nos mérites et nous prierions dans un méprisable sentiment de justice propre. Le sens de ces mots est que nous ne devons pas oser implorer pour nous le pardon de Dieu, si nous-mêmes ne pardonnons pas. Si, avec un cœur plein de rancune nous prions pour que nos autres péchés nous soient pardonnés, Dieu ne serait-il pas forcé de se détourner de nous et de nous infliger un châtiment pour notre impudence de lui demander pour nous ce que nous refusons aux autres.
                Que de fois, tous les jours, le Notre-Père est dit en vain, parce que le dépit, la colère, la soif de vengeance, l’amertume, l’inimitié restent dans nos cœurs, pendant que nous prions ! Garde-toi de dire un Notre Père qui ne peut qu’aggraver tes fautes aux yeux de Dieu ! Remarquons bien encore que le Sauveur ne nous enseigne pas à dire que nous pardonnerons après que Dieu nous aura pardonné, en reconnaissance de son pardon, pour ainsi dire. Le sens de la cinquième demande, tel qu’il ressort d’une traduction exacte, est que nous avons déjà pardonné, que nous nous présentons devant Dieu sans animosité ni amertume, sans rancune contre personne. S’il t’est trop difficile de vaincre tout mauvais sentiment contre ton prochain, si tu ne peux pas dire en toute sincérité : « Comme nous pardonnons, » tu peux prier ainsi : « Aide-moi, ô Père céleste, à bannir de mon cœur toute inimitié, car tel est mon sincère désir. » Si tu lui adresses cette prière avec recueillement, le Père qui est au ciel t’écoutera avec bienveillance et t’exaucera.
              L’importance que le Sauveur met à ce que nous pardonnions, nous est prouvée par ces paroles qui suivent le Notre-Père : « Si vous pardonnez aux hommes leurs offenses, votre Père céleste vous pardonnera aussi les vôtres ; mais si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre Père ne vous pardonnera pas non plus vos offenses. » Il est question ici d’offenses quelconques. Nous ne devons pas regarder comme très graves les fautes des autres envers nous, mais les juger avec indulgence et dire avec le Sauveur : « Ils ne savent ce qu’ils font. » Des péchés graves ne devraient plus se trouver chez les disciples de Jésus, mais quels qu’ils soient, ils ne peuvent être pardonnés si nous nous montrons durs et impitoyables envers nos semblables. Le miséricordieux seul obtiendra miséricorde, et la plus grande miséricorde est d’avoir pitié de ceux qui ont péché contre nous. Souvent ils sentent combien ils sont coupables et ils en sont malheureux. Ne devrions-nous pas les rassurer et les consoler ? Et si notre débiteur ne reconnaît pas sa dette, et que nous lui témoignions de la bonté, nous amasserons sur sa tête des charbons de feu qui feront fondre dans l’amour son cœur que la haine avait rendu dur comme la pierre. Au dernier jour, quand le pécheur se présentera devant Dieu, il lui sera demandé s’il a pardonné à ceux qui l’ont offensé, ou s’il a cherché à se venger d’eux. Puissent tous les hommes, et avant tout les disciples de Jésus, acquérir la sagesse !

