lundi 30 mars 2015

(10) SERMONS CHOISIS (Spurgeon Charles)

L'EFFUSION DE SANG

Sans effusion de sang, il ne se fait point de rémission des péchés (Heb 9:22).

          Mes chers auditeurs, voulez-vous voir trois fous ? Je vais vous les montrer. L'un est ce soldat qui vient de tomber sur le champ de bataille. Il est blessé, grièvement blessé. Le chirurgien accourt, et le soldat l'interroge. Ecoutez-le et jugez de sa folie. Lève-t-il les yeux avec une ardente anxiété et demande-t-il si sa blessure est mortelle, si l'habileté du praticien parviendra à la guérir, si l'on a sous la main tous les secours, tous les remèdes nécessaires ?... Non ; aucune question semblable ne sort de ses lèvres. Chose étrange, il dit : « Pourriez-vous m'apprendre quel est le sabre qui m'a blessé, quel est le Russe qui m'a si cruellement mutilé ? Je tiens beaucoup, ajoute-t-il, à connaître jusque dans les plus minutieux détails l'origine de ma blessure. » - « Mais sûrement le malheureux est en délire ! vous écriez-vous ; son cerveau est malade. De telles questions, dans un tel moment, prouvent jusqu'à l'évidence qu'il est privé de l'usage de sa raison. »
         Voici maintenant un second fou. - La tempête gronde ; le navire, poussé par un vent arrière, vole sur les flots avec une effrayante rapidité ; les lames inondent le pont ; les mâts craquent, les voiles sont en lambeaux et l'ouragan semble redoubler de fureur. Pendant ce temps, où est le capitaine ? Est-il à donner ses ordres à l'équipage ? affronte-t-il noblement le danger, ou cherche-t-il, par des manœuvres habiles, à déjouer la rage des éléments ? Non. Il s'est retiré dans sa cabine, et là, absorbé dans une profonde rêverie, il se livre à mille conjectures sur l'endroit probable où la tempête a pris naissance. « Curieux phénomène que ce vent ! se dit-il à lui-même ; personne encore n'a pu découvrir d'où il vient. » Et sans se préoccuper du sort de son vaisseau, du salut des passagers ou de sa propre vie, cet homme étrange continue, heure après heure, à chercher à résoudre des problèmes insolubles... « Mais il est hors de sens ! vous écriez-vous, encore ; qu'on retire au plus tôt le gouvernail de sa main ; il n'a plus une lueur de raison, et si jamais il touche terre, qu'il soit enfermé comme un aliéné incurable ! »
          Quant au troisième fou, mes chers amis, il est probable que je n'aurais pas de peine à le trouver parmi vous. - Voici un homme qui est malade, blessé par le péché, exposé au terrible ouragan de la vengeance divine ; et cependant la question qu'il voudrait me proposer est celle-ci : « Quelle est l'origine du mal ? » Mais tu es fou, mon frère, spirituellement fou ! m'écrierai-je à mon tour ; sûrement, si tu étais de sens rassis, tu t'enquerrais de toute autre chose. Tu demanderais, non pas : « Comment le péché est-il entré dans le monde? » mais bien plutôt : « Comment en serai-je délivré? - non pas : «Comment se fait-il que le feu du ciel descende sur Sodome ? » mais bien plutôt «Comment puis-je m'échapper comme Lot ? ». - non pas : « D'où vient que je sois malade ? mais bien plutôt : « Y a-t-il un remède capable de me guérir ? Existe-t-il un médecin qui puisse rendre la santé à mon âme malade ? » Ah ! que de temps ne perdons-nous pas après de vaines subtilités, tandis que nous négligeons des certitudes ! Il n'est pas de sujet au monde, j'en suis convaincu, qui ait soulevé autant de questions que l'origine du mal. Les hommes ont creusé leur cerveau et mis leur esprit à la torture afin de comprendre - (ce que l'intelligence humaine ne comprendra jamais) - comment le mal est entré dans le monde, et comment son entrée peut se concilier avec la bonté divine. Mais, je le demande, à quoi bon ces discussions ? L'existence du mal est un fait, un fait patent, avéré, incontestable. Au lieu donc de nous perdre en vaines spéculations, ne serait-il pas plus rationnel que chacun de nous se dit sérieusement à lui-même :
            « Que dois-je faire pour échapper à la colère à venir, suite naturelle de cette grande maladie morale qui a envahi toute âme d'homme ? » Or, c'est ici qu'intervient la parole de l'Ecriture que j'ai prise pour mon texte. Semblable à l'ange armé d'une épée, qui jadis arrêta Balaam sur sa route vers Balak, cette déclaration solennelle Sans effusion de sang, il ne se fait point de rémission des péchés, vient se dresser devant la conscience du pêcheur réveillé. Sentant que son iniquité doit être ou punie ou pardonnée, il se demande avec inquiétude comment il pourra obtenir le pardon ; et voilà que sa demande se rencontre face à face avec cette réponse catégorique : Sans effusion de sang, il ne se fait point de rémission des péchés !
            Et n'allez pas dire, mes chers amis, que c'est là une maxime purement juive : c'est, au contraire, une vérité vaste comme le monde et immuable comme l'éternité. Elle concerne les Gentils, non moins que les Hébreux. Jamais en aucun temps, jamais en aucun lieu, jamais pour aucune âme la rémission des péchés n'a été obtenue autrement que par l'effusion du sang.
          Il y a plus : j'affirme que cette grande vérité est empreinte jusque dans les entrailles de la nature humaine ; c'est une loi essentielle du gouvernement moral de Dieu, un de ces principes fondamentaux qui, en dépit de toutes les attaques, resteront toujours debout, une règle qui n'a jamais souffert et qui ne souffrira jamais d'exception. Toujours et partout la même, cette doctrine subsistera d'âge en âge : Sans effusion de sang, il ne se fait point de rémission des péchés. Sous l'économie mosaïque, il en était ainsi ; pour les Juifs, point de rémission sans effusion de sang. Il existait certains cas, il est vrai, où l'eau et le feu suffisaient pour rendre net ; mais toutes les fois qu'il s'agissait d'une violation positive de la loi, la purification ne pouvait avoir lieu que moyennant un sacrifice sanglant : Dieu ayant voulu enseigner par là à son peuple que le sang et le sang seul efface les péchés. Et, chose remarquable ! les païens eux-mêmes semblent avoir entrevu confusément cette vérité capitale. Que me disent leurs couteaux ruisselants du sang des victimes ? que me disent les lugubres histoires d'holocaustes, de sacrifices, d'immolations humaines qui, des points les plus reculés du globe, parviennent de temps à autre à mes oreilles ? que me disent toutes ces choses, je le demande, sinon qu'au fond de toute poitrine humaine, ancien comme l'existence même de l'homme, retentit comme un écho affaibli de cette loi divine : Sans effusion de sang, il ne se fait point de rémission des péchés ? Et pour ne parler que de vous-mêmes, mes chers auditeurs, je suis assuré que dans les replis de vos coeurs et de vos consciences il y a comme un secret instinct qui vous dit à tous que pour réconcilier l'âme coupable avec un Dieu saint et juste, il faut que le sang coule, qu'une victime soit immolée. C'est là, je le répète, la grande vérité du christianisme, et c'est cette vérité que je voudrais essayer de fixer dans votre mémoire, en demandant à Dieu de la faire pénétrer lui-même dans vos âmes.
        Sans effusion de sang, il ne se fait point de rémission des péchés. Avant de développer mon texte, je dois tout d'abord répondre à une question qui se présente naturellement à l'esprit. De quelle effusion de sang est-il ici parlé ? L'apôtre n'avait-il point en vue un sacrifice particulier lorsqu'il écrivait ces paroles ? Oui, mes frères. Un sang d'un prix infini a été répandu, et c'est à l'effusion de ce sang que je voudrais vous faire assister. Il ne s'agit plus ici de meurtres ou de massacres; il ne s'agit plus de brebis ou de boucs égorgés sur les autels.
          Il y eut une fois un sacrifice auprès duquel tous les autres ne sont rien : c'était un homme, c'était un Dieu qui versa alors son sang. Venez et voyez. Nous sommes dans un jardin à l'aspect triste et morne. Il est minuit. Le sol, durci par la gelée, craque sous les pas. Parmi ces oliviers, au sombre feuillage, je vois un homme ; je l'entends exhaler son âme dans la prière. Anges, écoutez !' Ecoutez, ô fils des hommes ! écoutez et soyez étonnés ! C'est le Sauveur qui offre sa vie avec de grands cris et avec larmes. Approchez. Considérez son front..... O prodige ! Des grumeaux de sang découlent de son visage et de son corps tout entier ! chacune de ses pores est ouverte, et une sueur s'en échappe ; mais ce n'est pas la sueur d'un homme qui travaille pour son pain, c'est la sueur d'un Dieu qui travaille pour le ciel : il sue une sueur sanglante ! - La voilà cette effusion de sang, sans laquelle il ne se fait point de rémission des péchés !
             Mais suivons l'homme-Dieu. Des mains sacrilèges l'ont traîné de ce jardin témoin de sa prière et de son agonie jusqu'au prétoire de Pilate. On le fait asseoir et on l'insulte ; on le revêt dérisoirement d'un manteau de pourpre, on ceint son front d'une couronne d'épines, et soudain (ô anges du ciel ! que dûtes-vous éprouver à cette vue ?...) soudain, deux lignes ensanglantées sillonnent sa face divine ! Ensuite on le dépouille du manteau royal, on découvre ses épaules: elles sont teintes de sang! Esprits infernaux, dites-moi, oh ! dites-moi qui a ainsi blessé mon Sauveur ? Les soldats romains se chargent de me répondre : ils reprennent leurs verges encore sanglantes ; ils le flagellent de nouveau, ils déchirent ses chairs, ils font ruisseler son sang jusqu'en terre ! La voilà encore cette effusion de sang, en dehors de laquelle il ne se fait point de rémission des péchés !
              Mais ce n'est pas tout. On entraîne Jésus au lieu du supplice ; on l'étend sur le sol, on cloue ses mains et ses pieds au bois transversal ; puis on dresse la croix, on l'assujettit dans le soubassement préparé pour la recevoir ; maintenant elle est debout, et sur elle est suspendu le Christ de Dieu. O déchirant spectacle ! Du sang de sa tête, du sang de ses mains, du sang de ses pieds ! Et avec son sang, sa vie s'écoule dans une inexprimable agonie ! Et son âme s'épuise en angoisses sans pareilles ! « Eloï, Eloï, lamma sabachthani ! » Enfin, il expire..... Mais voyez encore : on lui perce le côté avec une lance, et aussitôt il en jaillit du sang et de l'eau. - Voilà l'effusion du sang, pécheurs et saints! Voilà cette grande, cette solennelle aspersion, ce sacrifice sanglant et expiatoire, sans lequel, ni pour vous individuellement, ni pour la race humaine en général, il ne saurait y avoir de rémission des péchés.
             Oui, c'est là l'effusion de sang dont parle l'apôtre. Oh ! mon Dieu, comment se fait-il que des hommes puissent écouter une telle histoire; les yeux secs ? Je l'ai mal racontée, direz-vous. Il est vrai, mes amis, et je me blâme tout le premier. Mais sachez-le : alors même que la scène sanglante du Calvaire vous serait décrite par la langue la plus malhabile, si vos cœurs étaient ce qu'ils devraient être, ils se fondraient en larmes de sang ! Oh ! quel crime, quel meurtre que celui-là ! C'était plus qu'un régicide, plus qu'un fratricide, plus qu'un parricide c'était..... la langue humaine n'avait point de mot pour désigner un tel crime, il a fallu en inventer un, - c'était un déicide ! le meurtre d'un Dieu ! le meurtre de celui qui s'est incarné pour nous sauver ! Ah ! si nos cœurs étaient seulement aussi malléables que le fer, nous pleurerions ! s'ils étaient aussi tendres que le marbre des montagnes, nos yeux se changeraient en ruisseaux d'eau! Mais ces cœurs sont plus durs que la pierre, même qu'une pièce de la meule de dessous (Allusion à Job 41:15), c'est pourquoi nous oublions les douleurs de Celui qui à cause de nous est mort d'une mort pleine d'ignominie et d'amertume; nous ne plaignons pas de ses souffrances ; nous ne considérons pas que c'est pour nous, pour nous proprement qu'il a tout enduré, tout accompli.....
