dimanche 17 juillet 2016

(7) LES SERMONS DE WESLEY LA PERFECTION CHRÉTIENNE

Numérisation Yves PETRAKIAN Copie autorisée pour diffusion gratuite uniquement Obligation d'indiquer la source http://456-bible.123-bible.com

 

Sermon 40 :  (1741)         LA PERFECTION CHRÉTIENNE 

 Philippiens 3,12 Non que j'aie déjà atteint le but, ou que je sois parvenu à la perfection

                    Il n'y a peut-être pas dans l’Écriture sainte un mot qui ait causé plus de scandale que le mot perfection. Bien des personnes ne peuvent pas même souffrir de l'entendre prononcer ; il leur est en abomination, et quiconque prêche la perfection, ou, en d'autres termes, enseigne qu'elle est réalisable dans ce monde, court grand risque d'être, à leurs yeux, mis au-dessous d'un païen ou d'un péager.

                   Aussi plusieurs nous ont-ils conseillé de mettre complètement de côté ces expressions, parce que, disent-ils, « elles ont causé tant de scandale ». Mais ne se trouvent-elles pas dans les oracles de Dieu ? Et s'il en est ainsi, de quel droit un messager de Dieu les mettrait-il de côté, alors même que tous les hommes en seraient scandalisés ? Ce n'est pas de cette manière que nous avons appris Christ, et il ne faut pas que nous donnions ainsi lieu au diable. Tout ce que Dieu a dit, nous le dirons, « soit que les hommes écoutent, soit qu'ils n'en fassent rien (Ézéchiel 2 : 5) ; » sachant qu'un ministre de Christ ne peut être « net du sang de tous les hommes », que lorsqu'il n'a pas craint de leur « annoncer tout le dessein de Dieu (Actes 20 : 26,27)  ».

                   Nous ne pouvons donc pas mettre de côté ces expressions, puisqu'elles sont les paroles de Dieu et non celles de l'homme. Mais ce que nous pouvons et devons faire, c'est d'en expliquer le sens ; afin que ceux qui sont sincères de cœur ne s'écartent ni à droite ni à gauche du but et du prix de la vocation céleste. Cela est d'autant plus nécessaire que, dans notre texte, l'apôtre parle de lui-même comme n'étant pas parfait : « Non, dit-il, que je sois déjà parvenu à la perfection  » ; et néanmoins, immédiatement après, au verset 15, il parle de lui-même, et de beaucoup d'autres, comme s'ils étaient parfaits : « Nous tous donc, dit-il, qui sommes parfaits, ayons ce même sentiment ».

                 En vue donc de lever la difficulté qui résulte pour nous de cette contradiction apparente, ainsi que pour éclairer ceux qui tendent vers le but et pour retenir sur le bon chemin ceux qui seraient en train de s'en écarter ; je m'efforcerai de montrer : Dans quel sens les chrétiens ne sont pas parfaits : et dans quel sens ils sont parfaits.

I

                    En premier lieu, je vais essayer de montrer dans quel sens les chrétiens ne sont pas parfaits. 

                  Il est évident, d'abord, d'après le témoignage de l'expérience et de l’Écriture sainte, que les chrétiens ne sont pas parfaits en connaissance ; ils ne sont pas exempts d'ignorance. Ils peuvent, de même que d'autres hommes, connaître bien des choses relatives à la vie présente, et ils connaissent, relativement à la vie à venir, les vérités générales que Dieu a révélées. Ils savent également (ce que l'homme naturel ne comprend pas, puisque c'est spirituellement qu'on juge de ces choses) « quel amour le Père a eu pour eux, qu'ils soient appelés enfants de Dieu (1Jean 3 : 1)  ». Ils connaissent l'action puissante de son Esprit dans leurs cœurs, et la sagesse de sa Providence, dirigeant tous leurs pas et faisant concourir toutes choses à leur bien. Ils savent même ce que, dans chaque circonstance de la vie, le Seigneur demande d'eux, et comment ils peuvent avoir une conscience sans reproche devant Dieu et devant les hommes.

                    D'autre part, elles sont innombrables les choses qu'ils ne connaissent pas. En ce qui concerne le Tout-Puissant Lui-même, ils ne peuvent Le connaître que très imparfaitement. « Voici, nous ne connaissons que les bords de ses voies ; et qui pourra comprendre le grand éclat de sa puissance ? (Job 26 : 14) » Ils ne peuvent comprendre un seul des attributs ni un seul des éléments de la nature divine ; encore moins peuvent-ils comprendre comment « il y en a trois qui rendent témoignage dans le ciel : le Père, la Parole et le Saint Esprit », et comment « ces trois là sont un (1Jean 5 : 7) ; » ni comment le Fils éternel de Dieu « a pris la forme d'un serviteur (Philippiens 2 : 7)  ». Il ne leur est pas non plus donné de connaître les temps et les moments où Dieu accomplira ses desseins suprêmes sur la terre, pas même ceux qu'il a en partie révélés, par le moyen de ses serviteurs et de ses prophètes, depuis le commencement du monde. Bien moins encore savent-ils quand Dieu, ayant « accompli le nombre de ses élus (Apocalypse 6 : 11) », établira son royaume ; quand « les cieux passeront avec le bruit d'une effroyable tempête, et les éléments embrasés seront dissous (2Pierre 3 : 10) »

                    Ils ne savent pas même quels sont les motifs d'un grand nombre des dispensations actuelles de Dieu envers les fils des hommes ; mais ils doivent se contenter de savoir que, si « les nuages et l'obscurité l'environnent, la justice et le jugement sont la base de son trône (Psaume 97 : 2)  ». Et souvent, à l'égard des voies de sa Providence dans leur propre vie, le Seigneur leur dit : « Tu ne sais pas maintenant ce que je fais, mais tu le sauras dans la suite (Jean 13 : 7)  ». Il n'est pas jusqu'aux objets qui sont continuellement devant leurs yeux, et qui sont les œuvres visibles de ses mains, qui ne renferment pour eux des secrets impénétrables. Ils ignorent « comment il étend le septentrion sur le vide, et suspend la terre sur le néant (Job 26 : 7) ; » comment il unit toutes les parties de ce vaste mécanisme par une chaîne secrète qui ne peut être rompue ; tant est grande l'ignorance et borné le savoir, même des meilleurs d'entre les hommes. Nul donc, dans la vie présente, n'est parfait au point d'être exempt d'ignorance.

                    En second lieu, nul ici-bas n'est exempt d'erreur. C'est là une conséquence presque inévitable de ce qui précède ; car ceux qui ne connaissent qu'en partie sont continuellement sujets à se tromper sur les choses qu'ils ignorent. Les enfants de Dieu ne se trompent sans doute pas dans les choses essentielles au salut : ils ne font pas « les ténèbres lumière, ni la lumière ténèbres (Esaïe 5 : 20) ; » ils ne cherchent pas la mort dans l'égarement de leur vie, car ils sont « enseignés de Dieu (Jean 6 : 45) », et le chemin où il les conduit, le chemin de la sainteté, est si bien tracé que « ceux qui le suivent, même les insensés, ne s'y fourvoieront pas (Esaïe 35 : 8)  ». Mais, dans les choses non essentielles au salut, ils se trompent, et même fréquemment. Les meilleurs et les plus sages d'entre les hommes sont souvent induits en erreur, même en ce qui concerne les faits, se figurant que telle chose n'a pas eu lieu lorsqu'elle a réellement eu lieu, ou que telle chose s'est faite lorsqu'il n'en a pas été ainsi. Ou bien, à supposer qu'ils ne se trompent pas quant au fait lui-même, ils peuvent se tromper quant aux circonstances dans lesquelles il s'est produit : croyant que ces circonstances, ou plusieurs d'entre elles, ont été tout autres qu'elles n'ont été en réalité. De là peuvent naître beaucoup d'autres méprises : ils peuvent prendre pour de bonnes actions celles qui sont mauvaises, et pour mauvaises celles qui sont bonnes. C'est ainsi également qu'ils peuvent être conduits à des appréciations erronées sur la valeur morale des hommes, non seulement en supposant que certains hommes de bien sont meilleurs qu'ils ne le sont, ou que certains méchants sont pires qu'ils ne le sont réellement, mais même en prenant des gens très méchants pour des gens de bien, ou peut-être en prenant pour des méchants ceux qui ont été ou qui sont saints et irrépréhensibles.

                    Il y a plus : à l'égard des saintes Écritures elles-mêmes, malgré tous leurs efforts pour l'éviter, les hommes les plus pieux sont sujets à se tromper, et se trompent journellement, surtout en ce qui concerne ces portions de l’Écriture qui ne se rapportent pas directement à la vie pratique. C'est ce qui fait que même les enfants de Dieu ne sont pas d'accord sur la signification de beaucoup de passages ; et cette différence d'opinion n'est pas la preuve qu'ils ne soient pas enfants de Dieu aussi bien les uns que les autres ; c'est une preuve seulement que nous ne pouvons pas plus attendre d'aucun être vivant qu'il soit infaillible, que nous ne pouvons attendre de lui qu'il ait la toute science.

                   Si l'on objecte à ce que nous venons de dire que saint Jean, parlant de ses frères dans la foi, dit : « Vous avez reçu l'onction de la part du Saint, et vous connaissez toutes choses (1Jean 2 : 20) », la réponse est facile. C'est comme s'il avait dit : « Vous connaissez toutes les choses qui sont nécessaires à la santé de vos âmes ». Ce qui prouve que l'apôtre n'a pas voulu parler dans un sens absolu, c'est que d'abord, s'il en était ainsi, il mettrait le disciple au-dessus du Maître, puisque Christ lui-même, comme homme, ne connaissait pas toutes choses. « Pour ce qui est du jour et de l'heure, est-il dit, personne ne le sait, pas même le Fils, mais seulement le Père (Marc 13 : 32)  ». Et ensuite, comment aurait-il dit dans le même chapitre : « Je vous ai écrit ces choses au sujet de ceux qui vous séduisent (Marc 13 : 26) ; » et pourquoi aurait-il répété si souvent cet avertissement : « Que personne ne vous séduise », si ceux auxquels il s'adressait, et qui avaient reçu l'onction de la part du Saint, n'avaient pas été sujets à l'ignorance et à l'erreur ?

                    Ainsi donc, même les chrétiens ne sont pas parfaits au point d'être exempts d'ignorance et d'erreur. Nous ajoutons, en troisième lieu, qu'ils ne sont pas exempts d'infirmités. Toutefois, entendons-nous sur le sens de ce mot, et n'allons pas l'appliquer à des péchés manifestes, comme le font quelques-uns. Tel homme nous dit : « Chacun a son infirmité ; la mienne, c'est l'intempérance  » ; pour un autre, c'est l'impureté. Celui-ci a pour infirmité de prendre le nom de Dieu en vain ; celui-là l'habitude de dire à son frère : « Fou » , ou de rendre injure pour injure. Sachez, vous tous qui parlez ainsi, que, si vous ne vous repentez pas, vous irez droit en enfer avec vos infirmités ! J'entends par ce mot, non seulement les infirmités physiques proprement dites, mais toutes ces imperfections intérieures et extérieures qui n'entachent pas le caractère moral. Telles sont la faiblesse ou la lenteur d'intelligence, une conception difficile et confuse des choses, l'incohérence de la pensée, la lourdeur d'esprit, une mauvaise mémoire. Telles sont, d'autre part, les imperfections qui sont ordinairement, dans une certaine mesure, la conséquence des premières, savoir : la lenteur de la parole, l'incorrection du langage, une prononciation désagréable ; à quoi on pourrait ajouter mille autres défauts dans la conversation ou dans la manière d'être, qu'il n'est pas besoin de nommer. Ce sont là des infirmités qu'on rencontre chez les meilleurs d'entre les hommes ; dans des proportions plus ou moins grandes. Et nul ne peut espérer d'en être entièrement délivré jusqu'à ce que l'esprit retourne à Dieu qui l'a donné.

