vendredi 3 juin 2016

(2) LE SERMON SUR LA MONTAGNE, DEUXIÈME DISCOURS WESLEY

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Sermon 22  (1748)       LE SERMON SUR LA MONTAGNE,    DEUXIÈME DISCOURS

Matthieu 5: 5-7  

5  Heureux les débonnaires, car ils hériteront la terre!
6  Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés!
7  Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde!
 
                     Lorsque « l'hiver est passé », lorsque « le temps des chansons est venu et que la voix de la tourterelle a déjà été ouïe dans la contrée  » ; lorsque Celui qui console les affligés est revenu, « afin qu'il demeure éternellement avec eux », lorsqu'à la splendeur de sa présence, les nuages se dispersent — les nuages ténébreux du doute et de l'incertitude — les tempêtes de la crainte se dissipent, les flots du chagrin s'apaisent, et l'esprit de ceux qui gémissaient se réjouit de nouveau en Dieu, leur Sauveur ; c'est alors surtout que cette parole est accomplie, et que ceux qu'il a consolés peuvent rendre témoignage à la vérité de cette déclaration :

« Heureux les débonnaires, car ils hériteront la terre ».

                    Mais qui sont « les débonnaires ? » Ce ne sont pas ceux qui ne s'affligent de rien, parce qu'ils ne connaissent rien, ou qui ne sont point émus par les maux qui surviennent, parce qu'ils ne discernent pas le mal du bien ; ce ne sont pas ceux qui sont abrités contre les chocs de la vie par une insensibilité stupide, et qui possèdent, soit naturellement, soit artificiellement, la vertu du bois et de la pierre, et ne s'émeuvent de rien parce qu'ils ne sentent rien. Les philosophes abrutis n'ont rien à faire ici. L'apathie est aussi éloignée de la débonnaireté que de l'humanité ; de sorte qu'il est difficile de concevoir que des chrétiens des siècles primitifs, surtout des Pères de l'Église, aient pu confondre ces deux qualités et prendre pour une branche du vrai christianisme, une des erreurs les plus impures du paganisme.

                     La débonnaireté chrétienne ne consiste pas non plus dans le manque de zèle pour Dieu, pas plus que dans l'ignorance ou l'insensibilité. Non, elle se garde de tout extrême, soit par excès, soit par défaut. Elle ne détruit pas, mais elle gouverne les affections que le Dieu de la nature n'a jamais eu l'intention d'arracher de nos cœurs par sa grâce, voulant seulement les placer sous l'empire de règles convenables. Elle maintient l'esprit dans une juste balance par rapport à la colère, au chagrin et à la crainte, tenant le juste milieu dans toutes les circonstances de la vie, sans pencher ni à droite, ni à gauche.

                    Il semblerait donc que la débonnaireté se rapporte proprement à nous-mêmes ; mais elle peut aussi se rapporter soit à Dieu, soit à notre prochain. Lorsque cette égalité d'âme a Dieu pour objet, on l'appelle ordinairement résignation, c'est-à-dire, acquiescement calme à la volonté de Dieu à notre égard, alors même que cette volonté peut n'être pas agréable à la nature ; soumission qui nous fait dire  en toute circonstance « C'est l'Éternel ; qu'il fasse ce qui lui semblera bon ». Lorsque nous la considérons plus particulièrement dans ses rapports avec nous-mêmes, nous lui donnons le nom de patience ou de contentement d'esprit. Lorsqu'elle s'exerce enfin envers nos semblables, c'est alors douceur vis-à-vis des gens de bien, et support miséricordieux vis-à-vis des méchants.

                    Ceux qui sont véritablement débonnaires peuvent discerner clairement ce qui est mal, et ils peuvent aussi le supporter. Ils sont sensibles à toute chose mauvaise, mais cependant la débonnaireté a le dessus. Ils sont remplis de zèle pour l'Éternel des armées, mais leur zèle est toujours guidé par la connaissance, et modéré, dans toutes leurs pensées, leurs paroles et leurs actions, par l'amour des hommes, aussi bien que par l'amour de Dieu. Ils ne cherchent point à éteindre aucune des passions que Dieu a placées dans leur nature, mais ils s'en rendent maîtres, ils les tiennent en sujétion et ne les emploient que pour le but voulu de Dieu. Et de cette manière on peut appliquer aux desseins les plus nobles même les passions les plus rudes et les plus désagréables : même la haine, la colère et la crainte, quand elles s'exercent contre le péché, et sont réglées par la foi et l'amour, peuvent servir de rempart et de défense à l'âme, en sorte que le malin ne puisse s'en approcher pour lui nuire.

                    Il est évident que cette disposition divine doit non seulement habiter, mais encore s'accroître en nous de jour en jour. Aussi longtemps que nous serons sur la terre, nous ne manquerons pas d'occasions pour l'exercer et pour la faire croître par cet exercice. « Car nous avons besoin de patience, afin qu'après avoir » fait et enduré « la volonté de Dieu, nous remportions l'effet de sa promesse ». Nous avons besoin de résignation pour pouvoir dire dans toutes les circonstances de la vie :

                    « Qu'il en soit non comme je le voudrais, mais comme tu le veux ». Nous avons besoin de douceur envers tous les hommes, mais surtout envers les méchants et les ingrats ; autrement nous serons surmontés par le mal, au lieu de surmonter le mal par le bien.

                    La débonnaireté ne s'étend pas seulement aux actes extérieurs, comme les Scribes et les Pharisiens l'enseignaient autrefois, et comme ne manqueront pas de faire en tout temps les misérables docteurs qui ne sont point enseignés de Dieu. Notre Seigneur nous met en garde contre cette erreur et nous montre jusqu'où s'étend la débonnaireté, lorsqu'il dit : « Vous avez entendu qu'il a été dit aux anciens : Tu ne tueras point ; et celui qui tuera sera punissable par les juges. Mais moi je vous dis que quiconque se met en colère contre son frère sans cause, sera puni par le jugement ; et celui qui dira à son frère Raca, sera puni par le conseil ; et celui qui lui dira fou, sera puni par la géhenne du feu (Matthieu 5 : 21-22)  ».

                     Notre Seigneur place ici à l'égal du meurtre, même cette colère qui ne va pas plus loin que le cœur, qui ne se montre pas au dehors par de mauvais traitements, ni même par la vivacité des paroles : « Quiconque se met en colère contre son frère », contre tout homme vivant, puisque nous sommes tous frères ; quiconque éprouve dans son cœur quelque rancune, quelque disposition contraire à l'amour ; quiconque se met en colère sans cause, sans motif suffisant, ou plus fortement que ce motif ne l'exige, « sera puni par le jugement », il sera, dès ce moment, exposé au juste jugement de Dieu.

                     Mais ne serait-on pas disposé, d'après quelques manuscrits, à omettre les mots sans cause ? Ne sont-ils pas tout-à-fait superflus ? Car si la colère contre une personne est contraire à la charité, comment peut-il y avoir une cause, une raison suffisante pour s'irriter, un motif pour justifier cette disposition aux yeux de Dieu ? Quant à la colère contre le péché, elle est permise ; dans ce sens, nous pouvons nous mettre en colère et ne point pécher. Dans ce sens, il nous est rapporté que notre Seigneur lui-même s'est mis en colère : « Il les regarda tous avec indignation, étant affligé de l'endurcissement de leur cœur ». Il était affligé sur les pécheurs et irrité contre le péché. Et c'est là, sans aucun doute, une disposition qui est juste devant Dieu.

                    « Et celui qui, dira à son frère, Raca » — quiconque se laissera aller à la colère, au point de laisser échapper quelque expression de mépris. Les commentateurs remarquent que Raca est un mot syriaque qui signifie proprement vide, vain, sot ; de sorte que c'est l'expression la plus inoffensive dont nous puissions nous servir envers quelqu'un contre qui nous sommes en colère. Et cependant tout homme qui se servira d'une telle expression sera, comme notre Seigneur l'affirme, « puni par le conseil », ou plutôt sera jugé par le conseil : il sera exposé à une sentence plus sévère de la part du Juge de toute la terre.

                    « Et celui qui lui dira fou  » ; — quiconque cèdera au Diable au point de se laisser aller, de propos délibéré, à des injures, à des outrages ou à des paroles offensantes, sera punissable par la géhenne du feu, sera, dès ce moment, exposé au plus terrible des châtiments. Il faut remarquer que notre Seigneur représente tous ces crimes comme sujets à une peine capitale. Le premier expose le coupable à être étranglé, punition ordinairement infligée à ceux qui étaient condamnés dans les cours inférieures ; le second l'expose à être lapidé, peine infligée généralement à ceux qui étaient condamnés par le grand conseil, à Jérusalem ; le troisième, à être brûlé vif, châtiment réservé aux criminels les plus grands, dans la "vallée des fils de Hinnom " ; d'où vient évidemment le mot géhenne.

                    Et comme les hommes sont naturellement portés à s'imaginer que Dieu excusera leur négligence à l'égard de quelques devoirs, en faveur de l'exactitude avec laquelle ils en remplissent d'autres, notre Seigneur prend soin tout aussitôt de couper court à cette imagination chimérique, quoique si commune. Il montre, qu'il est impossible à tout pécheur de transiger avec Dieu. Dieu n'acceptera point un devoir pour un autre et ne se contentera pas d'une demi-obéissance. Il nous fait savoir que l'accomplissement de notre devoir envers Dieu ne nous exemptera pas de notre devoir envers notre prochain ; que les œuvres de piété, comme on les appelle, bien loin de nous recommander à Dieu, si nous manquons de charité, seront au contraire une abomination à l'Éternel, à cause même de ce manque de charité.

                    « Si donc tu apportes ton offrande à l'autel, et que là tu te souviennes que ton frère a quelque chose contre toi », à cause de ta conduite désobligeante envers lui, des injures que tu lui as peut-être dites, en l'appelant Raca ou fou, ne pense pas que ton offrande puisse expier ta colère, ou être agréée par Dieu aussi longtemps que ta conscience est souillée d'un péché dont tu ne t'es pas encore repenti. « Laisse là ton offrande devant l'autel, et va-t'en premièrement te réconcilier avec ton frère » (fais, du moins, tout ce qui dépend de toi pour cela) ; « et, après cela, viens et offre ton offrande (Matthieu 5 : 23,24)  ».