          Mais pour en revenir à notre texte, redisons que le grand principe qu'il établit est celui-ci Sans effusion de sang, il ne se fait point de rémission des péchés. Cette proposition me semble être à la fois négative et affirmative. J'y trouve d'abord UNE NÉGATION FORMELLE: « Point d'effusion de sang, point de rémission » ; et ensuite UNE AFFIRMATION IMPLICITE qui ressort de la négation même, et qu'on peut formuler ainsi : « Par l'effusion du sang, il y a rémission des péchés. »
          En premier lieu, ai-je dit, mon texte exprime UNE NÉGATION FORMELLE. Point de rémission en dehors du sang de Jésus : voilà ce qu'il nous enseigne de la manière la plus nette. Et veuillez considérer, mes frères, que cette assertion est d'autorité divine. En la prononçant aujourd'hui devant vous, je ne fais que répéter les paroles mêmes de Dieu. Ce n'est pas une chose que vous puissiez croire ou rejeter à votre choix ; vous devez la croire, vous devez l'admettre, sinon vous vous inscrivez en faux contre l'Écriture et vous donnez le démenti au Tout-Puissant. Peut-être m'arrive-t-il quelquefois d'émettre certaines idées qui n'ont guère d'autre base que mes propres raisonnements ou mon interprétation particulière, ce qui, j'en conviens, est bien peu de chose ; mais ici, je ne viens pas simplement étayer une opinion personnelle par des passages empruntés à l'Écriture : je cite textuellement les paroles sorties des lèvres de Dieu lui-même. Prenez et lisez: 
        Point de rémission ! c'est écrit en toutes lettres dans la Parole inspirée ; donc, cette doctrine est divine. Il est possible que vous soyez disposés à regimber contre elle ; mais rappelez-vous qu'en le faisant, vous vous révoltez, non pas contre moi mais contre Dieu.
        Je ne veux point perdre mon temps en vaines disputes de mots ; Dieu me garde de négliger la belle mission de proclamer l'Évangile pour contester avec les hommes ! Je me présente à vous en ce moment, le décret irrévocable de Dieu à la main, et je vous dis à tous : Sans effusion de sang, il ne se fait point de rémission des péchés. Sans doute, vous n'êtes pas tenus de recevoir comme article de foi tout ce que vous enseigne le prédicateur ; mais souvenez-vous que si vous ne croyez point ceci, c'est au péril de vos âmes ! car, encore une fois, la vérité que je vous annonce émane directement de Dieu ; or, quand Dieu parle, oseriez-vous contredire ? Non, vous ne l'oseriez ! car ce serait le comble de l'impiété. Inclinez-vous donc devant la solennelle négation de mon texte et profitez du sérieux enseignement qu'elle vous donne.
       Mais on objecte que la manière dont Dieu a sauvé les hommes, c'est-à-dire par l'effusion sang, est cruelle, injuste, inhumaine..... que sais-je encore! A ceux qui raisonnent ainsi, je n'ai qu'un mot à répondre. Votre opinion à cet égard me touche peu, leur dirai-je ; les faits sont là ; Dieu a jugé bon de faire reposer tout le plan du salut sur le sacrifice de son Fils. Si votre Créateur vous semble avoir eu tort, attendez de vous trouver en sa présence pour lui demander raison de sa conduite. Mais réfléchissez, je vous le conseille, avant de lui jeter le gant. Malheur au vermisseau qui voudrait lutter contre celui qui le forma, et malheur à l'homme assez audacieux pour oser se mesurer avec le Très-Haut ! Bien comprise et reçue avec foi, la doctrine de l'expiation est pleine de douceur, car elle est la manifestation d'un amour sans bornes, d'une bonté incommensurable et d'une justice infinie. Mais, je le sais, cette doctrine, si précieuse pour le croyant, a toujours été en scandale aux gens du dehors. Que vous dirai-je, ô incrédules ? Vous haïssez ce qui seul pourrait vous sauver ; vous méprisez la grâce qui vous est offerte; encore une fois, je ne veux point perdre mon temps à discuter avec vous ; je me borne à répéter au nom de mon Maître: sans effusion de sang, il ne se fait point de rémission des péchés.
          Et observez, mes chers auditeurs, combien cette déclaration est absolue. « Mais ne puis-je obtenir le pardon de mes péchés par mon repentir ? dira l'un ; si je pleure, si je gémis, si je prie, le Seigneur ne me pardonnera-t-il pas ?
         Point de rémission sans effusion de sang, répond mon texte. - « Mais si je ne pèche plus désormais, dira un autre ; si je sers Dieu avec plus de fidélité, avec plus de zèle qu'aucun de mes semblables, le Seigneur ne me pardonnera-t-il pas à cause de mon obéissance ? » Point de rémission sans effusion de sang répond mon texte. - « Mais si je me confie simplement en la miséricorde de Dieu, reprend un troisième, ne serai-je point pardonné sans que j'aie besoin de recourir à un sacrifice quelconque ? Sans effusion de sang, il ne se fait point de rémission des péchés l telle est la réponse invariable de mon texte. Oh ! que de fatales illusions crouleraient, si on voulait se placer en présence de ces paroles si claires, si nettes, si positives ! Fils des hommes, apportez ici vos espérances de salut, et si elles ne sont pas fondées dans le sang et scellées de sang, dites-vous bien qu'elles sont aussi chimériques que des châteaux en l'air ou que les songes de la nuit. Et pourtant, malgré cette déclaration si formelle, l'on s'obstine à essayer de cinquante moyens différents pour obtenir la rémission des péchés ; tellement qu'en vérité le ministre de l’Évangile est parfois fatigué d'avoir toujours à revenir sur les mêmes doctrines, toujours à combattre les mêmes erreurs. Mes frères, je tiens à vous le redire en termes aussi clairs que possible : Faites ce que vous voudrez et dites ce qu'il vous plaira, vous ne parviendrez jamais à obtenir le pardon de vos péchés, à moins que vous ne placiez votre confiance dans le sang répandu de votre Sauveur, et uniquement dans ce sang, car hors de là, il n'y a point de rémission.
         Et si mon texte est absolu dans sa nature, il est de plus universel dans son application, Quoi? ne puis-je point obtenir la rémission de mes péchés autrement que par l'effusion du sang ? » demande le monarque, et il s'avance le front ceint de sa couronne royale ; « ne puis-je point avec toute ma splendeur, avec toute ma puissance, avec tous mes trésors,, payer par moi-même la rançon de mon âme ? » Impossible ! répond mon texte. - Vient ensuite l'homme de science, tout chargé de titres et de distinctions universitaires ; il les étale avec complaisance et demande à son tour : « Ne puis-je point obtenir la rémission de mes péchés en vertu de ces témoignages de mon grand savoir ? » Impossible ! impossible ! répète mon texte. - Puis survient le philanthrope, l'homme bienfaisant et libéral. « J'ai répandu mon argent en aumônes, dit-il ; j'ai distribué mon bien pour la nourriture des pauvres : cela ne m'assure-t-il point le pardon de Dieu ? » Non ! dit mon texte ; sans effusion de sang, il ne se fait point de rémission des péchés. Ah ! comme , ceci passe un même niveau sur toutes les têtes ! Monseigneur, vous n'êtes pas plus que votre cocher ; maître, gentilhomme, vous marchez de pair avec le paysan qui laboure vos domaines. Ministre de l’Évangile, ton office ne te place aucunement en dehors de la loi commune ; ton plus humble auditeur est tout aussi bien partagé que toi : Sans effusion de sang, il ne se fait point de rémission des péchés. Pour le meilleur, comme pour le plus mauvais des hommes, il n'y a aucun espoir de salut hors de l'effusion du sang.
        Oh ! que j'aime l'Évangile ! Et savez-vous, mes amis, une des raisons qui me le font aimer ? Je l'aime parce qu'il est un Évangile essentiellement égalitaire. Bien des gens ne veulent pas d'un tel Évangile, et moi non plus je n'en voudrais certes pas si j'attachais au mot d'égalitaire le sens qu'on lui a trop souvent donné. Que chacun conserve son rang, ses titres, sa fortune : rien de plus juste; mais j'aime, je l'avoue (et je suis sûr qu'en ceci tout vrai chrétien sera d'accord avec moi), oui, j'aime à voir le riche et le pauvre s'entre rencontrer, j'aime à les voir placés côte à côte sous le grand niveau de l’Évangile. « Arrière vos sacs d'argent ! dit l'Évangile aux riches ; ils ne peuvent rien pour votre salut. » - « Reployez vos diplômes, dit-il aux lettrés ; ils ne peuvent rien pour votre salut. » - « Oubliez votre ferme ou votre parc., dit-il à ceux qui possèdent; ces choses ne peuvent rien pour votre salut. » - « Couvrez votre écusson, dit-il aux nobles ; toutes les armoiries du monde ne peuvent rien pour votre salut. Venez, vous, pauvres, mendiants, déshérités du monde ; venez, vous, rebut et balayures de la terre : avancez. Quoique votre esprit soit sans culture et vos manières peu policées, le salut est pour vous tout autant que pour le riche, le titré, le puissant, l'homme entouré d'hommages et d'honneur. » Mon texte s'adresse indistinctement à toutes les classes de la société ; tous nous sommes égaux sur ce terrain : Sans effusion de sang, il ne se fait point de rémission des péchés.
        Remarquez en outre, mes chers auditeurs, que ces paroles sont d'une application perpétuelle. Paul les a dites; je dois répéter son témoignage, et si dans mille ans d'ici l’Évangile est encore prêché, les ministres de Dieu le répéteront à leur tour. Cette vérité ne changera jamais. Dans l'autre monde comme dans celui-ci, il sera toujours vrai que sans effusion de sang, il ne se fait point de rémission des péchés. On peut chercher à vous faire croire le contraire, mes bien-aimés; on peut vous dire, par exemple, que vos oeuvres, ou vos pénitences, ou votre argent vous assureront le pardon de Dieu ; mais repoussez de toutes vos forces ces fables et ces mensonges, et tenez pour certain qu'il n'y a de rémission possible que par le sang propitiatoire du Fils de Dieu. Non, quand vous passeriez sur vos deux genoux votre vie tout entière ; quand vos yeux se fondraient en torrents de larmes ; quand vous gémiriez et supplieriez jusqu'à ce que les fibres de votre coeur se rompissent au dedans de vous ; non, jamais - jamais en ce monde, jamais dans l'éternité - vous ne pourrez obtenir le pardon de vos péchés autrement que par le sang de Christ ; jamais votre conscience ne sera purifiée que par la foi en son sacrifice ! Et aussi bien, mes chers amis, à quoi vous servirait-il de vous contenter de rien moins que ce qui a contenté Dieu le Père ? Vous vous séduiriez vous-mêmes, voilà tout. Rien n'a pu satisfaire sa justice que l'effusion du sang de son Fils, et rien ne pourra blanchir vos consciences que les mérites de ce sang appliqués à vos âmes par la foi.