                    Nous ne pouvons pas non plus jusqu'alors nous attendre à être entièrement exempts de tentations. Une telle perfection n'appartient pas à la vie présente. Il en est, il est vrai, qui sont tellement adonnés à « commettre toute espèce d'impureté avec une ardeur insatiable (Éphésiens 4 : 19) », qu'ils s'aperçoivent à peine des tentations auxquelles ils ne résistent pas ; et ainsi ils y paraissent étrangers. Il en est aussi beaucoup que l'ennemi rusé des âmes voit si bien endormis dans le formalisme religieux, qu'il n'a garde de leur présenter des tentations grossières, de crainte qu'ils ne se réveillent avant de tomber dans le feu éternel. Je sais également qu'il y a des enfants de Dieu qui, venant d'être justifiés gratuitement, ayant trouvé la rédemption dans le sang de Christ, n'éprouvent pour un temps aucune tentation. Dieu a dit à leurs ennemis : « Ne touchez pas à mes oints ; ne faites point de mal à mes enfants (Psaume 105 : 15)  ». Et pendant cette période, qui peut durer des semaines ou des mois, il les fait monter sur les lieux élevés, il les porte comme sur des ailes d'aigle, au-dessus des dards enflammés du Malin. Mais cet état ne durera pas toujours, comme nous pouvons nous en convaincre par ce seul fait que le Fils de Dieu lui-même, pendant les jours de sa chair, a été tenté, même jusqu'à la fin de sa vie. Que ses serviteurs s'attendent donc, à l'être eux aussi ; car « il suffit au disciple d'être comme son Maître (Matthieu 10 : 25)  ».

                    Ainsi, la perfection chrétienne n'implique pas (comme certains semblent l'avoir imaginé) l'exemption de l'ignorance, de l'erreur, des infirmités ou des tentations. Au fond, ce n'est qu'un autre mot pour désigner la sainteté. Ces deux mots expriment la même chose. Quiconque est saint est parfait, d'après l'Écriture. Pourtant nous devons faire observer que, même dans ce sens, il n'y a pas de perfection absolue sur la terre ; il n'existe pas une perfection de degrés, suivant le terme usité, une perfection qui exclut le progrès continuel. Si avancé que soit un chrétien, si élevé que soit le degré de sainteté auquel il est parvenu, il a encore à « croître dans la grâce (2Pierre 3 : 18)  ». il a à grandir journellement dans la connaissance et dans l'amour de. Dieu son Sauveur.

Il

                    Dans quel sens les chrétiens sont-ils donc parfaits ? C'est ce que je vais essayer de montrer en second lieu.

                    Remarquons d'abord qu'il y a plusieurs périodes dans la vie chrétienne comme dans la vie physique. Il y a, des enfants de Dieu, qui ne sont que des enfants nouveaux-nés ; d'autres sont parvenus à la maturité. C'est ce qui fait que saint Jean, dans sa première épître (1Jean 2 : 12, etc.), s'adresse successivement à ceux qu'il appelle petits enfants, à ceux qu'il désigne sous le nom de jeunes gens, et à ceux auxquels il donne le titre de pères. « Petits enfants, dit-il, je vous écris parce que vos péchés vous sont pardonnés » ; parce que vous avez fait cette expérience, qu'étant « justifiés gratuitement vous avez la paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus-Christ (Romains 5 : 1)  ». « Jeunes gens ; je vous écris, parce que vous avez vaincu le Malin  » ; ou, comme il dit plus loin, « parce que vous êtes forts, et que la parole de Dieu demeure en vous ? » Vous avez éteint les dards enflammés du Malin, les doutes et les craintes par lesquels il troublait votre première paix ; le témoignage de Dieu, vous assurant que vos péchés sont pardonnés, demeure maintenant dans votre cœur. « Pères, je vous écris, parce que vous avez connu Celui qui est dès le commencement ». Vous avez connu à la fois le Père, et le Fils, et l'Esprit de Christ au plus profond de votre âme. Vous êtes des hommes parfaits, ayant atteint la « mesure de la stature parfaite de Christ (Éphésiens 4 : 13)  ». Je parlerai principalement de ceux-là dans la dernière partie de ce discours ; car ceux-là seuls sont des chrétiens parfaits. Mais même les enfants en Christ sont parfaits en ce sens qu'ils ne commettent pas le péché. Si quelqu'un doute que ce soit là le privilège des enfants de Dieu, la question ne peut pas être résolue par des raisonnements abstraits, qui pourraient être démesurément étendus sans le moindre résultat ; elle ne peut non plus être résolue par l'expérience de telle ou telle personne : il en est beaucoup qui peuvent s'imaginer qu'ils ne commettent pas de péchés quand ils en commettent ; et, du reste, cela ne prouve rien ni d'un côté ni de l'autre. Nous en appelons à la loi et au témoignage. « Que Dieu soit reconnu véritable, et tout homme menteur (Romains 3 : 4)  ». C'est sur sa parole que nous voulons nous fonder, et sur elle seulement. C'est sa parole qui doit nous juger.

                     Or, la parole de Dieu déclare nettement que, même ceux qui sont justifiés, qui sont nés de nouveau dans le sens le plus élémentaire de ce mot, « ne demeurent pas dans le péché, qu'ils ne peuvent y vivre encore (Romains 6 : 1,3,5-7,11,14,18) ; qu'ils ont été faits une même plante avec Christ par la conformité de sa mort ; que leur vieil homme a été crucifié avec lui, le corps du péché étant détruit, afin qu'ils ne soient plus asservis au péché, mais que, morts avec Christ, ils soient quittes du péché ; qu'ils sont morts au péché et qu'ils vivent à Dieu en Jésus-Christ ; que le péché n'a plus de domination sur eux parce qu'ils ne sont plus sous la loi, mais sous la grâce ; qu'ayant été affranchis du péché, ils sont devenus esclaves de la justice ».

                     Le moins que l'on puisse inférer de ces paroles, c'est que ceux dont il est question, savoir, tous les vrais chrétiens, c'est-à-dire ceux qui croient en Christ, sont affranchis du péché extérieur. Et cet affranchissement que saint Paul décrit avec une telle variété d'expressions, saint Pierre le décrit en cette seule phrase : « Celui qui a souffert en la chair a cessé de pécher, afin qu'il ne vive plus selon les convoitises des hommes, mais selon la volonté de Dieu (1 Pierre 4 : 1,2)  ». Que signifie en effet l'expression cesser de pécher, à l'entendre dans son sens le plus restreint, comme se rapportant à la conduite extérieure, si ce n'est s'abstenir de toute transgression extérieure de la loi ?

                    Plus explicites encore sont les paroles bien connues de saint Jean : « Celui qui fait le péché est du diable ; car le diable pèche dès le commencement. Or, le Fils de Dieu a paru pour détruire les œuvres du diable. Quiconque est né de Dieu ne fait point le péché, parce que la semence de Dieu demeure en lui ; et il ne peut pécher parce qu'il est né de Dieu (1Jean 3 : 8,9)  ». Et plus loin : « Nous savons que quiconque est né de Dieu ne pèche point ; mais celui qui est né de Dieu se conserve soi-même, et le Malin ne le touche point (1Jean 5 : 18)  ».

                    On a dit, il est vrai, que ces paroles signifient seulement : il ne pèche pas volontairement ; ou bien : il ne commet pas le péché habituellement ; ou bien : il ne le commet pas comme d'autres le font ; ou encore il ne le commet pas comme il le faisait auparavant. Mais qui donc a dit cela ? Saint Jean ? Non. Il n'y a pas un mot semblable dans le texte, ni dans tout le chapitre, ni dans toute son épître, ni dans aucune partie de ses écrits. Cela étant, la meilleure manière de réfuter ces assertions ; c'est tout simplement de les démentir. Que si quelqu'un peut prouver ce qu'il avance, d'après la parole de Dieu, qu'il veuille bien nous présenter ses puissants arguments.

                     Il y a une espèce d'argument que l'on a souvent fait valoir pour soutenir les étranges assertions que nous venons de citer, un argument tiré des exemples que nous raconte la parole de Dieu : « Eh quoi ! dit-on, Abraham lui-même n'a-t-il pas péché en dissimulant et en reniant sa femme ? (Genèse 12 : 13) Moïse n'a-t il pas péché, en irritant l'Éternel près des eaux de Mériba ? (Exode 17 : 7 Nombres 20 : 12) Et, pour tout résumer en un seul exemple, David, lui même, cet « homme selon le cœur de Dieu » , n'a-t-il pas péché dans l'affaire d'Urie le Héthien, au point de se rendre coupable d'adultère et de meurtre ? (2 Samuel 11) » - Tout cela est parfaitement vrai. Mais que voulez-vous en conclure ? On doit reconnaître d'abord que David, dans le cours ordinaire de sa vie, a été l'un des hommes les plus saints parmi les Israélites, et ensuite que les hommes les plus saints d'entre les Israélites commettaient quelquefois des péchés. Mais si vous voulez en conclure que tous les chrétiens pèchent et doivent pécher toute leur vie, nous repoussons absolument cette conclusion ; elle ne découle pas des prémisses.

                  Ceux qui raisonnent ainsi paraissent n'avoir jamais fait attention à cette déclaration de notre Seigneur « Je vous dis en vérité qu'entre tous ceux qui sont nés de femme, il n'en a été suscité aucun plus grand que Jean Baptiste ; toutefois celui qui est le plus petit dans le royaume des cieux est plus grand que lui (Matthieu 11 : 11)  ». Je crains, à la vérité, que plusieurs ne se soient imaginés que le royaume des cieux désigne ici le royaume de la gloire, comme si le Fils de Dieu nous avait voulu faire connaître que le moindre d'entre les saints glorifiés est plus grand que qui que ce soit sur la terre ! Il suffit d'énoncer cette interprétation pour en faire sentir la fausseté. A n'en pas douter, le royaume des cieux, dans ce verset (comme dans le verset suivant, où il est dit qu'il doit être forcé), ou « le royaume de Dieu » , comme s'exprime saint Luc, c'est le royaume de Dieu sur la terre, celui auquel appartiennent tous ceux qui croient véritablement en Christ, tous les vrais chrétiens. Par ces paroles, notre Seigneur affirme donc deux choses : premièrement, qu'avant sa venue en chair, parmi tous les enfants des hommes, il n'y en avait pas eu un plus grand que Jean-Baptiste, d'où il résulte évidemment que ni Abraham, ni David, ni aucun Israélite ne fut plus grand que Jean. Secondement, notre Seigneur déclare que celui qui est le plus petit dans le royaume de Dieu (dans ce royaume qu'il est venu établir sur la terre, et que les violents commençaient alors à ravir), est plus grand que lui, non pas un plus grand prophète, comme quelques-uns l'ont expliqué, car les faits prouvent le contraire, mais plus grand dans la grâce de Dieu et dans la connaissance de notre Seigneur Jésus-Christ. Par conséquent, nous ne pouvons pas estimer les privilèges des vrais chrétiens d'après ceux qui furent autrefois accordés aux Juifs. Leur ministère (ou leur dispensation) « a été glorieux », il est vrai : mais le nôtre « le surpasse de beaucoup en gloire (2Corinthiens 3 : 7,9)  ». C'est pourquoi, quiconque voudrait rabaisser la dispensation chrétienne au niveau de celle des Israélites, quiconque rassemble les exemples de défaillance rapportés dans la Loi et les Prophètes, pour en conclure que ceux qui ont « revêtu Christ » ne sont pas en possession d'une plus grande force que la leur, se trompe grossièrement, « ne connaissant pas les Écritures ni la puissance de Dieu (Matthieu 22 : 29)  ».