                    Et qu'il n'y ait aucun retard dans une affaire qui intéresse ton âme de si près. « Accorde-toi au plus tôt avec ta partie adverse », maintenant, sur-le-champ. « pendant que tu es en chemin avec elle », s'il est possible, avant de la perdre de vue, « de peur que ta partie adverse ne te livre au juge », de peur qu'elle n'en appelle à Dieu, le Juge suprême, « et que le Juge ne te livre au sergent », à Satan, l'exécuteur de la colère de Dieu ; « et que tu ne sois mis en prison », en enfer, on tu seras réservé pour le jugement du grand jour. « Je te dis en vérité que tu ne sortiras pas de là jusqu'à ce que tu aies payé le dernier quadrain (Matthieu 5 : 25,26)  ». Mais il est impossible pour toi de jamais t'acquitter, puisque tu n'as rien pour payer. Si donc tu entres une fois dans cette prison, la fumée de ton tourment « montera aux siècles des siècles ».

                      Mais quant aux débonnaires, ils hériteront la terre. Telle est la folie de la sagesse mondaine ! Les sages de ce monde les avaient bien avertis mainte et mainte fois, — que s'ils supportaient sans vengeance de tels traitements, que s'ils se laissaient ainsi lâchement maltraiter sans résistance, il n'y aurait pas moyen pour eux de vivre sur cette terre, ils ne pourraient jamais se procurer les choses nécessaires à la vie, ni même conserver ce qu'ils avaient, qu'ils ne pourraient attendre ni paix, ni possession paisible, ni jouissance d'aucune chose. Ils auraient eu parfaitement raison s'il n'y avait point de Dieu dans le monde on s'il ne s'inquiétait en rien des enfants des hommes. Mais quand Dieu se lève pour exécuter ses jugements, pour délivrer tous les débonnaires de la terre », comme il se rit de toute cette sagesse païenne, comme il fait tourner la fureur de l'homme à sa gloire ! Il prend un soin particulier de fournir aux siens tout ce qui est nécessaire à la vie et à la piété ; en dépit de la force, de la fourberie ou de la malice des hommes, il leur assure ce qu'il a préparé pour eux, et toutes ces choses, il les leur donne abondamment pour en jouir ; que ce soit peu ou beaucoup, la jouissance leur en est douce. Comme ils possèdent leurs âmes par leur patience, de même aussi ils possèdent véritablement tout ce que Dieu leur a donné. Ils sont toujours contents, toujours satisfaits de ce qu'ils ont. Cette part, leur plaît parce qu'il a plu à Dieu de la leur assigner. En sorte que, pendant que leur cœur, leurs désirs, leur joie, sont dans le ciel, on peut dire d'eux avec vérité qu'ils héritent la terre.

                      Mais ces paroles semblent avoir encore une signification plus étendue, et indiquer, que les débonnaires auront une meilleure portion dans cette « nouvelle terre, où la justice habite », dans cet héritage, dont saint Jean nous a donné une description générale (et nous en connaîtrons les détails plus tard) dans le vingtième chapitre de l'Apocalypse : 

« Après cela, je vis descendre du ciel un ange, — et il saisit le dragon, l'ancien serpent, — et le lia pour mille ans. — Je vis aussi les âmes de ceux qui avaient été décapités pour le témoignage de Jésus et pour la Parole de Dieu, qui n'avaient point adoré la bête ni son image, et qui n'avaient point pris sa marque sur leurs fronts, ou à leurs mains, et qui devaient vivre et régner avec Christ, pendant ces mille ans. Mais le reste des morts ne ressuscitera point, jusqu'à ce que les mille ans soient accomplis. C'est là la première résurrection. Heureux et saint celui qui a part à la première résurrection. La seconde mort n'a point de pouvoir sur eux ; mais ils seront sacrificateurs de Dieu et de Christ, et ils règneront avec lui mille ans (Apocalypse 20 : 1-6)  ».

                    Jusqu'ici, notre Seigneur s'est principalement attaché à lever les obstacles qui s'opposent à la vraie religion. Tel est l'orgueil, le premier, le plus grand de tous ces obstacles qui est déraciné par la pauvreté d'esprit ; telles sont la légèreté et l'irréflexion qui empêchent la religion de prendre racine dans l'âme, jusqu'à ce qu'elles soient détruites par une sainte affliction à cause du péché ; tels sont encore la colère, l'impatience, le mécontentement, qui sont guéris par la débonnaireté chrétienne. Et dès que ces obstacles sont écartés, dès que ces maladies de l'âme, qui excitaient continuellement en elle de faux besoins et la remplissaient d'appétits dépravés, sont guéries, alors reparaissent les appétits naturels d'un esprit né pour le ciel ; il a faim et soif de la justice, et « bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés ».

                    La justice, comme nous l'avons déjà dit, est l'image de Dieu, l'esprit qui était en Jésus-Christ ; c'est l'union de toutes les dispositions saintes et célestes prenant leur source et se résumant dans l'amour de Dieu, comme notre Père et notre Rédempteur, et dans l'amour de tous les hommes par amour pour Dieu.

« Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice ». 

                 Pour comprendre toute la force de cette expression, remarquons premièrement, que la faim et la soif sont les plus énergiques de nos appétits corporels. De même cette faim de l'âme, cette soif de l'image de Dieu est le plus énergique de nos désirs spirituels ; dès qu'il est une fois réveillé dans le cœur, tout autre désir est absorbé par celui d'être renouvelé à l'image de Celui qui nous a créés. — Remarquons, en second lieu, que, dès le moment que nous commençons à  éprouver la faim et la soif, ces besoins ne cessent plus, mais deviennent de plus on plus pressants et importuns, jusqu'à ce que nous puissions manger et boire, ou que nous mourions. Et, de même, dès le moment que nous commençons à avoir faim et soif de l'esprit qui était en Christ, ces désirs spirituels ne cessent plus, mais nous font crier avec une importunité croissante après la nourriture qui peut les satisfaire, et il est impossible qu'ils s'apaisent avant d'être rassasiés tant qu'il y a en nous quelque reste de vie spirituelle. — Remarquons, en troisième lieu, que la faim et la soif ne peuvent se satisfaire avec rien autre que le manger et le boire. Donnez tout le monde à celui qui a faim ; donnez-lui les vêtements les plus somptueux, tout l'appareil de la grandeur, tous les trésors de la terre, entassez devant lui tout l'or et l'argent, rendez-lui tous les honneurs imaginables ; il n'y prendra pas garde, tout cela n'est rien pour lui en ce moment ; tout cela ne l'empêchera pas de dire : Ce n'est pas là ce qu'il me faut ; donnez-moi de la nourriture, ou je meurs !

                    Il en est exactement de même pour toute âme qui a véritablement faim et soif de la justice. Elle ne peut trouver de consolation nulle autre part ; elle ne peut se satisfaire d'aucune autre chose ; donnez-lui, en dehors de cela, tout ce que vous voudrez, richesses, honneurs, plaisirs, elle en fera peu de cas et vous dira encore : Ce n'est pas là ce qu'il me faut ; donnez-moi l'amour de Dieu ou je meurs !

                    Et il est aussi impossible de satisfaire une telle âme, une âme qui a soif de Dieu, du Dieu vivant, avec ce que le monde appelle religion, qu'avec ce qu'il appelle bonheur. La religion du monde. implique trois choses : 

1° ne pas faire de mal, s'abstenir de péchés extérieurs, de ceux au moins qui pourraient causer du scandale, tels que le brigandage, le vol, les jurements, l'ivrognerie .
2° faire du bien, soulager les pauvres, être charitable, comme on dit. 
3° User des moyens de grâce ; au moins aller à l'église et participer à la Cène.

                    Celui qui réunit ces trois caractères est appelé par le monde un homme religieux. Mais y a-t-il là de quoi satisfaire celui qui a soif de Dieu ? Non, ce n'est pas là de la nourriture pour son âme. Il lui faut une religion d'une plus noble espèce, une religion plus élevée et plus profonde que celle-là. Il lui est aussi impossible de se nourrir de ce misérable et vide formalisme, que de « remplir son cœur du vent d'Orient ». Il prend soin, il est vrai, de s'abstenir même de l'apparence du mal ; il est zélé pour les bonnes œuvres ; il profite de tous les moyens de grâce que Dieu a établis ; mais tout cela n'est pas ce qu'il désire si ardemment : ce n'est là que le dehors de cette religion dont il a une soif insatiable. Connaître Dieu en Jésus-Christ ; vivre de cette « vie » qui « est cachée avec Christ en Dieu  » ; être « uni au Seigneur dans un même esprit  » ; avoir communion avec le Père et avec Jésus-Christ, son Fils  » ; « marcher dans la lumière, comme il est lui-même dans la lumière  » ; « se purifier soi-même, comme Lui aussi est pur », voilà la religion, la justice dont il a faim, et il ne peut goûter aucun repos jusqu'à ce qu'il le trouve ainsi en Dieu lui-même.

                     « Heureux ceux qui ont » ainsi « faim et soif de la ; justice, car ils seront rassasiés ». Ils seront rassasiés des choses après lesquelles ils soupirent, savoir : de justice et de vraie sainteté. Dieu les rassasiera des bénédictions de sa bonté, de la félicité des élus. Il les nourrira du pain du ciel, de la manne de son amour. Il les abreuvera de sa propre félicité comme de cette eau de laquelle celui qui boit n'aura plus jamais soif, si ce n'est d'une mesure toujours plus abondante de cette eau vive. Cette soif durera toujours. « Toute soif douloureuse, tout désir angoissant, disparaîtront devant ta présence réjouissante ; mais, quoique rassasiée, mon âme demandera encore toute une éternité pour aimer Dieu ».

                    Qui que tu sois donc, à qui Dieu a donné d'avoir « faim et soif de la justice », crie à l'Éternel afin que tu ne perdes jamais ce don inestimable — afin que cet appétit céleste ne s'apaise jamais. Si l'on te reprend pour te faire taire, n'y fais aucune attention, mais crie encore plus fort : « Seigneur Jésus, aie pitié de moi ! » Que je ne vive que pour être saint comme tu es saint ! Ne dépense plus ton argent pour ce qui ne nourrit point, et ton travail pour ce qui ne rassasie point ». Espères-tu donc pouvoir trouver le bonheur en fouillant la terre, en le cherchant dans les choses de ce monde ? Oh ! foule aux pieds tous ses plaisirs, méprise ses honneurs, regarde ses richesses et même tout ce qui est sous le soleil comme des ordures et du fumier, « en comparaison de l'excellence de la connaissance de Jésus-Christ », en comparaison du renouvellement complet de ton âme à l'image de Dieu,dans laquelle elle fut primitivement créée. Garde-toi d'assoupir cet appétit spirituel avec ce que le monde appelle religion ; avec cette religion de forme, d'étalage extérieur qui laisse le cœur aussi terrestre et aussi sensuel qu'auparavant. Que rien ne puisse te satisfaire, si ce n'est la force de la piété, la religion qui est esprit et vie. Ne sois rassasié que lorsque tu demeureras en Dieu et Dieu en toi, que lorsque tu vivras dans le monde invisible, après être entré par le sang de l'aspersion jusqu'au « dedans du voile » et t'être « assis dans les lieux célestes en Jésus-Christ ».