II
      Mais j'ai dit que de la négation même contenue dans mon texte ressort UNE AFFIRMATION ; or, cette affirmation implicite est celle-ci : Il y a une rémission des péchés par l'effusion du sang, - Et observons tout d'abord que cette rémission est un fait accompli. Le sang ayant été versé, la rémission est déjà obtenue. Je vous ai conduits au jardin de Gethsémané et au mont Calvaire, pour vous faire assister à l'effusion du sang. Allons maintenant dans un autre jardin et sur un autre mont, pour contempler les grandes preuves de la rémission acquise au prix de ce sang. Allons dans un autre jardin, ai-je dit. Et en effet, c'est un jardin qui s'étend devant nous, jardin tout embaumé de doux, de triomphants souvenirs. Là, dans un rocher, loin de l'agitation et du bruit du monde, Joseph d'Arimathée s'était fait tailler un sépulcre neuf, où il pensait que son pauvre corps d'argile serait bientôt déposé ; mais le corps de Jésus y fut mis le premier.
        Les scènes lugubres de la crucifixion venaient d'avoir lieu. Jésus s'était constitué répondant de son peuple, et la loi avait demandé son sang. La mort l'avait étreint de sa main de fer, et ce tombeau était comme la sombre prison où semblait devoir être détenu à jamais Celui qui avait donné sa vie pour ses brebis. Comment donc se fait-il que je voie dans ce jardin un sépulcre ouvert et inoccupé ? Mes frères, je vais vous le dire. La dette est payée, les péchés sont effacés, la rémission est acquise. Le grand Pasteur des brebis a été ramené d'entre les morts par le sang de l'alliance éternelle. Donc, le sacrifice a été accepté, et maintenant nous avons la rédemption par son sang, savoir, la rémission des péchés (Heb 13:20 Eph 1:7)
        Voilà, mes bien-aimés, une première preuve. En voulez-vous une autre plus concluante encore ? Venez avec moi sur le mont des Oliviers. Là, contemplez Jésus levant ses mains sur ses disciples, comme autrefois le souverain sacrificateur sur la multitude, et tandis qu'il les bénit, voyez-le montant majestueusement vers le ciel et disparaissant sur une nuée de devant leurs yeux. « Mais que signifie cette glorieuse ascension ? demandez-vous ; où donc va Jésus ? pourquoi, oh ! pourquoi quitte-t-il ainsi la terre ? » L'Apôtre va vous répondre : Christ est entré, non point dans le sanctuaire fait de la main des hommes, mais dans le ciel même, pour comparaître maintenant pour nous devant la face de Dieu ; et il est entré avec son propre sang, nous ayant obtenu une rédemption éternelle ; c'est pourquoi nous avons, par le sang de Jésus, la liberté de nous approcher de Dieu (Heb 9:24,12; 10:19). La rémission est donc un fait accompli : en voilà une seconde preuve.
           O croyant, quelles sources abondantes de consolations n'y a-t-il pas ici pour toi ! Que pourrais-je te dire que tu ne saches pas déjà ? Aussi je te laisse à tes douces expériences, mon bien-aimé, pour essayer de convaincre ceux qui n'ont pas cru au prix infini de cette rémission des péchés, acquise par l'effusion de sang.
           - On raconte qu'un pasteur éminent étant allé visiter un inconverti sur son lit de mort, celui-ci lui dit : « M. le pasteur, je me confie en la miséricorde divine ; certainement, puisque Dieu est infiniment bon, il ne voudra pas vouer une âme à la condamnation éternelle. » Plus tard, le serviteur de Dieu revint auprès du malade, dont l'état s'était aggravé. « Oh ! M. le pasteur, s'écria-t- il, je n'ai plus de confiance ! Je viens de réfléchir que si Dieu est miséricordieux il est juste aussi ; et que ferais-je, oh ! que ferais-je, si, au lieu de déployer sa bonté envers moi, il ne déployait que sa justice ? Non, je ne puis plus compter sur la seule miséricorde de Dieu ! Oh ! dites-moi ce qu'il faut que je fasse pour être sauvé ! » Le pasteur exposa alors au moribond le plan du salut ; il lui dit que Christ était mort à la place du pécheur qui se confie en lui, en sorte que Dieu est juste tout en justifiant celui qui a la foi en Jésus (Ro 3:25). Le malade écoutait avec avidité. « Ah ! monsieur, s'écria-t-il enfin, voilà justement ce qu'il me fallait ; j'avais besoin d'un fondement solide sur lequel je pusse bâtir mes espérances, et vous venez de me l'indiquer ; ailleurs je ne vois qu'incertitude et que doute. » Cet homme disait vrai. Non, mes amis, il n'y a aucune paix, aucune confiance possible hors de Christ. A part les âmes qui se confient uniquement dans le sang de Jésus, pas un de nous, j'ose l'affirmer, n'a jamais rencontré une seule personne qui fût pleinement assurée de son pardon. Voyez le musulman : il ne sait rien du pardon des péchés. Voyez l'incrédule : il n'est jamais sûr s'il est pardonné ou non. Voyez le formaliste : il dira bien « J'espère que mes péchés me seront remis », mais il n'ose affirmer qu'ils le sont. Je le répète, celui-là seul possède l'assurance de son salut qui croit fermement que Christ, et Christ seul, a expié les péchés par l'effusion de son sang.
          Mais quelles sont les âmes que Christ est venu sauver ? Pour répondre à cette question, permettez- moi de vous raconter un simple fait. Le grand prédicateur Whitefield avait un frère, qui avait été, comme lui, un fervent chrétien ; mais il s'était détourné des sentiers de la piété, il avait fait des chutes graves. Or, un jour, après qu'il eut reconnu ses égarements, il était fort troublé dans son âme, car il avait entendu la veille un sermon de son frère qui avait blessé sa conscience jusqu'au vif. Le soir, au souper, il s'écria, comme se pariant à lui-même : « Je suis un homme perdu ! » et il commença à gémir et à pleurer, en sorte qu'il ne pouvait prendre aucune nourriture. - « Pardon, M. Whitefield, que disiez-vous, je vous prie ? » demanda lady Huntingdon qui était assise en face de lui ( A ceux de nos lecteurs qui ne connaîtraient point le nom de lady Huntingdon, nous dirons que cette dame, illustre par sa naissance, par ses talents, et surtout par son éminente piété, consacra au service de son divin Maître tous les dons qu'elle avait reçus de lui. Elle vécut à l'époque du grand réveil religieux qui eut lieu en Angleterre le siècle dernier, et dépensa une fortune considérable,soit à construire des lieux de culte, soit à pourvoir aux besoins temporels des fidèles serviteurs de Dieu qui passaient leur vie à annoncer l'Évangile. Le célèbre Whitefield était l'un de ses amis les plus intimes. (Voir pour plus de détails l'intéressant ouvrage intitulé : Lady Huntingdon et ses amis, etc., publié par la Société de Toulouse). Note du Traducteur.) « Madame, répondit-il, je disais que je suis un homme perdu. » - « J'en suis fort aise, monsieur, répliqua-t-elle, j'en suis fort aise. » - « Comment, madame !... Que voulez-vous dire ? balbutia le pauvre homme au comble de l'étonnement ; c'est bien cruel à vous de vous réjouir de ce que je suis perdu... » - « Je le répète, monsieur, j'en suis fort aise, fort aise en vérité », reprit-elle. Il la regarda, de plus en plus surpris de son inhumanité. « Oui, M. Whitefield, j'en suis fort aise, continua lady Huntingdon, car il est écrit : Le Fils de l'Homme est venu chercher et sauver ce qui était PERDU. » A l'ouïe de ces paroles, Whitefield fondit en larmes, « Quel précieux passage, madame ! s'écriat-il, et d'où vient qu'il s'applique en cet instant avec tant de force à mon âme ? Oh ! je bénis Dieu de me l'avoir fait entendre ! Jésus veut donc me sauver ; je remets mon esprit entre ses mains; je suis pardonné! » Ayant dit cela, il sortit de la maison, se sentit pris d'un malaise soudain, tomba en arrière et expira.
          Oui, le Fils de l'Homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu ! Y a-t-il ici une âme perdue ? Dieu le veuille ! Homme perdu ! femme perdue ! où êtes-vous ? Vous sentez-vous perdus sans ressource ? Oh ! combien j'en sais heureux ! car c'est pour des créatures telles que vous qu'a été faite la rémission des péchés par l'effusion du sang. Pauvre pécheur ! tes yeux sont peut-être obscurcis par les larmes de la repentance ; mais regarde au travers de tes larmes, mon frère. Vois- tu cet homme dans le jardin de Gethsémané ? Il sue pour toi des grumeaux de sang. Vois-tu cet homme attaché sur un bois infâme ? Il a été cloué là pour toi. Oh ! mes amis, si pour vous sauver d'une mort certaine, je consentais à être cloué aujourd'hui sur une croix, je sais ce que vous feriez : vous vous jetteriez à mes pieds, vous les couvririez de baisers, vous les arroseriez de larmes d'amour et de reconnaissance.
           Eh bien, pécheur, pécheur perdu, pécheur qui te sens tel, Jésus est mort pour toi, pour toi proprement ; et s'il est mort pour toi, tu ne peux qu'être sauvé, car Christ n'est mort en vain pour personne. La question est donc celle-ci : Te reconnais-tu misérable et indigne? Es-tu convaincu de péché parce que tu ne crois pas en Christ ? S'il en est ainsi, mon cher auditeur, je suis chargé par mon Maître d'un message pour toi : crois en son nom, et tu seras sauvé. Mais penses-tu qu'en définitive tu n'es pas un si grand pécheur ? Oh ! alors, je ne sache pas que Christ soit mort pour toi. Dis-tu que tu n'as pas besoin de repentance ? Alors je n'ai point de Christ, point de salut à t'annoncer. Dis-tu que tu n'as pas besoin d'un Sauveur ? Alors je n'ai absolument rien à te dire que ces trois mots : La colère venir ! la colère à venir ! Christ n'est pas venir pour sauver les justes, les âmes satisfaites d'elles-mêmes ; il est venu pour sauver les méchants. Es-tu méchant ? le Sent-tu ? Es-tu perdu ? le sais-tu ? Es-tu coupable ? serais-tu prêt a le confesser en toutes occasions ? Dans ce cas, je le répète, mon bien-aimé, ne crains rien. Si Jésus était ici en cet instant, il étendrait vers toi ses mains sanglantes et te dirait : « Pauvre pécheur, je suis mort pour toi ; veux-tu croire en moi ? »
           Jésus n'est pas ici en personne, mais il a envoyé son serviteur pour te dire de sa part : « Ne veux-tu pas croire en Celui qui est mort pour toi ? » - « Oh ! dis-tu peut-être, je suis un si grand pécheur! » - « C'est justement à cause de cela que je suis mort », répond Jésus. - « Mais je suis indigne d'un tel sacrifice », objectes-tu encore. « C'est justement à cause de ton indignité que j'ai dû me sacrifier pour toi », dit Jésus. « Mais j'ai haï Christ », ajoutes-tu. « Mais moi, je t'ai toujours aimé », reprend Jésus. - « Mais, Seigneur, j'ai insulté les ministres, j'ai méprisé ta Parole... » - « Tout est pardonné, dit Jésus ; le sang qui a coulé de mon côté percé a effacé toutes tes transgressions. Crois seulement ; je ne te demande rien de plus ; et pour cela même je t'aiderai : je te donnerai un coeur croyant à la place de ton coeur incrédule. »
            Mais quelqu'un me dira : « Prédicateur de l'Evangile, vos paroles vont sûrement au delà de votre pensée. Quoi ? Voudriez-vous dire aux hommes et aux femmes les plus dépravés qui sont dans cette enceinte, que la rémission des péchés a été faite pour eux ? » Mon cher auditeur, je veux dire précisément ce que je dis. La voilà, la pécheresse, la femme de mauvaise vie, qui a entraîné bien des âmes dans le vice et envoyé bien des âmes en enfer ! La voilà ! Tous ses amis l'ont chassée de leur maison ; son père lui-même rougit de l'appeler sa fille et lui a défendu de jamais reparaître en sa présence. Femme ! te repens-tu ? Pleures-tu sur tes péchés ? Te reconnais-tu coupable et perdue ? Détestes-tu tes égarements passés ? S'il en est ainsi, Jésus est mort pour te sauver, et quoi que puisse dire le monde, tu seras sauvée ! - Le voilà, l'intempérant, le violateur du sabbat, l'homme flétri par le vice ! je le reconnais ! La nuit dernière, j'entendis sa voix dans les rues, comme il regagnait sa demeure, ivre, vociférant des blasphèmes, jetant le trouble sur son passage. Arrivé chez lui, il maltraita sa malheureuse femme, et quand aux imprécations qu'il a prononcées, Dieu seul en sait le nombre... Eh bien ! à toi-même, ô homme, je dis en cet instant : Sens-tu combien tu es coupable ? Haïs-tu tes transgressions et désires-tu sincèrement y renoncer ? S'il en est ainsi, que Dieu soit béni ! Christ est mort pour le sauver. Crois !
        « Qu'est-ce à dire ? s'écriera peut-être une autre personne ; faut-il donc être un pécheur scandaleux pour avoir part à la rémission des péchés acquise: par l'effusion du sang de Christ ? » Assurément non, mon cher auditeur. J'ai reçu il y a quelques jours une lettre d'un jeune homme, qui, comptant m'entendre cette semaine, m'écrivait à peu près en ces termes « Monsieur, veuillez, je vous en prie, prêcher un sermon approprié à l'état de mon âme, car je suis dans une grande perplexité. J'ai ouï dire que chacun de nous doit s'estimer le plus coupable des hommes, sans quoi il ne peut être sauvé : or, je fais tous mes efforts pour me croire tel, mais, vous l'avouerai-je, monsieur, je ne puis y parvenir. Je désire de tout mon cœur avoir part au salut, mais je ne sais pas me repentir assez profondément ». Si le jeune homme qui m'a écrit ces lignes, ou si d'autres personnes qui pensent comme lui, sont devant moi en cet instant, voici ce que je leur dirai. Dieu ne demande pas à tout homme de se croire le plus grand misérable qu'il y ait sur la terre, par la raison toute simple que, dans bien des cas, ce serait croire une fausseté car il est évident qu'il y a des hommes plus méchants les uns que les autres.
          Ce que Dieu demande de nous, c'est que nous disions, chacun pour son propre compte : « Je me connais mieux que je ne connais mon prochain, je ne sais que bien imparfaitement ce qui se passe en lui, et d'après ce que je vois, non seulement dans ma vie mais dans mon cœur, je ne pense pas qu'il puisse y avoir beaucoup de mes semblables plus mauvais que moi. Aux yeux du monde leur conduite est peut-être plus condamnable que la mienne mais j'ai eu plus de lumières, plus de privilèges, plus d'avertissements, plus d'occasions de connaître Dieu qu'ils n'en ont eu, en sorte qu'en réalité je suis plus inexcusable. » Voilà ce que nous devrions penser, mes chers amis. Je ne vous dis pas de faire comparaître votre frère avec vous devant le Seigneur, en disant, comme pour vous recommander à la faveur divine : « Je suis plus coupable que lui. » Non ; je voudrais bien plutôt que vous vous présentassiez seul devant Dieu, en murmurant, comme l'enfant prodigue : « Père, j'ai péché ! » Peu importe, jeune homme, que ton frère ait plus ou moins péché que toi ; peu importe, jeune fille, que ta soeur se soit plus ou moins égarée que toi ; ce qui importe, c'est que vous vous écriiez les uns et les autres en vous frappant la poitrine: « O Dieu ! sois apaisé envers moi qui suis pécheur ! » C'est là tout ce que vous avez à faire.
           Je termine. O vous tous qui vous sentez perdus, encore une fois je vous le dis : Venez à Christ ! Venez à lui, et vous serez les bienvenus. Il n'est pas un seul pécheur contrit et humilié dans le monde qui ne puisse avoir part à la rémission des péchés que Christ a acquise au prix de son sang, et se glorifier dans l'espérance de la gloire, de Dieu. Fût-elle noire comme l'enfer, votre âme peut devenir, dans l'espace d'un instant, aussi pure que le ciel. Je sais, hélas, je sais que ce n'est pas sans une lutte désespérée que le pécheur parvient à saisir la promesse du salut ; mais du moment qu'il croit, toute lutte cesse ; c'est là sa première victoire : glorieuse et sainte victoire ! Oh ! mes bien- aimés, puissent les paroles de ce cantique être en cet instant même le langage de vos coeurs ; retenez-les, adoptez-les, et qu'elles deviennent le cri habituel de vos âmes.
        Misérable et perdu, sans force et sans défense, Je me jette, ô Christ, dans tes bras ! Donne-moi sainteté, pardon et délivrance Tu l'as promis, tu le feras ! »