                    « Mais, poursuit-on, si ces exemples ne sont pas une démonstration suffisante de notre manière de voir, celle-ci n'est-elle pas démontrée par des déclarations de l'Écriture ? N'est-il pas dit expressément : « Le juste pêche sept fois par jour ? » — Je réponds non ; l'Écriture ne dit rien de semblable ; il n'y a pas un tel passage dans toute la Bible. Celui qu'on paraît avoir en vue est le verset 16 du chapitre XXIV des Proverbes ; où il est dit : « Le juste tombera sept fois, et il sera relevé ». (Proverbe 24 : 16). Mais ceci est tout autre chose. D'abord les mots : « par jour », ne sont pas dans le texte ; en sorte que, si un homme juste tombe sept fois dans sa vie, c'est tout ce qui est affirmé ici. Ensuite, il n'est pas du tout fait mention dans cette parole de « tomber dans le péché  » ; il a parlé seulement de tomber dans les afflictions temporelles. C'est ce qui ressort clairement du verset précédent, où il est dit : « Méchant, n'épie point le domicile du juste, et ne détruis point sa demeure ». Suit alors cette parole : « Car le juste tombera sept fois et sera relevé, mais les méchants tomberont dans le mal ». C'est comme s'il était dit : « Dieu le délivrera de son affliction ; mais si tu tombes, ô méchant, il n'y aura personne pour te délivrer ».

                   « Mais encore, disent nos contradicteurs, dans d'autres passages, Salomon dit positivement : « Il n'y a personne qui ne pèche (1Roi 8 : 4- 2 Chroniques 6 : 36)  ». « Certainement, il n'y a point d'homme juste sur la terre, qui agisse toujours bien et qui ne pèche point (Ecclésiaste 7 : 20)  ». — Je réponds : Sans aucun doute, il en était ainsi du temps de Salomon ; il en a même été ainsi depuis Adam jusqu'à Moïse, depuis Moïse jusqu'à Salomon, et depuis Salomon jusqu'à Christ. Il n'y avait alors aucun homme qui ne péchât. Dès le jour où le péché entra dans le monde, il n'y eut pas sur la terre un homme juste qui fit le bien et ne péchât point, jusqu'à ce que le Fils de Dieu fût manifesté pour ôter nos péchés. Il est incontestablement vrai que « l'héritier ; tant qu'il est enfant, ne diffère en rien du serviteur (Galates 4 : 1) ; » et que de même ; tous les saints de l'antiquité, qui étaient sous l'ancienne dispensation, furent, durant cet âge préparatoire de l'Église, « sous l'esclavage des rudiments du monde (Galates 4 : 3)  ». « Mais lorsque les temps ont été accomplis. Dieu a envoyé son Fils, assujetti à la loi, afin qu'Il rachetât ceux qui étaient sous la loi, et qu'ils reçussent l'adoption des enfants (Galates 4 : 4,5) ; » afin qu'ils fussent rendus participants de cette grâce, « qui a été maintenant manifestée par l'avènement de notre Sauveur Jésus-Christ, qui a détruit la mort et mis en évidence la vie et l'immortalité par l'Évangile. (2Timothée 1 : 10)  ». C'est pourquoi ils ne sont plus désormais « des esclaves, mais des fils (Galates 4 : 7)  ». Quoi qu'il en soit donc de ceux qui étaient sous la loi, nous pouvons affirmer en toute sûreté avec saint Jean que, depuis les temps évangéliques, « celui qui est né de Dieu ne pêche point (1Jean 3 : 9)  ».

                   Il est très important de remarquer, et cela avec plus de soin qu'on ne le fait ordinairement, la grande différence qui existe entre la dispensation juive et la dispensation chrétienne, ainsi que la cause que saint Jean assigne à cette différence dans le chapitre VII de son Évangile (Jean 7 : 38 etc.). Après avoir rapporté les paroles de notre Seigneur : « Qui croit en moi, des fleuves d'eau vive couleront de lui, comme l'Écriture le dit », il ajoute immédiatement : « Or, il disait cela de l'Esprit que devaient recevoir ensuite ceux qui croiraient en lui ; car le Saint-Esprit n'avait pas encore été donné, parce que Jésus n'était pas encore glorifié ». L'apôtre ne peut pas avoir voulu dire par là (comme plusieurs l'ont enseigné) que le pouvoir miraculeux du Saint-Esprit n'avait pas encore été donné ; car il avait déjà été donné ; notre Seigneur l'avait communiqué à tous les apôtres, dès le jour qu'il les envoya prêcher l'Évangile. Il leur donna alors le pouvoir de chasser les malins esprits, de guérir les malades et même de ressusciter les morts. Mais le Saint-Esprit n'avait pas encore été donné dans sa vertu sanctifiante, comme il le fut après que Jésus-Christ eut été glorifié. C'est lorsqu'Il monta en haut et mena captifs les prisonniers, qu'Il « reçut ces dons pour les hommes, et même pour les rebelles, afin que l’Éternel Dieu habitât parmi eux (Ps 68 : 19)  ». Et c'est lorsque le jour de la Pentecôte fut arrivé que, pour la première fois, ceux qui « attendaient la promesse du Père » furent rendus plus que vainqueurs du péché par le Saint-Esprit qui leur fut donné (Actes 2 et suivants.).

                    Saint Pierre aussi, dans sa première épître, déclare formellement que cette grande délivrance du péché n'a été donnée qu'après que Jésus-Christ a été glorifié. Parlant de ses frères en la chair, comme remportant maintenant « le prix de leur foi, qui est le salut des âmes », il ajoute : « C'est ce salut qui a été l'objet de l'exacte recherche et de la profonde méditation des prophètes, qui ont prophétisé touchant la grâce », c'est-à-dire l'économie de la grâce, « qui nous était destinée ; tâchant de découvrir pour quel temps et pour quelles conjonctures l'Esprit de Christ qui était en eux, et qui rendait témoignage à l'avance, leur faisait connaître les souffrances de Christ, et la gloire », ou le salut glorieux, « dont elles seraient suivies. Mais il leur a été révélé que ce n'était pas pour eux-mêmes, mais pour nous, qu'ils étaient dispensateurs de ces choses, qui vous ont été maintenant annoncées par ceux qui vous ont prêché l'Évangile, par le Saint-Esprit envoyé du ciel (1Pierre 1 : 11,12) », le jour de la Pentecôte, et depuis lors de génération en génération, dans les cœurs de tous les vrais croyants. Certes, l'apôtre pouvait bien s'appuyer sur ce don de Dieu en Jésus-Christ, pour fonder cette exhortation si énergique : « Ayant donc ceint les reins de votre esprit, comme celui qui vous a appelés est saint, vous de même soyez saints dans toute votre conduite (1Pierre 3 : 15)  ».

                    Quiconque a sérieusement examiné ces choses, doit convenir que les privilèges des chrétiens ne doivent être, en aucune manière, estimés d'après ce que l'Ancien Testament nous dit de ceux qui étaient sous la dispensation juive ; attendu que l'accomplissement des temps est maintenant arrivé, que le Saint-Esprit est maintenant donné, que le grand salut de Dieu est apporté aux hommes, par la manifestation de Jésus-Christ. Le royaume des cieux est aujourd'hui établi sur la terre, ce royaume dont le Saint-Esprit disait autrefois (tant David est loin d'être le modèle ou le type de la perfection chrétienne) : « Le plus faible d'entre eux sera, en ce temps-là, comme David, et la maison de David sera comme des anges, comme l'ange de l’Éternel devant leur face (Zacharie 12 : 8)  ».

                    Si donc vous voulez démontrer que les paroles de saint Jean : « Quiconque est né de Dieu ne pèche point », ne doivent pas être prises dans leur signification simple, naturelle et évidente, c'est du Nouveau Testament que vous devez tirer vos preuves ; autrement vous combattez comme quelqu'un qui frappe en l'air.

                    Dans cet ordre de preuves, la première que l'on allègue ordinairement est tirée des exemples rapportés dans le Nouveau-Testament. « Les apôtres eux-mêmes, dit-on, ont péché, et en particulier les principaux d'entre eux, Pierre et Paul : saint Paul par sa vive altercation avec Barnabas (Actes 15 : 39), et saint Pierre par sa dissimulation à Antioche (Galates 2 : 11-14)  ». Eh bien ! supposons que Pierre et Paul aient vraiment péché dans ces deux circonstances, que voulez-vous en conclure ? Que tous les autres apôtres ont péché quelquefois ? Il n'y a pas ombre de logique dans une telle conclusion. Ou bien voudriez-vous en conclure que tous les autres chrétiens de l'âge apostolique commettaient des péchés ? C'est raisonner de plus en plus mal ; il ne semble pas qu'un homme dans son bon sens pût jamais songer à une telle conclusion. Ou bien raisonneriez-vous comme suit : « Deux des apôtres ayant une fois commis un péché, tous les autres chrétiens, de tous les siècles, commettent et commettront le péché aussi longtemps qu'ils vivront ? » Hélas ! mon frère, un enfant d'une intelligence ordinaire aurait honte de raisonner ainsi. Encore moins auriez-vous, en aucune manière, raison d'en conclure que tout homme doit nécessairement commettre le péché ! Non. A Dieu ne plaise que nous parlions ainsi. Aucune obligation de pécher n'a été imposée aux apôtres ; la grâce de Dieu était assurément suffisante pour eux ; et elle est suffisante pour nous aujourd'hui. Avec la tentation qui leur est survenue, leur a été donnée une issue ; et de même pour toute âme d'homme, à l'occasion de chaque tentation. En sorte que quiconque est tenté par quelque péché que ce soit peut éviter de succomber ; car nul n'est « tenté au-delà de ses forces (1Corinthiens 10 : 13).

                    « Mais, dites-vous, saint Paul pria trois fois le Seigneur, et pourtant il ne put pas échapper à la tentation dont il était l'objet. Considérons ses propres paroles, en les traduisant littéralement : « Il m'a été mis une écharde dans la chair, un ange (un messager) de Satan pour me souffleter. J'ai prié trois fois le Seigneur que cela (ou qu'il) se retirât de moi. Mais il m'a dit : Ma grâce te suffit, car ma force s'accomplit dans la faiblesse. Je me glorifierai donc plus volontiers dans mes faiblesses, afin que la force de Christ demeure en moi. C'est pourquoi, je me plais dans les faiblesses ; car lorsque je suis faible, c'est alors que je suis fort (2Corinthiens 12 : 7-10)  ».

