Transcrit, traduit et mis en ligne par : http:www.eglisedemaison.com
La plupart des grandes âmes de ce monde ont été solitaires. La solitude semble être le prix que le saint doive payer pour sa sainteté. Ce texte semble aussi décrire l'expérience personnelle de son auteur.
A l'aube du monde, ou, plutôt, à l'époque de ces étranges ténèbres
qui sont venues sur la terre après l'aube de la création de
l'homme, Enoch marchait avec Dieu, et il ne fut plus, parce que Dieu
le prit. Bien que cela ne soit pas écrit aussi clairement, il est
très probable qu'Enoch suivit un chemin complètement séparé de
celui de ses contemporains.
Noé
fut un autre solitaire qui, parmi tous les hommes antédiluviens,
trouva grâce devant le Seigneur. Tout semble montrer qu'il vécut
une vie solitaire, au milieu même de son propre peuple.
Abraham
bénéficiait de la compagnie de Sarah et de Lot. Il possédait aussi
de très nombreux serviteurs et bergers. Mais tous ceux qui lisent
son histoire, ainsi que les commentaires qu'en firent les apôtres,
ne peuvent aussitôt manquer de remarquer qu'il fut "un homme
dont l'âme était comme une étoile, et qui demeurait à part."
Pour
autant que nous le sachions, Dieu lui a toujours parlé alors qu'il
était loin de toute compagnie humaine. Face contre terre, il
communiait avec son Dieu. Une dignité humaine innée lui interdisait
d'adopter cette posture en présence des autres.
Combien
solennelle et douce fut cette scène nocturne, la nuit où il fit un
sacrifice, et où il vit des flammes de feu se déplacer au milieu
des offrandes partagées. Là, seul au milieu de l'horreur de ces profondes ténèbres, il entendit la voix de Dieu, et sut qu'il était un homme marqué par la faveur divine.
Moïse
aussi fut un homme à part. Alors qu'il était encore attaché à la
cour de Pharaon, il entreprenait de longues marches solitaires. C'est
au cours de l'une de ces marches, loin des foules, qu'il aperçut un
Hébreu et un Égyptien se battre, et qu'il vint au secours de son
compatriote.
Cela entraîna sa fuite hors d’Égypte, et il demeura dans le désert, dans une réclusion presque totale. Là, alors qu'il gardait seul ses brebis, il vit le miracle du buisson ardent.
Plus
tard, au sommet du Sinaï, il se tapit, solitaire, rempli d'une
fascination respectueuse, pour contempler la Présence divine,
partiellement manifestée au milieu des nuées et des flammes.
Les prophètes des époques antérieures au Christianisme furent très différents les uns des autres. Mais ils avaient en commun un signe distinctif : leur solitude forcée.
Ils aimaient leur peuple et glorifiaient la religion de leurs pères, mais leur loyauté au Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, ainsi que leur zèle pour la nation d'Israël, les ont éloignés des foules, pour passer par de longues périodes d'abattement.
"Je
suis devenu un étranger pour mes frères, un inconnu pour les fils
de ma mère" (Psaume 69 : 8), s'est exclamé l'un
d'eux, qui s'exprimait sans le savoir pour tous les autres.
Mais
le plus révélateur fut la vie de Celui dont Moïse et tous les
prophètes ont parlé. Il a suivi Sa route solitaire vers la croix.
Sa profonde solitude ne fut jamais comblée par la présence des
multitudes.
Il
est minuit, et sur le mont des oliviers,
S'éteint
la clarté de l'étoile tardive.
Il
est minuit ; isolé au fond du jardin,
Notre
Sauveur souffrant lutte et prie, solitaire.
Il
est minuit ; loin de la présence de tous,
Notre
Sauveur combat, angoissé, isolé ;
Ses
disciples eux-mêmes, et tous ceux qu'Il aimait,
N'ont
pas vu le chagrin et les pleurs de leur Maître.
William
B. Tappan
Il
est mort seul dans les ténèbres, caché de la vue des mortels.
Personne n'était là quand Il est sorti triomphant du tombeau,
quoique beaucoup le virent par la suite et rendirent témoignage de
ce qu'ils avaient vu.