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vendredi 27 mars 2015

(9) SERMONS CHOISIS (Spurgeon Charles)

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LA VIGNE STÉRILE

La parole de l'Éternel me fut adressée et il me dit: Fils de l'homme, que vaut le bois de la vigne plus que les autres bois, et les sarments plus que les branches des arbres des forêts? (Ez 15:1,2).

       Rien n'égalait la présomption et l'arrogance de la nation juive. Lorsqu'elle péchait contre son Dieu, elle se flattait qu'en considération soit de la haute sainteté de ses ancêtres, soit d'une certaine sainteté qu'elle s'attribuait à elle-même, le pardon lui était acquis à l'avance, quelque grave, d'ailleurs, que fût son péché. Tant de fois la miséricorde infinie de Jéhovah s'était déployée en sa faveur; tant de fois sa main puissante l'avait retirée des dangers les plus imminents, que cette nation orgueilleuse en était venue à s'imaginer, qu'enfant chéri de la Providence, elle ne serait jamais rejetée.
        C'est pourquoi le Seigneur, afin d'humilier sa fierté, lui fait entendre, par l'organe du prophète Ezéchiel, qu'elle ne peut se vanter d'aucune supériorité sur toute autre nation de la terre, et il lui demande ironiquement ce qu'il y a en elle qui puisse la recommander à la bienveillance divine. « Il est vrai, ô maison d'Israël, semble dire le Très-Haut, il est vrai que je t'ai souvent appelée ma vigne ; je t'ai plantée sur un coteau, dans un lieu gras ; je t'ai cultivée, je t'ai entourée de mes soins; mais tu ne me rapportes aucun fruit: pourquoi donc continuerais-je à t'avoir pour agréable ? Si tu crois que par toi-même tu vaux mieux que tout autre peuple, tu t'abuses étrangement. Que vaut le bois de la vigne plus que les autres bois, et les sarments plus que les branches des arbres des forêts ?
       Et ici, remarquons, mes frères, que ces paroles ne portent nullement atteinte à la grande vérité de la souveraine et immuable élection de Dieu; car le peuple d'Israël, vous le savez, n'était pas choisi en vue du salut éternel, mais il était choisi dans ce sens qu'il jouissait de privilèges particuliers: son élection, en tant que peuple, n'était qu'une ombre et une image de cette élection personnelle et inviolable que Christ a exercée envers les siens. De sa véritable Eglise élue, Dieu ne retirera jamais son amour ; mais quant à l'Eglise visible et extérieure, il lui cache souvent sa face. A son peuple particulier et qui lui appartient en propre, il donnera toujours des gages de son affection ; mais quant aux chrétiens de nom, à ceux qui font simplement profession d'être ses disciples, il peut le retirer... que dis-je ? il leur retirera infailliblement toute marque de sa faveur, - Mais pour en revenir à Israël, le Seigneur, je le répète l'humilie par la parabole contenue dans ce texte, en lui rappelant qu'il n'est en rien supérieur à aucun autre peuple. Bien plus : il déclare qu'en soi il est une nation chétive méprisable, indigne d'être mise de pair avec le cèdre de Babylone ou avec le chêne de Samarie et que s'il ne porte point de fruit, il n'est bon rien, il est absolument sans valeur.
Mes bien-aimés, cette parabole adressée primitivement à Israël, nous allons essayer, avec le secours de Dieu, de nous l'appliquer à nous mêmes. Deux grands enseignements me semblent en ressortir d'une manière évidente. Le premier s'adresse aux vrais enfants de Dieu, et peut se résumer en deux mots : SOYEZ HUMBLES. Le second s'adresse à tous ceux qui font profession de piété, et peut se formuler ainsi : EXAMINEZ-VOUS VOUS-MÊMES