                    Ce passage étant l'un des principaux retranchements des défenseurs du péché, il convient de l'examiner soigneusement. Qu'on remarque donc, premièrement, que cette écharde ; quelle qu'elle fût, ne paraît pas avoir été le moins du monde pour saint Paul une occasion de péché ; encore moins le mettait-elle en aucune façon dans la nécessité de pécher. Aussi est-il impossible de démontrer par là que tout chrétien doit pécher. Secondement, les Pères de l’Église nous disent qu'il s'agissait dans cette parole d'une souffrance corporelle ; c'était un violent mal de tête, dit Tertullien (De Pudic) ; c'est ce que s'accordent aussi à dire Chrysostome et saint Jérôme. Saint Cyprien (De Mortalitate) s'exprime d'une manière un peu plus générale et voit dans l'écharde de saint Paul de nombreuses et accablantes tortures de la chair et du corps (carvis et corporis multa ac gravia tormenta). Troisièmement, les propres paroles de l'apôtre s'accordent parfaitement avec cette interprétation : « une écharde dans la chair, pour me frapper, me battre ou me souffleter ». « Ma force s'accomplit dans la faiblesse ». Et ce mot ne se trouve pas moins de quatre fois dans ces deux seuls versets (2Corinthiens 12 : 9,10). Mais, quatrièmement, quelle que fût cette écharde, ce ne pouvait pas être le péché, ni celui du dedans, ni celui du dehors. Ce ne pouvait pas plus être les mouvements intérieurs que les manifestations extérieures de la colère, de l'orgueil ou de la convoitise. C'est ce qui ressort, avec une évidence qui ne petit laisser subsister aucun doute, des paroles qui suivent immédiatement : « Je me glorifierai donc volontiers dans mes faiblesses, afin que la force de Christ habite en moi (vers. 9)  ». Quoi ! se glorifiait-il dans l'orgueil, dans la colère, dans la convoitise ? Était-ce par ces faiblesses-là que la force de Christ habitait en lui ? Il poursuit : « Je me plais donc dans les faiblesses ; car quand je suis faible, c'est alors que je suis fort  » ; en d'autres termes, quand je suis faible de corps, je suis fort en esprit. Mais quelqu'un oserait-il dire : « Quand je suis faible par l'orgueil ou par la convoitise, alors je suis fort en esprit ? » Je vous prends à témoin, aujourd'hui, vous tous qui avez la force de Christ demeurant en vous, pouvez-vous vous glorifier dans la colère, dans l'orgueil ou dans la convoitise ? Pouvez-vous vous plaire dans de telles infirmités ? Ces faiblesses vous rendent-elles forts ? N'iriez-vous pas jusque en enfer, si c'était possible, pour y échapper ? Jugez donc, d'après vous-mêmes, si l'apôtre pouvait s'en glorifier et y prendre plaisir ! Qu'on veuille bien remarquer ; enfin, que cette écharde fut envoyée à saint Paul plus de quatorze ans avant, la composition de cette épître, laquelle fut écrite elle-même plusieurs années avant qu'il finît sa carrière. Aussi eut-il, après cette époque, une longue course à parcourir, bien des batailles à livrer ; bien des victoires à remporter, bien des dons nouveaux à recevoir de la part de Dieu, et de grands progrès à réaliser dans la connaissance de Jésus-Christ. C'est pourquoi, à supposer qu'il ressentît alors quelque faiblesse spirituelle, nous ne sommes nullement en droit d'en inférer qu'il n'a jamais été rendu fort ; que Paul avancé en âge et père en Christ, gémissait encore sous le poids des mêmes faiblesses, et qu'il n'est pas arrivé à un état spirituel plus élevé jusqu'au jour de sa mort. Ainsi donc, cette parole de saint Paul est tout à fait étrangère à la question et n'est nullement en opposition avec la déclaration de saint Jean : « Celui qui est né de Dieu ne pèche point ».

                    « Mais, objecte-t on encore, saint Jacques ne dit-il pas absolument le contraire dans cette parole : « Nous bronchons tous en plusieurs choses ? (Jacques 3 : 2) » Et broncher, n'est- ce pas la, même chose que pécher ? » Je reconnais qu'il en est ainsi dans ce passage, et je vous accorde que ceux dont il est ici parlé commettaient le péché, que tous même commettaient de nombreux péchés. Mais de qui a voulu parler l'apôtre ? De cette multitude de « maîtres » que Dieu n'avait pas envoyés (probablement de ces hommes vains qui enseignaient la doctrine de la foi sans les œuvres, qui est si vivement censurée dans le chapitre précédent ;) il ne s'agit pas de l'apôtre lui-même, ni d'aucun vrai chrétien. Il est évident qu'en employant le mot nous (suivant une forme de langage usitée dans les écrits profanes aussi bien que dans les écrits inspirés,) saint Jacques ne voulait, en aucune manière, parler de lui-même, ou de tout autre véritable croyant. Ce qui le prouve, c'est qu'il se sert du même mot au verset 9

                    « Par elle nous bénissons Dieu notre Père, et par elle nous maudissons les hommes... D'une même bouche sortent la bénédiction et la malédiction ». Cela est vrai, mais non de la bouche de l'apôtre, ni de celle d'aucun homme devenu une nouvelle créature en Jésus-Christ. Du reste, dans le verset qui précède immédiatement le passage en question et auquel il se rattache évidemment, il est dit : « Mes frères, qu'il n'y ait pas plusieurs maîtres parmi vous, sachant que nous en recevrons une plus grande condamnation ».

                   Car nous bronchons tous en plusieurs choses ». Nous ! Qui ? Non les apôtres, ni les vrais croyants ; mais ceux qui savaient qu'ils recevraient une plus grande condamnation, à cause de leurs méfaits multipliés. Cela ne pouvait s'appliquer à l'apôtre lui-même, ni à aucun de ceux qui marchaient sur ses traces, attendu qu' « il n'y a aucune condamnation pour ceux qui ne marchent pas selon la chair, mais selon l'Esprit... (Romains 8 : 1) » Enfin le verset lui-même contient la preuve que ces mots « nous bronchons tous » ne se rapportent pas à tous les chrétiens ; car il y est fait mention d'un homme qui ne bronche pas, comme le font ceux qui sont désignés par le pronom nous. Aussi est-il nettement mis en contraste avec ces derniers et déclaré un homme parfait.

                    C'est ainsi que saint Jacques explique lui-même sa pensée et fixe le sens de ses propres paroles. Néanmoins, pour qu'il ne reste aucun doute dans l'esprit de personne, saint Jean, écrivant bien des années après saint Jacques, met la question au-dessus de toute contestation par les déclarations formelles citées plus haut.

                     Une nouvelle objection peut s'élever ici dans les esprits : « Comment mettrons-nous saint Jean d'accord avec lui-même ? Dans un endroit, il dit : « Quiconque est né de Dieu ne pèche point (Jean 3 : 9) ; » et encore : « Nous savons que celui qui est né de Dieu ne pèche point (Jean 5 : 18)  ». Par contre, il dit : « Si nous disons que nous n'avons point de péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n'est point en nous (Jean 5 : 18) », et plus loin : « Si nous disons que nous n'avons pas péché, nous le faisons menteur, et sa parole n'est point en nous (Jean 1 : 10)  ».

                    Quelque spécieuse que puisse paraître au premier abord cette objection, elle tombe, si nous considérons, premièrement, que le verset 10 fixe le sens du verset 8 ; les mots : « Si nous disons que nous n'avons point de péché », étant expliqués par les mots : « Si nous disons que nous n'avons pas péché  » ; secondement, que la question qui nous occupe n'est pas de savoir si nous avons péché ou si nous n'avons pas péché dans le passé ; ni l'un ni l'autre de ces versets ne dit que nous péchons ou commettons le péché maintenant ; et troisièmement, que le verset 9 explique à la fois le huitième et le dixième : « Si nous confessons nos péchés, il est fidèle et juste pour nous les pardonner, et pour nous purifier de toute iniquité ». C'est comme si l'apôtre avait dit : « Je viens d'affirmer que le sang de Jésus-Christ nous purifie de tout péché  » ; mais que nul homme ne dise : « Je n'en ai pas besoin ; je n'ai pas de péché dont il me faille être purifié. « Si nous disons que nous n'avons pas de péché, que nous n'avons pas commis de péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et nous faisons Dieu menteur ; mais si nous confessons nos péchés, Il est fidèle et juste », non seulement « pour nous pardonner nos péchés », mais aussi pour nous purifier de toute iniquité », en sorte que nous ne péchions plus désormais.

                    Saint Jean est donc parfaitement d'accord avec lui-même, aussi-bien qu'avec les autres écrivains sacrés. C'est ce qui ressort avec plus d'évidence encore, si nous embrassons d'un seul regard toutes ses assertions sur ce sujet. Il déclare, en premier lieu, que le sang de Jésus-Christ nous purifie de tout péché ; en second lieu, que nul ne peut dire ; je n'ai pas péché, il n'y a rien en moi dont j'aie besoin d'être purifié ; en troisième lieu, que Dieu est disposé à pardonner nos péchés passés, en même temps qu'à nous en délivrer pour l'avenir, : en quatrième lieu, l'apôtre dit : Je vous écris ces choses afin que vous ne péchiez point ; si quelqu'un venait à pécher, (ou a péché), il n'est pas nécessaire qu'il continue à pécher ; puisque « nous avons un avocat auprès du Père, savoir, Jésus Christ le juste ? (1Jean 2 : 1) » Jusqu'ici tout est clair. Mais, de peur qu'il ne subsiste ; quelque doute sur un sujet d'une aussi grande importance, l'apôtre le reprend dans le chapitre III, et explique sa pensée tout au long : « Mes petits enfants, dit-il, que personne ne vous séduise », (en vous faisant croire que j'aie donné le moindre encouragement à ceux qui continuent à pécher). « Celui qui fait ce qui est juste, est juste comme lui aussi est juste ; celui qui fait le péché est du diable ; car le diable pèche dès le commencement. Or, le Fils de Dieu a paru pour détruire les œuvres du diable. Quiconque est né de Dieu ne pèche pas, parce que la semence de Dieu demeure en lui ; et il ne peut pécher parce qu'il est né de Dieu. C'est à ceci que l'on reconnaît les enfants de Dieu et les enfants du diable ». (Versets 7 à 10.) Ces paroles du dernier écrivain inspiré rendent le doute impossible sur la question qui nous occupe et la décident de la façon la plus claire. C'est pourquoi, conformément à la doctrine de saint Jean, aussi bien qu'à l'esprit de l'enseignement tout entier du Nouveau Testament, nous affirmons qu'un chrétien peul être parfait au point de ne pas pécher.

                     C'est là le glorieux privilège de tout chrétien, même de celui qui n'est qu'un enfant en Christ. Mais c'est seulement de ceux qui sont forts dans le Seigneur, et qui ont « vaincu le malin » , ou plutôt de ceux qui ont « connu celui qui est dès le commencement (1Jean 2 : 14) », qu'on peut affirmer qu'ils sont parfaits en ce sens qu'ils sont exempts des mauvaises pensées et des mauvaises dispositions.