Certaines
choses sont trop sacrées pour qu'aucun œil puisse les regarder, si
ce n'est l'œil de Dieu. La curiosité, les clameurs, les efforts
sincères mais maladroits de ceux qui veulent aider ne peuvent
qu'obliger à se contenir l'âme qui s'attend à Dieu, et gêner,
sinon rendre impossible, la communication du message secret révélé
par Dieu au cœur plongé dans l'adoration.
Nous
réagissons parfois comme mus par un réflexe religieux, et nous
continuons à répéter les mêmes phrases et les mêmes mots, même
s'ils sont impuissants à exprimer nos sentiments réels et à
traduire l'authenticité d'une expérience personnelle. Nous vivons
en ce moment même à une époque semblable. Poussé par une certaine
loyauté conventionnelle, quelqu'un, en entendant pour la première
fois cette vérité inhabituelle, pourrait dire sur un ton vif : "Oh,
je ne suis jamais seul ! Christ a dit : "Je
ne te quitterai jamais, et ne t'abandonnerai jamais," et
aussi : "Voici, je suis avec vous tous les jours." Comment
pourrais-je être seul, puisque Jésus est avec moi ?"
Je
ne veux pas douter de la sincérité d'un tel Chrétien, mais ce
témoignage, donné comme une vérité toute faite, est trop beau
pour être vrai. Il est évident que c'est ce que cette personne
souhaite être vrai pour elle. Mais ce n'est pas une vérité
personnelle forgée par l'expérience.
Ce
joyeux refus de reconnaître la solitude prouve seulement qu'il
s'agit de quelqu'un qui n'a jamais vraiment marché avec Dieu sans le
secours et l'encouragement apporté par la société. Le sentiment
de communion que l'on attribue souvent à tort à la présence de
Christ peut facilement être produit par la présence de gens qui
nous entourent de leur amitié.
Rappelez-vous
toujours ceci : on ne porte jamais sa croix à plusieurs ! Même
quand nous sommes entourés d'une grande foule, notre croix nous est
personnelle. Le simple fait de la porter fait déjà de nous un être
à part. La société s'est déjà tournée contre nous. Sinon, nous
n'aurions pas de croix à porter ! Personne ne veut être l'ami de
quelqu'un qui porte une croix. "Ils
l'abandonnèrent tous, et s'enfuirent."
La
douleur provoquée par la solitude provient de la constitution de
notre nature. Dieu nous a faits les uns pour les autres. Le désir
d'une compagnie humaine est entièrement naturel et normal. La
solitude du Chrétien vient du fait qu'il marche avec Dieu dans un
monde impie. Cette marche doit même le couper de la communion de
beaucoup de bons Chrétiens, comme de la communion d'un monde non
régénéré. Le saint solitaire, par l'instinct que lui a donné
Dieu, aspire ardemment à la communion avec ses semblables, avec ceux
qui peuvent comprendre ses désirs, ses aspirations, et son besoin
vital de l'amour de Christ. Mais il est obligé de marcher seul, car
il y a si peu d'êtres, dans son cercle d'amis proches, qui partagent
ses expériences intimes ! Les aspirations insatisfaites des
prophètes, et leur désir d'être compris par leurs semblables, les
ont poussés à donner libre cours à leurs complaintes. Notre
Seigneur aussi a connu les mêmes souffrances.
Un
homme qui a pénétré dans la Présence divine, par une véritable
expérience intérieure, ne rencontrera pas beaucoup de personnes qui
le comprendront. Bien entendu, il ne manquera pas d'une certaine
communion sociale, quand il se mêlera à ses frères, dans les
activités habituelles de l'église. Mais il aura du mal à trouver
une vraie communion fraternelle. Toutefois, il ne doit pas s'attendre
à autre chose. Après tout, il est un étranger et un voyageur. Le
voyage qu'il a entrepris se fait avec son cœur et non avec ses
pieds. Il marche avec Dieu dans le jardin de sa propre âme. Qui,
sinon Dieu, peut y marcher avec lui ? Il a un esprit différent de
celui des multitudes qui fréquentent les parvis de la maison du
Seigneur. Il a vu ce dont les autres ont seulement entendu parler. Il
marche au milieu d'eux un peu comme Zacharie marchait au milieu du
peuple, en revenant de l'autel des parfums, et que les gens disaient
: "Il a eu une vision !"