I
            Soyez HUMBLES : tel est, avons-nous dit, le grand enseignement que donne notre texte à ceux qui ont déjà goûté combien le Seigneur est bon. Que vaut le bois de la vigne plus que les autres bois, et les sarments plus que les branches des arbres des forêts ?
            En observant les diverses allusions faites à la vigne dans l'Ecriture, il semble qu'une sorte de prééminence lui soit attribuée sur tout le monde végétal ; - témoin, par exemple, l'antique parabole de Jotham, où les arbres sont représentés comme s'inclinant devant la vigne, en lui disant : Viens et règne sur nous (Juges 9:8-15). Toutefois, si nous considérons la vigne, indépendamment de sa fertilité, il est certain que nous ne verrons rien en elle qui lui donne droit à aucune distinction, encore moins à une royauté quelconque sur les autres arbres. Sous les divers rapports de la grosseur, de la forme, de la beauté, de l'utilité, le cep de vigne, en effet, leur est infiniment inférieur. Il n'est propre à aucun usage, En prendra-t-on du bois pour en faire quelque ouvrage, ou en prendra-t-on une cheville pour pendre quelque chose (Ez 15:3) ? A part sa fertilité, la vigne est donc à peu près inutile. Nous l'admirons, il est vrai, lorsque nous la voyons tapisser de son riche feuillage les murs de nos demeures ; et, en Orient surtout, où les plus grands soins étaient apportés à sa culture, elle atteignait le plus haut degré de luxuriance. Mais qu'on prenne la vigne à son état de nature, qu'on la laisse à elle-même, elle est, sans contredit, un des arbrisseaux les moins intéressants les plus inutiles qui croissent sous le soleil.
               Or, mes bien-aimés, il en est de même l'Eglise de Dieu, et voilà pourquoi l'humilité est pour elle un impérieux devoir. Les croyants sont appelés la vigne du Seigneur ; mais par nature, que valent-ils plus que leurs frères Adam ? Ils ne sont pas meilleurs que leurs semblables ; il est même des hommes du monde qui leur sont infiniment supérieurs, soit par l'émanation de leurs sentiments, soit par l'excellence de leurs qualités. Sans doute, par la grâce Dieu, les chrétiens sont devenus des sarments fertiles ; ils ont été plantés dans un bon terroir et le Seigneur a étendu leurs rameaux sur les murailles du sanctuaire, et maintenant ils ont obtenu du fruit à sa gloire. Mais; j'en appelle à leur propre témoignage, que seraient-ils sans la miséricorde de leur Dieu ? Que deviendraient ils sans l'influence continue du Saint-Esprit qui seul féconde leurs âmes ? Ne sont-ils pas les derniers parmi les fils des hommes, les plus méprisables entre ceux qui sont nés de femme ? Considère ceci; ô croyant ! Avant conversion, qu'y avait-il en toi qui pût te rend agréable aux yeux de Dieu ? Que dis-je ? Maintenant même, qu'y a-t-il en toi dont tu aies put te glorifier ? Ta conscience ne t'accuse- t-elle point sans cesse ? Est-il un seul jour de ta vie dans lequel tu n'offenses point le Seigneur, et tes infidélités, tes égarements sans nombre ne te disent-ils pas que tu es indigne d'être appelé son fils ? La faiblesse de ton intelligence, la fragilité de ton sens moral, ton incrédulité toujours renaissante, tes chutes réitérées, en un mot, tes misères de tous genres ne t'obligent-elles pas à reconnaître que tu es moins que le moindre de tous les saints ? Et s'il a plu à Dieu de faire de toi quelque chose, ne dois-tu pas avouer que c'est uniquement par un effet de sa grâce, de sa grâce libre et souveraine, que tu es ce que tu es ? - Ah ! s'il y avait dans ce moment devant moi une âme qui, tout en se considérant comme élue de Dieu, ne fût pas prête à s'associer à ces aveux, mais se persuadât qu'elle a été choisie en considération de quelque mérite ou de quelque bon sentiment qui lui était propre ; - que cette âme sache bien qu'elle n'a encore rien compris aux premiers éléments de la grâce, et qu'elle est dans les ténèbres par rapport à l'Evangile. Tout homme qui a reçu la vérité d'une manière efficace doit être prêt à confesser en toutes rencontres qu'il est le plus vil des pécheurs, le rebut de toute la terre ; que par nature il était perdu, souillé, indigne, ou plutôt digne de la condamnation, digne de l'enfer ; et que s'il a été choisi dans le monde et rendu différent de ses semblables, c'est uniquement à la grâce toute gratuite, à l'amour spontané et immérité de son Dieu qu'il en est redevable. O chrétien, toi qui es aujourd'hui grand par ta foi et grand par tes oeuvres, tu ne serais grand que par tes péchés, si ce n'était la grâce de Dieu
           O toi, vaillant soldat de la vérité, tu serais non moins vaillant à combattre pour Satan, si une influence divine n'avait agi sur ton coeur ! Un trône de gloire t'est réservé dans le ciel ; mais tu n'aurais eu à attendre qu'une chaîne d'obscurité en enfer, si l'Esprit saint ne t'eût transformé. Maintenant tu exaltes l'amour de ton Sauveur ; mais une chanson licencieuse serait peut-être sur tes lèvres, si la grâce ne t'avait lavé dans le sang de Jésus. Maintenant, tu es sanctifié, vivifié, justifié ; mais, je te le demande, que serais-tu en cet instant même, si la main du Très-Haut n'était intervenue en ta faveur ? Il n'est point de crime dont tu n'eusses pu te rendre coupable ; il n'est point d'excès, point de vice dans lequel tu n'eusses pu tomber : peut-être, à cette heure, serais-tu un meurtrier, si la grâce préventive de Dieu n'eût retenu ta main. Un jour, tu seras rendu semblable aux anges ; mais tu aurais été semblable aux démons, si la grâce n'eût fait de toi une nouvelle créature. C'est pourquoi, ô chrétien, ne t'élève jamais par orgueil. Souviens-toi que tous tes vêtements te viennent d'en haut : des haillons étaient ton seul héritage. Souviens-toi que la somptueuse demeure, l'inépuisable trésor qui t'attendent pour l'éternité Sont un don de ton Père céleste : il fut un temps où tu ne pouvais dire que rien fût à toi, si ce n'est tes péchés et ta misère. Maintenant la précieuse justice de ton Sauveur te couvre, et revêtue de la robe Sans tache du Bien-Aimé, ton âme est acceptée de Dieu; mais n'oublie pas que tu Serais encore comme enseveli Sous des montagnes de péché, et enveloppé dans les haillons souillés de l'iniquité, si Dieu n'avait eu pitié de ton lamentable état. Et toi, ô mon frère, tu pourrais t'enorgueillir ? Tu pourrais ne pas marcher avec les humbles ? Ah ! étrange mystère, inexplicable contradiction ! Quoi ? tout ce que tu as est emprunté, - et tu oserais te glorifier ! Tu ne possèdes rien qui t'appartienne en propre, tu ne vis que d'aumônes, - et tu serais orgueilleux ! Misérable indigent, dénué de toute ressource, tu dépends entièrement de la munificence de ton Sauveur, - et tu Serais vain ! Pauvre âme fragile et languissante, tu as une vie qui ne peut être alimentée que par les ruisseaux vivifiants dont Jésus est la Source, - et tu serais fière ! Va, mon bien-aimé, défais-toi à tout jamais de ton orgueil ; dépouille-t'en au plus tôt ; pends-le à un gibet aussi haut que celui d'Haman ; laisse-l'y tomber en poussière, et exècre Sa mémoire jusque dans l'éternité ; car, en vérité je te le dis parmi toutes les choses dignes d'être maudites, haïes et méprisées, l'orgueil d'un chrétien occupe le premier rang ! L'enfant de Dieu a dix mille fois plus de motifs que tout autre de marcher en humilité devant Son Dieu, et de se montrer doux, indulgent et débonnaire envers ses semblables. Croyant, reçois donc instruction de mon texte, et n'oublie jamais que la vigne ne vaut pas plus que tous les autres arbres, si ce n'est à cause de la fertilité que Dieu lui a départie.