                    En premier lieu, ils sont exempts des pensées mauvaises ou coupables. Mais ici qu'on veuille bien remarquer que des pensées concernant ce qui est mauvais ne sont pas toujours de mauvaises pensées, que penser à quelque chose de coupable et avoir une pensée coupable sont deux choses très différentes. Par exemple, un homme peu penser à un meurtre qu'un autre a commis ; mais ce n'est pas là une pensée mauvaise ou criminelle. Notre Seigneur lui-même a sans doute pensé ou réfléchi à ce qui lui fut dit par le démon dans cette parole : « Je te donnerai toutes ces choses, si, en te prosternant, tu m'adores (Matthieu 4 : 9)  ». Et pourtant il n'a eu aucune mauvaise pensée ; car il n'était pas capable d'en avoir ; d'où il résulte que le vrai chrétien n'en a pas non plus ; car « tout disciple accompli sera comme son Maître (Luc 6 : 40)  ». Si donc il a été exempt de pensées mauvaises ou coupables, les vrais chrétiens le sont également.

                     D'ailleurs, d'où sortiraient les mauvaises pensées chez le serviteur qui est comme son Maître ? C'est « du dedans, c'est-à-dire, du cœur des hommes que sortent les mauvaises pensées (Marc 8 : 21)  ». Si donc son cœur n'est plus mauvais, les mauvaises pensées ne peuvent plus en sortir. Si l'arbre était mauvais, le fruit le serait aussi. Mais l'arbre est bon ; donc le fruit est bon également (Matthieu 12 : 33). C'est ce que déclare le Seigneur lui-même « Tout arbre qui est bon porte de bons fruits. Un bon arbre ne peut porter de mauvais fruits, ni un mauvais arbre porter de bons fruits (Matthieu 7 : 17,18)  ».

                    Saint Paul, d'après sa propre expérience ; affirme que c'est là l'heureux privilège des vrais chrétiens. « Les armes avec lesquelles nous combattons, dit-il, ne sont pas charnelles ; mais elles sont puissantes par la vertu de Dieu, pour renverser les forteresses, et détruire tous les conseils (ou plutôt les raisonnements, car c'est là le sens de tous les raisonnements de l'orgueil et de l'incrédulité contre les déclarations, les promesses ou les dons de Dieu), et toute hauteur qui s'élève contre la connaissance de Dieu ; et pour amener toutes les pensées captives à l'obéissance de Christ (2Corinthiens 10 : 4,5)  ».

                      En second lieu, les chrétiens sont délivrés de toute mauvaise disposition aussi bien que de toute mauvaise pensée. C'est ce qui ressort de la déclaration du Seigneur mentionnée plus haut : « Le disciple n'est point au-dessus de son Maître » (Luc 6 : 40). Il venait d'exposer quelques-unes des doctrines du christianisme à la fois les plus sublimes et les plus dures à la chair et au sang : « Je vous dis : Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent ; et à celui qui te frappe à une joue, présente-lui aussi l'autre (Luc 6 : 27,29)  ». Il savait bien que le monde ne recevrait pas de tels préceptes. C'est pourquoi il ajoute immédiatement « Un aveugle peut-il conduire un autre aveugle ? Ne tomberont-ils pas tous deux dans la fosse ? (Luc 6 : 39) » C'est comme s'il avait dit : « Ne consultez pas, sur ces choses, la chair et le sang, c'est-à-dire des hommes dénués de discernement spirituel, auxquels Dieu n'a pas ouvert les yeux de l'entendement, de peur que vous et eux ne périssiez ensemble ». Dans le verset suivant, il réfute les deux grandes objections que nous font à chaque instant ces insensés prétendus sages : « Ces injures sont trop difficiles à supporter », ou bien : « Ces préceptes sont trop élevés pour être réalisés ». A quoi le Seigneur répond : « Le disciple n'est pas au-dessus de son Maître  » ; c'est pourquoi, si j'ai souffert, soyez satisfaits de marcher sur mes traces ; et alors ne doutez pas que j'accomplisse ma parole : « Car tout disciple accompli sera comme son Maître ! » Or, le Maître a été exempt de tout mauvais sentiment, de toute mauvaise disposition ; donc son disciple l'est aussi, et tout vrai chrétien le sera.

                    Chaque chrétien peut dire avec saint Paul : « Je suis crucifié avec Christ ; et ce n'est plus moi qui vis, mais Christ vit en moi (Galates 2 : 20)  ». Ces paroles décrivent évidemment la délivrance du péché intérieur aussi bien que du péché extérieur. C'est ce qui est exprimé, soit négativement : ce n'est plus moi qui vis, (ma mauvaise nature a disparu, le corps du péché est détruit) ; soit positivement : Christ vit, en moi, et par conséquent tout ce qui est saint ; juste et bon, vit en moi. Du reste, ces deux choses : Christ vit en moi et ce n'est pas moi qui vis, sont inséparables l'une de l'autre ; « car quelle union y a-t-il entre la lumière et les ténèbres, entre Christ et Bélial ? (2Crinthiens 6 : 14,15) » Celui donc qui vit dans les vrais croyants a « purifié leurs cœurs par la, foi (Actes 15 : 9) ; » de telle sorte que quiconque a Christ en lui, l'espérance de la gloire, « se purifie soi-même comme Lui est pur (1Jean 3 : 3)  ». Il est purifié de l'orgueil ; car Christ était humble de cœur. Il est purifié de l'égoïsme et de la convoitise ; car Christ n'a pas désiré autre chose que de faire la volonté de son Père, et d'accomplir son œuvre. Il est purifié de la colère, dans le sens ordinaire du mot ; car Christ était doux et débonnaire, patient et plein de support. Je dis dans le sens ordinaire du mot ; car toute espèce de colère n'est pas mauvaise. Il nous est dit que le Seigneur lui-même un jour « regarda autour de lui avec colère (Marc 3 : 5)  ». Mais avec quelle espèce de colère ? Le mot qui suit le montre : « étant attristé de l'endurcissement de leur cœur ». Ainsi donc, il était au même moment en colère à l'égard du péché et attristé à l'égard des pécheurs ; saisi d'indignation et de déplaisir pour l'offense, mais ému de pitié pour les auteurs de l'offense. C'est avec colère et même avec horreur qu'il considérait la chose, mais c'est avec douleur et avec amour qu'il considérait les personnes. Va, toi qui es parfait, et fais de même. Mets-toi en colère de cette manière, et tu ne pécheras pas ; ressentant du déplaisir et de l'indignation pour toute offense envers Dieu, mais rien que de l'amour et de la tendre compassion pour le pécheur.

                      Ainsi donc Jésus sauve son peuple de ses péchés (Matthieu 1 : 21), non seulement des péchés extérieurs, mais aussi des péchés du cœur, des mauvaises pensées et des mauvaises dispositions.

                    « Cela est vrai, disent quelques-uns, nous serons sauvés de nos péchés ; mais non pas avant la mort, non pas dans ce monde ». — Comment alors expliquer cette déclaration de saint Jean : « C'est en ceci que notre charité est accomplie, afin que nous ayons de la confiance au jour du jugement : que nous soyons dans ce monde tels qu'il est lui-même (1Jean 4 : 17)  ». L'apôtre parle ici, sans contredit, de lui-même et de tous les chrétiens d'ici-bas ; et (comme s'il avait prévu cette fausse interprétation, et avait voulu la renverser dans son fondement), il affirme catégoriquement que, non seulement à la mort ou après la mort, mais dans ce monde, ils sont tels que leur Maître.

                    Saint Jean exprime la même chose dans ce texte « Dieu est lumière, et il n'y a point en lui de ténèbres. Si nous marchons dans la lumière, nous avons une communion mutuelle, et le sang de son Fils Jésus-Christ nous purifie de tout péché (1Jean 1 : 5,7,9)  ». Et plus loin « Si nous confessons nos péchés, il est fidèle et juste pour nous les pardonner, et pour nous purifier de toute iniquité », Il est évident que l'apôtre parle encore ici d'une délivrance accomplie en ce monde ; car il ne dit pas que le sang de Christ nous purifiera à l'heure de la mort, ou au jour du jugement, mais qu'il « nous purifie » , maintenant même, « de tout péché ». Il est également évident que s'il reste en nous quelque péché, nous ne sommes pas purifiés de tout péché ; que s'il reste quelque iniquité dans notre âme, celle-ci n'est pas purifiée de toute iniquité.

                    D'autre part, qu'aucun pécheur ne dise, au détriment de sa propre âme, que ces paroles se rapportent seulement à la justification ou à notre purification de la culpabilité du péché ; car leur donner ce sens, c'est d'abord confondre deux choses que l'apôtre distingue nettement, nous pardonner nos péchés, et nous purifier de toute iniquité ; et ensuite c'est affirmer la justification par les bonnes œuvres de la façon la plus catégorique, c'est dire que toute sainteté intérieure aussi bien qu'extérieure précède nécessairement la justification. En effet, si la purification dont il est ici parlé est la même que notre purification de la culpabilité du péché, nous ne sommes purifiés de la culpabilité, en d'autres termes nous ne sommes justifiés qu'à la condition de « marcher dans la lumière, comme Lui est dans la lumière ». Il demeure certain que les vrais chrétiens sont délivrés dans ce monde de tout péché, de toute iniquité ; qu'ils sont dès maintenant parfaits, en ce sens qu'ils ne commettent pas le péché, et sont exempts à la fois des mauvaises pensées et des mauvaises dispositions.

                     Ainsi sont accomplies les choses dont le Seigneur a parlé par la bouche de ses saints prophètes des siècles passés : — en particulier par Moïse, lorsqu'il dit : « L’Éternel ton Dieu circoncira ton cœur, et le cœur de ta postérité, afin que tu aimes l’Éternel ton Dieu de tout ton cœur, et de toute ton âme (De 30 : 6) », — par David qui s'écriait : « Crée en moi un cœur net, et renouvelle au dedans de moi un esprit droit (Ps 51 : 12) ; » — et plus particulièrement encore par Ézéchiel : « Je répandrai sur vous des eaux pures, et vous serez nettoyés ; je vous nettoierai de toutes vos souillures et de tous vos dieux infâmes. Et je vous donnerai un nouveau cœur, et je mettrai en vous un esprit nouveau ; et j'ôterai de votre chair le cœur de. pierre, et je vous donnerai un cœur de chair ; et je mettrai mon Esprit au dedans de vous, et je ferai que vous marcherez dans mes statuts, que vous garderez mes ordonnances, et que vous les pratiquerez... Vous serez mon peuple, et je serai votre Dieu. Et je vous délivrerai de toutes vos souillures. Ainsi a dit le Seigneur l’Éternel, au jour que je vous aurai nettoyés de toutes vos iniquités, les nations sauront que moi, l’Éternel, j'ai rebâti les lieux détruits ; moi l’Éternel, je l'ai dit, et je le ferai (Ézéchiel 36 : 25-36)  ».