                    Et plus on est rempli de la vie de Dieu, plus on s'intéresse tendrement à ceux qui sont encore sans Dieu dans le monde, qui sont encore morts dans leurs fautes et dans leurs péchés. Et cet intérêt pour autrui ne perdra pas sa récompense : 

« Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde ».

                    Le mot employé ici par notre Seigneur désigne surtout ceux dont le cœur est compatissant et sensible, et qui, bien loin de mépriser ceux qui n'ont pas faim et soif de Dieu, sont profondément affligés à leur sujet.

                Cette partie éminente de l'amour fraternel est ici, par une figure assez ordinaire, mise pour le tout ; de sorte que les miséricordieux, dans la signification complète du mot, sont ceux qui aiment leur prochain comme eux-mêmes.

                   A cause de la grande importance de cet amour, sans lequel, « quand même nous parlerions toutes les langues des hommes et même des anges ; quand même nous aurions le don de prophétie, la connaissance de tous les mystères et la science de toutes choses ; quand même nous aurions toute la foi,jusqu'à transporter les montagnes ; quand même nous distribuerions tous nos biens pour la nourriture des pauvres, et que même nous livrerions nos corps pour être brûlés, nous ne sommes rien », à cause, dis-je, de la grande importance de cet amour ; la sagesse de Dieu nous en a donné, par l'apôtre Paul, une description complète et détaillée. En l'examinant, nous verrons très clairement quels sont ces miséricordieux qui obtiendront miséricorde.

                   « La charité », ou l'amour (comme il serait à désirer qu'on eût traduit partout, parce que c'est un mot beaucoup plus clair et moins équivoque), l'amour dont nous devons aimer notre prochain comme Christ nous a aimés, « est patient » envers tous les hommes ; il supporte toutes les faiblesses, l'ignorance, les erreurs, les infirmités, toute la mauvaise humeur et le peu de foi des enfants de Dieu, toute la malice et la méchanceté des enfants du monde. Et il supporte tout cela, non seulement pour un peu de temps, mais jusqu'à la fin, donnant toujours à manger à son ennemi quand il a faim ; s'il a soif, lui donnant à boire, et lui amassant ainsi continuellement « des charbons de feu sur la tête ».

                    Et dans tout ce qu'elle fait pour atteindre un but si désirable, celui de surmonter le mal par le bien, la charité est « pleine de bonté ». Elle est tendre, douce, obligeante. Elle est aussi éloignée que possible de toute humeur chagrine, de toute rudesse et de toute aigreur, et elle remplit à la fois ceux qui souffrent de la douceur la plus aimable et de l'affection la plus vraie et la plus tendre.

                   Il en résulte nécessairement que « la charité n'est point envieuse ». Elle ne peut pas l'être, puisqu'elle est justement l'opposé de cette disposition funeste. Il est impossible à celui qui possède cette affection tendre pour tout le monde et qui souhaite sincèrement pour toute âme que Dieu a créée, toutes les bénédictions temporelles et spirituelles, toutes les bonnes choses de ce monde et du monde à venir, d'éprouver du chagrin de ce qu'il accorde des biens à l'un des enfants des hommes. S'il les a reçus, lui aussi, loin de s'affliger, il se réjouit de ce qu'un autre a part à la même grâce. Et si Dieu ne les lui a pas accordés, il le bénit cependant de ce que son frère au moins les possède, et de ce que ces biens augmentent son bonheur. Et plus son amour est grand, plus les bénédictions accordées à l'humanité lui procurent de plaisir, plus il est éloigné de toute sorte d'envie envers une créature quelconque.

                    La charité « n'est pas insolente », ou plutôt (comme le mot peut aussi se traduire), n'est pas téméraire ou précipitée dans ses jugements ; elle ne se hâtera pas de condamner quelqu'un. Elle ne prononce pas une sentence sévère d'après une vue superficielle ou rapide des choses : elle pèse d'abord toutes les preuves, surtout celles qui sont produites en faveur de l'accusé. Celui qui aime véritablement son prochain n'est pas comme la généralité des hommes qui, même dans les cas les plus difficiles, « voient un peu, conjecturent beaucoup, et alors arrivent d'un saut à la conclusion ». Non, il avance avec prudence et circonspection, prenant garde à chaque pas et se conformant volontiers à cette règle des anciens païens (si différente de celle de bien des chrétiens d'aujourd'hui) : « Je suis si éloigné de croire à la légère ce qu'un homme me dit contre un autre, que je crois à peine ce que quelqu'un me dit contre lui-même. Je lui donne toujours le temps de réfléchir et souvent de recevoir aussi des conseils ».

                     Il suit de là que la charité « ne s'enfle point  » ; elle ne pousse aucun homme « à avoir de lui-même une plus haute opinion qu'il ne doit », mais elle lui donne des sentiments modestes et abaisse même son âme jusque dans la poussière ; elle détruit toute présomption qui engendre l'orgueil, et nous donne de la joie de n'être rien, d'être petits et méprisables, les moindres de tous, les serviteurs de tous. Ceux qui s'aiment réciproquement, d'une affection tendre et fraternelle, se préviennent les uns les autres par honneur. Ceux qui sont unis par une même affection, « estiment les autres, par humilité, plus excellents qu'eux-mêmes ».

                    « Elle n'est point malhonnête », elle n'offense personne volontairement. Elle « rend à chacun ce qui lui est dû : à qui la crainte, la crainte ; à qui l'honneur, l'honneur  » ; à tous, a des degrés différents, la civilité, l'affabilité, l'humanité. Elle rend « l'honneur à tout le monde ». Un écrivain moderne définit ce qu'il y a de mieux en fait de bonnes manières, c'est-à-dire la politesse, en disant que c'est un désir continuel de plaire, qui paraît dans toute la conduite. S'il en est ainsi, personne n'est mieux élevé qu'un chrétien aimant toute l'humanité. Car il ne peut que désirer de complaire au prochain « pour le bien et pour l'édification  » ; et ce désir ne peut être caché, il se montre nécessairement dans tous ses rapports avec tous les hommes, car sa charité est sans hypocrisie ; elle se montre dans toutes ses actions et tous ses discours ; elle le force même, mais, sans hypocrisie, « à se faire tout à tous, afin d'en sauver au moins quelques-uns ».

                    Et en se faisant tout à tous, la charité « ne cherche pas son propre intérêt ». En s'efforçant de plaire à tous les hommes, celui qui aime l'humanité n'a nullement en  vue son avantage temporel à lui. Il ne désire « ni l'argent, ni l'or, ni les vêtements de personne  » ; il ne veut que le salut des âmes. On pourrait même dire que, dans un sens, il ne cherche pas non plus son avantage spirituel ; car, tandis que toutes ses facultés sont employées pour sauver les âmes de la mort, il s'oublie pour ainsi dire lui-même. Il ne pense pas à lui-même, tant ce zèle pour la gloire de Dieu le dévore. Et même, il semble parfois, par un excès d'amour, s'abandonner corps et âme et s'écrier avec Moïse : « Hélas ! je te prie, ce peuple a commis un grand péché ; mais maintenant pardonne-leur leur péché ou efface-moi maintenant de ton livre que tu as écrit (Exode 32 : 31,32) ; » ou avec saint Paul : « Je désirerais moi-même d'être anathème à cause de Christ, pour mes frères, qui sont mes parents selon la chair (Romains 9 : 3)  ».

                     Il n'est pas étonnant, qu'un tel amour ne s'aigrisse point. Les paroles de saint Paul sont absolues ; « la charité ne s'aigrit point », elle n'est désobligeante envers personne. Les occasions ne manqueront pas, il est vrai, où elle sera assiégée par des provocations extérieures de divers genres ; mais celui qu'elle anime ne cède pas à la provocation ; il triomphe de tout ; dans toutes les épreuves, il regarde à Jésus et est « plus que vainqueur » en son amour.

                    La charité « ne pense point à mal » et prévient ainsi mille provocations : L'homme miséricordieux ne peut sans doute éviter de connaître bien des choses qui sont mauvaises, il ne peut s'empêcher de les voir de ses yeux et de les entendre de ses oreilles ; car la charité ne lui ferme pas les yeux, de manière à ce qu'il lui soit impossible de voir de telles choses ; elle ne lui ôte pas son intelligence ou ses sens, de manière qu'il ne puisse pas connaître qu'elles sont mauvaises. Lorsqu'il voit, par exemple, un homme frapper son prochain, ou lorsqu'il l'entend blasphémer, il ne peut mettre en question le fait qu'il vient de voir ou les paroles qu'il vient d'entendre, et il ne peut douter de leur caractère mauvais. Cependant elle ne soupçonne point le mal, ce qui ne se rapporte pas à ce que nous voyons et entendons, ni aux actes involontaires de notre intelligence ; mais nous péchons contre ce précepte, quand nous pensons volontiers à mal sans y être forcés par l'évidence ; quand nous concluons qu'il y a du mal là où il n'en paraît point, quand nous raisonnons sur des choses que nous ne voyons pas, quand nous supposons ce que nous n'avons ni vu ni entendu. Voilà ce que la vraie charité détruit entièrement. Elle arrache, racines et branches, tout ce qui peut nous faire concevoir le mal que nous ne connaissons pas. Elle rejette toute jalousie, tous les mauvais soupçons, toute promptitude à croire le mal. Elle est franche, ouverte, sans défiance ; et de même qu'elle ne peut machiner le mal, elle ne peut non plus le craindre.

                   « Elle ne se réjouit pas de l'injustice », bien que ce soit une chose ordinaire que ceux qui portent le nom de Christ ne se fassent pas scrupule de se réjouir quand leur ennemi est affligé, ou tombe dans l'erreur ou le péché. A la vérité, il est difficile à des gens animés de l'esprit de parti de ne pas éprouver de la joie lorsqu'ils découvrent, dans le parti opposé, une faute, une tache réelle ou supposée, — soit dans leurs principes, soit dans leur conduite. Parmi les chauds défenseurs d'une cause quelconque, en est-il un seul qui soit exempt de ce péché ? qui soit assez calme pour rester innocent ? qui ne se réjouit lorsque son adversaire fait un faux pas, si sa propre cause peut en retirer quelque avantage ? Ce ne peut-être qu'un homme rempli d'amour. Lui seul s'afflige du péché ou de la folie de son ennemi, ne trouve aucun plaisir à en entendre parler ou à en parler lui-même, mais souhaite plutôt qu'on l'oublie pour toujours.