Ne nous induis pas en tentation

            Nous considérerons la sixième demande à part de la septième, suivant l’ancien usage. « Et ne nous induis point en tentation ». Le mot et que l’on oublie assez souvent, n’est pas sans importance, il relie cette demande à la précédente. Après avoir sollicité la rémission de nos dettes, nous demandons à ne pas en contracter de nouvelles, car chaque fois que nous avons imploré le pardon, nous devons avoir le désir sincère de ne pas pécher de nouveau, donc d’être préservés de la tentation. Or la tentation est d’autant plus forte qu’on est déjà tombé dans un péché, selon la parole : « Celui qui commet le péché en est l’esclave, » c’est-à-dire qu’il y est en quelque sorte enchaîné et se laisse attirer par lui. Il faut donc qu’en demandant le pardon des péchés habituels en particulier, on se préoccupe de l’avenir. Tenons compte de ce que nous enseigne le petit mot et au début de la demande : « Ne nous induis point en tentation. » Cette demande a d’ailleurs besoin d’être approfondie. Elle nous fait involontairement penser au tentateur ; c’est comme si nous disions : « Ne nous livre pas au pouvoir du tentateur. »
             Elle nous rappelle aussi la tentation de Jésus. « Il fut conduit, est-il dit, par l’esprit dans le désert pour être tenté par le diable. » La preuve devait être faite qu’il ne pouvait, être tenté même par le diable. La tentation n’était pas pour lui dont le cœur était pur, le danger qu’elle est pour nous dont le cœur recèle toujours un fond de perversité. « C’est du cœur que sortent les mauvaises pensées, le libertinage, les vols, les meurtres, les adultères, la rapacité, la malhonnêteté, la fourberie, le dérèglement, le regard envieux, la calomnie, l’orgueil, la déraison. »
            Les mauvais penchants qui sommeillent en nous n’attendent, que l’occasion de se manifester. Il y a dans l’homme des germes de ténèbres et ce monde démoniaque de la postérité du serpent est appelé à la vie par la tentation. Nous ne devons pas devenir ses esclaves, mais lui résister ainsi que nous y exhorte saint Paul (Romains 6.12-13) : « Que le péché ne règne donc point dans votre corps mortel, de sorte que vous obéissiez à ses passions, et n’abandonnez pas vos membres au péché, comme (les instruments de perversité. Mais donnez-vous vous-mêmes à Dieu, comme étant vivants, de morts que vous étiez, et consacrez-lui vos membres comme des instruments de justice. »
           Si nous sommes des disciples de Jésus, nous pouvons résister au mal qui est en nous, l’empêcher de prendre vie, même s’il nous agite extérieurement. Mais si une tentation extérieure vient réveiller le démon qui sommeille, il est très possible que nous succombions. C’est pourquoi nous prions : « Ne nous induis pas en tentation », demandant ainsi que la tentation ne dépasse pas nos forces. Il n’y a donc pas de contradiction entre la sixième demande et les paroles de saint Jacques, quand il dit (Jacques 1.13-15) : « Que personne, lorsqu’il est tenté, ne dise : C’est Dieu qui me tente ; car Dieu ne peut être tenté par le mal et il ne tente lui-même personne. Chacun est tenté quand il est attiré et amorcé par sa propre convoitise, puis la convoitise ayant conçu, enfante le péché ; et le péché étant consommé, enfante la mort. »
           La tentation se produit donc lorsque la convoitise qui dort dans l’homme l’attire et l’amorce, ce qui n’arrive pas facilement de soi-même chez un disciple de Jésus, sans occasion extérieure, et nous demandons à Dieu d’éloigner de nous les occasions de chute, de nous empêcher de tomber dans les pièges qui nous sont tendus. Il importe d’envisager ainsi la sixième demande, elle nous avertit de ne pas nous hasarder avec insouciance dans le monde dont nous ne connaissons pas les dangers, sans être bien armés intérieurement et sans nous placer sous la protection de Dieu.
              Pour celui qui est tombé déjà dans le péché, la sixième demande a une importance toute spéciale. Il se laisse tenter d’autant plus facilement qu’il a péché plus souvent, car le germe mauvais une fois vivifié, se développe rapidement. La tentation peut venir par nos semblables, ou bien par des événements qui effrayent ou réjouissent vivement, qui nous émeuvent d’une manière quelconque et nous excitent à la colère, au dépit, à la rapacité, au dérèglement, à la déraison, à toutes sortes de pensées et d’actes mauvais.
            Quand la vie est paisible et unie, le mal reste généralement assoupi dans le cœur de l’homme, mais le tentateur peut très vite attiser le feu qui couve et faire se produire au dehors tous les mauvais instincts. La demande : « Ne nous induis pas en tentation », renferme avec une prière renouvelée et plus instante pour le pardon de nos péchés, l’expression de notre connaissance de nous-mêmes et de notre sincère repentir. Celui qui a déjà péché doit d’autant plus craindre le pé- ché et supplier Dieu de l’en préserver. Il peut compter sur l’exaucement si sa prière est sérieuse, c’est-à-dire si son repentir est assez profond pour qu’il évite lui-même la tentation autant que cela est en son pouvoir.
              Mais beaucoup semblent plutôt la rechercher. Ils vont, pleins d’assurance, dans des endroits dangereux où les tentations foisonnent, et ils en veulent à ceux qui les avertissent, ils sont blessés de ce qu’on n’ait pas confiance en eux. Ils veulent tout voir, lisent les livres les plus éhontés, les plus impudiques, n’évitent pas les mauvaises sociétés et ne veulent pas croire qu’ils puissent être entraînés au péché. Mais ne réveillent-ils pas le démon de la convoitise ? Et ils continuent de prier étourdiment : « Ne nous induis pas en tentation. » La prière peut aussi signifier : « Préserve-nous des situations d’où peuvent naître des tentations. » Etre trop riche, ou trop pauvre, ou trop malade, ou trop malheureux pour n’importe quel motif, ce sont de nombreuses occasions de tentation et de péché.
            On est tenté surtout de s’aider soi-même par de mauvais moyens. On se dit que dans la détresse tout est permis, qu’il faut s’aider comme on peut. Quelques-uns vont jusqu’à recourir à la magie ou à d’autres pratiques défendues. D’autres ont recours à l’imposture, au jeu, à toutes sortes de fourberies. Il y en a qui sont tentés de s’ôter la vie. Mais ce n’est jamais sans raison que la tentation prend tant de force ; on a généralement péché dans le passé, on a mal agi en d’autres occasions, dans des circonstances moins graves, et alors, pour éprouver celui qui se croit converti, Dieu permet la tentation plus forte. En ce sens on peut prendre à la lettre la prière : « Ne nous induis point en tentation. » Nous pouvons demander à Dieu de nous épargner cette épreuve et nous devons être reconnaissants au Sauveur de nous avoir enseigné la sixième demande : nous savons que Dieu exauce les prières sincères. Nous voyons clairement par tout ce qui précède combien il est nécessaire d’obtenir le pardon complet de ses péchés et comment nous devons prier Dieu de ne plus se souvenir de nos fautes passées et de ne pas nous éprouver par des tentations nouvelles. Puissions-nous apprendre à lutter sérieusement contre le péché et nous laisser purifier par le sang de Christ !