                    Ayant donc, bien-aimés, de telles promesses, dans la loi et dans les prophètes, mais surtout dans l'Évangile par la bouche de Jésus-Christ et de ses apôtres, « nettoyons-nous de toute souillure de la chair et de l'esprit, achevant notre sanctification dans la crainte de Dieu (2 Corinthiens 7 : 1) ». Craignons que, après avoir reçu tant de promesses d'entrer dans son repos, quelqu'un de nous ne s'en trouve exclu (Hébreux 4 : 1). Faisons une seule chose, oubliant les choses qui sont derrière nous, et nous avançant vers celles qui sont devant nous ; courons vers le but, vers le prix de la vocation céleste qui est de Dieu en Jésus-Christ (Philippiens 3 : 14) ; criant à lui jour et nuit, jusqu'à ce que nous soyons « délivrés de la servitude de la corruption, pour être dans la liberté glorieuse des enfants de Dieu (Romains 8 : 21)  ». 


samedi 16 juillet 2016

(6) LES SERMONS DE WESLEY LE VÉRITABLE ESPRIT CATHOLIQUE

Numérisation Yves PETRAKIAN Copie autorisée pour diffusion gratuite uniquement Obligation d'indiquer la source http://456-bible.123-bible.com

Sermon 39 :  (1750)         LE VÉRITABLE ESPRIT CATHOLIQUE 
2 Rois 10,15

Jéhu, étant parti de là, rencontra Jonadab, fils de Récab, qui venait au-devant de lui ; il le salua et leur dit : Ton cœur est-il aussi droit envers moi, que mon cœur l'est à ton égard ? et Jonadab répondit : il l'est. S'il l'est, dit Jéhu, donne-moi la main (2 Rois 10: 15, version Ostervald révisée)

                    Nous devons aimer tous les hommes ; c'est une dette que ceux même qui ne l'acquittent pas reconnaissent ; car la loi royale : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même », porte avec elle son évidence ; non pas, toutefois, selon la misérable interprétation qu'en donnaient « aux anciens » leurs docteurs : « Tu aimeras ton prochain », tes parents, tes connaissances, tes amis, et « tu haïras ton ennemi ». Non ! Mais « moi Je vous dis : Aimez vos ennemis » , dit le Seigneur, « bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui vous outragent et qui vous persécutent, afin que vous soyez enfants de votre Père qui est dans les cieux ; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et, il fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes (Matthieu 5 : 43-4)

                    Mais il y a, sans contredit, une sorte d'amour que nous devons particulièrement à ceux qui aiment Dieu. Ainsi, David dit : « C'est dans les saints qui sont sur la terre que je prends tout mon plaisir (Psaume 16 : 3)  ». Et un plus grand que David : « Je vous donne un commandement nouveau : c'est que vous vous aimiez les uns les autres, comme je vous ai aimés. A ceci tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l'amour les uns pour les autres (Jean 13 : 34,35)  ». C'est sur cet amour que l'apôtre saint Jean insiste fréquemment et avec tant de force.

                   « C'est ici ce que vous avez ouï annoncer dès le commencement, que nous nous aimions les uns les autres (1Jean 3 : 11) » - « Nous avons connu la charité en ce que Jésus-Christ a mis sa vie pour nous ; nous devons donc, aussi », si l'amour nous y appelle, « mettre notre vie pour nos frères (1Jean 3 : 16)  ». - « Bien-aimés, aimons-nous les uns les autres ; car l'amour est de Dieu. Celui qui n'aime point n'a point connu Dieu ; car Dieu est amour (1Jean 4 : 7,8) » - « Non que nous avons aimé Dieu, mais c'est lui qui nous a aimés et qui a envoyé son Fils pour faire la propitiation de nos péchés. Bien-aimés, si Dieu nous a ainsi aimés, nous devons nous aimer les uns les autres (1Jean 3 : 10,11)  ».

                    Ici, tous les hommes approuvent, mais tous pratiquent-ils ? L'expérience de chaque jour montre le contraire. Où sont même les chrétiens qui « s'aiment les uns les autres, comme il nous l'a commandé ? » Que d'obstacles encombrent le chemin ! Il y en a deux principaux : d'abord, qu'ils ne peuvent tous avoir les mêmes vues ; puis, et conséquemment, qu'ils ne peuvent tous suivre la même voie ; et qu'en fait, sur certaines questions d'ordre secondaire, leur pratique diffère dans la proportion où diffèrent leurs opinions.

                     Mais, quoique une différence dans les opinions ou dans les formes de culte puisse empêcher une complète union extérieure, faut-il cependant qu'elle empêche l'union des sentiments ? Si nous ne pouvons pas penser de la même façon, ne pouvons-nous pas nous aimer de la même façon ? Si nous ne pouvoirs avoir les mêmes vues, ne pouvons-nous avoir le même amour ? Oui, sans doute, nous le pouvons, et en ceci tous les enfants de Dieu peuvent s'unir, quelles que soient les différences de détail qui les séparent. Ils peuvent, sans renoncer à leurs divers points de vue, s'exciter les uns les autres à la charité et aux bonnes œuvres.

                    Sous ce rapport, tout équivoque qu'était le caractère de Jéhu, l'exemple qu'il nous donne mérite bien d'être considéré et imité par tout chrétien sérieux. « Étant parti de là, il rencontra Jonadab, fils de Récab, qui venait au-devant de lui ; et il le salua, et lui dit : Ton cœur est-il aussi droit envers moi, que mon cœur l'est à ton égard ? Et Jonadab répondit : Il l'est. — S'il l'est, dit Jéhu, donne-moi la main (Version anglaise) »

                    Le texte a deux parties ; d'abord, une question proposée par Jéhu à Jonadab : « Ton cœur est-il aussi droit envers moi, que mon cœur l'est à ton égard ? » puis, sur la réponse de Jonadab : « Il l'est », l'offre de Jéhu : « S'il l'est, donne-moi la main ».

I

Considérons d'abord la question de Jéhu à Jonadab :

« Ton cœur est-il aussi droit envers moi que mon cœur l'est à ton égard ? »

                    La première chose à observer dans ces paroles, c'est que Jéhu ne s'enquiert pas des opinions de Jonadab. Et pourtant il en avait de très extraordinaires et qui lui étaient particulières, qui avaient la plus stricte influence sur sa pratique et auxquelles il attachait tant de prix qu'il les légua à ses enfants et aux enfants de ses enfants, jusqu'à la postérité la plus reculée ; c'est ce que nous voyons par le récit que fait Jérémie, longtemps après : « Je pris Jaazanja et ses frères, et tous ses fils, et toute la maison des Récabites, et je mis devant eux. des vases pleins de vin et des coupes, et je leur dis : Buvez du vin ; mais ils répondirent : Nous ne boirons point de vin ; car Jonadab, fils de Récab, notre père, nous a donné un commandement, disant : Vous ne boirez point de vin, ni vous, ni vos enfants, à jamais. Et vous ne bâtirez aucune maison, vous ne sèmerez aucune semence, vous ne planterez aucune vigne, et vous n'en aurez point ; mais vous habiterez sous des tentes, tous les jours de votre vie. Nous avons donc obéi à la voix de Jonadab, fils de Récab, notre père, dans toutes les choses qu'il nous a commandées (Jérémie 35 : 3-10)  ».

                      Et pourtant Jéhu, quoique accoutumé à « marcher avec furie (2Rois 9 : 20) » , en religion sans doute comme pour tout le reste, ne s'inquiète nullement de tout cela. Il laissa Jonadab abonder dans son propre sens. El, il ne paraît pas qu'aucun des deux ait, le moins du monde, tracassé l'autre pour ses opinions.

               Aujourd'hui encore, il est fort possible que beaucoup d'hommes de bien entretiennent des opinions particulières et qu'il y en ait qui se singularisent, en cela, autant que Jonadab. Il est bien certain que, tant que nous ne connaîtrons « qu'en partie » , tous les hommes n'auront pas en tout les mêmes vues. La faiblesse et le peu d'étendue de notre intelligence, dans son état présent, amène comme conséquence inévitable que, là où sont plusieurs hommes, il existe aussi plusieurs opinions sur les choses religieuses, comme sur celles de la vie commune. Il en est ainsi depuis le commencement du monde, et il en sera ainsi jusqu'au « rétablissement de toutes choses ».

                    Il y a plus : quoique tout homme croie nécessairement que chacune de ses opinions est vraie, néanmoins nul ne peut être assuré que tout l'ensemble de ses opinions soit vrai. Tout homme qui pense est bien plutôt assuré du contraire, puisque notre lot, il le sait, est « d'errer et d'ignorer ( « Errare et nescire humanun est ». )  ». Il sent bien qu'il ne saurait faire exception à la règle. Il sait donc, d'une manière générale, qu'il a des erreurs, quoiqu'il ne sache, ni ne puisse peut-être savoir, sur quoi elles portent.

                   Je dis que peut-être il ne peut le savoir ; car qui dira jusqu'où peut aller l'ignorance invincible ou, ce qui revient au même, le préjugé insurmontable, qui souvent s'implante si avant dans l'esprit dés le jeune âge, que plus tard il est impossible d'arracher ce qui a jeté de si profondes racines ? Qui dira, à moins d'en connaître l'origine et les circonstances, jusqu'à quel point une erreur est coupable ? Puisque la culpabilité suppose nécessairement un concours de la volonté, dont celui qui sonde les cœurs est seul juge.

                    Tout homme sage accordera donc aux autres la même liberté de pensée qu'il désire pour lui-même, sans plus insister pour qu'ils embrassent ses opinions qu'il ne voudrait qu'ils insistassent pour qu'il embrassât les leurs. Il supporte ceux qui différent de lui, et à celui à qui il désire s'associer dans l'amour, il ne fait que cette seule question : « Ton cœur est-il aussi droit envers moi que mon cœur l'est à ton égard ? »

                    La seconde chose à observer, c'est que Jéhu ne s'enquiert pas des formes du culte préféré par Jonadab, quoiqu'ils différassent sans doute beaucoup l'un de l'autre, aussi sous ce rapport. Car nous avons tout lieu de croire que Jonadab, comme tous ses descendants, servait Dieu à Jérusalem, ce que ne faisait point Jéhu, qui avait plus à cœur la politique que la religion. Bien qu'ayant fait mourir les adorateurs de Baal et extirpé Baal du milieu d'Israël, il ne se détourna point du péché de Jéroboam qui, par intérêt politique, avait érigé le culte des veaux d'or (2 Rois 10 : 29). Mais, même parmi les hommes droits de cœur, parmi ceux qui désirent avoir « une conscience sans reproche », il y aura diverses formes de culte, tant qu'il y aura des diversités d'opinion ; car la diversité d'opinion implique nécessairement des pratiques diverses. Et comme, dans tous les temps, c'est surtout quant aux idées qu'ils se sont faites de l'Être suprême, que les hommes ont le plus différé les uns des autres, aussi ne se sont-ils séparés en rien plus que dans la manière de l'adorer. S'il n'en avait été ainsi que dans le monde païen, il n'y aurait pas lieu de s'en étonner ; car puisqu'ils n'avaient pas trouvé la connaissance de Dieu par leur sagesse, ils ne pouvaient non plus savoir comment lui rendre un culte. Mais n'est-il pas surprenant que, parmi les chrétiens eux-mêmes, bien qu'ils reconnaissent tous que « Dieu est esprit, et qu'il faut que ceux qui l'adorent, l'adorent en esprit et en vérité (Jean 4 : 24) », les formes d'adoration soient pourtant presque aussi diverses que parmi les païens ?