                      Mais il « se réjouit de la vérité » partout où il la trouve, de cette « vérité qui est selon la piété », et qui produit des fruits convenables : la sainteté du cœur et la sainteté de la conduite. Il se réjouit de voir que ceux mêmes qui lui sont opposés, soit dans les opinions, soit dans la pratique, aiment cependant Dieu et sont d'ailleurs irréprochables. C'est avec joie qu'il entend dire du bien d'eux et qu'il en dit lui-même, autant qu'il le peut sans s'écarter  de la justice et de la vérité. Et,  en général, il trouve, dans le bien répandu parmi la race humaine, que ce soit au loin ou au près, un sujet de,joie. Comme citoyen du monde, il réclame une part au bonheur de tous ses habitants. Parce qu'il est homme, il n'est pas indifférent au bien-être de l'homme, mais il jouit de ce qui peut glorifier Dieu, et répandre la paix et la bienveillance parmi les hommes.

                    Cet amour « excuse tout ». Le miséricordieux ne parle pas volontiers de l'iniquité parce qu'il n'y prend pas de plaisir. Il tient secret tout le mal qu'il voit, qu'il entend ou qu'il sait, autant qu'il le peut, sans « participer aux péchés d'autrui ». En quelque lieu qu'il se trouve, et avec qui que ce soit, s'il voit quelque chose qu'il désapprouve, il n'en parle pas, si ce n'est à la personne intéressée, pour s'efforcer de gagner son frère. Il est si éloigné de faire, des fautes ou des chutes d'autrui, un sujet de conversation, qu'il ne parle jamais des absents, à moins qu'il ne puisse en dire du bien. Les rapporteurs, les médisants, les délateurs, les calomniateurs, sont à ses yeux des meurtriers. Il aimerait tout autant couper la gorge à son prochain que de flétrir ainsi sa réputation. Il ne songera pas plus à incendier la maison de son voisin qu'à jeter ainsi « des tisons de feu, des flèches et des choses propres à tuer », et dire ensuite : « Ne me jouais-je pas (Proverbe 26 : 18,19) ? »

                     Il ne fait qu'une seule exception. Quelquefois il est convaincu que la gloire de Dieu, ou (ce qui revient au même) le bien de son prochain, demande que le mal ne soit point caché. Dans ce cas, pour être utile à l'innocent, il est forcé de nommer le coupable. Mais, même alors il ne parlera que lorsque l'amour, un amour supérieur l'y contraindra. Il ne le fera pas, à cause d'un dessein confus de faire généralement le bien ou d'avancer la gloire de Dieu ; il faudra qu'il y soit poussé par la vue claire d'un but particulier, d'un bien déterminé. Même alors il ne parlera point sans être entièrement persuadé que ce moyen est nécessaire pour le but qu'il se propose, que le but ne peut être atteint, du moins aussi complètement, d'aucune autre manière. Il le fait alors avec chagrin et répugnance, comme il se servirait d'un remède violent pour un cas désespéré, d'un  poison pour antidote à un autre poison. Par conséquent, il s'en sert aussi peu que possible, de peur qu'en parlant trop il ne viole la loi d'amour plus qu'il ne l'aurait fait en ne parlant pas du tout.

                    La charité « croit tout ». Elle a une aussi bonne opinion que possible de tout ; elle donne un sens favorable à tout. Elle est prête à croire tout ce qui peut être avantageux à la réputation de qui que ce soit. Elle est facilement convaincue de ce qu'elle désire vivement, de l'innocence et de l'intégrité d'un accusé, ou du moins de la sincérité de sa repentance s'il s'est égaré. Elle est heureuse d'excuser ce qui peut avoir été mal, de condamner le coupable aussi peu que possible, et d'avoir pour la faiblesse humaine autant d'indulgence qu'il est possible d'en avoir sans trahir la vérité de Dieu.

                    Et quand elle ne peut plus croire tout, alors la charité « espère tout ». A-t-on dit du mal de quelqu'un ? L'amour espère que le rapport est faux que l'action rapportée n'a pas eu lieu. — La chose est-elle certaine ? « Peut-être qu'elle n'a pas eu lieu de la manière qu'on la raconte, en sorte que l'on peut espérer qu'elle n'est pas aussi mauvaise qu'on l'a représentée ». — L'action est-elle évidemment mauvaise ? L'amour espère que l'intention ne l'est pas. — Est-il certain que le dessein aussi est mauvais ? « Il ne provient peut-être pas de la disposition habituelle du cœur, mais d'une impulsion soudaine des passions ou de quelque tentation violente qui aura entraîné la personne hors d'elle-même ». Et même lorsqu'elle ne peut plus douter que toutes les actions, les dispositions, les desseins sont également mauvais, la charité espère encore que Dieu déploiera la puissance de son bras en se soumettant le cœur rebelle, et qu'ainsi il y aura plus de joie dans le ciel sur la conversion de ce pécheur que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n'ont pas besoin de repentance.

                     Enfin, « la charité endure tout », ce qui complète le caractère de celui qui est véritablement miséricordieux. Il n'endure pas quelques peines seulement, ni beaucoup de souffrances, ni même presque toutes, mais absolument toutes. Quelles que soient l'injustice, la malice, la cruauté des hommes, il peut les supporter. Rien n'est intolérable pour lui ; il ne dit jamais d'une chose : elle est insupportable. Non, il peut non seulement « faire » mais souffrir tout par Christ qui le fortifie ; et tout ce qu'il souffre ne détruit pas sa charité, n'y fait aucune brèche ; elle est à l'épreuve de tout ; c'est une flamme qui brûle même au milieu de l'abîme de la mer. « Beaucoup d'eaux ne pourraient éteindre cet amour-là ; et les fleuves mêmes ne le pourraient pas noyer ». Il triomphe de tout « il ne périt jamais », ni dans le temps ni dans l'éternité.

                  Et assurément les « miséricordieux obtiendront miséricorde », non seulement par la bénédiction de Dieu sur toutes leurs voies en leur rendant, dans une mesure mille fois plus abondante, l'amour qu'ils portent à leurs frères, mais aussi par « le poids éternel d'une gloire souverainement excellente » dans le royaume qui leur a été « préparé dès la fondation du monde ».

                     Pour un peu de temps, vous pouvez vous écrier « Hélas que je suis misérable de séjourner en Mésec et de demeurer dans les tentes de Kédar (Psaume 120 : 5) ! Vous pouvez répandre votre âme en pleurs sur la perte de la vraie charité sur la terre ! Vous pouvez bien dire (mais non avec la signification primitive) « Voyez : comme ces chrétiens s'aiment  » ; voyez ces royaumes chrétiens qui se déchirent les entrailles les uns aux autres, qui portent la désolation les uns chez les autres par le feu et par l'épée ! Ces armées chrétiennes dont les soldats se lancent les uns les autres en enfer par milliers, par myriades ! Ces nations chrétiennes qui sont toutes en feu par des troubles intérieurs, parti se soulevant contre parti, faction contre faction !      

                    Ces villes chrétiennes dont les rues sont remplies de tromperie et de fraude, d'oppression et d'injustice, et même de vol et de meurtre ! Ces familles chrétiennes, déchirées par l'envie, la jalousie, la colère, par des querelles domestiques sans nombre et sans fin ! et, ce qui est le plus terrible, le plus triste de tout, ces Églises chrétiennes ! — Églises ( « ne l'annoncez point à Gath », — mais, hélas ! comment le cacher aux Juifs, aux Turcs, ou aux païens ?) qui portent le nom de Christ, le Prince de la paix, et qui se font continuellement la guerre ! qui convertissent les pécheurs en les brûlant tout vifs ! qui sont « ivres du sang des saints ! » Cette louange n'appartient-elle qu'à « Babylone la Grande, la mère des impudicités et des abominations de la terre ? » Non, certes ; des Églises réformées (appelées du moins ainsi) ont bien appris à marcher sur ses traces. Des Églises protestantes savent bien, elles aussi, persécuter, même jusqu'au sang, quand elles ont le pouvoir en main ; et en même temps comme elles se frappent réciproquement d'anathème ! comme elles se condamnent aux enfers les unes les autres ! Quelle colère, quelles disputes, quelle malice, quelle amertume se trouvent partout au milieu d'elles, même quand elles sont d'accord sur les points essentiels, et ne diffèrent que par des opinions secondaires dans la religion ! Qui est-ce qui ne poursuit que « les choses qui vont à la paix et à l'édification mutuelle ? » O Dieu ! jusqu'à quand ? Ta promesse pourrait-elle faillir ? « Ne crains point, petit troupeau, que cela puisse arriver ! » Espère contre tout sujet d'espérer, car c'est le bon plaisir de votre Père de renouveler encore la face de la terre. Tous ces maux finiront certainement, « et les habitants de la terre apprendront la justice ». « Une nation ne lèvera plus l'épée contre l'autre, et elles ne s'adonneront plus à faire la guerre ». « La montagne de la maison de l'Éternel sera affermie au sommet des montagnes », et « les royaumes du monde deviendront les royaumes de notre Dieu ». Alors « on ne nuira point et on ne fera aucun dommage à personne dans toute la montagne de sa sainteté  » ; mais on appellera les murailles de l'Église, salut ; et ses portes, louanges. Les chrétiens seront sans tache et sans souillure, s'aimant les uns les autres, comme aussi Christ nous a aimés. — Sois un des premiers fruits, si la moisson n'est pas encore prête. Aime ton prochain comme toi-même. Que le Seigneur Dieu remplisse ton cœur d'un tel amour pour les âmes, que tu sois prêt à toute heure de donner ta vie pour elles ! Que ton âme déborde continuellement de cet amour qui engloutit toute disposition contraire à la bonté et à la sainteté, jusqu'à ce qu'il t'appelle à entrer dans le pays où l'amour seul existe, pour y régner avec lui pendant l'éternité.



mercredi 1 juin 2016

(1) LE SERMON SUR LA MONTAGNE, PREMIER DISCOURS WESLEY Matthieu 5:1-4

Numérisation Yves PETRAKIAN Copie autorisée pour diffusion gratuite uniquement Obligation d'indiquer la source http://456-bible.123-bible.com

 Sermon 21 :  ( 1748  )      LE SERMON SUR LA MONTAGNE, PREMIER DISCOURS

Matthieu 5:1-4

1 Voyant la foule, Jésus monta sur la montagne; et, après qu’il se fut assis, ses disciples s’approchèrent de lui.
2  Puis, ayant ouvert la bouche, il les enseigna, et dit:
3   Heureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux!
4  Heureux les affligés, car ils seront consolés!