Délivre-nous du malin

              Mais délivre-nous du mal ». Nous avons déjà remarqué que cette demande est considérée ailleurs comme faisant partie de la sixième. Il y a cependant entre elles une différence assez notable. En disant : « Ne nous induis pas en tentation », nous prions Dieu de nous préserver des embûches du tentateur, mais la puissance de celui-ci subsiste. Quand nous ajoutons : « Mais délivre-nous du mal », nous demandons la délivrance complète et définitive de la tentation, la destruction de la puissance du tentateur. La forme employée dans le texte grec ne signifie pas une délivrance momentanée, provisoire, mais un acte définitif qui libère une fois pour toutes. Ainsi la septième demande est encore une prière pour le Royaume et doit exprimer notre désir de voir venir le temps où la victoire sur le mal sera décisive et durable. Le mot mal traduit d’ailleurs, décrit imparfaitement le sens de la demande. Elle signifie exactement : « Délivre-nous du malin », c’est-à-dire du tentateur. La dernière demande rappelle encore que finalement Satan qui se pose en prince de ce monde, devra perdre son empire, que toute sa puissance sera anéantie et lui-même écrasé sous nos pieds par la puissance de Dieu (Romains 16.20).
           Tant que le monde restera soumis au malin, le Royaume de Dieu ne sera pas complètement établi sur terre, la création ne connaîtra pas la paix. Le Christ a combattu le malin, il a triomphé de lui, par sa mort même il l’a condamné, mais il ne l’a pas entièrement exclu de ce monde et il faut que ses disciples continuent le combat pour parfaire son œuvre. Il règne à la droite de Dieu, et il mettra tous ses ennemis sous ses pieds (Psaume 110.1). Ainsi que le dit saint Paul (1 Corinthiens 15.24) : « Il se soumettra toute principauté, toute autorité et puissance », en un mot tout ce qui s’élève contre Dieu et ses rachetés.
              Il faut que nos efforts aussi concourent à ce but, que nous ne laissions pas de trêve au règne du malin et que nous ne cessions de supplier Dieu dans nos prières, d’y mettre fin. Mais en outre nous avons aussi le devoir de lui résister nous-mêmes, de le combattre par la foi en Christ le vainqueur, si nous voulons vraiment être délivrés, avec toute la création, du mal et du malin. Si la chrétienté avait toujours été fidèle à ce devoir, l’empire du malin pourrait avoir pris fin déjà, la délivrance définitive pourrait être accomplie. Elle est encore à venir, mais les combats cachés des serviteurs fidèles du Seigneur pré- parent son triomphe final. Il apparaîtra dans toute sa puissance et libérera pour toujours la créature asservie et gémissante. Alors Dieu sera tout en tous, la prière pour la délivrance de tout mal étant complètement exaucée.