II
        Mais Si mon texte donne aux fidèles en particulier une leçon d'humilité, il donne aussi à tous ceux qui se réclament du nom de Christ un bien Sérieux avertissement. EXAMINEZ-VOUS VOUS-MÊMES, semble-t-il nous dire ; car ainsi qu'une vigne stérile est dénuée de toute valeur, ainsi l'homme qui fait profession de piété sans porter les fruits convenables à la piété, est l'être le plus inutile et le plus méprisable qui soit ait monde.
       Étudions ce grave sujet, mes chers amis. Et tandis que je parlerai, puissent mes paroles pénétrer dans chacune des âmes ici présentes, en Sorte que tous ensemble, ministres et laïques, anciens de l'Eglise et simples auditeurs, nous soyons portés à Sonder nos cœurs et nos reins, afin de reconnaître si réellement nous sommes dans la foi ou bien si notre prétendue piété ne serait pas un vain et stérile formalisme.
        En abordant notre sujet, quatre questions se présentent naturellement à l'esprit. En premier lieu : Où trouve-t-on la vigne stérile, c'est-à-dire le chrétien formaliste ? ou, ce qui revient à peu près au même : Comment peut-on le reconnaître? En second lieu : D'où vient qu'il soit stérile ? En troisième lieu : Quel est le cas que Dieu fait de lui ? Et en quatrième lieu: Quelle sera sa fin? Reprenons successivement chacune de ces questions.
         Et d'abord : Où trouve-t-on le chrétien formaliste ? Je réponds : Partout. Oui, mes chers amis, partout : en bas et en haut, dans les chaires et sur les bancs, dans l'Eglise et dans le monde. Il n'est pas d'assemblée de croyants où ne se glisse quelque faux frère. Ne nous préoccupons donc pas des autres communions religieuses, mais disons-nous qu'il y a des formalistes dans notre Eglise, qu'il y en a dans cette assemblée. A quelque portion de la vigne du Seigneur que vous apparteniez, soyez sûr qu'elle renferme dans son sein plus d'un sarment stérile ; - et qui vous dit que vous n'en êtes pas un vous-même ? Le formaliste se rencontre dans toutes les positions, dans tous les rangs de la société. Tantôt, il est riche ; il nage dans l'opulence ; Dieu lui a donné une grande part des biens de la terre, et peut-être l'Eglise à laquelle il se rattache, oubliant que Dieu a choisi les pauvres de ce monde, est fière de le compter parmi ses membres. Elle l'honore d'une façon particulière ; et pourtant, que reçoit-elle de lui, en retour des hommages qu'elle lui prodigue ? Rien, ou presque rien. Ses pauvres sont encore dans le dénuement ; ses ressources ne sont pas augmentées par les trésors de l'homme riche ; ou si elle reçoit un peu de son or, du moins n'est-elle ni soutenue par ses prières ni honorée par la sainteté de sa vie, car il marche dans la voie des pécheurs et se plonge dans les voluptés, ne se servant de la religion que comme d'une sorte d'uniforme sous lequel il espère cacher sa conduite indigne. - Mais s'il faut souvent aller chercher le formaliste parmi les riches, il se trouve souvent aussi parmi les pauvres. Combien de personnes appartenant à la classe indigente qui se sont jointes à telle ou telle Eglise et qui ont reçu de la part des fidèles l'accueil le plus cordial ! On se félicitait de voir la pauvreté et la grâce se donner la main ; on se réjouissait à la pensée que la piété allait embellir la cabane du pauvre, et faire de son humble demeure une demeure de paix. Mais, hélas ! bientôt on a découvert que ce pauvre se dégradait lui-même en s'adonnant à des habitudes vicieuses, et déshonorait son Dieu en se conduisant d'une manière indigne de sa profession : il était buveur, jureur ou paresseux, en sorte que bien loin d'être un membre utile de l'Église, il était pour elle un fardeau et un opprobre.
       Tantôt, l'on trouve des formalistes dans ces hommes de grand savoir et de haute intelligence, dans ces théologiens érudits qui mènent, pour ainsi dire, l'avant-garde de l'armée de Dieu ; dont la parole est éloquente et persuasive, dont l'opinion fait loi, qui parlent comme des prophètes et qu'on regarde presque comme inspirés. Ils ont sans nul doute porté des fruits de science, de popularité ou de philanthropie ; mais leurs coeurs n'étant pas droits devant Dieu, leurs oeuvres, excellentes en elles-mêmes, n'ont rien de commun avec la sanctification ; c'est pourquoi la fin de ces hommes ne saurait être la vie éternelle (Ro 6:22). C'est en vain qu'on chercherait en eux les fruits de l'Esprit ; car ils ne sont point des sarments vivants de ce cep divin duquel seul procède toute vie. - Mais si d'une part il y a des formalistes parmi les sages et les intelligents, de l'autre il y en a parmi les petits et les illettrés. Gens modestes et sans prétentions qui parlent peu et dont personne ne parle, ils se glissent régulièrement chaque dimanche dans la maison de Dieu, s'assoient à leur place accoutumée, écoutent le sermon, puis s'en vont, persuadés que par le seul fait de leur présence au culte divin, ils ont rempli leurs devoirs religieux. En général, ils sont silencieux, réservés, et se plaisent dans l'isolement. Paresseux et égoïstes, ils se replient sur eux-mêmes et ne font rien pour autrui ; vigne stérile, ils occupent inutilement la terre.
           Et de même qu'il y a des formalistes dans toutes les conditions sociales, de même il y en a dans toutes les conditions spirituelles. C'est ainsi, par exemple, qu'on peut en trouver parmi ces âmes qui sont toujours à craindre et à douter. Comme le croyant faible et mal affermi, ils répètent souvent : Hélas ! mon, coeur tremblant se demande sans cesse Suis-je au monde ou suis-je au Seigneur ?
          Ils expriment constamment la crainte de ne pas aimer Jésus. Et en vérité, ce n'est pas sans raison qu'ils ont des craintes à cet égard ; car s'ils ne portent point de fruit, s'ils ne s'étudient point à affermir leur vocation et leur élection, ils témoignent hautement par là que, malgré leur simulacre de religion, ils n'ont aucune part en Christ. - Mais, d'un autre côté, il faut souvent aller chercher le formaliste parmi ceux qui ne doutent jamais. Aussi haut que qui que ce soit, il dira, sans rougir et sans hésiter : « Je sais en qui j'ai cru ; je sais que je suis chrétien ; que d'autres aient des doutes, c'est possible ; quant à moi, je suis certain que mes péchés ne peuvent pas plus me condamner que ma justice ne saurait me sauver. Quoi qu'il en soit et quoi que je fasse, je suis au Seigneur... » Ah! pauvre âme aveuglée, Dieu veuille dissiper ta funeste illusion et te faire reconnaître que, malgré ta confiance, tu ne vaux pas plus que celui qui doute toujours et ne croit jamais !
          Il y a tel formaliste qui, invité à prier dans une réunion fraternelle, s'excuse toujours sous un prétexte ou sous un autre, qui néglige le culte de famille, et probablement aussi ses dévotions particulières. Mais par contre, il y a tel autre formaliste qui se lève avec empressement et qui prie pendant un quart d'heure avec une abondance remarquable. Il a beaucoup de paroles, mais point de fond ; beaucoup de feuilles, mais point de fruits ; il possède le don de bien parler, mais non celui de bien vivre ; il s'exprime bien, mais agit mal ; il est pieux dans son langage, mais non dans sa conduite; il sait discourir des choses saintes, mais il ne sait pas marcher saintement avec son Dieu et le servir avec joie. - Mes chers auditeurs, je ne connais pas chacun de vous individuellement ; j'ignore quels sont votre caractère, votre réputation, vos habitudes, votre moralité ; mais je sais une chose : c'est que quelque considérés que vous soyez dans le monde, quelque confiance que vous inspiriez à l'Eglise elle-même, vous n'êtes nullement en droit de conclure, sans vous être préalablement examinés avec soin, que votre piété est autre chose qu'un froid et vain formalisme. Sachez-le bien, il est très facile de se séduire soi-même. Tous les, arbres stériles ne croissent pas dans le désert du monde ; il en est, hélas ! un trop grand nombre qui étendent leurs rameaux sans sève et sans vie au centre crème du jardin de Dieu. Je le répète, les formalistes se trouvent partout : il y en a de tout genre et de tout caractère ; il y en a de tout rang et de toute condition; il y en a parmi les grands comme parmi les petits; parmi les savants comme parmi les ignorants ; parmi les riches comme parmi les pauvres ; parmi les membres les plus timides, les moins connus d'un troupeau, comme parmi ceux qui se mettent le plus en évidence. A chacun donc de s'examiner soi- même !
          Mais dois-je essayer de vous décrire le formaliste avec plus de détails encore ? - Voyez cet homme qui néglige la prière du cabinet et qui ne marche point devant Dieu en public ; cet homme qui rend à son Créateur un culte hypocrite, et qui, tout en affectant le plus grand respect pour ses devoirs religieux, use de déloyauté dans les affaires, et de fraude dans son commerce ; cet homme enfin, qui, semblable aux Pharisiens orgueilleux dont le Seigneur disait qu'ils dévoraient les maisons des veuves, cache habilement ses iniquités, puis va, le front haut, se présenter devant Dieu, en s'écriant: O Dieu! je te rends grâces de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes ! Voilà un formaliste, mes frères ! voilà un sarment stérile ! il fait profession de christianisme, c'est vrai, mais il ne porte aucun fruit qui vienne à maturité.
           Voyez encore cet homme qui se fait gloire de sa moralité et de son excellence ; il se confie dans ses oeuvres et se flatte d'être sauvé par ses mérites ; il s'approche de Dieu, et lui demande son pardon; mais un mensonge est dans sa main droite, et ses lèvres sont des lèvres trompeuses, car il apporte avec lui sa propre justice et il ne croit point avoir besoin de la grâce qu'il sollicite. Lui aussi est un formaliste, lui aussi est un sarment stérile, car il n'a de la religion que les dehors et l'apparence.