                    Notre Seigneur venait de « parcourir toute la Galilée » (Matthieu 4 : 23), en commençant « après que Jean eut été mis en prison (Matthieu 4 : 12) ; et non seulement il avait enseigné dans leurs synagogues et prêché l'évangile du règne de Dieu, mais il avait aussi « guéri toutes sortes de maladies et de langueurs parmi le peuple ». C'est pour cela qu'une « grande multitude le suivit de Galilée, de la Décapole, de Jérusalem, de Judée, et de delà le Jourdain ». (Matthieu 4 : 25.) « Et voyant le peuple » qu'aucune synagogue ne pouvait contenir, « il monta sur une montagne » où il y avait de la place pour tous ceux qui venaient à lui de tous côtés, « et, s'étant assis », selon la coutume des Juifs, « ses disciples s'approchèrent de lui, et ouvrant sa bouche, il les enseignait en disant : 

« Heureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux ».

                      Remarquons d'abord qui est celui qui parle ici, afin que nous prenions garde de quelle manière nous l'écoutons. C'est le Seigneur du ciel et de la terre, le Créateur de tout ce qui existe, qui, comme tel, a le droit de disposer de toutes ses créatures ; c'est le Seigneur notre Souverain, qui règne de toute éternité et qui dirige tout ; c'est le grand Législateur qui peut bien mettre ses lois en vigueur, puisqu'il « peut sauver et détruire (Jacques 4 : 12) », et même « punir d'une perdition éternelles par sa présence et par sa puissance glorieuses (2Thimothée 1 : 9)  ». C'est la sagesse éternelle du Père, qui sait de quoi nous sommes faits et qui a la plus parfaite intelligence de tout notre intérieur ; qui connaît quels sont nos rapports avec Dieu, avec notre prochain, avec les créatures de Dieu et qui, par conséquent, sait adapter les lois qu'il nous donne à toutes les circonstances dans lesquelles il nous a placés. C'est celui « qui est bon envers tous et dont les compassions sont par-dessus toutes ses œuvres (Psaume 145 : 9) ; » c'est ce Dieu d'amour qui s'est dépouillé de sa gloire éternelle pour venir du Père déclarer sa volonté aux enfants des hommes, et qui retourne vers le Père ; c'est celui qui est envoyé de Dieu pour « ouvrir les yeux des aveugles et éclairer ceux qui habitent dans les ténèbres (Esaïe 42 : 7)  ». C'est le grand Prophète du Seigneur, à l'égard duquel Dieu avait dit, longtemps auparavant : « Quiconque n'écoutera pas les paroles qu'il aura dites en mon nom, je lui en demanderai compte  » ; ou bien, comme l'exprime l'Apôtre : « Quiconque ; n'écoutera pas ce prophète sera exterminé du milieu de son peuple (Actes 3 : 23)  ».

                    Et qu'est-ce qu'il nous enseigne ? Le Fils de Dieu, venu du ciel, nous montre ici le chemin du ciel, de ce lieu qu'il nous a préparé ; de la gloire qu'il avait avant que le monde fût. Il nous enseigne le vrai chemin de la vie éternelle, le chemin royal qui conduit au royaume de Dieu, et le seul vrai chemin, car il n'y en a pas d'autres ; tous les autres sentiers mènent à la perdition. D'après le caractère de celui qui nous parle ici, nous sommes assurés qu'il nous a déclaré pleinement et parfaitement la volonté de Dieu. Il ne nous a rien dit de trop, il ne nous a annoncé que ce qu'il avait reçu du Père ; il n'a rien omis, il n'a pas évité de déclarer tout le conseil de Dieu ; bien moins encore aurait-il dit quelque chose de mauvais, quelque chose de contraire à la volonté de Celui qui l'avait envoyé. Toutes ses paroles sont bonnes et vraies, à tous égards, et elles subsisteront aux siècles des siècles.

                    Et il nous est facile d'observer que notre Seigneur, tout en expliquant et ratifiant ces paroles fidèles et véritables, prend soin de réfuter non seulement les erreurs des Scribes et des Pharisiens, c'est-à-dire les fausses explications par lesquelles les docteurs juifs de ce temps-là avaient corrompu la Parole de Dieu, mais encore toutes les erreurs pratiques, incompatibles avec le salut, qui devaient prendre naissance dans l’Église chrétienne ; il réfute, dis-je, toutes les explications par lesquelles les (soi-disant) docteurs chrétiens, de tout âge et de tout pays, pourraient corrompre la Parole de Dieu, et apprendre aux âmes qui ne seraient pas sur leurs gardes à chercher la mort dans l'erreur de leur voie.

                    Ceci nous conduit tout naturellement à demander qui sont ceux qu'il enseigne. Ce ne sont pas les Apôtres seulement ; s'il en eût été ainsi, il n'avait pas besoin de monter sur une montagne. Une chambre dans la maison de Matthieu, ou d'un autre de ses disciples, aurait pu contenir les douze. L'expression « ses disciples » , sans y mettre une emphase particulière, signifie donc ici tous ceux qui désiraient apprendre de lui. Mais pour mettre ceci hors de doute, et pour montrer que lorsqu'il est dit : « Il les enseignait », le mot les renferme tout le peuple qui monta avec lui sur la montagne, il ne faut qu'observer les derniers versets du septième chapitre : « Et quand Jésus eut achevé ces discours, le peuple fut étonné de sa doctrine, car il les enseignait », le peuple, « comme ayant autorité et non comme les Scribes ».

                    Ajoutons même que ce n'était pas seulement à ce peuple qui se trouvait avec lui sur la montagne qu'il enseignait le chemin du salut, mais à tous les enfants des hommes, à l'humanité entière, aux enfants encore à naître, à toutes les générations futures, jusqu'à la fin du monde, qui entendront les paroles de cette vie.

                    Tous les hommes admettent cela quant à certaines parties du discours de notre Seigneur. Il n'y a personne, par exemple, qui nie que ce qui est dit des pauvres en esprit ne se rapporte à toute l'humanité. Mais plusieurs personnes ont supposé que d'autres parties du sermon sur la montagne ne regardaient que les Apôtres, ou les chrétiens des temps apostoliques, ou les ministres de Christ, et  ne furent pas prononcées pour la généralité des hommes, et que, par conséquent, ceux-ci n'ont pas à s'en inquiéter.

                     Mais ne pouvons-nous pas leur demander avec raison qui leur a enseigné que certaines parties de ce discours ne regardaient que les Apôtres, ou les chrétiens des temps apostoliques, ou les ministres de Christ ? De simples assertions ne sont pas des preuves suffisantes pour établir un point de si grande importance. Notre Seigneur nous a-t-il donc lui-même appris que quelques parties de son discours ne regardent pas toute l'humanité ? S'il en eût été ainsi, il nous l'eût dit, sans doute ; il n'aurait pu omettre un avis aussi important. Mais l'a-t-il fait ? Où ? Dans le discours lui-même ? Non : on n'en voit aucune trace. L'a-t-il dit ailleurs, dans quelque autre de ses exhortations ? Nous n'apercevons, dans tout ce qu'il a dit, soit au peuple, soit à ses disciples, rien qui puisse seulement nous le donner à entendre. Les autres écrivains sacrés nous ont-ils laissé quelque instruction à ce sujet ? Nullement. Il n'y a rien de tel dans tous les oracles de Dieu. Quels sont donc ces hommes dont la sagesse surpasse tellement celle de Dieu ? ces hommes qui pensent au-delà de ce qui est écrit ?

                      Peut-être diront-ils que le sujet même exige une semblable restriction. Si cela est vrai, il faut que ce soit parce que, sans une telle restriction, le sermon de notre Seigneur serait ou absurde ou contradictoire à quelque autre partie des Livres Saints. Mais il n'en est pas ainsi. Il sera clair, pour tous ceux qui en examineront les divers détails, qu'il n'est nullement absurde d'appliquer à toute l'humanité ce que Jésus-Christ a dit dans cette occasion. Une application générale ne mettra pas non plus ce discours en contradiction avec d'autres parties des Saintes Écritures. Au contraire, on verra même ou que toutes les portions de ce discours doivent être appliquées aux hommes en général, ou bien qu'aucune de ses parties ne les concerne tous, puisqu'elles sont toutes liées et jointes entre elles comme les pierres d'une arche, dont vous ne pouvez en ôter une sans que le bâtiment croule

                   Nous pouvons enfin remarquer de quelle manière notre Seigneur enseigne ici. Et d'abord, il parle, surtout dans cette occasion, « comme jamais homme ne parla (Jean 7 : 46)  ». Non pas comme les saints hommes de Dieu, quoiqu'ils parlassent « étant poussés par le Saint-Esprit. (2 Pierre 1 : 20) » Non pas comme Pierre, Jacques, Jean ou Paul ; ils étaient, il est vrai, de sages architectes dans son Église, mais cependant lorsqu'il s'agit de la mesure de la sagesse céleste, le serviteur n'est pas comme son Seigneur. Il ne parle pas comme en d'autres temps ou en d'autres occasions. Il ne paraît pas que ç’ait jamais été son but dans aucun autre endroit, de proposer à la fois tout le plan de sa religion, de nous montrer l'ensemble du christianisme, de décrire en plein la nature de cette sainteté sans laquelle nul ne verra le Seigneur. Il en a bien décrit certaines parties en mille occasions différentes, mais il ne donna jamais une vue de l'étendue et de la spiritualité de la loi divine aussi générale qu'ici. Nous n'avons même rien de ce genre dans la Bible, si l'on en excepte la courte esquisse de sainteté donnée par Dieu à Moïse, dans les dix commandements, sur le Sinaï. Mais même ici, quelle différence entre ces deux révélations ! « Sous ce rapport, à cause de cette gloire surabondante, ce qui a été rendu glorieux n'a pas eu de gloire. (2Corinthiens 3 : 10 Version de Lausanne) »

                    Mais surtout avec quel amour étonnant le Fils de Dieu ne révèle-t-il pas ici à l'homme la volonté de son Père ? Il ne nous rapproche pas « de la montagne, qu'on pouvait toucher avec la main, ni du feu brûlant, ni de la nuée épaisse, ni de l'obscurité, ni de la tempête (Hébreux 12 : 18)  ». Il ne parle pas comme il le fit lorsqu'il « tonna des cieux  » ; que « le Souverain jeta sa voix avec de la grêle et des charbons de feu (Psaume 18 : 13)  ». Il nous parle maintenant d'une voix douce et subtile (1Rois 19 : 12) : « Heureux les pauvres en esprit ». Heureux ceux qui sont dans l'affliction, les débonnaires, ceux qui ont faim et soif de la justice, les miséricordieux, ceux qui ont le cœur pur, heureux dans leur fin et dans leur pèlerinage ; heureux dans cette vie, et dans la vie éternelle ! Comme s'il avait dit : « Qui est l'homme qui prenne plaisir à vivre et qui aime la longue vie pour jouir du bien (Psaume 34 : 12) ? » Voici, je vous offre ce qu'il vous tarde d'obtenir ! Voyez le chemin que vous avez si longtemps cherché en vain, cette voie agréable qui conduit à une paix pleine de tranquillité et de joie, à une félicité présente et éternelle ! »

                    En même, temps, avec quelle autorité il enseigne ! On pouvait bien dire : « Non pas comme les Scribes (Matthieu 7 : 29)  ». Ce n'est pas non plus comme Moïse, le serviteur de Dieu, ni comme Abraham, son ami, ni comme l'un des prophètes, ni comme l'un des fils des hommes. Il a quelque chose de surhumain, quelque chose de plus que ce qui peut appartenir à un être créé. On sent ici le Créateur de tout ce qui existe ! C'est Dieu qui se montre ! l’Être par excellence, YHWH, celui qui existe par lui-même, le Suprême, celui qui est Dieu, au-dessus de toutes choses, béni éternellement !