                   Et comment choisir parmi tant de variétés ? Nul ne peut choisir pour son frère, ni rien prescrire à son frère. Mais chacun doit, en simplicité et dans une pieuse sincérité, suivre ce que lui dicte sa propre conscience. Que chacun soit persuadé dans son esprit, et qu'ensuite il agisse suivant ses lumières. Il n'est pas davantage au pouvoir d'une créature d'en contraindre une autre à suivre la règle qu'elle s'est faite pour elle-même. Dieu n'a donné à aucun fils d'homme le droit de dominer ainsi sur la conscience d'autrui ; mais de même que chacun est responsable envers Dieu pour lui-même, chacun doit aussi décider pour lui-même.

                    Ainsi, bien que tout disciple de Christ soit obligé, par la nature même des institutions chrétiennes, d'être membre de telle ou telle congrégation ou Église particulière — ce qui implique une forme particulière de culte, car pour que « deux marchent ensemble, il faut qu'ils s'accordent (Amos 3 : 3) » , néanmoins — il n'y a sur la terre d'autre pouvoir que sa conscience qui puisse l'obliger à préférer telle ou telle congrégation, telle ou telle forme de culte. Je sais qu'en général on suppose que le lieu de notre naissance fixe l'Église à laquelle nous devons appartenir, que l'individu né en Angleterre, par exemple, doit être membre de ce qu'on appelle l'Église d'Angleterre, et par conséquent servir Dieu suivant les prescriptions particulières de cette Église. Autrefois je défendais moi-même avec ardeur cette opinion ; mais, pour diverses raisons, j'ai dû rabattre de mon zèle à cet égard. Cette opinion en effet prête à de sérieuses objections qui doivent faire réfléchir tout homme raisonnable : celle-ci, entre autres, qui n'est pas l'une des moindres, que la Réformation n'eût pas été possible, si l'on s'en fût tenu à cette règle. La Réformation, en effet, a eu pour premier principe le droit de libre examen pour tous.

                    Je ne présume donc point d'imposer ma forme de culte à qui que ce soit. Je la crois vraiment primitive et apostolique ; mais ma conviction ne fait pas règle pour les autres. Je ne demande donc pas à celui à qui je veux m'unir dans l'amour : Êtes-vous de mon Église ou de ma congrégation ? Admettez- vous le même gouvernement ecclésiastique, les mêmes ministères ? Suivez-vous la même liturgie ? Je ne demande pas : Recevez-vous la Cène du Seigneur, dans la même posture et avec les mêmes rites que moi ? quant au baptême, vous accordez-vous avec moi quant aux garanties à établir pour ceux qu'on baptise, quant à la manière de l'administrer, quant à l'âge de ceux à qui on l'administre ? Je ne demande pas même (quelque assuré que je sois moi-même à cet égard) si vous êtes partisan ou non du baptême et de la sainte Cène. Laissons tout cela pour le moment ; nous en parlerons, s'il le faut, dans un temps plus favorable ; je ne vous adresse, à cette heure, que cette seule question : « Ton cœur est-il aussi droit envers moi que mon cœur l'est à ton égard ? »

                      Mais quel est proprement le sens de cette question ? Je ne veux pas dire : comment l'entendait Jéhu ? Mais dans quel sens devrait l'entendre un disciple de Christ, s'il l'adressait à l'un de ses frères ?

                    Cela voudrait dire, d'abord : Ton cœur est-il droit à l'égard de Dieu ? Crois-tu en son existence, en ses perfections : son éternité, son immensité, sa sagesse, sa puissance, sa justice, sa miséricorde ; sa vérité ? Crois-tu qu'il soutient maintenant toutes choses par sa parole puissante ? et qu'il les gouverne toutes, et même les plus insignifiantes ou les plus nuisibles, de manière à les faire servir à sa gloire et au bien de ceux qui l'aiment ? As-tu une certitude divine, une conviction surnaturelle des choses de Dieu ? Marches-tu par la foi et non par la vue, regardant, non aux temporelles, mais aux choses éternelles ?

                  Crois-tu au Seigneur Jésus-Christ, « Dieu au-dessus de toutes choses béni éternellement ? » S'est-il révélé à ton âme ? Connais-tu Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié ? Demeures-tu en lui et lui en toi ? Christ est-il formé en ton cœur par la foi ? Répudiant, entièrement tes propres œuvres, ta propre justice, t'es-tu « soumis à la justice de Dieu » qui est par la foi en Jésus-Christ ? Es-tu « trouvé en lui, ayant non ta propre justice, mais la justice qui est par la foi ? » Et, par lui, « combats-tu le bon combat de la foi, saisissant, la vie éternelle ? »

                         Ta foi est-elle « agissante par la charité » (Galates 5 : 6) ? Aimes-tu Dieu, (je ne dis pas « par-dessus tout » , expression qui a le double défaut de ne pas être dans la Bible et d'être ambiguë), mais de tout ton cœur, de toute ta pensée, de toute ton âme et de toute ta force ? » Cherches-tu en lui seul tout ton bonheur et l'y trouves-tu ? Ton âme « magnifie-t-elle le Seigneur, et, ton esprit se réjouit-il en Dieu ton Sauveur ? » Ayant appris à « rendre grâces en toutes choses », sens-tu que la reconnaissance est une chose bonne et agréable ? Dieu est-il le centre d'attraction de ton âme, le résumé de tous tes désirs ? Et mets tu ton trésor dans les cieux, ne regardant tout le reste que comme du fumier et des balayures ? L'amour de Dieu a-t-il chassé de ton âme l'amour du monde ? Tu es alors crucifié au monde, tu es mort aux choses d'ici-bas ; et ta vie est cachée avec Christ en Dieu ».

                    T'appliques-tu à faire « non ta volonté, mais la volonté de celui qui ta envoyé ? » de celui qui t'envoya ici bas pour un court séjour, pour passer quelques moments dans une terre étrangère, jusqu'à ce qu'ayant fini l'œuvre qu'il t'a donnée à faire, tu retournes chez ton Père céleste ? Ta nourriture est-elle de faire la volonté de ton Père qui est dans les cieux ? Ton œil est-il simple en toutes choses, toujours fixé sur lui ? toujours regardant à Jésus ? Est-ce à lui que tu vises dans tout ce que tu fais ? dans tes travaux, tes affaires, ta conversation ? ne cherchant, en toutes choses, que la gloire de Dieu, et quoi que tu fasses, « soit par paroles, soit par œuvres, faisant tout au nom du Seigneur Jésus, rendant grâces par Lui à notre Dieu et Père ».

                    L'amour de Dieu te presse-t-il de le servir avec crainte ? de te « réjouir » en lui « avec tremblement ? » , crains-tu plus de lui déplaire que tu ne crains la mort ou l'enfer ? Ne vois-tu rien de si affreux que d'offenser son regard glorieux ? Et as-tu « en haine toute voie mauvaise », toute transgression de sa loi sainte et parfaite, t'exerçant à avoir « une conscience sans reproche, pure devant Dieu et devant les hommes ? »

                    Ton cœur est-il droit à l'égard de ton prochain ? Aimes-tu, sans exception, tous les hommes comme toi-même ? « Si vous n'aimez que ceux qui vous aiment, quel gré vous en saura-t-on ? » Aimez-vous vos ennemis ? Votre âme est-elle pour eux pleine de bonne volonté et d'une affection cordiale ? Aimez-vous les ennemis de Dieu, les méchants et les ingrats ? Vos entrailles sont-elles émues pour eux ? Voudriez vous être, dans le sens temporel, « anathème » pour eux ? Et le prouvez-vous en « bénissant ceux qui vous maudissent et en priant pour ceux qui vous outragent et qui vous persécutent ? »

                    Montrez-vous votre amour par vos œuvres, ? Selon le temps et l'occasion, faites-vous réellement du bien à tous les hommes connus et inconnus, amis ou ennemis, bons ou méchant ? Leur faites-vous tout le bien que vous pouvez, vous efforçant, autant qu'il est en vous, de fournir à tous leurs besoins pour le corps et pour l'âme ? Si tel est ton état d'âme, peut dire le chrétien, ah si seulement tu désires sincèrement que ce soit ton état d'âme, et si tu fais tes efforts pour y parvenir, alors ton cœur est aussi droit envers moi que le mien l'est à ton égard ! »

II

                    « S'il en est ainsi, donne-moi la main ». Je ne dis pas : « Sois de mon opinion ». Ce n'est point, nécessaire ; je ne le demande ni ne l'attends. Je ne dis pas davantage que je veuille être de votre opinion. Je ne le puis, ce n'est pas à mon choix ; je ne suis pas plus libre de penser que de voir ou d'entendre à ma volonté. Gardons chacun notre opinion et cela aussi décidément que jamais. Ne vous efforcez même ni de venir à moi ni de m'amener à vous. Je ne vous demande ni de disputer sur ces points, ni même d'en parler. Que les opinions restent, de part et d'autre, ce qu'elles sont. Seulement « donne-moi la main ».

                   Je ne dis pas : « Embrasse mon culte », ni « J'embrasserai le tien ». C'est encore une chose qui ne dépend ni de votre choix ni du mien. Chacun de nous doit agir comme il est pleinement persuadé dans son esprit. Estimez que ce que vous croyez est le plus agréable à Dieu ; je ferai de même. Je tiens la forme épiscopale pour scripturaire et apostolique. Si vous pensez que la presbytérienne ou l'indépendante vaut mieux, gardez votre pensée et agissez en conséquence. Je crois qu'il faut baptiser les enfants, et que ce baptême peut se faire soit par immersion soit par aspersion. Si vous pensez autrement, gardez votre pensée et suivez votre persuasion. Les prières liturgiques me paraissent d'un excellent usage, surtout dans « la grande assemblée ». Si vous croyez les prières improvisées plus utiles, agissez selon votre propre jugement. Mon sentiment est que je ne puis refuser l'eau du baptême et que je dois manger le pain et boire le vin, en mémoire de mon Maître mourant ; mais cependant, si ma conviction n'est pas la vôtre, agissez suivant vos lumières. Je ne veux disputer avec vous sur aucun de ces points ; laissons ces choses secondaires et qu'il n'en soit jamais question. « Si ton cœur est comme mon cœur » , si tu aimes Dieu et tous les hommes, je ne demande rien de plus : « donne-moi la main ».

                    « Donne-moi la main » , c'est-à-dire, d'abord aime-moi, mais non pas seulement comme tu aimes tous les hommes ; comme tu aimes tes ennemis, ou les ennemis de Dieu, ceux qui te haïssent, qui t'outragent et qui te persécutent, comme tu aimes celui qui t'est étranger et que tu ne connais ni en bien ni en mal ; non, cela ne me suffit point ; « si ton cœur est aussi droit envers moi que mon cœur l'est à ton égard », aime-moi d'une affection tendre et cordiale, comme un ami plus attaché qu'un frère, comme un frère en Christ, comme un concitoyen de la nouvelle Jérusalem ; comme un compagnon d'armes, engagé dans la même guerre et sous le même capitaine de notre salut. Aime-moi comme compagnon dans le royaume et la patience de Jésus, et comme cohéritier de sa gloire.