          Et qu'est-il de plus qu'un formaliste, cet homme si rigide, si inflexible sous le rapport de la doctrine, mais si relâché, si accommodant sous le rapport de la vie ? Il est très orthodoxe en théorie, mais il l'est fort peu en pratique. Il fait grand bruit de ses croyances, mais il les désavoue par sa conduite. Il est le premier à chanter:
          C'est pour l'éternité que le Seigneur nous aime ; mais évidemment il n'a jamais eu de part l'amour de Christ, puisque au lieu d'aimer et servir son Maître, il continue à pécher afin que la grâce abonde.
      Mais que fais-je ici en m'efforçant de vous démasquer, ô hypocrites ? Puisse le Seigneur lui même vous démasquer en cet instant devant vos propres consciences. Ah ! que d'arbres stérile que de chrétiens purement extérieurs, que de membres indignes de l'Eglise n'y a-t-il pas dans cet auditoire ! Oh ! qu'elles sont nombreuses les âmes auxquelles pourrait justement s'adresser la malédiction prononcée contre Méroz : Maudissez Méroz, a dit l'ange de l'Eternel ; maudissez, maudissez ses habitants; car ils ne sont point venus au secours de l'Eternel, au secours de l'Eternel, avec les hommes puissants (Juges 5:23) ! Combien bien parmi vous, en effet, qui se contentent de manger le plus gras du pays, et de boire le vin doux (Ne 8:10), sans porter aucun fruit à la gloire du Seigneur ? Paresseux lssacars, vous vous tenez couchés, comme un âne gros et fort, entre des jougs (Ge 49:14), sans rien faire pour votre Maître vous traversez la vie, sans parler de Christ, sans prier pour Christ, sans donner à Christ, sans vivre pour Christ! Vous avez la réputation d'être vivants, mais vous êtes morts ; vous vous drapez dans une profession extérieure de piété, mais vous ignorez absolument ce que c'est que de se consacrer à Dieu et de s'offrir tout entier à lui en sacrifice vivant et sain. - Jugez vous-mêmes, mes frères, de ce que je dis ; si, en cet instant, vous étiez passés au crible, combien d'entre vous sortiraient purs de cette épreuve N'est-il pas vrai qu'il y a dans nos Eglises un grand nombre de soi-disant chrétiens aux prétentions élevées, qui volent haut, mais ne font rien ; qui sont empressés à parler de l'Evangile, mais lents à vivre selon l'Evangile ; qui se plaisent peut-être à entendre annoncer la vérité, mais qui ne pratiquent pas cette vérité, en servant leur Dieu et en honorant sa sainte cause ? A de tels chrétiens, je dis hautement : Vous êtes les êtres les plus inutiles, les plus destitués de valeur, qui existent dans le monde. Comme la vigne, vous seriez honorables si vous portiez du fruit ; mais de même qu'un cep improductif est méprisable, de même vous n'êtes bons à rien qu'à être jetés dehors et brûlés au feu.
       Et maintenant je passe à la seconde question D'où vient que les âmes dont nous parlons soient stériles ? La réponse est bien simple : parce que leur piété n'a point de racines, - Oui, il n'est que trop vrai, beaucoup de membres de nos Eglises n'ont pas la moindre racine en eux-mêmes. Il se peut qu'ils aient de beaux dehors, et que de loin leur aspect séduise ; mais encore une fois les racines leur manquent. Ne vous souvient-il pas de ce jeu de votre enfance, alors que vous cueilliez quelques fleurs et que vous enfonciez leurs tiges dans la terre ? Vous appeliez ce parterre improvisé « votre jardin » ; puis le lendemain, vous couriez le visiter, mais toutes les fleurs étaient fanées et mortes. Ainsi en est-il de beaucoup de prétendus chrétiens : jolie fleur mise en terre sans racine, n'ayant aucune adhérence au sol, et par conséquent ne puisant en lui aucun suc nourricier, leur piété se flétrit et meurt sans avoir porté aucun fruit agréable à Dieu. Tu t'es trop hâté, ô mon frère. Tu as dit à ton pasteur : « Je désire être reçu dans l'Eglise. » Celui-ci t'interroge, s'assure que tu connais la vérité; tu lui affirmes solennellement que ton coeur est en paix avec Dieu. Alors, il te baptise (On sait que le Rév. Spurgeon appartient à l'Église baptiste, et que dans cette Eglise nul ne peut recevoir les eaux du baptême ou participer à la cène sans avoir fait une profession de foi individuelle. -Note du Traducteur.), te reçoit au nombre des enfants de Dieu ; mais hélas ! ta vie religieuse n'avait point de racines ; aussi qu'est-il arrivé ? Après un temps, elle a séché. Les ardeurs du soleil l'ont brûlée, ou bien elle va s'étiolant de jour en jour, sans porter aucun fruit. Et comment aurait-il pu en être autrement puisqu'elle n'avait aucune racine ? C'est à la racine, mon frère, que tu aurais dû songer tout d'abord ; puis les branches auraient crû d'elles-mêmes ; mais c'est le contraire que tu as fait : de là provient ta stérilité.
           Et ici j'éprouve le besoin de m'adresser tout particulièrement aux jeunes gens de mon troupeau. Le dirai-je ? Je tremble souvent en pensant à eux, car je crains que dans bien des cas ils ne prennent pour une véritable conversion ce qui n'est que le résultat de l'entraînement ou d'une excitation passagère. Ils ont peut-être éprouvé pendant un temps un certain travail dans leur conscience ; toutefois ce travail n'était pas assez profond, assez réel pour être divin ; aussi ne saurait-il durer. Mais alors même que toute trace de piété intérieure s'est évanouie, malheureusement la profession extérieure reste, et ils se font de cette profession même un oreiller de sécurité. « Nous sommes membres de l'Église, se disent-ils ; nous n'avons donc rien à craindre. » Avertissez-les solennellement; insistez sur le devoir de s'examiner soi-même : vos paroles ne les touchent point. Ils sont baptisés, admis à la cène ; ils ont en quelque sorte franchi le Rubicon qui sépare le monde de l'Église ; que leur faut-il de plus ? Oh ! je ne saurais dire combien je tremble pour ces jeunes âmes !
Sans doute, je gémis à cause de l'endurcissement des incrédules ; mais je gémis bien plus amèrement encore à cause du fatal aveuglement de ces pauvres coeurs abusés ; car comment espérer parvenir à faire impression sur eux, puisqu'ils se croient dans le meilleur état possible, tant qu'en réalité ils sont dans un fiel très amer dans les liens de l'iniquité ? Mes jeunes amis, je ne voudrais décourager aucun de vous d'entrer dans les voies de la piété ; mais voici ce que je vous dis : examinez-vous vous-mêmes avant de faire profession d'appartenir à Dieu. Je voudrais en aucune manière empêcher ceux d'entre vous qui aiment le Seigneur Jésus confesser franchement leur Maître et de se joindre à l'Église ; mais je vous en supplie, sondez vos coeurs et éprouvez vos reins. Que de personnes qui se sont crues converties sans l'être réellement ! Que de milliers d'âmes qui ont ressenti une fois ou l'autre des impressions sérieuses, éprouvé pendant plus ou moins de temps une sorte de changement, un certain malaise intérieur, mais chez qui toutes ces impressions se sont ensuite évanouies comme un songe. Permettez-moi de vous citer un fait qui vient à l'appui de ce que j'avance. Il y a peu de jour que je reçus la visite d'un excellent homme, qui est aujourd'hui, je le crois, un véritable enfant de Dieu, et qui venait me dire qu'il avait été récemment convaincu de péché par le moyen ma prédication. Il me raconta en peu de mots quel avait été son passé religieux. « Je suis dans la Nouvelle-Angleterre, me dit-il, et baptisé dans mon enfance. J'étais encore bien jeune lorsqu'un réveil se manifesta dans mon village natal. C'est à peine s'il y eut un jeune garçon ou une jeune fille qui ne donnât pas des signes de conversion ; moi-même je fus vivement impressionné. Il n'y avait point assurément dans tout le village un coeur aussi endurci que le mien ; toutefois, mon péché me trouva à la fin. Je me souviens que je pleurais abondamment devant Dieu et le priais avec ferveur. J'allai trouver le pasteur, je lui dis que j'étais converti ; je le trompai et fus admis dans l'Église..... Peu de temps après, j'étais plongé dans les vices les plus noirs et j'avais renoncé à toute profession de piété. Après avoir fini mes études, mon inconduite devint si criante que je fus excommunié, et jusqu'à ces derniers temps j'ai vécu dans une complète incrédulité, sans donner une seule pensée à mes intérêts éternels. »
            Vous le voyez, mes chers amis, il est facile de se faire illusion. Prenez donc garde, je vous en conjure. Bien des personnes s'élancent dans la piété sans plus de réflexion que si elles s'élançaient dans un bain; mais le plus souvent elles en ressortent aussi vite qu'elles y sont entrées, car leur coeur appartient encore au monde.' Peut-être ces personnes croyaient-elles sincèrement s'être données au Seigneur, mais l'édifice de leur foi pêchait par sa base ; aussi, tôt ou tard, il s'écroule. Ce qui fait que nos Eglises comptent tant de membres stériles et morts, c'est parce qu'on ne se préoccupe pas assez des premiers commencements ; on ne prend pas assez garde au point de départ ; on ne tient pas assez compte des premières lueurs de l'aube du jour; on confond trop aisément le pâle et vacillant lumignon de ses propres espérances avec les premières clartés du Soleil de justice ; et, parce que la loi a blessé la surface de la conscience, on se figure que la main du Seigneur a porté le coup de mort à l'homme naturel, tandis qu'on est encore complètement étranger à l'oeuvre bien autrement puissante, profonde et efficace de l'Esprit de Dieu. Ne nous reposons donc pas trop sur nos expériences, sur nos sensations, sur nos bons désirs eux-mêmes ; ne nous hâtons pas de poser en fait que nous sommes enfants de Dieu, sans nous être assurés avec soin que nous avons droit à ce titre. Revenons souvent en arrière, et recommençons comme tout de nouveau notre course ; allons continuellement à Christ, en lui disant comme au premier jour :