                   Ce discours divin, prononcé d'après une méthode si excellente, puisque chaque partie est expliquée par celle qui la suit, est ordinairement, et avec raison, divisé en trois sections principales. La première est contenue dans le cinquième chapitre, — la seconde, dans le sixième, — et la troisième, dans le septième. Dans la première, Jésus-Christ propose le sommaire de toute vraie religion, sous huit chefs qu'il explique dans le reste du cinquième chapitre, en prémunissant ses auditeurs contre les fausses explications de l'homme. La seconde section renferme des règles quant à cette intention pure qui doit nous diriger dans toutes nos actions extérieures, sans mélange de désirs mondains et de soucis, même à l'égard des choses les plus nécessaires de la vie. Dans la troisième, nous sommes mis en garde contre les principaux empêchements qui s'opposent à la piété. Le tout se termine par une application générale. Considérons successivement, à part, les trois parties de ce discours.

                    Notre Seigneur donne premièrement le sommaire de toute vraie religion, avons-nous dit, sous huit chefs qu'il explique, en prémunissant ses auditeurs contre les fausses explications des hommes, jusqu'à la fin du cinquième chapitre.

                  Quelques-uns ont pensé qu'il avait en vue de désigner les différents degrés de la course chrétienne, les pas que fait successivement un chrétien dans son voyage vers la Canaan céleste ; — d'autres, que les qualités énumérées ici appartiennent de tout temps à tous les chrétiens. Et pourquoi n'accepterions-nous pas l'une et l'autre explication ? Qu'y a-t-il d'incompatible entre elles ? il est incontestable que la pauvreté d'esprit, et tous les autres états d'âme ici mentionnés, se trouvent de tout temps, plus ou moins, chez tout vrai chrétien. Et il est également vrai que le vrai christianisme commence toujours par la pauvreté d'esprit, et avance dans l'ordre posé par notre Seigneur, jusqu'à ce que « l'homme de Dieu soit accompli (2Timothée 3 : 17)  ». Nous commençons par le moindre de ces dons de Dieu, mais de manière à ne pas le perdre lorsque Dieu nous appelle à monter plus haut. Mais nous tenons ferme ce que nous avons déjà obtenu, pendant que nous avançons vers ce qui est encore devant nous, savoir : les bénédictions les plus relevées de Dieu en Jésus-Christ.

                   Le fondement de tout, c'est la pauvreté d'esprit. C'est pourquoi notre Seigneur commence par là : « heureux, dit-il, les pauvres en esprit ; car le royaume des, cieux est à eux ».

                    Il est assez probable que notre Seigneur regarda autour de lui, et que, voyant qu'il n'y avait pas beaucoup de riches, mais plutôt les pauvres de ce monde, il en prit occasion pour passer des choses temporelles aux spirituelles. « Heureux, dit-il, les pauvres en esprit ». Il ne dit pas ceux qui sont pauvres, quant à leurs circonstances extérieures, — car il n'est pas impossible pour quelques-uns de ceux-ci d'être aussi éloignés du bonheur qu'un monarque sur son trône ; « mais les pauvres en esprit », ceux qui, quelles que soient leurs circonstances extérieures, ont cette disposition d'âme qui est le premier pas vers tout bonheur réel et durable dans ce monde, et dans celui qui est à venir.

                   Quelques-uns ont cru que par les pauvres en esprit, il faut entendre ceux qui aiment la pauvreté, qui sont exempts d'avarice, de l'amour de l'argent, qui craignent les richesses plutôt que de les désirer. Ils ont peut-être été amenés à penser ainsi on n'examinant que le sens littéral du passage, ou bien en réfléchissant à cette remarque importante de saint Paul, que « l'amour des richesses est la racine de tous les maux (1Timothée 6 : 10)  ».  Et c'est cette pensée qui pousse plusieurs personnes à se dépouiller entièrement, non seulement des richesses, mais encore de tous leurs biens terrestres. C'est aussi là ce qui a fait naître les vœux de pauvreté volontaire dans l’Église romaine ; celle-ci a cru qu'un degré si élevé de cette grâce fondamentale devait être un grand pas vers le « royaume, des cieux ».

                 Mais il ne paraît pas que ceux qui ont cette vue aient remarqué, premièrement, que l'expression de saint Paul, pour être vraie, doit être comprise avec quelques restrictions ; car l'amour des richesses n'est pas la seule racine de tous les maux. Il y a mille autres racines de mal dans ce monde, comme une triste expérience nous le montre chaque jour. La signification de ce passage ne peut être que : c'est la racine d'un très grand nombre de maux, d'un plus grand nombre, peut-être, qu'aucun autre vice. — Secondement, que le sens qu'ils donnent à cette expression, « les pauvres en esprit », n'est nullement d'accord avec le but de notre Seigneur, qui est de poser des fondements généraux de la vie divine, afin d'y élever tout l'édifice du christianisme, but qu'il n'atteint pas en nous prévenant contre tel ou tel vice seulement. Ainsi donc, lors même que ce serait là une partie du sens de ce passage, ce ne pourrait en être toute la signification. — Troisièmement, ce ne peut guère être le sens de ce verset, à moins d'accuser Jésus d'une répétition inutile ; car si la pauvreté d'esprit n'était que l'exemption d'avarice, de l'amour de l'argent, ou du désir de posséder des richesses, cette grâce reviendrait à ce dont il parle plus tard, et ferait partie de la pureté de cœur.

                  Qui sont donc « les pauvres en esprit ? » Ce sont, sans doute, les humbles ; ceux qui se connaissent eux-mêmes, qui sont convaincus de péché, ceux à qui Dieu a donné cette première repentance qui précède la foi en Christ.

                    Un homme dans ce cas ne peut plus dire : « Je suis riche, je me suis enrichi, et je n'ai besoin de rien », sachant qu'il « est malheureux, et misérable, et pauvre, et aveugle et nu (Apocalypse 3 : 17)  ». Il est convaincu qu'il est misérablement pauvre en esprit, et qu'aucun bien spirituel n'habite en lui. « Je sais, dit-il, que le bien n'habite point en moi (Romains 7 : 18) », mais au contraire tout ce qui est mauvais et abominable. Il a un sentiment profond de la lèpre dégoûtante du péché qu'il a apportée avec lui en naissant, qui couvre son âme entière et en corrompt l'énergie et les facultés. Il aperçoit de plus en plus les mauvaises passions qui naissent de cette mauvaise racine ; l'orgueil et la fierté d'esprit ; le penchant constant à avoir de lui-même une plus haute opinion qu'il ne devrait ; la présomption, la soif de l'estime ou de l'honneur qui vient des hommes ; la haine ou l'envie, la jalousie ou la vengeance, la colère, la malice ou l'amertume ; une inimitié innée contre Dieu et contre l'homme, qui se montre sous dix mille formes différentes ; l'amour du monde, l'obstination, les désirs insensés et nuisibles qui s'attachent fortement à son âme. Il sent combien il a donné lieu au scandale par sa langue, sinon par des propos impies, immodestes, faux ou désobligeants, du moins par des discours qui ne servent pas à l'édification, qui ne communiquent pas la grâce à ceux qui les entendent (Éphésiens 4 : 29) », et qui, par conséquent, sont corrompus aux yeux de Dieu, et contristent le Saint-Esprit. Il rappelle aussi sans cesse ses mauvaises actions dans sa mémoire : s'il les énumère, il y en a plus qu'il ne peut dire. Il lui serait tout aussi facile de compter les gouttes de pluie, le sable de la mer, ou les jours de l'éternité, que de faire le calcul de ses péchés.

                     Sa culpabilité est aussi maintenant devant ses yeux : il connaît la punition qu'il a méritée, ne fût-ce qu'à cause de son esprit charnel, de la corruption entière et totale de sa nature ; combien plus encore à cause de ses désirs dépravés et de ses mauvaises pensées, de ses paroles et de ses actions criminelles. Il ne doute pas un instant de la punition que mérite la moindre de ses fautes, savoir la condamnation aux enfers, — « ou leur ver ne meurt point, et ou le feu ne s'éteint point (Marc 9 : 46)  ». Et surtout le crime de ne pas avoir « cru au nom du Fils unique de Dieu (Jean 3 : 18) » pèse sur lui de tout son poids. Comment, dit-il, échapperai-je, moi qui néglige « un si grand salut ! » Celui qui ne croit point est déjà condamné », et « la colère de Dieu demeure sur lui (Jean 3 : 36)  ».

                   Mais que donnera-t-il en échange de son âme, qui est livrée à la juste vengeance de Dieu ? Avec quoi préviendra-t-il l'Éternel (Michée 6 : 6) ? » Comment lui paiera-t-il ce qu'il lui doit ? Lors même que depuis ce moment il obéirait parfaitement à tous les commandements de Dieu, ceci ne pourrait faire compensation pour un seul de ses péchés, pour un seul acte de désobéissance passée, puisqu'il doit à Dieu tout le service qu'il est en son pouvoir de lui rendre depuis le moment où il est né et à jamais. Quand même il pourrait payer sa dette dès ce moment, cela ne pourrait compenser ce qu'il aurait dû faire auparavant. Il se voit donc entièrement incapable d'expier ses péchés passés, entièrement incapable de faire quelque compensation à Dieu, de payer une rançon quelconque pour son âme.