L'homme
véritablement spirituel est en réalité une bizarrerie. Il ne vit
pas pour lui-même, mais s'occupe des intérêts d'un Autre. Il
cherche à persuader les gens de tout donner à son Seigneur, et ne
réclame rien pour lui-même. Il trouve son délice à ne pas être
honoré, mais à voir son Sauveur glorifié aux yeux des hommes. Sa
joie consiste à voir son Seigneur exalté, et lui-même négligé.
Il rencontre peu de gens désirant parler de ce qui est le suprême
objet de son intérêt. Il reste donc souvent silencieux et
préoccupé, au milieu du brouhaha des bavardages religieux. A cause
de cela, il a gagné la réputation d'être ennuyeux et exagérément
sérieux. On l'évite donc, et le fossé se creuse entre lui et le
reste de la société. Il cherche des amis dont les vêtements
pourraient exhaler l'odeur de la myrrhe, de l'aloès et de l'acacia
venant des palais d'ivoire, mais il en trouve peu, s'il en trouve.
Comme la Marie d'autrefois, il garde ces choses dans son cœur.
C'est
cette solitude même qui le pousse dans la présence de Dieu. "Car
mon père et ma mère m'abandonnent, mais l’Éternel me
recueillera" (Psaume 27 : 10). Son incapacité à trouver une
amitié humaine le pousse à chercher en Dieu ce qu'il ne peut
trouver nulle part ailleurs. Dans sa solitude intérieure, il apprend
ce qu'il ne pourrait jamais apprendre au milieu de la foule : que
Christ est tout en tous, qu'Il a été fait pour nous sagesse,
justice, sanctification et rédemption, et qu'en Lui nous possédons
le Bien suprême de la vie.
Je
dois encore dire deux choses. La première, c'est que l'homme
solitaire dont nous parlons n'est pas un homme hautain, ni quelqu'un
qui se croit plus saint que les autres. Il n'est pas ce saint austère
férocement satirisé dans la littérature populaire. Il est porté à
penser qu'il est le dernier de tous les hommes, et se rend seul
responsable de sa solitude même. Il veut partager ses sentiments
avec les autres, et reste prêt à ouvrir son cœur à toute âme qui
partagerait ses aspirations, et qui serait prête à le comprendre.
Mais le climat spirituel qui l'entoure n'encourage pas ces partages.
Il reste donc dans le silence et raconte ses chagrins à Dieu seul.
La
seconde chose, c'est que le saint solitaire n'est pas un homme replié
sur lui-même, qui se serait endurci contre les souffrances des
hommes, et qui passerait ses journées à contempler le ciel. C'est
même tout le contraire. Sa solitude le prédispose à sympathiser
avec ceux qui ont le cœur brisé, ceux qui sont tombés, et ceux qui
ont été blessés par le péché. Parce qu'il est détaché du
monde, il est d'autant plus apte à aider ceux qui sont dans le
monde. Maître Eckhart enseignait à ses disciples que s'ils étaient
enlevés au troisième ciel, alors qu'ils étaient en prière, et
qu'ils se rappelaient, juste à ce moment précis, qu'une pauvre
veuve avait besoin de manger, ils devaient interrompre aussitôt leur
prière pour aller prendre soin de cette veuve. Il ajoutait : "Dieu
ne permettra pas que vous subissiez la moindre perte spirituelle en
faisant cela ! Vous pourrez reprendre plus tard votre prière, et le
Seigneur vous rejoindra au point où vous étiez auparavant !"
Cet enseignement est typique des grands mystiques et des maîtres de
la vie intérieure, depuis Paul jusqu'à nos jours.
La
faiblesse de tant de Chrétiens modernes est due au fait qu'ils se
sentent trop à l'aise dans ce monde. Dans leurs efforts pour
"s'ajuster" paisiblement à une société non régénérée,
ils ont perdu leur caractère de pèlerin. Ils sont devenus une
partie essentielle de ce même ordre moral qu'ils avaient la mission
de combattre. Le monde les reconnaît et les accepte pour ce qu'ils
sont. Et c'est la chose la plus triste que l'on puisse dire en ce qui
les concerne. Ils ne sont pas solitaires. Mais ils ne sont pas non
plus saints !
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