Je viens à tes pieds, les mains vides ;
Tout mon espoir est en ta croix !

     Car, ne l'oublions pas, mes bien-aimés : toute piété qui n'a pas eu de bons commencements, c'est-à- dire qui a commencé ailleurs qu'au pied de la croix de Christ, ne saurait être que stérile et vaine.
          Quel est le cas que Dieu fait du formaliste telle est la troisième question que nous nous sommes posée. Je ne demande pas, remarquez-le, quel cas il fait de lui-même ; car, en général, le formaliste a une si haute opinion de son mérite, qu'en vérité celui-là ferait bien vite fortune qui l'achèterait à sa véritable valeur, pour le revendre ensuite au prix auquel il s'estime. Je ne demande pas non plus ce que pensent du formaliste ceux qui le connaissent superficiellement. Il est possible que l'Eglise à laquelle il vient de se rattacher le tienne en haute estime ; pasteurs et fidèles le louent à l'envi. Peut-être est-ce un homme haut placé ; on est flatté de sa seule présence dans le lieu de culte, on s'empresse de le revêtir de la dignité d'ancien. De ces sortes d'appréciations, je n'ai point à m'occuper ; c'est l'appréciation de Celui qui sonde les cœurs et les reins que je tiens à constater. Or, voici ce que Dieu pense de tout homme qui fait profession d'être pieux sans être sincère : il n'est rien au monde de plus inutile qu'un tel homme.
             Et chose remarquable ! ce jugement que le Seigneur porte sur le formaliste devient, à mesure qu'il est mieux connu, celui de tout le monde. En voulez-vous des preuves ? Interrogeons le troupeau dont il fait partie depuis des années. « A quoi vous a servi ce formaliste ? Quel bien vous a-t-il jamais fait ? membres de l'Eglise, répondez ! Vous soulage-t-il dans vos détresses ? vous console-t-il dans vos afflictions ? Lorsque votre pasteur est lassé, soutient-il par la prière ses mains défaillantes ? Lorsque l'heure du combat a sonné, marche-t-il à la tête des soldats de Christ ? Quel service vous a-t-il rendu ? quel service vous rend-il encore ? » Membres de l'Eglise ! je vous entends vous écrier tout d'une voix : « Arrière de nous le formaliste ! il n'est bon à rien, il n'est propre à aucun usage. Loin de servir l'Eglise, il lui fait tort, car sa vie est en contradiction avec ses principes. Sarment stérile, qu'on le retranche du milieu de nous ! »
            Ainsi chassé de l'Eglise, où se réfugie le formaliste ? Dans le monde. Et quel accueil y reçoit-il ? Écoutons. « Enfants du monde, que pensez-vous de cet homme ? Il fait profession de piété : quel cas en faites-vous ? - Arrière de nous les gens de son espèce ! nous répondent-ils avec dédain ; cet homme, n'a aucune consistance, il tourne à tous les vents : aujourd'hui il prend les airs d'un saint ; demain il se conduira comme un des nôtres. Qu'il aille où bon lui semble ! nous ne voulons point de sa compagnie. »
        Quoi ? le monde comme l'Eglise repousse le malheureux ! Mais sûrement sa famille du moins lui rendra un meilleur témoignage. Demandons à son fils: « Jeune homme, à quoi t'a servi la piété de ton père ? Que lui dois-tu ? - Ce que je lui dois ? répond le fils, absolument rien. Il est vrai que mon père demande à Dieu avec une apparente ferveur de me convertir ; mais il se lève de ses genoux pour donner carrière à son humeur irascible. Il est violent et emporté. Que de fois ne m'a-t-il pas frappé avec colère, sans aucune provocation de ma part ? Le dimanche,: il va régulièrement au culte, et il exige que ses enfants l'y accompagnent ; mais nous savons ce qu'il fait le lundi : il s'enivre, ou jure, ou ment, ou se met en colère..... Il m'a fait prendre le christianisme en aversion, il m'a rendu incrédule : voilà tout ce que je lui dois. »
         Du fils, passons à l'épouse. « Que pensez-vous de votre mari ? lui dirons-nous ; il y a longtemps qu'il fait profession de piété : qu'y avez-vous gagné ? - Hélas ! répond la pauvre femme, il ne me sied pas, je le sais, de mal parler de mon mari, mais la vérité m'oblige à dire qu'il m'a rendue la plus malheureuse des femmes. Je crois que je serais aujourd'hui une véritable chrétienne, si je n'avais eu sous les yeux le triste spectacle de ses inconséquences. Il m'a scandalisée, il m'a brisé le coeur. Il a toujours été une pierre d'achoppement pour moi... »
         Mais poursuivons notre interrogatoire. Que la servante comparaisse à son tour devant nous.
         « Jeune fille, que pensez-vous de votre maître ? il se donne pour un homme religieux ; qu'avez-vous à dire sur son compte ? - Avant de me placer chez lui, réplique la servante, je me figurais que les chrétiens étaient de dignes gens, avec lesquels on devait s'estimer heureux d'avoir affaire ; mais si tous les chrétiens ressemblent à mon maître, j'avoue que je préférerais gagner moitié moins et servir un homme du monde ; voilà tout ce que je puis dire. »
       Mais notre formaliste est peut-être à la tête d'un grand commerce, d'une industrie considérable. Il jouit de la considération publique ; il passe pour un homme excellent. N'a-t-il pas fait un don généreux en vue de la construction de telle église ? Ne contribue-t-il pas annuellement à l'entretien de telle école ? Toutefois, ne nous en tenons pas à ces vagues renseignements ; questionnons ses commis, ses ouvriers. Demandons-leur, à eux aussi, ce qu'ils pensent de leur patron. « Ce que nous en pensons? répètent-ils ironiquement, c'est qu'il est le plus mauvais payeur de la paroisse, et qu'il est bien dur d'être à sa merci. - Mais sa piété ?...- Sa piété ! C'est une indigne comédie, et rien de plus ! Autrefois, nous fréquentions le culte divin; mais nous sommes droits, nous sommes sincères, et nous avons préféré ne plus y assister que de nous y trouver en face d'un misérable hypocrite tel que lui.»
          Mes frères, les portraits que je trace ne sont pas fictifs, ils sont réels et, sans aller bien loin, je pourrais, je n'en doute pas, trouver des hommes qui ressemblent fort à ces portraits. Et maintenant je réitère ma question : que valent de tels hommes ? à quoi sont-ils bons ? S'ils disaient franchement : « Je ne suis pas chrétiens », ils agiraient du moins en êtres sensés et rationnels. Car, en 'définitive, si Baal est Dieu, il est juste que Baal soit servi, et si le monde vaut la peine qu'on l'adore, il est juste qu'on l'adore loyalement, de tout coeur, sans faire tort à Satan d'une seule parcelle de ce qui lui est dû. Mais si Dieu est Dieu, si l'Éternel est l'Éternel, que dire de l'homme qui vit dans le péché, tout en affectant de le servir et en parlant de sa grâce ? Le Seigneur le repousse loin de lui avec horreur ; il le désavoue, il le regarde comme un objet vil et indigne entre tous. Semblable à la vigne qui ne porte point de fruit, ce soi-disant chrétien vaut moins que rien; il occupe la terre en pure perte, car il ne se conduit pas d'une manière digne de l'Évangile. Mes chers amis, je ne voudrais rien avancer qui pût vous paraître exagéré ou imprudent, mais croyez bien que je dis ceci de sang-froid et après mûres réflexions. S'il se trouvait quelqu'un parmi vous qui fit profession de piété, mais dont la conduite prouvât que cette profession n'est que feinte et mensonge, je l'engage sérieusement - (et je le répète, je dis ceci en pesant la portée de mes paroles), - je l'engage à renoncer complètement aux formes de la religion et à se montrer tel qu'il est. Oui, mes chers auditeurs, je vous en supplie, ayez au moins le mérite de la franchise. Ne boitez pas des deux côtés. Ne jouez pas double jeu. Si Dieu est Dieu, servez-le, et servez-le sans réserve, sans partage. Si Baal est Dieu, si Satan est un bon maître, si vous désirez vivre à son service et gagner son salaire, libre à vous ; - servez-le. Mais, au nom de votre âme, ne mêlez pas le service de Dieu et le service de Satan ! Soyez ou tout l'un ou tout l'autre : chrétien ou mondain, enfant de lumière ou enfant de ténèbres. Renoncez à votre hypocrite formalisme et ayez le courage de vous déclarer hautement serviteur du diable, ou bien gardez votre profession de piété et vivez comme un serviteur de Dieu : encore une fois, soyez ou' tout l'un ou tout l'autre. Mes frères, je vous exhorte, solennellement à choisir dès aujourd'hui qui vous voulez servir. C'est en vain, sachez-le, que vous essaieriez de faire de la conciliation en pareille matière : nul ne peut servir deux maîtres; vous ne pouvez servir Dieu et Mammon (Mat 7:24).
          Et maintenant, il ne me reste plus qu'à répondre à cette question : Quelle sera la fin de la vigne stérile ? Le prophète nous dit qu'elle sera consumée par le feu. Et en effet, quand un vieux cep ne porte plus de fruits, que devient-il ? Le vigneron l'arrache, le jette de côté avec le bois mort et les mauvaises herbes, puis il est brûlé. Tout autre arbre serait du moins réservé pour le feu du maître; mais le cep est tellement méprisable qu'il est mis au rebut pour être employé à des usages vils. L'antique et robuste chêne des forêts est brûlé, lui aussi, il est vrai ; mais ses funérailles sont dignes de sa grandeur passée ; il tombe en cendre avec honneur et il y a de l'éclat dans sa flamme. Mais quant à la vigne stérile, on là traite: avec mépris; on la laisse se consumer lentement et ignominieusement, au milieu de débris de toutes sortes ; en un mot, sa fin est misérable su plus haut degré. Il en sera de même du formaliste. Sans doute, tout homme qui n'aime pas Dieu périra ; mais celui qui prétend l'aimer sans l'aimer réellement, périra avec une double mesure d'ignominie. Non seulement il ne sera pas enseveli dans le sépulcre des rois, mais encore ce qui est dit d'un ancien roi d'Israël peut lui être appliqué dans un certain sens : Il sera enseveli de la sépulture d'un âne, il sera traîné et jeté hors des portes de Jérusalem (2Ch 21:20; Jer 22:19). Oui, la damnation d'un formaliste sera, j'en suis convaincu, le spectacle à la fois le plus terrible, le plus ignoble, le plus effroyable que l'enfer puisse jamais voir ! Lorsque Satan, plein d'une haine diabolique contre son Créateur, fut précipité du ciel, il y eut du moins une sorte de grandeur dans sa chute, comme il y avait eu quelque chose de hideusement sublime dans son péché. De même, quand un hardi blasphémateur, quand un impie audacieux est lancé en enfer, il y a dans leur perdition un certain caractère de grandeur et de majesté, et cela, parce qu'ils ont eu le courage de se montrer tels qu'ils étaient. Mais lorsqu'un homme qui s'est fait un masque de la piété sera envoyé en son lieu, qui pourrait dire le surcroît de honte, d'opprobre, de confusion, d'amertume incomparable qui accompagnera son supplice ? Il me semble que je vois l'incrédule avoué soulevant ses chaînes de feu, saluer par un sifflement ironique le ministre hypocrite qui arrive en enfer. « Aha ! Aha dira-t-il, te voici donc au milieu de nous ! Tu me reprenais autrefois à cause de nues blasphèmes, à cause de mes débauches, et maintenant te voici dans l'enfer des débauchés et des blasphémateurs ! » - « Aha ! reprendra un autre damné, je te reconnais, austère et rigide pharisien ! Te souvient-il du jour où tu me déclaras que je périrais si je demeurais incrédule ; et toi, qu'as-tu gagné, je te prie, à jouer le croyant ? Va ! tu es le plus vil d'entre nous ! Je suis perdu comme toi, mais du moins je n'ai pas rougi de servir mon maître, tandis que toi, lâche hypocrite, tu n'as eu le courage de bien servir ni Dieu ni Satan ! » - Et une autre voix hurlera du fond de l'abîme : « Ministre de l'Evangile ! chante- nous maintenant un de ces, cantiques que jadis tu avais toujours sur les lèvres ; cite-nous quelque passage de la Bible ; parle-nous d'élection, de grâce, de sainteté... » Et d'un bout à l'autre de l'enfer retentiront des sifflements, des injures, des cris d'indignation et de rage à l'adresse de celui qui se disait chrétien, qui même enseignait les autres, mais dont le cœur n'était pas droit devant Dieu !... Pour ma part, mes frères, je vous le déclare, il n'est aucune réprobation qui me semble plus à redouter que la réprobation réservée aux hypocrites apostats, - à ces hommes sans pudeur ni conscience qui prétendent aimer le Seigneur, glosent sur des sujets religieux, défendent avec chaleur le christianisme, participent à la sainte Cène, parlent des heureux effets d'une bonne communion, se lèvent pour prier dans les assemblées fraternelles, et expriment l'assurance qu'ils seront exaucés à cause de leur foi, mais qui tout en se couvrant ainsi du manteau de la religion, commettent des choses abominables ; opprimant le chétif, faisant tort à l'orphelin et pratiquant toutes sortes d'iniquités. Oh ! en vérité, j'estime que la condamnation particulière qui fondra sur de tels hommes sera deux fois plus redoutable, deux fois plus écrasante, que celle de toute autre classe de pécheurs. Il me semble qu'en enfer il y aura comme un autre enfer, où les damnés les plus coupables seront comme damnés une seconde fois ; et là seront jetés les hypocrites, - tous ceux qui ont été avec nous, mais qui n'étaient pas des nôtres, qui prétendaient appartenir à Christ, mais qui n'étaient que de vils imposteurs !... Oh ! formalistes qui m'écoutez, je vous en supplie : si vous ne voulez pas aggraver votre condamnation, si vous ne voulez pas attiser vous-mêmes le feu qui ne s'éteint point, si vous ne voulez pas que vos chaînes soient rendues plus pesantes, votre rage plus hideuse, vos imprécations plus désespérées, je vous en supplie, quittez, quittez sans délai cette profession de piété dont vous êtes indignes. Ou bien décidez-vous pour le Seigneur ; sortez de cette enceinte contrits et humiliés, et, rentrés chez vous, ployez le genou devant Dieu, en lui demandant de vous sonder, de vous éprouver, de vous rendre intègres et droits devant sa face. Prenez la ferme résolution de renoncer à ce honteux système de duplicité et de fourberie que vous avez suivi trop longtemps. Ne vous drapez plus dans les robes de la sainteté extérieure pour cacher les souillures qui couvent en dessous. Soyez vrais, soyez sincères. Si, à vos risques et périls, vous voulez continuer à vivre loin de Dieu, soyez des pécheurs qui se donnent pour ce qu'ils sont, et non de vils et rampants hypocrites. Que vaut le bois de la vigne plus que tous les autres bois ? Sans contredit, il vaut beaucoup moins ; c'est pourquoi, si la vigne ne porte pas de bons fruits, sa fin sera la plus terrible, la plus infamante, la plus lamentable qui se puisse imaginer.
         Mes chers auditeurs, cela ne vous émeut-il point ? Cela n'ébranle-t-il point vos consciences ?... Ah ! vous tremblez probablement, vous qui n'avez point sujet de trembler ; mais quant à ceux que ces dures vérités devraient transpercer jusqu'au fond de l'âme, hélas ! je le crains, ils demeurent impassibles. L'avertissement que le Seigneur vient de vous faire entendre retentira dans le coeur des vrais enfants de Dieu, comme le cri du prophète (Jer 48:31) : Hurlez, hurlez, à cause de Moab ! mais, hélas ! Moab lui-même ne hurlera point ! vous gémirez sur Kir-Hérès, mais Kir-Hérès ne gémira point sur elle-même ! Vous pleurerez sur les hypocrites de votre connaissance, mais, quant à eux, ils se retireront dans leurs demeures, tranquilles et satisfaits, en se disant les uns aux autres :
         « Discours énergique aujourd'hui, mais qui ne nous concernait en rien. » Puis, ils iront, avec une froide présomption, avec une inconcevable assurance, prendre d'une main la coupe du péché, et de l'autre la coupe du Seigneur ; chanter un soir des chansons profanes, et le lendemain "Jésus; refuge de mon âme" ; se rencontrer ici avec Christ, et là avec le diable ; et, le nom de Dieu encore sur les lèvres, applaudir à toutes les oeuvres ténébreuses de Satan ! Ah ! pécheurs, pécheurs, pécheurs ! prenez garde, prenez garde, je vous en conjure ! Que chacun de nous interroge son coeur, pour s'assurer si, jusqu'à présent, il ne s'est point séduit lui-même. Et veuille le Seigneur illuminer notre entendement, afin que nous soyons parfaitement au clair sur cet important sujet. Disons-lui tous ensemble : O Dieu fort, sonde-moi et considère mon coeur ; éprouve-moi, et considère mes discours ; et regarde s'il y a en moi aucun mauvais dessein, et conduis-moi par la voie du monde (Ps 139:23,24.).
        Je termine ; mais auparavant il faut que je te dise aussi un mot, à toi, mon cher auditeur, qui en cet instant même te dis avec une joie maligne : « A la bonne heure ! les faux dévots ont eu leur compte aujourd'hui ! Quant à moi, je suis hors de cause ; je ne fais point profession de piété ; nul ne pourrait me traiter d'hypocrite. J'en suis fort aise, mon ami, et je t'en félicite. Toutefois, ne va pas t'imaginer que tu sois beaucoup plus avancé pour cela. Supposons que deux hommes soient conduits devant la justice, et que l'un d'eux, feignant la juste indignation de la vertu calomniée, s'écrie : « Je suis un honnête homme, je proteste de mon innocence ! » Néanmoins, malgré ses dénégations, on acquiert la certitude qu'il est coupable du crime dont on l'accusait, et on le condamne. Vient le tour du second inculpé. « M. le juge, commence-t-il, je reconnais que je suis coupable ; j'ai toujours été un scélérat et le serai toujours ; je n'ai aucune prétention à la vertu. » Penses-tu, mon cher auditeur, que le juge fasse grâce à ce dernier, en raison de son effronterie ? Assurément non. De même, si tu dis en ton cœur : « Je n'ai aucune prétention à la piété, donc je n'ai rien à craindre », sache que tu t'abuses étrangement ; et permets-moi de te dire que si c'est une chose terrible que de vouloir se faire passer pour chrétien alors qu'on ne l'est pas, c'est une chose non moins terrible que de vivre, le sachant et le voulant, en dehors de toute piété. A ton tour, prends donc garde de ne pas te faire illusion. Ce qu'il nous faut à tous, sans exception, c'est un nouveau cœur et un esprit droit ; sinon, que nous soyons formalistes ou que nous ne le soyons pas, nous périrons infailliblement.


          Oh ! puisse Dieu nous accorder la grâce, aux uns et aux autres, de crier à lui et d'implorer son pardon ! Puisse-t-il nous aider à nous repentir de nos péchés et à placer notre confiance simplement et entièrement en notre Seigneur Jésus-Christ ! Alors, nous serons sauvés dès ici-bas, et sauvés pour l'éternité.