                    Il sait même que si Dieu voulait lui pardonner tout le passé, sous la seule condition qu'il ne péchât plus, et que, pour l'avenir, il obéît entièrement et constamment à tous les commandements de Dieu ; il sait que cela ne lui servirait de rien puisqu'il ne pourrait remplir cette condition. Il sait et il sent qu'il n'est pas capable d'obéir même aux commandements de Dieu les plus faciles, tandis que son cœur est encore dans son état naturel de péché et de corruption, vu qu'un mauvais arbre ne peut porter de bons fruits. Et il ne peut purifier son mauvais cœur ; quant aux hommes, c'est impossible. Il ne sait donc pas comment s'y prendre, même pour commencer à marcher dans le sentier des commandements de Dieu ; comment avancer d'un seul pas dans ce chemin. Assiégé par le péché, la douleur et la crainte, et ne trouvant aucune voie de salut, il ne peut que s'écrier : « Seigneur, sauve-moi, ou je péris ».

                  La pauvreté d'esprit, en tant qu'elle marque le premier pas que nous faisons dans la course qui nous est proposée, est donc un juste sentiment de nos péchés intérieurs et extérieurs, de notre culpabilité et de notre faiblesse. C'est ce que quelques personnes ont appelé, d'un mot bien impropre, « la vertu de l'humilité », comme si c'était une grande vertu de reconnaître que nous méritons la condamnation éternelle. L'expression de notre Seigneur ne donne à l'auditeur que l'idée d'un grand besoin, du péché, d'une culpabilité, d'une misère sans remède.

                   Le grand Apôtre des Gentils, lorsqu'il s'efforce d'amener les pécheurs à Dieu, parle d'une manière semblable à celle-ci : « La colère de Dieu », dit-il, « se déclare du ciel contre toute l'impiété et l'injustice des hommes (Romains 1 : 18) ; accusation qu'il fait tomber d'abord sur les païens, prouvant par là qu'ils sont sous la colère de Dieu. Il montre ensuite que les Juifs, ne valant pas mieux qu'eux, étaient, par conséquent, sous la même condamnation ; et il dit tout cela non pour les exciter à rechercher « la noble vertu de l'humilité », mais « afin que tous aient la bouche fermée et que tout le monde soit reconnu coupable devant Dieu (Romains 3 : 19).

                   Il leur montre ensuite qu'ils étaient sans force, aussi bien que coupables, ce qui est évidemment le sens de ce qu'il ajoute : « C'est pourquoi personne ne sera justifié devant lui par les œuvres de la loi ». — Mais, dit-il encore, la,justice de Dieu a été manifestée ; la justice, dis-je, de Dieu, qui est par la foi en Jésus-Christ ».

                    « Nous concluons donc que l'homme est justifié par la foi, sans les œuvres de la loi  » ; expressions ayant toutes pour but « d'empêcher la fierté de l'homme de paraître (Job 33 : 17) », de l'humilier jusque dans la poussière, sans lui apprendre à regarder son humilité comme une vertu ; de faire naître dans son cœur cette conviction vive et profonde de sa corruption complète, de sa culpabilité et de sa grande faiblesse, qui rejette le pécheur dépouillé de tout, perdu et ruiné, sur son puissant libérateur Jésus-Christ, le Juste. 

                      On ne peut s'empêcher de remarquer ici, que le christianisme commence justement là où se termine la morale païenne, car la pauvreté d'esprit, la conviction de péché, le renoncement. à soi-même, l'absence de notre propre justice (qui est le premier point exigé par la religion de Jésus-Christ) ; toutes ces choses laissent le paganisme bien loin derrière elles. Elles ont toujours été cachées aux sages de ce monde ; tellement, que la langue latine, même avec les perfectionnements qu'elle a reçus sous Auguste, ne contient pas même un seul mot pour désigner l'humilité (le mot latin d'où nous dérivons notre expression, ayant une signification différente) ; et il n'en existait point dans le grec, cette langue si riche, jusqu'à ce que le grand Apôtre en eût formé un.

                     Oh ! puissions-nous sentir ce qu'ils ne pouvaient pas exprimer ! Pécheur ! réveille-toi ! Connais-toi toi-même ! Souviens-toi et sens que « tu as été formé dans l'iniquité », que « ta mère t'a conçu dans le péché (Psaume 51 : 7) », et que tu as entassé toi-même péché sur péché, dès que tu as pu discerner le bien du mal ! Abaisse-toi sous la main puissante de Dieu, en te reconnaissant justement condamné à la mort éternelle, et mets de côté, abandonne, déteste toute idée de pouvoir jamais t'aider toi-même. Que tout ton espoir soit d'être lavé dans le sang de Christ et d'être renouvelé par l'Esprit tout puissant de Celui « qui a porté nos péchés en son corps sur le bois (1Pierre 2 : 24) ! » Alors tu pourras témoigner de la vérité de cette parole : « Heureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux ».

                     En disant que le royaume des cieux est aux pauvres en esprit, notre Seigneur parle ici de ce royaume des cieux (ou de Dieu), qui est en nous ; savoir : « la justice, la paix et la joie par le Saint-Esprit (Romains 14 : 17)  ». Et qu'est-ce que la justice, si ce n'est la vie de Dieu dans l'âme, les dispositions que Jésus-Christ a eues, l'image de Dieu empreinte dans le cœur renouvelé d'après l'image de celui qui l'a créé ? » Qu'est-ce, si ce n'est l'amour que nous devons à Dieu, parce qu'il nous a aimés le premier, et l'amour que nous devons à toute l'humanité, par amour pour Dieu ?

                     Qu'est-ce que la paix, la paix de Dieu, si ce n'est ce calme serein de l'âme, ce doux repos dans le sang de Jésus, qui ne nous laisse pas le moindre doute d'avoir été acceptés de lui ; qui exclut toute crainte, hormis la crainte affectionnée et filiale d'offenser notre père qui est aux cieux ?

                    Ce royaume intérieur consiste aussi dans la joie par le Saint-Esprit ; car cet Esprit scelle sur nos cœurs « la Rédemption acquise par le sang de Jésus (Romains 3 : 23) », la justice de Christ, qui nous est imputée par la rémission des péchés commis auparavant ; « et il nous donne maintenant le gage de notre héritage (Éphésiens 1 : 14) », de la couronne que le Seigneur, le juste juge, donnera en ce jour-là. Et on peut bien l'appeler « le royaume des cieux », puisque c'est le ciel déjà ouvert sur la terre, la première source de ces plaisirs qui coulent à la droite de Dieu pour toujours.

                    « Le royaume des cieux est à eux ». Qui que tu sois, à qui Dieu a donné d'être pauvre en esprit, de te sentir perdu, tu as des droits à ce royaume, par la promesse gracieuse de Celui qui ne peut mentir. Il a été acheté pour toi par le sang de l'Agneau. Il est près de toi. Tu es à l'entrée du ciel ! Un pas de plus et tu entreras dans le royaume de justice, de paix et de joie ! N'es-tu que péché ? « Voici l'Agneau do Dieu qui ôte les péchés du monde (Jean 1 : 29) ! » — Qu'impureté ? Regarde à ton « avocat auprès du Père, savoir : Jésus-Christ, le Juste ». — Es-tu incapable d'expier la moindre de tes fautes ? — « C'est lui qui est la propitiation pour » tous tes « péchés ». Crois, maintenant, au Seigneur Jésus-Christ ; et tous tes péchés sont effacés ! — Es-tu entièrement souillé d'âme et de corps ? Voici « la source pour le péché et pour la souillure (Zacharie 13 : 1) ! » « Lève-toi, et sois lavé de tes péchés ! » Que l'incrédulité ne te suggère ni doute, ni défiance quant à la promesse de Dieu ! donne gloire à Dieu, aie le courage de croire, écrie-toi, maintenant, du fond du cœur :  

Oui, je me soumets, je me soumets enfin,
J'écoute ton sang qui plaide pour moi ; 
 Je me jette, avec tous mes péchés, 
 Aux pieds de mon Dieu, qui les a expiés. 

                    C'est alors que tu apprends de lui à être « humble de cœur (Matthieu 11 : 29)  ». Voilà ce qui constitue la vraie humilité, l'humilité naturelle et chrétienne, qui découle du sentiment de l'amour de Dieu réconcilié avec nous en Jésus-Christ. La pauvreté d'esprit, d'après cette signification du mot, commence là où se termine le sentiment de notre culpabilité et de la colère de Dieu ; c'est un sentiment continuel de notre dépendance entière de lui, pour chaque bonne pensée, parole ou action ; de notre incapacité complète à faire le moindre bien, à moins qu'Il ne nous « arrose de moment en moment (Esaïe 27 : 3) ; » c'est aussi de l'aversion pour la louange qui vient des hommes, sachant que toute louange est due à Dieu seul. A cela se joignent une honte pleine d'amour, et une humiliation profonde devant Dieu, même pour les péchés qu'il nous a sûrement pardonnés, et pour le péché qui reste encore dans notre cœur, quoique nous sachions qu'il ne nous est pas imputé pour notre perdition. Cependant, la conviction de ce péché devient chaque jour plus intime. Plus nous croissons en grâce, plus nous nous apercevons de la désespérante méchanceté de notre cœur. Plus nous avançons dans la connaissance et dans l'amour de Dieu, par notre Seigneur Jésus-Christ (quelque mystérieux que ceci puisse paraître à ceux qui ne connaissent pas le pouvoir de Dieu à salut), plus nous sentons notre éloignement naturel à l'égard de Dieu, l'inimitié qui existe contre lui dans notre esprit charnel, et la nécessité d'être entièrement renouvelés en justice et en vraie sainteté.

Examinons maintenant la deuxième béatitude.

                   Celui qui commence à connaître par expérience le royaume intérieur des cieux, n'a, il est vrai, presque aucune conception de la nécessité dont nous venons de parler. « Dans sa prospérité, il dit : Je ne serai jamais ébranlé ; ô Éternel ! tu as mis la force dans ma montagne (Psaume 30 : 7,8)  ». Il a tellement écrasé le péché sous ses pieds, qu'il peut à peine croire qu'il existe en lui. Il impose même le silence à la tentation, et elle se tait ; elle ne peut approcher de lui pour le moment. Il est porté sur les nues par les chariots de la joie et de l'amour ; il prend son essor « comme sur des ailes d'aigle (Esaïe 19 : 4)  ». Mais notre Seigneur savait bien que souvent cet état de triomphe ne dure pas : c'est pourquoi il ajoute aussitôt : « Heureux ceux qui sont dans l'affliction, car ils seront consolés ».