                    Aime-moi (mais à un plus haut degré que tu ne le fais pour le commun des hommes) de cette charité qui est patiente et pleine de bonté, qui, si je suis ignorant ou si je m'égare, m'aide à porter mon fardeau, bien loin de l'aggraver ; de cette charité qui ne sera point envieuse, si jamais il plait à Dieu de bénir mes travaux plus que les tiens ; qui ne s'aigrit point, si j'ai des folies ou des infirmités, ou même s'il te semble quelquefois que je n'agis pas selon la volonté de Dieu. Aime-moi de cette charité qui ne soupçonne point le mal, pour n'avoir jamais à mon égard de mauvais soupçons ; de cette charité qui excuse tout, pour ne jamais révéler mes fautes ou mes infirmités ; qui croit tout, pour prendre toujours en bien mes paroles et mes actions ; qui espère tout, pour espérer, si l'on me reproche quoi que ce soit de mal, que je n'ai rien fait de semblable, ou que les circonstances étaient autres qu'on ne les rapporte, ou que c'était dans une intention pure, ou, enfin, sous le coup soudain de la tentation ; pour espérer toujours, que tout ce qui est défectueux sera redressé par la grâce de Dieu, et qu'il suppléera à tout ce qui manque par les richesses de sa grâce en Jésus-Christ.

                   « Donne-moi la main », c'est-à-dire, en second lieu, recommande-moi à Dieu dans toutes tes prières ; lutte avec lui en ma faveur, afin qu'il veuille promptement redresser ce qui est mal et suppléer à ce qui me manque. Quand ton accès au trône de la grâce est le plus intime, demande à celui qui est alors tout près de toi que mon cœur devienne plus semblable à ton cœur, plus droit envers Dieu et envers les hommes ; que j'aie une conviction plus entière des choses qu'on ne voit point, et une vue plus distincte de l'amour de Dieu en Jésus-Christ ; que je sois plus ferme à marcher par la foi, et, non par la vue, et plus ardent à saisir la vie éternelle ; demande que l'amour de Dieu et des hommes soit répandu plus abondamment dans mon cœur, que je sois plus fervent et plus actif à faire la volonté de mon Père céleste, plus zélé pour les bonnes œuvres et plus attentif à m'abstenir de toute apparence de mal.

                    « Donne-moi la main », c'est-à-dire, en troisième lieu, encourage moi à la charité et aux bonnes œuvres. Après avoir prié pour moi, dis-moi, avec amour, selon l'occasion, tout ce que tu crois salutaire à mon âme. Aiguillonne-moi à faire l'œuvre que Dieu m'a donnée à faire, et enseigne-moi à la mieux faire. « Frappe-moi » et me reprends, lorsqu'en quoi que ce soit je te parais faire ma volonté, plutôt que celle de celui qui m'a envoyé. Oh ! ne crains pas de me dire tout ce qui, dans ton opinion, peut servir soit à corriger mes fautes, soit à fortifier ma faiblesse, soit à m'édifier dans l'amour, ou à me rendre plus propre, en quoi que ce soit, au service de mon Maître.

                    « Donne-moi la main », c'est-à-dire, enfin, aime-moi, non en paroles seulement, mais en effet et en vérité. Joins-toi à moi, autant que tu le peux en conscience (retenant tes vues particulières et ton culte), et donnons-nous la main pour l'œuvre de Dieu. Tu peux aller jusque-là. Parle honorablement, en tous lieux, de l'œuvre de Dieu, quel qu'en soit l'instrument ; parle avec amour de ses messagers. Et, lorsqu'ils sont dans les difficultés et dans les détresses, ne te contente pas de sympathiser avec eux, mais donne-leur, selon ton pouvoir, une assistance joyeuse et efficace, afin qu'ils puissent glorifier Dieu à ton sujet. Et ici, qu'on se rappelle deux choses : la première, que tout cet amour, toutes ces marques d'amour que je réclame de celui dont le cœur est droit comme mon cœur, je suis prêt, par la grâce de Dieu selon ma propre mesure, à les lui rendre ; la seconde, que je ne réclame point, cela pour moi seul, mais que je le demande en faveur de quiconque est, droit de cœur envers Dieu et envers les hommes, afin que nous nous aimions les uns les autres comme Christ nous a aimés.

III

                    Tirons maintenant une conséquence de ce que nous avons dit, et apprenons de là ce qu'est le véritable esprit catholique.

                    Peu d'expressions ont été plus sujettes à des malentendus grossiers ou à des applications fausses et dangereuses ; mais il sera facile, à quiconque pèsera avec calme les observations précédentes, de corriger tous ces malentendus et de prévenir toutes ces fausses applications.

                   Car nous pouvons déjà conclure de ce qui précède, que l'esprit catholique n'est pas un latitudinarisme spéculatif. Ce n'est point l'indifférence pour toutes les opinions ; une telle indifférence est vomie par l'enfer, bien loin d'être un fruit venu du ciel. Cette instabilité d'esprit, cette facilité d'être « emporté çà et là par le vent de toutes sortes de doctrines », n'est point un bien ; c'est une malédiction ; ce n'est point l'ami, c'est l'ennemi irréconciliable de l'esprit « catholique ». L'homme d'un esprit vraiment catholique n'a plus à chercher sa religion. Les grandes vérités du christianisme lui sont aussi claires que le soleil. Il est, sans doute, toujours prêt à entendre et à peser tout ce qu'on peut opposer à ses principes ; mais cela n'indique ni ne produit aucune vacillation dans son esprit. Il n'hésite pas entre deux opinions contraires ; il ne tente pas davantage le vain travail de les mettre d'accord. Pesez bien ceci, vous qui ne savez de quel esprit vous êtes ; qui ne vous réclamez de l'esprit « catholique » que parce que vous avez l'intelligence bourbeuse et l'esprit dans les brouillards ; parce que, manquant de vues consistantes et fixes, vous ne savez que brouiller ensemble toutes les opinions. Croyez-moi, vous avez fait fausse route. Vous ne savez où vous en êtes. Vous vous croyez parvenus à l'esprit même de Christ, tandis que vous vous êtes, en réalité, rapprochés de l'esprit de l'Antéchrist. Allez et apprenez d'abord les premiers éléments de l’Évangile ; et puis vous apprendrez à avoir véritablement l'esprit catholique.

                    Nous pouvons encore conclure de ce qui précède, que l'esprit catholique n'est pas davantage un latitudinarisme pratique. Ce n'est point l'indifférence pour le culte public, ni pour les formes. Cette indifférence aussi serait une malédiction. Bien loin de favoriser le culte en esprit et en vérité, elle y opposerait les plus grands obstacles. Mais l'homme à l'esprit vraiment catholique, ayant tout pesé dans la balance du sanctuaire, n'a ni doute, ni scrupule quant au culte auquel il se joint. Il ne doute pas qu'il ne soit rationnel et scripturaire. Il n'en connaît pas au monde de plus rationnel ni de plus scripturaire. Il s'y tient donc ; sans courir çà et là, et loue Dieu de pouvoir y prendre part.

                     Concluons, en troisième lieu, de ce qui précède, que l'esprit catholique n'est pas l'indifférence ecclésiastique ; autre sorte de latitudinarisme, qui n'est pas moins que l'autre absurde et anti scripturaire. Mais l'homme d'un esprit vraiment catholique en est bien éloigné. Autant il est fixé pour ses principes, autant il l'est, pour le choix d'une Église particulière. Il en a choisi une, à laquelle il est fixé pour ses principes autant qu'il l'est pour le choix d'une Église particulière. Il en a choisi une, à laquelle il est uni non seulement en esprit, mais par tous les liens extérieurs de la communion chrétienne. C'est là qu'il participe à toutes les institutions de Dieu ; c'est là qu'il reçoit la Cène du Sauveur ; c'est là que son âme s'unit aux prières publiques, et qu'il se répand avec ses frères en louanges et en actions de grâces ; c'est là qu'il entend avec joie la parole de la réconciliation, l'Évangile de la grâce de Dieu. Avec ses frères plus rapprochés et particulièrement aimés, il cherche Dieu par le jeûne, dans des occasions solennelles. Il veille sur eux, comme ils veillent sur lui, dans l'amour ; s'avertissant, s'exhortant, se reprenant et se consolant les uns les autres, pour s'édifier en toutes manières sur leur très sainte foi.

                    Il les regarde comme étant de sa maison et de sa famille, et, par conséquent, il prend un soin tout particulier, autant que Dieu l'en rend capable, pour qu'ils aient tout ce qui est nécessaire pour la vie et pour la piété.

                    Mais s'il est décidé dans ses principes religieux, dans ce qu'il croit être la vérité selon Jésus, s'il est, fermement attaché au culte qu'il regarde comme le plus agréable à Dieu, et uni à une Église par les plus tendres et les plus étroits liens, son cœur n'en est pas moins élargi pour tous les hommes, connus et inconnus, amis et ennemis ; il les embrasse tous dans une vive et cordiale affection. Tel est l'amour catholique ou universel. Celui qui aime ainsi a l'esprit catholique ; car l'amour seul donne droit à ce titre. L'esprit catholique, c'est l'amour catholique.

                    Si donc nous prenons cette expression dans son sens le plus précis, l'homme d'un esprit catholique est celui qui, de la manière indiquée, donne la main à tous ceux, dont le cœur est droit envers lui ; c'est celui qui sait bien apprécier tous les avantages qu'il doit à Dieu, soit quant à la connaissance des choses de Dieu, soit quant à la forme scripturaire du culte, soit enfin quant à son union avec une Église craignant Dieu et pratiquant la justice ; c'est celui qui, retenant avec le plus grand soin ces bénédictions, les gardant comme la prunelle de son œil, en même temps aime comme amis, comme frères du Seigneur, comme membres de Christ et comme enfants de Dieu, comme coparticipants du royaume, actuel de Dieu et cohéritiers de son royaume éternel tous ceux qui, de quelque opinion, culte ou congrégation qu'ils soient, croient au Seigneur Jésus-Christ ; tous ceux qui aiment Dieu et les hommes ; qui, mettant leur joie à plaire à Dieu et craignant de l'offenser, s'abstiennent avec soin du mal et sont zélés pour les bonnes œuvres, L'homme d'un esprit vraiment catholique les porte continuellement dans son cœur : ayant une tendresse inexprimable pour leurs personnes et désirant vivement leur bien, il ne cesse de les recommander à Dieu dans ses prières, ni de plaider leur cause devant les hommes. Il leur parle selon leur cœur, et travaille ainsi continuellement à fortifier leurs mains en Dieu. Il les aide, au spirituel et au temporel, autant qu'il le peut. Il est prêt à dépenser son argent et à se dépenser lui-même pour eux ; il est prêt, au besoin, à donner sa vie pour eux.

                    Toi donc, ô homme de Dieu, pense à ces choses ! Si tu marches déjà dans ce chemin, persévères-y. Si tu l'as manqué jusqu'ici, bénis Dieu qui t'y ramène. Et désormais poursuis la course qui t'est proposée, dans la voie royale de l'universel amour ! Prends garde de n'être ni flottant dans ton propre jugement, ni étroit dans ton cœur ; mais marche d'un pas égal, étant enraciné dans la doctrine une fois donnée aux saints, et fondé dans l'amour, dans l'amour vraiment catholique, jusqu'à ce que tu sois consommé dans l'amour aux siècles des siècles !