Le règne, la puissance et la gloire

             Car c’est à toi qu’appartiennent le règne, la puissance et la gloire, éternellement. Amen. » Les dernières demandes nous ont ramenés à la grande cause du Royaume de Dieu, en nous rappelant la lutte contre l’empire du malin qui est aussi l’auteur des tentations. De même les paroles qui terminent la prière expriment la confiance absolue dans l’appui du Père céleste qui soutient ses enfants dans leur lutte pour le triomphe de cette cause. La conviction de la certitude de la victoire nous donne seule le droit de nous présenter devant Dieu avec les sept demandes, de vivre pour ainsi dire en elles. Pour faire nôtre la prière du Royaume, il faut que nous ayons aperçu par la foi le règne, la puissance et la gloire du Père, comme les disciples les ont vus apparaître en Jésus, les ont connus par lui et reçus dans leur cœur.
            Il n’y a en réalité que lui qui puisse dire cette prière parfaitement. Les sept demandes sont les soupirs du Sauveur qui se tient au milieu des pécheurs et de leur misère et prie avec eux. Ses vrais disciples prient comme lui, avec une ferveur d’autant plus grande que le “Sauveur leur a fait mieux apercevoir le règne, la puissance et la gloire du Père. Ce serait donc se séparer de Jésus si on voulait supprimer le Notre Père. Plus tu es parfait, plus tu dois appeler de tes vœux le règne de Dieu, car toutes les puissances de ce monde te sont ennemies. « A toi le règne, Père bien-aimé qui es aux cieux ! Je suis assuré que nul, hors de toi, n’a le droit de régner sur les hommes, et tant que je verrai régner le monde et le malin et la chair, je prierai pour que ton règne vienne, et je répéterai avec confiance, après le Sauveur, les demandes pour ton Royaume ».
              C’est là ce que pense le disciple de Jésus. Ou bien pouvons-nous entendre avec indifférence mépriser le nom de Dieu, voir les hommes placer plus haut les choses de la terre et d’autres noms ? Ne nous tromperions-nous pas nous-mêmes en nous laissant dominer par une autre puissance que celle du Père céleste, comme si d’autres que lui pouvaient nous dispenser la félicité ? Et si je me sens moi-même sous sa garde, puis-je ne pas m’émouvoir de ce que d’autres hommes soient encore dupes du péché et de la puissance du monde ? Le Royaume de Dieu, notre Père, n’a-t-il pas seul le droit d’exister?            Oui, nous souffrons de voir d’autres puissances régner à côté de lui, et nous apprenons à prier : « Que ton règne vienne ! » « Viens, Seigneur Jésus, toi qui règnes pour la gloire de Dieu le Père, détruis les autres royaumes. » Il faut que Dieu intervienne pour renouveler la terre, et la parole pleine de foi et d’assurance : « C’est à toi qu’appartient le règne », renferme l’ardent désir et l’attente de son règne. Alors aussi la volonté du Père sera faite sur la terre comme au ciel : toutes les volontés des hommes, jusque-là égoïstes et obstinées, se soumettront à la volonté du Père qui régnera par son amour sur tous. Cela sera certainement, car « C’est à toi qu’appartient le règne. » Exauce notre prière, la prière du Sauveur. « A toi appartient aussi la puissance. » Nous savons que nous ne prions pas en vain, car toutes choses sont possibles à notre Père céleste. Il peut nous exaucer magnifiquement, si nous le prions en vrais adhérents du Royaume, en serviteurs de Jésus. Il a la puissance d’établir son règne, comme de nous dispenser ce dont nous avons besoin chaque jour, il peut aussi bien nous donner notre pain quotidien que pardonner nos péchés, nous préserver de la tentation et nous délivrer du mal. En Jésus nous apercevons la puissance du Père révélée sur la terre pour le salut de tous. Jésus n’est-il pas vainqueur en toutes choses ? Douterions-nous qu’il soit victorieux jusqu’au bout et établisse le règne de son Père ? Jamais !
               Nous connaissons la puissance de Dieu, nous l’avons vue à l’œuvre et c’est avec joie que nous nous joignons à la prière du Seigneur et faisons nôtre la grande cause, car nous savons que tout doit et peut s’accomplir par la puissance infinie de Dieu le Père. « A toi appartient aussi la gloire », telle est l’affirmation finale. A lui sont la louange, l’honneur et la gloire, et toutes les créatures qui vivent et se meuvent en lui, annoncent cette gloire de Dieu.
                Mais dans le monde pécheur, beaucoup de créatures ne connaissent plus Dieu et ne glorifient plus son nom, souvent même le déshonorent. Elles n’ont pour lui ni reconnaissance, ni louange, et ne l’implorent jamais. Elles se glorifient elles-mêmes aussi longtemps qu’elles le peuvent, et elles finissent par tomber dans l’opprobre parce que la gloire de Dieu qu’elles n’ont pas reconnue, n’est pas trouvée en elles. Cela peut-il durer ? Oh ! non. « A toi, Père céleste, la gloire. Il faut que tout ce qui vit te glorifie. En toi nous avons la vie, le mouvement et l’être, avec toutes les créatures ». Nous savons que le jour viendra où ceci sera révélé à tous et nous prions avec le Sauveur, le premier-né de toutes les créatures, en qui toutes naîtront de nouveau par la foi, pour que toute la création rayonne à nouveau la gloire de Dieu et que le nom du Père soit répété et glorifié dans le monde entier. Ainsi la parole : « A toi appartient la gloire », exprime notre foi dans la révélation finale de la gloire du Père par toute la création.
               La perspective de cette gloire vers laquelle nous marchons nous rassure au milieu des terribles combats qui nous sont encore imposés, car c’est « éternellement » que tout sera bien. Quelle consolation de se dire, en levant les yeux vers le Père céleste, que son règne, sa puissance et sa gloire, toutes ces choses excellentes dureront éternellement. Tous les royaumes du monde, avec leur grandeur, leur puissance, leur faste, sont bien misérables en comparaison.
            Car de tout temps tout a trouvé sa fin, et parfois une fin d’autant plus terrible que l’on s’était éloignés davantage de la gloire du Dieu paternel. Le monde peut périr, notre Dieu fort demeure. C’est le cœur paisible que nous disons : « Amen », c’est-à-dire : « En vérité, cela sera. » Luther traduit : « Oui, oui, qu’il en soit ainsi ! ». Oui, il en sera ainsi : Ce que les fidèles disciples de Jésus demandent chaque jour d’un cœur fervent, pour la glorification du Père, s’accomplira. Toute la création se réjouit, au milieu de tous ses soupirs, de la gloire à venir que Dieu déploiera et révélera à ses yeux.