                    Nous ne pouvons nous imaginer que cette promesse appartienne à ceux qui pleurent pour quelque sujet terrestre ; à ceux qui sont dans l'affliction et dans la tristesse, à cause de quelque peine ou de quelque désappointement terrestre, tels que la perte de leur réputation ou de leurs amis, ou la diminution de leur  fortune ; non plus qu'à ceux qui s'affligent par crainte de quelque mal temporel ou qui désirent les choses terrestres qui « font languir le cœur (Proverbes 13 : 12)  ». Ne pensons pas que de telles gens « recevront quelque chose du Seigneur ». Ce n'est pas à lui qu'ils pensent  » ; ils se promènent parmi ce qui n'a que de l'apparence, et se tourmentent en vain (Psaume 39 : 7)  ». « C'est de ma part que tout ceci vous arrivera », dit le Seigneur ; « vous serez gisants dans les tourments (Esaïe 50 : 11 Ed. anglaise Des Bibles polyglottes)  ».

                   Notre Seigneur parle ici de ceux qui sont dans l'affliction pour une raison plus sainte ; de ceux qui soupirent après Dieu, après celui en qui ils se sont peut-être déjà « réjouis d'une joie ineffable (1Pierre 1 : 8) », lorsqu'il leur a donné de goûter la bonne parole qui nous annonce le pardon, « et les puissances du siècle à venir (Hébreux 11 : 5) », mais auxquels maintenant « il cache sa face ; et ils sont troublés (Ps 104 : 29)  ». Ils ne peuvent le voir à travers le nuage ténébreux. Ils croyaient (parce qu'ils le désiraient) que la tentation et le péché étaient partis pour toujours ; mais ils les voient revenir bientôt, les poursuivre avec une nouvelle vigueur, et les entourer de tous côtés. Il n'est pas étonnant que leur âme soit tourmentée, que le trouble et la tristesse s'emparent d'eux. Le grand ennemi ne manquera pas alors de saisir cette occasion, et de demander : « Où est maintenant ton Dieu ? Où est donc la félicité dont tu parlais ? Le commencement du royaume des cieux ? Quoi ! Dieu t'a-t-il dit : Tes péchés te sont pardonnés ? Sûrement, Dieu ne te l'a pas dit. Ce n'était qu'un rêve, qu'une simple illusion, qu'une création de ta propre imagination. Si tes péchés sont pardonnés, pourquoi es-tu dans cet état ? Est-ce qu'un pécheur pardonné peut-être si souillé ? » — Et si alors, au lieu de crier aussitôt à Dieu, ces chrétiens affligés raisonnent avec l'esprit séducteur, ils seront vraiment remplis de tristesse, de chagrin et d'une angoisse inexprimable, Et même lorsque Dieu luit de nouveau sur l'âme, et éloigne tous les doutes au sujet de sa miséricorde passée, cependant, celui qui est faible dans la foi peut encore être tenté et troublé, à cause de ce qui est à venir ; surtout lorsque le péché intérieur se réveille et l'attaque violemment pour le faire tomber. C'est alors qu'il peut s'écrier de nouveau : J'ai encore un péché ! c'est la crainte qu'après avoir achevé ma carrière, je ne périsse sur le rivage ! Je crains de faire naufrage quant à la foi, et que mon dernier état ne soit pire que le premier : que tout mon pain de vie ne me manque, et que je ne tombe en enfer irrégénéré !

                    Il est sûr que cette « affliction » semble d'abord un sujet de tristesse et non pas de joie ; mais elle produit ensuite un fruit paisible pour ceux qui ont été ainsi exercés (Hébreux 12 : 11)  ». Heureux donc ceux qui sont ainsi affligés ! s'ils attendent le Seigneur, et ne se laissent pas détourner de la voie par les pauvres consolations de ce monde ; s'ils rejettent hardiment toutes celles du péché, de la folie et de la vanité ; tous les divertissements et les vains amusements du monde ; tous les plaisirs « qui sont pernicieux par leurs abus (Colossiens 2 : 22) », et qui ne tendent qu'à engourdir et endormir l'âme, afin qu'elle perde le sentiment, soit d'elle-même, soit de Dieu. Heureux ceux qui « continuent à connaître l’Éternel (Osée 6 : 3) », et qui refusent constamment toute autre consolation. Ils seront consolés par son esprit, par une nouvelle manifestation de son amour, par un témoignage qui ne leur sera jamais ôté, de leur acceptation en Jésus-Christ, le Bien-Aimé. Cette « confiance pleine et parfaite (Hébreux 10 : 22) » dissipe les doutes aussi bien que toutes les craintes qui les tourmentent. Dieu leur donne maintenant une espérance assurée de quelque chose de durable, et « une consolation ferme par grâce ». Sans disputer, pour savoir s'il est possible à de telles personnes, « qui ont été une fois illuminées, et qui ont été faites participantes du Saint-Esprit (Hébreux 6 : 4), de retomber ; qu'il leur suffise de dire, par le pouvoir de l'Esprit qui demeure en elles : « Qui nous séparera de l'amour de Christ ? — Je suis assuré que ni la vie, ni la mort, ni les choses présentes, ni les choses à venir, ni les choses élevées, ni les choses basses, ne nous pourront séparer de l'amour que Dieu nous a montré, en Jésus-Christ notre Seigneur (Romains 8 : 35-39)  ». 

                  Ces états successifs de l'âme, celui dans lequel on soupire après un Dieu absent et celui dans lequel on retrouve la joie de contempler sa face, semblent être esquissés dans les paroles que notre Seigneur fit entendre à ses Apôtres, la nuit qui précéda sa passion : Vous vous demandez les uns aux autres ce que signifie ce que j'ai dit : dans peu de temps vous ne me verrez plus, et un peu de temps après vous me reverrez. En vérité, en vérité, je vous dis que vous pleurerez et vous vous lamenterez », lorsque vous ne me verrez pas ; « et le monde se réjouira », triomphera de vous, comme si votre espoir vous avait abandonné. « Vous serez dans la tristesse » à cause de vos doutes, de vos craintes, de vos tentations et de vos passions ; « mais votre tristesse sera changée en joie » par le retour de Celui que votre cœur aime. « Quand une femme accouche, elle a des douleurs parce que son terme est venu ; mais dès qu'elle est accouchée d'un enfant, elle ne se souvient plus de son travail, dans la joie qu'elle a de ce qu'un homme est né dans le monde. De même vous êtes maintenant dans la tristesse  » ; vous êtes dans l'affliction et ne pouvez être consolés, « mais je vous verrai de nouveau, et votre cœur se réjouira » d'une joie calme et intérieure, "et personne ne vous ravira votre joie (Jean 16 : 19-22)".  
                      Mais quoique cette affliction soit passée, soit changée en une sainte joie, par le retour du Consolateur, il y a encore une autre affliction bénie qui se trouve chez les enfants de Dieu. Ils gémissent aussi à cause des péchés et des misères de l'humanité. « Ils pleurent avec ceux qui pleurent (Romains 12 : 15)  ». Ils pleurent sur ceux qui ne pleurent pas sur eux-mêmes, sur ceux qui pèchent contre eux-mêmes. Ils s'affligent à cause de la faiblesse, de l'infidélité de ceux mêmes qui sont, jusqu'à un certain point, sauvés de leurs péchés. « Quelqu'un est-il affligé qu'ils n'en soient aussi affligés ? Quelqu'un est-il scandalisé qu'ils n'en soient aussi comme brûlés (2 Corinthiens 11 : 29) ? Ils sont attristés à cause de l'opprobre dont on couvre continuellement le Seigneur du ciel et de la terre. Ils en ont toujours un sentiment profond qui les rend sérieux ; et ce sérieux n'est pas peu augmenté depuis que les yeux de leur intelligence ont été ouverts, en voyant le vaste océan de l'éternité, sans fond et sans bords, qui a déjà englouti des millions et des millions d'hommes ; et qui demeure béant. pour engloutir ceux qui restent encore. Ils voient, d'un côté, la maison éternelle de Dieu dans les cieux, et de l'autre, l'enfer et la destruction ; et cette vue leur fait sentir, l'importance de l'instant qui ne fait que passer et s'enfuit pour toujours.


                      Mais toute cette sagesse de Dieu est folie pour les hommes du monde. Cet état d'affliction et de pauvreté d'esprit n'est pour eux que stupidité et pesanteur. Et c'est beaucoup, s'ils ne décident pas même que c'est une simple rêverie ou une mélancolie, ou, plutôt, une frénésie et une folie évidentes. Et il n'est pas étonnant que ceux qui ne connaissent pas Dieu en jugent ainsi. Supposons que deux personnes marchent ensemble ; tout-à-coup l'un d'entre elles s'arrête et s'écrie, avec les signes de la crainte et de l'effroi : Au bord de quel précipice sommes-nous ! Regarde, nous allons périr ! Un pas de plus, et nous tombons dans ce gouffre sans fond ! Arrête, je n'irai pas plus loin, non ! pas pour tout au monde ! L'autre personne, au contraire, qui paraît, du moins, à ses propres yeux, douée d'une bonne vue, avance et ne voit rien du tout ; que pensera-t-elle de son compagnon, si ce n'est qu'il déraisonne, qu'il a perdu la tête, que tant de religion (s'il n'est pas coupable de posséder un grand savoir) l'a sûrement rendu fou !


                    Mais que les enfants de Dieu, ceux qui pleurent en Sion, ne soient agités par aucune de ces choses. Vous, dont les yeux sont éclairés, ne soyez pas troublés par ceux qui marchent encore dans les ténèbres. Vous ne poursuivez pas une ombre vaine : Dieu et l'éternité sont des réalités. Le ciel et l'enfer sont réellement ouverts devant vous, et vous êtes sur le bord du grand abîme. Cet abîme a déjà englouti des foules innombrables, peuples, nations, familles et langues ; et, la bouche béante, il est prêt à dévorer encore dans leur étourderie, les malheureux enfants des hommes, soit qu'ils le voient ou non. Oh ! criez à haute voix, et ne vous taisez pas ! Que votre prière s'élève vers Celui qui tient en ses mains le temps et l'éternité, pour qu'il ait pitié de vous et de vos frères, et qu'il vous juge dignes d'échapper à la destruction qui vient comme un tourbillon ! pour que vous puissiez arriver en sûreté à travers les flots et les tempêtes dans le port où vous désirez être recueillis ! Pleurez pour vous-mêmes, jusqu'à ce qu'il essuie toutes larmes de vos yeux. Et, alors, pleurez pour les calamités qui fondent sur la terre, jusqu'à ce que le Seigneur de tous ait fait cesser la misère et le péché, et qu'il ait essuyé les larmes de tous les yeux, jusqu'à ce qu'enfin « la terre soit remplie de la connaissance de l’Éternel, comme le fond de la mer des eaux qui le couvrent (Esaïe 11 : 9).