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Textes choisis des écrits de Christophe Blumhardt, fils de Jean-Christophe Blumhardt, Les disciples de Jésus nous indique la voie du disciple en révélant le Roi que nous suivons, la communauté dont nous appartenons et les règles qui gèrent la vie du disciple de Jésus-Christ.

Avec un Avant-propos d’Armand Lederlin.
Dans Jean-Christophe Blumhardt — homme de grande foi nous sommes face-à-face avec un homme qui prenait au sérieux les promesses de l’évangile. A partir du repentir, il réalisait un renouveau dans sa paroisse sans précédant, suivi par des miracles et guérisons. L’influence de cet homme de Dieu retentit jusqu’à nos jours.

Pourquoi nous vivons en communauté (1927) d’Eberhard Arnold et La communauté fraternelle (1650) d’Andreas Ehrenpreis, soulignent l’importance de l’engagement que nous nouons avec nos sœurs et frères en Christ. Selon Ehrenpreis, la vie en communauté est la plus grande exigence de l’amour.

Eberhard Arnold — conférencier, écrivain et pasteur — fut le fondateur du mouvement dit Bruderhof, fondé à Sannerz en Allemagne en 1920. Eberhard Arnold — sa vie, son témoignage contient une brève biographie, écrite par Emmy Arnold, ainsi que des extraits des conférence, écrits et lettres d’Arnold.

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